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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Marianna LANSKAYA
Les Mystères
de l’Inconscient, cachés
sur l’île de Noureev
Les Saisons Parisiennes
Copyright Office Wasnington / SACD Paris n 222959
Roman fantastique
2008
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 1
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Le Livre
qui offre un million
à mon enfant
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 3
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
À toutes les grands-mères…
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 4
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Chapitre 1
Tout a commencé un jour de printemps pluvieux et froid, comme ne il ne l’a jamais
été auparavant. Les arbres fleurissaient comme si de rien n’était, mais le ciel ne leur
répondait pas, car les nuages épais, couvrant le ciel d’une masse menaçante, étaient prêts
à déverser à chaque instant des torrents d’eau sur les têtes des passants. La lumière était
très étrange : la masse de l’air, condensée par certains endroits, laissait entrevoir des
passages, des couloirs entiers, avec une substance très fragile, ressemblant à une
poussière de cristal.
Les rares rayons du soleil jouaient dans des milliers de facettes de cette poussière en
s’éclatant en couleurs de l’arc-en-ciel, et cette masse vibrante faisait naître une vague
impression que tout était possible à cet endroit. Elle aimait venir sur cette place car ici, et
uniquement ici, elle ressentait chaque fois la même chose : que tout est possible dans la
vie. Que tout ce qu’elle vivait en ce moment n’était qu’un prélude, une répétition à
quelque chose de très magique, à la limite de l’imaginable, du compréhensible.
Chaque fois qu’elle se retrouvait sur cette place, quelque chose se passait. Difficile à
décrire : toutes les pensées se condensaient dans sa tête et se cristallisaient en images de
sa vie future. Bien que rien dans sa vie actuelle ne lui dît que toutes ces images étaient
réellement de sa vie future, elle le savait très précisément. Et pour ces raisons elle aimait
se promener sur cette place à cinq heures de l’après-midi dans la foule de gens, rentrant
de leur travail, enveloppée par le bruit des Klaxon des voitures, par le gaz
d’échappement, par les dialogues imperceptibles de milliers de portables et des chants
des oiseaux.
Elle se voyait voyager autour du monde entier, faire des films, monter les marches
des festivals en robe de stars, découvrir le sens de l’Univers, aimer l’homme le plus
désirable de la planète, monter sur une soucoupe volante et connaître les lois de la
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 5
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
gravitation, et tout ça de façon très réelle, matérielle, très saisissable. Il semblait qu’il lui
suffirait de tendre la main en avant et elle sentirait les objets, elle sentirait les odeurs, les
parfums, les flashs des paparazzi… Un léger sentiment d’extrême puissance commençait
à lui tourner la tête.
Brusquement Christine se réveilla et regarda autour d’elle: non, rien d’extraordinaire,
« ce n’est pas pour aujourd’hui », se dit-elle dans sa tête. Tout était si réaliste et normal,
seules les fleurs sur les gazons avaient poussé davantage, très très jaunes, éclatantes, elles
attiraient son regard sur elles. À ce moment, elle entendit une petite voix intérieure : «
Attends encore un tout petit peu ! Les miracles sont tout près de toi, sois attentive, ne les
chasse pas, ils sont très peureux pour l’instant. Il faut faire attention à ne pas les brusquer,
sinon, ils ne reviendront que dans très longtemps ! » Et la voix disparut aussi
soudainement qu’elle était apparue.
Christine n’avait pas peur d’entendre cette petite voix interne car elle l’entendait
souvent et était assez habituée à sa présence. « Bon, puisque ce n’est pas pour
aujourd’hui, je vais rentrer… », se disait-elle, en pensant à une tasse de thé chaud devant
l’écran de la télévision qui remplissait ses douces soirées solitaires. Mais ses soirées ne
lui pesaient pas pour autant, car elle savait, qui sait pourquoi, que tout cela allait être
bouleversé d’un jour à l’autre et qu’elle se retrouverait dans un tel peloton d’émotions,
d’événements, d’actions et de relations, que l’idée de se reposer d’avance ne lui déplaisait
pas du tout.
À ce moment précis, chez lui il n’était que huit heures du matin, et le soleil tapait
déjà fort sur les toits des maisons voisins, quand il se réveilla pour une ordinaire journée
de travail. Ce jour-ci, Bill n’avait pas le temps pour les réflexions matinales, il fallait
résoudre les derniers problèmes du scénario, avant de lancer le tournage. Cela lui prenait
la tête! Ce scénariste, têtu, comme tous les débutants, il ne voulait, à aucun prix, lui
laisser la priorité de la décision, à lui, propriétaire de ses Studios !
Dans sa poitrine commençait à bouillonner une légère colère : « Comment ose-t-il !
Lui, aurait-il fait tous les sacrifices que je fais moi, pour construire ces Studios ! Savait-il,
comment je détestais tous ses producteurs qui m’obligeaient à jouer ce que je ne voulais
pas ! Moi, moi, moi ! Le Grand Patron ! Maintenant c’est moi, et moi seul, qui dicte les
lois ici ! Et lui, s’il s’incruste dans son idée encore une journée de plus, je le vire dehors
et je stoppe son film, voilà! » Bill n’était pas du tout fier de lui, car cette colère, il ne la
maîtrisait pas en général. Une fois commencée, elle ne cessait pas de grandir, durant la
journée entière et à la fin elle éclatait en un grand scandale.
Il devait, alors, se retirer dans sa villa, seul, sans parler à personne, ce qui augmentait
la pression de son mécontentement. Mais il ne pouvait vraiment rien faire ! Cette force
animale était plus forte que lui : il devait toujours avoir raison, quel que soit le prix à
payer.
Et le prix souvent était bien cher ! La dernière fois, aux Studios, encore Grands
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 6
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Studios où il faisait ses meilleurs films, les conflits étaient vraiment stupides : il refusa de
répéter la dernière scène de la journée après le second rôle, puisqu’il lui fallait rentrer
plutôt pour passer trois minutes de plus avec sa nouvelle copine. Il éclata tout le tournage,
le producteur ne voulait plus entendre parler de lui, et cette copine n’est restée que trois
semaines avec lui pour disparaître à jamais.
Bon, d’accord, il a gagné assez d’argent pour pouvoir être totalement indépendant, et
il a pu ouvrir sa propre boîte de cinéma indépendante, ce dont il était très fier ! Mais
l’histoire menaçait de recommencer. C’est vrai, il ne voulait plus de ces conflits, qui
risquaient de compromettre ses Studios pour toujours, il fallait freiner fort ! Et c’est
exactement ce qu’il ne savait pas faire.
Bill était beau, grand et musclé. Il avait tellement travaillé sur son physique, qu’il
avait réussi à le transformer complètement. Il était très maigre dans sa jeunesse, puis il
était devenu musclé. Il avait un regard troublant et sobre, puis il était devenu un homme
souriant avec un air d’une intelligence éclairée. Il n’aimait pas le sport et le mouvement,
puis il était devenu un vrai Schumacher ! Il n’y avait rien qu’il ne pouvait pas se
permettre, mais une chose ne lui obéissait pas. C’était sa conscience ! Et plus il avançait
dans la vie, plus cela devenait insupportable.
Pour éviter tous conflits avec ses collaborateurs, il avait arrêté de passer ses soirées
avec eux, dans les grandes fêtes qu’il aimait tant. Il avait arrêté de les inviter chez lui
pour les somptueux dîners qu’il organisait auparavant très régulièrement. Il fuyait toute la
société de sa ville, qui ne vivait que des mondanités. Les gens commençaient à le trouver
bizarre, et il lui restait une seule chose, c’était son cinéma, ses Studios, où il pouvait
retrouver la paix et le calme du travail quotidien. C’était son Temple. Et personne ne
pouvait pas troubler l’harmonie, qu’il avait réussi à installer au prix de tels efforts.
Bref, la journée était cruciale : il fallait à tout prix éviter le scandale, mais comment,
il ne savait pas encore. Il comptait sur l’inspiration du moment, comme toujours. Mais
cette fois-ci, contrairement à ses habitudes, avant de quitter son salon, il s’arrêta devant le
divan, s’assit dessus et se mit à regarder les rayons du soleil ! Ils étaient bien forts,
malgré les lourds stores couvrant les grandes baies vitrées de sa terrasse. Les rayons
traversaient le bouquet de tulipes sur la table devant le divan, et pour la première fois de
sa vie, il commença à contempler les pétales des fleurs. Il se moquait complètement que
l’équipe l’attendait, que sa journée devait être chronométrée à la seconde près, et qu’il lui
fallait résoudre ce problème de scénario qui le tracassait depuis hier soir.
Il regardait, comment l’air tremble par milliers de petites poussières, comment les
fleurs respirent et tournent légèrement leurs têtes vers le soleil, comment les rayons les
enveloppent, tout doucement, tendrement, en évitant de les brusquer. Et, pour la première
fois, il demanda de l’aide. Bill ne savait pas exactement à qui il s’adressait… Sans aucun
mot, il proférait ses pensées vers l’Univers… Il était déjà dix heures du matin, mais Bill
ne bougeait pas, concentré sur les pétales des tulipes…
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 7
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Christine n’avait rien remarqué pour l’instant. Elle était assise sur son fauteuil
préféré, sur sa petite terrasse en plein soleil, et admirait le début du crépuscule. Les
oiseaux se déchaînaient en bas, sur les branches des arbres en fleurs. Les cerisiers et les
pommiers étaient éblouissants, ornés de grands flocons massifs de fleurs roses. Christine
vivait au deuxième étage d’un grand immeuble, et l’unique romantisme de cet endroit
était ce beau jardin avec les pommiers. C’était maintenant, en plein mois d’avril, malgré
les pluies incessantes et le froid hivernal, que ces arbres resplendissaient devant les yeux
de Christine. Elle sentait leur arôme, écoutait les chants des oiseaux et savourait le goût
du thé à la menthe. Une vraie gourmande !
D’un seul coup, elle entendit dans sa tête un chuchotement… même pas… juste des
pensées nouvelles commençaient à lui venir à l’esprit… elle s’imaginait diriger une
équipe de cinéma… cette équipe l’attendait au travail… elle tardait à y aller, attrapée par
la beauté de la journée débutante… Soudain, une inquiétude l’envahit : « Qu’est-ce que je
vais faire avec ce scénario ? » Elle continuait de contempler les arbres en bas de sa
terrasse. La petite voix intérieure devenait plus insistante, la poussant presque à prendre
une décision.
Christine ne chassait jamais ses pensées, quelle que soit leur étrangeté. Elle les
écoutait, comme un cinéma intérieur, mais n’intervenait jamais dans leur écoulement.
Mais cette fois-ci, les pensées étaient si fortes, qu’elle se sentait presque concernée par
ses inquiétudes. « Bon, et puisque tu insistes tellement, je te dirais de ne pas rejeter ce
scénario! Fais semblant d’accepter la version de ton scénariste, et tu verras pendant le
tournage si cela fonctionne ou pas. De toute façon, tu auras le temps de tout corriger, en
faisant des doubles. Enlève ce problème de ta tête et laisse-moi en paix ! » Tout de suite,
les pensées disparurent et elle entendit la chanson d’un enfant, jouant sur la pelouse en
bas de l’immeuble: elle était parfaitement dans la vie présente.
Ce soir-là, les pensées ne la tourmentaient plus. Elle put regarder, une énième fois,
son film préféré avec un grand acteur américain. Elle savait qu’elle n’était pas la seule à
l’admirer mais ce fait ne la dérangeait pas du tout. Elle savourait chaque mot, chaque
geste, tout ce qui la faisait rire. Elle était vraiment heureuse pendant ces moments-là,
oubliant complètement ses rêves précédents, là-bas, sur la place : ses voyages, ses
pensées. Elle ne croyait plus une seconde que tout cela pourrait un jour lui arriver. Elle se
réjouissait tout simplement d’une journée calme qui annonçait le repos du week-end, la
fatigue de la semaine ayant envahi son corps.
Christine s’adonnait pleinement à ce repos mérité, car dans un jour et demi elle
devrait à nouveau se mettre en route, cavaler après un bus, un autre bus, quelques pas
encore, et voilà, elle serait à nouveau en train d’attendre la fin de la journée, quand elle
pourrait à nouveau se retrouver au calme de sa terrasse ensoleillée. La petite routine, tous
les jours, tous les jours, tous les ans… Cela faisait longtemps qu’elle ne se rebellait pas.
Elle acceptait la vie comme elle venait, sans énervement, sans stress, car elle savait que…
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 8
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Bill se releva de son divan dans un état de grâce, sachant que, pour la première fois
de sa vie, cette journée serait comme il la voudra, et qu’il n’y aurait pas de conflit.
Comment ferait-il, il ne le savait pas, mais il savait que ce serait ainsi. Il était heureux.
Depuis très longtemps, cette sérénité, il ne la côtoyait pas. Il vivait passionnément, mais
jamais raisonnablement, pourtant, passé la quarantaine, il devait peut-être commencer à
se calmer… Mais non, le calme, ce n’était pas son style de vie, il aimait action,
mouvement, il vivait à deux cents à l’heure.
Il sortit de sa maison, et le soleil lui éclata en plein visage ! Il oublia tout,
complètement tout et se lança, comme d’habitude, pour vivre sa vie frénétique.
Paul ne se pressait pas de finir son bol de corn-flakes et de commencer la journée.
— Vite, vite, tu vas être en retard à ton collège, dépêche-toi ! cria sa mère de la
cuisine. Je reviendrai tard ce soir. Tâche de finir tes devoirs avant de t’endormir, ok ?
Paul murmura quelque chose d’incompréhensible. La porte d’entrée claqua, et il était
désormais livré à lui-même pour toute la longueur de la journée. Sa mère travaillait
tellement, qu’il ne la voyait que les week-ends et, pour la plupart du temps, endormie,
tellement elle était fatiguée. Il l’aimait beaucoup, mais il n’avait jamais le temps de
l’exprimer. Et il savait que sa mère l’aimait aussi, mais elle aussi, elle n’avait jamais le
temps de le lui dire.
Aujourd’hui Paul avait décidé de faire quelque chose d’inhabituel. Il composa le
numéro du portable de sa mère en lui disant: « Je t’aime, maman ! » Sa mère, entourée à
ce moment précis par des centaines de gens coincés dans le wagon du métro, put
seulement lui faire un sourire en guise de réponse. Paul raccrocha et jeta sur ses épaules
son sac qui pesait une tonne ! « Bon, au moins, elle sait, que je l’aime… », pensa Paul,
descendant avec l’ascenseur. Dehors, le soleil lui éclaboussa sa lumière en plein visage, et
Paul oublia et sa mère et sa maison. Une nouvelle journée d’aventures s’ouvrait devant
lui !
« Ce serait si génial de s’échapper un jour du collège et de vivre quelque chose
d’absolument extraordinaire ! », pensa Paul, longeant un petit muret. « J’aurais donné
tout au monde, si à ce moment précis une soucoupe volante avait atterri devant moi… »,
Paul rentra dans le bus et oublia sa soucoupe…
— Tu crois qu’on va débarquer maintenant ou plus tard ?
Le coéquipier souleva les épaules.
— Non, maintenant, c’est trop tôt. Ils ne le comprendront pas, restons invisibles. Je
te dirai quand, sois patient ! De toute façon, tu sais que notre temps est illimité, c’est la
Force qui me dira quand on devra agir dans ce monde. Certains individus me paraissent
prêts, d’autres pas du tout, on risque de provoquer la panique. Non, non, c’est trop tôt.
Leur niveau de conscience est au tout début de leur développement, je ne pense pas qu’on
puisse communiquer d’égal à égal…
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 9
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
— Si tu veux attendre qu’ils soient tous prêts, on sera obligé de tourner autour de
cette planète éternellement ! Revenons alors dans notre galactique, mes enfants doivent
être déjà grands, je ne les ai pas vus depuis des siècles !
— N’exagère pas, qu’est-ce que c’est un siècle devant l’éternité, et devant
l’importance de notre mission ! Soyons attentifs, on a beaucoup de choses à faire. En tout
cas, j’ai un espoir, que c’est pour bientôt. Certains me paraissent être assez proches de la
Révélation.
— À qui tu penses ?
— Cette jeune femme devant le jardin du Luxembourg, elle me paraissait
intéressante, mais bon, on ne peut pas être sûr à cent pour cent. On va continuer
d’inspecter doucement…
— Comme tu veux, mais je ne veux pas rester ici encore un siècle de plus! Soit ils
évoluent, soit on laisse tomber !
— D’accord, d’accord, mais patiente, tu verras, les choses peuvent se débloquer plus
vite que tu ne le penses.
— Passe-moi du Jeas-team, j’ai soif !
— C’est une boisson de mômes ! Jette ça par la fenêtre !
Paul sortait du bus, quand la boîte vide d’une boisson inconnue tomba sur le trottoir à
côté de lui.
— Eh, là-haut ! Faites gaffe si je vous trouve un jour !
Paul était content que la journée ait bien commencé et il ne voulait pas que rien ne
gâche sa bonne humeur. Mais il ramassa cette boîte, en pensant la rajouter à sa collection
d’objets trouvés, qui contenait déjà une pierre du bonheur, une lime à ongles, un cristal
violet, un bout de planche, appartenant apparemment à une vieille soucoupe… et
maintenant cette boîte en métal moelleux, changeant de couleurs toutes les dix secondes.
Paul ne réfléchissait pas aux origines de ces objets, il les ramassait et les emmenait à la
maison, soigneusement, les rangeant dans le casier de sa table. Et puisque sa mère ne
rangeait jamais sa table, elle n’avait aucune idée de cette belle collection d’objets
extraterrestres.
La journée collégienne commença sans surprise: la prof de maths écrivait les signes
au tableau au milieu d’une classe dormante. Les mouches tournaient autour des vases
avec des fleurs sur les placards, et Paul était totalement libre de faire tout ce qu’il voulait.
Tout d’abord, il commença par mettre tous les signes à l’envers et voir à quoi ils
ressemblaient. Pour l’instant, il ne voyait rien de particulier, sauf que certains de ces
signes brillaient dans les rayons de soleil plus que les autres. Ils se détachaient de la
feuille de papier et volaient dans l’air à quelques millimètres de la surface. Cela pourtant
n’inquiétait pas Paul, qui avait l’habitude d’accepter l’inexplicable comme une normalité,
en attribuant le « non-savoir » à son jeune âge.
Il n’avait que douze ans, et pensait que certainement les adultes devaient avoir une
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 10
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
explication, mais qu’étant si occupés tout le temps, ils ne pouvaient pas lui fournir la
réponse… « Ce n’est pas grave, se disait-il, quand je grandirai, toutes les choses me
seront accessibles et compréhensibles, et pour le moment je ne peux que les observer,
c’est déjà très passionnant ! » et il continuait de regarder les signes mathématiques
survoler sa feuille de papier.
— Ce gamin, décidément, a fait des progrès ! Je lui ai appris l’art de la lévitation
antigravitationnelle, pour qu’il la pratique ! Il est vraiment très doué, je voudrais
l’observer davantage. Je vais lui rajouter des tâches à faire. Je vais lui apprendre à sauter
les étapes de l’apprentissage !
Le coéquipier s’était étendu sur le dossier de son fauteuil avec un grand sourire.
— Il n’a que douze ans.
— Et alors ! À cet âge le cerveau est très mobile ! Il accepte beaucoup plus de choses
sans réticence, sans méfiance. C’est justement lui, qui pourrait apprendre plus vite que les
autres !
— Et l’évolution du cerveau dans le temps ? Quoi, cela ne vaut rien ? Les gens qui
lisent des livres, qui font des travaux spirituels, eux, selon toi, ils ne sont pas plus
évolués, que le gamin de douze ans ?
— Mais si, mais si, mais ils doivent traverser des grandes épreuves, des désillusions,
des chocs de la vie, pour qu’ils ouvrent leurs voix intérieures à la compréhension
supérieure. Les gamins le font sans souffrance, sans avoir à passer par tous ces états
d’âme, ils sont plus rapides.
— D’accord, mais leur bagage intellectuel ne peut pas être suffisant pour évoluer
dans les matières complexes.
— Pas sûr, ils acceptent l’inexplicable, ils sont moins figés dans leurs consciences,
ils ont les pensées plus pures, et les âmes plus intactes.
— Alors, tu comptes plus sur les gamins ?
— Pas forcément, mais sur les gamins aussi. Ils arriveront tous en même temps, tu
verras ! Cela sera très passionnant, un peu comique peut-être…
— Tu prédis l’avenir ?
— Non, je le vois !
— Paul, tu as tout le temps la tête en l’air ! Peux-tu te concentrer une minute sur ce
qu’on fait en classe ?! Tes notes baissent de plus en plus ! Il faut que je voie ta mère !
— Pour ça, bon courage, Madame ! Même moi, je ne la vois pas plus de cinq
minutes pendant le brossage des dents !
— Paul ! Un peu de tenue !
La classe éclata de rire.
Paul était au septième ciel, car celui qui réussissait à énerver la prof passait pour un
héros pendant toute la journée et tous les copains lui serraient la main ! Mais la prof, elle-
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 11
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
même, avait un autre point de vue sur cette affaire. Elle était devenue toute rouge,
tellement rouge, qu’elle faisait peur, pouvant exploser à tout moment.
Elle commença à crier de plus en plus fort, ce qui rajoutait de la joie dans les derniers
rangs. Elle tremblait en crachant des mots tout courts, étouffée par sa colère.
— Vous êtes pénibles ! Vous êtes pénibles !
C’est tout ce qui lui était passé par la tête. Les enfants s’agitaient de plus en plus.
Voir leur prof perdre les pédales au point de ne plus pouvoir parler, c’était une véritable
jouissance. Ils se sentaient de plus en plus puissants face à son désarroi. L’agitation était à
son comble. Paul était aux anges, sans se soucier de ce qu’il allait lui arriver après. À ce
moment précis, il était le Héros.
— Tu vas avoir une heure de colle !!! Non!!! Trois heures de colle !!! Tu vas dormir
sur les planches !!!
Peu à peu elle s’épuisait, en baissant le volume de sa voix, et ses dernières paroles
elle les prononça tout doucement :
— Va chez le directeur ! Immédiatement !
Paul se sentait soulagé, car il ne pouvait plus observer cette scène insensée par le
niveau de sa violence et sa stupidité. Le sentiment de pitié, que provoquait sa prof, lui
montait à la gorge. Il sortit dans le couloir, où un air rafraîchissant, emmené par une
légère brise de la fenêtre ouverte, lui caressa le visage. Dehors les arbres se couvraient de
feuillage, on sentait fort l’odeur du tilleul en fleur, le printemps arrivait inévitablement.
Bill avait terminé sa journée, très étonné de tout ce que lui était arrivé : il était très
calme, raisonnable, soucieux de bien faire vis-à-vis de ses collaborateurs… Cela ne lui
était jamais arrivé auparavant. Contre toutes ses craintes et prévisions, il avait accepté
très facilement le scénario qui lui posait tant de problèmes, et le film avait été lancé dans
les délais prévus. Le scénariste ne cessait pas de remercier Bill, mais Bill n’avait rien à
lui répondre, car il ne savait pas lui-même, pourquoi il avait réagi comme ça ! Mais,
néanmoins, la journée sans conflit lui avait beaucoup plu, et il s’était décidé de continuer
de la même manière.
Bill se dit : « Si cette journée, je la reproduisais au détail près demain, elle sera aussi
bien, demain aussi ! » En arrivant chez lui, il se mit à se rappeler dans les moindres
détails tout ce que lui était arrivé et commençait à le noter dans un cahier. C’était des
choses complètement nouvelles pour Bill, il n’avait jamais rien noté ni écrit dans sa vie,
tout avait été fait par ses assistants, par ses scénaristes et par ses producteurs auparavant,
mais jamais par lui-même ! Cette façon de passer une soirée, derrière la table à écrire,
n’était pas du tout dans ses habitudes. Il était pourtant un excellent observateur et il avait
pu noter tous ses états d’esprit pendant la journée de travail.
