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A mon père…
pour m’avoir transmis son grain de folie
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CHAPITRE 1
C’était trop excellent, son papa l’emmenait voir des chevaliers en
armure !
D’habitude, le dimanche, ils ne faisaient jamais rien. Ses parents
l’emmenaient chez papy et mamie et ils passaient tous la journée à
table. Lui, il jouait tout seul avec le vieux château fort Playmobil et
parfois la tablette de maman quand il arrivait à l’obtenir après
quelques regards de chiot abandonné.
Mais aujourd’hui ses parents avaient changé d’avis et son père le
conduisait au musée. Ils allaient voir des cottes de maille, des
arbalètes et toutes sortes d’armes plus ingénieuses les unes que les
autres. Il en trépignait d’impatience.
Maman ne comprenait pas vraiment qu’à huit ans il adore les
chevaliers du moyen-âge, mais papa, lui, était plus cool. À la limite, si
papa n’avait pas l’air d’être mal réveillé, il semblerait presque fier que
son fils veuille découvrir un musée et améliorer ses connaissances en
histoire. C’étaient plus les bonnes notes sur son carnet que papa avait
en tête, mais pas lui. Les chevaliers, il les kiffait !
Le musée Carnavalet, c’était trop de la balle ! Il ressemblait à un
château avec un jardin intérieur. Ce n’était pas un vrai château fort,
mais ça faisait la blague. Papa et lui attendaient encore l’ouverture des
portes. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls. Apparemment tous les
musées de Paris ouvraient plus tôt ce dimanche et ils étaient gratuits, il
y avait donc plein de gens.
Il avait appris que c’était la journée de la partie-moine, mais ne
comprenait pas vraiment ce que ce moine faisait là1
. En tout cas c’était
cool de sa part de payer le musée à tout le monde.
	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  	
  
1
	
  Les	
  journées	
  du	
  patrimoine	
  européen,	
  généralement	
  organisées	
  début	
  septembre	
  
  4	
  
Les cloches de Notre-Dame de Paris se mirent à sonner neuf
coups. D’ici on les entendait très bien. Les portes s’ouvrirent enfin et
il se précipita dans le jardin pour slalomer en courant entre les
bosquets de buissons taillés en forme de spirales.
—David attend moi et ne cours pas comme ça ! lui cria son père
énervé.
Déjà qu’il avait dû se lever aux aurores pour venir jusqu’ici, si en
plus il devait supporter que son fils se comporte comme un mouton
sautillant partout, ça n’allait pas forcément être une bonne journée !
—David, tu m’écoutes ? Ne pars pas si loin, je ne te vois plus !
Foutu gamin, le portrait craché de sa mère, elle n’en faisait qu’à
sa tête !
Soudain, il entendit un hurlement strident fendre la foule qui
s’immobilisa instantanément. C’était la voix de son fils. Pris de
panique il se mit à courir devant lui en direction du cri et, au bout du
jardin, il tomba sur son fils planté droit comme un piquet devant la
porte principale.
David fixait une masse sombre allongée sur le gravier de la cour.
Son père aperçut rapidement une tête recouverte d’une cagoule, au
bout d’un corps qui le fixait de ses yeux vitreux et grands ouverts. Par
réflexe, il mit la main devant les yeux de son fils, le prit dans ses bras
et le souleva de terre pour lui cacher l’affreux spectacle, qui s’était
malheureusement déjà bien imprimé sur ses rétines de petit garçon.
Le corps immobile d’un homme reposait sur le dos, les bras et les
pieds écartés, la peau grisâtre et translucide. Il portait une chemise
déchirée révélant de la chair béante sur sa poitrine nue. Il était sans
aucun doute mort.
Autour du père et du petit garçon, les gens partaient se cacher
dans un coin en hurlant tandis que d’autres sortaient leurs portables
pour faire des photos qu’ils allaient partager sur leur Facebook, voir
  5	
  
même tweeter à l’instant. Les gardiens se dirent alors que c’était le
moment d’appeler la police.
***
Le soleil se glissait lentement à travers les carreaux de la fenêtre
de l’une des chambres du penthouse de la rue des Abbesses. Les
rayons effleuraient la peau nue de l’épaule de Sydney qui s’éveillait
doucement à cette sensation désagréable. L’impression étrange d’avoir
du papier de verre qui vous exfolie la peau réveillerait plus d’un mort.
Son premier réflexe fut de se fourrer le nez dans le duvet moelleux et
de prolonger un peu le repos. Mais très vite l’ennui la gagna et Sydney
se tira difficilement de son lit.
Après un bref coup d’œil à la blancheur éclatante du Sacré-Cœur
qui occupait tout le cadre de la fenêtre et lui brûlait les yeux, elle se
dirigea, vaseuse, vers l’immense vasque lavabo accrochée au mur de
sa spacieuse chambre à coucher. La personne qu’elle apercevait dans
le miroir lui parut être une inconnue : une très belle femme aux
pupilles vert émeraude éclatantes soulignées par un teint de pêche
soyeux et parfaitement lisse.
Même sous la lumière artificielle du néon suspendu au-dessus du
miroir, ses cheveux auburn lançaient des reflets cuivrés et dorés. Cet
être étrange semblait parfait et éblouissant, ce qui contrastait avec le
vide et la fatigue que ressentait son double la regardant.
Qui était ce monstre étrange en face d’elle ? Cela ne pouvait pas
être elle. Cette femme pourrait faire tout ce qu’elle voulait avec qui
elle voulait, et surtout charmer n’importe qui. Mais Sydney, elle,
n’avait envie de rien. Un immense gouffre la remplissait et elle se
demandait tous les jours comment il avait bien pu s’installer et
comment elle pourrait bien le combler.
  6	
  
