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Saint Thomas
d’Aquin
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Notre cours est une initiation à saint Thomas d’Aquin. Il nous permettra en fait de
découvrir celui dont le Pape Léon XIII, dans l’Encyclique AETERNI PATRIS (1879) sur la
philosophie chrétienne, a reconnu les qualités exceptionnelles et a qualifié de « Docteur
angélique ». C’est avec admiration que le Pape parle de la doctrine de Saint Thomas
d’Aquin qu’il considère comme étant une synthèse parfaite de toutes les doctrines des
Docteurs du Moyen Âge qui lui ont précédé en l’occurrence saint Augustin (345 – 540),
saint Anselme (1033 – 1109), saint Bonaventure (1217 – 1274), etc. Son génie ayant été
celui d’avoir établi une étroite relation entre « la science divine et la science humaine »,
c’est-à-dire la théologie et la philosophie. L’éloge que le Pape Léon XIII fait à l’endroit de
saint Thomas nous permet de saisir qu’il est:
« prince et maître de tous, se fonde sur l’éclat de son intelligence qui se démarque
remarquablement en comparaison de ses prédécesseurs ».
En effet pour le Pape Léon XIII, saint Thomas d’Aquin
« a hérité en quelque sorte de l’intelligence de tous. Thomas recueillit leurs doctrines,
comme les membres dispersés d’un même corps; il les réunit, les classa dans un ordre
admirable, et les enrichit tellement, qu’on le considère lui-même, à juste titre, comme
défenseur spécial et l’honneur de l’Eglise. Dans un esprit ouvert et pénétrant, d’une
mémoire facile et sûre, d’une intégrité parfaite de mœurs, n’ayant d’autre amour que
celui de la vérité, très riche de science tant divine qu’humaine, justement comparé au
soleil, il réchauffa la terre par le rayonnement de ses vertus, et la remplit de la
splendeur de sa doctrine. Il n’est aucune partie de la philosophie qu’il n’ait traitée avec
autant de pénétration que de solidité: les lois du raisonnement, Dieu et les substances
incorporelles, l’homme et les autres créatures sensibles, les actes humains et leurs
principes, font tour à tour l’objet des thèses qu’il soutient, dans lesquelles rien ne
manque, ni l’abondante moisson des recherches, ni l’harmonieuse ordonnance des
parties, ni une excellente manière de procéder,
ni la solidité des principes ou la force des arguments, ni la clarté du style ou la
propriété de l’expression, ni la profondeur et la souplesse avec lesquelles il résout les
points les plus obscurs ».
L’hommage que le Pape Léon XIII rend au Docteur angélique se situe dans la suite de
multiples hommages que ses prédécesseurs lui avaient déjà rendus. Son intelligence
et la clarté de sa doctrine ont toujours suscité confiance et admiration de la part de
différents pontifes partant de Clément VI, Nicolas V, Benoit XII et tant d’autres après
eux. Pour ne citer que deux d’entre les pontifes qui ont honoré la sagesse de saint
Thomas d’Aquin, relevons ici les éloges du Pape Pie V qui, de sa part, a reconnu que la
doctrine de Thomas d’Aquin « confond, terrasse et dissipe les hérésies, et que chaque
jour elle délivre le monde entier de funestes erreurs ». Quant au Pape Innocent VI :
« La doctrine de saint Thomas d’Aquin a, plus que toutes les autres, le droit canon
excepté, l’avantage de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression, de la
vérité des propositions , de telle sorte que ceux qui la possèdent ne sont jamais surpris
hors du sentier de la vérité, et que quiconque l’a combattue a toujours été suspecté
d’erreur » (cf. Æterni Patris, 1879).
En plus de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression et de
la vérité des propositions qui sont des aspects caractéristiques
hautement appréciés par le Pape Innocent VI, il est pour nous
important de souligner le rapport que Thomas d’Aquin établi entre la
foi et la raison. Le fait que le Docteur angélique a su harmonieusement
concilier les données de la révélation qui nécessitent la foi chrétienne
avec la raison, cela constitue un atout majeur qui fonde la crédibilité de
sa doctrine. Il démontra de façon exceptionnelle qu’il subsiste une
harmonie naturelle entre la foi et la raison ,et, de ce fait, il ouvrit des
perspectives de réflexion aux générations futures dans le cadre de la
compatibilité entre les données de la foi et la raison humaine.
C’est dans le but de donner à l’Eglise et plus particulièrement aux
générations à venir une source des « eaux très pures de la sagesse »
que le souverain Pontife a donné en maître, saint Thomas d’Aquin. Sous
la conduite du Docteur angélique, le saint Père a voulu que les jeunes,
et particulièrement, ceux engagés sur la voie de la réflexion
philosophique, « soient nourris d’une doctrine substantielle et forte
afin que, pleins de vigueur et revêtus d’une armure complète, ils
s’habituent de bonne heure à défendre la religion avec vaillance et
sagesse… » (cf. Encyclique Æterni Patris).
Voilà une des raisons qui justifient l’importance de l’étude de saint
Thomas d’Aquin et du Thomisme dans le cursus de formation
philosophique des étudiants (Séminaristes) engagés sur la chemin de la
vocation sacerdotale.
Etant l’une des figures de proue de la philosophie scolastique, Thomas
d’Aquin se révèle comme un Maître d’un génie intellectuel hors pair. C’est
pour cette raison qu’il sera appelé « Maître de l’école » et Doctor angelicus
« en raison de ses vertus, et en particulier le caractère sublime de sa pensée
et la pureté de sa vie » tel que le précise le Pape Benoît XVI dans son propos
à l’occasion de l’audience générale du 2 juin 2010.
Ses enseignements dans les domaines théologique et philosophique ont
effectivement contribué à consolider l’héritage doctrinal de l’Eglise à travers
les siècles. Au point de vue philosophique, sa doctrine qui couvre une
multitudes de domaines d’investigation allant de la nature de la
connaissance en passant par la métaphysique, les sciences de la nature,
l’éthique jusqu’à la politique, se révèle d’une richesse dont l’attraction
demeure d’actualité.
Cependant, avec l’évolution du temps et l’inefficacité de ceux sensés
poursuivre l’œuvre grandiose développée par Thomas d’Aquin, un
certain affaiblissement inéluctable se fit sentir. A des raisons qui sont
d’ordre purement intérieur, ce sont ajoutés des raisons extérieures
entre autres, l’inauguration de la philosophie de Descartes et
l’apparition d’Emmanuel Kant issu du siècle des lumières. Ces deux
philosophes eurent un impact néfaste quant à l’évolution et la
perception même de la philosophie scolastique jugée archaïque.
En effet, « la passion de la nouveauté, dit-il, parut avoir envahi dans
certains milieux des philosophes catholiques eux-mêmes. Dédaignant
le patrimoine de l’antique sagesse, ils aimeraient mieux bâtir à neuf
qu’élargir et perfectionner le vieil édifice: …( cf. Le Cinquantenaire de
l’Encyclique « Aeterni Patris », Université Laval, 1929, pp. 9-10).
C’est dans le but de réhabiliter l’enseignement de Thomas d’Aquin,
c’est-à-dire sa doctrine théologique et philosophique face à un
développement intellectuel de plus en plus dominé par les doctrines
modernes (cartésienne et kantienne) que le Pape Léon XIII a publié la
Lettre Encyclique Aeterni Patris (1789). La réponse à l’appel lancé par
cette Encyclique, enclenchera un mouvement de la renaissance
thomiste qui sera caractérisée par une tendance profondément
« antimoderne ». Ce renouveau thomiste dit aussi néo-thomisme,
ayant été longtemps enfermé dans le cadre de l’enseignement de
séminaires, atteindra en fin de compte le monde des laïcs.
Selon Philippe Chenaux, « Le néothomisme léonien était resté pour
l’essentiel une « philosophie de séminaire » qui avec les années et sous l’effet
de la crise moderniste, s’était transformé en un système doctrinal rigide
symbolisé parfaitement par les vingt-quatre thèses du jésuite italien Guido
Matiussi publiées à la veille de la guerre » (cf. Philippe Chenaux, Entre
Maurras et Maritain, une génération intellectuelle catholique (1920-1930),
Cerf, Paris, 2012, p. 17). Cependant, avec l’impulsion d’Etienne Gilson (1884-
1978), de Jacques Maritain (1882-1973) et de tant d’autres figures
influentes, la renaissance thomiste des années vingt sera « au contraire
résolument conquérante à l’égard d’une culture moderne ébranlée dans ses
fondements (raison, progrès, liberté) par la guerre (idem, p. 18).
Bien qu’autour des thèses soutenues par Thomas d’Aquin se développeront
d’autres visions, il reste sans doute que la doctrine thomiste demeure une
référence inaliénable jusqu’à nos jours. Les controverses issues des conflits
d’interprétation prouvent à suffisance combien le thomisme a été une source
inépuisable d’inspiration au cours des siècles.
Question de vocabulaire
(Cf. http:/www.histophilo.com/thomas_d_aquin.php
Thomisme/Thomiste: concerne l’école ou le courant philosophico-théologique qui
se réclame de Thomas d’Aquin et en développe les principes au-delà de la lettre de
son expression historique initiale;
Néo-thomisme : courant de pensée philosophico-théologique de type thomiste,
développé à partir du XXe siècle pour répondre aux objections posées au
christianisme catholique par la modernité;
Thomasien: Ce qui relève de la pensée de Thomas d’Aquin lui-même,
indépendamment des développement historiques induits par sa réception.
I. SAINT THOMAS D’AQUIN (1225 – 1274)
1. Enfance et formation initiale
Tommaso d’Aquino appelé Thomas d’Aquin est né en 1224/1225 dans
une famille noble près d’Aquino, une petite ville environnante de l’
Abbaye bénédictine du Mont-Cassin (Royaume de Naple) en Italie. Il
sera envoyé pour son instruction de base à l’école des bénédictins du
Mont-Cassin. La formation initiale que lui offraient les moines
bénédictins fut tout à fait particulière du fait qu’il était un élève
« oblat », c’est - à- dire un « enfant consacré » à Dieu et donné ainsi par
ses parents à ce monastère afin d’y demeurer et devenir moine. Comme
on peut le lire en effet, « sa famille souhaitait sans doute l’y voir un jour
comme prieur ou abbé afin d’asseoir son influence dans la région ».
Plus tard, dû au cas de force majeure, le moines en 1239, expulsés du Mont-Cassin,
Thomas sera aussi forcé d’aller poursuivre ses études à Naples. C’est dans un élan
stimulé par la soif d’apprendre que le jeune étudiant de l’université de Naples
effectuera son premier contact avec « les nouveaux textes et méthodes qui
commencent à pénétrer le milieu des écoles ». L’université de Naples étant
caractérisée par une notoriété élitiste, on y enseignait à l’exception des autres
universités d’Italie, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas
fut introduit. Selon le Pape Benoît XVI, « il comprit immédiatement la grande
valeur » ( cf. Audience générale du 2 juin 2010). Le séjour de Thomas comme
étudiant à Naples, lui permettra de découvrir sa vocation dominicaine. A dix-huit ans
il fera son entrée dans l’ordre des frères prêcheurs. Cependant, « lorsqu’il revêtit
l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le
couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille », avant de pouvoir
poursuivre sa vocation quelque temps après.
2. A l’école d’Albert le Grand et l’approfondissement de la philosophie d’Aristote
En 1245, convaincu de sa vocation, Thomas sera envoyé pour les études théologiques à
Paris auprès du célèbre théologien Albert le Grand (1193/1206-1280) . « Albert et thomas
nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer ». C’est à
l’université de Paris, auprès de son Maître à penser, Albert le Grand, que «Thomas se
familiarisa alors avec les œuvres d’Aristote et ses commentateurs ». C’est à Paris qu’il
commença à lire la Bible de « façon continue » selon la coutume et en même temps, se mit
à explorer et commenter les Sentences de Pierre Lombard (vers 1100-1160). Les Sentences
(maximes-préceptes de morale) de Pierre Lombard « sont un traité de théologie composé
vers 1146. Il est connu comme étant l’un des livres importants et incontournables dans la
formation universitaire (scolastique) du Moyen Âge. Il comporte quatre livres et 182
sentences. Tous les futurs maîtres devaient l’avoir commenté » avant de pouvoir enseigner.
La découverte des écrits d’Aristote qui étaient longtemps inconnus du monde latin,
suscitèrent à cette époque beaucoup d’engouement et surtout qu’ils représentaient « une
vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et
elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une
incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie » (Benoît
XVI, Audience du 20 juin 2010).
Bien entendu, c’est avec un esprit critique que l’intelligentsia de l’époque accueillit
« cet immense bagage de savoir antique ». Son intégration dans l’ensemble de la
connaissance intellectuelle était perçue comme une percée importante qui
« semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir les horizons
entièrement nouveaux ». Cependant, quelques réserves se furent entendre à
l’égard de ce savoir d’origine grecque qu’on qualifiait de « pensée païenne » dans
une culture généralement chrétienne.
On comprend bien que la crainte de voir s’installer une opposition entre la foi
chrétienne et la pensée grecque suscitait de la part de beaucoup un refus plus au
moins catégorique parmi les intellectuels catholiques. Une des raisons vivement
avancées étaient que ceux des commentateurs d’Aristote (à savoir, Avicenne et
Averroès), qui, par ailleurs avaient introduit la philosophie d’Aristote dans le
monde latin étaient des arabes.
Notons que l’intérêt que suscita la connaissance d’Aristote à travers
l’étude de ses différents écrits, allant de la nature de la connaissance,
les sciences naturelles, la métaphysique, de l’âme et de l’éthique, etc.
témoignait d’une rencontre de deux cultures: « préchrétienne
d'Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne
classique ».
C’est dans cette atmosphère dominée d’une part par l’engouement
intellectuel de certains à l’égard de la philosophie d'Aristote, et de
réticence des autres d’autre part, que Thomas accomplira une
« opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la
philosophie et de la théologie, .. ».
Le mérite de saint Thomas d’Aquin est qu’à l’école d’Albert le Grand (1193 – 1280),
surnommé Docteur universel: « il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se
procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne
s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également
lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des
œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet de doute
ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les
données de la révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la
pensée d’Aristote dans des écrits théologiques qu’il composa » (cf., Audience du 2
juin 2010).
Son ingéniosité fut hautement appréciable dans la démonstration sans ambiguïté
de la cohérence qu’il établit entre la foi chrétienne et la raison humaine. D’après
Thomas d’Aquin en effet, il subsiste de façon irréfutable « une harmonie
naturelle ». Cette affirmation fut accueillie comme étant la « grande œuvre » que
réalisa Thomas en un moment crucial marqué par un conflit entre deux cultures.
« ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison –
il a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme
une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui
apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable
rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture
des siècles qui ont suivi ».
3. Thomas d’Aquin, Maître à Paris et ailleurs
Après son admission à la maîtrise à Paris (1256 -1259), il s’engagea avec
abnégations à une réflexion intellectuelle dont le résultat sera vivement
apprécié. Pendant cette période bien précise, « saint Thomas commente la
Bible (ordinarie), tient ses premières questions disputées (De Véritate), et
entreprend la composition du Contra Gentiles (cf. H. D. Gardeil, Initiation à la
Philosophie de saint Thomas. Introduction et Logique, 2e Edition, Paris, Cerf, p. 17).
En 1259 – 1268), sollicité à Rome sur la demande du Pape, saint Thomas se
rend en Italie où lui seront confiées les fonctions importantes du lecteur de
la Curie Romaine. Pendant ce séjour très remarqué, « il enseigne l’Ecriture
Sainte (cours magistral ordinaire, dispute de nombreuses questions, achève
le Contra Gentiles, compose la Catena aurea (chaîne d’Or), commente
Aristote, met en chantier la Somme théologique, etc. » (idem).
De son retour à Paris (1269 -1271), lors de ce séjour qu’on appelle le
(second enseignement à Paris », saint Thomas poursuivra sa fonction
de professeur et d’écrivain inlassable. En pleine polémique qui
engendra une crise intellectuelle provoquée par les averroïstes, « saint
Thomas tout en prenant position » poursuit néanmoins son intense
travail intellectuel qui lui permettra de réaliser plusieurs commentaires
(de la Sainte Écriture, d’Aristote, questions disputées, somme, opuscules divers).
En 1271 -1273, il est nommé à Naples en qualité de Directeur du
Studium generale (Maison d’études) nouvellement ouvert par l’Ordre
des Prêcheurs (dominicains). En ce second séjour à Naples, Thomas
d’Aquin, en plus de ses activités intellectuelles habituelles, s’engagea
dans une « activité apostolique notable » (Idem).
La réalisation du travail immense que saint Thomas a abattu, a
effectivement connu l’apport de son secrétaire et ami du nom de frère
Réginald. D’après certains proches témoins, il se pourrait que vers la fin
de sa vie, Thomas d’Aquin « aurait été plongé dans ce qui paraissait une
abstraction totale par rapport à son entourage ». Mais, sous l’insistance
de Réginald qui voulait en savoir plus, saint Thomas lui aurait confié un
secret accompagné d’une ferme interdiction de ne révéler le contenu à
personne de son vivant. En effet, il lui aurait dit ce qui suit: « Le terme
de mes travaux est venu, tout ce que j’ai écrit et enseigné me semble
de la paille auprès de ce que j’ai vu et de ce qui m’a été dévoilé.
Désormais j’espère de la bonté de mon Dieu que la fin de ma vie suivra
de près celle des mes travaux » (cf. Martin Blais).
La mort de saint Thomas intervint précisément le 07 mars 1274 à l’Abbaye
cistercienne de Fossa Nova lors son du voyage qui le conduisait au Concile de Lyon
auquel il devait participer à l’invitation lui adressée par le Pape Grégoire IX.
« A moins de cinquante ans, Thomas d’Aquin laissait derrière lui une œuvre
immense. Il aura sans conteste été celui qui, grâce à un labeur colossal, à une
audace dont on mesure à peine la portée et à une lucidité exceptionnelle, aura
réussi à réaliser une synthèse acceptable entre les positions classiques de la
pensée chrétienne et les nouvelles orientations proposées par la pensée
aristotélicienne, telle qu’elle venait à la connaissance des maîtres du XIIIème siècle
au moment où Thomas d’Aquin entrait en scène . Thomas d’Aquin releva un défi
que bien peu firent à mesure d’affronter» (Idem).
Le titre de « Docteur Angélique » lui aurait été attribué à cause de la lucidité de
sont intelligence et plus particulièrement, sa pureté de vie et de l’ intérêt manifesté
dans l’élaboration des nombreux traités des anges.
II. L’ŒUVRE DE SAINT THOMS D’AQUIN
1. La problématique de l’authenticité et la chronologie
La connaissance de saint Thomas passe inéluctablement par celle de
son œuvre qui est en effet immense et dense. Saint Thomas est
universellement connu comme ayant exercé une activité intellectuelle
prodigieuse en sa qualité de professeur et d’écrivain. En effet, son génie
intellectuel l’a conduit sur les voies de l’exploration de presque toutes
les matières d’ordre philosophique et théologique étudiées à son
époque. Cela justifie à suffisance l’immensité et la diversité de son
œuvre qui couvre de façon spécifique les différents orientations de la
réflexion touchant l’intérêt de l’intelligentsia du Moyen Age. Les
nombreux ouvrages qui lui sont reconnus: certains se présentent sous
forme des leçons, des questions disputées, des opuscules divers, des
sommes et d’autres, sont des compositions qui témoignent de la
grandeur d’esprit du Docteur angélique.