Le lendemain, Bill se réveilla dans l’intention de reproduire la nouvelle journée dans
tous les détails qu’il avait réussi à noter la veille. Il se releva énergiquement, se rhabilla,
prit son café et, juste avant de franchir la porte de son domicile, il s’arrêta dans la porte
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 12
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
entrouverte. Quelque chose lui manquait, mais il ne se souvenait pas de quoi il
s’agissait… Déjà dans sa voiture, il remarquait que le soleil était caché par un léger
brouillard, mais les pensées quotidiennes de son nouveau film l’envahissaient et il avait
oublié son programme de recommencer la journée de la veille.
Toute la journée fut une catastrophe en continuité : une des actrices se désista,
l’équipe était énervée, le scénariste continuait à s’entêter sur la fin du film, bref, un
véritable cauchemar se déversait sur la tête de Bill ce jour-ci. Il était désespéré ! Il revint
dans sa villa, sans vouloir répondre aux nombreux appels, avec un horrible mal de tête, et
il s’enferma dans sa chambre en demandant de l’aide, qui sait à qui.
Doucement, il sentait l’harmonie s’installer dans son âme, les maux de tête l’ont
laissé, et, d’un coup, il put entendre une légère voix intérieure, qui lui disait : « Va
chercher ton bonheur et ton bien-être là-bas, sur les îles… » « Quelles îles ? » Bill n’était
pas prêt à quitter ses Studios juste au démarrage de son nouveau film ! Mais la voix
insistait : « … sur les îles, sur les îles, tu trouveras ce que tu cherches… » Bill, très
étonné de cette apparition, avait laissé tomber la compréhension de sa contradiction
intérieure, et s’endormit, pensant qu’il avait trop travaillé ces jours-ci et que cette voix
n’était qu’une simple hallucination liée à la fatigue.
Le lendemain Bill se réveilla dans un esprit bien meilleur. Au moment de son départ,
il remarqua quelque chose qui lui rappela ce qu’il cherchait à se remémorer
désespérément la veille. C’était le soleil !!! Ses rayons étaient placés au même endroit
que la journée d’avant : les pétales des fleurs, étant un petit peu fanés, n’avaient pas
perdu pour autant leur grâce et leur beauté, et les petites graines de la poussière jouaient
dans les particules minuscules du soleil. Bill se rassit sur son divan, hypnotisé par cette
image magique.
Il la regardait très longuement. La même question, qui l’avait tourmenté tout ce
temps-là, commençait à se formuler à l’intérieur de lui : « Que faire ? Comment trouver
une harmonie dans tous ses rapports ? Comment éviter tous ces conflits, si fatigants ? »
Bill attendait patiemment la réponse, sachant cette fois-ci, qu’elle arriverait tôt ou tard. Et
elle ne tarda pas à arriver…
Christine s’arrêta devant la grande fontaine à l’entrée du jardin. C’était dimanche,
Christine ne devait pas aller au travail, mais quelque chose l’avait poussée à venir sur
cette place. Peut-être, ses souvenirs d’une agréable sensation de rêve, qu’elle avait
éprouvée quelques jours avant… La journée se déclinait vers le crépuscule, ce qui
n’empêchait pas aux fleurs de garder leurs couleurs intenses, leur aromate se répandait
très loin, et Christine se sentait enveloppée par toutes ces senteurs. Cette fois-ci, Christine
s’imaginait dans une grande villa, assise sur un divan moelleux, en cuir blanc, devant une
grande baie vitrée, cachée derrière des rideaux épais, qui laissaient passer quelques
rayons de soleil…
Les souvenirs des voyages sur les îles italiennes tournaient lentement dans sa tête. «
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 13
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Pourquoi les îles ? Ça fait si longtemps… Je les ai presque oubliées… Pourquoi
maintenant je m’en souviens ? », se demandait-elle consciemment. Et sa voix intérieure
lui redondait : « Les îles, les îles, là, où tu as vu Noureev… » Elle comprenait, pourtant,
que rien dans sa vie actuelle ne pouvait l’emmener dans ces îles méditerranéennes. Elle
n’avait aucun moyen de se rendre là-bas dans l’immédiat. Elle demanda à sa voix
intérieure : « Comment tu veux que je me rende là-bas ? » La réponse changea
subitement de voix. C’était une voix d’homme, basse et épaisse, qui lui répondait : « Moi,
je t’emmènerai. Où es-tu, toi ? » « Je suis à Paris, mais qui est-tu, toi ? », répondit
subitement Christine. Puis elle entendit la voix à nouveau : « J’arrive ! Tu me verras en
arrivant, il faut qu’on en parle ! Tu m’attends à la même heure et à la même place ! »…
Et puis la voix disparut…
« Voilà, c’est parfait, encore une fois je me suis tellement plongée dans mon
imaginaire, que je ne me suis pas rendu compte, que je parle dans ma tête ! Qu’est-ce que
penseront les gens autour ! » Christine tourna la tête et regarda autour d’elle.
Heureusement, ils étaient tous occupés par eux-mêmes. « Ils ne me regardent même pas,
tant mieux ! Il est peut-être temps que je rentre, la pluie va tomber bientôt… » Christine
regarda le ciel et se précipita de monter dans un bus pour échapper aux premières gouttes
de la pluie.
Bill n’avait entendu que la fin de la phrase : « Comment me rendrai-je là-bas ? » Qui
sait pourquoi, Bill comprit tout de suite qu’il s’agissait des îles, citées par la petite voix
d’hier soir, et il reprit le jeu : « Moi, je t’emmènerai ! » mais il se demanda aussitôt : «
Mais qui dois-je emmener ? Moi-même ? Qui d’autre ? Il n’y a personne dans cette
chambre, à côté de moi ? » Et il lança : « Où es-tu, toi ? » Mais à ce moment le téléphone
sonna. Il décrocha :
— J’arrive ! Tu me verras en arrivant, dit-il dans l’appareil. Il faut qu’on en parle !
Tu m’attends à la même heure et à la même place ! Et il raccrocha, prit son blouson et se
précipita vers la sortie.
Le bureau de Bill était aussi spacieux que sa maison, tout respirait l’argent et le luxe.
Il se plongea dans un énorme fauteuil et commença à feuilleter un magazine de mode. Sa
secrétaire lança en rentrant : « On a reçu un e-mail à votre nom. Je sais que vous ne lisez
jamais les e-mails des inconnus, mais il est tellement étrange… Voilà, jugez par vous-
même ! » Elle lui tendit la feuille imprimée et s’éclipsa derrière la porte. Bill jeta la
feuille sur sa table et sortit dehors. La première moitié de la journée s’était passée,
comme d’habitude, sans trop de bouleversements.
La routine cinématographique n’était pas si différente de n’importe quelle autre
routine : les gestes habituels, les gens habituels, les rituels des rencontres qui se
ressemblaient les unes les autres comme deux gouttes d’eau. Toute cette banalité
commençait à ennuyer Bill. « Quoi encore ? Où trouver la satisfaction de la vie ? Plus
d’argent ? J’en ai assez… Plus de femmes ? J’en ai autant que je peux le souhaiter… Un
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
peu d’aventures, peut-être ? Les îles… Ah… si… les îles, mais lesquelles ? »
Bill n’arrêtait pas de penser à ces îles… Mais aucune idée, plus ou moins explicite,
ne lui venait à l’esprit. Son regard glissait par-dessus la table, pleine de papiers de toutes
sortes. « … Tu trouveras sur les îles, ce que tu cherches… », une seule phrase tournait
depuis des heures. « L’obsession ! s’écria Bill. Je commence à les voir partout, ces îles ! »
et il posa son regard sur le papier imprimé et se mit à lire : « Cher Monsieur Bill ! Je sais
que ma lettre va vous paraître bizarre, mais je ne peux pas ne vous faire part de mon
éblouissante découverte ! Nous sommes parents ! »
— Magnifique découverte ! s’écria Bill. Vous ne pouvez pas inventer quelque chose
de plus originale ! Tous ces fans, comment ils me fatiguent !
Mais la ligne suivante accrocha son regard à nouveau : « … Le fait que nous, moi et
vous, nous sommes parents, ne vous paraîtra pas une nouvelle si extraordinaire, mais le
fait que nous sommes tous les deux les descendants du Grand tsar Dimitri, et que nous
sommes tous les deux héritiers de ses biens, se trouvant sur les îles de Noureev, vous
éblouira davantage ! Comment ces biens ont atterri sur ces îles, je vous raconterai, quand
nous nous verrons. Je reprendrai contact avec vous très prochainement ! Paul. »
« Rien d’autre que le Grand tsar Dimitri ! Rien d’autre que les îles de Noureev !
Encore un Russe célèbre ! Mais moi, qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ! Ces fans !
Quelle imagination ! Je les admire ! Ils sont capables de tout pour pouvoir s’immiscer
dans ma vie privée ! » Il jeta ce bout de papier sur la table, en sentant qu’une nouvelle
vague de colère commençait à remonter en lui. Il bascula en arrière du fauteuil, puis se
mit à regarder les pages d’internet très nerveusement, en cliquant sur toutes les fenêtres
sans y prêter d’intention. Bill pensait à une autre chose… « Qu’est-ce que j’ai à voir là-
dedans ? » Une seule pensée tournait dans sa tête…
« Les îles, Noureev… je ne le connaissais même pas ! Un danseur… oui, paraît-il, il
possédait des îles dans la mer Méditerranéenne, en face de la côte Napolitaine… C’est
tout ce que je sais… », Bill n’arrêtait pas de frotter son front. Il pouvait très bien se
débarrasser de ce papier et oublier cette histoire comme beaucoup d’autres, mais la petite
voix intérieure, elle aussi, elle lui avait parlé de ces îles… c’est tellement bizarre…
l’existence de cette voix ne lui permettait pas d’abandonner cette nouvelle, comme
totalement insignifiante.
« Et encore cette idée du tsar ! » Cela ne rentrait dans une aucune explication
logique, car ni Bill, ni ces ancêtres, n’avaient aucun lien avec la Russie, en tout cas,
d’après ce qu’il savait déjà. Et tout cet envahissement subit de consignes très étranges
l’intriguait. Il n’était pas de nature peureuse, et ces événements, il les prenait avec
beaucoup de curiosité, mais rien ne lui indiquait pour autant, par quel chemin il pouvait
avancer pour comprendre quelque chose. Bill décida d’attendre de nouvelles consignes :
« S’ils veulent rentrer en contact avec moi pour une finalité que j’ignore, alors ils vont
insister encore une ou plusieurs fois. Nous verrons ce qu’il adviendra plus tard ! », ce jeu
commençait à lui plaire car, de façon très inattendue, il amenait un léger suspense dans sa
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
routine quotidienne.
La préparation du film devenait un petit peu plus agréable pour lui, mais
personne, ni son entourage proche, ni ses amis ne savaient rien de ce qui s’était passé
avec lui. En plus, Bill n’avait pas grand-chose à leur raconter… « Quoi, il va leur
parler des voix qu’il entend ? Ridicule ! Encore la lettre, c’est une preuve, mais preuve de
quoi ? Il y a tellement de bêtises sur internet ! Et qui est-ce Paul ? » Rien, rien ne
le raccrochait pour l’instant à une logique quelconque de sa vie réelle, c’était
quelque chose d’ordre extra, venu complètement d’ailleurs, mais d’où ? Il n’en avait pas
la moindre idée. Un léger pressentiment, c’est tout. « Mais avec qui tu peux partager ça ?
Avec personne ! » Alors, Bill vivait ses sensations intérieures de façon complètement
autonome.
Mais en même temps, personne ne pouvait dire que la vie de Bill était lente et vide
de tout événement. Tout ce qu’il y a de contraire ! Il était, quand même, l’acteur le plus
demandé et le plus apprécié de toute l’industrie cinématographique. Ses collègues lui
portaient respect et envie, les admirateurs, restant loin, se faisaient sentir quand même par
leurs incessantes lettres, appels, e-mails et toutes sortes d’invasions aux moindres
occasions. Les photographes l’attendaient à chaque cérémonie, son visage remplissait les
pages d’internet, il était partout, il était tout, et il représentait tout pour pas mal du monde
sur la planète.
Mais qui savait que c’était un homme très solitaire, qui voulait être invisible, qui
voulait plus que tout au monde, que les gens le regardent comme un homme quelconque,
que dans leurs yeux il cesse, une fois et pour toujours, d’apparaître cette étincelle
d’émerveillement de la reconnaissance ! Comme tout cela le fatiguait, comme cela le
dérangeait, mais à qui pourrait-il le dire ? À personne! Voilà le drame : à personne ! On
l’aimait pour ce qu’il était et ce « ce qu’il était » était devenu, une fois et pour toujours,
inséparable de son vrai être, son costume extérieur, qu’il ne pouvait plus enlever.
Et, comme toutes les personnes créatives, talentueuses, rebelles, il rêvait de pouvoir
tout changer encore une fois, plusieurs fois, s’il le voulait, changer à l’infini, être maître
de sa propre image, de sa propre vie, tout en concevant ses capacités d’agir, de produire
et de créer les films qu’il aimait profondément. Voilà, les films ! La vie créative ! Elle
était au-dessus de tout autre intérêt, elle l’accrochait à la réalité et quand il réussissait à
sortir un nouveau film, il était heureux.
Mais tourner, sans arrêt, dans une boucle, même luxueuse et pleine de possibilités,
cela reste toujours « tourner dans une boucle » et lui, il voulait aller voir ailleurs. Où ? Il
ne savait pas encore. C’est pour ça que ces nouvelles intrusions ne lui déplaisaient pas,
bien au contraire, il savourait la sensation du renouveau très proche, et chaque instant
d’attente ne l’énervait pas, mais donnait un grand plaisir de quelque chose d’inévitable.
Le soir, Bill se retrouva à nouveau seul, dans sa villa, épuisé par les débats incessants
autour du nouveau film. Les acteurs, les actrices, les décorateurs, les musiciens, les
costumiers, tous étaient demandeurs de conseils, d’opinions, de résolutions. Il était une
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
sorte de « papa » pour un groupe de quelques centaines de gens adultes. Cela lui pesait
parfois. Il aimait se retrouver seul, quand il ne devait plus rien à personne, quand il ne
devait plus apporter de solutions, quand il ne devait pas être toujours « à la hauteur » des
exigences des autres, être toujours « impeccable ». Dans sa solitude, il pouvait se
débarrasser de son masque et ne plus se soucier, oublier complètement l’existence de son
aspect extérieur et s’adonner pleinement à sa vie intérieure, qui était loin d’être pauvre.
Bill devait tout à lui-même : sa carrière d’acteur, ses expériences en tant que
réalisateur, et, enfin, la création de sa propre boîte de production. Tout cela, il ne le devait
à personne d’autre qu’à lui. Il avait l’énorme potentiel créatif qui n’est donné qu’à un
petit nombre de gens, et il s’en servait avec une grande efficacité. Sa carrière avançait sur
une ligne droite, toujours plus haut, toujours plus loin, mais un jour Bill s’aperçut qu’il
avait atteint les limites des êtres humains. Il était bloqué, car rien dans son entourage ne
pouvait plus le stimuler à avancer: il était au sommet ! Mais, inconsciemment, au plus
profond de son âme, il sentait que tout cela n’était pas encore une limite, qu’il pouvait
aller plus loin, beaucoup plus loin…
« Les tsars, les héritiers, les îles mystérieuses… », ces mots flattaient son ego, « Et
pourquoi pas commencer à croire à l’impossible… Comme ça, d’un coup, commencer à
croire et c’est tout. Sans se demander pourquoi, commencer à croire… », il s’endormait
lentement, enveloppé par ses pensées.
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Chapitre 2
Le lendemain de cet étrange échange mental, Christine s’apprêtait à aller travailler.
Elle n’aimait pas se lever tôt, elle était plus tôt quel-qu’un qui adorait danser toute la nuit
et rentrer avec les premiers chants des oiseaux matinaux, pour enfin plonger dans ses
rêves. Se lever à six heures du matin, pour aller s’engouffrer dans les transports en
commun, était pour elle un véritable cauchemar. Avant, au début, elle prenait le métro et,
devant traverser toute la ville sous la terre, elle avait le temps d’observer les gens.
Le désespoir marquait leurs visages, leurs yeux étaient vides de toutes pensées, le
vacuum total s’installait autour de Christine durant ses trajets. Elle savait capter les ondes
des pensées des gens en général, les bonnes, les mauvaises, les pensées qui provoquaient
la réflexion, les pensées agressives, elle captait et comprenait tout. Mais toute absence de
pensées quelconques était totalement insupportable pour elle.
Parfois, quelques rares flashs réflexifs se relevaient au-dessus des têtes et elle
entendait : « Comment gagner plus d’argent ? Comment payer mes dettes ? Comment
faire en sorte que mes enfants ne vivent pas le même cauchemar que moi ? Comment ? »
Et puis le même vacuum. Rien. Pas de réponse. Les yeux, tournés vers le sol, pas de
regards qui se croisent, comme si eux tous, ils avaient honte de se retrouver dans cette
situation tous les jours, tous les mois, tous les ans… Pas de beaux visages, une souffrance
et l’endurance se répandaient dans le wagon.
Au début de ses voyages, Christine s’amusait à regarder les gens, à les entendre, à les
observer, mais quand elle a compris le blocage total de leurs âmes, cela était devenu
insupportable pour elle, et elle s’arrêta de prendre le métro, en s’obligeant de cette façon
à un trajet interminable dans les bus. Ce qui la consolait, c’est qu’elle était au-dessus de
la terre et elle pouvait regarder les paysages.
Ainsi Christine commença à regarder comment se transformait le paysage durant son
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
voyage vers les « couches profondes de la société ». Plus elle avançait, plus les rues
changeaient radicalement d’aspect: les vitrines de luxe disparaissaient, laissant la place à
des magasins de fastfoods mal entretenus, avec des vitres toujours sales. Des grands sacs
de poubelles couvraient le paysage.
Parfois les tas d’ordures ménagères trônaient sur les trottoirs, les gens les
contournaient en riant, sans pourtant les apercevoir. Les maisons devenaient vétustes, les
fenêtres opaques, non lavées depuis des siècles, les vêtements des gens étaient presque «
clochardesques »… Des sacs plastique de magasins, remplis, qui sait de quelles
fringues… On se déplaçait dans un autre monde. Les gens semblaient ne pas avoir
remarqué leur entourage, la pauvreté ne les dérangeait pas, ce qui faisait penser à
Christine, « qu’ils ne connaissaient probablement pas mieux, et certainement pire… »
Cela provoquait un chagrin profond dans le cœur de Christine. Elle pensait sans arrêt
au triste sort de ces gens. Jusqu’à un petit incident dans la rue : elle marchait très vite,
pressée de regagner son lieu de travail, puis elle s’apprêtait à dépasser un homme qui
marchait juste devant elle sur un trottoir étroit. Soudainement, l’homme se retourna, avec
un geste et un regard menaçant. Christine fit un pas à gauche et sentit un fort coup sur sa
tête. Tout de suite elle ne comprit pas ce qui s’était passé. Elle ralentit d’un coup.
L’homme continuait à la regarder d’un air menaçant.
— Pardon, pardon, murmura-t-elle, regardant un gros tuyau d’échafaudage, qu’elle
s’était pris contre sa tête, en essayant d’éviter cet homme. L’homme se calma et se remit à
marcher. Elle comprit que l’agression ne venait pas de cet homme, mais de l’intérieur
d’elle-même.
Christine se remit rapidement de cette émotion, et réfléchit : « Qu’elle n’a pas
le droit d’avoir pitié de ses gens… pitié c’est un sen-timent agressif… ils vivent comme
ça car ils veulent vivre comme ça. Ce niveau de vie, probablement, leur correspond!
Donc, elle doit venir dans ses quartiers sans aucune agressivité par rapport à la pauvreté
qu’elle constate autour. Elle doit l’accepter comme une donnée pour ces gens, dont elle
ne connaît pas la vie… », elle découvrait un monde parallèle à ce qu’elle vivait. Les
valeurs et les exigences dans ce monde étaient, sans aucun doute, très différentes des
siennes, mais cela ne rendait pas pour autant ces gens malheureux… Elle devait
s’habituer à cette idée.
Mais, elle, Christine, elle connaissait une autre vie ! Si différente de ce qu’elle voyait
autour d’elle ! Issue d’une famille bourgeoise, Christine avait connu dans la maison de
son père tout le confort de la vie aisée. Son père ne manquait pas de moyens, entourant
ses enfants, elle et son frère, de tout ce qu’ils rêvaient d’avoir.
Situé au premier étage d’un bâtiment haussmannien, dans un bon quartier bourgeois,
leur appartement était toujours ouvert aux amis de leur rang. La maison était remplie
d’éclaboussures de champagne et de rires. Mais, depuis le divorce de leurs parents, les
enfants, Christine et son frère, avaient quitté pour toujours la maison de leur père, en
partageant le sort de leur mère, qui était partie vivre dans une banlieue, en faisant des
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
économies sur le logement. Pour ses études universitaires, Christine avait déménagé et
vivait maintenant dans un petit appartement charmant aux portes de la ville.
Elle aimait son petit appartement, car c’était son refuge où elle pouvait faire tout ce
qu’elle souhaitait, sans devoir rendre de comptes à personne. Après son travail, qu’elle
n’aimait pas trop, elle se rendait dans son oasis d’imaginations, de rêves, d’un monde
qu’elle avait construit par elle-même.
Ce jour-là, pendant le trajet du retour, elle se souvint de l’histoire qui lui était passée
par la tête la veille, pendant la promenade. Chaque soir, quand elle traversait cette place
pour changer de bus, elle retrouvait soudainement les fils de ses pensées de la journée
passée. Comme si cet endroit conservait toutes les données et les réactivait chaque fois
qu’elle s’y retrouvait.
Cette fois-ci il se passa la même chose. Elle se souvint brus-quement de la
conversation d’hier. « C’est étrange, pourquoi d’un coup je sors cette idée des îles ? Cela
fait si longtemps que je n’ai pas été là-bas… Et qui veut m’emmener là-bas, pourquoi ?
Peut-être que c’est moi qui veux revenir dans des endroits où je me sentais heureuse ?
Mais qu’est-ce qu’il se passe maintenant sur ces îles, je n’en ai aucune idée maintenant…
Et Noureev, cela fait déjà presque vingt ans qu’il est mort. Qui vit maintenant sur cette île
? Elle n’est pas, tout de même, restée déserte toutes ces années ? Je n’en ai aucune idée…
Tout cela est ci loin de moi maintenant. Et maman ne travaille plus avec ces gens-là. Est-
ce qu’ils sont toujours vivants ? En tout cas, si l’occasion s’était présentée d’un coup, je
n’aurais pas hésité un seul instant pour aller voir ce qui se passe sur ces îles maintenant !
»
« Tu sais pourquoi nous sommes invités sur ses îles ? », demanda la voix charmante
d’hier.
« Non, c’est peut-être mes souvenirs, qui me parlent… », répondit Christine.
« Tu as été sur ces îles ?! Comment ?! Quand ? À quoi elles ressemblent ? »,
s’enthousiasmait la voix.
