« Les archives, fantôme de l’Opéra ? Dans les plus grands théâtres, au sein des plus prestigieuses compagnies de ballets, on ne trouve presque jamais un archiviste attaché à la Direction artistique. Des immenses efforts qu’ont nécessités certains spectacles, des incroyables réussites qui en ont résulté, il ne reste rien de convaincant. Quelques photos, généralement prises à la sauvette ... Les décors sont brûlés ou démolis « pour faire de la place ». Des costumes dessinés et exécutés avec amour, il ne reste presque rien non plus. La plupart ont été usés jusqu'à la trame à force de figurer dans des ouvrages auxquels ils n’étaient pas destinés. Mais les maquettes* ? dira-t-on. Perdues ou souvent chapardées. Quelques fois données en cadeau par les peintres à des « amis » qui remercient, s’en vont, les entassent chez eux et au premier déménagement les jettent à la poubelle, pour ne pas s’encombrer »[1].
Depuis que Louis Ducreux a écrit ce texte, dix années ont passé. De lieux en lieux, des projets pour la création voire la mise en valeur d’un patrimoine qui témoignerait des spectacles passés voient le jour, d’autres progressent. Néanmoins la recherche, qui s’apparente plutôt à l’enquête minutieuse, se révèle souvent infructueuse car les sources sont éparses et lacunaires.
Si nous nous sommes heurtés à de telles difficultés pour traiter des réalisations de Jean-Denis Malclès à l’opéra, sa présence, plus précieuse que tout, nous permit d’y pallier. Le peintre accepta avec gentillesse de s’entretenir de son métier de décorateur. Il apparut que sa biographie éclairait la conception du décor qu’il mit en œuvre par la suite. Dans un premier temps nous les étudierons donc successivement. Il fallut ensuite choisir parmi les nombreux spectacles auxquels il collabora. Deux lieux apparurent significatifs : l’Opéra de Paris et le Festival d’Aix-en-Provence. Enfin, l’exploration des diverses étapes de son travail nous a semblé donner une idée plus vivante de son métier.
1. Initiation à la recherche
Pénélope Pairaudeau
penelope.naulleau at happytoseeyou.fr
Ecole du Louvre
Jean-Denis Malclès à l’opéra
Professeur : Mme Geneviève Bresc
Personne ressource : Mme Claudette Joannis
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2. Table des matières
INTRODUCTION......................................................................................................1
1. UNE VIE AU SERVICE DE L’ART....................................................................................................... 2
1.1. ELÉMENTS DE BIOGRAPHIE....................................................................................................... 2
1.1.1. Formation.................................................................................................................................... 2
1.1.2. Parcours....................................................................................................................................... 3
1.1.3. Réalisations................................................................................................................................. 5
1.2. SA CONCEPTION DU DÉCOR : CELLE D’UN PEINTRE........................................................ 9
1.2.1. Le théâtre : de la peinture animée.......................................................................................... 9
1.2.2. Une inspiration abstraite fruit de la transposition de l’œuvre à travers l’imaginaire pictural 13
1.2.3. Du théâtre à l’opéra : similitudes et différences................................................................ 15
1.2.4. A l’opéra : un compositeur de décors* (le décor incluant les costumes) la peinture, la musique et la mise en scène formant un tout très
homogène............................................................................................................................. 18
2. SITUATION : LIEUX ET PERSONNAGES..................................................................................... 19
2.1. L’OPÉRA DE PARIS ET MAURICE LEHMANN..................................................................... 20
2.1.1. l’envergure d’un lieu mythique............................................................................................. 20
2.1.2. « Obéron » de Carl Maria von Weber en 1954 : une réalisation de taille................... 21
2.2. LE FESTIVAL D’AIX-EN-PROVENCE ET GABRIEL DUSSURGET................................... 23
2.2.1. Le théâtre de la cour de l’Archevêché : contraintes et magie......................................... 23
2.2.2. Partis pris novateurs du Festival et de son créateur Gabriel Dussurget...................... 24
3. LE MÉTIER EN ACTE : DÉROULEMENT DU TRAVAIL........................................................ 29
3.1. LA COLLABORATION ÉTROITE AVEC LE METTEUR EN SCÈNE................................. 29
3.2. DE LA MAQUETTE* À L’ATELIER........................................................................................... 30
3.2.1. Les décors.................................................................................................................................. 30
3.2.2. Les costumes.............................................................................................................................. 31
3.3. LES RÉPÉTITIONS......................................................................................................................... 34
4. CONCLUSION.......................................................................................................................................... 37
Bibliographie
Glossaire
Annexe A : Transcription des entretiens avec Jean-Denis Malclès
Annexe B : Reproductions numérisées
Annexe C : Photographies
Annexe D : Articles de presse et programmes
Annexe E : Réalisations pour les théâtres lyriques et les festivals d’Art lyrique en France, Sources
Annexe A
Annexe BAnnexe B - Luna
Annexe B - Obéron
Annexe B - Orphée
Annexe B - Platée
Annexe B - Toiles
Annexe B - Suite et fin
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3. Annexe E
Avant Propos
C’est passionnée d’opéra que j’abordais l’univers de Jean-Denis Malclès. Riche de la liste de ses réalisations, je me suis d’abord
heurtée à la fragmentation des sources. Toutes mes lettres adressées aux théâtres lyriques pour lesquels il avait travaillé n’ont pas reçu
le même écho. Pour certaines je n’ai toujours pas de réponse à ce jour. Bien entendu, étant donné l’incomplétude de ces sources, ce
travail ne se veut pas exhaustif. Il aurait fallu disposer de plus de temps, se rendre sur place. C’est ce que j’ai fait pour le Festival
d’Aix-en-Provence, aidée par l’enthousiasme de M. Bruno Ely et M. Gilles Robert qui cherchent à promouvoir la mémoire du Festival.
Je les en remercie.
Toute ma reconnaissance s’adresse aussi à M. Jean-Denis Malclès sans le témoignage duquel ce travail n’aurait pu exister. C’est
autour de lui que j’ai souhaité organiser mon mémoire. M. Malclès m’a permis de découvrir cet autre côté du théâtre qui jusqu’alors
m’était inconnu.
Mes remerciements vont aussi à M me Claudette Joannis qui m’a guidée dans le choix de ce sujet.
Je remercie enfin M lle Françoise Boudet, M me Marie-Odile Gigou, M me Delphine Pinasa et M. Blondeau pour toutes les informations
qu’ils ont bien voulu me révéler et le temps qu’ils m’ont consacré.
Convention typographique :
Les mots suivis de * sont indexés sur le glossaire situé à la fin de ce document.
Mémoire
Annexe A
Annexe B
Annexe B - Luna
Annexe B - Obéron
Annexe B - Orphée
Annexe B - Platée
Annexe B - Toiles
Annexe B - Suite et fin
Annexe E
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4. Introduction
Introduction
« Les archives, fantôme de l’Opéra ? Dans les plus grands théâtres, au sein des plus prestigieuses compagnies
de ballets, on ne trouve presque jamais un archiviste attaché à la Direction artistique. Des immenses efforts qu’ont
nécessités certains spectacles, des incroyables réussites qui en ont résulté, il ne reste rien de convaincant. Quelques
photos, généralement prises à la sauvette ... Les décors sont brûlés ou démolis « pour faire de la place ». Des
costumes dessinés et exécutés avec amour, il ne reste presque rien non plus. La plupart ont été usés jusqu'à la trame
à force de figurer dans des ouvrages auxquels ils n’étaient pas destinés. Mais les maquettes* ? dira-t-on. Perdues ou
souvent chapardées. Quelques fois données en cadeau par les peintres à des « amis » qui remercient, s’en vont, les
[1]
entassent chez eux et au premier déménagement les jettent à la poubelle, pour ne pas s’encombrer » .
Depuis que Louis Ducreux a écrit ce texte, dix années ont passé. De lieux en lieux, des projets pour la création
voire la mise en valeur d’un patrimoine qui témoignerait des spectacles passés voient le jour, d’autres progressent.
Néanmoins la recherche, qui s’apparente plutôt à l’enquête minutieuse, se révèle souvent infructueuse car les
sources sont éparses et lacunaires.
Si nous nous sommes heurtés à de telles difficultés pour traiter des réalisations de Jean-Denis Malclès à l’opéra,
sa présence, plus précieuse que tout, nous permit d’y pallier. Le peintre accepta avec gentillesse de s’entretenir de
son métier de décorateur. Il apparut que sa biographie éclairait la conception du décor qu’il mit en œuvre par la
suite. Dans un premier temps nous les étudierons donc successivement. Il fallut ensuite choisir parmi les nombreux
spectacles auxquels il collabora. Deux lieux apparurent significatifs : l’Opéra de Paris et le Festival d’Aix-en-
Provence. Enfin, l’exploration des diverses étapes de son travail nous a semblé donner une idée plus vivante de son
métier.
Une vie au service de l’Art
1.1 Eléments de biographie
Formation
[2]
« En Avignon mon enfance baigna dans le monde des Arts ... » raconte Jean-Denis Malclès. En effet il naît le
15 mai 1912 dans une famille d’artistes. Ses parents peignaient, son père était aussi sculpteur sur bois ornemaniste
et réalisait, par exemple, des panneaux décoratifs pour des meubles. Son grand-père, le poète Félix Gras et son
grand-oncle, l’écrivain Joseph Roumanille, appartenaient tous deux au Félibrige, école de défense de la langue
provençale dont Frédéric Mistral était, avec Roumanille, l’un des fondateurs.
Comme ses deux soeurs, Jean-Denis a donc, dès son plus jeune âge, le goût du dessin et de la peinture. Il en
témoigne encore : « Adolescent, avec mes deux soeurs toujours, nous partions dans la nature provençale avec
musettes et chevalets. C’était réglé : invariablement on ramenait le soir un paysage. Et parfois même une
[3]
insolation ! »
Lorsqu’en 1927 et à l’âge de 15 ans, Jean-Denis Malclès rentre à l’Ecole Boulle, son père, chef des études et
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5. Introduction
travaux, y établit les programmes. Notre futur peintre décorateur choisit la section « Sculpture sur bois ». Là,
pendant quatre années, il apprend à manier la gouge et les burins tout en recevant un enseignement artistique très
riche et varié : décoration, architecture intérieure, histoire de l’art, étude des styles. Aujourd’hui, il reconnaît les
avantages d’une telle formation pour devenir décorateur : « En France, il n’y avait pas, comme en Italie par
exemple, des ateliers fondamentalement de théâtre ou apprendre la technologie du théâtre. Pour ma part, je me suis
forgé avec l’expérience un métier. J’ai pu l’acquérir avec plus de facilité parce que je sortais de l’école Boulle qui
[4]
était une école de formation technique en même temps qu’artistique . »
Parcours
A la sortie de cette école, il est engagé chez Ruhlmann, un célèbre ébéniste.