D’après H. D. Gardeil, « Certains de ces ouvrages ont été écrits de sa
main, d’autres seulement dictés, quelques-uns n’étant peut-être que de
simples reportations ». Il poursuit en disant qu’ « on notera de plus que
de nombreux inauthentiques se trouvent compris dans les recueils
classiques des Opera omnia, lesquels n’ont pas été composés avec un
vrai souci critique » (cf. Initiation à la philosophie de Saint Thomas:
Introduction et Logique, 2édition, p.18).
L’édition Vivès qui est jugée la plus complète des toutes les autres,
rapporte quelques 140 écrits qu’elle regroupe de façon générale en 32
volumes sans souci de chronologie. On comprend exactement que
l’immensité de l’œuvre de saint Thomas ne va sans poser de problème
critique quant à la question d’authenticité de certains écrits qui lui
seraient attribués.
• Du point de vue de l’authenticité,
On retiendra que cette question concrète est au cœur de toute analyse
littéraire de n’importe quel auteur. En ce qui concerne saint Thomas, il
se pourrait qu’ au Moyen âge il ne se posait pas de façon scrupuleuse la
question de propriété littéraire. On pouvait à cet effet constater « des
fautes ou des fantaisies de copies, et de nombreux manuscrits circulent
anonymes » (Idem). Cet état de lieu, justifie en quelque sorte pourquoi,
quelque temps après la mort de saint Thomas ( plus au moins un demi-
siècle), il était encore difficile de préciser exactement la liste des
œuvres de ce grand docteur de l’Eglise. Face à cette problématique
d’authenticité, des travaux à ce sujet été menés afin de pouvoir
authentifier correctement les différents écrits de saint Thomas. Cette
initiative (tentative) entreprise au XIV visera à dresser des catalogues.
Cependant, le résultat de ces travaux ont révélé quelques insuffisances du
fait du manque d’esprit critique: « le malheur est qu’ils ne coïncident pas de
façon parfaite, et il est visible d’autre part qu’il n’ont pas été composés avec
un souci critique suffisant » (Idem). La deuxième tentative d’authentification
sera entreprise au XVIe siècle par les éditeurs de la Piana. Ces derniers se
contenteront seulement « de mettre prudemment à part un groupe d’écrits
qu’ils qualifièrent de douteux ». On note que les premiers travaux critiques
sérieux seront menés au XVIIe par deux Pères dominicains Echard et
Rubeis. Et P. Mandonnet poursuivra ces mêmes travaux dont la publication
sortira sous le titre: Les récits authentiques de saint Thomas d’Aquin, Fribourg
(Suisse), 1910. Depuis lors, « on est universellement d’accord sur
l’authenticité ou sur le rejet de presque toutes les œuvres en question. Et si
quelques doutes subsistent, ce n’est qu’au sujet de quelques opuscules de
médiocre importance » (idem, p. 19). D’où la précision suivante concernant
l’œuvre de saint Thomas: 140 écrits dont 75 notés authentiques et 65
apocryphes.
• Du point de vue chronologique,
La question de la chronologie s’est aussi posée avec insistance face
l’immensité de l’œuvre de saint Thomas. Tout en maintenant les
sentences en première position, la façon la plus simple de présenter la
chronologie des écrits de saint Thomas s’est faite selon trois grandes
périodes de sa vie à savoir: jeunesse, temps d’enseignement à Paris et
maturité (cf. p. 20).
 Période de jeunesse (1252 – 1256): comporte les commentaires sur les
Sentences; ainsi que les opuscules: De ante et essentia, contra De principiis
naturae, De Trinitate.
 Premier enseignement magistral à Paris et le début du séjour italien (1256 -
1264): Questions disputées De Veritate, Contra Gentiles.
 Période de pleine maturité (1264 -1274): autres questions disputées,
Commentaires d’Aristote, Somme théologique, etc.
2. Caractéristiques littéraires des œuvres de saint Thomas
Pour comprendre les écrits de saint Thomas, il faut nécessairement connaître
le contexte et le genre littéraire de leur développement. Le premier point
important à saisir, c’est d’abord « les procédés médiévaux d’enseignement ».
• En effet, il s’agit ici de la pédagogie médiévale qui était essentiellement à
base de lecture de textes: « deux choses principalement concourent à
l’acquisition de la science, la lecture et la méditation » (cf. Hugue de S. Victor,
Didascalion, L. I, Ch. I).
Avec la méditation du texte, on recherchait l’assimilation personnelle de la
doctrine et par la lecture « on transmet à autrui, ou on la reçoit de lui ». Tel
qu’il est ici affirmé par H.D. Gardeil, « ce dernier procédé est si généralement
la méthode d’enseigner que le professeur porte le nom de
« lecteur…lector », et que l’acte d’enseigner lui-même consiste à « lire
…legere » (Idem, p. 21).
Cette méthode d’enseignement se justifie par le fait qu’au Moyen âge,
on témoignait d’un grand respect pour le texte écrit. Les livres
disponibles étant très peu nombreux et donc rares, ils étaient
considérés « comme des trésors que l’on explore avec grand soin ». Et
comme la théologie était la science la plus développée et que son
fondement était à base de textes bibliques, on comprend bien que son
influence sur d’autres sciences doit avoir été plus considérable.
En effet, « cette pratique de la « lecture » entraînait avec soi le respect
des auteurs qu’on lisait. Le texte est sacré parce qu’il est l’expression de
la pensée d’un maître reconnu ». Dans le domaine théologique, on
reconnaissait l’autorité des Pères de l’Eglise, et en particulier celle de
saint Augustin.
Dans le domaine profane, on s’intéressait avec grand respect aux textes
comme « ceux d’Aristote en philosophie, de Priscien et de Donat pour
la grammaire, de Cicéron et de Quintilien en rhétorique, de Galien en
médecine, du Corpus Juris pour le droit ».
Cette pratique de la lecture ayant été très féconde dans la formation et
le développement de la vie intellectuelle au Moyen âge, elle
constituera avec le temps un danger. En effet, « l’attention se
détournera de plus en plus des objets réels pour se concentrer dans
l’analyse abstraite des formules et des notions »(Idem, p. 21). Cette
méthode dite scolastique tombera dans ce défaut qui la conduira en
une sorte de « verbalisme assez vide », malgré ses succès et sa
notoriété sans égal.
• Qu’en est-il de la naissance de la Question?
Puisque le lecture du texte présente nécessairement des difficultés,
c’est-à-dire que du texte surgissait des questions. De ce fait, la lecture
conduisait impérativement à la question. Cela peut s’exprimer comme
suit: de la lectio, on en vint à la quaestio. Ainsi, le commentaire étant
un des genres littéraires du Moyen Âge, sera fortement surchargé de
Questions. « ces questions pouvaient naître, soit d’une expression qui
demandait à être précisée, soit d’une formule prêtant à équivoque, soit
de la rencontre de plusieurs interprétations contraires, etc. ». C’est le
développement de la Question qui caractérisera principalement le
commentaire de saint Thomas des Sentences de Pierre Lombard. Du
texte des Sentences commenté par saint Thomas, on aboutit au
déploiement de la doctrine du commentateur (saint Thomas).
• De la Question à la Question disputée
Le passage de la Question à la Question disputée témoigne d’une
certaine évolution dans le processus général du système
d’enseignement au moyen âge. Si le propre de la Question consistait à
mettre « en question les problèmes, non que l’on s’interroge vraiment
sur leurs solutions, mais parce qu’on croit mieux les présenter; la
question disputée, elle, fait effectivement appel à la réflexion et
« mettait naturellement en jeu des opinions ou des autorités
contraires » (Idem, p. 22). C’était en réalité une vraie discussion
intellectuelle qui visait à clarifier le problème et elle impliquait des
contradicteurs selon que leurs thèses contrariaient la position initiale.
C’est ainsi que de la considération purement littéraire, la question est
alors passée au « genre des exercices académiques », faisant ainsi
naître la question disputée.
« Au XIIIe siècle, cet exercice prendra une ampleur si importante qu’à côté
des leçons et des sermons qui lui été assignés, chaque maître devrait
obligatoirement tenir des disputes: « legere, disputare, praedicare », telles
sont ses fonctions habituelles » (cf. pp. 22-23).
• La dispute quodlibétique – question libre
C’est un genre d’exercice scolaire au sein duquel s’est développé la question
disputée dénommée, le Quodlibet. La spécificité de ce type de question
disputée est qu’elle permettait qu’on pose « n’importe quelle question au
maître défendant ». On notera que ce genre d’exercice se tenait deux fois par
an, précisément « avant les fêtes de Noël et de Pâques et revêtaient une
particulière solennité ». L’essentiel de cet exercice résidait moins dans
l’ampleur de l’exposé, mais plus, dans « l’actualité des sujets abordés ». Cela
supposait de la part du maître, qu’il soit un vrai connaisseur, solidement
avisé et capable d’illuminer la lanterne de ses auditeurs au sujet du
problème en question.
• La construction d’un article
C’est en considérant l’importance et l’évolution des différents aspects déjà évoqués
qu’on peut enfin « saisir la raison et percevoir l’intérêt de ces articles dont sont
construits maints ouvrages médiévaux, et en particulier la Somme théologique de
saint Thomas ». Dans le procédé méthodologique de l’enseignement et de la
réflexion intellectuelle au Moyen âge, l’article est en effet, une réduction des
grandes disputes selon que nous venons de les décrire. « il commence par une
question, « Circa primum quaeritur… », après quoi vient la discussion, formée
d’abord de l’énoncé du pour, « videtur quod… » et du contre, «sed contra… » et
enfin suit le « respondeo, dicendum quod … » qui présente la réponse aux
arguments contre, où s’affirme d’ordinaire la préoccupation de sauvegarder, la part
de vérité que pouvaient contenir les objections »(cf. p. 23). Cette méthode
d’analyse et d’exploration de contenu d’un texte à partir des questions, objection
ou réfutations et enfin, la proposition de réponse est connue sous le vocable
« scolastique ».
Cette méthode d’analyse et d’exploration de contenu d’un texte à partir
des questions, objections ou réfutations et enfin, la proposition de
réponse (synthèse), est connue sous le vocable « scolastique ». Selon
Larousse, l’adjectif scolastique désigne tout ce qui est relatif au Moyen
Âge. On fait aussi généralement référence au substantif « scolastique »
pour désigner « l’enseignement philosophique et théologique au
Moyen Âge fondé sur la tradition aristotélicienne ». En effet, au Moyen
Âge, la méthode scolastique « se présente comme la plus parfaite » au
XIIème et XIIIème siècle. Comme procédé, « la scolastique est une
méthode analytico-synthétique » (cf. Maurice De Wulf, Méthodes
scolastiques d’autres fois et aujourd’hui, in Revue néo-scolastique,
10ème année, N° 38, 1903, pp. 165-184).
3. Les commentaires d’Aristote
L’étude d’Aristote que fait saint Thomas passe par le commentaire. C’est
en commentant les déférents textes d’Aristote que saint Thomas
approfondie et vulgarise le contenu philosophique de la pensée du
philosophe grec. Les premiers textes des philosophes grecs en général
furent traduits du grec en latin. Ceux d’Aristote en particulier étaient
accessibles en occident au XIIIème siècle. Et puisque la traduction
disponible présentait quelques écueils, naquit l’idée de refaire le travail
en se basant sur les textes originaux en grec. « Saint Thomas dut être
un des instigateurs de cette entreprise d’épuration. (…) c’est cette
version qui servit habituellement à saint Thomas dans ses
commentaires, et qui se trouve dans les éditions de ses œuvres » (cf. p.
25).
Pour réaliser ses commentaires d’Aristote, il est dit que saint
Thomas a utilisé « une méthode nouvelle, plus rigoureuse que celle qui
était couramment en usage ». Ayant le souci du détail, il « interprète en
authentique philosophe, qui ne perd jamais de vue les principes ni
l’ensemble. Analyse et synthèse se conjuguent ainsi en une géniale
harmonie » (Idem). En authentique philosophe, Thomas d’Aquin
cherche à saisir le détail tout en ne perdant pas de vue les principes et
l’ensemble du contenu des œuvres d’Aristote.
La valeur et la portée du commentaire de saint Thomas d’Aquin se
manifestent dans une lucidité intellectuelle qui visait à « pénétrer la
pensée authentique du philosophe et découvrir, sous sa direction, la
vérité objective ». En ce qui concerne les commentaires exégétiques, il
est généralement admis que « ses œuvres représentent la plus
heureuse réussite de son temps » (p. 25).
Tous ses commentaires en effet, sont caractérisés par une fidélité sans
reproche qui permet à comprendre de façon précise la pensée d’Aristote.
Bien qu’animé par le souci pressent de comprendre le détail et de se
rapprocher de plus en plus de la conscience d’Aristote, cependant, saint
Thomas d’Aquin « demeure un philosophe personnel ». En effet, son
commentaire contient aussi sa pensée et de ce point de vue, il fait preuve
d’originalité, qui, de façon précise, témoigne de son indépendance.
Saint Thomas a réalisé plusieurs commentaires des œuvres d’Aristote qu’on
situe de façon approximative à partir de son engagement professionnel en
Italie (1265 -1274). La liste de commentaires d’Aristote selon H. D Gardeil se
présente comme suit:
- Perihermenaias (authentique jusqu’à II, &-2 inclus)
- Post-Analytiques
- Physiques (en 8 livres)
- De coelo et mundo (auth. Jusqu’à III, I. 8 inclus).
- De generatione (auth. Jusqu’à I, I. 17).
- Météorologiques (auth. Jusqu’à II, I. 10 inclus).
- De anima (en 3 livres).
- De sensu, De memoria.
- Métaphysique (Comment. des 12 prem. Livres).
- Ethique à Nicomaque.
- Politiques (auth. Jusqu’à III, I. 6 inclus).
- 4. Œuvres Théologiques de Saint Thomas
Parmi les œuvres théologiques de saint Thomas, il est important de
souligner la place de choix qu’occupe le commentaire sur les Sentences de
Pierre Lombard en tant qu’œuvre de jeunesse. Rappelons qu’au Moyen Âge,
il était impératif à tout étudiant en fin de cycle de théologie de commenter
les Sentences de Pierre Lombard avant de prétendre accéder au titre de
maître.
En effet, « l’explication de cet ouvrage durait deux années et était
confiée à un adjoint du maître qui, pour cette raison, portait le nom de
bachelier sententiaire. Normalement donc un commentaire sur les
Sentences correspond au début de la carrière d’un théologien » (Idem,
p . 26).
Pierre Lombard était l’évêque de Paris et éminent théologien de renom.
Il a composé les Sentences vers l’année 1150. Cet ouvrage devenu un
classique à l’époque médiévale est un « recueil assez complet »
contenant les principales questions théologiques reparties dans quatre
livres dont le contenu est:
- Dieu un et trine;
- La création;
- La rédemption et la grâce;
- Sacrements et les fins dernières
Vu la clarté et l’orthodoxie de la doctrine qu’il contenait, cet ouvrage
servait comme un manuel incontournable en matière de contenu
théologique au cœur de l’enseignement universitaire de l’époque. H. D.
Gardeil explique cela en ces termes: « les Sentences se
recommandaient par leur orthodoxie et par une large information
scripturaire et patristique. Cet ensemble de qualités à la fois positives
et négatives devaient assurer à l’œuvre de Lombard une fortune
absolument exceptionnelle: durant plusieurs siècles elle jouera le rôle
de manuel officiel de théologie et c’est par centaines que l’on peut
évaluer le nombre de commentaires qui en sont conservés » (pp. 26-
27). Saint Thomas enseignera le contenu de son commentaire au
Studium saint Jacques de Paris au cours des années 1254 -1256.
Les Sommes:
- La littérature summiste au moyen âge.
Dans le domaine théologique, il faut reconnaître que saint Thomas
d’Aquin est devenu célèbre par son plus grand ouvrage connu sous
l’appelé Somme théologique. Cependant il y a peu de gens qui savent
que cette appellation n’était aucunement réservée à l’œuvre du
Docteur angélique. Cela se justifie par le fait que la littérature summiste
était très répandue en son temps. D’après M. Glorieux, les sommes
médiévales pouvaient se distinguer en trois groupes d’intention et de
structure différentes (Cf. H. D. Gardeil, p. 27):
 les Sommes compilations, où domine la préoccupation du recueil complet,
mais non systématiquement organisé (ex. la Catena aurea de saint Thomas);
 les Sommes abrégées, où l’on recherche la brièveté exacte (genre
catéchisme);
 les Sommes systématiques qui visent à donner un enseignement d’ensemble
organiquement lié (ex. les grandes sommes de saint Thomas):
- La Somme contre les Gentils
Cet ouvrage est compté parmi les plus importantes œuvres de saint Thomas. C’est
à la demande de son supérieur général que saint Thomas écrit cet ouvrage
apologétique parce qu’il défend l’orthodoxie de l’enseignement doctrinal de l’Eglise
contre les positions des hérétiques et particulièrement les musulmans. La
motivation de cet ouvrage été suscitée par « le problème de la conversion des
maures (populations berbères d’Afrique du nord) du royaume de Valence, récemment
reconquis par les chrétiens; mais il est à remarquer que les arguments mis en
œuvre ne visent pas uniquement les musulmans; les « gentiles » sont aussi bien
des hérétiques, des juifs, des païens, en un mot tous les hétérodoxes » (p. 28). La
rédaction de Contra Gentiles aurait débutée en 1258 et son achèvement est situé
vers les années 1263-64.
En considérant les arguments rationnels que contient le Contra
Gentiles, on est arrivé à le comparer avec la Somme théologique. Ainsi
d’une part, on a la somme philosophique pour signifier le contra
Gentiles et d’autre part, la Somme théologique telle que connue
aujourd’hui.
Le Contra Gentiles est un ouvrage subdivisé en deux grands ensembles:
- Le premier ensemble concerne les vérités de la foi accessibles à la raison (1.I)
et la procession des créatures à partir de Dieu (1.II), l’ordination des créatures
à Dieu comme leur fin (1. III).
- Le second ensemble traite des vérités qui dépassent la raison humaine – les
mystères de la foi, la Sainte Trinité, l’Incarnation, Béatitudes surnaturelle (1.
IV).
La Somme théologique
En dehors de l’intérêt purement scolaire dans le cadre
d’enseignement et de circonstance particulière qu’on pourrait
mentionner, la Somme Théologique est plutôt une œuvre
personnelle. A proprement parler, cette œuvre représente
« une initiative personnelle du maître, prise dans l’intention
d’aider les étudiants débutants ». Saint Thomas a le souci
d’aider les débutants à pénétrer la vérité du mystère de la foi
et de cet fait, les conduire à bien mener effectivement la vie
chrétienne. C’est la raison pour laquelle sa « division est
simple et régulière en parties, questions, articles; réduction du
nombre des objections à trois en générale… » (p. 29).