Le sommeil aurait été une solution bien agréable, mais Sydney ne
dormait jamais vraiment. Son esprit se contentait de se mettre sur
pause pendant une durée indéterminée jusqu’à ce que la lumière du
jour remette la bande de ses pensées en marche. Le jour levé, l’ennui
était le premier sentiment qui se levait à son tour. Rien ne semblait
pouvoir combler le vide ressenti.
Un être normal voudrait probablement voir des amis, au pire aller
travailler pour occuper sa journée. Il commencerait au moins par une
furieuse envie d’un petit-déjeuner. Mais voilà, Sydney n’était pas
normale, elle n’était pas humaine.
Comme son reflet l’indiquait, elle était surnaturelle. Un être
comme elle commencerait sa journée à la tombée de la nuit, car le
soleil était son ennemi juré, et voudrait certainement chercher l’objet
de tous ses désirs, le liquide précieux et plaisant qui lui permettrait de
vivre : du sang.
Sydney se souvenait vaguement avoir ouvert les yeux une nuit
sans nuage il y a plus de mille huit cents ans dans la peau de cet être
étrange, ce monstre que les humains appelaient vampire.
Au début, le sang guidait ses gestes et sa recherche remplissait sa
vie. Peu à peu le désir de sang s’était évaporé, laissant sa vie intacte
continuer tranquillement. Le sexe et la séduction prirent place dans
son lit et comblèrent ses envies pendant longtemps, mais même la
chair et la luxure finirent par devenir lassants et sans intérêt.
Maintenant, il ne restait plus rien de ce passé. Sydney désespérait
de retrouver une raison de vivre, elle désespérait de redécouvrir qui
elle était. Elle n’était plus vraiment vampire, mais elle n’était pas non
plus humaine.
Mon dieu ! Les questions sans réponse commençaient déjà à
remplir ses pensées, signe que la journée démarrait mal, comme
d’habitude. Elle passa de l’eau sur son visage comme pour effacer son
  7	
  
esprit et décida d’aller se faire un grand café noir afin de se prétendre
humaine pendant cinq minutes.
Elle quitta le coin d’eau de sa chambre à coucher, principalement
composé d’une grande baignoire ronde en granit blanc disposée au
centre de la pièce et d’un gigantesque lit futon en bois d’ébène couché
devant une baie vitrée.
La pièce était paradoxalement très lumineuse pour un vampire
dérangé par le soleil. Mais après quelques minutes d’exposition son
corps finissait par s’habituer à cette gêne et par complètement
l’oublier — à sa connaissance un cas unique dans son espèce.
Passé la porte, vêtue d’un confortable pantalon en coton écru et
d’un débardeur blanc, elle se retrouva dans un salon contemporain
composé de grands sofas en velours gris anthracite, d’une chaise
blanche de Charles & Ray Eames inspirée d’une peinture abstraite et
d’une table basse laquée blanc d’un jeune designer. Quelques tableaux
exécutés par un artiste en vogue, choisis et disposés avec soin
finissaient d’animer le décor.
Elle passa ensuite devant la table à manger et ses huit chaises
Pantone blanches pour arriver dans la spacieuse cuisine américaine
suréquipée.
Personne ne l’attendait dans la cuisine, même pas George
Clooney avec un bon café. Il fallait donc qu’elle se débrouille toute
seule. Même s’il n’était pas là en personne, heureusement que George
existait, car depuis son arrivée sur terre, le café était devenu une partie
de plaisir à préparer.
Il ne lui fallut pas plus de deux minutes pour obtenir un long café
noir dans un mug au logo du FBI, souvenir de quelques années aux
États-Unis.
Pendant qu’elle s’installait sur l’une des huit chaises avec sa tasse
à café pleine à ras bord dans une main, elle tendit l’oreille pour
  8	
  
constater si quelqu’un d’autre dans le loft était réveillé. Elle obtint sa
réponse rapidement. Deux minutes après avoir commencé sa
dégustation — olfactive uniquement — perdant son regard dans les
cercles concentriques que formait le liquide noir, elle leva les yeux
vers le réfrigérateur et découvrit une incroyable paire de fesses
musclées et nues qui appartenaient à un inconnu.
L’homme se tourna naturellement vers elle, laissant apparaître un
service trois pièces complet et impressionnant, lequel n’était d’aucune
utilité pour prendre un petit-déjeuner.
—Tu sais où sont les céréales, lui demanda la bombe en face
d’elle, sans aucune gêne.
—Heu… dans l’armoire à droite, fit Sydney en portant son regard
par-dessus son mug en direction du torse du jeune homme.
Franchement, elle en avait vu d’autres, mais le profil de statue
grecque devant elle n’était pas du tout désagréable à regarder et elle
n’allait pas se priver. Ce n’était pas forcément si courant de voir des
pectoraux et des abdominaux aussi bien dessinés par une peau
imberbe luisante, le tout surplombé par un sourire malicieux et des
yeux ténébreux.
Mais ce n’était pas du tout étonnant dans cet appartement.
Décidément Jesse, son colocataire, avait un goût très sûr en matière
d’hommes, comme en matière d’art. Et il avait dû passer une nuit
agréable — lui !
Quand on parle du loup, il pointe ses crocs et il les pointe en
direction de la chair fraîche. Un jeune homme svelte, torse nu, avec la
phrase : « Il n’y a pas d’art sans liberté » tatouée en lettres gothiques
sur sa clavicule droite, se présenta avec un grand sourire devant elle. Il
était habillé — lui au moins — d’un sarouel de toile noire et avait les
cheveux bruns en bataille, signe d’une nuit agitée. Même ses grands
yeux bleus profonds étaient en train de sourire. Il lui planta deux bises
généreuses sur les joues en lui lançant :
—Salut ma belle, ça va ce matin ?
  9	
  