Si ses études à proprement parler s’achèvent avec cet engagement, sa formation, elle, se poursuit. A partir d’une
idée de l’ébéniste, il doit ébaucher devant sa table à dessin les formes d’un meuble. Ce dernier sera d’abord réalisé
dans un bois simple pour permettre la modification des moindres défauts de dessin. L’objet achevé et agréé par
Ruhlmann atteint ensuite la perfection d’un artisanat de grand art. Cela explique un peu comment l’apprentissage
d’un tel métier le conduira, pour le décor de spectacle, à la recherche d’une perfection similaire. Là aussi, son
travail de dessinateur lui permet la réalisation précise et sans faille d’une idée, de la maquette* sur la feuille de
papier à la scène en trois dimensions. Au lieu de meubles de bois il s’agit alors des éléments du décor ou des
costumes. Il acquiert ainsi le métier du plasticien qui dessine à la perfection mais toujours avec l’idée de la
traduction dans l’espace des formes qu’il représente.
Après ses huit heures de travail devant la planche à dessin à l’atelier, Jean-Denis Malclès ne pose pas le crayon
[5]
mais se consacre, dans les académies de peinture, à l’étude des modèles vivants. « J’avais la passion de ça » dit-
il.
Le service militaire, effectué dans l’aviation à Nancy, viendra interrompre ses activités. A son retour les années
vingt florissantes sont achevées, et il se heurte à la crise de l’immédiat avant-guerre. Le chômage naissant l’oblige à
toutes sortes de petits travaux : « J’ai même fait des dessins de serrurerie, des plans de pièces détachées de meubles
[6]
pour des revues de bricolage ! »
Parallèlement il continue à peindre pour son propre plaisir : « Avec des camarades et l’une de mes soeurs, nous
avions constitué un petit groupe pour faire nos premières expositions personnelles dans une galerie qui s’appelait
[7]
“l’Equipe” ». Cette pratique de la peinture lui sera finalement déjà fort utile puisqu’il entre dans un atelier de
dessins pour soieries : là, il exécute des fleurs, des dessins imprimés, des lignes géométriques. La crise l’amène
donc encore à la découverte d’un nouvel univers. Licencié, il continue à faire des dessins pour tissus qu’il propose
à des soyeux pour vivre.
La vision rétrospective du parcours de Jean-Denis Malclès, avec aussi la connaissance de ses réalisations, nous
autorise à penser que ces travaux dans le domaine du textile seront bénéfiques à son œuvre de décorateur et plus
encore de costumier. Il développe sans doute alors une sensibilité aux tissus, à leurs couleurs et à leurs impressions
qu’il utilisera au théâtre et à l’opéra pour le dessin et la réalisation des costumes. Il sera en effet particulièrement
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6. Introduction
soucieux de cet aspect de son travail de décorateur.
Arrive enfin le moment de son premier contact avec le monde du théâtre. En 1939, il expose deux compositions
en longueur au Salon d’Automne. Mobilisé, il apprend que l’une d’elle a été acquise par l’Etat et surtout que Jean-
Louis Vaudoyer, alors conservateur du Musée Carnavalet, a beaucoup apprécié son travail.
Malheureusement, après la démobilisation, sa situation professionnelle est toujours aussi difficile et il décide de
préparer le concours de professeur de dessin de la ville de Paris. Il tente aussi le Prix de la Fondation Blumenthal et
présente donc un ensemble de peintures exposées au Musée des Arts Décoratifs, au pavillon de Marsan.
[8]
« Et celui qui devait être ma bonne étoile fut à nouveau sur ma route ... » raconte-t-il. Jean-Louis Vaudoyer
lui adresse en effet une lettre où il l’encourage à aborder l’univers du théâtre. Il écrit : « Votre talent, il me semble,
[9]
vous désigne particulièrement pour la décoration théâtrale. C’est pourquoi j’ai prononcé votre nom à l’Opéra ... »
Mais les temps étaient difficiles et le directeur du Palais Garnier n’eut alors rien à lui proposer. C’est Jean-Louis
Vaudoyer lui-même qui, nommé Administrateur de la Comédie Française, fera appel à Jean-Denis Malclès. Nous
sommes alors en 1942 et il a 29 ans. Il s’agissait, pour une reprise de « Fantasio » de Musset de rafraîchir de vieux
décor de Drésa et, en s’en inspirant, de réaliser deux ou trois toiles manquantes ainsi qu’un cadre de scène. Il avait
également à charge la conception des costumes. Laissons-lui le soin d’évoquer cette première réalisation : « Et c’est
ainsi que sans expérience aucune du théâtre, je débutais à la Comédie Française (...) Tout en travaillant, j’apprenais
à connaître cette boîte magique qu’est un plateau de théâtre avec ses machineries, ses cintres*, ses porteuses*, ses
costières*... J’avoue aussi que mon enseignement reçu à l’Ecole Boulle me fut d’un grand secours pour établir des
[10]
plans de scène, concevoir des tapisseries ou l’architecture d’une construction .»
Après sa formation et un premier parcours (d’un atelier d’ébéniste aux ateliers de textile entre autres)
implicitement utile à son futur devenir de décorateur, débutent véritablement ses réalisations pour le théâtre. Riche
de ses expériences de dessinateur de meubles et de tissus, mais aussi de peintre, il se forme au métier de décorateur
de théâtre. Le hasard aurait pu le faire débuter à l’opéra puisque c’est tout d’abord au Palais Garnier que Jean-
Louis Vaudoyer le recommande mais lors de cette période de restrictions, aucun spectacle ne se monte. Son destin
le conduit donc plutôt au théâtre et de là, à l’opéra. Il apparaît que ce cheminement ne sera pas sans conséquences.
Réalisations
Les réalisations de Jean-Denis Malclès au théâtre ont été évoquées à l’occasion de l’exposition de la
Bibliothèque Historique de la Ville de Paris par un catalogue, conversation du peintre avec l’auteur dramatique
Michel Lengliney. Elle est cependant si riche que tous ses aspects n’ont pu être traités mais ce ne sera pas non plus
notre propos. Nous en relèverons simplement les grands axes, précieux aussi à l’étude de son œuvre pour l’opéra.
Après des débuts à la Comédie Française, Jean-Denis Malclès rencontre Jean-Pierre Grenier au Salon de
l’Imagerie où il expose quelques peintures destinées au renouveau des images officielles (calendriers des PTT, etc.).
Ce dernier, fondateur de la Compagnie Grenier-Hussenot, monte des spectacles dans la tradition du théâtre
ambulant et propose à Jean-Denis Malclès de travailler avec lui. Là, il rencontre les Frères Jacques et crée pour eux
le costume de scène qui ne les quittera plus : le collant et les gants blancs. De son travail avec la Compagnie
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7. Introduction
Grenier-Hussenot de 1946 à 1951, marqué souvent par une pénurie de moyens et l’exiguïté de lieux non conçus a
priori pour le théâtre (ainsi ils réaliseront pour des cabarets), le décorateur témoigne avec chaleur : « Ce fut pour
moi l’école du théâtre de base, le théâtre réinventé. Les moyens étant souvent d’une grande pauvreté, tout ce que
[11]
l’on ne pouvait pas réaliser par la richesse, on l’obtenait par la poésie et l’imagination ».
Perfectionnant ainsi son art de décorateur, il apprend à se jouer des contraintes scéniques les plus ardues pour aller
à l’essentiel en évitant toute fioriture inutile. Ce talent le mènera à plusieurs réalisations pour l’opéra avec Jean-
Pierre Grenier comme metteur en scène. Ensemble, ils montent « Platée » en 1956 et « La Flûte Enchantée » en
1958 à Aix-en-Provence, se pliant avec succès à l’exiguïté de la scène du Théâtre de l’Archevêché.
L’autre moment déterminant de sa carrière théâtrale est la rencontre de Jean Anouilh en 1948. Elle marque le
début d’une très longue et étroite collaboration puisque Jean-Denis Malclès sera le décorateur attitré de l’auteur
jusqu’en 1981. Une admiration réciproque et des vues similaires sur le théâtre les lient.
Pour Jean Anouilh, Jean-Denis Malclès illustre si parfaitement son univers qu’il lui écrit : « Malclès rend les
rêves solides. C’est un extraordinaire talent, bien rassurant pour les poètes. Lorsqu’il est passé, on peut voir et
[12]
toucher et ils peuvent dire : “Vous voyez bien que c’était vrai”. »
Jean-Denis Malclès, quant à lui, évoque une certaine conception du décor qu’ils avaient en commun : « Pour
nous, tout ce qui n’est pas une transposition picturale apporte un ton très banalement vériste qui n’appartient pas au
monde du théâtre et particulièrement à celui de Jean Anouilh (...) C’est que tout cela a un rôle qui doit être bien
[13]
tenu. Ce sont des objets vivants »
Le décor peint était l’un des éléments de la vie de la scène et Jean Anouilh souhaitait même que cela « fasse
peinture ». Nous verrons comment c’est également en peintre que Jean-Denis Malclès réalisera des décors d’opéra.
Au théâtre, il créera les oeuvres d’autres grands auteurs: Marcel Aymé, André Gide, Jean-Paul Sartre, ...
Fréquemment au service de dramaturges vivants, le peintre cultive l’humilité qu’il juge essentielle à son travail de
[14]
décorateur . Citons encore ses collaborations avec Jean-Louis Barrault ou Raymond Devos, Marcel Carné au
cinéma et Roland Petit pour les Ballets des Champs-Elysées et nous aurons un peu esquissé l’éventail de son
œuvre.
En premier lieu c’est d’abord au théâtre que Jean-Denis Malclès apprend le métier de décorateur : sa carrière
commence en 1941 et il ne réalise des décors d’opéra qu’en 1952, riche de ses expériences. Ensuite, c’est toujours
au théâtre qu’il rencontre ceux avec lesquels il oeuvrera à l’opéra.
Ainsi, il réalise en 1942 pour la Comédie Française les décors de « Tartuffe » dans une mise en scène de Pierre
Bertin. Ce dernier, acteur chez Jean-Louis Barrault, mais également mélomane et metteur en scène, monte
« Adrienne Lecouvreur » de Cilea en 1952 à la Scala de Milan avec Jean-Denis Malclès comme décorateur.
A l’instar de Jean-Pierre Grenier, Jean Meyer est une de ces grandes figures du théâtre que nous retrouvons à
l’opéra. Jean-Denis Malclès collabore à maintes reprises avec lui : de Gide à Sartre ou Jules Romain, à la Comédie
Française, en passant par d’autres nombreux auteurs au Théâtre des Célestins de Lyon où Meyer est directeur de
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8. Introduction
1968 à 1986. Pour le théâtre lyrique, il inaugure avec lui sa participation au Festival d’Aix-en-Provence dans
« Orphée » de Gluck en 1955.