Comme ouvrage de grande envergure, saint Thomas a débuté la rédaction de la
première partie de la Somme théologique lors de son séjour italien à partir de
1266. La seconde partie, elle, sera écrite entre les années 1269-1272 pendant le
temps de son enseignement à Paris et la troisième partie qui restera par ailleurs
inachevée, aura été débutée à Naples vers la fin de l’année 1273. (cf. H. D.
Gardeil, p. 29).
Quant au contenu de la Somme théologique on retiendra ce qui suit:
- Iª Pª, De Dieu un et Trine, et de la procession des créatures à partir de Dieu.
- IIª Pª, Du retour de la créature rationnelle vers Dieu:
Iª II a e, dans ses principes généraux;
IIª IIa e, selon les vertus particulières.
- IIIª Pª, Du Christ qui, en tant qu’homme, est pour nous la voie du retour
vers Dieu.
Dans le cadre de l’étude de la philosophie de saint Thomas, on
mentionne d’autres œuvres importantes telles que:
- Les Questions disputées (telle qu’elles ont été présentées) . Parmi ces
questions disputées, les plus utilisées sont: De veritate, De potentia Dei.
- Ces questions sont suivies selon leur importance par De anima, De
spiritualibus creaturis et De malo;
- D’autres œuvres sont constituées d’opuscules: De principiis naturae, le De
aeternitate mundi, le De ente et essentia, De unitate intellectus et le
commentaire sur le De Causis (ouvrage d’Aristote soupçonné d’inauthentique
par saint Thomas).
III. COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS D’AQUIN
1. Notions préliminaires
a) La distinction entre philosophie et théologie
Il est important de noter que saint Thomas est avant tout Théologien. Sa formation
initiale auprès de saint Albert le prouve sans ambiguïté. Et s’il est devenu philosophe,
c’est en effet, pour servir plus efficacement son intention première qui est celle de
faire une œuvre essentiellement théologique. A ce sujet Gilson rappelle ce qui suit:
« on ne doit pourtant pas oublier qu’il n’a étudié Aristote que pour mieux préparer
une œuvre qui, d’intention première, était une théologie. (…) les parties de la
philosophie thomiste ont été d’autant plus profondément élaborées qu’elles
intéressent plus directement la théologie thomiste. La théologie de saint Thomas est
d’un philosophe, mais sa philosophie est d’un saint » (cf. Etienne Gilson, Le
Thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 1942, p.
16).
Ainsi, le souci profond du Docteur angélique tel qu’exprimé dans la
Somme Théologique, n’était pas celui de préserver à tout prix la pureté
de la philosophie, mais plutôt : « comment introduire du philosophique
dans la théologie sans corrompre l’essence de la théologie? » (Idem, p.
17).
A cet effet, un des aspects importants par lequel Thomas considère
comme étant le point de départ du développement de sa doctrine est
celui de la claire distinction entre la théologie et la philosophie. Il s’agit
avant tout d’élucider le contenu de chacune de ces deux disciplines afin
d’éviter toute confusion éventuelle. En faisant ainsi, saint Thomas
témoignait en effet de la lucidité qui était la sienne par rapport à la
théologie qu’il considérait comme étant la « science de révélation », et
la philosophie qu’il qualifiait de « science de la raison ».
La philosophie étant ainsi d’ordre de la raison et la théologie celui de la
révélation; cette distinction fondamentale clarifie toute la démarche
méthodologique qu’utilise le Docteur angélique dans sa réflexion
théologique. La compréhension de la philosophie comme servante de
la théologie – « philosophia ancilla theologiae» - qui avait été mise en
œuvre par d’autres théologiens bien avant lui, marquera désormais à
jamais toute la réflexion théologique jusqu’à nos jours. La distinction
entre les deux sciences sera ainsi maintenue et se concrétisera dans le
fait que la philosophie et la théologie seront érigées en facultés
indépendantes dans les universités catholiques pour signifier la
reconnaissance de leur autonomie propre. Pour illustrer cette réalité,
Géry Prouvost écrit à ce sujet:
« La philosophie ne prétend pas annexer à son interrogation la christologie, la
doctrine trinitaire, eschatologique, ecclésiologique ou sacramentelle
mais elle développe l’autonomie d’une pensée qui se donne pour tâche l’élucider, avec
la seule raison travaillant sur l’expérience, l’être de l’homme et l’être de tous les étants.
De l’autre côté, la théologie se présente comme un intellectus fidei procédant de la
Révélation telle que la diversité des formes du discours biblique la restitue » (cf.
Thomas d’Aquin et les thomismes, Paris, Cerf, 2007, p. 19).
b). Le « révélé » et le « révélable »
Afin de clairement distinguer le contenu théologique du contenu
philosophique, saint Thomas utilise deux notions différentes (Cf. Idem, pp.
19-20).
 D’une part, il y a le « révélé (concierne a la teología)» qui est aussi dit en latin le
révelatum. Cette notion fait référence à la nature ou encore à la forme. Pour
l’expliquer, Gilson écrit: « le revelatum inclut uniquement ce dont l’essence même
d’être révélé, parce que cela ne peut nous devenir connaissable que par la voie de
révélation. (…) Ce qui constitue le « révélé » comme tel n’est pas le fait qu’il est été
révélé, mais son caractère même de nous être accessible que moyennant une
révélation. … le « révélé » est toute connaissance sur Dieu qui dépasse le pouvoir de
la raison humaine ».
D’autre part, il y a la notion de « révélable (de orden filosófico)» ou
« revelabile ». Il est en fait constitué des faits par lesquels il transparait. Selon
Gilson: « il s’agit bien ici d’un événement, donc d’un fait d’ordre existentiel,
qui relève moins de la définition proprement dite que de la faculté de juger.
(…) En effet, la Révélation porte essentiellement sur le révélé, mais elle inclut
bien d’autres choses ».
Il est à cet effet de l’ordre de la théologie en tant que science qui
explore ces données de la foi contenues dans la révélation. Comme
science sacrée, la théologie « a donc pour fondement la foi en une
révélation faite par Dieu aux hommes que nous nommons les Apôtres
et les Prophètes. Cette révélation leur confère une autorité divine, donc
inébranlable, et la théologie repose tout entière sur notre foi en
l’autorité de ceux qui parlent pour nous faire connaître cette
révélation » (Idem, p. 21).
Parlant de la philosophie et de la théologie, saint Thomas les situent au
niveau de deux ordres différents et marque ainsi une claire distinction entre
les deux. Du point de vue de la créature, il reconnait en effet deux ordres à
savoir: l’ordre naturelle (razón) et l’ordre surnaturelle (fe). A ce titre, il
distingue donc l’existence de deux sciences qu’il assimile à deux sagesses: la
sagesse naturelle () et la sagesse surnaturelle (divina).
« ce qui distingue ces deux sagesses c’est leur lumière, lumen: la première,
la philosophie, est sous le lumen rationis (luz de la razón), et la seconde, la
théologie, est sous le lumen fidei (luz de la fe); la philosophie envisage les
vérités pour autant qu’elles sont accessibles à la raison, et la théologie en
tant que révélées. Il en résulte, qu’ayant sa lumière et , partant, ses principes
propres, la philosophie est une science autonome et que, remontant jusqu’à
la première cause, elle mérite bien le titre de sagesse. Elle demeure
cependant inférieure à la théologie, car elle n’atteint Dieu qu’indirectement,
à partir des créatures, et surtout parce que le lumen rationis est moins élevé
que le lumen fidei» (cf. Gardeil, p. 39).
c). La division de la philosophie selon saint Thomas
La division de la philosophie (qu’on appelle aussi savoir) que présente saint
Thomas s’assimile presque totalement à celle d’Aristote qu’il appelait par
ailleurs, Le Philosophe.
D’après Aristote le savoir en général serait subdivisé (cf. Métaphysique, Liv E,
c. I):
 En sciences spéculatives (ou théoriques) qui ont pour fin la connaissance
désintéressée.
 En sciences pratiques qui concernent l’action humaine du point de vue moral (on
parle ici de l’action immanente puisqu’interne au sujet – en vue de sa perfection).
 En sciences techniques ou artistiques qui concernent l’activité extérieure ou la
fabrication.
A la suite d’Aristote, saint Thomas adopte la même division que lui avec la
seule différence, qu’il ajoute à sa liste la logique, appelée rationalis
philosophia, qu’il considère de sa part comme une science spéciale (cf. H.D.
Gardeil, pp, 42-43).
Pour saint Thomas, la classification du savoir se présente comme suit:
 Rationalis philosophia vel Logica (Science ou organon);
 Philosophia speculativa
 Philosophia pratica: - activa : Moralis philosophia
- factiva: artes
Cependant, avec l’évolution du temps et grâce à la compréhension moderne de la
philosophie qui a vu la psychologie s’érigeait en science, se séparant ainsi de la
philosophie de la nature; la classification moderne de la philosophie de saint
Thomas fut ainsi ordonnée:
 Logique (science propédeutique);
 Philosophie de la nature – Psychologie (en continuité);
 Métaphysique (incluant théodicée et critique);
 Morale et sociologie (Cf. Idem, p, 46).
2. Quelques domaines spécifiques de la philosophie de saint Thomas
Dans un cours d’initiation à saint Thomas et au thomisme, on ne peut
en aucun cas prétendre explorer tout le contenu de la philosophie du
théologien - philosophe qu’est le Docteur angélique. Ainsi, nous
estimons adéquat de relever certains aspects importants qui ont attiré
l’attention de saint Thomas et qui, par conséquent, caractérisent
effectivement sa pensée philosophique et son originalité.
En effet, dans sa volonté d’explorer le contenu de la philosophie
d’Aristote dont il fut un fervent admirateur. En cherchant à
approfondir la philosophique de son maître, saint Thomas a développé
des intuitions personnelles qui jalonnent son corpus philosophique et
constituent à cet effet, la caractéristique principale du thomisme.
Sa pensée philosophique s’étend sur plusieurs domaines du savoir dont
le retentissement a marqué les siècles et influencé des générations des
philosophes jusqu’à nos jours. Mis à part la théologie qui est son
domaine de prédilection, l’intérêt philosophique de saint Thomas a
effectivement investi le domaine de:
- la métaphysique qui est la science des principes et qui a pour objet d’étude
l’être en tant qu’être;
- L’anthropologie qui est la science de l’homme mettant en exergue les divers
aspects à la fois physiques , culturels (social, religieux, psychologiques…), etc.
- L’épistémologie qui explore la question de la connaissance en général.
- La morale en tant qu’elle constitue « l’ensemble des règles d’action et des
valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société ».
- La logique, la politique, l’esthétique, etc.
1°. Saint Thomas et la question de Dieu
Partant de l’affirmation que saint Thomas d’Aquin est avant tout
théologien, cela nous permet de dire avec certitude que pour lui,
la question de Dieu ne se posait effectivement pas. Mais s’il en est
venu à s’y pencher, c’est parce qu’il voulait rendre manifeste sa
connaissance à tous, afin qu’il soit effectivement connu et glorifié.
N’est-ce pas là la tâche principale du théologien qui est celle de
dévoiler, d’annoncer et de faire connaître? Comment y parvenir ?
En effet, pour rendre explicite la connaissance de Dieu, Thomas
usera de l’outil philosophique en mettant à profit la raison
naturelle afin d’accéder à toute la vérité de l’Être caché que les
traditions religieuses appellent « Dieu ».
De la compréhension théologique de Dieu comme créateur, saint Thomas
empruntera le concept d’Aristote, de Premier moteur, (cf. Mét. Liv. 12, Λ). Ce
concept comme « le moteur non mû fait mouvoir les autres choses sans être lui-même mû
par une action initiale ». Aristote lui-même « décrit le premier moteur comme
parfaitement beau, indivisible, contemplant la parfaite contemplation » (cf.
https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Premier_moteur).
L’effort métaphysique que déploiera saint Thomas sera donc celui d’expliquer par la raison
l’affirmation d’Aristote qu’il identifie effectivement à Dieu – en tant qu’ être (ens) –
Premier moteur. Cette compréhension est la résultante d’ « une interprétation onto-
théologique de Dieu qui repose sur l’analyse profonde du texte de l’Exode 3: 14: « Je suis
Celui qui est ». Voulant en effet répondre à la question cruciale d’ordre philosophique qui
est celle Dieu, Saint Thomas adopte la méthode théologique dite « négative » ou
apophatique. Cette méthode insiste sur ce que Dieu n’est pas afin d’affirmer ce qu’il est
effectivement (cf. Som. Théo. Q3, Art.1). Ex: Dieu est illimité parce qu’il n’est pas fini, il est
bon parce qu’il n’est pas mauvais, etc. Le contraire de l’approche négative, c’est la
théologie cataphatique ou « positive ». Ex: Dieu est bon, il est infini, il est ineffable, etc.
Après avoir affirmé que Dieu est selon ce que précise le texte de l’Exode 3:14 : « Je suis
Celui qui est »; cette affirmation de Dieu comme « Être » passe, selon saint Thomas, par un
mode de négation. L’autre question cruciale et même urgente à laquelle Thomas
s’empressera de répondre, est celle l’existence de Dieu. En effet, il s’agissait pour saint
Thomas de clarifier à l’aide de la raison humaine cette question longtemps débattue par
ses prédécesseurs en l’occurrence saint Anselme de Cantorbéry (1033-1109) et saint
Bonaventure(1217-1274).
De saint Anselme on retient sa démonstration de l’existence de Dieu qui part de l’idée
qu’on a de Dieu comme l’être le plus grand. A cet effet, disait Anselme, si : « Dieu est tel
que rien de plus grand ne peut être pensé ». « Ainsi donc, cet (être) dont on peut pas
concevoir de plus grand est d’une manière tellement véritable que l’on peut pas penser
qu’il n’est pas» (cf. Preslogion, [1]). Cet effort de raisonnement fourni par saint Anselme
pour prouver l’existence de Dieu est connu à travers l’histoire de la philosophie sous le
vocable d’argument ontologique.
Pour Saint Bonaventure, la question de l’existence de Dieu ne se posait pas pour autant
parce qu’ « elle est de soi très évidente; mais elle l’est qu’à condition de s’offrir à nous sous
un aspect tel que rien ne nous empêche de l’apercevoir ».
Parlant de l’évidence de l’existence de Dieu selon saint Bonaventure, E. Gilson donne trois
erreurs qui masqueraient l’évidence de l’existence de Dieu à nos yeux:
- l’erreur de conception – l’erreur de raisonnement et l’erreur de conclusion
(Cf. E. Gilson, Saint Bonaventure et l’évidence de l’existence de Dieu, in Revue
Philosophique de Louvain, 1923, n° 99, pp. 237-262).
Ayant saisi, la teneur et l’acuité avec lesquelles se posait effectivement la
question de l’existence de Dieu et évalué les réponses plus au moins
insatisfaisantes que ses prédécesseurs avaient formulées à cet égard, saint
Thomas s’engagea à clarifier la question. Pour lui, en effet, la notion de Dieu
n’est pas d’ordre naturel et par conséquent, « Dieu n’est pas connaissable
« en soi » ou en lui-même (in se), mais uniquement « pour soi » (per se)
c’est-à-dire qu’on ne peut connaitre Dieu que pour ce qu’il est pour nous,
non ce qu’il est en lui-même ». Saint Thomas va donc réfuter la réponse de
l’évidence de l’existence de Dieu donnée par ses prédécesseurs pour affirmer
sa manière propre par laquelle il cherche à définir les « conditions de
possibilité qu’a l’homme pour rencontrer Dieu par les forces de raison ».
« Donc, si l’existence de Dieu n’est pas évidente à notre égard, elle peut être
démontrée par ses effets connus de nous » (Som. Théo. Art. 2). Voilà
pourquoi Thomas va clarifier le problème en le fondant sur une différente
méthode en partant de « l’existence à l’ essence ». Il dit à cet effet que:
« Quand on démontre une cause par son effet, il est nécessaire d’employer
l’effet, au lieu de la définition de la cause, pour prouver l’existence de celle-
ci; et cela se vérifie principalement lorsqu’il s’agit de Dieu » (Idem).
En décidant de partir de l’existence pour aboutir à l’affirmation de l’existence
de Dieu, Thomas situe la question dans le domaine métaphysique et non pas
théologique. Il n’est pas en fait question de savoir si Dieu est, mais de
comment appréhender son existence en partant de ses œuvres. « Ainsi, dit-
il, en partant des œuvres de Dieu, on peut démontrer l’existence de Dieu,
bien que par elles nous ne puissions pas connaître quant à son essence »
(Idem).
Ce sera grâce au travail de la raison et particulièrement dans le cadre de la
théologie naturelle que saint Thomas entreprendra les cinq voies ou cinq
preuves de l’existence de Dieu (cf. Som. Théo. Art. 3):
1°. Par le mouvement « les choses sont constamment en mouvement., Or
il est indispensable qu’il y ait une cause matrice à tout mouvement. Pour ne
pas remonter d’une cause motrice à une autre, il faut reconnaître l’existence
d’un « Premier moteur non mû », c’est Dieu ».
2°. Par la causalité efficiente (ex ratione causœ efficientis): « nous
observons un enchainement de causes à effet dans la nature, or il est
impossible de remonter de causes en causes à l’infini; il faut obligatoirement
une Cause Première, c’est Dieu ».
3°. Par la contingence: « il y a dans l’univers des choses nécessaires qui
n’ont pas en elles-mêmes le fondement de leur obligation; Il faut par
conséquent un Être par lui-même indispensable qui est Dieu ».
4°. Par les degrés des êtres: « preuve reprise de Platon, qui a remarqué
qu’il y a des perfections dans les choses (bien, beau, amour, etc.) mais à des
degrés différents. Or il faut obligatoirement qu’il y ait un Être qui possède ces
perfections à un degré maximum, puisque dans la nature l’ensemble des
perfections sont limitées».
5°. Par l’ordre du monde: TELEOLÓGICO « on observe un ordre dans la
nature: l’œil est ordonné à la vue, le poumon à la respiration, etc. Or à tout
ordre il faut une intelligence qui commande; cette intelligence ordinatrice est
celle de Dieu »(cf. http:/www.histophilo.com/ thomas_d_aquin.php).
NB: L’intention de Saint Thomas, n’était pas de prouver l’existence de Dieu. A cet effet, il faut noter qu’il
s’adressait aux étudiants en théologie pour lesquels cette existence était effectivement reconnue et acquise
par la foi. Mais, voulant montrer à ces derniers qu’on pouvait accéder à Dieu au moyen de la raison naturelle
en prenant pour point de départ les faits constatés, cela justifie pourquoi il propose le terme « voies » au lieu
de « preuves ».
2° La Physique ou Philosophie de la nature
L’existence des réalités que présente le monde physique a toujours suscité de la
part des anciens une question philosophique fondamentale qui est celle de l’Un et
du Multiple. En d’autres termes, il est question de savoir pourquoi la réalité
physique se présente sous forme de l’un et de multiple. Qu’est-ce qui justifie la
constance de la multiplicité des êtres? A ce sujet, l’analyse de la question fait
découvrir deux formes qui justifient ce fait observé à savoir: la forme dynamique
et forme statique.
