1. samedi 26 - dimanche 27 janvier 2013 LE FIGARO
A
2 recto verso
Sauf catastrophe,
le jeune marin de 29 ans
devrait remporter
le Vendée Globe
dimanche matin.
Et réaliser l’exploit
de boucler le tour
du monde en solitaire,
sans escale
et sans assistance
en moins de 80 jours.
Nouveau record.
L
a France s’est découvert un nouveau
Mozart de la course au large. Dans
quelques heures, et sauf avarie durant
les derniers milles de course, François
Gabart devrait franchir victorieuse-
ment la ligne d’arrivée du Vendée
Globe aux Sables-d’Olonne, en bran-
dissant ses feux de détresse, devenus de triomphe,
les yeux chargés d’émotion. Le skipper du bateau
Macif rejoindra alors les dizaines de milliers de per-
sonnes qui ont suivi chaque instant de l’incroyable
régate planétaire disputée depuis le 10 novembre
dernier et qui l’attendent impatiemment sur l’eau
puis dans le chenal du port vendéen, malgré la mé-
téo difficile du week-end. François Gabart, 29 ans,
mérite un accueil triomphal. Il va boucler son tour
du monde en 77 jours, dans le temps des premiers
multicoques menés en équipage sur le Trophée Ju-
les-Verne, et avec une semaine de moins que Mi-
chel Desjoyeaux, le vainqueur du Vendée Globe
2008-2009 (en 84 jours et 3 heures).
Derrière lui, le jeune prodige laissera le casse-tête
du pot au noir si imprévisible, le vacarme des vagues
glaciales tambourinant contre sa coque en carbone,
et les nuits sans sommeil rivé à la table à cartes. Il
laissera surtout une lutte incroyable et haletante tout
au long de ce tour du monde avec Armel Le Cléac’h
(Banque Populaire) qui est attendu en Vendée seule-
ment quelques heures après lui. «Le Vendée Globe est
souvent comparé à la Formule 1, observe Christian
Le Pape, directeur du centre d’entraînement de
Port-La-Forêt (Finistère) qui a vu passer des généra-
tions de champions: Desjoyeaux, Le Cam, Jourdain
et plus récemment Gabart. Mais ce n’est pas vingt
tours de pistes à boucler! Ce serait plutôt une plongée
en apnée à 100 mètres de profondeur et dans le noir. Il
faut se dire qu’à 29 ans François a dû se préparer à
l’éventualité de ne pas revenir. Ce n’est pas banal.»
La fraîcheur de la jeunesse
Le jeune premier aura vaincu le sort, passant à
quelques milles seulement de l’endroit où sa précé-
dente tentative de tour du monde, sur la Barcelona
World Race, s’était arrêtée en 2011. Il avait démâté
alors qu’il naviguait en double avec Michel Des-
joyeaux. «Tout est presque pareil. Sauf que non,
confiait alors François Gabart. J’ai décidé que ce se-
rait différent. Je me suis préparé pour que ce soit dif-
férent.» Effectivement, ce point de passage symbo-
lique n’était que le début d’une belle cavalcade
dans les mers du Sud, bord à bord avec son compa-
gnon d’entraînement Armel Le Cléac’h, suivie
d’une régate victorieuse lors de la remontée de
l’Atlantique. «Un skipper normal aurait levé le pied
dans le Grand Sud mais pas François, observe Kito
de Pavant, qui connaît bien le phénomène Gabart,
puisqu’il a initié le marin au 60-pieds Imoca. Ce ga-
min a une très forte confiance en lui et en son ba-
teau.» De l’avis de tous, une bonne étoile veille sur
le concurrent à la détermination sans faille et serei-
ne. «Chapeau pour ce tour du monde, confie au Fi-
garo Jean-Pierre Dick (Virbac Paprec 3) qui pour-
suit pour l’instant sa course après avoir perdu sa
quille en début de semaine. François est très fort
mais il a eu aussi l’insouciance et la fraîcheur de celui
qui fait son premier tour du monde: j’ai retrouvé un
peu d’Ellen MacArthur en 2001. C’était incroyable.»
L’histoire de ce jeune premier aux airs de gendre
idéal se mêle à celle du Vendée Globe. En 1989,
François Gabart, alors âgé de 6 ans, prend le large
avec sa famille, au moment où les premiers
concurrents quittent les Sables-d’Olonne avec un
pari fou: boucler le tour du monde en solitaire,
sans assistance et sans escale. La famille Gabart suit
avec attention la progression des bateaux de course
et le jeune François campe en haut du mât pour
tenter d’apercevoir les aventuriers. «J’avais 9 ans
et lui trois de moins, se souvient sa sœur Alice Cla-
vet. Je voyais le bateau comme un simple moyen de
transport mais pas François. Il a tout de suite accro-
ché sur la technicité de la voile.» L’enfant pressé
veut tout comprendre et fait déjà preuve d’une té-
nacité hors du commun: sur le pont du bateau fa-
milial, il passe des heures à faire des nœuds, les
yeux bandés, dans le dos ou d’une seule main.
Bac mention très bien
avec un an d’avance
De retour en France, son père lui construit son pro-
pre bateau en bois pour qu’il navigue sur la mare de
Saint-Yrieix dans le Limousin. Là, le garçon est bien
obligé d’utiliser le moindre souffle d’air pour
manœuvrer son embarcation: c’est sans doute là
qu’il a appris, contraint et forcé, l’art de naviguer
dans la pétole.