Jean-Denis Malclès exprima son admiration à son sujet : « Jean Meyer représente pour moi l’homme de
spectacle de la grande époque du théâtre. Celle d’un théâtre fait de rigueur, sans fioriture aucune, sans souci de
vedettariat ni complaisance commerciale. Celle d’un grand animateur de troupe aussi. Avec toujours cette seule
[15]
obsession : aller à l’essentiel d’une œuvre » .
Le peintre rencontre l’univers de Peter Ustinov par l’entremise de Jean-Pierre Grenier puisque ce dernier réalise
la mise en scène de deux pièces de ce comédien : « L’Amour des Quatre Colonels » en 1954 au Théâtre Fontaine et
« Romanoff et Juliette » en 1957 au Théâtre Marigny. Peter Ustinov sera en 1968 le metteur en scène d’une « Flûte
Enchantée » à l’Opéra de Hambourg, « décorée » par Jean-Denis Malclès.
Les exemples sont nombreux de ces noms qui cheminent du théâtre à l’opéra. C’est aussi à l’opéra qu’il
collabore pour la première fois avec des personnalités du théâtre. Ainsi en est-il de Louis Ducreux. En même temps
qu’il poursuit une brillante carrière au théâtre en tant que comédien, metteur en scène et auteur, Louis Ducreux se
consacre à l’art lyrique. Il réalise de nombreuses mises en scène et dirige les opéras de Marseille (de 1961 à 1965
puis de 1968 à 1971), Monte-Carlo (de 1968 à 1972) et Nancy (de 1973 à 1977). Il fait alors souvent appel à Jean-
Denis Malclès (« Lulu » « Les Mamelles de Tirésias », « Orphée aux Enfers », « La Traviata », ...).
Lorsqu’il s’entretient des metteurs en scène avec lesquels il a travaillé à l’opéra, Jean-Denis Malclès souligne
leur appartenance au théâtre : « Commune à Louis Ducreux, Jean Meyer, Peter Ustinov ou Jean-Pierre Grenier, il y
avait cette conception de l’acteur. Ils ont beaucoup modifié le comportement des chanteurs en scène et du même
[16]
coup, les décors et les costumes » . La présence d’hommes de théâtre est donc pour Jean-Denis Malclès une
constante. Elle s’explique par son parcours : il se forme au théâtre et lui demeure fidèle jusqu'à la fin de sa carrière.
Elle exprime également une certaine idée de l’opéra, un opéra revivifié par le théâtre qui d’Aix-en-Provence à
Marseille connaît à partir des années 50 un renouveau.
1.2 Sa conception du décor : celle d’un peintre
Nous avons vu que la présence d’hommes de théâtre est une des caractéristiques des opéras auxquels Jean-Denis
Malclès collabore. Elle participe d’une renaissance du théâtre lyrique qui, devant une certaine démobilisation de
l’auditoire après la seconde guerre mondiale, doit faire face à de nouvelles exigences (celle d’un public familiarisé
avec le cinéma par exemple). La mise en scène dramatique cherche donc à donner cohérence et vraisemblance à
l’opéra. Le décor peint s’inscrit aussi dans ces tentatives. Il est par exemple le parti pris du premier Festival d’Aix-
en-Provence et de son fondateur Gabriel Dussurget qui fait appel aux peintres les plus fameux (Masson, Balthus,
Derain, ...). Il étend en cela à l’opéra la politique des Ballets Russes collaborant déjà avec la peinture (Picasso,
Derain, ...). Jean-Denis Malclès appartient historiquement mais aussi par nature à ce courant puisqu’il est avant tout
peintre.
[17]
Le théâtre : de la peinture animée
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9. Introduction
« Il est l’archétype du peintre qui s’est voué au théâtre » écrit encore Alain Gueullette. A considérer déjà sa
biographie, la peinture apparaît comme une première vocation. Héritée peut-être de parents artistes et peintres eux-
mêmes, elle est toujours pratiquée, en plus du métier comme une respiration nécessaire voire indispensable. Il est
significatif de constater que si, à ce jour, Jean-Denis Malclès ne pratique plus le métier de décorateur ; il demeure
[18]
peintre et expose même en ce moment dans une galerie parisienne comme il l’a fait tout au long de sa vie.
En revenant en arrière, nous trouvons à l’origine de sa carrière de décorateur, l’œil de Jean-Louis Vaudoyer sur
plusieurs de ses toiles. Celui-ci y relève un « talent » qui « le désigne particulièrement pour la décoration
[19]
théâtrale » . Effectivement, les compositions que nous avons pu voir évoquent toujours la scène. L’espace paraît
à la fois délimité et mobile, comme celui d’un théâtre avec ses décors peints. A côté d’un fond clos, tout à coup est
apposée une ouverture vers un lointain* d’architecture à la réalité onirique. Les personnages (acteurs, danseurs,
acrobates) quand ils n’appartiennent pas au monde du spectacle, sont en représentation dans des attitudes théâtrales.
Les titres de ses toiles sont également évocateurs : « Don Juan », « Le metteur en scène », « Les perruques », « La
répétition », etc. Et l’on y retrouve même les figures des oeuvres pour lesquelles il décora : la Reine de la Nuit,
Papagena, Papageno, ...
Un petit texte écrit par Jean-Denis Malclès lui-même pour l’une de ses expositions exprime parfaitement ce lien
entre son imaginaire théâtral et l’espace qu’il représente :
« (...) En toile de fond, descendant des cintres* j’ai souvent rêvé de Paris. J’ai rêvé de la Seine,
d’une rue, d’un quartier, d’un monument, ... et d’un théâtre aussi.
Toujours un peu le même puisqu’il s’agit depuis longtemps du mien, avec ses danseurs,
comédiens, chanteurs, promeneurs, qui tels de légers fantômes, ne cessent de hanter mon
imagination.
J’aime à les retrouver au détour d’une gouache, d’une peinture ou d’un dessin, personnages
immuables d’un univers qui leur appartient mais qu’ils m’offrent en partage.
C’est au sein même de la beauté que ces figures tragiques ou malicieuses m’ont conduit
aujourd’hui : décor de tous mes songes, ils ont choisi Paris »
Les lexiques de l’imaginaire et du théâtre s’y entremêlent, exprimant le lien qui les unit dans son œuvre. Roger
Bouillot le confirme encore dans un article extrait de la revue « l’ Œil » (n° 439, mars 1992) : « Chaque œuvre est
la conjonction singulière d’un rêve sur le point de devenir réalité théâtrale ».
Le cas de Jean-Denis Malclès, à cette époque où les peintres participent au spectacle lyrique pour les décors, est
atypique. Son univers de peintre correspondait, avant même de l’avoir rencontré, à celui du théâtre. Contrairement
à Balthus, Derain ou Masson qui ne firent qu’un passage au théâtre et à l’opéra, Jean-Denis Malclès s’y consacra
toute sa vie en raison de l’adéquation parfaite entre sa peinture et la scène.
Les vestiges de ses réalisations nous l’enseignent aussi. Plus que des décors, trop fragiles, détruits ou perdus,
sont conservées des maquettes* témoignant des représentations passées. Elles préparent en les figurant à plat et en
couleur décors et costumes. Celles de Jean-Denis Malclès sont toujours extrêmement composées et traduisent
parfaitement l’atmosphère colorée du tableau qu’elles représentent. Aujourd’hui, il est peut-être difficile de s’en
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10. Introduction
rendre compte dans la mesure où, du spectacle, ne demeurent que des éléments éparses (costumes, décors,
photographies, articles, ...). Les documents audiovisuels en témoignent mieux ; les deux films conservés par la
vidéothèque d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence pour « la Flûte Enchantée » et « le Monde de la Lune » illustrent
bien le fait que la maquette* synthétise l’image de certains tableaux. Les maquettes* de cette « Flûte Enchantée »
conservées à la Bibliothèque de l’Arsenal pourraient se trouver insérées dans le film et s’animer avec son
déroulement.
Ainsi, le théâtre ou l’opéra de Jean-Denis Malclès est effectivement de la peinture animée : lorsqu’il réalise une
toile, lorsqu’il conçoit un décor et des costumes, il a le même souci de composition et d’harmonie de l’ensemble.
Sur ses maquettes* peintes, se retrouve ce même souci. Ensuite, il veille à ce que la réalisation ne trahisse pas cette
exigence. « Il me plaisait, les choses étant terminées, le rideau s’ouvrant, de voir une image qui correspondait à une
[20]
peinture, par des harmonies, par la mise en place des choses » dit-il.
Dans cette recherche picturale de composition et d’harmonie pour le spectacle, Jean-Denis Malclès dispose des
formes et des couleurs que lui offre son pinceau puis de leur transposition par les ateliers de décors et de costumes.
La richesse de sa palette trouve particulièrement à l’opéra l’occasion de s’exprimer.
Le courant qui vit les peintres entrer à l’opéra est issu de la révolution esthétique des Ballets Russes. Elle
cherchait à donner un caractère unitaire à l’aspect visuel du spectacle confiant souvent au même décorateur-peintre
costumes et décors. « De ce renouveau naîtra, dans les années 1950-1960, une nouvelle génération de décorateurs-
costumiers, surnommée « Ecole de Paris » avec Cassandre, Oudot, Wakhevitch, Dupont, Chapelain-Midy... qui
laissent éclater une fantaisie et un bonheur de la couleur débridés. De nouveaux matériaux, en cet âge du Nylon et
[21]
des matières plastiques, permettent un foisonnement de formes. » . Maquettes* et costumes d’ « Obéron » en
[22]
sont par exemple représentatifs : celui de la fée Coquillage , grâce à l’emploi d’un Rhodoïd transparent, imite
les volutes marines. Ceux des personnages orientaux jouent sur l’apposition de couleurs crues et se répondent entre
eux, composant de chatoyants tableaux. Couleurs et formes sont alors un parti pris du décorateur et non pas
[23]
seulement une interprétation des ateliers de couture. La maquette* de Monostatos (pour la « Flûte Enchantée »
d’Aix-en-Provence) correspond ainsi parfaitement au costume réalisé.
Si le peintre utilise les costumes pour constituer la dimension visuelle du spectacle et réaliser la
peinture animée, il peint aussi au sens propre de nombreux éléments du décor. La tradition n’était
pas alors aux réalisations en dur comme c’est le cas aujourd’hui. « Maintenant, sur un plateau, la
brique est de la brique, les boiseries sont faites en bois véritable et souvent même les arbres, si le
[24]
décor en réclame, viennent de la forêt ... » . Les photographies de scène nous montrent en
revanche que les décors de Jean-Denis Malclès se composaient de nombreuses toiles peintes, et
Maquette* du costume
de Monostatos
que les éléments en volume étaient peints (par exemple, les rochers de « La Flûte Enchantée »).
