Article sur un militant pour l'ouverture du don du sang aux homosexuels

1. GRAND ANGLE DON DU SANG6
LUNDI 4 JANVIER 2016LE MATIN
MEHDI KÜNZLE,
SANG PEUR NI TABOU
PORTRAIT Coprésident de Pink Cross, le Français d’origine milite pour l’ouverture du don
du sang aux homosexuels et défend les droits des LGBT.
D’
une voix sûre, il hèle la
serveuse et commande un
latte macchiato, dans un
suisse allemand impeccable. Meh-
di Künzle est Français, mais il s’est
bien intégré en Suisse. On le re-
joint à Bienne dans un café bruyant
et minuscule, deux tables et le
comptoir. Coiffé d’un béret, il se
tient très droit sur son tabouret. Il
a débarqué à Berne il y a huit ans.
«Je suis tombé amoureux de la
ville» glisse-t-il avec un sourire.
Mehdi Künzle a grandi à Paris,
parmi les livres de ses écrivains fa-
voris: Sartre, Proust et Molière.
Pour le jeune homme de 28 ans,
militer pour les droits des LGBT
(lesbiennes, gays, bisexuels,
transsexuels) est «une évidence et
une nécessité». Parce que lui-
même est gay, mais aussi par soli-
darité. Une citation a marqué le
début de son activisme: «C’est
une phrase de Gandhi: «Sois le
changement que tu veux voir dans
le monde.» En 2014, il devient co-
président de Pink Cross, associa-
tion faîtière des organisations gays
en Suisse. Il représente Pink Cross
dans l’espace public et travaille à
côté dans l'événementiel.
Les gays stigmatisés
Pourlui,interdireledon
du sang aux homo-
sexuels est une stig-
matisation: «On
écarte tout un
groupe de per-
sonnes au lieu
d’écarter des
comporte-
ments à risque.» Si certains men-
tent sur leur sexualité afin de faire
partie des donneurs, lui s’y refuse.
«J’espère que ceux qui
le font sont responsables dans
leurs pratiques sexuelles», lâche-
t-il.MehdiKünzleajoutequ’«ilest
indispensable d’ouvrir le don
du sang à tous pour
mieux le contrôler
ensuite via des
tests». Dans ce
but, Pink Cross
est en discus-
sion constante avec
Swissmedic, organe
responsable de cette
interdiction. «C’est
un travail au corps»,
précise-t-il en écla-
tant de rire.
Mehdi Künzle se
tourne vers la serveuse et
entame une discussion,
toujours en suisse alle-
mand.EnarrivantàBerne,
iln’enparlaitpasunmot.
Il parle aussi l’arabe et
l’hébreu. Né d’un père
musulman et d’une
mère juive, chefs
d’une petite entre-
prise, il a grandi en-
tre ces deux reli-
gions: «J’allais
faire Kippour et
puis j’allais à La
Mecque. Main-
tenant, je suis
athée.»
Le regard franc, il parle de sa vie
privée sans hésitation. «J’ai pris
conscience de mon homosexualité
vers 5 ans», estime-t-il. Le jeune
homme ne cille pas plus quand il
évoque la réaction de sa famille:
«Je le leur ai dit à 17 ans. Depuis,
je n’ai plus eu de contact avec
eux.» S’il expose ses failles avec
calme, il ne s’y attarde pas. Mehdi
Künzle a quitté
Paris il y a long-
temps, et c’est à
Berne qu’il a
choisi de faire sa
vie. Il y a trouvé
son compagnon,
avec qui il s’est pacsé, d’où son
nom, Künzle.
Une indignation permanente
On pourrait croire que le militan-
tisme de Mehdi Künzle s’arrête au
seuil de ses propres intérêts, mais
il n’en est rien. «Il se bat contre
toutes les discriminations, dé-
fendant aussi le féminisme et la
liberté d’expression», salue Petra
Bleisch, une amie proche. Après
des interventions publiques, le
jeune homme reçoit souvent des
mails d’insulte et de menace. Si
cela l’effraie? «Au contraire, dé-
clare-t-il. Ça me conforte dans
mes choix.» Mehdi Künzle n’a pas
peur de s’engager contre l’inéga-
lité des genres, le patriarcat, le
conservatisme politique et l’ex-
trémisme religieux. «Tous les
jours, je m’indigne pour un millier
de trucs.» Et c’est ça qui le fait
avancer.
● LOLA LE TESTU
gRecevoir des
mails d’insulte
ne m’effraie pas»
Mehdi Künzle, coprésident de Pink Cross
Début 1980
Premiers diagnos­
tiques du VIH.
La Croix­Rouge
(CRS) exclut
les homosexuels
du don du sang.
UN LONG CHEMIN VERS L’ADMISSION AU DON DU SANG
1996
Changement de
direction: la CRS
interpelle Swiss­
medic pour modi­
fier les critères
d’admission.
2013
La CRS relance
les discussions
avec Swissmedic,
sans succès.
Mai 2015
Le conseiller
national Daniel
Stolz (PLR/BS)
dépose une mo­
tion pour abolir
les restrictions.
Juin 2015
Dernière lettre en
date envoyée par
la CRS à Swiss­
medic pour rené­
gocier les critères
d’admission.
Automne 2015
Suite aux pres­
sions politiques,
nouvelles discus­
sions informelles
entre la CRS
et Swissmedic.
Janvier 2017
Si les discussions
aboutissent,
les homosexuels
pourraient
donner leur sang
dès le 1er janvier.
DR