Christine se prêta à nouveau à ce jeu de dialogue mental, elle répondait dans sa tête à
la voix intérieure : « Cela fait bientôt vingt ans, que j’y suis allée avec ma mère et son
ami de l’époque, un Italien. J’avais onze ans, je me souviens de cet endroit magnifique,
plein de magie… Je reviendrais volontiers là-bas, mais je ne sais pas comment… vous en
savez plus ? »
« Je m’appelle Bill, et toi ? »
« Moi, je suis Christine ! Contente de faire votre connaissance ! Vous connaissez ces
îles, puisque vous m’en parlez ? »
« Non, je n’en connais rien, mais j’ai reçu un e-mail très étrange, qui me parle de ces
îles… C’est vous, qui me l’avez envoyé ? »
« Non, non, je n’ai envoyé aucun e-mail à personne, je n’y pense pas depuis très
longtemps ! Je ne sais pas qui ça pourrait être… C’est curieux, que vous m’en parliez
maintenant… j’ai tant de souvenirs de cet endroit ! Drôle de coïncidence ! »
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
« En plus, une voix intérieure m’a parlé de ces îles ! Pardon, je vous raconte mes
histoires, mais je sais qu’à vous, je peux me confier… » La voix devenait plus basse et
plus épaisse.
« Continuez, continuez, cela m’intéresse beaucoup ! » Christine avait retenu son
souffle.
« Enfin une âme-sœur ! », répondit la voix, réfléchissant.
À ce moment le téléphone sonna dans l’appartement de Bill. Il répondit peu
volontiers. La voix dans le téléphone était énervée : « Combien de temps on va
t’attendre ? On va rester ici pendant des heures ? Tu es devenu bizarre ces derniers temps,
Bill ! Cela ne peut pas durer longtemps comme ça ! Prends des vacances, si tu es si
fatigué ! Va sur les îles ! À toute !… Biip, biip, biip… » La voix avait raccroché de
l’autre coté.
« Va sur les îles… Va sur les îles… Va sur les îles… », grommelait la voix, comme
un écho dans les oreilles de Bill.
— Quoi, lui aussi ?! C’est un complot !!! cria Bill, et sa propre voix ricochait d’un
mur à l’autre.
Bill se rassit sur son divan, devant le vase des fleurs fanées et essaya de se concentrer
à nouveau sur sa conversation intérieure, mais la voix ne revenait plus. Il attendait,
attendait, il regardait les fleurs, les rayons sur les pétales tombés, mais la communication
était interrompue. Bill ne s’étonnait plus de rien ! Il était tellement heureux ! Il avait
retrouvé une âme-sœur, si gentille, si confiante, mais où ?! À l’intérieur de lui-même !
« Qu’il essaye de le dire à quelqu’un ! Drôle de risée qu’il risque de provoquer !
Non, il ne le dira à personne, il le gardera comme son plus grand secret ! Ses mystères,
cachés sur les îles de Noureev… c’est si romantique… »
Christine était déçue d’avoir perdu brusquement ce dialogue à l’intérieur de sa tête.
Elle voulait en savoir plus ! Elle était tellement intriguée de cette subite confession d’un
homme, dont elle savait déjà le nom : « Bill ! C’est drôle ! Comme une cloche ! Bill ! Bill
! Bill ! », son nom retentissait dans sa tête.
« Biiiil ! elle l’appelait désespérément. Biiiil !!! »
Mais il ne répondait plus. Elle ressentit d’agréables frissons dans tout son corps,
comme si un homme bien aimé la caressait tendrement. Encore et encore… Elle resta
immobile quelque temps, en s’adonnant à ses sensations, enveloppée tout entière dans les
rayons du soleil couchant derrière les arbres. Les aromates des fleurs se répandaient sur
toute la rue, quelques gros nuages traversaient le ciel avec vitesse, laissant tomber les
gouttes très fines et transparentes, dans lesquelles les rayons du soleil se répartissaient en
mille petits traits scintillants. Christine était heureuse.
Paul se retrouva devant la porte du directeur. Il ne voulait pas aller là-bas, de l’autre
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 21
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
coté de cette porte ! Il était prêt à tout pour essayer d’échapper à ce stupide, de son point
de vue, échange d’opinions. De toute façon, rien ne l’obligerait à aimer et respecter cette
horrible prof, rien ne l’obligerait à aimer les maths non plus. Décidément, tout cela était
complètement inutile !
Et le pauvre directeur, rien que d’y penser, il lui faisait de la peine ! Le directeur était
un homme paisible, un peu dodu, avec une légère calvitie de la cinquantaine. Il portait
des vêtements estivaux, déjà dès le début du printemps, et il semblait qu’il suffisait de lui
rajouter un chapeau en paille pour qu’il devienne un berger parfait ! Il détestait les
conflits et grondait les enfants, seulement, quand il ne pouvait pas y échapper. Les profs
connaissaient ses faiblesses, et, avec un goût sadique exemplaire, ils lui fournissaient les
élèves « à éduquer ». C’était leur petit jeu interne.
Paul n’aimait pas participer à cette « mise à mort » du pauvre directeur qui voulait
cacher sa faiblesse devant les élèves. Puisque, quand il devait lever sa voix, il devenait
tout rouge, tant d’efforts il employait pour cela, ses cheveux montaient, tous électrisés,
son corps tremblait et, dans l’ensemble, il donnait une impression assez pitoyable.
Paul attendit assez longtemps avant de frapper. « Pitié, pitié, qu’il ne soit pas là ! »,
balbutiait Paul devant la porte. Une dame de service, en robe à rayures roses, passait dans
le couloir. Elle le regarda longuement. Paul se sentait obligé de frapper. Rien. Pas de
réponse. Il réessaya. Rien à nouveau.
« Hum… intéressant… Il doit être sorti… je suis sauvé-é-é-é ! », s’écria Paul dans
sa tête. Derrière lui quelqu’un toussa. Paul se fana d’un coup, tout déçu. Il retourna la
tête et vit devant lui son directeur… mais… il était tout transparent !
— Waouh !!! s’écria Paul à haute voix.
Et puis il ne savait plus quoi dire… Il regardait « le directeur » et le directeur le
regardait, lui ! Le temps de silence durait assez longtemps. Paul voyait un certain
étonnement dans le regard du directeur, ses yeux derrière les grosses lunettes étaient
presque pleins de larmes. Paul ne comprenait plus rien ! « Il est devenu un fantôme ?
Alors, où est-il passé le vrai directeur ? »
Paul laissa tomber une logique normale, parce qu’elle ne servait à rien dans ce genre
de situation. Il tenta de réfléchir selon les films de science-fiction qu’il regardait souvent:
« Ce sont les petits bonshommes verts qui se sont approprié l’apparence du directeur, et
ils l’ont emmenée dans leur vaisseau pour les expériences… », cette version lui semblait
la plus logique dans ces circonstances. Mais tout de même il n’osait pas la prononcer à
voix haute.
Au fond du couloir réapparut la dame aux rayures roses, et pendant que le regard de
Paul glissait sur la dame et ses formes généreuses, l’image du directeur s’était dissipée
dans les airs. Paul était légèrement déçu d’être si lâche et de ne pas lui avoir demandé
d’où il venait. Mais c’était trop tard. « Je me préparerai pour la prochaine fois, pour ne
pas être si dupe ! Quel idiot je suis ! Avoir devant soi un extraterrestre et ne pas lui
parler ! Impardonnable, du point de vue des relations diplomatiques intergalactiques ! »
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 22
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Le collège de Paul était un des meilleurs de la ville. Paul était fier d’en faire partie,
mais ses notes n’étaient pas si fières de lui. Il était l’avant-dernier de la classe. Et,
pourtant, il essayait de faire des efforts. Il essayait d’écouter même les profs les plus
dégoûtants, mais chaque fois quelque chose lui détournait son intention. Son meilleur
pote, Thomas, le faisait éclater de rire à chaque fois quand la prof expliquait quelque
chose d’extrêmement important. Comme par hasard, son stylo éclatait pendant la dictée et
les papiers avec les récits à apprendre se volatilisaient par eux-mêmes.
Paul se moquait pas mal des études et se réjouissait du fait d’avoir plein d’amis, de
se balader avec eux dans les grands couloirs de ce vieux bâtiment, de regarder fleurir
les arbres et de vivre pleinement sa vie de garçon de douze ans. L’avenir ne lui pesait pas,
et, justement, ce fait faisait de lui un très bon observateur. Il remarquait tout ce qui se
passait dans son collège, il comprenait tous les rapports de force entre les enseignants et
les élèves, ce qui le rendait dangereux aux yeux de ses profs. Et ils le laissaient vivre, en
ne le grondant que de temps en temps.
Les enfants sentaient, eux aussi, son privilège et le respectaient encore plus. Paul
n’était pas du tout un garçon à part. Bien au contraire, il était le cœur et l’âme de tous ses
copains, il les aimait et ils lui répondaient avec les mêmes sentiments.
Au moment où Paul se libéra de sa vision, la sonnette du collège retentit. Son bruit
très fort le ramena à la réalité, à ses devoirs, à ses copains et il se précipita à rejoindre sa
classe:
— Salut, les potes ! Je m’en suis bien sorti cette fois-ci ! Notre directeur s’est
dématérialisé devant mes yeux ! Si vous aviez vu tout ça ! À mourir de rire !
— Oui, oui, c’est ça ! Raconte des babars ! Il a tellement crié qu’il a fini par exploser
! Ha ha ha !!!!
— Bon, laissez tomber ! Paul ne voyait pas, par quels arguments il pourrait éprouver
la vérité de ses mots, et, connaissant bien ses copains, il ne voulait pas non plus passer
pour un visionnaire. Tout le monde dans sa classe jouait aux jeux vidéo, tout le monde
avait de temps en temps des visions et des cauchemars provoqués par ces jeux. Il décida
de changer la conversation, avant qu’elle ne déraille.
La journée était incroyablement ensoleillée ce jour-là. Paul avait décidé de marcher
jusqu’à la maison. Traînant derrière lui son sac, plein de livres d’école, il regardait
comment les habitants de la ville se préparaient au printemps. Certains peignaient leurs
façades, d’autres lavaient leurs voitures, ou encore se promenaient, se fringuant avec les
tout nouveaux articles des boutiques, d’autres se délectaient en terrasses autour de leur
bière, cachés derrière des grosses lunettes de soleil.
Paul aimait observer les gens, il inventait leur vie, leur profession, leurs amis,
parfois se construisant une longue histoire avec beaucoup de personnages. Comme sa
mère était toujours absente, il se nourrissait de la vie autour de lui, et en cela il réussissait
mieux que tous les garçons de son âge. Mais il n’était pas pour autant un garçon de la rue.
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 23
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Il ne traînait jamais avec les garçons de son immeuble, jouant toutes les soirées au foot
devant les fenêtres. Dès qu’il débarquait à la maison, il s’installait devant son unique
jouet adorable, son ordinateur, et commençait ses vagabondages dans les espaces de jeux.
Cet espace virtuel englobait sa vie domestique. Il ne voyait plus les quatre murs de sa
chambre, mais des immenses espaces où il pouvait explorer à l’infini. Son amusement
principal était de chercher les trésors sur les îles des Pirates.
Un jour, l’un de ses cojoueurs lui avait parlé d’une île dans la mer Méditerranée,
entre l’Italie et la Tunisie, où, paraît-il, étaient cachés des trésors des tsars russes. Cette
île avait appartenu longtemps à des danseurs russes, chargés de protéger ces trésors,
confiés par le grand tsar Dimitri. Mais depuis la mort du dernier des danseurs, cette île
n’appartenait plus à la grande dynastie des Russes, et le destin de ce trésor demeura
inconnu à ce jour…
Paul, toujours curieux de tout, avait fait sa propre recherche sur internet et avait vite
découvert les noms de tous les danseurs possédant les îles de Galli en face de la côte
Amalfitaine. Il avait été étonné de la précision que lui avait donnée ce joueur inconnu.
Paul se rendit à nouveau dans le jeu et attendit toute la soirée le joueur mystérieux.
Quand il apparut, Paul, courant auprès de lui sur un pré virtuel, lui raconta les résultats de
ses recherches.
Soudain, un autre joueur s’arrêta devant eux, écoutant attentivement leur
conversation, et dit : « Je cherche depuis longtemps un certain Paul, expliqua le deuxième
joueur, il est le seul héritier de ces Mystères des îles de Noureev. C’est une vieille
légende. Je ne sais pas pourquoi, mais j’y crois. Ce ne sont pas des trésors, mais ce sont
les Mystères, bien plus grands que les simples trésors, ils ouvrent des grandes
Connaissances. Mais je n’en sais pas plus. J’avais fait de longues recherches et, en
arrivant à un bon point, j’ai trouvé un manuscrit qui m’a dit que je ne pouvais pas aller
plus loin. Ce chemin est réservé à un nombre très strict de gens sur la Terre. Parmi ces
noms il y avait celui de Paul qui devrait trouver un certain Bill, et ensemble, ils pourront
ouvrir ce mystère à l’Humanité… »
Le premier joueur répliqua: « Mais il y a des milliers de Paul et de Bill sur la
planète ! Ils sont tous les heureux possesseurs des Pouvoirs Suprêmes ? »
« Non, ils ne sont que deux, mais on ne sait pas lesquels. Voilà, le plus grand
problème ! », répondit le deuxième.
« Et comment pensez-vous vous apprêter à ces recherches ? », s’intrigua le premier
joueur, pendant que Paul écoutait silencieusement cette savante conversation sur le terrain
du jeu d’internet.
« Je ne sais pas, je suis coincée… »
« Vous êtes une femme ?! », s’écria le premier joueur, car devant Paul, sur l’écran, se
trouvait un grand Trolle barbu.
« Oui, je suis une femme, et ces recherches m’ont poussée à aller dans les espaces
virtuels, j’espérais y trouver ma réponse… Et pour mon apparence de Trolle… rien de
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
très compliqué, j’avais moins de chances de me faire défoncer par mes adversaires… Et
c’est plus drôle comme ça, déguisée ! »
« Comment tu t’appelles alors ? », demanda le premier joueur.
« Caroline ! »
« C’est ton vrai nom, ou un nom de ton Trolle ? », insista le premier joueur.
« Oui, oui, vrai, j’ai rien à cacher, et toi, tant que tu y es ? »
« Moi, c’est Kim ! Et notre ami, tu es encore là ? On ne t’entend pas du tout… Ah
hou ! »
« Je suis là ! Paul… mon vrai nom est Paul… » Une petite note de silence instantané
s’était installée sur le jeu. L’écran de l’ordinateur réfléchissait…
« Mmm… », commença Caroline en rompant le silence, on sentait qu’elle
réfléchissait fortement.
Le premier, Kim, reprit son souffle virtuel :
« Écoute ! Et si tu as une chance sur cent mille et que tu es le vrai Paul, à ta place je
l’aurais tenté… Même si tu te plantes, quelle aventure ! Au moins, tu as visité les îles de
Noureev ! Vas-y ! Je parie sur toi ! »
Paul l’écoutait en réfléchissant à comment il pourrait s’y prendre pour une telle
aventure, et qu’est-ce qu’il aurait expliqué à sa mère…
« Attendez, les garçons ! Si j’ai bien compris, l’un d’entre nous est Paul ! Moi, je ne
suis pas Bill, mais j’en connais un… et si on tentait l’impossible ! Mon boss s’appelle
Bill, il est très caractériel et imprévisible, mais il pourrait peut-être s’accrocher à l’idée…
bon, s’il n’est pas le vrai Bill, et, toi, tu n’es pas le vrai Paul, ou l’un de vous deux ne l’est
pas… en tout cas, il est celui qui pourra organiser notre voyage, c’est un mec qui sait tout
faire ! »
« … Bon, intervint Kim, les chances sont tellement infimes mais, de toute façon,
même si on se plante, on aura fait le plus beau voyage de notre vie, on s’amusera et peut-
être, qui sait, on découvrira tout de même ses mystères… Moi, je suis partant ! Et, toi,
Paul, qu’est-ce que tu en penses ? »
« Reste à convaincre votre Bill, moi, je marche ! », souffla Paul.
« Moi, je m’engage de convaincre mon boss… Tiens, Paul, tu vas lui écrire une petite
lettre dans laquelle tu lui révèles ton plus grand secret, et moi, je vais la lui transmettre…
Et, pour qu’il y croie davantage, on lui dira qu’il est le descendant des tsars russes, il est
tellement vaniteux, que cela devrait marcher ! Hein ? On le fait ? »
« Pour le tsar je ne sais pas, fais comme tu le sens, tu le connais mieux que moi, ton
boss… Écris-lui de ma part, d’accord ! Déjà, c’est une sacrée aventure ! Salut ! À plus ! »
Paul coupa l’ordinateur.
Bill sortit de sa maison et, au lieu de se diriger vers ses Studios, il prit la direction du
quartier commercial et s’arrêta devant un magasin de fleurs. « Puisque je ne peux pas
t’envoyer des fleurs, ma chère nouvelle amie, je les poserai là, où je peux converser avec
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
toi, où je me sens le plus proche de toi ! » Il rentra dans le magasin, plein d’arômes de
toutes sortes : les parfums sucrés des roses, les parfums aigres-doux des plantes
tropicales, l’odeur de la terre dans les pots et une fine senteur des herbes de la campagne
l’ont frappé dans le visage.
— Des tulipes, des roses, des magnolias, des lys et quelques feuilles de bambou !
télégraphia Bill à la vendeuse.
— C’est pour la maison ou pour offrir ? demanda-t-elle d’une voix indifférente.
— Pour la maison, non… pour offrir… enfin, non, pour offrir à la maison !
— Il faut que vous vous décidiez enfin ! Elle ne comprenait pas et elle ne pouvait pas
comprendre que Bill ne le savait pas lui-même! Mais il voulait faire ce geste, à qui ? Il ne
le savait pas…
Quand il sortit du magasin, il se sentit à nouveau léger, sans devoir se justifier à
personne, il était à nouveau heureux dans ses sensations d’aventure débutante. Avec qui ?
Il s’en moquait complètement ! Il portait les fleurs à celle qui comprenait son âme et cela
était suffisant pour l’instant !
À la maison, Bill posa soigneusement toutes les affaires. Il passa du temps à laver le
vase, à couper passionnément les bouts des tiges, et puis il les plaça dans un grand
bouquet décoratif comme un bon spécialiste japonais. Il était rentré dans un tel état de
méditation, qu’il n’entendait plus les appels incessants de ses collègues du travail. Il était
bien ailleurs.
« Pourvu que ça marche cette fois-ci ! Je voudrais continuer à parler avec elle ! »,
pensait-il en fixant les fleurs. Il était onze heures du matin, les Studios se déchaînaient
derrière l’appareil téléphonique. Il ne les entendait pas.
« Christine, réponds ! S’il te plaît ! Je suis prêt à t’entendre ! Je t’en prie ! »
« Je suis là… j’ai eu le temps de rentrer chez moi, tu étais où ? » Il entendait de la
joie, mal cachée, dans la voix de Christine.
« Oh ! Tu es là ! Je suis allé te chercher des fleurs, beaucoup de fleurs, tu aimes les
fleurs ? »
« Je les adore ! »
« Tu m’as manqué, j’avais peur de ne plus te retrouver en revenant… Mais dis-moi,
pourquoi, quand je te demande de me parler de toi, tu disparais ? »
« Mais c’est toi qui as disparu brusquement, j’allais te raconter mes voyages sur les
îles… »
« Oui, oui, on en était là ! Je t’écoute ! »
« Ma mère avait à l’époque un ami italien, il travaillait avec Noureev pour ses
spectacles grandioses, et elle m’emmenait partout où elle allait. Un été on est passé sur
les îles. Elles ne sont pas très grandes, ces îles, d’une matière rocheuse, probablement
d’origine volcanique. Elles sont trois : une grande, deux kilomètres de longueur, et deux,
toutes petites, comme des satellites. Des pièces du décor dans la surface de la mer. Ces
îles, je me souviens bien, elles étaient remplies de mystères. Noureev ne voulait pas en
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
parler en ma présence, et ma mère m’expliquait que j’étais encore petite pour tout savoir.
Apparemment, elle savait beaucoup de choses, mais je ne lui ai jamais demandé de me
raconter plus… il faut que je lui pose quelques questions, si cela vous intéresse
tellement ! Voulez-vous ? »
« Oui, oui et comment ! Mais où habite maintenant votre mère ? »
« Elle habite dans le sud-ouest de la France. Je pourrais aller la voir ! »
« Puis-je vous accompagner ? »
« Mais vous m’accompagnez déjà partout, où que je sois ! Vous n’avez pas besoin de
me demander, vous êtes le bienvenu ! » Christine se mit à rire.
« Oui, je n’ai pas osé de… »
« De quoi… »
« De vous demander plus…, j’ai tellement peur de vous perdre ! Non, laissons pour
l’instant tout à sa place ! Allez voir votre mère, je vous suivrai… »
« Mais quoi, au juste, avez-vous voulu me demander tout à l’heure ? Pas tout de
même… »
« Non, bien plus que ça ! Mais j’ai peur que nous ne soyons pas encore prêts… »
« Je vous écoute… »
« Je veux vous accompagner, mais… là-bas, en vrai… en moi, en personne, en tant
qu’homme réel… en chair et en os… je suis pas mal ! D’après ce qu’on dit… », il rit
légèrement.
« Je n’ai pas pensé à cela… je dois réfléchir encore… laissez-moi un peu plus du
temps… je vous embrasse, à bientôt ! Venez me voir quand vous voulez… » et elle
disparut. Il ne l’entendait plus… plus rien…
Bill se releva de son divan en furie, en criant seul dans son salon:
— Elle m’embrasse ! Je vais l’accompagner ! Mais qu’est-ce que je dis ! Elle n’est pas
réelle ! C’est mon imagination qui parle ! Comment je peux m’accompagner moi-même,
mon imaginaire, qui est déjà en moi ! Non ! Non ! Ce n’est pas possible !… Pourtant, elle
me semblait si proche…
Il sortit en courant de son appartement et sauta dans sa voiture de sport. Une fois sur
le free-way, il ne s’était pas rendu compte, que le tableau montrait déjà les deux cents…
les deux cent vingt… deux cent vingt-cinq à l’heure… Juste que le volant tremblait dans
ses mains et le vent hurlait derrière les vitres. Il ne voulait plus penser à rien, il ne voulait
plus savoir si elle était réelle, ou bien non ! Dans les deux cas, les deux possibilités
l’effrayaient.
« Si elle n’était pas réelle, si elle n’était que le produit de son imagination, alors, il ne
la verrait jamais ! Mais son désir de la voir était si réel, si fort, si saisissable, qu’il ne
pouvait plus imaginer un seul instant que ce serait impossible… Mais… si, par hasard…
elle… » Il ne laissait pas rentrer cette idée dans son conscient… mais, de plus en plus,
gardait la porte entrouverte…
« Si elle est réelle… cela veut dire qu’il communique avec un être humain à l’autre
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
bout de la planète uniquement par la force de sa pensée !!! Cela dépassait complètement
tout ce qu’il savait jusqu’à là ! À un fort sentiment de bonheur, issu de cette belle
présence dans sa vie, se rajoutait, alors, un sentiment nouveau, auquel, il ne savait pas,
s’il devait être content ou non… Il brûlait d’impatience et de peur de découvrir « Qui elle
est ?! Où elle est ? Pourrait-il la voir un jour ? »
Toutes les préoccupations de travail étaient passées au deuxième plan, Bill était
obsédé par le désir de savoir. Dans ce désir il y avait tout : une forte envie de se retrouver
enfin en harmonie avec quelqu’un qu’il pouvait déjà appeler « l’âme-sœur », l’envie
brûlante de partir en voyage à la découverte de l’inconnu, de découvrir en lui-même des
pouvoirs extraordinaires, qui lui donnaient le vertige ! Tout cela ensemble !!!
« Mais elle n’a pas dit “non”… songea-t-il. Elle aurait pu tout de suite me dire
d’arrêter de penser à l’impossible… Elle ne l’a pas fait… Donc, elle pense que c’est
possible… alors elle est consciente de ses pouvoirs… ou c’est moi qui me réponds moi-
même… »
De toutes ses pensées incompréhensibles, il avait commencé à avoir un horrible mal
de tête. La voiture, semblait-il, roulait par elle-même et, heureusement, il était seul sur ce
bout d’autoroute.