De même, l’inventaire des décors de Jean-Denis Malclès conservés à Aix-en-Provence révèle le
nombre important de châssis*, ceux-ci étant des éléments peints.
La peinture avait donc sa place au stade de la préparation (maquettes*), mais aussi sur scène, à celui de la
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11. Introduction
représentation.
Pour son métier de décorateur, Jean-Denis Malclès compose en peintre des images avec couleurs et formes. Il le
fait d’abord à l’échelle de la maquette* avec l’idée de leur réalisation pour la représentation. Chaque costume,
chaque décor déjà composé en lui-même participe ensuite de cette « peinture animée » offerte sur la scène à la vue
du public. Si l’univers du peintre est par nature imaginaire, celui du décorateur l’est aussi ; la question des sources
d’inspiration se pose alors.
Une inspiration abstraite fruit de la transposition de l’œuvre à travers l’imaginaire pictural
Le mot même d’inspiration pourrait de prime abord sembler excessif voire pompeux pour considérer les travaux
d’un décorateur. Cependant, nous avons vu que Jean-Denis Malclès agissait avant tout en peintre, les sources de ses
décors et de ses costumes n’étant jamais tel ou tel répertoire mais l’idée qu’il s’en faisait. « Les sources
d’inspiration, elles, sont dans ma tête et ensuite elles sont dans le souvenir. Je n’ai jamais pu travailler de façon
systématique avec des documents. J’ai eu un souvenir des choses, que j’ai toujours d’ailleurs, du XVIII ème, du
[25]
XVIIème, du Moyen-Age, de la Renaissance, des images. » . Dans son Traité de la Peinture, Léonard de Vinci
affirmait que la peinture était « cosa mentale » et appartenait au domaine des arts libéraux. Il s’agissait, à l’aube de
la Renaissance de donner au peintre le statut d’artiste et non plus d’artisan. Le travail du décorateur dans la mesure
où il compose en peintre la dimension visuelle d’un œuvre relève aussi d’un Art au sens où l’entendait Léonard.
Son inspiration, abstraite, est donc le fruit de la transposition de l’œuvre à travers l’imaginaire pictural.
A l’opéra, la musique a son rôle à jouer. Lors de nos entretiens, Jean-Denis Malclès a dit combien il s’en
[26]
imprégnait avant de réaliser toute chose . Expliquant comment la lecture de ses oeuvres par Jean Anouilh avant
leur mise en scène le guidait dans la réalisation des décors, il donne ensuite pour les oeuvres lyriques ce rôle à la
[27]
musique. « A l’opéra on a cela en écoutant la partition, la musique. » .
Assimiler les sources d’inspiration de Jean-Denis Malclès décorateur à celles d’un peintre pourrait laisser penser
qu’il s’octroyait une entière liberté. Cela serait inexact. Il insiste toujours sur le respect du travail de l’auteur lui-
même. L’idée n’étant pas de s’approprier l’œuvre pour créer mais de la servir dans sa nouvelle vie sur scène.
Ainsi, lorsque Michel Lengliney l’interroge sur les conseils qu’il donnerait à un jeune décorateur, il répond :
« Un décorateur ne doit jamais se mettre en avant. On est d’abord au service d’un ouvrage. Vous savez on ne va
[28]
pas voir un décor de Malclès mais la pièce d’un auteur ! C’est une école d’humilité... » .
Les critiques de l’époque que nous avons pu rencontrer témoignent toujours de ce respect primordial. Il était
également la préoccupation de ceux avec lesquels Jean-Denis Malclès travailla. Carlo Maria Giulini qui dirigea « Il
Mundo della Luna » en 1959 à Aix-en-Provence déclara d’ailleurs : « Le chef d’orchestre, le metteur en scène, et
[29]
bien sûr le peintre se mettent au service du compositeur » .
L’inspiration de Jean-Denis Malclès pour concevoir les maquettes* a donc lieu dans les limites imposées par
une œuvre qui se doit d’être humblement servie.
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12. Introduction
Elle connaît une autre influence : celle des lieux. Matériellement, le décorateur doit déjà se préoccuper de
l’espace pour lequel il réalise (voir §3.2.1). Mais il peut être imprégné d’une atmosphère. Jean-Denis Malclès l’a
évoquée ainsi : « C’est le premier élément dont on tienne compte. A dimensions égales chaque théâtre possède une
atmosphère, un climat. Vous êtes portés par des puissances qui vous inspirent dans la conception des choses. La
Scala de milan est, par exemple, imprégnée d’une histoire. Dans ce lieu prestigieux, on est impressionné à l’idée
[30]
d’être là ou Stendhal venait... » . Chacun peut ressentir en pénétrant dans des théâtres anciens l’émotion qu’un
passé glorieux a gravé dans les pierres. Pour le décorateur, plus proche d’un univers auquel il appartient, cette
émotion s’enrichit d’une connaissance de ce passé. Telle, elle influence son imagination.
En peintre, Jean-Denis Malclès réalise décors et costumes à partir de son imaginaire pictural, imaginaire
imprégné de la musique et du livret à l’opéra ainsi que du lieu pour lequel l’œuvre sera créée. Le respect de
l’auteur et de son ouvrage enrichissent son inspiration.
Du théâtre à l’opéra : similitudes et différences
Différencier le travail de Jean-Denis Malclès au théâtre et à l’opéra ne s’est pas imposé jusqu’alors. Pourtant le
décor d’opéra n’est pas réductible au décor de théâtre.
[31]
Gérard Fontaine dans un ouvrage récent a cherché à les définir l’un par rapport à l’autre. Dans un premier
temps il relève une « étrangeté » caractéristique de l’opéra. Les écarts à la nature, aux normes marquent les livrets.
Prenons quelques exemples parmi les oeuvres sur lesquelles Jean-Denis Malclès a travaillé. « Obéron » de Weber,
sous-titré « Opéra romantique et féerique » met en scène le nain Obéron, roi des Elfes, princes et princesses, calife
et émir... L’histoire, qui multiplie les lieux et les féeries, s’apparente au conte de fées le plus imaginatif. Le livret
[32]
surréaliste de Guillaume Apollinaire pour les « Mamelles de Tirésias » n’a rien a lui envier en fantaisie :
Thérèse, mère de famille et féministe acharnée, s’y transforme en homme barbu et se fait nommer Tirésias. De
dépit, son mari donne naissance à 40.000 nouveaux nés. Jean-Denis Malclès évoque ainsi « Il Mundo della Luna »
de Haydn : « C’est vraiment une comédie très débridée, très cocasse. Grosso modo, c’est un peu une farce que l’on
fait à un personnage ridicule, que l’on nomme Empereur de la Lune. Ensuite, il est emmené avec son serviteur qui
[33]
lui sert de chambellan dans le royaume de la lune. » . Ce sont quelques exemples extrêmes à des époques
différentes de l’histoire de l’opéra, mais l’écart à la nature et aux normes y est toujours présent.
Sur le plan décoratif, le décor d’opéra induit donc au moins le dépassement de la vraisemblance, au plus
imagination et fantaisie. Une propension marquée au spectaculaire est aussi un autre élément constitutif du
spectacle lyrique relevé par Gérard Fontaine. Evidemment, le décor doit refléter cette dimension spectaculaire. Les
trois enfants s’envolant dans une montgolfière pour « La Flûte Enchantée » de Hambourg sont un exemple entre
mille.
De plus, au lieu de rechercher unité de lieu et de temps, l’opéra multiplie les changements. Gérard Fontaine
définit comme une règle « a-théâtrale » cette transgression la plus importante et la plus systématique possible des
unités classiques. Prenons à nouveau l’exemple d’Obéron où l’on passe tour à tour de la forêt enchantée du roi des
elfes à Bagdad au palais du calife, d’une grotte des esprits à une plage, .etc.
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13. Introduction
La musique enfin constitue la « singularité fondatrice » de l’opéra par rapport au théâtre. La parole sur laquelle
repose en grande partie le théâtre est ici vecteur de musique par le chant. Elle n’est pas toujours intelligible :
« L’opéra s’adresse à l’imaginaire grâce à une parole portée par la musique, transportée au point de s’y dissoudre
[34]
en tant que langage rationnel » . Nous avons vu que la musique influençait le travail du décorateur dès sa
première inspiration. Le caractère imaginaire qu’elle confère au spectacle lyrique se reporte nécessairement sur les
décors eux-mêmes. « La musique marque le passage du terrestre au supraterrestre de l’univers lyrique, de la réalité
au rêve ». La notion essentielle de l’ouvrage auquel nous nous référons apparaît alors : celle de rêve éveillé. Elle
découle de la musique, en plus de l’étrangeté, des écarts, du spectaculaire. L’auteur peut alors affirmer : « Le décor
d’opéra est par nature onirique : il vise à imposer l’illusion d’un autre monde ». La « Flûte Enchantée » d’Aix-en-
Provence qu’un film nous a conservée témoigne du caractère onirique du travail de Jean-Denis Malclès. Les
éléments du décor habités par des machinistes permettaient des changements à vue* et tous les mouvements
possibles, le rêve éveillé du spectateur n’étant ainsi jamais interrompu.
Or, le caractère cohérent et évident du rêve éveillé pour le rêveur-spectateur, nous le devons, à l’opéra, en partie
à la présence des hommes de théâtre. Jean-Denis Malclès souligne que les metteurs en scène avec lesquels il
travailla étaient tous comédiens à l’origine : « Donc, lorsqu’ils dirigent des acteurs, chanteurs en l’occurrence, ils
les animent comme des acteurs. C’est pour cela que les gens d’opéra ont énormément évolué du jour où des gens de
[35]
théâtre sont venus à l’avant-scène » . Il met en exergue les similitudes du travail du chanteur et du comédien
même s’il reconnaît les contraintes particulières imposées par le chant et la musique : « Il y a toujours un chef
d’orchestre qu’il faut, avec intelligence, regarder sans le voir apparemment mais en soupçonnant ses intentions
(...)de temps en temps, on est obligé, pour des raisons orchestrales et en même temps de groupements d’interprètes
[36]
de jouer cela parfois d’une façon un peu arbitraire face au chef d’orchestre, en rang » . Le décorateur, comme
au théâtre, facilite les mouvements des interprètes en construisant des plans, des volumes qui donnent une raison
d’être à leurs déambulations. En cela, sa collaboration avec le metteur en scène est très étroite afin de servir la
cohérence de l’œuvre.