• Sous la forme dynamique, il se pose la question de Devenir et
• Sous la forme statique, il est question de la Diversité.
Comme il est clairement précisé, « Le problème du Devenir fait objet de ce que les
anciens nommaient la « Physique », et que nous appelons aujourd’hui la
Philosophie de la nature ».
Elle se distingue de la métaphysique par son objet d’étude qui est
« l’être en tant que muable, ens mobile ». Cet objet spécificateur de
la philosophie de la nature est « d’ordre générique comme corpus
naturale, les corps et leurs propriétés ». A cet égard, Jacques
Maritain insiste en disant que l’objet de la philosophie de la nature
tel que le soutient la position thomiste est « restreint par la note
« muable » ou « mouvant », c’est l’être pris en tant que muable ».
De ce fait, « elle n’est pas la philosophie première (Métaphysique)
parce qu’elle ne porte pas sur l’être en tant qu’être, sur l’être dans
son mystère intelligible propre; c’est une philosophie inférieure à la
métaphysique et qui se tient au premier degré de visualisation
idéative; qui étudie l’être en tant même que mobile, l’être pris selon
les conditions qui affectent dans cet univers de l’indigence et de la
division qu’est l’univers matériel,
l’être selon le mystère propre du devenir et de la mutabilité, du mouvement
dans l’espace où les corps sont en interaction, du mouvement de génération
et de la corruption substantielle qui est la marque la plus profonde de leur
structure ontologique, du mouvement de croissance végétative par où se
manifeste l’ascension de la matière à l’ordre de la vie » (cf. Jacques Maritain,
La philosophie de la nature, Téqui, 1935, in ŒC, Vol 5, p. 934-935).
Quant à la relation de la philosophie de la nature avec les sciences, il sied de
retenir que (Idem):
a) la philosophie de la nature et les sciences de la nature sont placées au même degré
générique de visualisation abstractive, portent pareillement sur l’être sensible ou
mobile;
b) qu’il y a une différence spécifique entre ces deux savoirs, différence spécifique qui
tient à la différence dans le mode de définir, celui-ci se rattachant d’une part à
l’analyse empiriologique, d’autre part à l’analyse ontologique du réel sensible;
c) nous n’avons pas affaire là à deux savoirs qui seraient simplement parallèles et jamais
n’entreraient en contact. Il faut plutôt dire (…), qu’entre ces deux types de savoirs
spécifiquement distincts il y a cependant la même sorte de relation qu’entre l’âme et le
corps, une relation de complémentarité malgré la distinction spécifique (Cf. Idem, p. 939).
3° La Métaphysique ou philosophie de l’Être
Après avoir établi la différence entre la philosophie de la nature et les sciences
de la nature, nous allons une fois de plus reposer la question de l’Un et du
Multiple du point de vue métaphysique. Cette question en effet, faisant partie
des questions fondamentales au cœur de la réflexion des anciens, elle concerne
tout autant la philosophie de la nature aussi bien que la métaphysique. Du point
de vue métaphysique, la question de l’Un et du Multiple se présente sous forme
statique et dans ce cas, elle devient un problème de la Diversité. Devenant ainsi
un problème métaphysique, « il amène à considérer l’être non plus seulement
en tant que changeant, mais en tant qu’être, c’est-à-dire dans son rapport avec
l’existence ». La Métaphysique est donc la science qui étudie l’être en tant
qu’être. C’est la raison pour laquelle on l’appelle aussi l’Ontologie.
Du point de vue thomiste et particulièrement selon Jacques Maritain,
« l’objet de la métaphysique (…) c’est l’être en tant qu’être, ens quantum
ens, l’être non pas investi ou incorporé dans la quiddité sensible, dans
l’essence ou la nature des choses sensibles, mais au contraire abstractum,
l’être dégagé et isolé (pour autant que l’être peut faire abstraction de ses
inférieurs), c’est l’être dégagé et isolé de la quiddité sensible, l’être visualisé
comme tel et dégagé dans ses pures valeurs intelligibles » (cf. Sept leçons sur
l’être et les premiers principes de la raison spéculative, Téqui, 1932-1933), p.
25).
- l’Acte et la Puissance: causes intrinsèques de la diversification de
l’identique
- Les faits: on constate qu’une qualité identique se réalise en divers sujets et
suivant divers degrés. Ex: la sagesse, la santé sont dans deux personnes
différentes (Pierre et Paul). Il se pose à ce niveau la question de savoir
comment le même peut-il être autre?
La thèse thomiste répond à cette question en établissant deux principes dont
l’un est le déterminateur qu’on appelle ACTE et le second « faisant que chacun
reste autre que l’autre, c’est-à-dire ne soit pas l’autre tout en recevant sa part du
même acte, c’est le négateur- récepteur (ou participant)PUISSANCE.
A la question « comment le même peut-il être autre », la thèse thomiste est: « à
condition que le même acte entre simultanément en composition avec d’autres
puissances ».
L’Acte:
- n’est multiplié et gradué qu’à la mesure de la puissance qui le reçoit
- De lui-même, c’est-à-dire à le supposer pur et seul, il est unique et total.
- Existence et Réalité,
Pour saint Thomas, l’être en tant qu’être se dit de plusieurs façons et pour
cette raison, nécessite donc une certaine clarification de termes.
1. Comme entia ou être, il se comprend en terme de substance
sensible ou insensible. Selon ce que précise ÉtienneGilson à cet effet,
« chaque substance forme un tout complet, doué d’une structure que
nous analysons et constitue une entité ontologique, une unité d’être si
l’on préfère, susceptible de recevoir une définition » (Etienne Gilson, le
Thomisme, p. 42). Elle est une « identité permanente d’être »(cf. Mét.,
d’Aristote, Comm. de St Thom. Livr VI, p. 57).
- lorsque la substance-être est une et définie, elle est appelée
« essence ». En fait, « L’essentia n’est que la substantia en tant que
susceptible de définition. Exactement, l’essence est ce que la définition dit
que la substance est ». C’est en effet sa nature (de la chose).
Pour une description plus complète de l’être, saint Thomas introduit un troisième
terme à savoir, la quiddité.
D’après E. Gilson : « Signifier ce qu’une substance est, c’est répondre à la question
quid sit – qu’est-ce que c’est. c’est pourquoi, en tant qu’exprimée dans la
définition, l’essence se nomme la « quiddité ». Substance, essence, quiddité, c’est-
à-dire l’unité ontologique concrète prise en elle-même, puis prise comme
susceptible de définition, enfin prise comme signifiée par la définition, … (cf. E.
Gilson, Idem, p. 43).
Ces précisions sont en effet très importantes pour une meilleure compréhension
de la description analytique de l’être en tant qu’ objet de la métaphysique.
En effet, la réalité nous donne à saisir la présence d’une substance et lorsque
cette dernière est définie, identifiée, est dite essence et puisque capable de
conceptualisation, elle est dite quiddité. La substance en tant que réalité
constitue le fondement de toute existence. Il est important de savoir que les
accidents en tant qu’ils constituent des attributs de la substance, n’ont pas
d’existence propre à eux qui puisse effectivement s’ajouter comme
complétant la substance. Gilson dit que les accidents n’ont d’existence que
celle de la substance: « pour eux, exister, c’est simplement « exister-dans-la-
substance » ou comme l’on dit encore, leur esse est inesse ». C’est-à-dire que
les accidents ne sont pas des êtres, mais les êtres d’un être (cf. E. Gilson,
Idem, p. 44).
Etienne Gilson poursuit son explication en ces termes: « La substance n’existe
pas par soi en ce sens qu’elle n’aurait pas de cause de son existence: Dieu,
qui seul existe sans cause, n’est pas une substance;
elle existe par soi en ce sens que ce qu’elle est lui appartient en vertu d’un
acte unique d’exister, et s’explique immédiatement par cet acte, raison
suffisante de tout ce qu’elle est ». (Idem, pp, 44-45).
Matière et forme
Toute substance peut être dite constituée de deux aspects importants à
savoir la matière et la forme.
La matière est ce qui nous permet de percevoir et de distinguer différents
êtres-substances les unes des autres. La matière est intimément liée à la
forme. De ce fait, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de matière sans
forme et vis-versa. En fait, « toute substance implique une forme, et que
c’est en vertu de cette forme qu’une substance se classe dans une espèce
bien déterminée, dont la définition exprime le concept ». C’est la forme qui
rend le réel connaissable par conceptualisation.
Ce qui nous permet de dire que cette substance est un être,
est à situer au niveau de la forme qui constitue l’élément
intelligible qui est saisi par l’abstraction conceptuelle. A ce
sujet Gilson dit: « Que la matière ne soit pas ce qui fait que la
substance est, on le reconnaît à ceci, que la matière n’est pas
susceptible d’exister à part d’une forme quelconque. Elle est
toujours la matière d’une substance qui, parce qu’elle est une
forme, est objet de concept et de définition » (cf. Gilson,
Idem, p. 45).
Quant à l’existence, nous dirons que la matière en tant que telle n’existe pas. Si
exister se rapporte à ce qui est susceptible de « sortir de soi » ou de « provenir de »
et dans ce cas, capable de « se manifester » ou « de paraître »; cela ne peut se dire
que de la substance et non de la matière qui, elle, est inerte. A cet sujet, E. Gilson
précise en ces termes: « l’exister (esse) est l’acte de ce dont on peut dire: ceci existe,
or on ne dit pas de la matière qu’elle existe, on ne le dit que du tout, on ne peut donc
pas dire que la matière existe; c’est la substance même qui est ce qui existe. Il
poursuit en disant que, « n’ayant pas d’existence propre, la matière ne saurait causer
celle de la substance. Ce n’est donc pas en vertu de sa matière qu’on dit d’une
substance quelconque : elle est un être, elle est » (Idem, p. 46). En définitive, nous
pouvons retenir que dans le réel, « le rôle propre de la forme est donc de constituer la
substance comme substance. Saint Thomas dit à ce sujet que la forme est le
complementum susbstantiae, ce qui assure la complétion » (cf. Idem).
Si dans sa métaphysique saint Thomas a accordé plus d’importance sur
l’étude de l’être, nous devons comprendre que cela avait pour objectif final,
la théologie. Ainsi, l’ontologie de Thomas d’Aquin se situe « dans une
dynamique qui la détermine » dans un aboutissement théologique. De ce
fait, « les étants , comme créés, participent de ce mouvement vers Dieu, qui
forme à la fois leur cause première et leur fin dernière » (cf. http:/www.
Histophilo.com/thomas_d_aquin.php
Par conséquent:
- l’être est de ce fait le concept clef dans la métaphysique de saint Thomas.
Cela se justifie par le fait que c’est lui, l’être, qui rend compte de l’unicité du
réel indépendamment de sa multiplicité, « et lui imprime un mouvement
dynamique et hiérarchique vers Dieu, terme vers lequel tout étant tant et
s’ordonne ».
- L’être pour saint Thomas « n’est ni univoque, ni équivoque, il est analogue
(comme ressemblance de proportionnalité):
- l’ être n’est pas univoque , cela signifie qu’il n’est pas précisément le même dans
l’ensemble des choses. ex: un arbre, une maison, une œuvre d’art… Cette diversité
ou multiplicité s’explique par le fait que l’être contient en lui l’ensemble des
déterminations spécifiques.
- l’être en tant qu’être n’est pas équivoque, cela voudrait dire qu’il n’est pas
précisément différent dans l’ensemble des choses. L’être est véritablement commun
à l’ensemble des choses.
Nous retenons en effet que : « l’être ne se réalise pas de la même façon dans
l’ensemble des choses, tout en étant le même. C’est par conséquent, conclut
Thomas d’Aquin, qu’il se réalise à des degrés divers dans les choses, en se
proportionnant à la diversité de ces degrés. Il se hiérarchise intrinsèquement
dans l’ensemble des choses selon qu’elles se rapprochent plus au moins de
l’Être en plénitude, Dieu, car toute hiérarchie implique une relation ou une
référence à quelque chose d’unique. Cette hiérarchie ontologique est une
« ressemblance de proportionnalité ». L’ensemble des êtres font référence à
quelque chose d’unique, Dieu » (Idem).
L’effort fourni par Thomas d’Aquin dans le domaine de la réflexion
métaphysique afin de connaître la réalité s’explique par la conviction
qui était la sienne: celle d’atteindre la théologie. Pour l'Aquinate, « les
étants, comme créés, participent de ce mouvement vers Dieu, qui
forme à la fois leur cause première et leur fin dernière. Pris par
conséquent de part en part par la théologie, l’ontologie thomasienne
ne peut ni ne doit se comprendre indépendamment de la théologie et
des mystères révélés par Dieu dans la Bible, surtout que tout est être
créé, qu’il y a un univers visible (celui des hommes) et un univers
invisible (celui des anges), que tout a commencé et que toute forme
d’être actuelle prendra fin comme telle » (idem).
4. L’ Anthropologie de Saint Thomas D'Aquin
L’homme pour saint Thomas est constitué de deux natures: la nature
spirituelle (il a un esprit) et la nature matérielle (il a un corps). Cette
compréhension se situe en relation avec la définition de l’homme que donne
Aristote et dont saint Thomas est parfaitement d’accord.
D’après Aristote en effet, l’homme est par nature un « animal social » (cf. La
Politique, I. 2.) et un « animal raisonnable ». Pour saint Thomas, l’homme
étant capable de raison, s’inscrit dans la hiérarchie des êtres qui remonte
jusqu’à Dieu et dont au bas de l’échelle se trouvent les êtres purement
matériels (inanimés). Par sa capacité de raisonner, l’homme porte en lui la
« ressemblance et représente l’image de Dieu ». Il est à cet effet capable de
diriger sa vie en l’orientant librement vers une fin. On parlera dans ce cas de
l’autonomie de gestion et de détermination personnelle vers une fin selon
des lois qu’il se donne lui-même (question de liberté).
En tant qu’être vivant au même titre que les autres vivants, tous ont comme
principe vital l’ « âme ».
En ce qui concerne l’âme, E. Gilson dit : « C’est elle qui rassemble et organise les
éléments que nous nommons aujourd’hui bio-chimiques (éléments organiques, ou
même inorganiques, mais jamais informes) pour en former le corps vivant. C’est en
ce sens plein que l’âme est en l’acte premier, c’est-à-dire que celui qui fait esse, et
c’est grâce à cet acte premier que le vivant peut exercer tous ses actes seconds, les
fonctions vitales qui sont ses opérations » (E. Gilson, Le thomisme, pp. 258-259).
L’ âme et le Corps
L’homme étant constitué de l’âme et du corps, il est important de souligner que pour saint
Thomas, on ne doit en aucun cas parler de cette constitution humaine en terme de dualité. En
effet, l’âme et le corps forment un seul être qu’est l’homme: l’âme est la forme (immatérielle)
et le corps - la matière (forme matérielle). La fonction de l’âme en tant que principe, anime le
corps et affecte ainsi l’aspect cognitif et l’aspect sensible de l’homme.
Saint Thomas adoptera la terminologie de « l’hylémorphisme aristotélicien » qui
consacre que «l ’âme est l’unique forme du composé humain auquel elle donne
d’être un corps vivant et sensible ». Etymologiquement parlant, le terme
hylémorphisme vient du grec: hulè qui signifie matière et morphè: forme.
En affirmant ainsi l’unicité de la nature humaine, saint Thomas dépasse de ce
fait la conception platonicienne de l’homme qui, en opposant l’âme au corps,
les situe dans un « rapport de contiguïté ». E. Gilson précise à ce sujet: «Telle
est la position adoptée par Platon, qui veut que l’intellect ne soit uni au
corps qu’à titre de moteur. Mais un tel mode d’union n’est pas suffisant pour
que l’action de l’intellect soit attribuable au tout que l’intellect et le corps
constituent » (cf. E. Gilson, Idem, p. 265).
Cette position platonicienne s’explique clairement par cette conception qui
consiste à penser que l’âme est enfermée dans un corps et que tout l’effort
(philosophique) viserait à sortir de cette prison qui l’empêcherait d’
effectivement s’épanouir. D’où l’aversion ressentie envers le corps considéré
comme mauvais et par conséquent, négativement apprécié. Pour Thomas
d’Aquin, il n’ y a pas de dualité en ce qui concerne la nature humaine dans sa
dimension spirituelle et matérielle. Cela se justifie par le fait que « la forme
du corps, c’est-à-dire l’âme, est le principe vital de l’homme, ce qui
donne la nature d’homme. Le corps est la matière, il donne à l’homme
ses caractéristiques singulières: le corps est par conséquent principe
d’individuation, ce qui fait qu’un homme est tel homme, et non un
autre » (cf. www.hisophilo.com/thomas_d_aquin.php).
De fait, l’homme est une unité substantielle ontologique et non pas un
composé disparate. Il constitue un tout dans ses activités tant
intellectuelles que motrices qu’il accomplie et qui lui sont
effectivement attribuables sans ambiguïté.
De cette compréhension, saint Thomas en est venu à l’analyse et à la
distinction de différentes parties de l’âme humaine. Il a ainsi démontré
ses multiples manifestations vitales dont l’homme est le garant en tant
que substance ontologique.
Il distingue en effet trois parties dans l’âme à savoir:
1. L’âme végétative qui est « le principe de tous les besoins naturels et vitaux de
l’homme »;
2. L’âme sensible qui est « le principe de passivité de la sensation et siège des passions »;
3. L’âme intellectuelle est « la forme substantielle de l’homme » en tant qu’il est un être
raisonnable.
Saint Thomas poursuit sa réflexion anthropologique en traitant de la question des
actes humains et des passions.
C’est précisément dans la Somme Théologique dans prima secundœ (Ia, IIꬱ) que le
Docteur angélique présente la question des actes humains. Selon l’auteur, « il y a
des actes qui sont humains, c’est comme il sont volontaires ». Cependant, il est
important de noter que tous les actes humains ne sont nécessairement pas
volontaires. D’où la nécessité de clarification de conditions à même de qualifier un
acte humain volontaire.
En effet, un acte est dit humain et volontaire à condition qu’il soit rationnel et libre.
La rationalité et la liberté sont là les deux conditions qui déterminent l’effectivité d’
un acte humain volontaire. Au cas où il manquerait par exemple la liberté, on dirait
que tel acte est humain mais pas volontaire. A l’acte humain volontaire est opposé
l’acte de l’homme. Nous comprenons à cet effet qu’un tel acte manquerait un
qualificatif important qui fait que sa teneur diminue : « volontaire ».
NB: « la volonté est dite interne en ce qu’elle choisit une fin et externe en ce
qu’elle choisit et exécute les moyens de l’atteindre.
En ce qui concerne les passions, il faut noter que Thomas d’Aquin y consacre
beaucoup d’attention et cela témoigne effectivement de l’importance que revêt ce
sujet dans l’analyse anthropologique de l’auteur. Tout part du principe d’unité de
l’homme en ses dimensions spirituelle (âme) et matérielle(corps). Le fait que
l’homme est à la fois âme et corps, cette réalité amène Thomas d’Aquin à dire qu’il
est un « être mû par ses passions ».