Peu à peu Bill revint à lui, le mal de tête s’estompait et laissait la place à une
appréciation de la situation. Il s’était rendu compte qu’il roulait à deux cent vingt-cinq à
l’heure, et, grâce à Dieu, il n’y avait pas beaucoup de virages, et, s’il ne ralentissait pas,
ce serait son dernier voyage…
Il commença à appuyer sur la pédale du frein, le bruit diminuait derrière les vitres, le
volant tremblait de moins en moins, et les images commençaient à apparaître à gauche et
à droite de la voiture. La voiture ralentissait jusqu’à quatre-vingts à l’heure. « Une Force
me protège ! », se dit-il en arrivant aux portes des Studios.
Le calme qui régnait dans les environs des Studios le surprit. Il se demanda : «
Qu’est-ce qu’il se passe ? » Normalement à son arrivée des dizaines de gens lui sautaient
dessus, l’arrachaient de la voiture et lui exigeaient des réponses immédiates à des milliers
des questions. Personne.
Comme si l’Univers avait entendu sa demande, et le monde entier le laissait en paix.
Tout de même, il voulait savoir à quoi était dû ce changement, car il ne croyait pas du
tout au fait que l’Univers puisse avoir des oreilles pour l’entendre, et, d’autant plus,
réagir en si brefs délais.
Bill rentra dans le bâtiment : sa secrétaire était en place, comme toujours. Lui jetant
un rapide « bonjour », Bill passa dans son bureau. Sur sa table, comme d’habitude,
régnait un grand désordre, car Bill empêchait tout le monde de s’approcher de ses papiers
et les ranger, et comme il n’avait pas non plus le temps pour s’en prendre à cette
montagne, elle ne cessait de croître. Tout était comme toujours, sauf que le téléphone ne
sonnait plus comme un fou, et la secrétaire ne rentrait pas toutes les deux secondes pour
lui introduire des clients indésirables.
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Bill décida d’attendre et de voir ce qui allait se passer. Il ne se passait rien. Ce qu’il
trouvait agréable au départ, commençait à l’ennuyer légèrement : « Personne n’a plus
besoin de lui ? » Il ne pouvait pas être viré, car les Studios étaient les siens. Ils ne
pouvaient pas être fermés, car c’était un jour de travail, et personne ne pouvait donner
l’ordre à sa place. Quoi donc ? Une révolte ? Un mini-coup d’État ? Cela devenait très
curieux. Il sortit dans le couloir. Personne. Il rentra dans le bureau de la secrétaire. Elle,
semblait-il, ne le voyait plus.
— Bonjour, commença Bill, hésitant.
— On s’est déjà salué, Bill ! Vous ne vous en rappelez pas ? Son ton très calme et
quotidien lui paressait bizarre.
— Il s’est passé quelque chose ?
— Ici ? Non, tout va bien, l’équipe est partie pour les repérages, Bill.
La lourdeur tomba de ses épaules : « Apparemment, tout va bien ! », mais quelque
chose dans l’air continuait d’être, quand même, très étrange.
— Vous allez bien ? Il ne savait pas par quoi commencer.
— Oui, je vous en prie.
— Mais de quel diable vous me répondez de cette façon ! commença à s’énerver
Bill. Dites-moi enfin, qu’est-ce qu’il se passe ?!!! Il tournait autour d’elle comme un
vautour.
La secrétaire avait l’air impassible et répondait très calmement :
— On a décidé de vous offrir des vacances, Bill. On s’est réuni et on a décidé de
continuer le film sans vous, car votre état de santé nous inquiète beaucoup. Donc vous
devez vous reposer. Voilà, les billets pour Paris, Séoul et l’Italie, dans un premier temps,
après, si vous décidiez de changer votre itinéraire, vous pouvez le faire à tout moment, je
suis là pour assurer le succès de l’opération… pardon, de votre voyage ! Bonne route,
Bill ! Vos hôtels sont tous réservés, vous trouverez tout dans ce dossier, vous n’avez qu’à
faire vos bagages ! Et bon retour, Bill !
Elle lui tendit le paquet avec les réservations et les cartes bancaires et, comme avant,
avec un grand calme, elle se remit à regarder l’écran de son ordinateur.
— Au revoir, répondit Bill, quittant le bureau de sa secrétaire dans un total
abasourdissement.
Un moment il voulut revenir, crier, s’imposer, s’indigner de cette décision collective
derrière son dos, mais un léger ruisseau de plaisir apparut dans son ventre. Il revenait
encore et encore et devint enfin bien fort et saisissable. Bill était prêt à sauter de joie : « Il
était libre ! Libre comme il ne l’avait jamais été auparavant ! Jamais ! Comme si,
l’Univers, comme un immense génie, avait comblé son plus grand rêve, lui donnant la
liberté au moment où il la souhaitait plus que tout au monde !
Sortant de son bureau, Bill prit sur la table et jeta dans sa poche le bout de papier
avec l’e-mail imprimé, et se dirigea vers sa voiture. La journée était belle, calme,
ensoleillée, comme presque tous les jours dans cette région, rien ne lui promettait de
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LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
grands événements. Mais le petit ruisseau dans son ventre lui rappelait que quelque chose
s’était passé quand même entre-temps. Pour l’instant il ne voulait plus y penser. Ce
ruisseau lui était suffisant pour sentir un léger sentiment se répandre dans son corps.
Revenant à la maison, Bill décida, quand même, de regarder l’heure du départ : «
C’était pour ce soir ! » Tous les ponts à la désertion étaient coupés, maintenant ou jamais.
« Mais comment elle avait deviné le trajet de mes destinations ? », se demanda-t-il, jetant
les chemises en soie dans la valise.
« Et pourquoi Séoul ? On n’a jamais parlé de Séoul ? Paris non plus ? Oui, les sites
touristiques de l’Europe et de l’Asie… l’Italie aussi… bon, c’est peut-être une simple
coïncidence. Je commence à perdre les pédales en voyant des signes partout ! Il faut
partir au plus vite, avant que quelque chose ne me retienne ici ! » Il jeta son dernier
regard sur les fleurs, les prit dans la main, et sortit dehors sans la moindre hésitation.
Christine roulait dans le TGV en direction du Sud-Ouest. La question que lui avait
posée Bill, la tourmentait : « Elle savait déjà qu’elle le verrait bientôt et qu’il
l’emmènerait sur les îles de Noureev, mais elle ne savait pas quand et comment ils se
rencontreraient. »
« Mais on aurait pu prendre le rendez-vous hier! Il me le demandait… » Cette idée
de passer au réel lui faisait légèrement peur, mais juste un peu, Christine ne doutait plus
de l’existence de Bill.
Mais elle ne savait rien sur Bill, ni qui est-il, ni où habite-t-il, ni quelle langue parle-
t-il ! Elle ne savait rien ! Et ce « rien » retardait sa décision sur le rendez-vous. « Ce
n’est pas pour demain, se disait-elle, et c’est déjà bien ! J’ai encore un peu de temps
devant moi. Et il faut que je demande pas mal de choses à ma mère, sur tout ce que m’a
demandé Bill. Mais comment je raconterai à ma mère, qui est Bill, et comment il m’a
raconté tout ça ?! Oh, encore une énigme… », réfléchissait Christine en regardant les
paysages filants.
« C’est si agréable de parler avec lui, de l’entendre, de sentir sa constante présence,
mais comprendre tout ça, c’est un véritable casse-tête ! Pour ma mère il faut que j’invente
une explication un petit peu plus crédible… Sinon, elle va s’inquiéter pour rien. Ce n’est
pas de sa faute si elle est née avant que toutes ces méthodes commencent à apparaître, et
que je fais partie des gens qui comprennent déjà un petit bout. D’accord, je suis encore
très loin de la vraie compréhension… rien que le fait que j’hésite avec Bill… mais si
j’avais réussi à me débarrasser de cette fatigante hésitation, et si je commençais à voir les
choses avec les yeux d’un enfant qui accepte tout, même l’incompréhensible et
l’inimaginable ? Les enfants ont plus de chance que nous dans tous ces apprentissages !
Ils ont moins de blocages dès le départ. » Elle regardait les champs de blé à travers la
fenêtre du train.
« Oui, il faut que j’arrête de me poser ces questions, que j’accepte Bill comme une
donnée, une réalité. Et comment il viendra dans ma vie, cela n’a plus aucune importance.
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 30
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Laissons l’Univers agir pour nous ! Et que la Force nous guide ! » Elle s’approchait de la
gare de sa destination.
Les fortes senteurs du Sud l’avaient frappée au nez, dès que Christine avait quitté le
train. Sa mère l’attendait sur les quais.
— Maman, j’ai passé un voyage fantastique ! Le train a été si rapide que je n’ai
même pas remarqué le temps passé !
— Quelle exaltation pour un simple trajet, ma fille !
Christine comprit qu’il fallait cacher légèrement ses sentiments envers Bill, sinon sa
mère aurait commencé à lui poser des questions, pour lesquelles elle n’avait aucune
réponse : « Combien il gagne, a-t-il des enfants, a-t-il un métier stable ? »
Toutes ces questions n’avaient aucun sens pour l’instant. « Pour l’instant… », se
répétait-elle.
— Maman, je suis si contente qu’on soit à nouveau ensemble ! Je suis tellement
fatiguée de la ville. La vie dans la campagne est si agréable !
— Oui, on se sent plus près du sens de la vie, lui répliqua sa mère, et ses paroles
retentissaient avec force dans la tête de Christine : « Oui, on se sent plus près… On se
sent plus près ! »
Bill s’approchait de l’aéroport de Paris. L’hôtesse de l’air annonçait l’atterrissage
avec une voix très douce, leur demandant avec un léger accent français « d’attacher leurs
ceintures ».
D’un coup, il se demanda : « Mais quelle langue parle Christine ? » Avant, cette
question ne lui était pas passée par la tête, il la comprenait, c’est tout… Encore un doute
se glissait dans sa conscience. Il commençait à se rebeller contre sa conscience, si rigide
et si contestatrice !
« Pourquoi sa conscience ne le laissait pas en paix avec lui-même à vivre cette
expérience extraordinaire ? Pourquoi elle ne se tait pas et ne lui laisse pas la possibilité de
découvrir tout, pas à pas, quel que soit le résultat ? Pourquoi elle veut être si pressée à
connaître la fin de l’histoire qui n’a même pas encore commencé ! Fiche-moi la paix !!!
», cria-t-il dans sa tête, en s’adressant à sa conscience.
De l’extérieur, il avait l’air tellement agité que l’hôtesse de l’air lui a demandé s’il ne
voulait pas boire quelque chose ?
— Oui, oui, du whisky, un double ! Il essayait de prendre l’accent français.
L’hôtesse de l’air lui fit un grand sourire :
— Vous avez un rendez-vous par internet ?
— Oui, en quelque sorte, a-t-il dit avec effort.
— On voit beaucoup de gens s’agiter comme ça, comme vous, ici, dans les airs;
après ils reviennent, très souvent, beaucoup plus raisonnables. Mais il ne faut pas
désespérer, peut-être, vous êtes unique dans l’Univers ? Et vous aurez votre chance !
— Peut-être… lui répondit Bill, souriant.
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 31
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
— Vous ressemblez beaucoup à un acteur américain… que j’aime beaucoup…
— Non, non, souvent on me prend pour lui ! se précipita à répondre Bill. On m’a
même demandé si je ne voulais pas être son sosie ! Mais non, désolé… c’est pas lui…
— Dommage, sinon, je vous aurais demandé un autographe ! Pour ma fille, bien sûr !
« Heureusement, on va atterrir », a pensé Bill. Il n’avait guère envie de donner des
autographes à tout le salon de l’avion.
Dans son hôtel, où les fenêtres donnaient sur le grand jardin des Tuileries, Bill avait
remarqué un petit mot qui l’attendait sur la table. Dans une enveloppe en papier spécial,
sans le timbre de la poste, il se reposait sur la surface vernie. « Encore des lettres des fans
! Non, je la lirai plus tard ! », se dit Bill en se dirigeant vers le grand canapé au fond du
salon de sa suite.
Sur la petite table basse il y avait un grand vase avec le magnifique bouquet de roses,
offert, probablement, par la direction de l’hôtel car ils devaient être fiers de recevoir une
telle vedette dans leurs murs. Le numéro de sa suite était impeccable : des tableaux de
Renoir dans des cadres dorés, de magnifiques services de porcelaine fine dans les
vitrines, des divans, des tapisseries des Gobelins, des tapis persans couvrant le parquet…
tout correspondait parfaitement à son goût californien !
Bill a sorti de son sac de voyage le bouquet de ses fleurs, à peine vivantes, puis il a
enlevé les roses de leur vase et a mis ses fleurs à la place. C’était l’heure du crépuscule, le
soleil tombait vers l’horizon, et les rayons bas se glissaient juste sur la table avec son
bouquet dessus. Il a regardé sa montre, elle montrait dix heures du matin.
« Mais, oui ! J’avais oublié de changer l’heure, il est temps de la conversation… Où
est-elle ? Elle sera si contente de savoir que je suis arrivé ! » Il devenait très impatient à
l’idée de la voir, peut-être, déjà ce soir ! Le sang pulsait dans ses trempes, la tension
montait, il n’arrivait pas à se calmer.
Bill buvait de plus en plus de whisky, en regardant le soleil se coucher, et il pensait
que : « Peut-être, ce n’était qu’une hallucination de la fatigue, due à son travail, et qu’il
faudra qu’il se repose avant de devenir complètement fou… » Doucement il s’endormit
après la longue nuit passée dans un avion, comme il était, sur le canapé, devant ses fleurs
d’Amérique…
Christine était contente que sa mère se montrât discrète, sans la tourmenter avec des
questions sur sa vie privée. Christine n’aimait jamais ces questions, surtout de la part de
sa mère, car elle n’avait pas grand-chose à lui répondre. Sa vie était un chaos continu de
rencontres qui terminaient toujours mal.
Elle n’avait plus ni force, ni envie de rassurer sa mère, que cette fois-ci… ce sera le
bon… Non, cette fois-ci, ce sera toujours la même chose. Pas de boulot intéressant, pas
de mec intéressant, elle se considérait déjà, à ses 31 ans, une femme totalement ratée. Et
elle ne pouvait pas, tout de même, raconter à sa mère, que son unique consolation était
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 32
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
dans ses histoires imaginaires, qu’elle consommait, comme une vraie vie.
« Comment je vais attaquer la conversation sur les îles ? Elle a peut-être déjà tout
oublié… », pensa Christine.
— Maman ! dit-elle à voix haute, viens ici, on va admirer le coucher du soleil, cette
colline ouvre un paysage si magnifique ! Maman… je ne sais pas comment t’expliquer, et
ne me demande pas pour l’instant de te donner des explications… Mais quelqu’un m’a
parlé des îles de Noureev… tu te souviens, on a été là-bas, quand j’étais petite ?
— Des mystères des îles de Noureev… a repris sa mère avec une voix basse et
mystérieuse, juste au moment où le soleil a touché la ligne de l’horizon. Qui est-ce qui t’a
parlé de cela ? Ah, tu ne veux pas que je te demande… d’accord. La mère se plongea
dans des souvenirs profonds. C’est une vieille légende. Noureev nous l’a racontée :
Il y a très longtemps, les païens russes ont transmis au grand prince Vladimir des
Connaissances. Sous quelle forme, personne ne le sait. Les grands princes les
transmettaient d’une génération à l’autre, en les gardant dans un secret total. Personne,
à part les familles royales, ne connaissait leur existence. Le grand tsar Dimitri, ayant
peur des persécutions de la part de révolutionnaires, a confié ses Connaissances à un
danseur du ballet russe, en l’aidant émigrer en Europe. Le grand tsar a financé lui-
même son voyage et le reste de sa vie, ce danseur a vécu dans le luxe et la gaîté. Ne
pouvant pas garder ces Connaissances dans la ville, ce danseur les a déplacées sur une île,
complètement isolée dans la mer méditerranéenne, en face de la côte italienne. Mais ce
n’est pas tout ! Paraît-il, que le grand tsar avait encore un autre trésor de sa vie. C’était sa
fille Alexandra, une jeune actrice, qu’il a cachée longtemps dans les provinces profondes
de la Russie. Elle vivait loin de la cour, dans une petite ville de Sibérie. Elle était si belle
et si talentueuse, que ses admirateurs, sans connaître sa haute provenance, lui faisaient
des portraits, l’un desquels est resté intact dans les archives de son théâtre. Sur ce portrait,
on voit bien une bague avec un grand rubis, que lui a offert son père. Quel est le destin de
cette actrice de la province, on ne le sait pas précisément. Les années de communisme ont
effacé toutes les traces. Mais, peut-être, maintenant, il sera possible de savoir ce qu’elle
est devenue, la belle princesse Alexandra. Les yeux de la mère se couvrirent de larmes.
Elle se releva et partit vers la maison.
— Mais comment tu sais tous ces détails, maman ? s’écria Christine, dès que sa mère
réapparut à la porte.
— Voilà, cette bague ! Et elle tendit à Christine une belle bague ancienne, ornée
d’or, avec un immense rubis rouge ! Il était magnifique ! Il changeait de couleur sur
toutes ses facettes, tantôt il devenait noir profond comme la nuit, tantôt il s’éclatait d’un
clin d'œil orange, vif comme le feu, tantôt il luisait de l’intérieur d’une profonde lumière
rouge.
— D’où l’as-tu, maman ?
— C’est le cadeau de ma grand-mère. Je ne savais rien sur la provenance de cette
bague. Elle ne m’a rien dit. Quand j’étais chez Noureev, il a aperçu cette bague sur ma
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 33
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
main et il m’a demandé de la lui montrer. Il était très ému en la regardant… Puis, il partit
dans ses salons et revint avec un autre rubis, plus grand, orné de la même manière que la
bague, mais en forme de médaillon : « Ce rubis m’a été confié par mon prédécesseur, il
l’a reçu du grand tsar Dimitri, de ses propres mains. Il protège les Connaissances. Et
l’autre rubis a été destiné à protéger sa fille bien aimée et ses descendants, qui font partie,
eux aussi, des Connaissances. »
Christine a ressenti un fort frisson.
— On fait partie des Connaissances ! Et tu ne m’as jamais rien dit! Maman !
— Je pensais que tu pouvais mal le prendre… ton père ne le savait pas non plus… En
plus, Noureev m’a mis en garde de ne pas révéler les Mystères à tout le monde. Il a dit
que le temps n’est pas encore venu. Il fallait attendre le signe suprême de deux
prophètes…
— Mais tu aurais pu me prévenir, quand même !
— Prévenir de quoi, ma fille ?
— De la venue du prophète, car l’un est déjà là !
— Où, là ?
— Ici, sur cette Terre, et je lui ai parlé ! Tu comprends maintenant, maman ! Il m’a
dit qu’il m’emmène sur les îles, les îles de Noureev, et que là-bas, il trouvera ce qu’il
cherche toute sa vie ! Tu comprends, Maman !!! Christine a éclaté en sanglots. Sa mère
ne semblait pas du tout être étonnée :
— C’est moi qui l’ai prévenu de ces îles, c’est moi qui étais cette petite voix qui lui a
parlé de ces îles, et après, quand tu es entrée en contact avec lui, je vous ai laissés tous les
deux…
Christine regarda sa mère avec de grands yeux : « Jusqu’à là, tout pouvait encore
aller, mais que sa mère lui parle de Bill et de ses conversations avec lui, ça, ce n’était pas
du tout prévu ! »
— Alors, toi aussi, tu as… des Connaissances…?
— Oui, moi aussi !
— Et tu ne m’as rien dit !
— Je ne voulais pas brusquer le cours normal des choses. Tout devait arriver en
temps et en heure. Voilà, le moment est venu.
— C’est toi qui m’as mis en contact avec lui ?
— Non, ne t’inquiète pas, tu l’as attiré pas toi-même! Je lui ai simplement rappelé sa
haute prédestination.
— En quoi elle consiste ?
— Je ne sais pas. Noureev m’a dit que quand je recevrai un signe suprême, je devrais
trouver cet homme et lui donner la destination. Et à partir de là, il fera tout de lui-même.
Lui aussi, il est un possesseur des Connaissances, bien plus grandes que nous, toi et
moi. Nous sommes seulement des passeurs du Savoir, lui, il est le Maître. Mais ce n’est
pas tout ! Noureev m’a parlé d’un autre prophète, mais, lui, je ne l’ai pas encore trouvé.
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 34
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
Seul, Bill ne pourra rien faire. Il a besoin d’un coéquipier. Et maintenant c’est ton rôle
d’aider Bill à trouver son coéquipier. C’est pour cela qu’il vient te rencontrer en France.
D’ailleurs, il est déjà en France ! Et il t’appelle désespérément. Ne le fais pas souffrir
davantage. Il a déjà un grand rôle à jouer pour l’Humanité. Mais, je ne sais pas laquelle.
C’est à toi à le découvrir et à l’aider. Toute ta vie précédente tu as accumulé la Grande
Force en toi, c’est pour ça que tous les gens autour de toi étaient passagers. Ce n’est que
maintenant que vient ton heure de gloire, ma fille, ma bien adorée princesse. La toute
petite arrière-arrière-arrière-petite-fille du Grand tsar Dimitri !
— Maman ! Alors… Oh ! Il faut que je m’habitue à cette idée… Et Bill, il est lui
aussi le descendant du grand tsar ? Dans la voix de Christine se sentait une légère
déception.
— Non, a sourit sa mère, rien ne t’empêcherait de l’aimer et de l’épouser, si tu le
souhaitais. Il n’est pas de famille royale. Il est de la famille des Grands Maîtres, ils
étaient bien au-dessus des rois et des tsars. Les familles royales protégeaient les
Connaissances, les Maîtres, ils les possédaient !
— Cela ressemble à un conte de fées! Une princesse, un super-héros, et ils doivent
sauver le monde !
— Les Connaissances, plus exactement !
— Mais qu’est-ce que c’est ces Connaissances ?
— Ce sont les Mystères de l’Inconscient !
— Où ils mènent ?
— Vers une vie supérieure… Tu le sauras bientôt ! Sois patiente ! Rentrons ! Il
commence à faire frais… le soleil est couché déjà…
— Je voudrais parler à Bill, j’ai tant des choses à lui raconter !
— Laisse le dormir, il est très fatigué, lui aussi. Ce n’est pas simple d’apprendre que
tu as une grande mission à accomplir. Il faut lui laisser un petit peu plus de temps. Bientôt
il sera prêt, lui aussi, à te rencontrer et tout apprendre. D’ailleurs, il est un très bel homme
! Tu as une chance immense !
— Tu sais qui est-il ?
— Toi aussi, tu le sais, qui il est ! Regarde dans ton agenda ! Bonne nuit ! Sa mère
est partie en refermant derrière elle la porte de la maison.
Christine resta toute seule à admirer le ciel étoilé et essaya de comprendre tout ce
qu’elle ignorait jusque-là. Tout se remettait en place, tout devenait compréhensible, et elle
acceptait avec joie sa grande mission !
« Pauvre Bill, il est encore dans ses doutes, il ne sait pas encore vers où il va, il pense
encore que je suis sa fantaisie, peut être… » Elle sourit : « Hmm, comment il prendra tout
cela, quand il saura tout ? Et qui le lui dira, moi ? Quelle mission ! Non, ce serait mieux
si quelqu’un d’autre lui avait déjà expliqué une partie… Maman ? Non, elle a déjà
beaucoup fait ! Qui alors ? Y a-t-il des gens sur la Terre qui connaissent, eux aussi, les
Mystères des îles ? Il doit en avoir… ce serait bien de les connaître… Bill ! Fais de bons
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 35
LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV
rêves, on se verra bientôt ! Je t’embrasse ! » Christine ne voulait pas réveiller Bill et
décida d’aller dormir, elle aussi.