La théâtralité du jeu des chanteurs, loin de porter atteinte à l’essence onirique du spectacle a donné, dans les
années cinquante, une nouvelle vie à l’opéra. Le chant, par la symbiose du théâtral et du musical, participe à
l’histoire qui se déroule sous nos yeux. Celle-ci s’emplit de sens et le décorateur est un des auteurs de cette
cohérence. Jean-Denis Malclès conclut pour nous sur l’opéra : « Par rapport au théâtre, le décorateur y a sans
doute une place plus considérable ; la peinture, la musique et la mise en scène formant un tout très
[37]
homogène. »
A l’opéra : un compositeur de décors* (le décor incluant les costumes) la peinture, la musique et la mise en scène
formant un tout très homogène
A l’origine du genre, dans la tradition humaniste, l’opéra se voulait un art suprême assurant la synthèse de tous
les autres : la poésie, la musique, la danse et les arts plastiques. Cela ne fut pas toujours mais il semblerait que c’est
dans ce sens qu’oeuvrèrent Jean-Denis Malclès et ceux avec lesquels il travailla.
A partir des Ballets Russes, a été recherchée une certaine unité dans la traduction visuelle de l’œuvre qui prend
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14. Introduction
d’ailleurs une plus grande importance.
Jacques Rouché, directeur de l’Opéra de Paris de 1914 à 1944, modifie dans ce sens les méthodes de travail. Il
engage des équipes artistiques différentes pour chaque production et développe le rôle du peintre qui dessine à la
fois les costumes, les décors, les accessoires* et assiste aux répétitions à côté du metteur en scène. « (...) qu’en un
mot il imprime à tous l’impulsion d’où naîtra l’harmonie générale des sons, des couleurs, des lumières, des paroles
[38]
et des attitudes ! » écrit-il dans son Art Théâtral moderne .La génération des peintres décorateurs de l’Ecole de
Paris, à laquelle Jean-Denis Malclès appartient, cherchera dans les années 1950-1960 à réaliser cette conception.
Pour Jean-Denis Malclès, la collaboration avec le metteur en scène est extrêmement étroite car ensemble ils
régissent tout ce qui relève de la vue en accord avec le chef d’orchestre. Ainsi, ils parviennent à l’unité qui
commande le succès de l’œuvre. Chacun dans son langage (peinture, art dramatique, musique) y participe. Dès lors,
Gérard Fontaine propose de désigner le décorateur du terme de « compositeur de décor* » renvoyant à « une pleine
participation au processus créateur d’ensemble de l’art lyrique.(...) Le compositeur de décors d’opéra* se verrait
enfin reconnaître, comme le peintre (comme le plasticien en termes contemporains) le droit et le devoir d’imaginer,
[39]
de créer, sans que sa démarche soit dévalorisée. » Il induit également que les diverses applications du métier de
décorateur (costumes, décors) sont indissociables parce qu’éléments d’une même palette pour composer la
dimension visuelle. Jean-Denis Malclès incarne cette conception.
Les éléments de biographie étudiés jusqu’alors semblaient guider Jean-Denis Malclès vers le métier de
décorateur. Un métier servi en peintre, comme un Art. Son œuvre à l’opéra marquée par le théâtre s’en distingue
pourtant. La nature d’un genre enclin aux étrangetés (écarts, spectaculaire, changements multiples) et
fondamentalement différent par la musique entraîne aussi une conception différente du décor que le terme de
« compositeur de décors d’opéra* » synthétise bien.
Situation : lieux et personnages
A travers quelques exemples, remarquables entre tous, nous entrons maintenant dans l’opéra de Jean-Denis
Malclès avec ses lieux fameux et leurs personnages. Tous viennent du théâtre ou lui sont intimement liés dans cet
après-guerre où l’opéra connaît un renouveau. Au théâtre, la naissance d’un art de la mise en scène résolument
moderne avait eu lieu au début du siècle avec des personnalités comme Dullin, Jouvet, ou Copeau, ... Or aucun
d’entre eux n’a tenté quoi que ce soit dans le domaine lyrique : « Et l’on peut affirmer, à quelques exceptions près,
[40]
que l’opéra jusque dans les années 50 ne sera pas le champ des metteurs en scènes reconnus » . C’est
précisément dans les années 50 et avec des metteurs en scène de théâtre que Jean-Denis Malclès débute à l’opéra.
1.3 L’opéra de Paris et Maurice Lehmann
l’envergure d’un lieu mythique
L’Opéra de Paris construit par Charles Garnier est un lieu magique. Il a été conçu par l’architecte comme un
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15. Introduction
opéra de pierre en soulignant toutes les affinités entre architecture et musique. Le grand escalier serait par exemple
l’équivalent de l’ouverture. C’est un théâtre à l’italienne avec des possibilités scéniques considérables. Il est doté
d’un Service de la Couture* et de l’Habillement* avec ses ateliers pour les costumes et d’immenses ateliers
boulevard Berthier*, pour les décors.
Lorsqu’en septembre 1951 Maurice Lehmann est nommé directeur de la réunion des théâtres lyriques nationaux
(c’est-à-dire de l’Opéra Comique et de l’Opéra Garnier), ce dernier connaît une période difficile. Les grèves sont
nombreuses. Jean-Denis Malclès a raconté celles qui troublaient les répétitions d’« Obéron » allongeant du même
[41]
coup le temps pour la réalisation . Des difficultés financières amènent, comme toujours dans pareille situation,
les administrateurs à se succéder rapidement. Evidemment, les réalisations en souffrent. En fait, la forme même de
l’administration qui regroupe les théâtres lyriques nationaux est trop lourde, empêchant le directeur d’agir avec
efficacité et en toute liberté.
Comme l’écrit J-B Jeener dans le Figaro du 27 septembre 1951 : « (..) il reste encore beaucoup de travail dans
notre première salle lyrique ». Il retrace ensuite la carrière de Maurice Lehmann. Celui-ci est comédien de
formation et Premier Prix de Comédie du Conservatoire (1913). Pensionnaire de la Comédie Française, il se
consacre ensuite plutôt à la direction de théâtres (Porte Saint-Martin, Mogador, L’Ambigu, Edouard VII, ...).
Directeur du Châtelet de 1928 à 1951, il fut aussi administrateur des théâtres lyriques nationaux de 1945 à 1946 et
vice-président du syndicat des directeurs de théâtres de Paris. Bref c’est un homme important du théâtre doté d’une
solide expérience. Il va tenter de redonner sa splendeur à l’opéra. Trois créations marquent son règne indiquant les
tendances qu’il a choisies : « Les Indes Galantes » en 1952, « Obéron » et « La Flûte Enchantée » en 1954. Il veut
« revenir aux sources traditionnelles du Grand Opéra, lui-même issu et toujours sous l’influence, qu’on le veuille
[42]
ou non, de l’Ecole Italienne avec ses machineries, ses splendeurs (...) » . Ainsi pour les « Les Indes Galantes »
et comme cela était à l’origine, il confie chaque acte à un décorateur différent. Tous sont fameux (Arbus, Jacques
Dupont, Wakhévitch, Carzou, Fost, Moulène, Chapelain-Midy), les représentations magnifiques et le succès
immense est resté une légende. Lorsqu’il monte ensuite « Obéron », il s’agit de ne pas décevoir l’attente du public.
« Obéron » de Carl Maria von Weber en 1954 : une réalisation de taille
« Vous savez déjà la fabuleuse surface de toile qu’il a fallu peindre, les tonnes de costumes et d’accessoires*
qu’il a fallu confectionner, les millions qu’il a fallu répandre (plus de 60, pour mémoire), afin de monter cet
« Obéron » auquel revenait la rude tâche de ne pas décevoir l’exigeant public parisien après les colossales
[43]
merveilles des « Indes Galantes » . Le parti pris est posé, mais il faut noter également qu’il correspond à celui
de Weber. Maurice Lehmann n’a simplement pas choisi cette œuvre par hasard. Le livret se compose de onze
tableaux, tous féeriques ou spectaculaires. Le ballet y a sa part, et comme pour « Les Indes Galantes » Serge Lifar,
Harald Lander et Aveline en règlent les chorégraphies.
Le metteur en scène s’appuie aussi sur la création de l’œuvre en 1826 au Coven Garden où l’accent était mis sur
le côté spectacle, comme le montre une lettre de Weber à sa femme au moment des répétitions : « (...) la splendeur
et la profusion des décors et de la mise en scène dépasse toute description. Jamais je ne verrai quelque chose que
[44]
j’aime autant » .
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16. Introduction
C’est à Jean-Denis Malclès que revient la tâche colossale de décorer cet « Obéron ». Il débute presque à l’opéra
[45]
puisqu’il n’a participé qu’à un spectacle : « Adrienne Lecouvreur » de Cilea dans le cadre prestigieux de la
Scala de Milan. A l’Opéra de Paris, il doit réaliser de nombreux tableaux et plusieurs centaines de costumes. Son
souvenir, pour cette réalisation considérable est heureux : « Un vrai bonheur, oui, que d’avoir à sa disposition
l’impressionnante machinerie du plateau de l’Opéra. L’imagination pouvait s’emballer sans retenue aucune ...
J’avais à exécuter une vingtaine de tableaux aussi démesurés qu’une entrée de bateau, un naufrage, ou l’apparition
de Bagdad dans le lointain* d’une forêt. Il y avait aussi, réalisé avec des projections, un ciel ou courait des nuages
qui prenaient les formes de têtes de monstres... Et puis cette merveilleuse idée de Maurice Lehmann d’un ballet
volant. Dix danseuses s’envolaient soudain vers les cintres* sur une chorégraphie très savante. Pour réaliser ce vol,
on avait retrouvé une technique qui avait pratiquement disparu, faite de treuils et de contrepoids. L’image était
magique, surprenante, suspendue dans l’immensité de ce plateau qui est tout de même l’une des plus belles scènes
[46]
au monde » .
Costumes et maquettes* témoignent de la féerie du spectacle. Le peintre a pu utiliser la
couleur sans retenue dans les costumes. Pour le ballet, il figure certaines allégories comme
[47]
le feu ou la tempête . Pour les décors : « l’œuvre était censée se dérouler la nuit. Pour la
couleur une telle ambiance pouvait être néfaste et attristante. C’est cependant par elle que
j’ai choisi d’unifier ce spectacle d’un romantisme aigu, malgré ses divertissements
[48]
nombreux (...) » . Les maquettes* révèlent des harmonies de vert émeraude et de bleu
Maquette* du costume d’Obéron
nuit pour transcrire cette atmosphère nocturne sans monotonie.
Jean-Denis Malclès incarne parfaitement avec ce spectacle le compositeur de décor* par la richesse et la
diversité de ses réalisations. Il le sera encore au Festival d’Aix-en-Provence mais dans une optique différente.