Du point de vue étymologique, le mot passion vient du latin passio du radical pati.
Il signifie « action de supporter, souffrir, maladie indisposition morale, accident,
passivité, incident ».
Passio est pour sa part issu du verbe patior signifiant « souffrir, éprouver,
endurer » autrement dit un ensemble d’états dans lesquels l’individu est
« passif », par opposition aux états dont il est lui-même la cause » (cf.
https://fr.m.wiktionary.org).
En effet, il est clairement dit que « la passion est une modification de l’âme
qui provient du corps. Les passions sont générées , se développent et se
produisent dans le composé humain: l’étude des passions repose par
conséquent sur une anthropologie hylémorphique. Elles se situent dans ce
que Thomas d’Aquin nomme l’appétit sensible, qui provoque le mouvement
vers un objet qui intéresse le corps ». Il distingue trois types d’appétits qui
font naître les passions:
1. l’appétit naturel qui est un mouvement d’un être vers ce qui l’intéresse à cause de
sa nature propre; le sujet se déplace vers l'objet parce qu’il en a ontologiquement
besoin de par sa nature même, en raison d’une certaine connaturalité entre objet
et sujet.
2. l’appétit sensible est déclenché par les sens lorqu’ils perçoivent quelque
chose de délectable ou d’indispensable en propre (nourriture, par exemple) ou
à cause de l’espèce (génération, par exemple);
3. l’appétit intellectuel est un désir réfléchi, entièrement soumis à la raison
dans un jugement rationnel libre: c’est la volonté
(cf.www.histphilo.come/thomas_d_aquin.php).
Saint Thomas développe d’autres thèmes en lien avec l’homme entre autres:
- l’homme et sa finalité dans le domaine de la morale;
- La liberté et la question du libre-arbitre et
- La fin dernière de l’homme.
NB.: Il y a d’autres domaines importants de la philosophie de saint
Thomas que nous ne présentons pas dans ce cours d’introduction. Il
s’agit de l’épistémologie, l’éthique ou morale, la politique, etc.
IV. L’ECOLE THOMISTE ET L’INFLUENCE DE SAINT THOMAS D’AQUIN
La notoriété de saint Thomas d’Aquin ne s’est pas faite attendre. Aussitôt
après l’obtention de sa maitrise en théologie et philosophie à Paris aux côtés
de saint Albert le Grand, il s’engagea avec ferveur comme enseignant (Paris,
Italie, Naples) et plus tard comme écrivain (commentateur d’Aristote).
Cependant, ses enseignements ainsi que l’ influence qu’il exerça ne furent
pas facilement accueillis par tous. Il conquît un bon nombre des disciples
parmi ses confrères dominicains, des jésuites, des carmes, etc. Mais, il eut
aussi des adversaires parmi lesquels on dénombre des noms des éminents
intellectuels et dignitaires ecclésiastiques.
La présentation de ces deux tendances nous permet en effet d’apprécier le
mouvement de pensée de la doctrine de saint Thomas à travers le temps – ce
que l’on appelle thomisme.
1. Les disciples et adversaires de saint Thomas (jusqu’à la fin du XIVe siècle)
Nous savons bien que saint Thomas a débuté sa carrière d’enseignement à
Paris au moment où la pensée augustinienne était encore très influente dans
l’Eglise et particulièrement dans les universités pontificales. Ayant opté de sa
part pour l’étude et l’ approfondissement de la philosophie d’Aristote, il
heurta certaines résistances issues de certains dominicains et des défenseurs
de l’augustinisme, fervents admirateurs de la pensée platonicienne. Cet état
de lieu nous montre déjà comment saint Thomas a eu, de son vivant déjà,
des adversaires déclarés de sa doctrine. D’après ce qu’affirme H.D. Gardeil,
certains grands personnages ont clairement témoigné de leur adversité à
l’égard de sa doctrine, tel Robert KILWARDBY, archevêque de Cantorbéry,
osât censurer certaines de ses thèses » (cf. H. D. Gardeil, p. 30).
Mais, on note avec grande satisfaction l’adhésion à sa doctrine de plusieurs
de ses frères dominicains selon l’affirmation suivante: « le plus grand nombre
de ses frères en religion ne tardèrent pas à se déclarer en sa faveur, et, dès la
fin du XIIIème siècle, les chapitres généraux des dominicains prennent
officiellement position pour lui » (Idem). D’ autres témoignages favorables à
sa doctrine vinrent des responsables d’instituions et des religieux. On peut
mentionner parmi ceux-ci, « des maîtres ès-arts de l’Université de Paris, ou
de celui de Gilles De ROME, général des ermites de saint Augustin, disciple
assez personnel d’ailleurs…
Parmi les farouches adversaires de saint Thomas au XIIIème siècle, on relève
en majorité des théologiens et plus particulièrement, des « fransciscains qui
demeuraient plus strictement attachés à la tradition Augustinienne ». Leur
opposition était liée principalement à une littérature polémique de l’époque
reconnu sous l’appellation de correctoires.
ll est cependant important de noter que, quelques années après la
mort de saint Thomas d’Aquin, on pouvait déjà compté parmi ses
partisans des anglais tels que Guillaume de MAKELFIELD et Richard
KLAPWELL et Jean QUIDORT. Et le premier commentaire de la Somme
théologique sera réalisé par Jean CAPREOlLUS vers les années 1444 à
Toulouse. Son écrit portait le titre : « Defensiones theologiæ Divi
Thomæ ». Cet ouvrage a été publié quelques années après la
canonisation de Thomas d’Aquin par le Pape Jean XXII, le 18 juillet 1323.
Et sa déclaration comme Docteur de l’Eglise universelle a été faite par le
Pape saint Pie V, le 21 avril 1567.
2. Les grands commentateurs de saint Thomas et les controverses
Théologiques des XVIe, XVIIe siècles
Le XVIème siècle a été marqué par un regain de ferveur en ce qui
concerne la littérature scolastique après un ralentissement de
productions théologiques et philosophiques. Le retour à saint
Thomas a été comme un renouveau, suscitant ainsi un intérêt
particulier à l’égard de la Somme Théologique comme livre
important dont les commentaires furent produits en série. Trois
grandes écoles thomistes constituèrent les centres de réflexions
théologiques et philosophiques à savoir: l’École dominicaine,
l’École jésuite et enfin, l’École carmélitaine.
a. Les Maîtres dominicains
Les ténors de l’école dominicaine s’engagèrent avec
abnégation dans le développement et l’extension de la pensée
thomiste plus particulièrement dans le domaine théologique.
- CAJETAN (1468-1534), connu sous le nom de Thomas de Vio,
cardinal Cajetan est à citer parmi les éminents théologiens qui ont
commenté et répandu la doctrine du Docteur angélique. « On le
connaît surtout pour son commentaire littéral de la Somme où, avec
une rigueur précision et une grande netteté, il s’efforce de suivre
d’aussi près que possible la pensée de saint Thomas. Son thomisme,
très orthodoxe dans l’ensemble, garde une certaine liberté, et ne va pas
sans quelques hardiesses ». Son œuvre théologique défend la pensée
de saint Thomas contre la métaphysique développée au XIV ème siècle.
- SYLVESTRE DE FERRARE (1476-1538), sa renommée est due à son
excellent commentaire de la Somme Contra Gentiles de saint Thomas. En
effet, C’est à la Salamanque (Espagne) que, sous l’impulsion du théologien
FRANCOIS DE VITTORIA (1480-1546) que s’est développé un mouvement de
pensée théologique particulièrement brillant qui a connu la participation de
plusieurs éminents théologiens tels que Melchior Cano, Dominique Soto,
Pierre Soto, Barthélemy de Medina et Dominique Banes.
Dans tout le développement du mouvement théologique impulsé par l’École
dominicaine, une place de choix doit être réservée à JEAN DE SAINT
THOMAS (1589-1644) qui, « en plus d’un Cursus theologicus apprécié, a
laissé un Cursus philosophicus où l’on trouve un exposé méthodique
relativement complet de la philosophie spéculative. Disciple
incontestablement fidèle et profond de saint Thomas, il ne craint pas de
développer la pensée de celui-ci sur des points où elle est moins explicite »
(cf. H.D Gardeil, Initiation à la Philosophie de saint Thomas d’Aquin, Op.cit., p.
32).
b. Les Maîtres Jésuites
En réponse à la recommandation du fondateur de la Compagnie de
Jésus, Ignace de Loyola, qui avait prescrit à ses fils spirituels de suivre
avec une certaine liberté d’esprit la pensée du Docteur Angélique;
certains des grands Maîtres jésuites, théologiens et philosophes,
s’engagèrent sur le chantier du développement de la doctrine thomiste.
Dans le domaine de la réflexion théologique, nous retenons ici les noms
de: François TOLET, Louis MOLINA, Gabriel VASQUEZ et LEONARD
LESSIUS.
Dans le domaine de la réflexion philosophique, le nom de François
SUAREZ (1554-1623) requiert une attention particulière. « auteur de
nombreux ouvrages, SUAREZ écrivit le premier grand traité scolastique
de métaphysique indépendant du texte d’Aristote, ses Disputationes
metaphysicœ. Esprit conciliant, il s’efforce de suivre une voie moyenne
où, tout en s’inspirant de saint Thomas, il ne craint pas d’accueillir
certaines idées d’origine scotiste ou nominaliste » (Idem).
c. Les Maîtres Carmes
Dans le développement de la théologie thomiste, les Maîtres Carmes
de Salamanque occupent une place importante. Ils étaient appelés
« les « Salmanticenses » à cause de l’important Cursus théologicus,
qu’ils composèrent ». Cet ouvrage constitué de 20 volumes, a été écrit
entre les années 1631 et 1701 et connu la collaboration de plus au
moins quatre ou cinq professeurs.
3. Le mouvement thomiste contemporain
Avec l’évolution du temps et le recul de l’activité intellectuelle au
XVIIIème, le début du XIXème siècle devint un moment d’intense
reprise de réflexion intellectuelle dans l’Eglise. Evidemment,
l’Encyclique Æterni Patris du Pape Léon XIII, « donna la consigne d’un
retour à saint Thomas. De cette impulsion du pape, naquit donc un
mouvement de pensée « Néo-thomiste » « dont l’Eglise contemporaine
est encore profondément remuée. Ses résultats doctrinaux, que virent
bientôt doubler ceux de recherches historiques et critiques de plus en
plus actives, on été incontestablement très considérables»(cf. Idem,
p.33). Parmi les philosophes représentant ce mouvement thomiste
contemporain, nous pouvons citer: le Cardinal Mercier (1851-1926),
Jacques Maritain (1882-1973), Etienne Gilson (1884-1978), etc.
BIBLIOGRAPHIE
• Gardeil Henri Dominique, Initiation à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin : Introduction et Logique, Paris, Cerf, 1952.
• Gardeil Henri Dominique, Initiation à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin : Psychologie et métaphysique, Paris, Cerf,
2007.
• Gilson Etienne, Le thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 1942.
• Grenet Paul, Le thomisme, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1960.
• Prouvost Géry, Thomas d’Aquin et les thomismes, Paris, Cerf, 2007.
• D’Aquin Thomas, Somme théologique, Tome 1,2,3,4, Paris, Cerf, 2004.

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  • 2. INTRODUCTION GÉNÉRALE Notre cours est une initiation à saint Thomas d’Aquin. Il nous permettra en fait de découvrir celui dont le Pape Léon XIII, dans l’Encyclique AETERNI PATRIS (1879) sur la philosophie chrétienne, a reconnu les qualités exceptionnelles et a qualifié de « Docteur angélique ». C’est avec admiration que le Pape parle de la doctrine de Saint Thomas d’Aquin qu’il considère comme étant une synthèse parfaite de toutes les doctrines des Docteurs du Moyen Âge qui lui ont précédé en l’occurrence saint Augustin (345 – 540), saint Anselme (1033 – 1109), saint Bonaventure (1217 – 1274), etc. Son génie ayant été celui d’avoir établi une étroite relation entre « la science divine et la science humaine », c’est-à-dire la théologie et la philosophie. L’éloge que le Pape Léon XIII fait à l’endroit de saint Thomas nous permet de saisir qu’il est: « prince et maître de tous, se fonde sur l’éclat de son intelligence qui se démarque remarquablement en comparaison de ses prédécesseurs ».
  • 3. En effet pour le Pape Léon XIII, saint Thomas d’Aquin « a hérité en quelque sorte de l’intelligence de tous. Thomas recueillit leurs doctrines, comme les membres dispersés d’un même corps; il les réunit, les classa dans un ordre admirable, et les enrichit tellement, qu’on le considère lui-même, à juste titre, comme défenseur spécial et l’honneur de l’Eglise. Dans un esprit ouvert et pénétrant, d’une mémoire facile et sûre, d’une intégrité parfaite de mœurs, n’ayant d’autre amour que celui de la vérité, très riche de science tant divine qu’humaine, justement comparé au soleil, il réchauffa la terre par le rayonnement de ses vertus, et la remplit de la splendeur de sa doctrine. Il n’est aucune partie de la philosophie qu’il n’ait traitée avec autant de pénétration que de solidité: les lois du raisonnement, Dieu et les substances incorporelles, l’homme et les autres créatures sensibles, les actes humains et leurs principes, font tour à tour l’objet des thèses qu’il soutient, dans lesquelles rien ne manque, ni l’abondante moisson des recherches, ni l’harmonieuse ordonnance des parties, ni une excellente manière de procéder,
  • 4. ni la solidité des principes ou la force des arguments, ni la clarté du style ou la propriété de l’expression, ni la profondeur et la souplesse avec lesquelles il résout les points les plus obscurs ». L’hommage que le Pape Léon XIII rend au Docteur angélique se situe dans la suite de multiples hommages que ses prédécesseurs lui avaient déjà rendus. Son intelligence et la clarté de sa doctrine ont toujours suscité confiance et admiration de la part de différents pontifes partant de Clément VI, Nicolas V, Benoit XII et tant d’autres après eux. Pour ne citer que deux d’entre les pontifes qui ont honoré la sagesse de saint Thomas d’Aquin, relevons ici les éloges du Pape Pie V qui, de sa part, a reconnu que la doctrine de Thomas d’Aquin « confond, terrasse et dissipe les hérésies, et que chaque jour elle délivre le monde entier de funestes erreurs ». Quant au Pape Innocent VI : « La doctrine de saint Thomas d’Aquin a, plus que toutes les autres, le droit canon excepté, l’avantage de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression, de la vérité des propositions , de telle sorte que ceux qui la possèdent ne sont jamais surpris hors du sentier de la vérité, et que quiconque l’a combattue a toujours été suspecté d’erreur » (cf. Æterni Patris, 1879).
  • 5. En plus de la propriété des termes, de la mesure dans l’expression et de la vérité des propositions qui sont des aspects caractéristiques hautement appréciés par le Pape Innocent VI, il est pour nous important de souligner le rapport que Thomas d’Aquin établi entre la foi et la raison. Le fait que le Docteur angélique a su harmonieusement concilier les données de la révélation qui nécessitent la foi chrétienne avec la raison, cela constitue un atout majeur qui fonde la crédibilité de sa doctrine. Il démontra de façon exceptionnelle qu’il subsiste une harmonie naturelle entre la foi et la raison ,et, de ce fait, il ouvrit des perspectives de réflexion aux générations futures dans le cadre de la compatibilité entre les données de la foi et la raison humaine.
  • 6. C’est dans le but de donner à l’Eglise et plus particulièrement aux générations à venir une source des « eaux très pures de la sagesse » que le souverain Pontife a donné en maître, saint Thomas d’Aquin. Sous la conduite du Docteur angélique, le saint Père a voulu que les jeunes, et particulièrement, ceux engagés sur la voie de la réflexion philosophique, « soient nourris d’une doctrine substantielle et forte afin que, pleins de vigueur et revêtus d’une armure complète, ils s’habituent de bonne heure à défendre la religion avec vaillance et sagesse… » (cf. Encyclique Æterni Patris). Voilà une des raisons qui justifient l’importance de l’étude de saint Thomas d’Aquin et du Thomisme dans le cursus de formation philosophique des étudiants (Séminaristes) engagés sur la chemin de la vocation sacerdotale.
  • 7. Etant l’une des figures de proue de la philosophie scolastique, Thomas d’Aquin se révèle comme un Maître d’un génie intellectuel hors pair. C’est pour cette raison qu’il sera appelé « Maître de l’école » et Doctor angelicus « en raison de ses vertus, et en particulier le caractère sublime de sa pensée et la pureté de sa vie » tel que le précise le Pape Benoît XVI dans son propos à l’occasion de l’audience générale du 2 juin 2010. Ses enseignements dans les domaines théologique et philosophique ont effectivement contribué à consolider l’héritage doctrinal de l’Eglise à travers les siècles. Au point de vue philosophique, sa doctrine qui couvre une multitudes de domaines d’investigation allant de la nature de la connaissance en passant par la métaphysique, les sciences de la nature, l’éthique jusqu’à la politique, se révèle d’une richesse dont l’attraction demeure d’actualité.
  • 8. Cependant, avec l’évolution du temps et l’inefficacité de ceux sensés poursuivre l’œuvre grandiose développée par Thomas d’Aquin, un certain affaiblissement inéluctable se fit sentir. A des raisons qui sont d’ordre purement intérieur, ce sont ajoutés des raisons extérieures entre autres, l’inauguration de la philosophie de Descartes et l’apparition d’Emmanuel Kant issu du siècle des lumières. Ces deux philosophes eurent un impact néfaste quant à l’évolution et la perception même de la philosophie scolastique jugée archaïque. En effet, « la passion de la nouveauté, dit-il, parut avoir envahi dans certains milieux des philosophes catholiques eux-mêmes. Dédaignant le patrimoine de l’antique sagesse, ils aimeraient mieux bâtir à neuf qu’élargir et perfectionner le vieil édifice: …( cf. Le Cinquantenaire de l’Encyclique « Aeterni Patris », Université Laval, 1929, pp. 9-10).
  • 9. C’est dans le but de réhabiliter l’enseignement de Thomas d’Aquin, c’est-à-dire sa doctrine théologique et philosophique face à un développement intellectuel de plus en plus dominé par les doctrines modernes (cartésienne et kantienne) que le Pape Léon XIII a publié la Lettre Encyclique Aeterni Patris (1789). La réponse à l’appel lancé par cette Encyclique, enclenchera un mouvement de la renaissance thomiste qui sera caractérisée par une tendance profondément « antimoderne ». Ce renouveau thomiste dit aussi néo-thomisme, ayant été longtemps enfermé dans le cadre de l’enseignement de séminaires, atteindra en fin de compte le monde des laïcs.