Sans attendre la réponse de Sydney qui lui jetait un regard noir, il
se précipita vers la bombe sexuelle maintenant appuyée sur le plan de
travail, un bol de céréales à la main. Il releva un peu la tête pour
atteindre les lèvres charnues du nudiste et l’embrassa à pleine bouche
tout en lui passant la main sur les fesses.
—Il existe des chambres pour ça, leur lança Sydney mi amusée,
mi irritée, en reniflant son café. La cuisine n’est pas forcément très
confortable pour faire ce genre de trucs.
—Non, mais t’as pas toujours été si psychorigide, ma chérie, lui
dit Jesse dans un grand éclat de rire, tout en tapant sur les fesses
rebondies de son partenaire de jeu pour lui faire signe d’aller dans la
salle-de-bain. Faudrait voir à te détendre un peu. Tu sais, s’amuser,
rigoler ! Et pas travailler et chercher s’il y a des gens plus monstrueux
que toi. Prendre soin de toi dans un bain moussant ou une bonne
petite partie de jambes en l’air, ça, ça te ferait du bien.
Oups, si un pieu pouvait vraiment tuer un vampire, Jesse venait
de décrocher son diplôme de Buffy-chasseuse-de-vampires-fan-d’un-
psychiatre ou en tout cas des tests psychologiques de Cosmo.
—Merci docteur Freud. C’est quoi le thème du test psy de Queer
Magazine de cette semaine ? : « Sais-tu réconforter ta meilleure amie
vampire désespérée ? »
C’est à ce moment qu’elle aperçut le dernier exemplaire du
magazine négligemment posé sur la table basse du salon, avec en
couverture une superbe paire de fesses qu’elle reconnut
immédiatement, même moulées dans un jean délavé : précisément la
paire de fesses de l’Apollon du matin qui se faisait maintenant
lentement et langoureusement caresser par l’eau tiède de la douche,
qu’elle entendait désormais nettement.
En regardant Jesse, elle comprit soudain que les pensées coquines
qu’elle percevait n’étaient pas les siennes mais celles de son ami.
  10	
  
Décidément il n’en perdait pas une ! Et sachant que son amie vampire
pouvait lire dans l’esprit des autres sans faire aucun effort, Jesse
prenait même un malin plaisir à s’imaginer avec son Apollon sous la
douche. Il la dévisageait d’un air hilare avant d’ouvrir le frigo à la
recherche d’un yogourt — allégé, pour conserver sa ligne.
Il lui arracha son café des mains pour le boire à sa place. Ces
vampires qui ne boivent et ne mangent rien ont tendance à gâcher la
nourriture.
—Alors ma belle t’as prévu quoi aujourd’hui ? On profite de ce
dimanche ensoleillé pour aller flâner dans le Marais, chercher un
homo pour moi et un hétéro pour toi ?
—T’en as déjà marre de ta gravure de mode ? Rigola Sydney.
—Je ne sais pas, plus on est de fous plus on rit, lui fit Jesse avec
un clin d’œil. En fait, je pourrais en profiter pour aller voir si tout se
passe bien à la galerie.
—Pff, je n’ai pas franchement envie de sortir. Y’a sûrement une
série avec des vampires assoiffés de sang et de jeunes filles en fleur à
la télé.
—Vivement qu’ils créent une version gay !
Sydney se leva paresseusement de sa chaise pour se refaire un
café à humer en vue de prendre des forces pour absorber toutes les
séries américaines diffusées le dimanche après-midi.
Elle n’eut même pas le temps de placer la capsule dans la
machine que les premières notes de « In The Navy » retentirent : son
téléphone portable. Jesse avait encore réussi à le lui voler pour
remplacer la sonnerie par l’une des chansons les plus nulles de toute
l’histoire de l’homosexualité, dans une de ses nombreuses tentatives
de la faire rire et surtout de l’énerver. Elle décrocha avec hâte.
—Commissaire Owen, déclara-t-elle d’un ton grave tout à fait
professionnel (un exploit après les Village People).
  11	
  
—Bonjour Commissaire, Catherine Muller à l'appareil. (Elle le
savait déjà, c’était indiqué sur l’écran du portable.) On a un énorme
problème au musée Carnavalet. Un cadavre a été découvert par des
visiteurs ce matin. En pleines « journées du patrimoine », c’est une
catastrophe. Il en va de la réputation de la police et même de notre
gouvernement. Je compte sur vous et votre équipe pour résoudre cette
affaire le plus rapidement possible. Et bien sûr je vous recommande
une discrétion absolue, il ne manquerait plus qu’une mauvaise
publicité…
—Bien, Madame, j’y serai dans vingt minutes...
Sydney n’eut même pas le temps de dire au revoir à la directrice
générale de la police nationale qui avait déjà raccroché en continuant
de marmonner ses plaintes. Avec une vague impression d’avoir reçu
plus d’information sur l’honneur de la police que sur le crime, elle
laissa la machine à café en plan, ainsi que Jesse, tout de même
heureuse à l’idée qu’un peu d’adrénaline allait finir par remplir la
journée.
***
En train de déguster son deuxième yogourt aux fruits — le sexe
ça creuse — Jesse entendit la porte du penthouse claquer. Comme
d’habitude, Sydney s’était changée à la vitesse de l’éclair. Un peu
comme Clark Kent revêtant son costume de Superman. Et un vampire
en action dans la rue, un !
Il regarda sa cuillère d’un œil vide et pensa que, décidément, la
fille qu’il avait rencontrée il y a quelques années avait bien changé.
Il l’avait croisée dans sa galerie de la place des Vosges, une des
rares galeries d’art moderne de la place : le MooMa. Elle
accompagnait un jeune peintre sexy et complètement accro à elle lors
de son vernissage.
  12	
  
Jesse avait repéré qu’il était prometteur, mais il avait espéré que
cela concernerait aussi d’autres points que la peinture. Hélas, il s’était
vite rendu compte qu’il ne pouvait pas rivaliser avec cette splendide
femme.
Quelque part, lui aussi d’ailleurs avait été charmé par ses yeux
d’un vert inconnu et son sourire complètement envoûtant. Mais c’était
surtout à cause de son humour qu’il avait craqué. Elle était morte de
rire devant chaque tableau en lui expliquant comment elle — la muse
—, avait inspiré le jeune peintre dans son œuvre. Ce n’était pas très
catholique, mais les détails étaient diablement croustillants.
Par la suite, ils étaient sortis tous les deux, écumant restaurants,
bars et discothèques, riant et draguant ensemble et surtout ramenant
toujours un homme chacun pour la nuit.
Tous les jours, il était étonné de s’amuser autant avec une fille,
partageant les mêmes goûts pour les hommes, l’art et le sens de la
dérision.
Quand elle lui avait proposé d’acheter le penthouse des Abbesses
et de cohabiter dans ce 500 m2 avec elle, il n’avait pas hésité une
seule seconde.
Après toutes ces nuits de fête, il n’avait pas pu se rendre compte
que ses activités diurnes de commissaire de police lui prenaient tant de
temps. Et que surtout, elles lui procuraient souvent encore plus de
plaisir que l’alcool, la fête et les mecs.
Ils s’entendaient tellement bien ! Elle avait réussi à lui confier son
plus grand secret : son identité. Comme la majorité des gens sur cette
terre, Jesse ne croyait pas aux vampires et il ne s’était jamais imaginé
que la légende puisse être vraie. Il n’eut pas de peine à accepter son
côté vampirique, ses pouvoirs l’amusant plus qu’autre chose.
C’était d’autant plus facile que Sydney ne buvait pas de sang, ni
ne tuait. Au contraire, elle traquait et chassait les meurtriers. Son
métier de commissaire était plus qu’un travail : une passion qu’elle
  13	
  