1.4 Le Festival d’Aix-En-Provence et Gabriel Dussurget
Le théâtre de la cour de l’Archevêché : contraintes et magie
La création du Festival d’Aix-en-Provence en 1948 est déterminée par le choix de la cour de l’Archevêché
comme théâtre. Ce lieu est une révélation pour les fondateurs du Festival : « (...) Ampleur douce et calme entre les
hautes fenêtres, large espace qui reste familier, attendri qu’il est par les frondaisons d’un platane, finesse des
[49]
résonances » .Si cette magie sensible à quiconque franchit le seuil du palais archiépiscopal est déjà présente en
1948, le théâtre, lui, reste à construire. Le peintre-décorateur Cassandre est chargé de cette tâche. Il conçut donc en
même temps que les décors du premier opéra du Festival (Don Giovanni) la structure même du théâtre. Les
contraintes sont écrasantes. La scène, très peu profonde, doit s’enchâsser dans l’espace réduit de la cour. Il met
alors au point un théâtre selon la grande tradition de celui inventé par Torelli au XVIIième siècle pour des décors
peints sur châssis* mobiles qui permettent les changements à vue*. Le décorateur respecte ainsi la conception
originelle des représentations de Don Giovanni au XVIII ième siècle où la peinture jouait un rôle majeur. De 1955 à
1965, le théâtre de Cassandre est le cadre des oeuvres auxquelles Jean-Denis Malclès participe. Il sera
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17. Introduction
malheureusement détruit dans les années 1970.
« Je ne pense pas que les inhabituelles et rigoureuses servitudes qu’imposait ce théâtre, cette sorte de
grande « lanterne magique » en plein air, aient gêné en quoi que ce soit l’invention des décors. A priori posées et
acceptées, les disciplines avec leur économie de moyens ne pouvaient être que favorables à une solution de
simplicité et d’évidence. C’est seulement cette évidence que j’ai cru devoir rechercher, négligeant tout pittoresque,
tout effet surprenant, parce que seule elle possède cette qualité primordiale vers laquelle doit tendre un décor de
[50]
théâtre : se faire recevoir et se faire oublier dans le temps d’un seul regard. »
Nous retrouvons dans ce texte de Cassandre lui-même des vues en accord avec celles de Jean-Denis Malclès :
[51]
les contraintes d’un lieu qui conduisent le décorateur à rechercher simplicité et évidence , l’humilité qui le
[52]
pousse à ne pas se mettre en avant .
Ce théâtre de l’Archevêché impose donc des réalisation bien différentes de celle d’« Obéron » à l’Opéra de
Paris. Mais il a été choisi comme tel car il correspond au parti pris du premier festival d’Aix-en-Provence et de son
créateur, Gabriel Dussurget.
Partis pris novateurs du Festival et de son créateur Gabriel Dussurget
La renommée internationale du Festival d’Aix-en-Provence et son succès dès les premières années reviennent à
Gabriel Dussurget. Renouvelant le genre lyrique qui n’était pas alors en France le champ de recherche d’avant-
garde, il sut faire appel à des personnalités talentueuses. Déjà sur le plan musical, il choisit et même souvent
découvre de jeunes interprètes qui correspondent aux rôles techniquement mais aussi physiquement. Les chanteurs
ne se contentent plus de virtuosité, ils jouent. Pour les y aider, il les entoure de metteurs en scène de théâtre
[53]
avertis : Jean-Pierre Grenier, Maurice Sarrazin , Jean Meyer... « Ils ont apporté un style de théâtre auprès des
[54]
gens d’opéra et c’était quelque peu nouveau » nous dit Jean-Denis Malclès. Après la musique, la mise en
scène, le dernier choix de Gabriel Dussurget concerne le décor. Ce sont les peintres qu’il élit : Wakhévitch, Balthus,
Derain, Masson, Clavé et bien sûr Malclès.
« L’idée directrice était de constituer des ensembles artistiques dans lesquels les voix, les personnages, la
direction d’orchestre, la mise en scène, les décors et les costumes s’intégraient dans le cadre de l’oeuvre à servir,
[55]
dans le cadre du théâtre de Cassandre, dans celui de la ville d’Aix » . Gabriel Dussurget avait donc une vision
d’ensemble en fonction de laquelle il choisissait tous les intervenants.
Lorsqu’il fait appel à Jean-Denis Malclès , il l’a déjà croisé auparavant puisqu’ils évoluèrent dans des univers
communs. Avec Madeleine Renaud, Jean-Louis Barrault, Pierre Bertin il a fondé une école d’art dramatique. Il
participe dans l’après-guerre à l’activité des Ballets des Champs-Elysées de Roland Petit pour lesquels Jean-Denis
Malclès réalisa les décors et les costumes de la « Fiancée du Diable » de Boris Kochno en 1945.
Jean-Denis Malclès réalise d’abord pour le Festival d’Aix-en-Provence les décors et les costumes d
[56]
‘« Orphée » de Gluck en 1955. Cette réalisation illustre tout à fait la notion de vision d’ensemble propre à
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18. Introduction
Gabriel Dussurget et à son Festival. Rompant avec la tradition, il s’agissait de replacer l’œuvre non pas dans
l’antiquité du mythe comme c’était la coutume, mais dans son temps : celui de sa création au siècle du
compositeur. Les décors et les costumes se devaient de traduire cela et Jean-Denis Malclès s’inspire pour les
concevoir de fresques antiquisantes du XVIIIème siècle. « L’homogénéité ici est sans faille décors, costumes et
tempi musicaux s’harmonisant parfaitement avec une distribution de premier choix » écrit Noël Boyer dans La
[57]
Croix du 15 juillet 1955 . Si certains critiques se sont offusqués de voir l’œuvre de Gluck présentée comme un
divertissement de cour plutôt que comme une tragédie renouvelée de l’antique, tous ont reconnus la cohérence de
l’ensemble. « Parfaitement adaptés au cadre d’un XVIII ème siècle raffiné à l’extrême, fait de forêts et de rocailles
où jouent le rouge du manteau d’Orphée et la blanc des plumets et des tutus, les décors nous ont paru un rare
ensemble » écrit encore Nicole Hirsch dans France Soir du 17 juillet 1955.
[58]
L’œuvre sera reprise avec quelques modifications en 1959 à l’Opéra Comique . Là, Jean-Denis Malclès
regrettera même les contraintes du théâtre de la cour de l’Archevêché. La trop grande modernité du théâtre ne lui
permit point de reproduire les fondus enchaînés d’une scène à coulisses*.
La fantaisie et l’humour de Jean-Denis Malclès trouveront aussi à Aix l’occasion de
s’exprimer. Pour « Platée », comédie-ballet de Rameau qu’il conçoit en 1956 avec Jean-
Pierre Grenier (complice de tant d’années au théâtre), il se plie à merveille aux règles de
l’opéra-comique à la française. Platée, vieille nymphe ridicule se meurt d’amour pour
Jupiter qui se joue d’elle en même temps que de la jalousie de Junon : « La réalisation était
admirablement bien montée, avec des costumes plein d’originalité et des décors très
attrayants qui comprenaient de jolis “deus ex machina”, la machina elle-même étant un
resplendissant modèle de chariot dont les rideaux s’écartaient pour laisser apparaître aux
Maquette* du costume de Platée
yeux ébahis de Platée, non pas tout d’abord le dieux attendu, mais un âne très réaliste suivi
par le plus charmant des hiboux se cachant timidement la tête derrière son aile » écrit John
[59]
Warrack dans The Daily Telegraph (Londres, 21 juillet 1956), illustrant le retentissement international du
[60]
Festival en même temps que la verve des décors de Malclès. Le costume de Platée nous en convainc aisément .
[61]
Avec « Il Mundo della Luna » en 1959, il ira encore plus loin dans cette tendance puisqu’il s’agit de créer
pour l’opéra-bouffe de Haydn rien de moins que le monde de la lune. Tous les vestiges de ce spectacle laissent
apparaître l’imagination du peintre entre XVIII ème siècle et science-fiction. Andrée Desautels dans le Journal
Musical Canadien (novembre 1959) s’exprime ainsi : « (...) Ce sont des décors de peintre et c’est tout dire. Ici tout
[62]
est poésie, c’est-à-dire suggéré, transposé ; ces licornes géantes qui défilent majestueusement devant nous, ces
fleurs qui s’animent au souffle de la nuit, ces bosquets frémissants qui appellent la danse, toute cette vie lunaire a
[63]
su nous combler par la magie du peintre et du metteur en scène » .
En 1962, Jean-Denis Malclès décore aussi « Les Malheurs d’Orphée » de Darius
Milhaud sur un livret d’Armand Lunel dans un style bien différent et beaucoup plus
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19. Introduction
dépouillé. Mais l’œuvre qui incarne à elle seule le Festival de Gabriel Dussurget, c’est
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« La Flûte Enchantée » créée en 1958. Alain Gueulette a déjà souligné l’adéquation
du site aixois avec la musique de Mozart. La mise en œuvre d’une « Flûte Enchantée »
dans un théâtre aussi exigu et sans cintre* relevait pourtant de la gageure. Avec à
nouveau Jean-Pierre Grenier, Jean-Denis Malclès réussit le tour de force d’enchaîner
sans interruption les tableaux multiples et hétérogènes dans des changements à vue* qui
servent la magie et l’unité de l’ensemble. Pour ce faire, son imagination lui dicte
Maquette* du costume de Papagena
d’ingénieux dispositifs : des rochers habités par des machinistes qui peuvent se déplacer
sans contrainte, des buissons de roses constitués de danseuses qui soudain s’animent,... Le succès est immense et
l’œuvre reprise en 1959, 1961, 1963 et 1965. En 1968, Jean-Denis Malclès qui collabore à « La Flûte Enchantée »
[65]
mise en scène par Peter Ustinov au théâtre de Hambourg obtint l’autorisation d’utiliser certaines des trouvailles
du Festival.
Pour caractériser ses souvenirs à Aix-en Povence, Jean-Denis Malclès parle « d’années de fêtes et de
vacances ». C’est sous-estimer son travail peut-être mais c’est aussi témoigner de l’atmophère du lieu. Tous ceux
[66]
qui participèrent à cette époque faste sont d’accord là-dessus et l’expriment dans l’émission de Pierre Jourdan .
Les origines provençales de notre peintre ne pouvaient que se satisfaire de l’esprit de fête induit par la région.
Il apprécia également des rythmes de travail particuliers. En effet un an auparavant, Gabriel Dussurget élaborait
le programme de la saison à venir. Le peintre disposait donc de près d’une année pour concevoir les décors et les
costumes qui étaient réalisés à Paris (dans les ateliers de Madame Karinska). « Ils étaient prêts à la date voulue
pour coïncider avec la date des répétitions en costume, avec décor, avec lumière puis comme on dit « tête faite »,
avec tout. Pour tout cela nous avions donc près d’une année. Cela permettait de mûrir les choses, de les faire avec
[67]
un certain ordre dans les idées » explique-t-il.