  • 10. Selon Philippe Chenaux, « Le néothomisme léonien était resté pour l’essentiel une « philosophie de séminaire » qui avec les années et sous l’effet de la crise moderniste, s’était transformé en un système doctrinal rigide symbolisé parfaitement par les vingt-quatre thèses du jésuite italien Guido Matiussi publiées à la veille de la guerre » (cf. Philippe Chenaux, Entre Maurras et Maritain, une génération intellectuelle catholique (1920-1930), Cerf, Paris, 2012, p. 17). Cependant, avec l’impulsion d’Etienne Gilson (1884- 1978), de Jacques Maritain (1882-1973) et de tant d’autres figures influentes, la renaissance thomiste des années vingt sera « au contraire résolument conquérante à l’égard d’une culture moderne ébranlée dans ses fondements (raison, progrès, liberté) par la guerre (idem, p. 18).
  • 11. Bien qu’autour des thèses soutenues par Thomas d’Aquin se développeront d’autres visions, il reste sans doute que la doctrine thomiste demeure une référence inaliénable jusqu’à nos jours. Les controverses issues des conflits d’interprétation prouvent à suffisance combien le thomisme a été une source inépuisable d’inspiration au cours des siècles. Question de vocabulaire (Cf. http:/www.histophilo.com/thomas_d_aquin.php Thomisme/Thomiste: concerne l’école ou le courant philosophico-théologique qui se réclame de Thomas d’Aquin et en développe les principes au-delà de la lettre de son expression historique initiale; Néo-thomisme : courant de pensée philosophico-théologique de type thomiste, développé à partir du XXe siècle pour répondre aux objections posées au christianisme catholique par la modernité; Thomasien: Ce qui relève de la pensée de Thomas d’Aquin lui-même, indépendamment des développement historiques induits par sa réception.
  • 12. I. SAINT THOMAS D’AQUIN (1225 – 1274) 1. Enfance et formation initiale Tommaso d’Aquino appelé Thomas d’Aquin est né en 1224/1225 dans une famille noble près d’Aquino, une petite ville environnante de l’ Abbaye bénédictine du Mont-Cassin (Royaume de Naple) en Italie. Il sera envoyé pour son instruction de base à l’école des bénédictins du Mont-Cassin. La formation initiale que lui offraient les moines bénédictins fut tout à fait particulière du fait qu’il était un élève « oblat », c’est - à- dire un « enfant consacré » à Dieu et donné ainsi par ses parents à ce monastère afin d’y demeurer et devenir moine. Comme on peut le lire en effet, « sa famille souhaitait sans doute l’y voir un jour comme prieur ou abbé afin d’asseoir son influence dans la région ».
  • 13. Plus tard, dû au cas de force majeure, le moines en 1239, expulsés du Mont-Cassin, Thomas sera aussi forcé d’aller poursuivre ses études à Naples. C’est dans un élan stimulé par la soif d’apprendre que le jeune étudiant de l’université de Naples effectuera son premier contact avec « les nouveaux textes et méthodes qui commencent à pénétrer le milieu des écoles ». L’université de Naples étant caractérisée par une notoriété élitiste, on y enseignait à l’exception des autres universités d’Italie, la pensée du philosophe grec Aristote, auquel le jeune Thomas fut introduit. Selon le Pape Benoît XVI, « il comprit immédiatement la grande valeur » ( cf. Audience générale du 2 juin 2010). Le séjour de Thomas comme étudiant à Naples, lui permettra de découvrir sa vocation dominicaine. A dix-huit ans il fera son entrée dans l’ordre des frères prêcheurs. Cependant, « lorsqu’il revêtit l’habit dominicain, sa famille s’opposa à ce choix, et il fut contraint de quitter le couvent et de passer un certain temps auprès de sa famille », avant de pouvoir poursuivre sa vocation quelque temps après.
  • 14. 2. A l’école d’Albert le Grand et l’approfondissement de la philosophie d’Aristote En 1245, convaincu de sa vocation, Thomas sera envoyé pour les études théologiques à Paris auprès du célèbre théologien Albert le Grand (1193/1206-1280) . « Albert et thomas nouèrent une véritable et profonde amitié, et apprirent à s’estimer et à s’aimer ». C’est à l’université de Paris, auprès de son Maître à penser, Albert le Grand, que «Thomas se familiarisa alors avec les œuvres d’Aristote et ses commentateurs ». C’est à Paris qu’il commença à lire la Bible de « façon continue » selon la coutume et en même temps, se mit à explorer et commenter les Sentences de Pierre Lombard (vers 1100-1160). Les Sentences (maximes-préceptes de morale) de Pierre Lombard « sont un traité de théologie composé vers 1146. Il est connu comme étant l’un des livres importants et incontournables dans la formation universitaire (scolastique) du Moyen Âge. Il comporte quatre livres et 182 sentences. Tous les futurs maîtres devaient l’avoir commenté » avant de pouvoir enseigner. La découverte des écrits d’Aristote qui étaient longtemps inconnus du monde latin, suscitèrent à cette époque beaucoup d’engouement et surtout qu’ils représentaient « une vision complète du monde, développée sans et avant le Christ, à travers la raison pure, et elle semblait s’imposer à la raison comme « la » vision elle-même: cela était donc une incroyable attraction pour les jeunes de voir et de connaître cette philosophie » (Benoît XVI, Audience du 20 juin 2010).
  • 15. Bien entendu, c’est avec un esprit critique que l’intelligentsia de l’époque accueillit « cet immense bagage de savoir antique ». Son intégration dans l’ensemble de la connaissance intellectuelle était perçue comme une percée importante qui « semblait pouvoir renouveler avantageusement la culture, ouvrir les horizons entièrement nouveaux ». Cependant, quelques réserves se furent entendre à l’égard de ce savoir d’origine grecque qu’on qualifiait de « pensée païenne » dans une culture généralement chrétienne. On comprend bien que la crainte de voir s’installer une opposition entre la foi chrétienne et la pensée grecque suscitait de la part de beaucoup un refus plus au moins catégorique parmi les intellectuels catholiques. Une des raisons vivement avancées étaient que ceux des commentateurs d’Aristote (à savoir, Avicenne et Averroès), qui, par ailleurs avaient introduit la philosophie d’Aristote dans le monde latin étaient des arabes.
  • 16. Notons que l’intérêt que suscita la connaissance d’Aristote à travers l’étude de ses différents écrits, allant de la nature de la connaissance, les sciences naturelles, la métaphysique, de l’âme et de l’éthique, etc. témoignait d’une rencontre de deux cultures: « préchrétienne d'Aristote, avec sa rationalité radicale, et la culture chrétienne classique ». C’est dans cette atmosphère dominée d’une part par l’engouement intellectuel de certains à l’égard de la philosophie d'Aristote, et de réticence des autres d’autre part, que Thomas accomplira une « opération d’une importance fondamentale pour l’histoire de la philosophie et de la théologie, .. ».
  • 17. Le mérite de saint Thomas d’Aquin est qu’à l’école d’Albert le Grand (1193 – 1280), surnommé Docteur universel: « il étudia à fond Aristote et ses interprètes, se procurant de nouvelles traductions latines des textes originaux en grec. Ainsi, il ne s’appuyait plus seulement sur les commentateurs arabes, mais il pouvait également lire personnellement les textes originaux, et commenta une grande partie des œuvres d’Aristote, en y distinguant ce qui était juste de ce qui était sujet de doute ou devant même être entièrement rejeté, en montrant la correspondance avec les données de la révélation chrétienne et en faisant un usage ample et précis de la pensée d’Aristote dans des écrits théologiques qu’il composa » (cf., Audience du 2 juin 2010). Son ingéniosité fut hautement appréciable dans la démonstration sans ambiguïté de la cohérence qu’il établit entre la foi chrétienne et la raison humaine. D’après Thomas d’Aquin en effet, il subsiste de façon irréfutable « une harmonie naturelle ». Cette affirmation fut accueillie comme étant la « grande œuvre » que réalisa Thomas en un moment crucial marqué par un conflit entre deux cultures.
  • 18. « ce moment où il semblait que la foi devait capituler face à la raison – il a montré que les deux vont de pair, que ce qui apparaissait comme une raison non compatible avec la foi n’était pas raison, et que ce qui apparaissait comme foi n’était pas la foi, si elle s’opposait à la véritable rationalité; il a ainsi créé une nouvelle synthèse, qui a formé la culture des siècles qui ont suivi ».
  • 19. 3. Thomas d’Aquin, Maître à Paris et ailleurs Après son admission à la maîtrise à Paris (1256 -1259), il s’engagea avec abnégations à une réflexion intellectuelle dont le résultat sera vivement apprécié. Pendant cette période bien précise, « saint Thomas commente la Bible (ordinarie), tient ses premières questions disputées (De Véritate), et entreprend la composition du Contra Gentiles (cf. H. D. Gardeil, Initiation à la Philosophie de saint Thomas. Introduction et Logique, 2e Edition, Paris, Cerf, p. 17). En 1259 – 1268), sollicité à Rome sur la demande du Pape, saint Thomas se rend en Italie où lui seront confiées les fonctions importantes du lecteur de la Curie Romaine. Pendant ce séjour très remarqué, « il enseigne l’Ecriture Sainte (cours magistral ordinaire, dispute de nombreuses questions, achève le Contra Gentiles, compose la Catena aurea (chaîne d’Or), commente Aristote, met en chantier la Somme théologique, etc. » (idem).
  • 20. De son retour à Paris (1269 -1271), lors de ce séjour qu’on appelle le (second enseignement à Paris », saint Thomas poursuivra sa fonction de professeur et d’écrivain inlassable. En pleine polémique qui engendra une crise intellectuelle provoquée par les averroïstes, « saint Thomas tout en prenant position » poursuit néanmoins son intense travail intellectuel qui lui permettra de réaliser plusieurs commentaires (de la Sainte Écriture, d’Aristote, questions disputées, somme, opuscules divers). En 1271 -1273, il est nommé à Naples en qualité de Directeur du Studium generale (Maison d’études) nouvellement ouvert par l’Ordre des Prêcheurs (dominicains). En ce second séjour à Naples, Thomas d’Aquin, en plus de ses activités intellectuelles habituelles, s’engagea dans une « activité apostolique notable » (Idem).
  • 21. La réalisation du travail immense que saint Thomas a abattu, a effectivement connu l’apport de son secrétaire et ami du nom de frère Réginald. D’après certains proches témoins, il se pourrait que vers la fin de sa vie, Thomas d’Aquin « aurait été plongé dans ce qui paraissait une abstraction totale par rapport à son entourage ». Mais, sous l’insistance de Réginald qui voulait en savoir plus, saint Thomas lui aurait confié un secret accompagné d’une ferme interdiction de ne révéler le contenu à personne de son vivant. En effet, il lui aurait dit ce qui suit: « Le terme de mes travaux est venu, tout ce que j’ai écrit et enseigné me semble de la paille auprès de ce que j’ai vu et de ce qui m’a été dévoilé. Désormais j’espère de la bonté de mon Dieu que la fin de ma vie suivra de près celle des mes travaux » (cf. Martin Blais).
  • 22. La mort de saint Thomas intervint précisément le 07 mars 1274 à l’Abbaye cistercienne de Fossa Nova lors son du voyage qui le conduisait au Concile de Lyon auquel il devait participer à l’invitation lui adressée par le Pape Grégoire IX. « A moins de cinquante ans, Thomas d’Aquin laissait derrière lui une œuvre immense. Il aura sans conteste été celui qui, grâce à un labeur colossal, à une audace dont on mesure à peine la portée et à une lucidité exceptionnelle, aura réussi à réaliser une synthèse acceptable entre les positions classiques de la pensée chrétienne et les nouvelles orientations proposées par la pensée aristotélicienne, telle qu’elle venait à la connaissance des maîtres du XIIIème siècle au moment où Thomas d’Aquin entrait en scène . Thomas d’Aquin releva un défi que bien peu firent à mesure d’affronter» (Idem). Le titre de « Docteur Angélique » lui aurait été attribué à cause de la lucidité de sont intelligence et plus particulièrement, sa pureté de vie et de l’ intérêt manifesté dans l’élaboration des nombreux traités des anges.
  • 23. II. L’ŒUVRE DE SAINT THOMS D’AQUIN 1. La problématique de l’authenticité et la chronologie La connaissance de saint Thomas passe inéluctablement par celle de son œuvre qui est en effet immense et dense. Saint Thomas est universellement connu comme ayant exercé une activité intellectuelle prodigieuse en sa qualité de professeur et d’écrivain. En effet, son génie intellectuel l’a conduit sur les voies de l’exploration de presque toutes les matières d’ordre philosophique et théologique étudiées à son époque. Cela justifie à suffisance l’immensité et la diversité de son œuvre qui couvre de façon spécifique les différents orientations de la réflexion touchant l’intérêt de l’intelligentsia du Moyen Age. Les nombreux ouvrages qui lui sont reconnus: certains se présentent sous forme des leçons, des questions disputées, des opuscules divers, des sommes et d’autres, sont des compositions qui témoignent de la grandeur d’esprit du Docteur angélique.
  • 24. D’après H. D. Gardeil, « Certains de ces ouvrages ont été écrits de sa main, d’autres seulement dictés, quelques-uns n’étant peut-être que de simples reportations ». Il poursuit en disant qu’ « on notera de plus que de nombreux inauthentiques se trouvent compris dans les recueils classiques des Opera omnia, lesquels n’ont pas été composés avec un vrai souci critique » (cf. Initiation à la philosophie de Saint Thomas: Introduction et Logique, 2édition, p.18). L’édition Vivès qui est jugée la plus complète des toutes les autres, rapporte quelques 140 écrits qu’elle regroupe de façon générale en 32 volumes sans souci de chronologie. On comprend exactement que l’immensité de l’œuvre de saint Thomas ne va sans poser de problème critique quant à la question d’authenticité de certains écrits qui lui seraient attribués.
  • 25. • Du point de vue de l’authenticité, On retiendra que cette question concrète est au cœur de toute analyse littéraire de n’importe quel auteur. En ce qui concerne saint Thomas, il se pourrait qu’ au Moyen âge il ne se posait pas de façon scrupuleuse la question de propriété littéraire. On pouvait à cet effet constater « des fautes ou des fantaisies de copies, et de nombreux manuscrits circulent anonymes » (Idem). Cet état de lieu, justifie en quelque sorte pourquoi, quelque temps après la mort de saint Thomas ( plus au moins un demi- siècle), il était encore difficile de préciser exactement la liste des œuvres de ce grand docteur de l’Eglise. Face à cette problématique d’authenticité, des travaux à ce sujet été menés afin de pouvoir authentifier correctement les différents écrits de saint Thomas. Cette initiative (tentative) entreprise au XIV visera à dresser des catalogues.
  • 26. Cependant, le résultat de ces travaux ont révélé quelques insuffisances du fait du manque d’esprit critique: « le malheur est qu’ils ne coïncident pas de façon parfaite, et il est visible d’autre part qu’il n’ont pas été composés avec un souci critique suffisant » (Idem). La deuxième tentative d’authentification sera entreprise au XVIe siècle par les éditeurs de la Piana. Ces derniers se contenteront seulement « de mettre prudemment à part un groupe d’écrits qu’ils qualifièrent de douteux ». On note que les premiers travaux critiques sérieux seront menés au XVIIe par deux Pères dominicains Echard et Rubeis. Et P. Mandonnet poursuivra ces mêmes travaux dont la publication sortira sous le titre: Les récits authentiques de saint Thomas d’Aquin, Fribourg (Suisse), 1910. Depuis lors, « on est universellement d’accord sur l’authenticité ou sur le rejet de presque toutes les œuvres en question. Et si quelques doutes subsistent, ce n’est qu’au sujet de quelques opuscules de médiocre importance » (idem, p. 19). D’où la précision suivante concernant l’œuvre de saint Thomas: 140 écrits dont 75 notés authentiques et 65 apocryphes.
  • 27. • Du point de vue chronologique, La question de la chronologie s’est aussi posée avec insistance face l’immensité de l’œuvre de saint Thomas. Tout en maintenant les sentences en première position, la façon la plus simple de présenter la chronologie des écrits de saint Thomas s’est faite selon trois grandes périodes de sa vie à savoir: jeunesse, temps d’enseignement à Paris et maturité (cf. p. 20).  Période de jeunesse (1252 – 1256): comporte les commentaires sur les Sentences; ainsi que les opuscules: De ante et essentia, contra De principiis naturae, De Trinitate.  Premier enseignement magistral à Paris et le début du séjour italien (1256 - 1264): Questions disputées De Veritate, Contra Gentiles.  Période de pleine maturité (1264 -1274): autres questions disputées, Commentaires d’Aristote, Somme théologique, etc.
  • 28. 2. Caractéristiques littéraires des œuvres de saint Thomas Pour comprendre les écrits de saint Thomas, il faut nécessairement connaître le contexte et le genre littéraire de leur développement. Le premier point important à saisir, c’est d’abord « les procédés médiévaux d’enseignement ». • En effet, il s’agit ici de la pédagogie médiévale qui était essentiellement à base de lecture de textes: « deux choses principalement concourent à l’acquisition de la science, la lecture et la méditation » (cf. Hugue de S. Victor, Didascalion, L. I, Ch. I). Avec la méditation du texte, on recherchait l’assimilation personnelle de la doctrine et par la lecture « on transmet à autrui, ou on la reçoit de lui ». Tel qu’il est ici affirmé par H.D. Gardeil, « ce dernier procédé est si généralement la méthode d’enseigner que le professeur porte le nom de « lecteur…lector », et que l’acte d’enseigner lui-même consiste à « lire …legere » (Idem, p. 21).
  • 29. Cette méthode d’enseignement se justifie par le fait qu’au Moyen âge, on témoignait d’un grand respect pour le texte écrit. Les livres disponibles étant très peu nombreux et donc rares, ils étaient considérés « comme des trésors que l’on explore avec grand soin ». Et comme la théologie était la science la plus développée et que son fondement était à base de textes bibliques, on comprend bien que son influence sur d’autres sciences doit avoir été plus considérable. En effet, « cette pratique de la « lecture » entraînait avec soi le respect des auteurs qu’on lisait. Le texte est sacré parce qu’il est l’expression de la pensée d’un maître reconnu ». Dans le domaine théologique, on reconnaissait l’autorité des Pères de l’Eglise, et en particulier celle de saint Augustin.
  • 30. Dans le domaine profane, on s’intéressait avec grand respect aux textes comme « ceux d’Aristote en philosophie, de Priscien et de Donat pour la grammaire, de Cicéron et de Quintilien en rhétorique, de Galien en médecine, du Corpus Juris pour le droit ». Cette pratique de la lecture ayant été très féconde dans la formation et le développement de la vie intellectuelle au Moyen âge, elle constituera avec le temps un danger. En effet, « l’attention se détournera de plus en plus des objets réels pour se concentrer dans l’analyse abstraite des formules et des notions »(Idem, p. 21). Cette méthode dite scolastique tombera dans ce défaut qui la conduira en une sorte de « verbalisme assez vide », malgré ses succès et sa notoriété sans égal.