exerçait comme une forme d’art. Et lui, le fou de peinture, ne pouvait
que comprendre.
Mais ces derniers temps, elle avait changé. Son humeur devenait
sombre. Elle n’avait plus envie de rien. Elle avait toujours son humour
cinglant, mais c’était désormais devenu une forme de carapace. Jesse
ne savait plus quoi faire pour l’amuser et se sentait désemparé devant
elle. Ils passaient de moins en moins de temps ensemble et il avait de
plus en plus de peine à l’approcher.
Jesse fut déconcentré par l’arrivée de son coup d’une nuit qui
s’approchait nu et ruisselant d’eau.
—Tu ne sais pas où sont les serviettes ? lui demanda-t-il, toujours
à l’aise.
—Attends mon beau, on va utiliser les draps du lit, lui répondit
Jesse avec un regard intéressé.
Après tout, le coup d’une nuit pourrait peut-être servir le reste de
la journée…
***
Pressée de quitter le penthouse pour aller chercher sa dose de
« tue l’ennui » quotidien, Sydney se précipita dans les escaliers pour
aller prendre le métro. Elle avait beau avoir des réflexes hors pair, elle
détestait conduire une voiture. La circulation parisienne ressemblait au
déplacement de puces de lit dans un asile de fous.
Elle avait la capacité de se mouvoir si vite et si discrètement que
personne ne pouvait l’apercevoir et pourtant elle préférait se déplacer
de manière plus traditionnelle, plus humaine.
Cela faisait si longtemps qu’elle tentait de se fondre dans la masse
que c’était devenu comme une évidence. Au début l’odeur métallique
et âcre du métro couvrait efficacement l’odeur de sang des autres
passagers. Désormais, le bruit sourd de la foule et des wagons sortant
avec fracas des tunnels couvrait à son tour les pensées environnantes.
  14	
  
Avant même d’avoir atteint l’escalier, elle inhala une nouvelle
senteur venant effacer les odeurs familières de parfum pour homme et
de testostérone qui reflétaient parfaitement la chaude ambiance qu’elle
venait de laisser dans le loft : un parfum doux et léger de vanille et de
lavande montait des étages d’en dessous, signalant la présence d’une
personne dans le hall.
Il n’était pas difficile pour les narines expertes d’un vampire d’en
reconnaître la propriétaire. Sunshine Clément était nouvelle venue
dans l’immeuble. Elle avait installé un cabinet de Reiki et
aromathérapie juste en dessous du penthouse.
De nos jours, la naturopathie semblait avoir un véritable succès.
Après deux semaines d’installation, Sunshine avait déjà commencé à
fournir tout le quartier en savons et produits cosmétiques faits maison.
Ses activités avaient rapidement embaumé tout l’immeuble de
senteurs exécrables, comme celle de bois brûlé du vétiver ou celle de
vieux pieds de la valériane, d’autres plus fraîches et légères comme le
citron ou la lavande, ou encore celles douces et sucrées du benjoin ou
du géranium rosat. Certains mélanges étaient si complexes — et
pourtant si familiers — que même le nez exercé de Sydney ne pouvait
les identifier.
Il ne fallut pas très longtemps pour que l’odeur de Sunshine se
transforme en une vision claire et nette. Une petite femme enjouée
d’une cinquantaine d’années montra sa tête en bas des escaliers. Elle
portait une ample robe de toile aux couleurs baba-cool ornée d’un
collier de grosses perles de résine, fait à la main. Son look très
Woodstock contrastait avec ses petites lunettes strictes et sa chevelure
cuivrée coupée à la Louise Brooks. Ce mélange curieux pouvait certes
paraître original, pourtant l’ensemble se mariait à merveille et
présentait une personne douce et chaleureuse.
Dès que Sunshine aperçut Sydney son visage s’éclaira d’un large
sourire lumineux.
  15	
  
—Bonjour, Sydney, comment allez-vous ? lui lança Sunshine
d’une voix gaie.
—Bonjour ! Désolée je suis pressée, lui répondit Sydney pas du
tout décidée à lui rendre la politesse.
—Bonne journée, répondit la naturopathe sans lui en tenir la
moindre rigueur.
Sunshine paraissait toujours gaie, gentille et aimable, néanmoins
Sydney percevait que quelque chose ne collait pas. Elle n’arrivait
jamais à savoir si sa voisine était totalement sincère ou si elle en
faisait trop.
Habituellement, elle réglait la situation facilement en lisant
simplement dans les pensées des gens. Un don extrêmement utile
quand on interroge des criminels. Mais une petite partie de la
population était capable de rendre sa tête inaccessible.
Généralement, c’était le cas de personnes qui se mentaient à elles-
mêmes en refusant de reconnaître leur propre personnalité ou leurs
propres problèmes, ou encore de personnes qui tentaient de cacher
leur véritable identité et souhaitaient se fondre dans la masse en
pensant à autre chose.
Sydney percevait que Sunshine faisait partie de la deuxième
catégorie. Visiblement, elle dissimulait quelque chose. Il était
impossible de savoir si la naturopathe se rendait compte que Sydney
cherchait à la percer à jour, voire même si elle savait que la personne
devant elle était un vampire capable d’entendre ses pensées.
Probablement pas.
Après tout pour la majorité des gens, les vampires n’existaient
pas.
Peu importe, résoudre le cas Sunshine Clément n’était pas la
priorité du jour et Sydney se focalisait déjà sur la tâche qui allait
suivre : la résolution du crime du musée Carnavalet.
Il fallait d’ailleurs qu’elle se presse.