Ces éléments composent donc le succès du Festival d’Aix-en-Provence. Dans les années 50, intellectuels,
[68]
peintres, écrivains, musiciens s’engagèrent à le soutenir : Pierre-Jean Jouve, François Mauriac, Jean Giono ,
Jean-Louis Vaudoyer. Ce dernier qui fut à l’origine de la carrière de Jean-Denis Malclès (voir § 1.1.2) amplifiera
aussi l’écho de l’événement aixois. Jean-Denis Malclès contribua certainement par son talent à ce « Salzbourg
français ».
Comme Gabriel Dussurget, Louis Ducreux fut l’acteur d’une décentralisation mais il se voulait moins élitiste.
Son ambition, plutôt que la synthèse aixoise, était pour Marseille, le retour du public à l’opéra et même la venue
d’un public populaire. Ses choix étaient différents : « Pour intéresser des gens jusqu’alors accaparés par le cinéma,
il faut faire en sorte qu’il ne s’ennuient pas. Et pour qu’ils ne s’ennuient pas, il faut qu’ils comprennent ce qu’on
leur chante. C’est à dire qu’on doit éviter de leur présenter des spectacles dans une langue autre que la leur. »
affirmait-t-il à Maurice Tillier dans le Figaro Littéraire du 15 juillet 1965.
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20. Introduction
Les succès rencontrés à Aix-en-Provence comme l’appartenance au monde du théâtre déterminèrent sans doute
Louis Ducreux à s’attacher la collaboration de Jean-Denis Malclès. Dans les années soixante, ils montent ensemble
« Lulu », « Colloquio col Tango », « Les Mamelles de Tirésias »...à l’Opéra de Marseille puis une « Traviata » à
[69]
l’opéra de Hambourg . L’Opéra de Marseille entame une période faste et sa renommée est, comme celle du
festival voisin, internationale. La présence dans les deux cas de Jean-Denis Malclès, remarquable, est à la mesure
d’un talent que beaucoup d’autres réalisations auraient pu illustrer.
Le métier en acte : déroulement du travail
Il est difficile de se faire une idée précise du travail du décorateur à la vue d’un spectacle réussi. Son talent étant
justement de se faire oublier. En effet, le décor du « rêve éveillé lyrique* » ne doit pas suspendre la rêverie en
surprenant le spectacteur mais au contraire provoquer son adhésion à ce qui se déroule sur la scène. Nous voudrions
[70]
pourtant maintenant donner une idée de ce métier dans les coulisses, avant que le rideau ne se lève .
1.5 La collaboration étroite avec le metteur en scène
« Le travail avec les metteurs en scène a toujours été une collaboration très serrée. Je n’ai jamais pu (cela ne
m’aurait pas beaucoup plu) faire sur copie ce que voulait un metteur en scène, « Je veux ceci, cela, etc.. »,
transcrire l’opinion de quelqu’un. Avec les metteurs en scène, même avec Jean Anouilh, c’était toujours l’objet de
[71]
longues discussions, de participations, de désaccord ou d’accord sur la conception d’un décor » rapporte Jean-
[72]
Denis Malclès exprimant sa position sur ce « mariage artistique » .
Metteur en scène et peintre travaillent à partir du livret mais aussi de la partition. Cette dernière peut en effet
induire les orientations de la mise en scène et du décor. Ainsi Jean-Denis Malclès évoque la question de choeurs
présents à l’opéra et dont le rôle est parfois considérable. Il cite à ce titre « Obéron ». Le metteur en scène doit
parvenir à animer les choristes et l’organisation de la scène l’y aide. « Alors ce sont des étages, des escaliers et puis
des mouvements tels que les choristes organisent à l’intérieur de leur partition une espèce de ballet qui fait que le
choeur devient une chose animée et vivante et non pas figée comme une chorale. Il faut savoir faire en sorte que
l’organisation du plateau permette de jouer sur plusieurs plans ou sur des évolutions animées où il va de soi de
[73]
bouger » explique Jean-Denis Malclès.
La musique impose aussi parfois aux chanteurs la vision du chef d’orchestre (duo, trio, ...) ; le metteur en scène
doit en tenir compte.
Une première idée des données du théâtre dans lequel l’œuvre sera jouée est nécessaire ; elle commande le projet
par l’espace, les machineries disponibles.
Enfin les aspects économiques entrent en jeu dès cette planification entre metteur en scène et décorateur.
1.6 De la maquette* à l’atelier
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21. Introduction
Les décors
A l’issue de ces discussions, Jean-Denis Malclès propose les premières esquisses au metteur en scène. A
nouveau, ils parviennent à un accord et le décorateur échafaude un lieu qui sera tel ou tel décor.
Puis, il réalise des plans à l’échelle 1 : 20 ou 1 : 25ème. Jean-Denis Malclès tenait à les dessiner lui-même :
« C’était avec les plans que je pouvais le mieux concrétiser ma pensée, mes idées et les proportions à donner à toute
[74]
chose » Ils permettent de réaliser les décors en fonction des trois dimensions du plateau particulier sur lequel
l’œuvre sera montée.
Ensuite il construit une maquette* en trois dimensions. Elle permet de tester la validité des décors et parfois de
concevoir, avec de petites figurines, la mise en scène (Jean-Denis Malclès cite à ce titre le cas de Jean Anouilh)
Arrive alors le moment de la construction. Le décorateur se doit d’être vigilant et, le plus possible, présent. Le
choix des matériaux relève, par exemple, de sa compétence. Des questions aussi peuvent surgir et des corrections
se révéler nécessaires. Les ateliers de décor avec lesquels Jean-Denis Malclès réalisa le plus souvent comme ceux
de Pierre Laverdet ou Robert Petit ont aujourd’hui malheureusement tous disparu.
Les maquettes* en deux dimensions représentent par ailleurs les différents tableaux tels qu’ils apparaîtront au
public. Elles sont en couleur et indispensables aux ateliers de peinture qui vont maintenant colorer les différents
éléments : praticables, décors en volume, châssis*. Le style peut être illusionniste ou très pictural. Jean-Denis
Malclès raconte sa participation à ce stade de l’exécution : « . Là, c’est tout un travail car il faut adapter à l’échelle
d’un théâtre la conception de l’ensemble peinte aux dimensions des maquettes*. Personnellement, je travaillais
beaucoup à la réalisation de ces peintures. D’une part car je pouvais ainsi obtenir ce que je voulais et bien sûr
opérer parfois des modifications. D’autre part parce qu’à cette échelle, cela me permettait aussi de me laisser aller à
[75]
une autre rêverie...C’est grand. Les toiles ne sont pas redressées et l’on peint par terre» . A Aix-en-Provence
sont conservés plusieurs châssis* peints par Jean-Denis Malclès.
Notre peintre se voulait absolument présent dans les ateliers afin que la réalisation ne vienne pas trahir l’idée
qu’il se faisait du décor. Il n’a presque jamais souhaité travailler avec un assistant car c’est en agissant lui-même
qu’il découvrait comment les choses devaient être matériellement réalisées. Il n’aurait pu confier cela à personne ne
sachant pas à priori ce qu’il en était.
Les costumes
Jean-Denis Malclès porta toujours la même attention à la confection des costumes.
Ceux-ci étaient réalisés pour le genre lyrique soit par des ateliers fameux (Karinska, Gromtseff, Henri Lebrun,
Madelle), soit par les ateliers du théâtre concerné lui-même. Pour l’Opéra Garnier et l’Opéra Comique, le Service
de la Couture* et de l’Habillement* en était responsable. A Lausanne ou à Marseille, le théâtre disposait de ses
propres ateliers mais faisait appel aux ateliers parisiens pour certains ouvrages prestigieux. Madame Gromtseff
conçut avec Jean-Denis Malclès les costumes de « Lulu » à l’opéra de Marseille. A cette occasion, elle se déplaça
dans cette ville avec ses ouvrières. De même, les ateliers de Madame Karinska confectionnèrent pour le Festival
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22. Introduction
[76]
d’Aix-en-Provence. Les étiquettes cousues sur les costumes en sont autant de signatures .
L’organisation de ces ateliers comme les étapes de leur travail sont à rapprocher des maisons de haute couture.
La première d’atelier réalise la toile (c’est à dire une première traduction du costume mais dans un tissus ordinaire)
qui est proposée au costumier-décorateur. Modifiée en fonction de l’avis de ce dernier, elle permettra ensuite de
tailler sur papier kraft le patron et de couper les tissus (c’est en général le rôle de la seconde d’atelier). Enfin, après
le montage, les couturières cousent l’ensemble.
Jean-Denis Malclès raconte : «Je me suis toujours beaucoup préoccupé des costumes, des essayages. Pour
chaque ouvrage je partais, avec mes maquettes* sous le bras, à la recherche des tissus pour faire mes
échantillonnages. J’allais au Marché Saint Pierre par exemple. Là, je connaissais très bien monsieur Dreyfus. Il
[77] [78]
avait même fait teindre des tissus à mes couleurs » . Mademoiselle Françoise Boudet nous a témoigné de la
présence constante du peintre. Elle travailla avec lui à la reprise en 1968 de « Lulu » à l’Opéra Comique (après sa
création à Marseille en 1963). Les costumes furent fabriqués sous sa direction par les ateliers de l’Opéra Comique
et par ceux de madame Gromtseff (pour les rôles féminins). Jean-Denis Malclès, enrichi d’une première
expérience, apporta certaines modifications.
Mademoiselle Boudet explique aussi comment la costumière se met au service du compositeur des décor* dont
les avis priment toujours. Son rôle l’oblige néanmoins à prendre des initiatives en proposant telle ou telle solution
pour transcrire la maquette* et l’idée première du dessinateur. En même temps que du savoir-faire d’un artisanat
de grand art, il faut faire preuve de créativité et d’imagination. De patience aussi, car parfois, en fonction de telle
ou telle contrainte (l’inconfort d’un interprète, l’avis défavorable du décorateur, ...) le costume doit être entièrement
repris. Notons encore que le Service de la Couture* et de l’Habillement* à l’Opéra Garnier comme à l’Opéra
Comique est responsable des réalisations des ateliers extérieurs. Il a son mot à dire et collabore avec eux, donnant
par exemple l’adresse d’un fournisseur qui dispose d’un tissu recherché par le peintre... Les broderies qu’on utilisait
beaucoup à cette époque là était exécutées par des ateliers spécialisés.