  • 31. • Qu’en est-il de la naissance de la Question? Puisque le lecture du texte présente nécessairement des difficultés, c’est-à-dire que du texte surgissait des questions. De ce fait, la lecture conduisait impérativement à la question. Cela peut s’exprimer comme suit: de la lectio, on en vint à la quaestio. Ainsi, le commentaire étant un des genres littéraires du Moyen Âge, sera fortement surchargé de Questions. « ces questions pouvaient naître, soit d’une expression qui demandait à être précisée, soit d’une formule prêtant à équivoque, soit de la rencontre de plusieurs interprétations contraires, etc. ». C’est le développement de la Question qui caractérisera principalement le commentaire de saint Thomas des Sentences de Pierre Lombard. Du texte des Sentences commenté par saint Thomas, on aboutit au déploiement de la doctrine du commentateur (saint Thomas).
  • 32. • De la Question à la Question disputée Le passage de la Question à la Question disputée témoigne d’une certaine évolution dans le processus général du système d’enseignement au moyen âge. Si le propre de la Question consistait à mettre « en question les problèmes, non que l’on s’interroge vraiment sur leurs solutions, mais parce qu’on croit mieux les présenter; la question disputée, elle, fait effectivement appel à la réflexion et « mettait naturellement en jeu des opinions ou des autorités contraires » (Idem, p. 22). C’était en réalité une vraie discussion intellectuelle qui visait à clarifier le problème et elle impliquait des contradicteurs selon que leurs thèses contrariaient la position initiale. C’est ainsi que de la considération purement littéraire, la question est alors passée au « genre des exercices académiques », faisant ainsi naître la question disputée.
  • 33. « Au XIIIe siècle, cet exercice prendra une ampleur si importante qu’à côté des leçons et des sermons qui lui été assignés, chaque maître devrait obligatoirement tenir des disputes: « legere, disputare, praedicare », telles sont ses fonctions habituelles » (cf. pp. 22-23). • La dispute quodlibétique – question libre C’est un genre d’exercice scolaire au sein duquel s’est développé la question disputée dénommée, le Quodlibet. La spécificité de ce type de question disputée est qu’elle permettait qu’on pose « n’importe quelle question au maître défendant ». On notera que ce genre d’exercice se tenait deux fois par an, précisément « avant les fêtes de Noël et de Pâques et revêtaient une particulière solennité ». L’essentiel de cet exercice résidait moins dans l’ampleur de l’exposé, mais plus, dans « l’actualité des sujets abordés ». Cela supposait de la part du maître, qu’il soit un vrai connaisseur, solidement avisé et capable d’illuminer la lanterne de ses auditeurs au sujet du problème en question.
  • 34. • La construction d’un article C’est en considérant l’importance et l’évolution des différents aspects déjà évoqués qu’on peut enfin « saisir la raison et percevoir l’intérêt de ces articles dont sont construits maints ouvrages médiévaux, et en particulier la Somme théologique de saint Thomas ». Dans le procédé méthodologique de l’enseignement et de la réflexion intellectuelle au Moyen âge, l’article est en effet, une réduction des grandes disputes selon que nous venons de les décrire. « il commence par une question, « Circa primum quaeritur… », après quoi vient la discussion, formée d’abord de l’énoncé du pour, « videtur quod… » et du contre, «sed contra… » et enfin suit le « respondeo, dicendum quod … » qui présente la réponse aux arguments contre, où s’affirme d’ordinaire la préoccupation de sauvegarder, la part de vérité que pouvaient contenir les objections »(cf. p. 23). Cette méthode d’analyse et d’exploration de contenu d’un texte à partir des questions, objection ou réfutations et enfin, la proposition de réponse est connue sous le vocable « scolastique ».
  • 35. Cette méthode d’analyse et d’exploration de contenu d’un texte à partir des questions, objections ou réfutations et enfin, la proposition de réponse (synthèse), est connue sous le vocable « scolastique ». Selon Larousse, l’adjectif scolastique désigne tout ce qui est relatif au Moyen Âge. On fait aussi généralement référence au substantif « scolastique » pour désigner « l’enseignement philosophique et théologique au Moyen Âge fondé sur la tradition aristotélicienne ». En effet, au Moyen Âge, la méthode scolastique « se présente comme la plus parfaite » au XIIème et XIIIème siècle. Comme procédé, « la scolastique est une méthode analytico-synthétique » (cf. Maurice De Wulf, Méthodes scolastiques d’autres fois et aujourd’hui, in Revue néo-scolastique, 10ème année, N° 38, 1903, pp. 165-184).
  • 36. 3. Les commentaires d’Aristote L’étude d’Aristote que fait saint Thomas passe par le commentaire. C’est en commentant les déférents textes d’Aristote que saint Thomas approfondie et vulgarise le contenu philosophique de la pensée du philosophe grec. Les premiers textes des philosophes grecs en général furent traduits du grec en latin. Ceux d’Aristote en particulier étaient accessibles en occident au XIIIème siècle. Et puisque la traduction disponible présentait quelques écueils, naquit l’idée de refaire le travail en se basant sur les textes originaux en grec. « Saint Thomas dut être un des instigateurs de cette entreprise d’épuration. (…) c’est cette version qui servit habituellement à saint Thomas dans ses commentaires, et qui se trouve dans les éditions de ses œuvres » (cf. p. 25).
  • 37. Pour réaliser ses commentaires d’Aristote, il est dit que saint Thomas a utilisé « une méthode nouvelle, plus rigoureuse que celle qui était couramment en usage ». Ayant le souci du détail, il « interprète en authentique philosophe, qui ne perd jamais de vue les principes ni l’ensemble. Analyse et synthèse se conjuguent ainsi en une géniale harmonie » (Idem). En authentique philosophe, Thomas d’Aquin cherche à saisir le détail tout en ne perdant pas de vue les principes et l’ensemble du contenu des œuvres d’Aristote. La valeur et la portée du commentaire de saint Thomas d’Aquin se manifestent dans une lucidité intellectuelle qui visait à « pénétrer la pensée authentique du philosophe et découvrir, sous sa direction, la vérité objective ». En ce qui concerne les commentaires exégétiques, il est généralement admis que « ses œuvres représentent la plus heureuse réussite de son temps » (p. 25).
  • 38. Tous ses commentaires en effet, sont caractérisés par une fidélité sans reproche qui permet à comprendre de façon précise la pensée d’Aristote. Bien qu’animé par le souci pressent de comprendre le détail et de se rapprocher de plus en plus de la conscience d’Aristote, cependant, saint Thomas d’Aquin « demeure un philosophe personnel ». En effet, son commentaire contient aussi sa pensée et de ce point de vue, il fait preuve d’originalité, qui, de façon précise, témoigne de son indépendance. Saint Thomas a réalisé plusieurs commentaires des œuvres d’Aristote qu’on situe de façon approximative à partir de son engagement professionnel en Italie (1265 -1274). La liste de commentaires d’Aristote selon H. D Gardeil se présente comme suit: - Perihermenaias (authentique jusqu’à II, &-2 inclus) - Post-Analytiques - Physiques (en 8 livres)
  • 39. - De coelo et mundo (auth. Jusqu’à III, I. 8 inclus). - De generatione (auth. Jusqu’à I, I. 17). - Météorologiques (auth. Jusqu’à II, I. 10 inclus). - De anima (en 3 livres). - De sensu, De memoria. - Métaphysique (Comment. des 12 prem. Livres). - Ethique à Nicomaque. - Politiques (auth. Jusqu’à III, I. 6 inclus). - 4. Œuvres Théologiques de Saint Thomas Parmi les œuvres théologiques de saint Thomas, il est important de souligner la place de choix qu’occupe le commentaire sur les Sentences de Pierre Lombard en tant qu’œuvre de jeunesse. Rappelons qu’au Moyen Âge, il était impératif à tout étudiant en fin de cycle de théologie de commenter les Sentences de Pierre Lombard avant de prétendre accéder au titre de maître.
  • 40. En effet, « l’explication de cet ouvrage durait deux années et était confiée à un adjoint du maître qui, pour cette raison, portait le nom de bachelier sententiaire. Normalement donc un commentaire sur les Sentences correspond au début de la carrière d’un théologien » (Idem, p . 26). Pierre Lombard était l’évêque de Paris et éminent théologien de renom. Il a composé les Sentences vers l’année 1150. Cet ouvrage devenu un classique à l’époque médiévale est un « recueil assez complet » contenant les principales questions théologiques reparties dans quatre livres dont le contenu est: - Dieu un et trine; - La création; - La rédemption et la grâce; - Sacrements et les fins dernières
  • 41. Vu la clarté et l’orthodoxie de la doctrine qu’il contenait, cet ouvrage servait comme un manuel incontournable en matière de contenu théologique au cœur de l’enseignement universitaire de l’époque. H. D. Gardeil explique cela en ces termes: « les Sentences se recommandaient par leur orthodoxie et par une large information scripturaire et patristique. Cet ensemble de qualités à la fois positives et négatives devaient assurer à l’œuvre de Lombard une fortune absolument exceptionnelle: durant plusieurs siècles elle jouera le rôle de manuel officiel de théologie et c’est par centaines que l’on peut évaluer le nombre de commentaires qui en sont conservés » (pp. 26- 27). Saint Thomas enseignera le contenu de son commentaire au Studium saint Jacques de Paris au cours des années 1254 -1256.
  • 42. Les Sommes: - La littérature summiste au moyen âge. Dans le domaine théologique, il faut reconnaître que saint Thomas d’Aquin est devenu célèbre par son plus grand ouvrage connu sous l’appelé Somme théologique. Cependant il y a peu de gens qui savent que cette appellation n’était aucunement réservée à l’œuvre du Docteur angélique. Cela se justifie par le fait que la littérature summiste était très répandue en son temps. D’après M. Glorieux, les sommes médiévales pouvaient se distinguer en trois groupes d’intention et de structure différentes (Cf. H. D. Gardeil, p. 27):  les Sommes compilations, où domine la préoccupation du recueil complet, mais non systématiquement organisé (ex. la Catena aurea de saint Thomas);  les Sommes abrégées, où l’on recherche la brièveté exacte (genre catéchisme);
  • 43.  les Sommes systématiques qui visent à donner un enseignement d’ensemble organiquement lié (ex. les grandes sommes de saint Thomas): - La Somme contre les Gentils Cet ouvrage est compté parmi les plus importantes œuvres de saint Thomas. C’est à la demande de son supérieur général que saint Thomas écrit cet ouvrage apologétique parce qu’il défend l’orthodoxie de l’enseignement doctrinal de l’Eglise contre les positions des hérétiques et particulièrement les musulmans. La motivation de cet ouvrage été suscitée par « le problème de la conversion des maures (populations berbères d’Afrique du nord) du royaume de Valence, récemment reconquis par les chrétiens; mais il est à remarquer que les arguments mis en œuvre ne visent pas uniquement les musulmans; les « gentiles » sont aussi bien des hérétiques, des juifs, des païens, en un mot tous les hétérodoxes » (p. 28). La rédaction de Contra Gentiles aurait débutée en 1258 et son achèvement est situé vers les années 1263-64.
  • 44. En considérant les arguments rationnels que contient le Contra Gentiles, on est arrivé à le comparer avec la Somme théologique. Ainsi d’une part, on a la somme philosophique pour signifier le contra Gentiles et d’autre part, la Somme théologique telle que connue aujourd’hui. Le Contra Gentiles est un ouvrage subdivisé en deux grands ensembles: - Le premier ensemble concerne les vérités de la foi accessibles à la raison (1.I) et la procession des créatures à partir de Dieu (1.II), l’ordination des créatures à Dieu comme leur fin (1. III). - Le second ensemble traite des vérités qui dépassent la raison humaine – les mystères de la foi, la Sainte Trinité, l’Incarnation, Béatitudes surnaturelle (1. IV).
  • 45. La Somme théologique En dehors de l’intérêt purement scolaire dans le cadre d’enseignement et de circonstance particulière qu’on pourrait mentionner, la Somme Théologique est plutôt une œuvre personnelle. A proprement parler, cette œuvre représente « une initiative personnelle du maître, prise dans l’intention d’aider les étudiants débutants ». Saint Thomas a le souci d’aider les débutants à pénétrer la vérité du mystère de la foi et de cet fait, les conduire à bien mener effectivement la vie chrétienne. C’est la raison pour laquelle sa « division est simple et régulière en parties, questions, articles; réduction du nombre des objections à trois en générale… » (p. 29).
  • 46. Comme ouvrage de grande envergure, saint Thomas a débuté la rédaction de la première partie de la Somme théologique lors de son séjour italien à partir de 1266. La seconde partie, elle, sera écrite entre les années 1269-1272 pendant le temps de son enseignement à Paris et la troisième partie qui restera par ailleurs inachevée, aura été débutée à Naples vers la fin de l’année 1273. (cf. H. D. Gardeil, p. 29). Quant au contenu de la Somme théologique on retiendra ce qui suit: - Iª Pª, De Dieu un et Trine, et de la procession des créatures à partir de Dieu. - IIª Pª, Du retour de la créature rationnelle vers Dieu: Iª II a e, dans ses principes généraux; IIª IIa e, selon les vertus particulières. - IIIª Pª, Du Christ qui, en tant qu’homme, est pour nous la voie du retour vers Dieu.
  • 47. Dans le cadre de l’étude de la philosophie de saint Thomas, on mentionne d’autres œuvres importantes telles que: - Les Questions disputées (telle qu’elles ont été présentées) . Parmi ces questions disputées, les plus utilisées sont: De veritate, De potentia Dei. - Ces questions sont suivies selon leur importance par De anima, De spiritualibus creaturis et De malo; - D’autres œuvres sont constituées d’opuscules: De principiis naturae, le De aeternitate mundi, le De ente et essentia, De unitate intellectus et le commentaire sur le De Causis (ouvrage d’Aristote soupçonné d’inauthentique par saint Thomas).
  • 48. III. COMPRENDRE LA PHILOSOPHIE DE SAINT THOMAS D’AQUIN 1. Notions préliminaires a) La distinction entre philosophie et théologie Il est important de noter que saint Thomas est avant tout Théologien. Sa formation initiale auprès de saint Albert le prouve sans ambiguïté. Et s’il est devenu philosophe, c’est en effet, pour servir plus efficacement son intention première qui est celle de faire une œuvre essentiellement théologique. A ce sujet Gilson rappelle ce qui suit: « on ne doit pourtant pas oublier qu’il n’a étudié Aristote que pour mieux préparer une œuvre qui, d’intention première, était une théologie. (…) les parties de la philosophie thomiste ont été d’autant plus profondément élaborées qu’elles intéressent plus directement la théologie thomiste. La théologie de saint Thomas est d’un philosophe, mais sa philosophie est d’un saint » (cf. Etienne Gilson, Le Thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 1942, p. 16).
  • 49. Ainsi, le souci profond du Docteur angélique tel qu’exprimé dans la Somme Théologique, n’était pas celui de préserver à tout prix la pureté de la philosophie, mais plutôt : « comment introduire du philosophique dans la théologie sans corrompre l’essence de la théologie? » (Idem, p. 17). A cet effet, un des aspects importants par lequel Thomas considère comme étant le point de départ du développement de sa doctrine est celui de la claire distinction entre la théologie et la philosophie. Il s’agit avant tout d’élucider le contenu de chacune de ces deux disciplines afin d’éviter toute confusion éventuelle. En faisant ainsi, saint Thomas témoignait en effet de la lucidité qui était la sienne par rapport à la théologie qu’il considérait comme étant la « science de révélation », et la philosophie qu’il qualifiait de « science de la raison ».
  • 50. La philosophie étant ainsi d’ordre de la raison et la théologie celui de la révélation; cette distinction fondamentale clarifie toute la démarche méthodologique qu’utilise le Docteur angélique dans sa réflexion théologique. La compréhension de la philosophie comme servante de la théologie – « philosophia ancilla theologiae» - qui avait été mise en œuvre par d’autres théologiens bien avant lui, marquera désormais à jamais toute la réflexion théologique jusqu’à nos jours. La distinction entre les deux sciences sera ainsi maintenue et se concrétisera dans le fait que la philosophie et la théologie seront érigées en facultés indépendantes dans les universités catholiques pour signifier la reconnaissance de leur autonomie propre. Pour illustrer cette réalité, Géry Prouvost écrit à ce sujet: « La philosophie ne prétend pas annexer à son interrogation la christologie, la doctrine trinitaire, eschatologique, ecclésiologique ou sacramentelle
  • 51. mais elle développe l’autonomie d’une pensée qui se donne pour tâche l’élucider, avec la seule raison travaillant sur l’expérience, l’être de l’homme et l’être de tous les étants. De l’autre côté, la théologie se présente comme un intellectus fidei procédant de la Révélation telle que la diversité des formes du discours biblique la restitue » (cf. Thomas d’Aquin et les thomismes, Paris, Cerf, 2007, p. 19). b). Le « révélé » et le « révélable » Afin de clairement distinguer le contenu théologique du contenu philosophique, saint Thomas utilise deux notions différentes (Cf. Idem, pp. 19-20).  D’une part, il y a le « révélé (concierne a la teología)» qui est aussi dit en latin le révelatum. Cette notion fait référence à la nature ou encore à la forme. Pour l’expliquer, Gilson écrit: « le revelatum inclut uniquement ce dont l’essence même d’être révélé, parce que cela ne peut nous devenir connaissable que par la voie de révélation. (…) Ce qui constitue le « révélé » comme tel n’est pas le fait qu’il est été révélé, mais son caractère même de nous être accessible que moyennant une révélation. … le « révélé » est toute connaissance sur Dieu qui dépasse le pouvoir de la raison humaine ».
  • 52. D’autre part, il y a la notion de « révélable (de orden filosófico)» ou « revelabile ». Il est en fait constitué des faits par lesquels il transparait. Selon Gilson: « il s’agit bien ici d’un événement, donc d’un fait d’ordre existentiel, qui relève moins de la définition proprement dite que de la faculté de juger. (…) En effet, la Révélation porte essentiellement sur le révélé, mais elle inclut bien d’autres choses ». Il est à cet effet de l’ordre de la théologie en tant que science qui explore ces données de la foi contenues dans la révélation. Comme science sacrée, la théologie « a donc pour fondement la foi en une révélation faite par Dieu aux hommes que nous nommons les Apôtres et les Prophètes. Cette révélation leur confère une autorité divine, donc inébranlable, et la théologie repose tout entière sur notre foi en l’autorité de ceux qui parlent pour nous faire connaître cette révélation » (Idem, p. 21).
  • 53. Parlant de la philosophie et de la théologie, saint Thomas les situent au niveau de deux ordres différents et marque ainsi une claire distinction entre les deux. Du point de vue de la créature, il reconnait en effet deux ordres à savoir: l’ordre naturelle (razón) et l’ordre surnaturelle (fe). A ce titre, il distingue donc l’existence de deux sciences qu’il assimile à deux sagesses: la sagesse naturelle () et la sagesse surnaturelle (divina). « ce qui distingue ces deux sagesses c’est leur lumière, lumen: la première, la philosophie, est sous le lumen rationis (luz de la razón), et la seconde, la théologie, est sous le lumen fidei (luz de la fe); la philosophie envisage les vérités pour autant qu’elles sont accessibles à la raison, et la théologie en tant que révélées. Il en résulte, qu’ayant sa lumière et , partant, ses principes propres, la philosophie est une science autonome et que, remontant jusqu’à la première cause, elle mérite bien le titre de sagesse. Elle demeure cependant inférieure à la théologie, car elle n’atteint Dieu qu’indirectement, à partir des créatures, et surtout parce que le lumen rationis est moins élevé que le lumen fidei» (cf. Gardeil, p. 39).