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STRIX VAMPIRAE

  • 1.
  • 2.   2   A mon père… pour m’avoir transmis son grain de folie
  • 3.   3   CHAPITRE 1 C’était trop excellent, son papa l’emmenait voir des chevaliers en armure ! D’habitude, le dimanche, ils ne faisaient jamais rien. Ses parents l’emmenaient chez papy et mamie et ils passaient tous la journée à table. Lui, il jouait tout seul avec le vieux château fort Playmobil et parfois la tablette de maman quand il arrivait à l’obtenir après quelques regards de chiot abandonné. Mais aujourd’hui ses parents avaient changé d’avis et son père le conduisait au musée. Ils allaient voir des cottes de maille, des arbalètes et toutes sortes d’armes plus ingénieuses les unes que les autres. Il en trépignait d’impatience. Maman ne comprenait pas vraiment qu’à huit ans il adore les chevaliers du moyen-âge, mais papa, lui, était plus cool. À la limite, si papa n’avait pas l’air d’être mal réveillé, il semblerait presque fier que son fils veuille découvrir un musée et améliorer ses connaissances en histoire. C’étaient plus les bonnes notes sur son carnet que papa avait en tête, mais pas lui. Les chevaliers, il les kiffait ! Le musée Carnavalet, c’était trop de la balle ! Il ressemblait à un château avec un jardin intérieur. Ce n’était pas un vrai château fort, mais ça faisait la blague. Papa et lui attendaient encore l’ouverture des portes. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls. Apparemment tous les musées de Paris ouvraient plus tôt ce dimanche et ils étaient gratuits, il y avait donc plein de gens. Il avait appris que c’était la journée de la partie-moine, mais ne comprenait pas vraiment ce que ce moine faisait là1 . En tout cas c’était cool de sa part de payer le musée à tout le monde.                                                                                                                 1  Les  journées  du  patrimoine  européen,  généralement  organisées  début  septembre  
  • 4.   4   Les cloches de Notre-Dame de Paris se mirent à sonner neuf coups. D’ici on les entendait très bien. Les portes s’ouvrirent enfin et il se précipita dans le jardin pour slalomer en courant entre les bosquets de buissons taillés en forme de spirales. —David attend moi et ne cours pas comme ça ! lui cria son père énervé. Déjà qu’il avait dû se lever aux aurores pour venir jusqu’ici, si en plus il devait supporter que son fils se comporte comme un mouton sautillant partout, ça n’allait pas forcément être une bonne journée ! —David, tu m’écoutes ? Ne pars pas si loin, je ne te vois plus ! Foutu gamin, le portrait craché de sa mère, elle n’en faisait qu’à sa tête ! Soudain, il entendit un hurlement strident fendre la foule qui s’immobilisa instantanément. C’était la voix de son fils. Pris de panique il se mit à courir devant lui en direction du cri et, au bout du jardin, il tomba sur son fils planté droit comme un piquet devant la porte principale. David fixait une masse sombre allongée sur le gravier de la cour. Son père aperçut rapidement une tête recouverte d’une cagoule, au bout d’un corps qui le fixait de ses yeux vitreux et grands ouverts. Par réflexe, il mit la main devant les yeux de son fils, le prit dans ses bras et le souleva de terre pour lui cacher l’affreux spectacle, qui s’était malheureusement déjà bien imprimé sur ses rétines de petit garçon. Le corps immobile d’un homme reposait sur le dos, les bras et les pieds écartés, la peau grisâtre et translucide. Il portait une chemise déchirée révélant de la chair béante sur sa poitrine nue. Il était sans aucun doute mort. Autour du père et du petit garçon, les gens partaient se cacher dans un coin en hurlant tandis que d’autres sortaient leurs portables pour faire des photos qu’ils allaient partager sur leur Facebook, voir
  • 5.   5   même tweeter à l’instant. Les gardiens se dirent alors que c’était le moment d’appeler la police. *** Le soleil se glissait lentement à travers les carreaux de la fenêtre de l’une des chambres du penthouse de la rue des Abbesses. Les rayons effleuraient la peau nue de l’épaule de Sydney qui s’éveillait doucement à cette sensation désagréable. L’impression étrange d’avoir du papier de verre qui vous exfolie la peau réveillerait plus d’un mort. Son premier réflexe fut de se fourrer le nez dans le duvet moelleux et de prolonger un peu le repos. Mais très vite l’ennui la gagna et Sydney se tira difficilement de son lit. Après un bref coup d’œil à la blancheur éclatante du Sacré-Cœur qui occupait tout le cadre de la fenêtre et lui brûlait les yeux, elle se dirigea, vaseuse, vers l’immense vasque lavabo accrochée au mur de sa spacieuse chambre à coucher. La personne qu’elle apercevait dans le miroir lui parut être une inconnue : une très belle femme aux pupilles vert émeraude éclatantes soulignées par un teint de pêche soyeux et parfaitement lisse. Même sous la lumière artificielle du néon suspendu au-dessus du miroir, ses cheveux auburn lançaient des reflets cuivrés et dorés. Cet être étrange semblait parfait et éblouissant, ce qui contrastait avec le vide et la fatigue que ressentait son double la regardant. Qui était ce monstre étrange en face d’elle ? Cela ne pouvait pas être elle. Cette femme pourrait faire tout ce qu’elle voulait avec qui elle voulait, et surtout charmer n’importe qui. Mais Sydney, elle, n’avait envie de rien. Un immense gouffre la remplissait et elle se demandait tous les jours comment il avait bien pu s’installer et comment elle pourrait bien le combler.
