1. SYNTHESE
ème
21 Université d’été du Tourisme Rural
Luc MAZUEL
Intervention du Vendredi 30 septembre 2011
« Puisque nos rencontres sont placées sous le signe croisé de la tradition et de la
modernité, la tradition dans ces universités est que je fasse une synthèse finale et la modernité
c’est qu’elle sera courte.
Nous voyons encore cette année combien même sur un sujet plus concret que les
années précédentes, où il est question d’outils, de méthodes, vous pointez les grands débats
qui animent nos rendez-vous depuis tant d’années ; et c’est normal parce qu’ils correspondent
au cycle du voyageur lui-même, parce qu’ils correspondent aussi aux formes spécifiques et
complexes du tourisme des territoires.
Ces débats passent invariablement par la structuration et l’organisation au sein des territoires
pour toujours plus de lisibilité dans le partage des rôles. Ces débats insistent sur le besoin de
formation dans le public comme le privé dans le sens de l’autonomie et du partage. Ces débats
font émerger d’autres pratiques du marketing à la fois plus directes et participatives. Ces débats
valorisent enfin, de manière étonnamment forte, la façon renouvelée d’accueillir et de faire vivre
la rencontre du local avec le visiteur, fondement d’une appropriation collective du tourisme. Et
dans chacune de ses mises en débats, on voit bien que la technologie n’est pas la
caractérisation de l’innovation.
Au fond nous avons encore réinterrogé ce croisement si propre au tourisme rural, à savoir :
préserver son caractère diffus tout en cherchant une forme de concentration, au moins
organisationnelle, afin que le client ne perde pas son temps et le prestataire son argent. Cela
continue à être diffus, cela a le goût du diffus mais on adopte les bons outils de la concentration
qui sont ceux de la facilitation.
Le tourisme a toujours offert aux territoires ruraux cette fenêtre ouverte sur l’innovation et a fait
de la France un pays innovant, qui inspirait les autres. Hier les gîtes ruraux mis en réseau (Gîtes
de France) ont répondu au besoin de sauvegarde des patrimoines et de cohérence de l’offre, les
écomusées sont devenus des laboratoires d’expertise (FEMS), de même l’itinérance a sauvé de
l’oubli des villages condamnés pour d’autres secteurs de leur activité (Chemin Stevenson). De la
même façon, aujourd’hui le smartphone, le couchsurfing et la scénovision comme vecteurs de
découverte amènent de la modernité au cœur des territoires.
L’avantage d’animer cette séquence depuis 1995 c’est que mes archives mentales me
fournissent toujours des références recyclables. Et ce matin j’ai le souvenir d’un témoignage de
l’Université d’été de La Flèche, en 1997.
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2. Elle portait sur ce qu’à l’époque on appelait encore les nouvelles technologies. Une participante,
propriétaire de chambres d’hôtes, nous a livré ce que j’appelle encore la parabole de « la rose et
du computer ». Elle expliquait qu’elle avait adopté avec bonheur l’ordinateur ce qu’il lui
permettait d’atteindre l’efficacité commerciale, la gestion optimale de son produit. Cependant,
elle tenait absolument à faire entendre que la qualité de l’accueil restait l’élément déterminant et
qu’elle fleurissait toujours les chambres et ne manquait pas de dire aux enfants, avant le départ,
d’aller chercher des roses dans le jardin pour faire la surprise à leur mère au moment du retour
à la maison.
C’est un peu ce que j’ai ressenti dans l’excellente intervention de Ludovic Dublanchet,
finalement nous restons dans un fondamental : le bon produit fait la bonne publicité et les
réseaux sociaux sont, en outil innovant, le grand démultiplicateur de cet adage éprouvé. C’est
ce qui m’a aussi conduit à suggérer à la SNCF via le mur de tweets de faire arriver les trains à
l’heure avant de proposer la réservation de places à l’opéra.
Avant-hier matin j’ai donc moi aussi posé quelques briques dans le mur de tweets (Jean-
Luc étant aussi communicant que contaminant). Dans l’une d’elle je disais mon amour du LEGO
Picard qui répond à sa manière au problème récurrent du qui fait quoi (vous vous souvenez la
construction très soudée des acteurs institutionnels, le petit doigt sur la couture du pantalon,
avec le son du clairon en cas de retard…).
Or, me référant à ma pratique enfantine du LEGO je me souviens qu’il y a un plaisir tout à fait
jubilatoire à construire le LEGO et Stéphane Rouziou avait les yeux brillants de ce désir-là
d’avoir la plus belle, la plus grosse… construction de LEGO. Mais, toujours de mémoire, il y
avait un plaisir rageur, tout aussi jubilatoire voire extatique, à démolir à grands coups de pieds
l’assemblage parfait.
Oui le LEGO est autant fait, construit, avec « acceptation et désir » pour citer l’excellent Jean
Mochon que pour être défait, déconstruit, avec la fougue de celui que ne se satisfera jamais de
la chose finie.
De fait, dans cet objectif de construction-déconstruction-reconstruction qu’est l’innovation, il
convient toujours de convier dans les démarches, dans les usages d’outils, le créateur, l’artiste,
celui capable d’instiller le rêve, de bouger les lignes, de forcer les traits, ou tout autant
l’ethnologue, le sociologue, qui vont réinterroger le territoire, les gens et le produit. Ce qui s’est
accompli pour le secteur du vin par exemple vaut pour notre tourisme. L’innovation passe par le
divan, par la palette graphique, par le jeu. Elle peut être co-construite dans la métamorphose
lente, dans le slow thinking cher à Jean-Luc, autant que par la table rase qui permet de revoir
tous les composants, par un regard neuf. Cocteau disait que la poésie devait être un coup de
chiffon sur les lieux communs, pour retrouver la brillance initiale du mot. Si je vous dis table,
vous voyez la table, dans sa banalité toute nue. Mais si je vous dis « la table de ton amour
enchante mes jours », vous chargez la table de signifiants puissants.
Ainsi, l’outil innovant réinvente, requalifie, réenchante.
Ces processus d’innovation que nous avons tenté d’éclairer ensemble sont autant les
croisements de méthodes éprouvées que d’expérimentations encore balbutiantes dont les
technologies ne sont qu’un des vecteurs possibles et, en conclusion, revenant à mon jeu de
LEGO, si l’innovation est un processus de co-construction n’existe-t-elle pas aussi dans la
nécessité du dépassement du modèle (je devais construire un vélo et je construis une vache).
L’innovation n’existe-t-elle pas surtout comme re-création, et de re-création à récréation il n’y a
qu’un trait…
Alors, amusez-vous encore beaucoup, chers amis, jusqu’à la rentrée prochaine. »
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