La nature du genre opéra induit aussi certaines spécificités de ses costumes ; le culte du spectaculaire, les écarts
aux normes cultivés par le rêve éveillé lyrique* s’appliquant aux vêtements qui habillent les chanteurs. Le
[79]
« costume féerique », hérité de ceux des fêtes royales au XVIIème et XVIII ème siècle transposés à l’opéra, en
est un des aspects. Il revêt les personnages issus de livrets s’apparentant aux contes de fées ou à des mythologies
diverses (« Obéron », « La Flûte Enchantée » , ...). L’utilisation de tissus somptueux, de broderies, de matières
nobles réalise sa magnificence. Il est aussi le champ de recherches d’avant-garde et l’utilisation de certains
matériaux constitue parfois une datation. Ainsi, les costumes d’« Obéron » donnent à voir une des premières
utilisations des matières plastiques en 1954 (utilisation de Rhodoïd pour la fée coquillage). Ce qui se nomme à
l’opéra le cabochon (ce sont des petites coquilles de plastique à facettes, cousues sur le tissu et qui peuvent être
colorées) se répandit sur les costumes. Plus léger que les verreries (la légèreté étant une des préoccupations du
costumier pour le confort des artistes) et d’un coût moindre, il donne sous les éclairages la même illusion de pierres
précieuses. Les cabochons furent surexploités dans cette période par l’Ecole de Paris, comme en témoignent les
costumes d’« Obéron » ou des diverses réalisations du Festival d’Aix-en-Provence. Il en est de même des
applications de cuir (comme sur le costume de Sarastro ou sur ceux d’ « Obéron »). Elles découlent d’une origine
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très ancienne à l’opéra : Louis XIV, inaugurant l’Académie Royale de Musique, apparut sur scène vêtu en Roi-
Soleil d’un costume entièrement composé de cuir or. La noblesse de ce matériau, sa beauté, sa solidité, expliquent
le regain d’intérêt qu’il connut à notre période.
Si le plastique, le cuir, produisent sur scène une illusion, c’est aussi l’enjeu du costume dans son entier. Pour ce
faire, il doit tenir compte de la distance acteur-spectateur, de leur position mutuelle, des éclairages. Ces éléments
furent l’objet d’une étude de Marie-Claude Groshens qui écrit : « Toutes contraintes expliquant notamment les
agrandissements et plus généralement les trucages. Ceux-ci sont particulièrement importants dans le vêtement
[80]
théâtral qui relève d’un art systématique de l’apparaître-à-distance(...). » Les savoir-faire du compositeur des
décors* et du costumier se mettent en œuvre dans ce sens. Ils doivent également tenir compte de l’environnement
de l’acteur costumé constitué par ses partenaires et le reste du décor. Jean-Denis Malclès compose déjà ses
maquettes* en fonction d’une harmonie d’ensemble mais les répétitions lui permettent ensuite d’en juger.
1.7 Les répétitions
« J’ai toujours ressenti le besoin d’être présent aux répétitions, théâtre ou opéra. A l’opéra il y a des répétitions
techniques où l’on n’est pas tenu d’assister mais dès l’instant où entrent en ligne de compte des éléments
décoratifs, des costumes, il est absolument indispensable d’être présent. En effet, demeure encore tout un travail de
corrections, de modifications voir même de transformations lié scéniquement à des impératifs, des raisons pratiques
[81]
ou de confort etc... » témoigne Jean-Denis Malclès. A ce stade le décor et les costumes sont mis en situation,
confrontés à un interprète et à son rôle, au mouvement, comme à la dimension visuelle globale du spectacle. Le
décorateur par des corrections enrichit son travail de toutes les données qui apparaissent lors des répétitions.
L’éclairage est l’une d’entre elles. Son incidence sur le décor et les costumes est majeure comme l’histoire de
l’opéra nous le prouve. Au XVIIème et XVIII ème siècles, la mise en scène est presque inexistante parce que liée aux
questions d’éclairage, limité alors à la bougie. Les chanteurs jouent face à la rampe* pour être vus et le jeu
scénique reste donc essentiellement frontal. Dans ces conditions, le décor peint se doit d’être illusionniste car
l’éclairage ne pourra suppléer à son rôle d’évocateur d’un lieu, d’un espace. Avec en 1822 le premier spectacle
entièrement éclairé au gaz et en 1849 la première utilisation de l’électricité à l’Opéra, le XIX ème siècle prend
conscience de l’espace théâtral en trois dimensions dont la lumière lui permet maintenant de disposer. Il donne
naissance au XX ème siècle à un art de la mise en scène tel que nous l’entendons aujourd’hui. Jean-Denis Malclès
évoque le travail avec l’éclairage au gaz : « La peinture, les décors étaient peints en fonction de l’effet que l’on
voulait obtenir. C’est à dire qu’un effet de lune ou de soleil était obtenu picturalement. Tandis qu’aujourd’hui, dans
un décor quel qu’il soit, vous pouvez faire des colonnes en volume éclairées d’une certaine manière. Vous jouez
avec la lumière frisant la colonne ou à contre-jour. Quand tout était éclairé au gaz, c’était beaucoup mieux d’avoir
[82]
une colonne à plat peinte en trompe l’œil » .
Dans son cas les possibilités offertes par l’éclairage ne correspondaient pas non plus à celles dont on dispose
aujourd’hui. Il note à cet égard que le nom de l’éclairagiste ne figurait pas sur les affiches. « Les éclairages se
faisaient entre le metteur en scène, le décorateur et puis il y avait l’électricien à qui on demandait d’éclairer ceci ou
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24. Introduction
[83]
cela, de baisser la rampe*... » . Ce moment du règlage d’un décor, c’est à dire de la mise au point de l’éclairage
qui lui correspond est bien sûr celui d’une répétition. Actuellement son rôle a augmenté de manière considérable
par de nouveaux progrès technique. Notons pour l’anecdote qu’au Festival d’Aix-en-Provence, Monsieur Hudry,
ingénieur électricien s’était improvisé éclairagiste. Cela ne minimise pas l’intérêt que Jean-Denis Malclès portait à
l’éclairage puisque ce dernier commandait une certaine vision de ses décors et costumes.
Le travail du décorateur au moment des répétitions se révèle encore considérable : il consiste en corrections,
modifications mais aussi règlage des éclairages. L’œil se doit d’y être en alerte.
Conclusion
Etudier l’œuvre de Jean-Denis Malclès à l’opéra revient à découvrir une personnalité vouée depuis toujours à la
peinture. Lorsqu’il rencontre l’univers du théâtre puis de l’opéra, il met à leur service ce talent avec les différences
induite par la nature de chaque genre. L’opéra, rêve éveillé, pour nous mettre en contact avec les mondes
suprasensibles, tend à réaliser la synthèse des arts qu’il met en synergie (musique, peinture, mise en scène). Il
cultive l’étrangeté qui s’exprime dans ses décors et ses costumes. La musique le différencie encore du genre théâtral
reposant pour sa part sur le langage.
Pourtant ce sont, avec Jean-Denis Malclès des hommes de théâtre qui renouveleront le genre. Ce renouveau a
lieu par exemple à l’Opéra de Paris et au Festival d’Aix-en Provence dans les années 50. Les parti-pris choisis
alors ne sont plus d’actualité et l’on peut dire que la peinture a presque quitté l’opéra après cette période.
L’histoire enseigne que les solutions rejetées dans le passé peuvent ressurgir. Si aujourd’hui les décorateurs
semblent avoir exploité toutes les possibilités offertes par le décor en dur et la technique, il se pourrait que l’effet
pictural soit à nouveau recherché, avec la poésie qui l’accompagne. Dès lors, la connaissance des réalisations du
passé et de leurs modalités s’avère une source d’enrichissement et le creuset de nouvelles investigations. Il est donc
à souhaiter que les activités de conservation et de mise en valeur des vestiges des spectacles s’intensifient ; les
témoignages des acteurs de ce passé proche constituant encore une mémoire inestimable.
Bibliographie
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25. Introduction
CORVIN Michel, Dictionnaire Encyclopédique du théâtre, Bordas, Paris, 1995.
FONTAINE Gérard, Le Décor d’Opéra, un rêve éveillé, Paris, Editions Plume, 1996.
GUEULLETTE Alain, Le Festival d’Aix-en-Provence, Sand, Paris, 1989, Collection Les Hauts Lieux de l’Opéra.
HARTMANN Rudolf, Les Grands Opéras. Décor et mise en scène, Office du Livre, Fribourg / Editions Vilo, Paris,
1977.
KOBBÉ Gustave, Tout l’Opéra, de Monteverdi à nos jours, Robert
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LACHAUD Jacques, Quand d’Aix, naissait un festival, Librairie de l’Université d’Aix-en-Provence, Aix-en-Provence,
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LIEBERMANN Rolf, En passant par Paris. Opéras, Gallimard, Paris, 1980.
NESSI Charlotte, « La mise en scène Lyrique » in Le Théâtre Lyrique Français 1945-1985, Librairie Honoré
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PFEFFER Frédéric, Hauts Lieux musicaux d’Europe. Art lyrique et symphonique : les villes, les salles, les festivals,
Autrement, Paris, 1988.
WOLFF Stéphane, L’Opéra au Palais Garnier (1875-1962), Paris, 1962, réimpression des éditions Slatkine, Paris-
genève, 1983.
Catalogues d’exposition
Air d’Opéra. Paris, Le Louvre des Antiquaires, en collaboration avec la Bibliothèque nationale et le Théâtre national
de l’Opéra de Paris, octobre 1989-janvier 1990.
Costumes-Coutumes, Paris, Galeries nationales du Grand Palais, mars-juin 1987. Particulièrement le chapitre VIII :
« Le costume dans les arts de la représentation et du spectacle » par Marie-Claude Grohens.
Divines divas...et vivat l’opéra ! , Marseille, Archives de la ville, octobre-décembre 1987.
Opéra côté costume, Opéra National de Paris, printemps 1995, Editions Plume, Paris. Texte de Martine Kahane.
Jean-Denis Malclès «Théâtres », Paris, Bibliothèque historique de la Ville, février-mars 1990.
Petit glossaire
Ce glossaire est une reprise partielle du lexique des termes en rapport avec le décor d’opéra extrait du livre de
Gérard Fontaine, le Décor d’Opéra. Ces derniers sont repérés par le signe « & » Il comporte aussi des entrées du petit
vocabulaire du catalogue Opéra côté costume. Celles-ci sont repérées grâce au signe « ? »
& ACCESSOIRES : objets réels ou figurés utilisés par les acteurs pendant la représentation ou figurant sur scène :
relève des accessoires tout ce qui est mobile par rapport au décor. Ces objets peuvent avoir une grande importance
dans l’action et ne pas être « accessoires » au sens banal du terme.
? BERTHIER : Ateliers de décors de l’Opéra de Paris ; situés 32 boulevard Berthier. Construits par Charles
Garnier juste après l’Opéra (1880) avec une charpente métallique de Gustave Eiffel. C’est un lieu de fabrication et de
conservation.
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