  • 6.   6   Le sommeil aurait été une solution bien agréable, mais Sydney ne dormait jamais vraiment. Son esprit se contentait de se mettre sur pause pendant une durée indéterminée jusqu’à ce que la lumière du jour remette la bande de ses pensées en marche. Le jour levé, l’ennui était le premier sentiment qui se levait à son tour. Rien ne semblait pouvoir combler le vide ressenti. Un être normal voudrait probablement voir des amis, au pire aller travailler pour occuper sa journée. Il commencerait au moins par une furieuse envie d’un petit-déjeuner. Mais voilà, Sydney n’était pas normale, elle n’était pas humaine. Comme son reflet l’indiquait, elle était surnaturelle. Un être comme elle commencerait sa journée à la tombée de la nuit, car le soleil était son ennemi juré, et voudrait certainement chercher l’objet de tous ses désirs, le liquide précieux et plaisant qui lui permettrait de vivre : du sang. Sydney se souvenait vaguement avoir ouvert les yeux une nuit sans nuage il y a plus de mille huit cents ans dans la peau de cet être étrange, ce monstre que les humains appelaient vampire. Au début, le sang guidait ses gestes et sa recherche remplissait sa vie. Peu à peu le désir de sang s’était évaporé, laissant sa vie intacte continuer tranquillement. Le sexe et la séduction prirent place dans son lit et comblèrent ses envies pendant longtemps, mais même la chair et la luxure finirent par devenir lassants et sans intérêt. Maintenant, il ne restait plus rien de ce passé. Sydney désespérait de retrouver une raison de vivre, elle désespérait de redécouvrir qui elle était. Elle n’était plus vraiment vampire, mais elle n’était pas non plus humaine. Mon dieu ! Les questions sans réponse commençaient déjà à remplir ses pensées, signe que la journée démarrait mal, comme d’habitude. Elle passa de l’eau sur son visage comme pour effacer son
  • 7.   7   esprit et décida d’aller se faire un grand café noir afin de se prétendre humaine pendant cinq minutes. Elle quitta le coin d’eau de sa chambre à coucher, principalement composé d’une grande baignoire ronde en granit blanc disposée au centre de la pièce et d’un gigantesque lit futon en bois d’ébène couché devant une baie vitrée. La pièce était paradoxalement très lumineuse pour un vampire dérangé par le soleil. Mais après quelques minutes d’exposition son corps finissait par s’habituer à cette gêne et par complètement l’oublier — à sa connaissance un cas unique dans son espèce. Passé la porte, vêtue d’un confortable pantalon en coton écru et d’un débardeur blanc, elle se retrouva dans un salon contemporain composé de grands sofas en velours gris anthracite, d’une chaise blanche de Charles & Ray Eames inspirée d’une peinture abstraite et d’une table basse laquée blanc d’un jeune designer. Quelques tableaux exécutés par un artiste en vogue, choisis et disposés avec soin finissaient d’animer le décor. Elle passa ensuite devant la table à manger et ses huit chaises Pantone blanches pour arriver dans la spacieuse cuisine américaine suréquipée. Personne ne l’attendait dans la cuisine, même pas George Clooney avec un bon café. Il fallait donc qu’elle se débrouille toute seule. Même s’il n’était pas là en personne, heureusement que George existait, car depuis son arrivée sur terre, le café était devenu une partie de plaisir à préparer. Il ne lui fallut pas plus de deux minutes pour obtenir un long café noir dans un mug au logo du FBI, souvenir de quelques années aux États-Unis. Pendant qu’elle s’installait sur l’une des huit chaises avec sa tasse à café pleine à ras bord dans une main, elle tendit l’oreille pour
  • 8.   8   constater si quelqu’un d’autre dans le loft était réveillé. Elle obtint sa réponse rapidement. Deux minutes après avoir commencé sa dégustation — olfactive uniquement — perdant son regard dans les cercles concentriques que formait le liquide noir, elle leva les yeux vers le réfrigérateur et découvrit une incroyable paire de fesses musclées et nues qui appartenaient à un inconnu. L’homme se tourna naturellement vers elle, laissant apparaître un service trois pièces complet et impressionnant, lequel n’était d’aucune utilité pour prendre un petit-déjeuner. —Tu sais où sont les céréales, lui demanda la bombe en face d’elle, sans aucune gêne. —Heu… dans l’armoire à droite, fit Sydney en portant son regard par-dessus son mug en direction du torse du jeune homme. Franchement, elle en avait vu d’autres, mais le profil de statue grecque devant elle n’était pas du tout désagréable à regarder et elle n’allait pas se priver. Ce n’était pas forcément si courant de voir des pectoraux et des abdominaux aussi bien dessinés par une peau imberbe luisante, le tout surplombé par un sourire malicieux et des yeux ténébreux. Mais ce n’était pas du tout étonnant dans cet appartement. Décidément Jesse, son colocataire, avait un goût très sûr en matière d’hommes, comme en matière d’art. Et il avait dû passer une nuit agréable — lui ! Quand on parle du loup, il pointe ses crocs et il les pointe en direction de la chair fraîche. Un jeune homme svelte, torse nu, avec la phrase : « Il n’y a pas d’art sans liberté » tatouée en lettres gothiques sur sa clavicule droite, se présenta avec un grand sourire devant elle. Il était habillé — lui au moins — d’un sarouel de toile noire et avait les cheveux bruns en bataille, signe d’une nuit agitée. Même ses grands yeux bleus profonds étaient en train de sourire. Il lui planta deux bises généreuses sur les joues en lui lançant : —Salut ma belle, ça va ce matin ?