Bill passait une nuit très agitée. Il dormait mal dans un lit étranger, dans une ville
étrangère, dans un pays étranger. Il se disait : « Qu’il ne connaissait personne ici, dans
cette ville, et, d’accord, c’est la grande capitale de la France que chacun rêve de visiter au
moins une fois dans sa vie, mais il se sentait quand même un peu seul et abandonné… »
Ce sentiment pouvait sembler faux car il lui suffisait de sortir dans la rue, tout le monde
se précipiterait alors pour lui demander un autographe. Il était un des acteurs des plus
aimés au monde, mais il se sentait seul… seul au monde… Au milieu de la nuit, il a
entendu une voix qui lui a souhaité une bonne nuit et, réconforté, il s’est endormi d’un
sommeil d’un néo-né.
© Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 36
"LES MYSTÈRES DE L'INCONSCIENT, CACHES SUR ILS DE NOUREEV" de Marianna Lanskaya
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  • 1. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Marianna LANSKAYA Les Mystères de l’Inconscient, cachés sur l’île de Noureev Les Saisons Parisiennes Copyright Office Wasnington / SACD Paris n 222959 Roman fantastique 2008 © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 1
  • 2. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayant cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 2
  • 3. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Le Livre qui offre un million à mon enfant © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 3
  • 4. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV À toutes les grands-mères… © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 4
  • 5. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Chapitre 1 Tout a commencé un jour de printemps pluvieux et froid, comme ne il ne l’a jamais été auparavant. Les arbres fleurissaient comme si de rien n’était, mais le ciel ne leur répondait pas, car les nuages épais, couvrant le ciel d’une masse menaçante, étaient prêts à déverser à chaque instant des torrents d’eau sur les têtes des passants. La lumière était très étrange : la masse de l’air, condensée par certains endroits, laissait entrevoir des passages, des couloirs entiers, avec une substance très fragile, ressemblant à une poussière de cristal. Les rares rayons du soleil jouaient dans des milliers de facettes de cette poussière en s’éclatant en couleurs de l’arc-en-ciel, et cette masse vibrante faisait naître une vague impression que tout était possible à cet endroit. Elle aimait venir sur cette place car ici, et uniquement ici, elle ressentait chaque fois la même chose : que tout est possible dans la vie. Que tout ce qu’elle vivait en ce moment n’était qu’un prélude, une répétition à quelque chose de très magique, à la limite de l’imaginable, du compréhensible. Chaque fois qu’elle se retrouvait sur cette place, quelque chose se passait. Difficile à décrire : toutes les pensées se condensaient dans sa tête et se cristallisaient en images de sa vie future. Bien que rien dans sa vie actuelle ne lui dît que toutes ces images étaient réellement de sa vie future, elle le savait très précisément. Et pour ces raisons elle aimait se promener sur cette place à cinq heures de l’après-midi dans la foule de gens, rentrant de leur travail, enveloppée par le bruit des Klaxon des voitures, par le gaz d’échappement, par les dialogues imperceptibles de milliers de portables et des chants des oiseaux. Elle se voyait voyager autour du monde entier, faire des films, monter les marches des festivals en robe de stars, découvrir le sens de l’Univers, aimer l’homme le plus désirable de la planète, monter sur une soucoupe volante et connaître les lois de la © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 5
  • 6. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV gravitation, et tout ça de façon très réelle, matérielle, très saisissable. Il semblait qu’il lui suffirait de tendre la main en avant et elle sentirait les objets, elle sentirait les odeurs, les parfums, les flashs des paparazzi… Un léger sentiment d’extrême puissance commençait à lui tourner la tête. Brusquement Christine se réveilla et regarda autour d’elle: non, rien d’extraordinaire, « ce n’est pas pour aujourd’hui », se dit-elle dans sa tête. Tout était si réaliste et normal, seules les fleurs sur les gazons avaient poussé davantage, très très jaunes, éclatantes, elles attiraient son regard sur elles. À ce moment, elle entendit une petite voix intérieure : « Attends encore un tout petit peu ! Les miracles sont tout près de toi, sois attentive, ne les chasse pas, ils sont très peureux pour l’instant. Il faut faire attention à ne pas les brusquer, sinon, ils ne reviendront que dans très longtemps ! » Et la voix disparut aussi soudainement qu’elle était apparue. Christine n’avait pas peur d’entendre cette petite voix interne car elle l’entendait souvent et était assez habituée à sa présence. « Bon, puisque ce n’est pas pour aujourd’hui, je vais rentrer… », se disait-elle, en pensant à une tasse de thé chaud devant l’écran de la télévision qui remplissait ses douces soirées solitaires. Mais ses soirées ne lui pesaient pas pour autant, car elle savait, qui sait pourquoi, que tout cela allait être bouleversé d’un jour à l’autre et qu’elle se retrouverait dans un tel peloton d’émotions, d’événements, d’actions et de relations, que l’idée de se reposer d’avance ne lui déplaisait pas du tout. À ce moment précis, chez lui il n’était que huit heures du matin, et le soleil tapait déjà fort sur les toits des maisons voisins, quand il se réveilla pour une ordinaire journée de travail. Ce jour-ci, Bill n’avait pas le temps pour les réflexions matinales, il fallait résoudre les derniers problèmes du scénario, avant de lancer le tournage. Cela lui prenait la tête! Ce scénariste, têtu, comme tous les débutants, il ne voulait, à aucun prix, lui laisser la priorité de la décision, à lui, propriétaire de ses Studios ! Dans sa poitrine commençait à bouillonner une légère colère : « Comment ose-t-il ! Lui, aurait-il fait tous les sacrifices que je fais moi, pour construire ces Studios ! Savait-il, comment je détestais tous ses producteurs qui m’obligeaient à jouer ce que je ne voulais pas ! Moi, moi, moi ! Le Grand Patron ! Maintenant c’est moi, et moi seul, qui dicte les lois ici ! Et lui, s’il s’incruste dans son idée encore une journée de plus, je le vire dehors et je stoppe son film, voilà! » Bill n’était pas du tout fier de lui, car cette colère, il ne la maîtrisait pas en général. Une fois commencée, elle ne cessait pas de grandir, durant la journée entière et à la fin elle éclatait en un grand scandale. Il devait, alors, se retirer dans sa villa, seul, sans parler à personne, ce qui augmentait la pression de son mécontentement. Mais il ne pouvait vraiment rien faire ! Cette force animale était plus forte que lui : il devait toujours avoir raison, quel que soit le prix à payer. Et le prix souvent était bien cher ! La dernière fois, aux Studios, encore Grands © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 6
  • 7. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Studios où il faisait ses meilleurs films, les conflits étaient vraiment stupides : il refusa de répéter la dernière scène de la journée après le second rôle, puisqu’il lui fallait rentrer plutôt pour passer trois minutes de plus avec sa nouvelle copine. Il éclata tout le tournage, le producteur ne voulait plus entendre parler de lui, et cette copine n’est restée que trois semaines avec lui pour disparaître à jamais. Bon, d’accord, il a gagné assez d’argent pour pouvoir être totalement indépendant, et il a pu ouvrir sa propre boîte de cinéma indépendante, ce dont il était très fier ! Mais l’histoire menaçait de recommencer. C’est vrai, il ne voulait plus de ces conflits, qui risquaient de compromettre ses Studios pour toujours, il fallait freiner fort ! Et c’est exactement ce qu’il ne savait pas faire. Bill était beau, grand et musclé. Il avait tellement travaillé sur son physique, qu’il avait réussi à le transformer complètement. Il était très maigre dans sa jeunesse, puis il était devenu musclé. Il avait un regard troublant et sobre, puis il était devenu un homme souriant avec un air d’une intelligence éclairée. Il n’aimait pas le sport et le mouvement, puis il était devenu un vrai Schumacher ! Il n’y avait rien qu’il ne pouvait pas se permettre, mais une chose ne lui obéissait pas. C’était sa conscience ! Et plus il avançait dans la vie, plus cela devenait insupportable. Pour éviter tous conflits avec ses collaborateurs, il avait arrêté de passer ses soirées avec eux, dans les grandes fêtes qu’il aimait tant. Il avait arrêté de les inviter chez lui pour les somptueux dîners qu’il organisait auparavant très régulièrement. Il fuyait toute la société de sa ville, qui ne vivait que des mondanités. Les gens commençaient à le trouver bizarre, et il lui restait une seule chose, c’était son cinéma, ses Studios, où il pouvait retrouver la paix et le calme du travail quotidien. C’était son Temple. Et personne ne pouvait pas troubler l’harmonie, qu’il avait réussi à installer au prix de tels efforts. Bref, la journée était cruciale : il fallait à tout prix éviter le scandale, mais comment, il ne savait pas encore. Il comptait sur l’inspiration du moment, comme toujours. Mais cette fois-ci, contrairement à ses habitudes, avant de quitter son salon, il s’arrêta devant le divan, s’assit dessus et se mit à regarder les rayons du soleil ! Ils étaient bien forts, malgré les lourds stores couvrant les grandes baies vitrées de sa terrasse. Les rayons traversaient le bouquet de tulipes sur la table devant le divan, et pour la première fois de sa vie, il commença à contempler les pétales des fleurs. Il se moquait complètement que l’équipe l’attendait, que sa journée devait être chronométrée à la seconde près, et qu’il lui fallait résoudre ce problème de scénario qui le tracassait depuis hier soir. Il regardait, comment l’air tremble par milliers de petites poussières, comment les fleurs respirent et tournent légèrement leurs têtes vers le soleil, comment les rayons les enveloppent, tout doucement, tendrement, en évitant de les brusquer. Et, pour la première fois, il demanda de l’aide. Bill ne savait pas exactement à qui il s’adressait… Sans aucun mot, il proférait ses pensées vers l’Univers… Il était déjà dix heures du matin, mais Bill ne bougeait pas, concentré sur les pétales des tulipes… © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 7
  • 8. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Christine n’avait rien remarqué pour l’instant. Elle était assise sur son fauteuil préféré, sur sa petite terrasse en plein soleil, et admirait le début du crépuscule. Les oiseaux se déchaînaient en bas, sur les branches des arbres en fleurs. Les cerisiers et les pommiers étaient éblouissants, ornés de grands flocons massifs de fleurs roses. Christine vivait au deuxième étage d’un grand immeuble, et l’unique romantisme de cet endroit était ce beau jardin avec les pommiers. C’était maintenant, en plein mois d’avril, malgré les pluies incessantes et le froid hivernal, que ces arbres resplendissaient devant les yeux de Christine. Elle sentait leur arôme, écoutait les chants des oiseaux et savourait le goût du thé à la menthe. Une vraie gourmande ! D’un seul coup, elle entendit dans sa tête un chuchotement… même pas… juste des pensées nouvelles commençaient à lui venir à l’esprit… elle s’imaginait diriger une équipe de cinéma… cette équipe l’attendait au travail… elle tardait à y aller, attrapée par la beauté de la journée débutante… Soudain, une inquiétude l’envahit : « Qu’est-ce que je vais faire avec ce scénario ? » Elle continuait de contempler les arbres en bas de sa terrasse. La petite voix intérieure devenait plus insistante, la poussant presque à prendre une décision. Christine ne chassait jamais ses pensées, quelle que soit leur étrangeté. Elle les écoutait, comme un cinéma intérieur, mais n’intervenait jamais dans leur écoulement. Mais cette fois-ci, les pensées étaient si fortes, qu’elle se sentait presque concernée par ses inquiétudes. « Bon, et puisque tu insistes tellement, je te dirais de ne pas rejeter ce scénario! Fais semblant d’accepter la version de ton scénariste, et tu verras pendant le tournage si cela fonctionne ou pas. De toute façon, tu auras le temps de tout corriger, en faisant des doubles. Enlève ce problème de ta tête et laisse-moi en paix ! » Tout de suite, les pensées disparurent et elle entendit la chanson d’un enfant, jouant sur la pelouse en bas de l’immeuble: elle était parfaitement dans la vie présente. Ce soir-là, les pensées ne la tourmentaient plus. Elle put regarder, une énième fois, son film préféré avec un grand acteur américain. Elle savait qu’elle n’était pas la seule à l’admirer mais ce fait ne la dérangeait pas du tout. Elle savourait chaque mot, chaque geste, tout ce qui la faisait rire. Elle était vraiment heureuse pendant ces moments-là, oubliant complètement ses rêves précédents, là-bas, sur la place : ses voyages, ses pensées. Elle ne croyait plus une seconde que tout cela pourrait un jour lui arriver. Elle se réjouissait tout simplement d’une journée calme qui annonçait le repos du week-end, la fatigue de la semaine ayant envahi son corps. Christine s’adonnait pleinement à ce repos mérité, car dans un jour et demi elle devrait à nouveau se mettre en route, cavaler après un bus, un autre bus, quelques pas encore, et voilà, elle serait à nouveau en train d’attendre la fin de la journée, quand elle pourrait à nouveau se retrouver au calme de sa terrasse ensoleillée. La petite routine, tous les jours, tous les jours, tous les ans… Cela faisait longtemps qu’elle ne se rebellait pas. Elle acceptait la vie comme elle venait, sans énervement, sans stress, car elle savait que… © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 8
  • 9. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Bill se releva de son divan dans un état de grâce, sachant que, pour la première fois de sa vie, cette journée serait comme il la voudra, et qu’il n’y aurait pas de conflit. Comment ferait-il, il ne le savait pas, mais il savait que ce serait ainsi. Il était heureux. Depuis très longtemps, cette sérénité, il ne la côtoyait pas. Il vivait passionnément, mais jamais raisonnablement, pourtant, passé la quarantaine, il devait peut-être commencer à se calmer… Mais non, le calme, ce n’était pas son style de vie, il aimait action, mouvement, il vivait à deux cents à l’heure. Il sortit de sa maison, et le soleil lui éclata en plein visage ! Il oublia tout, complètement tout et se lança, comme d’habitude, pour vivre sa vie frénétique. Paul ne se pressait pas de finir son bol de corn-flakes et de commencer la journée. — Vite, vite, tu vas être en retard à ton collège, dépêche-toi ! cria sa mère de la cuisine. Je reviendrai tard ce soir. Tâche de finir tes devoirs avant de t’endormir, ok ? Paul murmura quelque chose d’incompréhensible. La porte d’entrée claqua, et il était désormais livré à lui-même pour toute la longueur de la journée. Sa mère travaillait tellement, qu’il ne la voyait que les week-ends et, pour la plupart du temps, endormie, tellement elle était fatiguée. Il l’aimait beaucoup, mais il n’avait jamais le temps de l’exprimer. Et il savait que sa mère l’aimait aussi, mais elle aussi, elle n’avait jamais le temps de le lui dire. Aujourd’hui Paul avait décidé de faire quelque chose d’inhabituel. Il composa le numéro du portable de sa mère en lui disant: « Je t’aime, maman ! » Sa mère, entourée à ce moment précis par des centaines de gens coincés dans le wagon du métro, put seulement lui faire un sourire en guise de réponse. Paul raccrocha et jeta sur ses épaules son sac qui pesait une tonne ! « Bon, au moins, elle sait, que je l’aime… », pensa Paul, descendant avec l’ascenseur. Dehors, le soleil lui éclaboussa sa lumière en plein visage, et Paul oublia et sa mère et sa maison. Une nouvelle journée d’aventures s’ouvrait devant lui ! « Ce serait si génial de s’échapper un jour du collège et de vivre quelque chose d’absolument extraordinaire ! », pensa Paul, longeant un petit muret. « J’aurais donné tout au monde, si à ce moment précis une soucoupe volante avait atterri devant moi… », Paul rentra dans le bus et oublia sa soucoupe… — Tu crois qu’on va débarquer maintenant ou plus tard ? Le coéquipier souleva les épaules. — Non, maintenant, c’est trop tôt. Ils ne le comprendront pas, restons invisibles. Je te dirai quand, sois patient ! De toute façon, tu sais que notre temps est illimité, c’est la Force qui me dira quand on devra agir dans ce monde. Certains individus me paraissent prêts, d’autres pas du tout, on risque de provoquer la panique. Non, non, c’est trop tôt. Leur niveau de conscience est au tout début de leur développement, je ne pense pas qu’on puisse communiquer d’égal à égal… © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 9
  • 10. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV — Si tu veux attendre qu’ils soient tous prêts, on sera obligé de tourner autour de cette planète éternellement ! Revenons alors dans notre galactique, mes enfants doivent être déjà grands, je ne les ai pas vus depuis des siècles ! — N’exagère pas, qu’est-ce que c’est un siècle devant l’éternité, et devant l’importance de notre mission ! Soyons attentifs, on a beaucoup de choses à faire. En tout cas, j’ai un espoir, que c’est pour bientôt. Certains me paraissent être assez proches de la Révélation. — À qui tu penses ? — Cette jeune femme devant le jardin du Luxembourg, elle me paraissait intéressante, mais bon, on ne peut pas être sûr à cent pour cent. On va continuer d’inspecter doucement… — Comme tu veux, mais je ne veux pas rester ici encore un siècle de plus! Soit ils évoluent, soit on laisse tomber ! — D’accord, d’accord, mais patiente, tu verras, les choses peuvent se débloquer plus vite que tu ne le penses. — Passe-moi du Jeas-team, j’ai soif ! — C’est une boisson de mômes ! Jette ça par la fenêtre ! Paul sortait du bus, quand la boîte vide d’une boisson inconnue tomba sur le trottoir à côté de lui. — Eh, là-haut ! Faites gaffe si je vous trouve un jour ! Paul était content que la journée ait bien commencé et il ne voulait pas que rien ne gâche sa bonne humeur. Mais il ramassa cette boîte, en pensant la rajouter à sa collection d’objets trouvés, qui contenait déjà une pierre du bonheur, une lime à ongles, un cristal violet, un bout de planche, appartenant apparemment à une vieille soucoupe… et maintenant cette boîte en métal moelleux, changeant de couleurs toutes les dix secondes. Paul ne réfléchissait pas aux origines de ces objets, il les ramassait et les emmenait à la maison, soigneusement, les rangeant dans le casier de sa table. Et puisque sa mère ne rangeait jamais sa table, elle n’avait aucune idée de cette belle collection d’objets extraterrestres. La journée collégienne commença sans surprise: la prof de maths écrivait les signes au tableau au milieu d’une classe dormante. Les mouches tournaient autour des vases avec des fleurs sur les placards, et Paul était totalement libre de faire tout ce qu’il voulait. Tout d’abord, il commença par mettre tous les signes à l’envers et voir à quoi ils ressemblaient. Pour l’instant, il ne voyait rien de particulier, sauf que certains de ces signes brillaient dans les rayons de soleil plus que les autres. Ils se détachaient de la feuille de papier et volaient dans l’air à quelques millimètres de la surface. Cela pourtant n’inquiétait pas Paul, qui avait l’habitude d’accepter l’inexplicable comme une normalité, en attribuant le « non-savoir » à son jeune âge. Il n’avait que douze ans, et pensait que certainement les adultes devaient avoir une © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 10
  • 11. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV explication, mais qu’étant si occupés tout le temps, ils ne pouvaient pas lui fournir la réponse… « Ce n’est pas grave, se disait-il, quand je grandirai, toutes les choses me seront accessibles et compréhensibles, et pour le moment je ne peux que les observer, c’est déjà très passionnant ! » et il continuait de regarder les signes mathématiques survoler sa feuille de papier. — Ce gamin, décidément, a fait des progrès ! Je lui ai appris l’art de la lévitation antigravitationnelle, pour qu’il la pratique ! Il est vraiment très doué, je voudrais l’observer davantage. Je vais lui rajouter des tâches à faire. Je vais lui apprendre à sauter les étapes de l’apprentissage ! Le coéquipier s’était étendu sur le dossier de son fauteuil avec un grand sourire. — Il n’a que douze ans. — Et alors ! À cet âge le cerveau est très mobile ! Il accepte beaucoup plus de choses sans réticence, sans méfiance. C’est justement lui, qui pourrait apprendre plus vite que les autres ! — Et l’évolution du cerveau dans le temps ? Quoi, cela ne vaut rien ? Les gens qui lisent des livres, qui font des travaux spirituels, eux, selon toi, ils ne sont pas plus évolués, que le gamin de douze ans ? — Mais si, mais si, mais ils doivent traverser des grandes épreuves, des désillusions, des chocs de la vie, pour qu’ils ouvrent leurs voix intérieures à la compréhension supérieure. Les gamins le font sans souffrance, sans avoir à passer par tous ces états d’âme, ils sont plus rapides. — D’accord, mais leur bagage intellectuel ne peut pas être suffisant pour évoluer dans les matières complexes. — Pas sûr, ils acceptent l’inexplicable, ils sont moins figés dans leurs consciences, ils ont les pensées plus pures, et les âmes plus intactes. — Alors, tu comptes plus sur les gamins ? — Pas forcément, mais sur les gamins aussi. Ils arriveront tous en même temps, tu verras ! Cela sera très passionnant, un peu comique peut-être… — Tu prédis l’avenir ? — Non, je le vois ! — Paul, tu as tout le temps la tête en l’air ! Peux-tu te concentrer une minute sur ce qu’on fait en classe ?! Tes notes baissent de plus en plus ! Il faut que je voie ta mère ! — Pour ça, bon courage, Madame ! Même moi, je ne la vois pas plus de cinq minutes pendant le brossage des dents ! — Paul ! Un peu de tenue ! La classe éclata de rire. Paul était au septième ciel, car celui qui réussissait à énerver la prof passait pour un héros pendant toute la journée et tous les copains lui serraient la main ! Mais la prof, elle- © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 11