Le deuxième Vendée Globe, en 1992-1993, offre à
l’apprenti marin un modèle de précocité: Alain
Gautier vient de fêter ses 30 ans lorsqu’il triomphe.
Pendant ce temps, François Gabart grimpe les
échelons en Optimist, évoluant jusqu’à ses 10 ans
dans une équipe déjà sponsorisée par l’assureur
Macif – hasard du destin – et remporte le cham-
pionnat de France en 1997. Le début d’un beau pal-
marès en voile olympique qui le conduit à rempor-
ter le championnat de France junior en Tornado en
2004 avant de se lancer dans le grand bain de la
course au large.
L’enfant qui construisait ses rêves avec le sérieux
d’un ingénieur ne lâche pas ses études pour la voile.
Après un baccalauréat mention très bien, décroché
avec un an d’avance, le voici en école d’ingénieur à
Lyon. Il y passera sept ans en horaires aménagés:
cours du lundi matin au jeudi midi puis voile en Mé-
diterranée jusqu’au dimanche soir. Les cours de né-
gociations d’affaires ou de finances lui permettront
de peaufiner sa recherche de sponsors. Un passage
obligé pour intégrer le circuit Figaro-Bénéteau. En
2010, il brille sur la Solitaire, se classant deuxième
derrière Armel Le Cléac’h, et remporte le cham-
pionnat de France de course au large en solitaire.
François Gabart incarne
cette nouvelle génération
de navigateurs,
sportifs de haut niveau
et diplômés d’une grande école.
CURUTCHET/VENDEE GLOBE/MACIF
2. François Gabart incarne désormais cette nou-
velle génération de navigateurs, sportifs de haut
niveau, diplômés d’une grande école, qui, quand
ils ne sont pas sur l’eau, font tourner les logiciels de
routage météo sur leur ordinateur plutôt que de
traîner leur ciré dans des convoyages sur des mers
exotiques. «Mais attention, prévient Christian
Le Pape. Si François est plus guidé par le goût de la
compétition que par une aventure intérieure sur les
mers du monde, ce n’est pas non plus un ingénieur
rationnel, froid et dur.» Car comme le rappelle le
directeur du centre d’entraînement: la voile est
avant tout une histoire de sensibilité.
Le professeur et le bizuth
Le profil de François Gabart rappelle une icône de
la génération précédente: Michel Desjoyeaux,
47 ans, double vainqueur du Vendée Globe, qui a
d’ailleurs supervisé la construction du voilier du
jeune prodige puis l’a accompagné tout au long de
sa préparation. Ensemble, ils partagent la connais-
sance des matériaux qui leur permet de construire
des bateaux innovants. Gabart, très à l’aise en élec-
tronique, connaît aussi ses outils de navigation sur
le bout des doigts. «En cas de souci, il n’a pas les
deux pieds dans le même sabot ni les mains dans les
poches», assure celui que le milieu surnomme le
Professeur.
Le mentor et son jeune protégé partagent aussi
une gestion très cadrée de leur communication en
compétition. Tout l’art est de ne dévoiler aucune
fragilité. Christian Le Pape, observateur très atten-
tif de la course, imagine toujours les minutes qui
précèdent les vacations radio, lorsque le leader du
tour du monde, «peut-être en vrac au fond de son
bateau» après des manœuvres harassantes, doit se
refaire une allure fraîche et dispose. «Il a de la
chance, son visage jeune ne marque pas encore, pas
besoin de maquillage», s’amuse le directeur de
«Port-Laf». Et comme le blondinet est né avec un
ordinateur dans les mains, c’est avec Twitter qu’il
communique le plus facilement, annonçant son
passage de l’équateur seulement deux minutes
après la ligne imaginaire ou s’amusant, fin décem-
bre: «Petite discussion VHF avec Banque Populaire
qui est juste devant moi. Il va falloir faire attention à
ne pas se rentrer dedans. Cela ferait désordre…»
Près de 5000 internautes attendent maintenant
avec impatience le tweet de la victoire, en écho à
celui du départ: «#VG2012 c parti!!!»
Chaque grande génération de marins français a
eu son leader. Il y avait Éric Tabarly, puis Michel
Desjoyeaux ou Loïck Peyron, suivis de Franck Cam-
mas. La génération Y a trouvé sa figure de proue en
la personne de François Gabart, très vite arrivé au
firmament de la course au large. «Heureusement,
remarque Michel Desjoyeaux avec une pointe de
soulagement, son poulain a fait quelques erreurs.
Mais il n’y en a pas beaucoup, il reste celui qui en a fait
le moins et c’est pour ça qu’il est devant…» I
HAUDE-MARIE THOMAS
haude-marie.thomas@figaronautisme.com
IL VA DEVENIR
LE PLUS JEUNE
VAINQUEUR
DU VENDÉE GLOBE
I 1989 : Titouan Lamazou
(Écureuil d’Aquitaine),
34 ans,
vainqueur en 109 jours.
I 1993 : Alain Gautier
(Bagages Superior),
30 ans,
vainqueur en 110 jours.
I 1997 : Christophe Auguin
(Geodis), 37 ans,
vainqueur en 105 jours.
I 2001 : Michel Desjoyeaux
(PRB), 36 ans,
vainqueur en 93 jours.
I 2005 : Vincent Riou
(PRB), 33 ans,
vainqueur en 87 jours.
I 2009 : Michel Desjoyeaux
(Foncia), 44 ans,
vainqueur en 84 jours.
I 2013 : François Gabart
(Macif), 29 ans,
attendu en 77 jours…
«Gabart au sommet de l’Everest des mers»
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