  • 9.   9   Sans attendre la réponse de Sydney qui lui jetait un regard noir, il se précipita vers la bombe sexuelle maintenant appuyée sur le plan de travail, un bol de céréales à la main. Il releva un peu la tête pour atteindre les lèvres charnues du nudiste et l’embrassa à pleine bouche tout en lui passant la main sur les fesses. —Il existe des chambres pour ça, leur lança Sydney mi amusée, mi irritée, en reniflant son café. La cuisine n’est pas forcément très confortable pour faire ce genre de trucs. —Non, mais t’as pas toujours été si psychorigide, ma chérie, lui dit Jesse dans un grand éclat de rire, tout en tapant sur les fesses rebondies de son partenaire de jeu pour lui faire signe d’aller dans la salle-de-bain. Faudrait voir à te détendre un peu. Tu sais, s’amuser, rigoler ! Et pas travailler et chercher s’il y a des gens plus monstrueux que toi. Prendre soin de toi dans un bain moussant ou une bonne petite partie de jambes en l’air, ça, ça te ferait du bien. Oups, si un pieu pouvait vraiment tuer un vampire, Jesse venait de décrocher son diplôme de Buffy-chasseuse-de-vampires-fan-d’un- psychiatre ou en tout cas des tests psychologiques de Cosmo. —Merci docteur Freud. C’est quoi le thème du test psy de Queer Magazine de cette semaine ? : « Sais-tu réconforter ta meilleure amie vampire désespérée ? » C’est à ce moment qu’elle aperçut le dernier exemplaire du magazine négligemment posé sur la table basse du salon, avec en couverture une superbe paire de fesses qu’elle reconnut immédiatement, même moulées dans un jean délavé : précisément la paire de fesses de l’Apollon du matin qui se faisait maintenant lentement et langoureusement caresser par l’eau tiède de la douche, qu’elle entendait désormais nettement. En regardant Jesse, elle comprit soudain que les pensées coquines qu’elle percevait n’étaient pas les siennes mais celles de son ami.
  • 10.   10   Décidément il n’en perdait pas une ! Et sachant que son amie vampire pouvait lire dans l’esprit des autres sans faire aucun effort, Jesse prenait même un malin plaisir à s’imaginer avec son Apollon sous la douche. Il la dévisageait d’un air hilare avant d’ouvrir le frigo à la recherche d’un yogourt — allégé, pour conserver sa ligne. Il lui arracha son café des mains pour le boire à sa place. Ces vampires qui ne boivent et ne mangent rien ont tendance à gâcher la nourriture. —Alors ma belle t’as prévu quoi aujourd’hui ? On profite de ce dimanche ensoleillé pour aller flâner dans le Marais, chercher un homo pour moi et un hétéro pour toi ? —T’en as déjà marre de ta gravure de mode ? Rigola Sydney. —Je ne sais pas, plus on est de fous plus on rit, lui fit Jesse avec un clin d’œil. En fait, je pourrais en profiter pour aller voir si tout se passe bien à la galerie. —Pff, je n’ai pas franchement envie de sortir. Y’a sûrement une série avec des vampires assoiffés de sang et de jeunes filles en fleur à la télé. —Vivement qu’ils créent une version gay ! Sydney se leva paresseusement de sa chaise pour se refaire un café à humer en vue de prendre des forces pour absorber toutes les séries américaines diffusées le dimanche après-midi. Elle n’eut même pas le temps de placer la capsule dans la machine que les premières notes de « In The Navy » retentirent : son téléphone portable. Jesse avait encore réussi à le lui voler pour remplacer la sonnerie par l’une des chansons les plus nulles de toute l’histoire de l’homosexualité, dans une de ses nombreuses tentatives de la faire rire et surtout de l’énerver. Elle décrocha avec hâte. —Commissaire Owen, déclara-t-elle d’un ton grave tout à fait professionnel (un exploit après les Village People).
  • 11.   11   —Bonjour Commissaire, Catherine Muller à l'appareil. (Elle le savait déjà, c’était indiqué sur l’écran du portable.) On a un énorme problème au musée Carnavalet. Un cadavre a été découvert par des visiteurs ce matin. En pleines « journées du patrimoine », c’est une catastrophe. Il en va de la réputation de la police et même de notre gouvernement. Je compte sur vous et votre équipe pour résoudre cette affaire le plus rapidement possible. Et bien sûr je vous recommande une discrétion absolue, il ne manquerait plus qu’une mauvaise publicité… —Bien, Madame, j’y serai dans vingt minutes... Sydney n’eut même pas le temps de dire au revoir à la directrice générale de la police nationale qui avait déjà raccroché en continuant de marmonner ses plaintes. Avec une vague impression d’avoir reçu plus d’information sur l’honneur de la police que sur le crime, elle laissa la machine à café en plan, ainsi que Jesse, tout de même heureuse à l’idée qu’un peu d’adrénaline allait finir par remplir la journée. *** En train de déguster son deuxième yogourt aux fruits — le sexe ça creuse — Jesse entendit la porte du penthouse claquer. Comme d’habitude, Sydney s’était changée à la vitesse de l’éclair. Un peu comme Clark Kent revêtant son costume de Superman. Et un vampire en action dans la rue, un ! Il regarda sa cuillère d’un œil vide et pensa que, décidément, la fille qu’il avait rencontrée il y a quelques années avait bien changé. Il l’avait croisée dans sa galerie de la place des Vosges, une des rares galeries d’art moderne de la place : le MooMa. Elle accompagnait un jeune peintre sexy et complètement accro à elle lors de son vernissage.
  • 12.   12   Jesse avait repéré qu’il était prometteur, mais il avait espéré que cela concernerait aussi d’autres points que la peinture. Hélas, il s’était vite rendu compte qu’il ne pouvait pas rivaliser avec cette splendide femme. Quelque part, lui aussi d’ailleurs avait été charmé par ses yeux d’un vert inconnu et son sourire complètement envoûtant. Mais c’était surtout à cause de son humour qu’il avait craqué. Elle était morte de rire devant chaque tableau en lui expliquant comment elle — la muse —, avait inspiré le jeune peintre dans son œuvre. Ce n’était pas très catholique, mais les détails étaient diablement croustillants. Par la suite, ils étaient sortis tous les deux, écumant restaurants, bars et discothèques, riant et draguant ensemble et surtout ramenant toujours un homme chacun pour la nuit. Tous les jours, il était étonné de s’amuser autant avec une fille, partageant les mêmes goûts pour les hommes, l’art et le sens de la dérision. Quand elle lui avait proposé d’acheter le penthouse des Abbesses et de cohabiter dans ce 500 m2 avec elle, il n’avait pas hésité une seule seconde. Après toutes ces nuits de fête, il n’avait pas pu se rendre compte que ses activités diurnes de commissaire de police lui prenaient tant de temps. Et que surtout, elles lui procuraient souvent encore plus de plaisir que l’alcool, la fête et les mecs. Ils s’entendaient tellement bien ! Elle avait réussi à lui confier son plus grand secret : son identité. Comme la majorité des gens sur cette terre, Jesse ne croyait pas aux vampires et il ne s’était jamais imaginé que la légende puisse être vraie. Il n’eut pas de peine à accepter son côté vampirique, ses pouvoirs l’amusant plus qu’autre chose. C’était d’autant plus facile que Sydney ne buvait pas de sang, ni ne tuait. Au contraire, elle traquait et chassait les meurtriers. Son métier de commissaire était plus qu’un travail : une passion qu’elle