  • 12. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV même, avait un autre point de vue sur cette affaire. Elle était devenue toute rouge, tellement rouge, qu’elle faisait peur, pouvant exploser à tout moment. Elle commença à crier de plus en plus fort, ce qui rajoutait de la joie dans les derniers rangs. Elle tremblait en crachant des mots tout courts, étouffée par sa colère. — Vous êtes pénibles ! Vous êtes pénibles ! C’est tout ce qui lui était passé par la tête. Les enfants s’agitaient de plus en plus. Voir leur prof perdre les pédales au point de ne plus pouvoir parler, c’était une véritable jouissance. Ils se sentaient de plus en plus puissants face à son désarroi. L’agitation était à son comble. Paul était aux anges, sans se soucier de ce qu’il allait lui arriver après. À ce moment précis, il était le Héros. — Tu vas avoir une heure de colle !!! Non!!! Trois heures de colle !!! Tu vas dormir sur les planches !!! Peu à peu elle s’épuisait, en baissant le volume de sa voix, et ses dernières paroles elle les prononça tout doucement : — Va chez le directeur ! Immédiatement ! Paul se sentait soulagé, car il ne pouvait plus observer cette scène insensée par le niveau de sa violence et sa stupidité. Le sentiment de pitié, que provoquait sa prof, lui montait à la gorge. Il sortit dans le couloir, où un air rafraîchissant, emmené par une légère brise de la fenêtre ouverte, lui caressa le visage. Dehors les arbres se couvraient de feuillage, on sentait fort l’odeur du tilleul en fleur, le printemps arrivait inévitablement. Bill avait terminé sa journée, très étonné de tout ce que lui était arrivé : il était très calme, raisonnable, soucieux de bien faire vis-à-vis de ses collaborateurs… Cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Contre toutes ses craintes et prévisions, il avait accepté très facilement le scénario qui lui posait tant de problèmes, et le film avait été lancé dans les délais prévus. Le scénariste ne cessait pas de remercier Bill, mais Bill n’avait rien à lui répondre, car il ne savait pas lui-même, pourquoi il avait réagi comme ça ! Mais, néanmoins, la journée sans conflit lui avait beaucoup plu, et il s’était décidé de continuer de la même manière. Bill se dit : « Si cette journée, je la reproduisais au détail près demain, elle sera aussi bien, demain aussi ! » En arrivant chez lui, il se mit à se rappeler dans les moindres détails tout ce que lui était arrivé et commençait à le noter dans un cahier. C’était des choses complètement nouvelles pour Bill, il n’avait jamais rien noté ni écrit dans sa vie, tout avait été fait par ses assistants, par ses scénaristes et par ses producteurs auparavant, mais jamais par lui-même ! Cette façon de passer une soirée, derrière la table à écrire, n’était pas du tout dans ses habitudes. Il était pourtant un excellent observateur et il avait pu noter tous ses états d’esprit pendant la journée de travail. Le lendemain, Bill se réveilla dans l’intention de reproduire la nouvelle journée dans tous les détails qu’il avait réussi à noter la veille. Il se releva énergiquement, se rhabilla, prit son café et, juste avant de franchir la porte de son domicile, il s’arrêta dans la porte © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 12
  • 13. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV entrouverte. Quelque chose lui manquait, mais il ne se souvenait pas de quoi il s’agissait… Déjà dans sa voiture, il remarquait que le soleil était caché par un léger brouillard, mais les pensées quotidiennes de son nouveau film l’envahissaient et il avait oublié son programme de recommencer la journée de la veille. Toute la journée fut une catastrophe en continuité : une des actrices se désista, l’équipe était énervée, le scénariste continuait à s’entêter sur la fin du film, bref, un véritable cauchemar se déversait sur la tête de Bill ce jour-ci. Il était désespéré ! Il revint dans sa villa, sans vouloir répondre aux nombreux appels, avec un horrible mal de tête, et il s’enferma dans sa chambre en demandant de l’aide, qui sait à qui. Doucement, il sentait l’harmonie s’installer dans son âme, les maux de tête l’ont laissé, et, d’un coup, il put entendre une légère voix intérieure, qui lui disait : « Va chercher ton bonheur et ton bien-être là-bas, sur les îles… » « Quelles îles ? » Bill n’était pas prêt à quitter ses Studios juste au démarrage de son nouveau film ! Mais la voix insistait : « … sur les îles, sur les îles, tu trouveras ce que tu cherches… » Bill, très étonné de cette apparition, avait laissé tomber la compréhension de sa contradiction intérieure, et s’endormit, pensant qu’il avait trop travaillé ces jours-ci et que cette voix n’était qu’une simple hallucination liée à la fatigue. Le lendemain Bill se réveilla dans un esprit bien meilleur. Au moment de son départ, il remarqua quelque chose qui lui rappela ce qu’il cherchait à se remémorer désespérément la veille. C’était le soleil !!! Ses rayons étaient placés au même endroit que la journée d’avant : les pétales des fleurs, étant un petit peu fanés, n’avaient pas perdu pour autant leur grâce et leur beauté, et les petites graines de la poussière jouaient dans les particules minuscules du soleil. Bill se rassit sur son divan, hypnotisé par cette image magique. Il la regardait très longuement. La même question, qui l’avait tourmenté tout ce temps-là, commençait à se formuler à l’intérieur de lui : « Que faire ? Comment trouver une harmonie dans tous ses rapports ? Comment éviter tous ces conflits, si fatigants ? » Bill attendait patiemment la réponse, sachant cette fois-ci, qu’elle arriverait tôt ou tard. Et elle ne tarda pas à arriver… Christine s’arrêta devant la grande fontaine à l’entrée du jardin. C’était dimanche, Christine ne devait pas aller au travail, mais quelque chose l’avait poussée à venir sur cette place. Peut-être, ses souvenirs d’une agréable sensation de rêve, qu’elle avait éprouvée quelques jours avant… La journée se déclinait vers le crépuscule, ce qui n’empêchait pas aux fleurs de garder leurs couleurs intenses, leur aromate se répandait très loin, et Christine se sentait enveloppée par toutes ces senteurs. Cette fois-ci, Christine s’imaginait dans une grande villa, assise sur un divan moelleux, en cuir blanc, devant une grande baie vitrée, cachée derrière des rideaux épais, qui laissaient passer quelques rayons de soleil… Les souvenirs des voyages sur les îles italiennes tournaient lentement dans sa tête. « © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 13
  • 14. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Pourquoi les îles ? Ça fait si longtemps… Je les ai presque oubliées… Pourquoi maintenant je m’en souviens ? », se demandait-elle consciemment. Et sa voix intérieure lui redondait : « Les îles, les îles, là, où tu as vu Noureev… » Elle comprenait, pourtant, que rien dans sa vie actuelle ne pouvait l’emmener dans ces îles méditerranéennes. Elle n’avait aucun moyen de se rendre là-bas dans l’immédiat. Elle demanda à sa voix intérieure : « Comment tu veux que je me rende là-bas ? » La réponse changea subitement de voix. C’était une voix d’homme, basse et épaisse, qui lui répondait : « Moi, je t’emmènerai. Où es-tu, toi ? » « Je suis à Paris, mais qui est-tu, toi ? », répondit subitement Christine. Puis elle entendit la voix à nouveau : « J’arrive ! Tu me verras en arrivant, il faut qu’on en parle ! Tu m’attends à la même heure et à la même place ! »… Et puis la voix disparut… « Voilà, c’est parfait, encore une fois je me suis tellement plongée dans mon imaginaire, que je ne me suis pas rendu compte, que je parle dans ma tête ! Qu’est-ce que penseront les gens autour ! » Christine tourna la tête et regarda autour d’elle. Heureusement, ils étaient tous occupés par eux-mêmes. « Ils ne me regardent même pas, tant mieux ! Il est peut-être temps que je rentre, la pluie va tomber bientôt… » Christine regarda le ciel et se précipita de monter dans un bus pour échapper aux premières gouttes de la pluie. Bill n’avait entendu que la fin de la phrase : « Comment me rendrai-je là-bas ? » Qui sait pourquoi, Bill comprit tout de suite qu’il s’agissait des îles, citées par la petite voix d’hier soir, et il reprit le jeu : « Moi, je t’emmènerai ! » mais il se demanda aussitôt : « Mais qui dois-je emmener ? Moi-même ? Qui d’autre ? Il n’y a personne dans cette chambre, à côté de moi ? » Et il lança : « Où es-tu, toi ? » Mais à ce moment le téléphone sonna. Il décrocha : — J’arrive ! Tu me verras en arrivant, dit-il dans l’appareil. Il faut qu’on en parle ! Tu m’attends à la même heure et à la même place ! Et il raccrocha, prit son blouson et se précipita vers la sortie. Le bureau de Bill était aussi spacieux que sa maison, tout respirait l’argent et le luxe. Il se plongea dans un énorme fauteuil et commença à feuilleter un magazine de mode. Sa secrétaire lança en rentrant : « On a reçu un e-mail à votre nom. Je sais que vous ne lisez jamais les e-mails des inconnus, mais il est tellement étrange… Voilà, jugez par vous- même ! » Elle lui tendit la feuille imprimée et s’éclipsa derrière la porte. Bill jeta la feuille sur sa table et sortit dehors. La première moitié de la journée s’était passée, comme d’habitude, sans trop de bouleversements. La routine cinématographique n’était pas si différente de n’importe quelle autre routine : les gestes habituels, les gens habituels, les rituels des rencontres qui se ressemblaient les unes les autres comme deux gouttes d’eau. Toute cette banalité commençait à ennuyer Bill. « Quoi encore ? Où trouver la satisfaction de la vie ? Plus d’argent ? J’en ai assez… Plus de femmes ? J’en ai autant que je peux le souhaiter… Un © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 14
  • 15. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV peu d’aventures, peut-être ? Les îles… Ah… si… les îles, mais lesquelles ? » Bill n’arrêtait pas de penser à ces îles… Mais aucune idée, plus ou moins explicite, ne lui venait à l’esprit. Son regard glissait par-dessus la table, pleine de papiers de toutes sortes. « … Tu trouveras sur les îles, ce que tu cherches… », une seule phrase tournait depuis des heures. « L’obsession ! s’écria Bill. Je commence à les voir partout, ces îles ! » et il posa son regard sur le papier imprimé et se mit à lire : « Cher Monsieur Bill ! Je sais que ma lettre va vous paraître bizarre, mais je ne peux pas ne vous faire part de mon éblouissante découverte ! Nous sommes parents ! » — Magnifique découverte ! s’écria Bill. Vous ne pouvez pas inventer quelque chose de plus originale ! Tous ces fans, comment ils me fatiguent ! Mais la ligne suivante accrocha son regard à nouveau : « … Le fait que nous, moi et vous, nous sommes parents, ne vous paraîtra pas une nouvelle si extraordinaire, mais le fait que nous sommes tous les deux les descendants du Grand tsar Dimitri, et que nous sommes tous les deux héritiers de ses biens, se trouvant sur les îles de Noureev, vous éblouira davantage ! Comment ces biens ont atterri sur ces îles, je vous raconterai, quand nous nous verrons. Je reprendrai contact avec vous très prochainement ! Paul. » « Rien d’autre que le Grand tsar Dimitri ! Rien d’autre que les îles de Noureev ! Encore un Russe célèbre ! Mais moi, qu’est-ce que j’ai à voir là-dedans ! Ces fans ! Quelle imagination ! Je les admire ! Ils sont capables de tout pour pouvoir s’immiscer dans ma vie privée ! » Il jeta ce bout de papier sur la table, en sentant qu’une nouvelle vague de colère commençait à remonter en lui. Il bascula en arrière du fauteuil, puis se mit à regarder les pages d’internet très nerveusement, en cliquant sur toutes les fenêtres sans y prêter d’intention. Bill pensait à une autre chose… « Qu’est-ce que j’ai à voir là- dedans ? » Une seule pensée tournait dans sa tête… « Les îles, Noureev… je ne le connaissais même pas ! Un danseur… oui, paraît-il, il possédait des îles dans la mer Méditerranéenne, en face de la côte Napolitaine… C’est tout ce que je sais… », Bill n’arrêtait pas de frotter son front. Il pouvait très bien se débarrasser de ce papier et oublier cette histoire comme beaucoup d’autres, mais la petite voix intérieure, elle aussi, elle lui avait parlé de ces îles… c’est tellement bizarre… l’existence de cette voix ne lui permettait pas d’abandonner cette nouvelle, comme totalement insignifiante. « Et encore cette idée du tsar ! » Cela ne rentrait dans une aucune explication logique, car ni Bill, ni ces ancêtres, n’avaient aucun lien avec la Russie, en tout cas, d’après ce qu’il savait déjà. Et tout cet envahissement subit de consignes très étranges l’intriguait. Il n’était pas de nature peureuse, et ces événements, il les prenait avec beaucoup de curiosité, mais rien ne lui indiquait pour autant, par quel chemin il pouvait avancer pour comprendre quelque chose. Bill décida d’attendre de nouvelles consignes : « S’ils veulent rentrer en contact avec moi pour une finalité que j’ignore, alors ils vont insister encore une ou plusieurs fois. Nous verrons ce qu’il adviendra plus tard ! », ce jeu commençait à lui plaire car, de façon très inattendue, il amenait un léger suspense dans sa © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 15
  • 16. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV routine quotidienne. La préparation du film devenait un petit peu plus agréable pour lui, mais personne, ni son entourage proche, ni ses amis ne savaient rien de ce qui s’était passé avec lui. En plus, Bill n’avait pas grand-chose à leur raconter… « Quoi, il va leur parler des voix qu’il entend ? Ridicule ! Encore la lettre, c’est une preuve, mais preuve de quoi ? Il y a tellement de bêtises sur internet ! Et qui est-ce Paul ? » Rien, rien ne le raccrochait pour l’instant à une logique quelconque de sa vie réelle, c’était quelque chose d’ordre extra, venu complètement d’ailleurs, mais d’où ? Il n’en avait pas la moindre idée. Un léger pressentiment, c’est tout. « Mais avec qui tu peux partager ça ? Avec personne ! » Alors, Bill vivait ses sensations intérieures de façon complètement autonome. Mais en même temps, personne ne pouvait dire que la vie de Bill était lente et vide de tout événement. Tout ce qu’il y a de contraire ! Il était, quand même, l’acteur le plus demandé et le plus apprécié de toute l’industrie cinématographique. Ses collègues lui portaient respect et envie, les admirateurs, restant loin, se faisaient sentir quand même par leurs incessantes lettres, appels, e-mails et toutes sortes d’invasions aux moindres occasions. Les photographes l’attendaient à chaque cérémonie, son visage remplissait les pages d’internet, il était partout, il était tout, et il représentait tout pour pas mal du monde sur la planète. Mais qui savait que c’était un homme très solitaire, qui voulait être invisible, qui voulait plus que tout au monde, que les gens le regardent comme un homme quelconque, que dans leurs yeux il cesse, une fois et pour toujours, d’apparaître cette étincelle d’émerveillement de la reconnaissance ! Comme tout cela le fatiguait, comme cela le dérangeait, mais à qui pourrait-il le dire ? À personne! Voilà le drame : à personne ! On l’aimait pour ce qu’il était et ce « ce qu’il était » était devenu, une fois et pour toujours, inséparable de son vrai être, son costume extérieur, qu’il ne pouvait plus enlever. Et, comme toutes les personnes créatives, talentueuses, rebelles, il rêvait de pouvoir tout changer encore une fois, plusieurs fois, s’il le voulait, changer à l’infini, être maître de sa propre image, de sa propre vie, tout en concevant ses capacités d’agir, de produire et de créer les films qu’il aimait profondément. Voilà, les films ! La vie créative ! Elle était au-dessus de tout autre intérêt, elle l’accrochait à la réalité et quand il réussissait à sortir un nouveau film, il était heureux. Mais tourner, sans arrêt, dans une boucle, même luxueuse et pleine de possibilités, cela reste toujours « tourner dans une boucle » et lui, il voulait aller voir ailleurs. Où ? Il ne savait pas encore. C’est pour ça que ces nouvelles intrusions ne lui déplaisaient pas, bien au contraire, il savourait la sensation du renouveau très proche, et chaque instant d’attente ne l’énervait pas, mais donnait un grand plaisir de quelque chose d’inévitable. Le soir, Bill se retrouva à nouveau seul, dans sa villa, épuisé par les débats incessants autour du nouveau film. Les acteurs, les actrices, les décorateurs, les musiciens, les costumiers, tous étaient demandeurs de conseils, d’opinions, de résolutions. Il était une © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 16
  • 17. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV sorte de « papa » pour un groupe de quelques centaines de gens adultes. Cela lui pesait parfois. Il aimait se retrouver seul, quand il ne devait plus rien à personne, quand il ne devait plus apporter de solutions, quand il ne devait pas être toujours « à la hauteur » des exigences des autres, être toujours « impeccable ». Dans sa solitude, il pouvait se débarrasser de son masque et ne plus se soucier, oublier complètement l’existence de son aspect extérieur et s’adonner pleinement à sa vie intérieure, qui était loin d’être pauvre. Bill devait tout à lui-même : sa carrière d’acteur, ses expériences en tant que réalisateur, et, enfin, la création de sa propre boîte de production. Tout cela, il ne le devait à personne d’autre qu’à lui. Il avait l’énorme potentiel créatif qui n’est donné qu’à un petit nombre de gens, et il s’en servait avec une grande efficacité. Sa carrière avançait sur une ligne droite, toujours plus haut, toujours plus loin, mais un jour Bill s’aperçut qu’il avait atteint les limites des êtres humains. Il était bloqué, car rien dans son entourage ne pouvait plus le stimuler à avancer: il était au sommet ! Mais, inconsciemment, au plus profond de son âme, il sentait que tout cela n’était pas encore une limite, qu’il pouvait aller plus loin, beaucoup plus loin… « Les tsars, les héritiers, les îles mystérieuses… », ces mots flattaient son ego, « Et pourquoi pas commencer à croire à l’impossible… Comme ça, d’un coup, commencer à croire et c’est tout. Sans se demander pourquoi, commencer à croire… », il s’endormait lentement, enveloppé par ses pensées. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 17
  • 18. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Chapitre 2 Le lendemain de cet étrange échange mental, Christine s’apprêtait à aller travailler. Elle n’aimait pas se lever tôt, elle était plus tôt quel-qu’un qui adorait danser toute la nuit et rentrer avec les premiers chants des oiseaux matinaux, pour enfin plonger dans ses rêves. Se lever à six heures du matin, pour aller s’engouffrer dans les transports en commun, était pour elle un véritable cauchemar. Avant, au début, elle prenait le métro et, devant traverser toute la ville sous la terre, elle avait le temps d’observer les gens. Le désespoir marquait leurs visages, leurs yeux étaient vides de toutes pensées, le vacuum total s’installait autour de Christine durant ses trajets. Elle savait capter les ondes des pensées des gens en général, les bonnes, les mauvaises, les pensées qui provoquaient la réflexion, les pensées agressives, elle captait et comprenait tout. Mais toute absence de pensées quelconques était totalement insupportable pour elle. Parfois, quelques rares flashs réflexifs se relevaient au-dessus des têtes et elle entendait : « Comment gagner plus d’argent ? Comment payer mes dettes ? Comment faire en sorte que mes enfants ne vivent pas le même cauchemar que moi ? Comment ? » Et puis le même vacuum. Rien. Pas de réponse. Les yeux, tournés vers le sol, pas de regards qui se croisent, comme si eux tous, ils avaient honte de se retrouver dans cette situation tous les jours, tous les mois, tous les ans… Pas de beaux visages, une souffrance et l’endurance se répandaient dans le wagon. Au début de ses voyages, Christine s’amusait à regarder les gens, à les entendre, à les observer, mais quand elle a compris le blocage total de leurs âmes, cela était devenu insupportable pour elle, et elle s’arrêta de prendre le métro, en s’obligeant de cette façon à un trajet interminable dans les bus. Ce qui la consolait, c’est qu’elle était au-dessus de la terre et elle pouvait regarder les paysages. Ainsi Christine commença à regarder comment se transformait le paysage durant son © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 18
  • 19. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV voyage vers les « couches profondes de la société ». Plus elle avançait, plus les rues changeaient radicalement d’aspect: les vitrines de luxe disparaissaient, laissant la place à des magasins de fastfoods mal entretenus, avec des vitres toujours sales. Des grands sacs de poubelles couvraient le paysage. Parfois les tas d’ordures ménagères trônaient sur les trottoirs, les gens les contournaient en riant, sans pourtant les apercevoir. Les maisons devenaient vétustes, les fenêtres opaques, non lavées depuis des siècles, les vêtements des gens étaient presque « clochardesques »… Des sacs plastique de magasins, remplis, qui sait de quelles fringues… On se déplaçait dans un autre monde. Les gens semblaient ne pas avoir remarqué leur entourage, la pauvreté ne les dérangeait pas, ce qui faisait penser à Christine, « qu’ils ne connaissaient probablement pas mieux, et certainement pire… » Cela provoquait un chagrin profond dans le cœur de Christine. Elle pensait sans arrêt au triste sort de ces gens. Jusqu’à un petit incident dans la rue : elle marchait très vite, pressée de regagner son lieu de travail, puis elle s’apprêtait à dépasser un homme qui marchait juste devant elle sur un trottoir étroit. Soudainement, l’homme se retourna, avec un geste et un regard menaçant. Christine fit un pas à gauche et sentit un fort coup sur sa tête. Tout de suite elle ne comprit pas ce qui s’était passé. Elle ralentit d’un coup. L’homme continuait à la regarder d’un air menaçant. — Pardon, pardon, murmura-t-elle, regardant un gros tuyau d’échafaudage, qu’elle s’était pris contre sa tête, en essayant d’éviter cet homme. L’homme se calma et se remit à marcher. Elle comprit que l’agression ne venait pas de cet homme, mais de l’intérieur d’elle-même. Christine se remit rapidement de cette émotion, et réfléchit : « Qu’elle n’a pas le droit d’avoir pitié de ses gens… pitié c’est un sen-timent agressif… ils vivent comme ça car ils veulent vivre comme ça. Ce niveau de vie, probablement, leur correspond! Donc, elle doit venir dans ses quartiers sans aucune agressivité par rapport à la pauvreté qu’elle constate autour. Elle doit l’accepter comme une donnée pour ces gens, dont elle ne connaît pas la vie… », elle découvrait un monde parallèle à ce qu’elle vivait. Les valeurs et les exigences dans ce monde étaient, sans aucun doute, très différentes des siennes, mais cela ne rendait pas pour autant ces gens malheureux… Elle devait s’habituer à cette idée. Mais, elle, Christine, elle connaissait une autre vie ! Si différente de ce qu’elle voyait autour d’elle ! Issue d’une famille bourgeoise, Christine avait connu dans la maison de son père tout le confort de la vie aisée. Son père ne manquait pas de moyens, entourant ses enfants, elle et son frère, de tout ce qu’ils rêvaient d’avoir. Situé au premier étage d’un bâtiment haussmannien, dans un bon quartier bourgeois, leur appartement était toujours ouvert aux amis de leur rang. La maison était remplie d’éclaboussures de champagne et de rires. Mais, depuis le divorce de leurs parents, les enfants, Christine et son frère, avaient quitté pour toujours la maison de leur père, en partageant le sort de leur mère, qui était partie vivre dans une banlieue, en faisant des © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 19
  • 20. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV économies sur le logement. Pour ses études universitaires, Christine avait déménagé et vivait maintenant dans un petit appartement charmant aux portes de la ville. Elle aimait son petit appartement, car c’était son refuge où elle pouvait faire tout ce qu’elle souhaitait, sans devoir rendre de comptes à personne. Après son travail, qu’elle n’aimait pas trop, elle se rendait dans son oasis d’imaginations, de rêves, d’un monde qu’elle avait construit par elle-même. Ce jour-là, pendant le trajet du retour, elle se souvint de l’histoire qui lui était passée par la tête la veille, pendant la promenade. Chaque soir, quand elle traversait cette place pour changer de bus, elle retrouvait soudainement les fils de ses pensées de la journée passée. Comme si cet endroit conservait toutes les données et les réactivait chaque fois qu’elle s’y retrouvait. Cette fois-ci il se passa la même chose. Elle se souvint brus-quement de la conversation d’hier. « C’est étrange, pourquoi d’un coup je sors cette idée des îles ? Cela fait si longtemps que je n’ai pas été là-bas… Et qui veut m’emmener là-bas, pourquoi ? Peut-être que c’est moi qui veux revenir dans des endroits où je me sentais heureuse ? Mais qu’est-ce qu’il se passe maintenant sur ces îles, je n’en ai aucune idée maintenant… Et Noureev, cela fait déjà presque vingt ans qu’il est mort. Qui vit maintenant sur cette île ? Elle n’est pas, tout de même, restée déserte toutes ces années ? Je n’en ai aucune idée… Tout cela est ci loin de moi maintenant. Et maman ne travaille plus avec ces gens-là. Est- ce qu’ils sont toujours vivants ? En tout cas, si l’occasion s’était présentée d’un coup, je n’aurais pas hésité un seul instant pour aller voir ce qui se passe sur ces îles maintenant ! » « Tu sais pourquoi nous sommes invités sur ses îles ? », demanda la voix charmante d’hier. « Non, c’est peut-être mes souvenirs, qui me parlent… », répondit Christine. « Tu as été sur ces îles ?! Comment ?! Quand ? À quoi elles ressemblent ? », s’enthousiasmait la voix. Christine se prêta à nouveau à ce jeu de dialogue mental, elle répondait dans sa tête à la voix intérieure : « Cela fait bientôt vingt ans, que j’y suis allée avec ma mère et son ami de l’époque, un Italien. J’avais onze ans, je me souviens de cet endroit magnifique, plein de magie… Je reviendrais volontiers là-bas, mais je ne sais pas comment… vous en savez plus ? » « Je m’appelle Bill, et toi ? » « Moi, je suis Christine ! Contente de faire votre connaissance ! Vous connaissez ces îles, puisque vous m’en parlez ? » « Non, je n’en connais rien, mais j’ai reçu un e-mail très étrange, qui me parle de ces îles… C’est vous, qui me l’avez envoyé ? » « Non, non, je n’ai envoyé aucun e-mail à personne, je n’y pense pas depuis très longtemps ! Je ne sais pas qui ça pourrait être… C’est curieux, que vous m’en parliez maintenant… j’ai tant de souvenirs de cet endroit ! Drôle de coïncidence ! » © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 20