  • 13.   13   exerçait comme une forme d’art. Et lui, le fou de peinture, ne pouvait que comprendre. Mais ces derniers temps, elle avait changé. Son humeur devenait sombre. Elle n’avait plus envie de rien. Elle avait toujours son humour cinglant, mais c’était désormais devenu une forme de carapace. Jesse ne savait plus quoi faire pour l’amuser et se sentait désemparé devant elle. Ils passaient de moins en moins de temps ensemble et il avait de plus en plus de peine à l’approcher. Jesse fut déconcentré par l’arrivée de son coup d’une nuit qui s’approchait nu et ruisselant d’eau. —Tu ne sais pas où sont les serviettes ? lui demanda-t-il, toujours à l’aise. —Attends mon beau, on va utiliser les draps du lit, lui répondit Jesse avec un regard intéressé. Après tout, le coup d’une nuit pourrait peut-être servir le reste de la journée… *** Pressée de quitter le penthouse pour aller chercher sa dose de « tue l’ennui » quotidien, Sydney se précipita dans les escaliers pour aller prendre le métro. Elle avait beau avoir des réflexes hors pair, elle détestait conduire une voiture. La circulation parisienne ressemblait au déplacement de puces de lit dans un asile de fous. Elle avait la capacité de se mouvoir si vite et si discrètement que personne ne pouvait l’apercevoir et pourtant elle préférait se déplacer de manière plus traditionnelle, plus humaine. Cela faisait si longtemps qu’elle tentait de se fondre dans la masse que c’était devenu comme une évidence. Au début l’odeur métallique et âcre du métro couvrait efficacement l’odeur de sang des autres passagers. Désormais, le bruit sourd de la foule et des wagons sortant avec fracas des tunnels couvrait à son tour les pensées environnantes.
  • 14.   14   Avant même d’avoir atteint l’escalier, elle inhala une nouvelle senteur venant effacer les odeurs familières de parfum pour homme et de testostérone qui reflétaient parfaitement la chaude ambiance qu’elle venait de laisser dans le loft : un parfum doux et léger de vanille et de lavande montait des étages d’en dessous, signalant la présence d’une personne dans le hall. Il n’était pas difficile pour les narines expertes d’un vampire d’en reconnaître la propriétaire. Sunshine Clément était nouvelle venue dans l’immeuble. Elle avait installé un cabinet de Reiki et aromathérapie juste en dessous du penthouse. De nos jours, la naturopathie semblait avoir un véritable succès. Après deux semaines d’installation, Sunshine avait déjà commencé à fournir tout le quartier en savons et produits cosmétiques faits maison. Ses activités avaient rapidement embaumé tout l’immeuble de senteurs exécrables, comme celle de bois brûlé du vétiver ou celle de vieux pieds de la valériane, d’autres plus fraîches et légères comme le citron ou la lavande, ou encore celles douces et sucrées du benjoin ou du géranium rosat. Certains mélanges étaient si complexes — et pourtant si familiers — que même le nez exercé de Sydney ne pouvait les identifier. Il ne fallut pas très longtemps pour que l’odeur de Sunshine se transforme en une vision claire et nette. Une petite femme enjouée d’une cinquantaine d’années montra sa tête en bas des escaliers. Elle portait une ample robe de toile aux couleurs baba-cool ornée d’un collier de grosses perles de résine, fait à la main. Son look très Woodstock contrastait avec ses petites lunettes strictes et sa chevelure cuivrée coupée à la Louise Brooks. Ce mélange curieux pouvait certes paraître original, pourtant l’ensemble se mariait à merveille et présentait une personne douce et chaleureuse. Dès que Sunshine aperçut Sydney son visage s’éclaira d’un large sourire lumineux.
  • 15.   15   —Bonjour, Sydney, comment allez-vous ? lui lança Sunshine d’une voix gaie. —Bonjour ! Désolée je suis pressée, lui répondit Sydney pas du tout décidée à lui rendre la politesse. —Bonne journée, répondit la naturopathe sans lui en tenir la moindre rigueur. Sunshine paraissait toujours gaie, gentille et aimable, néanmoins Sydney percevait que quelque chose ne collait pas. Elle n’arrivait jamais à savoir si sa voisine était totalement sincère ou si elle en faisait trop. Habituellement, elle réglait la situation facilement en lisant simplement dans les pensées des gens. Un don extrêmement utile quand on interroge des criminels. Mais une petite partie de la population était capable de rendre sa tête inaccessible. Généralement, c’était le cas de personnes qui se mentaient à elles- mêmes en refusant de reconnaître leur propre personnalité ou leurs propres problèmes, ou encore de personnes qui tentaient de cacher leur véritable identité et souhaitaient se fondre dans la masse en pensant à autre chose. Sydney percevait que Sunshine faisait partie de la deuxième catégorie. Visiblement, elle dissimulait quelque chose. Il était impossible de savoir si la naturopathe se rendait compte que Sydney cherchait à la percer à jour, voire même si elle savait que la personne devant elle était un vampire capable d’entendre ses pensées. Probablement pas. Après tout pour la majorité des gens, les vampires n’existaient pas. Peu importe, résoudre le cas Sunshine Clément n’était pas la priorité du jour et Sydney se focalisait déjà sur la tâche qui allait suivre : la résolution du crime du musée Carnavalet. Il fallait d’ailleurs qu’elle se presse.