  • 21. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV « En plus, une voix intérieure m’a parlé de ces îles ! Pardon, je vous raconte mes histoires, mais je sais qu’à vous, je peux me confier… » La voix devenait plus basse et plus épaisse. « Continuez, continuez, cela m’intéresse beaucoup ! » Christine avait retenu son souffle. « Enfin une âme-sœur ! », répondit la voix, réfléchissant. À ce moment le téléphone sonna dans l’appartement de Bill. Il répondit peu volontiers. La voix dans le téléphone était énervée : « Combien de temps on va t’attendre ? On va rester ici pendant des heures ? Tu es devenu bizarre ces derniers temps, Bill ! Cela ne peut pas durer longtemps comme ça ! Prends des vacances, si tu es si fatigué ! Va sur les îles ! À toute !… Biip, biip, biip… » La voix avait raccroché de l’autre coté. « Va sur les îles… Va sur les îles… Va sur les îles… », grommelait la voix, comme un écho dans les oreilles de Bill. — Quoi, lui aussi ?! C’est un complot !!! cria Bill, et sa propre voix ricochait d’un mur à l’autre. Bill se rassit sur son divan, devant le vase des fleurs fanées et essaya de se concentrer à nouveau sur sa conversation intérieure, mais la voix ne revenait plus. Il attendait, attendait, il regardait les fleurs, les rayons sur les pétales tombés, mais la communication était interrompue. Bill ne s’étonnait plus de rien ! Il était tellement heureux ! Il avait retrouvé une âme-sœur, si gentille, si confiante, mais où ?! À l’intérieur de lui-même ! « Qu’il essaye de le dire à quelqu’un ! Drôle de risée qu’il risque de provoquer ! Non, il ne le dira à personne, il le gardera comme son plus grand secret ! Ses mystères, cachés sur les îles de Noureev… c’est si romantique… » Christine était déçue d’avoir perdu brusquement ce dialogue à l’intérieur de sa tête. Elle voulait en savoir plus ! Elle était tellement intriguée de cette subite confession d’un homme, dont elle savait déjà le nom : « Bill ! C’est drôle ! Comme une cloche ! Bill ! Bill ! Bill ! », son nom retentissait dans sa tête. « Biiiil ! elle l’appelait désespérément. Biiiil !!! » Mais il ne répondait plus. Elle ressentit d’agréables frissons dans tout son corps, comme si un homme bien aimé la caressait tendrement. Encore et encore… Elle resta immobile quelque temps, en s’adonnant à ses sensations, enveloppée tout entière dans les rayons du soleil couchant derrière les arbres. Les aromates des fleurs se répandaient sur toute la rue, quelques gros nuages traversaient le ciel avec vitesse, laissant tomber les gouttes très fines et transparentes, dans lesquelles les rayons du soleil se répartissaient en mille petits traits scintillants. Christine était heureuse. Paul se retrouva devant la porte du directeur. Il ne voulait pas aller là-bas, de l’autre © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 21
  • 22. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV coté de cette porte ! Il était prêt à tout pour essayer d’échapper à ce stupide, de son point de vue, échange d’opinions. De toute façon, rien ne l’obligerait à aimer et respecter cette horrible prof, rien ne l’obligerait à aimer les maths non plus. Décidément, tout cela était complètement inutile ! Et le pauvre directeur, rien que d’y penser, il lui faisait de la peine ! Le directeur était un homme paisible, un peu dodu, avec une légère calvitie de la cinquantaine. Il portait des vêtements estivaux, déjà dès le début du printemps, et il semblait qu’il suffisait de lui rajouter un chapeau en paille pour qu’il devienne un berger parfait ! Il détestait les conflits et grondait les enfants, seulement, quand il ne pouvait pas y échapper. Les profs connaissaient ses faiblesses, et, avec un goût sadique exemplaire, ils lui fournissaient les élèves « à éduquer ». C’était leur petit jeu interne. Paul n’aimait pas participer à cette « mise à mort » du pauvre directeur qui voulait cacher sa faiblesse devant les élèves. Puisque, quand il devait lever sa voix, il devenait tout rouge, tant d’efforts il employait pour cela, ses cheveux montaient, tous électrisés, son corps tremblait et, dans l’ensemble, il donnait une impression assez pitoyable. Paul attendit assez longtemps avant de frapper. « Pitié, pitié, qu’il ne soit pas là ! », balbutiait Paul devant la porte. Une dame de service, en robe à rayures roses, passait dans le couloir. Elle le regarda longuement. Paul se sentait obligé de frapper. Rien. Pas de réponse. Il réessaya. Rien à nouveau. « Hum… intéressant… Il doit être sorti… je suis sauvé-é-é-é ! », s’écria Paul dans sa tête. Derrière lui quelqu’un toussa. Paul se fana d’un coup, tout déçu. Il retourna la tête et vit devant lui son directeur… mais… il était tout transparent ! — Waouh !!! s’écria Paul à haute voix. Et puis il ne savait plus quoi dire… Il regardait « le directeur » et le directeur le regardait, lui ! Le temps de silence durait assez longtemps. Paul voyait un certain étonnement dans le regard du directeur, ses yeux derrière les grosses lunettes étaient presque pleins de larmes. Paul ne comprenait plus rien ! « Il est devenu un fantôme ? Alors, où est-il passé le vrai directeur ? » Paul laissa tomber une logique normale, parce qu’elle ne servait à rien dans ce genre de situation. Il tenta de réfléchir selon les films de science-fiction qu’il regardait souvent: « Ce sont les petits bonshommes verts qui se sont approprié l’apparence du directeur, et ils l’ont emmenée dans leur vaisseau pour les expériences… », cette version lui semblait la plus logique dans ces circonstances. Mais tout de même il n’osait pas la prononcer à voix haute. Au fond du couloir réapparut la dame aux rayures roses, et pendant que le regard de Paul glissait sur la dame et ses formes généreuses, l’image du directeur s’était dissipée dans les airs. Paul était légèrement déçu d’être si lâche et de ne pas lui avoir demandé d’où il venait. Mais c’était trop tard. « Je me préparerai pour la prochaine fois, pour ne pas être si dupe ! Quel idiot je suis ! Avoir devant soi un extraterrestre et ne pas lui parler ! Impardonnable, du point de vue des relations diplomatiques intergalactiques ! » © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 22
  • 23. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Le collège de Paul était un des meilleurs de la ville. Paul était fier d’en faire partie, mais ses notes n’étaient pas si fières de lui. Il était l’avant-dernier de la classe. Et, pourtant, il essayait de faire des efforts. Il essayait d’écouter même les profs les plus dégoûtants, mais chaque fois quelque chose lui détournait son intention. Son meilleur pote, Thomas, le faisait éclater de rire à chaque fois quand la prof expliquait quelque chose d’extrêmement important. Comme par hasard, son stylo éclatait pendant la dictée et les papiers avec les récits à apprendre se volatilisaient par eux-mêmes. Paul se moquait pas mal des études et se réjouissait du fait d’avoir plein d’amis, de se balader avec eux dans les grands couloirs de ce vieux bâtiment, de regarder fleurir les arbres et de vivre pleinement sa vie de garçon de douze ans. L’avenir ne lui pesait pas, et, justement, ce fait faisait de lui un très bon observateur. Il remarquait tout ce qui se passait dans son collège, il comprenait tous les rapports de force entre les enseignants et les élèves, ce qui le rendait dangereux aux yeux de ses profs. Et ils le laissaient vivre, en ne le grondant que de temps en temps. Les enfants sentaient, eux aussi, son privilège et le respectaient encore plus. Paul n’était pas du tout un garçon à part. Bien au contraire, il était le cœur et l’âme de tous ses copains, il les aimait et ils lui répondaient avec les mêmes sentiments. Au moment où Paul se libéra de sa vision, la sonnette du collège retentit. Son bruit très fort le ramena à la réalité, à ses devoirs, à ses copains et il se précipita à rejoindre sa classe: — Salut, les potes ! Je m’en suis bien sorti cette fois-ci ! Notre directeur s’est dématérialisé devant mes yeux ! Si vous aviez vu tout ça ! À mourir de rire ! — Oui, oui, c’est ça ! Raconte des babars ! Il a tellement crié qu’il a fini par exploser ! Ha ha ha !!!! — Bon, laissez tomber ! Paul ne voyait pas, par quels arguments il pourrait éprouver la vérité de ses mots, et, connaissant bien ses copains, il ne voulait pas non plus passer pour un visionnaire. Tout le monde dans sa classe jouait aux jeux vidéo, tout le monde avait de temps en temps des visions et des cauchemars provoqués par ces jeux. Il décida de changer la conversation, avant qu’elle ne déraille. La journée était incroyablement ensoleillée ce jour-là. Paul avait décidé de marcher jusqu’à la maison. Traînant derrière lui son sac, plein de livres d’école, il regardait comment les habitants de la ville se préparaient au printemps. Certains peignaient leurs façades, d’autres lavaient leurs voitures, ou encore se promenaient, se fringuant avec les tout nouveaux articles des boutiques, d’autres se délectaient en terrasses autour de leur bière, cachés derrière des grosses lunettes de soleil. Paul aimait observer les gens, il inventait leur vie, leur profession, leurs amis, parfois se construisant une longue histoire avec beaucoup de personnages. Comme sa mère était toujours absente, il se nourrissait de la vie autour de lui, et en cela il réussissait mieux que tous les garçons de son âge. Mais il n’était pas pour autant un garçon de la rue. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 23
  • 24. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Il ne traînait jamais avec les garçons de son immeuble, jouant toutes les soirées au foot devant les fenêtres. Dès qu’il débarquait à la maison, il s’installait devant son unique jouet adorable, son ordinateur, et commençait ses vagabondages dans les espaces de jeux. Cet espace virtuel englobait sa vie domestique. Il ne voyait plus les quatre murs de sa chambre, mais des immenses espaces où il pouvait explorer à l’infini. Son amusement principal était de chercher les trésors sur les îles des Pirates. Un jour, l’un de ses cojoueurs lui avait parlé d’une île dans la mer Méditerranée, entre l’Italie et la Tunisie, où, paraît-il, étaient cachés des trésors des tsars russes. Cette île avait appartenu longtemps à des danseurs russes, chargés de protéger ces trésors, confiés par le grand tsar Dimitri. Mais depuis la mort du dernier des danseurs, cette île n’appartenait plus à la grande dynastie des Russes, et le destin de ce trésor demeura inconnu à ce jour… Paul, toujours curieux de tout, avait fait sa propre recherche sur internet et avait vite découvert les noms de tous les danseurs possédant les îles de Galli en face de la côte Amalfitaine. Il avait été étonné de la précision que lui avait donnée ce joueur inconnu. Paul se rendit à nouveau dans le jeu et attendit toute la soirée le joueur mystérieux. Quand il apparut, Paul, courant auprès de lui sur un pré virtuel, lui raconta les résultats de ses recherches. Soudain, un autre joueur s’arrêta devant eux, écoutant attentivement leur conversation, et dit : « Je cherche depuis longtemps un certain Paul, expliqua le deuxième joueur, il est le seul héritier de ces Mystères des îles de Noureev. C’est une vieille légende. Je ne sais pas pourquoi, mais j’y crois. Ce ne sont pas des trésors, mais ce sont les Mystères, bien plus grands que les simples trésors, ils ouvrent des grandes Connaissances. Mais je n’en sais pas plus. J’avais fait de longues recherches et, en arrivant à un bon point, j’ai trouvé un manuscrit qui m’a dit que je ne pouvais pas aller plus loin. Ce chemin est réservé à un nombre très strict de gens sur la Terre. Parmi ces noms il y avait celui de Paul qui devrait trouver un certain Bill, et ensemble, ils pourront ouvrir ce mystère à l’Humanité… » Le premier joueur répliqua: « Mais il y a des milliers de Paul et de Bill sur la planète ! Ils sont tous les heureux possesseurs des Pouvoirs Suprêmes ? » « Non, ils ne sont que deux, mais on ne sait pas lesquels. Voilà, le plus grand problème ! », répondit le deuxième. « Et comment pensez-vous vous apprêter à ces recherches ? », s’intrigua le premier joueur, pendant que Paul écoutait silencieusement cette savante conversation sur le terrain du jeu d’internet. « Je ne sais pas, je suis coincée… » « Vous êtes une femme ?! », s’écria le premier joueur, car devant Paul, sur l’écran, se trouvait un grand Trolle barbu. « Oui, je suis une femme, et ces recherches m’ont poussée à aller dans les espaces virtuels, j’espérais y trouver ma réponse… Et pour mon apparence de Trolle… rien de © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 24
  • 25. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV très compliqué, j’avais moins de chances de me faire défoncer par mes adversaires… Et c’est plus drôle comme ça, déguisée ! » « Comment tu t’appelles alors ? », demanda le premier joueur. « Caroline ! » « C’est ton vrai nom, ou un nom de ton Trolle ? », insista le premier joueur. « Oui, oui, vrai, j’ai rien à cacher, et toi, tant que tu y es ? » « Moi, c’est Kim ! Et notre ami, tu es encore là ? On ne t’entend pas du tout… Ah hou ! » « Je suis là ! Paul… mon vrai nom est Paul… » Une petite note de silence instantané s’était installée sur le jeu. L’écran de l’ordinateur réfléchissait… « Mmm… », commença Caroline en rompant le silence, on sentait qu’elle réfléchissait fortement. Le premier, Kim, reprit son souffle virtuel : « Écoute ! Et si tu as une chance sur cent mille et que tu es le vrai Paul, à ta place je l’aurais tenté… Même si tu te plantes, quelle aventure ! Au moins, tu as visité les îles de Noureev ! Vas-y ! Je parie sur toi ! » Paul l’écoutait en réfléchissant à comment il pourrait s’y prendre pour une telle aventure, et qu’est-ce qu’il aurait expliqué à sa mère… « Attendez, les garçons ! Si j’ai bien compris, l’un d’entre nous est Paul ! Moi, je ne suis pas Bill, mais j’en connais un… et si on tentait l’impossible ! Mon boss s’appelle Bill, il est très caractériel et imprévisible, mais il pourrait peut-être s’accrocher à l’idée… bon, s’il n’est pas le vrai Bill, et, toi, tu n’es pas le vrai Paul, ou l’un de vous deux ne l’est pas… en tout cas, il est celui qui pourra organiser notre voyage, c’est un mec qui sait tout faire ! » « … Bon, intervint Kim, les chances sont tellement infimes mais, de toute façon, même si on se plante, on aura fait le plus beau voyage de notre vie, on s’amusera et peut- être, qui sait, on découvrira tout de même ses mystères… Moi, je suis partant ! Et, toi, Paul, qu’est-ce que tu en penses ? » « Reste à convaincre votre Bill, moi, je marche ! », souffla Paul. « Moi, je m’engage de convaincre mon boss… Tiens, Paul, tu vas lui écrire une petite lettre dans laquelle tu lui révèles ton plus grand secret, et moi, je vais la lui transmettre… Et, pour qu’il y croie davantage, on lui dira qu’il est le descendant des tsars russes, il est tellement vaniteux, que cela devrait marcher ! Hein ? On le fait ? » « Pour le tsar je ne sais pas, fais comme tu le sens, tu le connais mieux que moi, ton boss… Écris-lui de ma part, d’accord ! Déjà, c’est une sacrée aventure ! Salut ! À plus ! » Paul coupa l’ordinateur. Bill sortit de sa maison et, au lieu de se diriger vers ses Studios, il prit la direction du quartier commercial et s’arrêta devant un magasin de fleurs. « Puisque je ne peux pas t’envoyer des fleurs, ma chère nouvelle amie, je les poserai là, où je peux converser avec © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 25
  • 26. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV toi, où je me sens le plus proche de toi ! » Il rentra dans le magasin, plein d’arômes de toutes sortes : les parfums sucrés des roses, les parfums aigres-doux des plantes tropicales, l’odeur de la terre dans les pots et une fine senteur des herbes de la campagne l’ont frappé dans le visage. — Des tulipes, des roses, des magnolias, des lys et quelques feuilles de bambou ! télégraphia Bill à la vendeuse. — C’est pour la maison ou pour offrir ? demanda-t-elle d’une voix indifférente. — Pour la maison, non… pour offrir… enfin, non, pour offrir à la maison ! — Il faut que vous vous décidiez enfin ! Elle ne comprenait pas et elle ne pouvait pas comprendre que Bill ne le savait pas lui-même! Mais il voulait faire ce geste, à qui ? Il ne le savait pas… Quand il sortit du magasin, il se sentit à nouveau léger, sans devoir se justifier à personne, il était à nouveau heureux dans ses sensations d’aventure débutante. Avec qui ? Il s’en moquait complètement ! Il portait les fleurs à celle qui comprenait son âme et cela était suffisant pour l’instant ! À la maison, Bill posa soigneusement toutes les affaires. Il passa du temps à laver le vase, à couper passionnément les bouts des tiges, et puis il les plaça dans un grand bouquet décoratif comme un bon spécialiste japonais. Il était rentré dans un tel état de méditation, qu’il n’entendait plus les appels incessants de ses collègues du travail. Il était bien ailleurs. « Pourvu que ça marche cette fois-ci ! Je voudrais continuer à parler avec elle ! », pensait-il en fixant les fleurs. Il était onze heures du matin, les Studios se déchaînaient derrière l’appareil téléphonique. Il ne les entendait pas. « Christine, réponds ! S’il te plaît ! Je suis prêt à t’entendre ! Je t’en prie ! » « Je suis là… j’ai eu le temps de rentrer chez moi, tu étais où ? » Il entendait de la joie, mal cachée, dans la voix de Christine. « Oh ! Tu es là ! Je suis allé te chercher des fleurs, beaucoup de fleurs, tu aimes les fleurs ? » « Je les adore ! » « Tu m’as manqué, j’avais peur de ne plus te retrouver en revenant… Mais dis-moi, pourquoi, quand je te demande de me parler de toi, tu disparais ? » « Mais c’est toi qui as disparu brusquement, j’allais te raconter mes voyages sur les îles… » « Oui, oui, on en était là ! Je t’écoute ! » « Ma mère avait à l’époque un ami italien, il travaillait avec Noureev pour ses spectacles grandioses, et elle m’emmenait partout où elle allait. Un été on est passé sur les îles. Elles ne sont pas très grandes, ces îles, d’une matière rocheuse, probablement d’origine volcanique. Elles sont trois : une grande, deux kilomètres de longueur, et deux, toutes petites, comme des satellites. Des pièces du décor dans la surface de la mer. Ces îles, je me souviens bien, elles étaient remplies de mystères. Noureev ne voulait pas en © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 26
  • 27. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV parler en ma présence, et ma mère m’expliquait que j’étais encore petite pour tout savoir. Apparemment, elle savait beaucoup de choses, mais je ne lui ai jamais demandé de me raconter plus… il faut que je lui pose quelques questions, si cela vous intéresse tellement ! Voulez-vous ? » « Oui, oui et comment ! Mais où habite maintenant votre mère ? » « Elle habite dans le sud-ouest de la France. Je pourrais aller la voir ! » « Puis-je vous accompagner ? » « Mais vous m’accompagnez déjà partout, où que je sois ! Vous n’avez pas besoin de me demander, vous êtes le bienvenu ! » Christine se mit à rire. « Oui, je n’ai pas osé de… » « De quoi… » « De vous demander plus…, j’ai tellement peur de vous perdre ! Non, laissons pour l’instant tout à sa place ! Allez voir votre mère, je vous suivrai… » « Mais quoi, au juste, avez-vous voulu me demander tout à l’heure ? Pas tout de même… » « Non, bien plus que ça ! Mais j’ai peur que nous ne soyons pas encore prêts… » « Je vous écoute… » « Je veux vous accompagner, mais… là-bas, en vrai… en moi, en personne, en tant qu’homme réel… en chair et en os… je suis pas mal ! D’après ce qu’on dit… », il rit légèrement. « Je n’ai pas pensé à cela… je dois réfléchir encore… laissez-moi un peu plus du temps… je vous embrasse, à bientôt ! Venez me voir quand vous voulez… » et elle disparut. Il ne l’entendait plus… plus rien… Bill se releva de son divan en furie, en criant seul dans son salon: — Elle m’embrasse ! Je vais l’accompagner ! Mais qu’est-ce que je dis ! Elle n’est pas réelle ! C’est mon imagination qui parle ! Comment je peux m’accompagner moi-même, mon imaginaire, qui est déjà en moi ! Non ! Non ! Ce n’est pas possible !… Pourtant, elle me semblait si proche… Il sortit en courant de son appartement et sauta dans sa voiture de sport. Une fois sur le free-way, il ne s’était pas rendu compte, que le tableau montrait déjà les deux cents… les deux cent vingt… deux cent vingt-cinq à l’heure… Juste que le volant tremblait dans ses mains et le vent hurlait derrière les vitres. Il ne voulait plus penser à rien, il ne voulait plus savoir si elle était réelle, ou bien non ! Dans les deux cas, les deux possibilités l’effrayaient. « Si elle n’était pas réelle, si elle n’était que le produit de son imagination, alors, il ne la verrait jamais ! Mais son désir de la voir était si réel, si fort, si saisissable, qu’il ne pouvait plus imaginer un seul instant que ce serait impossible… Mais… si, par hasard… elle… » Il ne laissait pas rentrer cette idée dans son conscient… mais, de plus en plus, gardait la porte entrouverte… « Si elle est réelle… cela veut dire qu’il communique avec un être humain à l’autre © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 27
  • 28. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV bout de la planète uniquement par la force de sa pensée !!! Cela dépassait complètement tout ce qu’il savait jusqu’à là ! À un fort sentiment de bonheur, issu de cette belle présence dans sa vie, se rajoutait, alors, un sentiment nouveau, auquel, il ne savait pas, s’il devait être content ou non… Il brûlait d’impatience et de peur de découvrir « Qui elle est ?! Où elle est ? Pourrait-il la voir un jour ? » Toutes les préoccupations de travail étaient passées au deuxième plan, Bill était obsédé par le désir de savoir. Dans ce désir il y avait tout : une forte envie de se retrouver enfin en harmonie avec quelqu’un qu’il pouvait déjà appeler « l’âme-sœur », l’envie brûlante de partir en voyage à la découverte de l’inconnu, de découvrir en lui-même des pouvoirs extraordinaires, qui lui donnaient le vertige ! Tout cela ensemble !!! « Mais elle n’a pas dit “non”… songea-t-il. Elle aurait pu tout de suite me dire d’arrêter de penser à l’impossible… Elle ne l’a pas fait… Donc, elle pense que c’est possible… alors elle est consciente de ses pouvoirs… ou c’est moi qui me réponds moi- même… » De toutes ses pensées incompréhensibles, il avait commencé à avoir un horrible mal de tête. La voiture, semblait-il, roulait par elle-même et, heureusement, il était seul sur ce bout d’autoroute. Peu à peu Bill revint à lui, le mal de tête s’estompait et laissait la place à une appréciation de la situation. Il s’était rendu compte qu’il roulait à deux cent vingt-cinq à l’heure, et, grâce à Dieu, il n’y avait pas beaucoup de virages, et, s’il ne ralentissait pas, ce serait son dernier voyage… Il commença à appuyer sur la pédale du frein, le bruit diminuait derrière les vitres, le volant tremblait de moins en moins, et les images commençaient à apparaître à gauche et à droite de la voiture. La voiture ralentissait jusqu’à quatre-vingts à l’heure. « Une Force me protège ! », se dit-il en arrivant aux portes des Studios. Le calme qui régnait dans les environs des Studios le surprit. Il se demanda : « Qu’est-ce qu’il se passe ? » Normalement à son arrivée des dizaines de gens lui sautaient dessus, l’arrachaient de la voiture et lui exigeaient des réponses immédiates à des milliers des questions. Personne. Comme si l’Univers avait entendu sa demande, et le monde entier le laissait en paix. Tout de même, il voulait savoir à quoi était dû ce changement, car il ne croyait pas du tout au fait que l’Univers puisse avoir des oreilles pour l’entendre, et, d’autant plus, réagir en si brefs délais. Bill rentra dans le bâtiment : sa secrétaire était en place, comme toujours. Lui jetant un rapide « bonjour », Bill passa dans son bureau. Sur sa table, comme d’habitude, régnait un grand désordre, car Bill empêchait tout le monde de s’approcher de ses papiers et les ranger, et comme il n’avait pas non plus le temps pour s’en prendre à cette montagne, elle ne cessait de croître. Tout était comme toujours, sauf que le téléphone ne sonnait plus comme un fou, et la secrétaire ne rentrait pas toutes les deux secondes pour lui introduire des clients indésirables. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 28
  • 29. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Bill décida d’attendre et de voir ce qui allait se passer. Il ne se passait rien. Ce qu’il trouvait agréable au départ, commençait à l’ennuyer légèrement : « Personne n’a plus besoin de lui ? » Il ne pouvait pas être viré, car les Studios étaient les siens. Ils ne pouvaient pas être fermés, car c’était un jour de travail, et personne ne pouvait donner l’ordre à sa place. Quoi donc ? Une révolte ? Un mini-coup d’État ? Cela devenait très curieux. Il sortit dans le couloir. Personne. Il rentra dans le bureau de la secrétaire. Elle, semblait-il, ne le voyait plus. — Bonjour, commença Bill, hésitant. — On s’est déjà salué, Bill ! Vous ne vous en rappelez pas ? Son ton très calme et quotidien lui paressait bizarre. — Il s’est passé quelque chose ? — Ici ? Non, tout va bien, l’équipe est partie pour les repérages, Bill. La lourdeur tomba de ses épaules : « Apparemment, tout va bien ! », mais quelque chose dans l’air continuait d’être, quand même, très étrange. — Vous allez bien ? Il ne savait pas par quoi commencer. — Oui, je vous en prie. — Mais de quel diable vous me répondez de cette façon ! commença à s’énerver Bill. Dites-moi enfin, qu’est-ce qu’il se passe ?!!! Il tournait autour d’elle comme un vautour. La secrétaire avait l’air impassible et répondait très calmement : — On a décidé de vous offrir des vacances, Bill. On s’est réuni et on a décidé de continuer le film sans vous, car votre état de santé nous inquiète beaucoup. Donc vous devez vous reposer. Voilà, les billets pour Paris, Séoul et l’Italie, dans un premier temps, après, si vous décidiez de changer votre itinéraire, vous pouvez le faire à tout moment, je suis là pour assurer le succès de l’opération… pardon, de votre voyage ! Bonne route, Bill ! Vos hôtels sont tous réservés, vous trouverez tout dans ce dossier, vous n’avez qu’à faire vos bagages ! Et bon retour, Bill ! Elle lui tendit le paquet avec les réservations et les cartes bancaires et, comme avant, avec un grand calme, elle se remit à regarder l’écran de son ordinateur. — Au revoir, répondit Bill, quittant le bureau de sa secrétaire dans un total abasourdissement. Un moment il voulut revenir, crier, s’imposer, s’indigner de cette décision collective derrière son dos, mais un léger ruisseau de plaisir apparut dans son ventre. Il revenait encore et encore et devint enfin bien fort et saisissable. Bill était prêt à sauter de joie : « Il était libre ! Libre comme il ne l’avait jamais été auparavant ! Jamais ! Comme si, l’Univers, comme un immense génie, avait comblé son plus grand rêve, lui donnant la liberté au moment où il la souhaitait plus que tout au monde ! Sortant de son bureau, Bill prit sur la table et jeta dans sa poche le bout de papier avec l’e-mail imprimé, et se dirigea vers sa voiture. La journée était belle, calme, ensoleillée, comme presque tous les jours dans cette région, rien ne lui promettait de © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 29
  • 30. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV grands événements. Mais le petit ruisseau dans son ventre lui rappelait que quelque chose s’était passé quand même entre-temps. Pour l’instant il ne voulait plus y penser. Ce ruisseau lui était suffisant pour sentir un léger sentiment se répandre dans son corps. Revenant à la maison, Bill décida, quand même, de regarder l’heure du départ : « C’était pour ce soir ! » Tous les ponts à la désertion étaient coupés, maintenant ou jamais. « Mais comment elle avait deviné le trajet de mes destinations ? », se demanda-t-il, jetant les chemises en soie dans la valise. « Et pourquoi Séoul ? On n’a jamais parlé de Séoul ? Paris non plus ? Oui, les sites touristiques de l’Europe et de l’Asie… l’Italie aussi… bon, c’est peut-être une simple coïncidence. Je commence à perdre les pédales en voyant des signes partout ! Il faut partir au plus vite, avant que quelque chose ne me retienne ici ! » Il jeta son dernier regard sur les fleurs, les prit dans la main, et sortit dehors sans la moindre hésitation. Christine roulait dans le TGV en direction du Sud-Ouest. La question que lui avait posée Bill, la tourmentait : « Elle savait déjà qu’elle le verrait bientôt et qu’il l’emmènerait sur les îles de Noureev, mais elle ne savait pas quand et comment ils se rencontreraient. » « Mais on aurait pu prendre le rendez-vous hier! Il me le demandait… » Cette idée de passer au réel lui faisait légèrement peur, mais juste un peu, Christine ne doutait plus de l’existence de Bill. Mais elle ne savait rien sur Bill, ni qui est-il, ni où habite-t-il, ni quelle langue parle- t-il ! Elle ne savait rien ! Et ce « rien » retardait sa décision sur le rendez-vous. « Ce n’est pas pour demain, se disait-elle, et c’est déjà bien ! J’ai encore un peu de temps devant moi. Et il faut que je demande pas mal de choses à ma mère, sur tout ce que m’a demandé Bill. Mais comment je raconterai à ma mère, qui est Bill, et comment il m’a raconté tout ça ?! Oh, encore une énigme… », réfléchissait Christine en regardant les paysages filants. « C’est si agréable de parler avec lui, de l’entendre, de sentir sa constante présence, mais comprendre tout ça, c’est un véritable casse-tête ! Pour ma mère il faut que j’invente une explication un petit peu plus crédible… Sinon, elle va s’inquiéter pour rien. Ce n’est pas de sa faute si elle est née avant que toutes ces méthodes commencent à apparaître, et que je fais partie des gens qui comprennent déjà un petit bout. D’accord, je suis encore très loin de la vraie compréhension… rien que le fait que j’hésite avec Bill… mais si j’avais réussi à me débarrasser de cette fatigante hésitation, et si je commençais à voir les choses avec les yeux d’un enfant qui accepte tout, même l’incompréhensible et l’inimaginable ? Les enfants ont plus de chance que nous dans tous ces apprentissages ! Ils ont moins de blocages dès le départ. » Elle regardait les champs de blé à travers la fenêtre du train. « Oui, il faut que j’arrête de me poser ces questions, que j’accepte Bill comme une donnée, une réalité. Et comment il viendra dans ma vie, cela n’a plus aucune importance. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 30
  • 31. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Laissons l’Univers agir pour nous ! Et que la Force nous guide ! » Elle s’approchait de la gare de sa destination. Les fortes senteurs du Sud l’avaient frappée au nez, dès que Christine avait quitté le train. Sa mère l’attendait sur les quais. — Maman, j’ai passé un voyage fantastique ! Le train a été si rapide que je n’ai même pas remarqué le temps passé ! — Quelle exaltation pour un simple trajet, ma fille ! Christine comprit qu’il fallait cacher légèrement ses sentiments envers Bill, sinon sa mère aurait commencé à lui poser des questions, pour lesquelles elle n’avait aucune réponse : « Combien il gagne, a-t-il des enfants, a-t-il un métier stable ? » Toutes ces questions n’avaient aucun sens pour l’instant. « Pour l’instant… », se répétait-elle. — Maman, je suis si contente qu’on soit à nouveau ensemble ! Je suis tellement fatiguée de la ville. La vie dans la campagne est si agréable ! — Oui, on se sent plus près du sens de la vie, lui répliqua sa mère, et ses paroles retentissaient avec force dans la tête de Christine : « Oui, on se sent plus près… On se sent plus près ! » Bill s’approchait de l’aéroport de Paris. L’hôtesse de l’air annonçait l’atterrissage avec une voix très douce, leur demandant avec un léger accent français « d’attacher leurs ceintures ». D’un coup, il se demanda : « Mais quelle langue parle Christine ? » Avant, cette question ne lui était pas passée par la tête, il la comprenait, c’est tout… Encore un doute se glissait dans sa conscience. Il commençait à se rebeller contre sa conscience, si rigide et si contestatrice ! « Pourquoi sa conscience ne le laissait pas en paix avec lui-même à vivre cette expérience extraordinaire ? Pourquoi elle ne se tait pas et ne lui laisse pas la possibilité de découvrir tout, pas à pas, quel que soit le résultat ? Pourquoi elle veut être si pressée à connaître la fin de l’histoire qui n’a même pas encore commencé ! Fiche-moi la paix !!! », cria-t-il dans sa tête, en s’adressant à sa conscience. De l’extérieur, il avait l’air tellement agité que l’hôtesse de l’air lui a demandé s’il ne voulait pas boire quelque chose ? — Oui, oui, du whisky, un double ! Il essayait de prendre l’accent français. L’hôtesse de l’air lui fit un grand sourire : — Vous avez un rendez-vous par internet ? — Oui, en quelque sorte, a-t-il dit avec effort. — On voit beaucoup de gens s’agiter comme ça, comme vous, ici, dans les airs; après ils reviennent, très souvent, beaucoup plus raisonnables. Mais il ne faut pas désespérer, peut-être, vous êtes unique dans l’Univers ? Et vous aurez votre chance ! — Peut-être… lui répondit Bill, souriant. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 31
  • 32. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV — Vous ressemblez beaucoup à un acteur américain… que j’aime beaucoup… — Non, non, souvent on me prend pour lui ! se précipita à répondre Bill. On m’a même demandé si je ne voulais pas être son sosie ! Mais non, désolé… c’est pas lui… — Dommage, sinon, je vous aurais demandé un autographe ! Pour ma fille, bien sûr ! « Heureusement, on va atterrir », a pensé Bill. Il n’avait guère envie de donner des autographes à tout le salon de l’avion. Dans son hôtel, où les fenêtres donnaient sur le grand jardin des Tuileries, Bill avait remarqué un petit mot qui l’attendait sur la table. Dans une enveloppe en papier spécial, sans le timbre de la poste, il se reposait sur la surface vernie. « Encore des lettres des fans ! Non, je la lirai plus tard ! », se dit Bill en se dirigeant vers le grand canapé au fond du salon de sa suite. Sur la petite table basse il y avait un grand vase avec le magnifique bouquet de roses, offert, probablement, par la direction de l’hôtel car ils devaient être fiers de recevoir une telle vedette dans leurs murs. Le numéro de sa suite était impeccable : des tableaux de Renoir dans des cadres dorés, de magnifiques services de porcelaine fine dans les vitrines, des divans, des tapisseries des Gobelins, des tapis persans couvrant le parquet… tout correspondait parfaitement à son goût californien ! Bill a sorti de son sac de voyage le bouquet de ses fleurs, à peine vivantes, puis il a enlevé les roses de leur vase et a mis ses fleurs à la place. C’était l’heure du crépuscule, le soleil tombait vers l’horizon, et les rayons bas se glissaient juste sur la table avec son bouquet dessus. Il a regardé sa montre, elle montrait dix heures du matin. « Mais, oui ! J’avais oublié de changer l’heure, il est temps de la conversation… Où est-elle ? Elle sera si contente de savoir que je suis arrivé ! » Il devenait très impatient à l’idée de la voir, peut-être, déjà ce soir ! Le sang pulsait dans ses trempes, la tension montait, il n’arrivait pas à se calmer. Bill buvait de plus en plus de whisky, en regardant le soleil se coucher, et il pensait que : « Peut-être, ce n’était qu’une hallucination de la fatigue, due à son travail, et qu’il faudra qu’il se repose avant de devenir complètement fou… » Doucement il s’endormit après la longue nuit passée dans un avion, comme il était, sur le canapé, devant ses fleurs d’Amérique… Christine était contente que sa mère se montrât discrète, sans la tourmenter avec des questions sur sa vie privée. Christine n’aimait jamais ces questions, surtout de la part de sa mère, car elle n’avait pas grand-chose à lui répondre. Sa vie était un chaos continu de rencontres qui terminaient toujours mal. Elle n’avait plus ni force, ni envie de rassurer sa mère, que cette fois-ci… ce sera le bon… Non, cette fois-ci, ce sera toujours la même chose. Pas de boulot intéressant, pas de mec intéressant, elle se considérait déjà, à ses 31 ans, une femme totalement ratée. Et elle ne pouvait pas, tout de même, raconter à sa mère, que son unique consolation était © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 32
  • 33. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV dans ses histoires imaginaires, qu’elle consommait, comme une vraie vie. « Comment je vais attaquer la conversation sur les îles ? Elle a peut-être déjà tout oublié… », pensa Christine. — Maman ! dit-elle à voix haute, viens ici, on va admirer le coucher du soleil, cette colline ouvre un paysage si magnifique ! Maman… je ne sais pas comment t’expliquer, et ne me demande pas pour l’instant de te donner des explications… Mais quelqu’un m’a parlé des îles de Noureev… tu te souviens, on a été là-bas, quand j’étais petite ? — Des mystères des îles de Noureev… a repris sa mère avec une voix basse et mystérieuse, juste au moment où le soleil a touché la ligne de l’horizon. Qui est-ce qui t’a parlé de cela ? Ah, tu ne veux pas que je te demande… d’accord. La mère se plongea dans des souvenirs profonds. C’est une vieille légende. Noureev nous l’a racontée : Il y a très longtemps, les païens russes ont transmis au grand prince Vladimir des Connaissances. Sous quelle forme, personne ne le sait. Les grands princes les transmettaient d’une génération à l’autre, en les gardant dans un secret total. Personne, à part les familles royales, ne connaissait leur existence. Le grand tsar Dimitri, ayant peur des persécutions de la part de révolutionnaires, a confié ses Connaissances à un danseur du ballet russe, en l’aidant émigrer en Europe. Le grand tsar a financé lui- même son voyage et le reste de sa vie, ce danseur a vécu dans le luxe et la gaîté. Ne pouvant pas garder ces Connaissances dans la ville, ce danseur les a déplacées sur une île, complètement isolée dans la mer méditerranéenne, en face de la côte italienne. Mais ce n’est pas tout ! Paraît-il, que le grand tsar avait encore un autre trésor de sa vie. C’était sa fille Alexandra, une jeune actrice, qu’il a cachée longtemps dans les provinces profondes de la Russie. Elle vivait loin de la cour, dans une petite ville de Sibérie. Elle était si belle et si talentueuse, que ses admirateurs, sans connaître sa haute provenance, lui faisaient des portraits, l’un desquels est resté intact dans les archives de son théâtre. Sur ce portrait, on voit bien une bague avec un grand rubis, que lui a offert son père. Quel est le destin de cette actrice de la province, on ne le sait pas précisément. Les années de communisme ont effacé toutes les traces. Mais, peut-être, maintenant, il sera possible de savoir ce qu’elle est devenue, la belle princesse Alexandra. Les yeux de la mère se couvrirent de larmes. Elle se releva et partit vers la maison. — Mais comment tu sais tous ces détails, maman ? s’écria Christine, dès que sa mère réapparut à la porte. — Voilà, cette bague ! Et elle tendit à Christine une belle bague ancienne, ornée d’or, avec un immense rubis rouge ! Il était magnifique ! Il changeait de couleur sur toutes ses facettes, tantôt il devenait noir profond comme la nuit, tantôt il s’éclatait d’un clin d'œil orange, vif comme le feu, tantôt il luisait de l’intérieur d’une profonde lumière rouge. — D’où l’as-tu, maman ? — C’est le cadeau de ma grand-mère. Je ne savais rien sur la provenance de cette bague. Elle ne m’a rien dit. Quand j’étais chez Noureev, il a aperçu cette bague sur ma © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 33
  • 34. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV main et il m’a demandé de la lui montrer. Il était très ému en la regardant… Puis, il partit dans ses salons et revint avec un autre rubis, plus grand, orné de la même manière que la bague, mais en forme de médaillon : « Ce rubis m’a été confié par mon prédécesseur, il l’a reçu du grand tsar Dimitri, de ses propres mains. Il protège les Connaissances. Et l’autre rubis a été destiné à protéger sa fille bien aimée et ses descendants, qui font partie, eux aussi, des Connaissances. » Christine a ressenti un fort frisson. — On fait partie des Connaissances ! Et tu ne m’as jamais rien dit! Maman ! — Je pensais que tu pouvais mal le prendre… ton père ne le savait pas non plus… En plus, Noureev m’a mis en garde de ne pas révéler les Mystères à tout le monde. Il a dit que le temps n’est pas encore venu. Il fallait attendre le signe suprême de deux prophètes… — Mais tu aurais pu me prévenir, quand même ! — Prévenir de quoi, ma fille ? — De la venue du prophète, car l’un est déjà là ! — Où, là ? — Ici, sur cette Terre, et je lui ai parlé ! Tu comprends maintenant, maman ! Il m’a dit qu’il m’emmène sur les îles, les îles de Noureev, et que là-bas, il trouvera ce qu’il cherche toute sa vie ! Tu comprends, Maman !!! Christine a éclaté en sanglots. Sa mère ne semblait pas du tout être étonnée : — C’est moi qui l’ai prévenu de ces îles, c’est moi qui étais cette petite voix qui lui a parlé de ces îles, et après, quand tu es entrée en contact avec lui, je vous ai laissés tous les deux… Christine regarda sa mère avec de grands yeux : « Jusqu’à là, tout pouvait encore aller, mais que sa mère lui parle de Bill et de ses conversations avec lui, ça, ce n’était pas du tout prévu ! » — Alors, toi aussi, tu as… des Connaissances…? — Oui, moi aussi ! — Et tu ne m’as rien dit ! — Je ne voulais pas brusquer le cours normal des choses. Tout devait arriver en temps et en heure. Voilà, le moment est venu. — C’est toi qui m’as mis en contact avec lui ? — Non, ne t’inquiète pas, tu l’as attiré pas toi-même! Je lui ai simplement rappelé sa haute prédestination. — En quoi elle consiste ? — Je ne sais pas. Noureev m’a dit que quand je recevrai un signe suprême, je devrais trouver cet homme et lui donner la destination. Et à partir de là, il fera tout de lui-même. Lui aussi, il est un possesseur des Connaissances, bien plus grandes que nous, toi et moi. Nous sommes seulement des passeurs du Savoir, lui, il est le Maître. Mais ce n’est pas tout ! Noureev m’a parlé d’un autre prophète, mais, lui, je ne l’ai pas encore trouvé. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 34
  • 35. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV Seul, Bill ne pourra rien faire. Il a besoin d’un coéquipier. Et maintenant c’est ton rôle d’aider Bill à trouver son coéquipier. C’est pour cela qu’il vient te rencontrer en France. D’ailleurs, il est déjà en France ! Et il t’appelle désespérément. Ne le fais pas souffrir davantage. Il a déjà un grand rôle à jouer pour l’Humanité. Mais, je ne sais pas laquelle. C’est à toi à le découvrir et à l’aider. Toute ta vie précédente tu as accumulé la Grande Force en toi, c’est pour ça que tous les gens autour de toi étaient passagers. Ce n’est que maintenant que vient ton heure de gloire, ma fille, ma bien adorée princesse. La toute petite arrière-arrière-arrière-petite-fille du Grand tsar Dimitri ! — Maman ! Alors… Oh ! Il faut que je m’habitue à cette idée… Et Bill, il est lui aussi le descendant du grand tsar ? Dans la voix de Christine se sentait une légère déception. — Non, a sourit sa mère, rien ne t’empêcherait de l’aimer et de l’épouser, si tu le souhaitais. Il n’est pas de famille royale. Il est de la famille des Grands Maîtres, ils étaient bien au-dessus des rois et des tsars. Les familles royales protégeaient les Connaissances, les Maîtres, ils les possédaient ! — Cela ressemble à un conte de fées! Une princesse, un super-héros, et ils doivent sauver le monde ! — Les Connaissances, plus exactement ! — Mais qu’est-ce que c’est ces Connaissances ? — Ce sont les Mystères de l’Inconscient ! — Où ils mènent ? — Vers une vie supérieure… Tu le sauras bientôt ! Sois patiente ! Rentrons ! Il commence à faire frais… le soleil est couché déjà… — Je voudrais parler à Bill, j’ai tant des choses à lui raconter ! — Laisse le dormir, il est très fatigué, lui aussi. Ce n’est pas simple d’apprendre que tu as une grande mission à accomplir. Il faut lui laisser un petit peu plus de temps. Bientôt il sera prêt, lui aussi, à te rencontrer et tout apprendre. D’ailleurs, il est un très bel homme ! Tu as une chance immense ! — Tu sais qui est-il ? — Toi aussi, tu le sais, qui il est ! Regarde dans ton agenda ! Bonne nuit ! Sa mère est partie en refermant derrière elle la porte de la maison. Christine resta toute seule à admirer le ciel étoilé et essaya de comprendre tout ce qu’elle ignorait jusque-là. Tout se remettait en place, tout devenait compréhensible, et elle acceptait avec joie sa grande mission ! « Pauvre Bill, il est encore dans ses doutes, il ne sait pas encore vers où il va, il pense encore que je suis sa fantaisie, peut être… » Elle sourit : « Hmm, comment il prendra tout cela, quand il saura tout ? Et qui le lui dira, moi ? Quelle mission ! Non, ce serait mieux si quelqu’un d’autre lui avait déjà expliqué une partie… Maman ? Non, elle a déjà beaucoup fait ! Qui alors ? Y a-t-il des gens sur la Terre qui connaissent, eux aussi, les Mystères des îles ? Il doit en avoir… ce serait bien de les connaître… Bill ! Fais de bons © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 35
  • 36. LES MYSTÈRES DE L’INCONSCIENT, CACHÉS SUR L’ÎLE DE NOUREEV rêves, on se verra bientôt ! Je t’embrasse ! » Christine ne voulait pas réveiller Bill et décida d’aller dormir, elle aussi. Bill passait une nuit très agitée. Il dormait mal dans un lit étranger, dans une ville étrangère, dans un pays étranger. Il se disait : « Qu’il ne connaissait personne ici, dans cette ville, et, d’accord, c’est la grande capitale de la France que chacun rêve de visiter au moins une fois dans sa vie, mais il se sentait quand même un peu seul et abandonné… » Ce sentiment pouvait sembler faux car il lui suffisait de sortir dans la rue, tout le monde se précipiterait alors pour lui demander un autographe. Il était un des acteurs des plus aimés au monde, mais il se sentait seul… seul au monde… Au milieu de la nuit, il a entendu une voix qui lui a souhaité une bonne nuit et, réconforté, il s’est endormi d’un sommeil d’un néo-né. © Marianna Zentchenko-Lanskaya, 2008 36