  • 54. c). La division de la philosophie selon saint Thomas La division de la philosophie (qu’on appelle aussi savoir) que présente saint Thomas s’assimile presque totalement à celle d’Aristote qu’il appelait par ailleurs, Le Philosophe. D’après Aristote le savoir en général serait subdivisé (cf. Métaphysique, Liv E, c. I):  En sciences spéculatives (ou théoriques) qui ont pour fin la connaissance désintéressée.  En sciences pratiques qui concernent l’action humaine du point de vue moral (on parle ici de l’action immanente puisqu’interne au sujet – en vue de sa perfection).  En sciences techniques ou artistiques qui concernent l’activité extérieure ou la fabrication. A la suite d’Aristote, saint Thomas adopte la même division que lui avec la seule différence, qu’il ajoute à sa liste la logique, appelée rationalis philosophia, qu’il considère de sa part comme une science spéciale (cf. H.D. Gardeil, pp, 42-43).
  • 55. Pour saint Thomas, la classification du savoir se présente comme suit:  Rationalis philosophia vel Logica (Science ou organon);  Philosophia speculativa  Philosophia pratica: - activa : Moralis philosophia - factiva: artes Cependant, avec l’évolution du temps et grâce à la compréhension moderne de la philosophie qui a vu la psychologie s’érigeait en science, se séparant ainsi de la philosophie de la nature; la classification moderne de la philosophie de saint Thomas fut ainsi ordonnée:  Logique (science propédeutique);  Philosophie de la nature – Psychologie (en continuité);  Métaphysique (incluant théodicée et critique);  Morale et sociologie (Cf. Idem, p, 46).
  • 56. 2. Quelques domaines spécifiques de la philosophie de saint Thomas Dans un cours d’initiation à saint Thomas et au thomisme, on ne peut en aucun cas prétendre explorer tout le contenu de la philosophie du théologien - philosophe qu’est le Docteur angélique. Ainsi, nous estimons adéquat de relever certains aspects importants qui ont attiré l’attention de saint Thomas et qui, par conséquent, caractérisent effectivement sa pensée philosophique et son originalité. En effet, dans sa volonté d’explorer le contenu de la philosophie d’Aristote dont il fut un fervent admirateur. En cherchant à approfondir la philosophique de son maître, saint Thomas a développé des intuitions personnelles qui jalonnent son corpus philosophique et constituent à cet effet, la caractéristique principale du thomisme.
  • 57. Sa pensée philosophique s’étend sur plusieurs domaines du savoir dont le retentissement a marqué les siècles et influencé des générations des philosophes jusqu’à nos jours. Mis à part la théologie qui est son domaine de prédilection, l’intérêt philosophique de saint Thomas a effectivement investi le domaine de: - la métaphysique qui est la science des principes et qui a pour objet d’étude l’être en tant qu’être; - L’anthropologie qui est la science de l’homme mettant en exergue les divers aspects à la fois physiques , culturels (social, religieux, psychologiques…), etc. - L’épistémologie qui explore la question de la connaissance en général. - La morale en tant qu’elle constitue « l’ensemble des règles d’action et des valeurs qui fonctionnent comme normes dans une société ». - La logique, la politique, l’esthétique, etc.
  • 58. 1°. Saint Thomas et la question de Dieu Partant de l’affirmation que saint Thomas d’Aquin est avant tout théologien, cela nous permet de dire avec certitude que pour lui, la question de Dieu ne se posait effectivement pas. Mais s’il en est venu à s’y pencher, c’est parce qu’il voulait rendre manifeste sa connaissance à tous, afin qu’il soit effectivement connu et glorifié. N’est-ce pas là la tâche principale du théologien qui est celle de dévoiler, d’annoncer et de faire connaître? Comment y parvenir ? En effet, pour rendre explicite la connaissance de Dieu, Thomas usera de l’outil philosophique en mettant à profit la raison naturelle afin d’accéder à toute la vérité de l’Être caché que les traditions religieuses appellent « Dieu ».
  • 59. De la compréhension théologique de Dieu comme créateur, saint Thomas empruntera le concept d’Aristote, de Premier moteur, (cf. Mét. Liv. 12, Λ). Ce concept comme « le moteur non mû fait mouvoir les autres choses sans être lui-même mû par une action initiale ». Aristote lui-même « décrit le premier moteur comme parfaitement beau, indivisible, contemplant la parfaite contemplation » (cf. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Premier_moteur). L’effort métaphysique que déploiera saint Thomas sera donc celui d’expliquer par la raison l’affirmation d’Aristote qu’il identifie effectivement à Dieu – en tant qu’ être (ens) – Premier moteur. Cette compréhension est la résultante d’ « une interprétation onto- théologique de Dieu qui repose sur l’analyse profonde du texte de l’Exode 3: 14: « Je suis Celui qui est ». Voulant en effet répondre à la question cruciale d’ordre philosophique qui est celle Dieu, Saint Thomas adopte la méthode théologique dite « négative » ou apophatique. Cette méthode insiste sur ce que Dieu n’est pas afin d’affirmer ce qu’il est effectivement (cf. Som. Théo. Q3, Art.1). Ex: Dieu est illimité parce qu’il n’est pas fini, il est bon parce qu’il n’est pas mauvais, etc. Le contraire de l’approche négative, c’est la théologie cataphatique ou « positive ». Ex: Dieu est bon, il est infini, il est ineffable, etc.
  • 60. Après avoir affirmé que Dieu est selon ce que précise le texte de l’Exode 3:14 : « Je suis Celui qui est »; cette affirmation de Dieu comme « Être » passe, selon saint Thomas, par un mode de négation. L’autre question cruciale et même urgente à laquelle Thomas s’empressera de répondre, est celle l’existence de Dieu. En effet, il s’agissait pour saint Thomas de clarifier à l’aide de la raison humaine cette question longtemps débattue par ses prédécesseurs en l’occurrence saint Anselme de Cantorbéry (1033-1109) et saint Bonaventure(1217-1274). De saint Anselme on retient sa démonstration de l’existence de Dieu qui part de l’idée qu’on a de Dieu comme l’être le plus grand. A cet effet, disait Anselme, si : « Dieu est tel que rien de plus grand ne peut être pensé ». « Ainsi donc, cet (être) dont on peut pas concevoir de plus grand est d’une manière tellement véritable que l’on peut pas penser qu’il n’est pas» (cf. Preslogion, [1]). Cet effort de raisonnement fourni par saint Anselme pour prouver l’existence de Dieu est connu à travers l’histoire de la philosophie sous le vocable d’argument ontologique. Pour Saint Bonaventure, la question de l’existence de Dieu ne se posait pas pour autant parce qu’ « elle est de soi très évidente; mais elle l’est qu’à condition de s’offrir à nous sous un aspect tel que rien ne nous empêche de l’apercevoir ». Parlant de l’évidence de l’existence de Dieu selon saint Bonaventure, E. Gilson donne trois erreurs qui masqueraient l’évidence de l’existence de Dieu à nos yeux:
  • 61. - l’erreur de conception – l’erreur de raisonnement et l’erreur de conclusion (Cf. E. Gilson, Saint Bonaventure et l’évidence de l’existence de Dieu, in Revue Philosophique de Louvain, 1923, n° 99, pp. 237-262). Ayant saisi, la teneur et l’acuité avec lesquelles se posait effectivement la question de l’existence de Dieu et évalué les réponses plus au moins insatisfaisantes que ses prédécesseurs avaient formulées à cet égard, saint Thomas s’engagea à clarifier la question. Pour lui, en effet, la notion de Dieu n’est pas d’ordre naturel et par conséquent, « Dieu n’est pas connaissable « en soi » ou en lui-même (in se), mais uniquement « pour soi » (per se) c’est-à-dire qu’on ne peut connaitre Dieu que pour ce qu’il est pour nous, non ce qu’il est en lui-même ». Saint Thomas va donc réfuter la réponse de l’évidence de l’existence de Dieu donnée par ses prédécesseurs pour affirmer sa manière propre par laquelle il cherche à définir les « conditions de possibilité qu’a l’homme pour rencontrer Dieu par les forces de raison ».
  • 62. « Donc, si l’existence de Dieu n’est pas évidente à notre égard, elle peut être démontrée par ses effets connus de nous » (Som. Théo. Art. 2). Voilà pourquoi Thomas va clarifier le problème en le fondant sur une différente méthode en partant de « l’existence à l’ essence ». Il dit à cet effet que: « Quand on démontre une cause par son effet, il est nécessaire d’employer l’effet, au lieu de la définition de la cause, pour prouver l’existence de celle- ci; et cela se vérifie principalement lorsqu’il s’agit de Dieu » (Idem). En décidant de partir de l’existence pour aboutir à l’affirmation de l’existence de Dieu, Thomas situe la question dans le domaine métaphysique et non pas théologique. Il n’est pas en fait question de savoir si Dieu est, mais de comment appréhender son existence en partant de ses œuvres. « Ainsi, dit- il, en partant des œuvres de Dieu, on peut démontrer l’existence de Dieu, bien que par elles nous ne puissions pas connaître quant à son essence » (Idem).
  • 63. Ce sera grâce au travail de la raison et particulièrement dans le cadre de la théologie naturelle que saint Thomas entreprendra les cinq voies ou cinq preuves de l’existence de Dieu (cf. Som. Théo. Art. 3): 1°. Par le mouvement « les choses sont constamment en mouvement., Or il est indispensable qu’il y ait une cause matrice à tout mouvement. Pour ne pas remonter d’une cause motrice à une autre, il faut reconnaître l’existence d’un « Premier moteur non mû », c’est Dieu ». 2°. Par la causalité efficiente (ex ratione causœ efficientis): « nous observons un enchainement de causes à effet dans la nature, or il est impossible de remonter de causes en causes à l’infini; il faut obligatoirement une Cause Première, c’est Dieu ». 3°. Par la contingence: « il y a dans l’univers des choses nécessaires qui n’ont pas en elles-mêmes le fondement de leur obligation; Il faut par conséquent un Être par lui-même indispensable qui est Dieu ».
  • 64. 4°. Par les degrés des êtres: « preuve reprise de Platon, qui a remarqué qu’il y a des perfections dans les choses (bien, beau, amour, etc.) mais à des degrés différents. Or il faut obligatoirement qu’il y ait un Être qui possède ces perfections à un degré maximum, puisque dans la nature l’ensemble des perfections sont limitées». 5°. Par l’ordre du monde: TELEOLÓGICO « on observe un ordre dans la nature: l’œil est ordonné à la vue, le poumon à la respiration, etc. Or à tout ordre il faut une intelligence qui commande; cette intelligence ordinatrice est celle de Dieu »(cf. http:/www.histophilo.com/ thomas_d_aquin.php). NB: L’intention de Saint Thomas, n’était pas de prouver l’existence de Dieu. A cet effet, il faut noter qu’il s’adressait aux étudiants en théologie pour lesquels cette existence était effectivement reconnue et acquise par la foi. Mais, voulant montrer à ces derniers qu’on pouvait accéder à Dieu au moyen de la raison naturelle en prenant pour point de départ les faits constatés, cela justifie pourquoi il propose le terme « voies » au lieu de « preuves ».
  • 65. 2° La Physique ou Philosophie de la nature L’existence des réalités que présente le monde physique a toujours suscité de la part des anciens une question philosophique fondamentale qui est celle de l’Un et du Multiple. En d’autres termes, il est question de savoir pourquoi la réalité physique se présente sous forme de l’un et de multiple. Qu’est-ce qui justifie la constance de la multiplicité des êtres? A ce sujet, l’analyse de la question fait découvrir deux formes qui justifient ce fait observé à savoir: la forme dynamique et forme statique. • Sous la forme dynamique, il se pose la question de Devenir et • Sous la forme statique, il est question de la Diversité. Comme il est clairement précisé, « Le problème du Devenir fait objet de ce que les anciens nommaient la « Physique », et que nous appelons aujourd’hui la Philosophie de la nature ».
  • 66. Elle se distingue de la métaphysique par son objet d’étude qui est « l’être en tant que muable, ens mobile ». Cet objet spécificateur de la philosophie de la nature est « d’ordre générique comme corpus naturale, les corps et leurs propriétés ». A cet égard, Jacques Maritain insiste en disant que l’objet de la philosophie de la nature tel que le soutient la position thomiste est « restreint par la note « muable » ou « mouvant », c’est l’être pris en tant que muable ». De ce fait, « elle n’est pas la philosophie première (Métaphysique) parce qu’elle ne porte pas sur l’être en tant qu’être, sur l’être dans son mystère intelligible propre; c’est une philosophie inférieure à la métaphysique et qui se tient au premier degré de visualisation idéative; qui étudie l’être en tant même que mobile, l’être pris selon les conditions qui affectent dans cet univers de l’indigence et de la division qu’est l’univers matériel,
  • 67. l’être selon le mystère propre du devenir et de la mutabilité, du mouvement dans l’espace où les corps sont en interaction, du mouvement de génération et de la corruption substantielle qui est la marque la plus profonde de leur structure ontologique, du mouvement de croissance végétative par où se manifeste l’ascension de la matière à l’ordre de la vie » (cf. Jacques Maritain, La philosophie de la nature, Téqui, 1935, in ŒC, Vol 5, p. 934-935). Quant à la relation de la philosophie de la nature avec les sciences, il sied de retenir que (Idem): a) la philosophie de la nature et les sciences de la nature sont placées au même degré générique de visualisation abstractive, portent pareillement sur l’être sensible ou mobile; b) qu’il y a une différence spécifique entre ces deux savoirs, différence spécifique qui tient à la différence dans le mode de définir, celui-ci se rattachant d’une part à l’analyse empiriologique, d’autre part à l’analyse ontologique du réel sensible;
  • 68. c) nous n’avons pas affaire là à deux savoirs qui seraient simplement parallèles et jamais n’entreraient en contact. Il faut plutôt dire (…), qu’entre ces deux types de savoirs spécifiquement distincts il y a cependant la même sorte de relation qu’entre l’âme et le corps, une relation de complémentarité malgré la distinction spécifique (Cf. Idem, p. 939). 3° La Métaphysique ou philosophie de l’Être Après avoir établi la différence entre la philosophie de la nature et les sciences de la nature, nous allons une fois de plus reposer la question de l’Un et du Multiple du point de vue métaphysique. Cette question en effet, faisant partie des questions fondamentales au cœur de la réflexion des anciens, elle concerne tout autant la philosophie de la nature aussi bien que la métaphysique. Du point de vue métaphysique, la question de l’Un et du Multiple se présente sous forme statique et dans ce cas, elle devient un problème de la Diversité. Devenant ainsi un problème métaphysique, « il amène à considérer l’être non plus seulement en tant que changeant, mais en tant qu’être, c’est-à-dire dans son rapport avec l’existence ». La Métaphysique est donc la science qui étudie l’être en tant qu’être. C’est la raison pour laquelle on l’appelle aussi l’Ontologie.
  • 69. Du point de vue thomiste et particulièrement selon Jacques Maritain, « l’objet de la métaphysique (…) c’est l’être en tant qu’être, ens quantum ens, l’être non pas investi ou incorporé dans la quiddité sensible, dans l’essence ou la nature des choses sensibles, mais au contraire abstractum, l’être dégagé et isolé (pour autant que l’être peut faire abstraction de ses inférieurs), c’est l’être dégagé et isolé de la quiddité sensible, l’être visualisé comme tel et dégagé dans ses pures valeurs intelligibles » (cf. Sept leçons sur l’être et les premiers principes de la raison spéculative, Téqui, 1932-1933), p. 25). - l’Acte et la Puissance: causes intrinsèques de la diversification de l’identique - Les faits: on constate qu’une qualité identique se réalise en divers sujets et suivant divers degrés. Ex: la sagesse, la santé sont dans deux personnes différentes (Pierre et Paul). Il se pose à ce niveau la question de savoir comment le même peut-il être autre?
  • 70. La thèse thomiste répond à cette question en établissant deux principes dont l’un est le déterminateur qu’on appelle ACTE et le second « faisant que chacun reste autre que l’autre, c’est-à-dire ne soit pas l’autre tout en recevant sa part du même acte, c’est le négateur- récepteur (ou participant)PUISSANCE. A la question « comment le même peut-il être autre », la thèse thomiste est: « à condition que le même acte entre simultanément en composition avec d’autres puissances ». L’Acte: - n’est multiplié et gradué qu’à la mesure de la puissance qui le reçoit - De lui-même, c’est-à-dire à le supposer pur et seul, il est unique et total.
  • 71. - Existence et Réalité, Pour saint Thomas, l’être en tant qu’être se dit de plusieurs façons et pour cette raison, nécessite donc une certaine clarification de termes. 1. Comme entia ou être, il se comprend en terme de substance sensible ou insensible. Selon ce que précise ÉtienneGilson à cet effet, « chaque substance forme un tout complet, doué d’une structure que nous analysons et constitue une entité ontologique, une unité d’être si l’on préfère, susceptible de recevoir une définition » (Etienne Gilson, le Thomisme, p. 42). Elle est une « identité permanente d’être »(cf. Mét., d’Aristote, Comm. de St Thom. Livr VI, p. 57). - lorsque la substance-être est une et définie, elle est appelée « essence ». En fait, « L’essentia n’est que la substantia en tant que susceptible de définition. Exactement, l’essence est ce que la définition dit que la substance est ». C’est en effet sa nature (de la chose).
  • 72. Pour une description plus complète de l’être, saint Thomas introduit un troisième terme à savoir, la quiddité. D’après E. Gilson : « Signifier ce qu’une substance est, c’est répondre à la question quid sit – qu’est-ce que c’est. c’est pourquoi, en tant qu’exprimée dans la définition, l’essence se nomme la « quiddité ». Substance, essence, quiddité, c’est- à-dire l’unité ontologique concrète prise en elle-même, puis prise comme susceptible de définition, enfin prise comme signifiée par la définition, … (cf. E. Gilson, Idem, p. 43). Ces précisions sont en effet très importantes pour une meilleure compréhension de la description analytique de l’être en tant qu’ objet de la métaphysique.
  • 73. En effet, la réalité nous donne à saisir la présence d’une substance et lorsque cette dernière est définie, identifiée, est dite essence et puisque capable de conceptualisation, elle est dite quiddité. La substance en tant que réalité constitue le fondement de toute existence. Il est important de savoir que les accidents en tant qu’ils constituent des attributs de la substance, n’ont pas d’existence propre à eux qui puisse effectivement s’ajouter comme complétant la substance. Gilson dit que les accidents n’ont d’existence que celle de la substance: « pour eux, exister, c’est simplement « exister-dans-la- substance » ou comme l’on dit encore, leur esse est inesse ». C’est-à-dire que les accidents ne sont pas des êtres, mais les êtres d’un être (cf. E. Gilson, Idem, p. 44). Etienne Gilson poursuit son explication en ces termes: « La substance n’existe pas par soi en ce sens qu’elle n’aurait pas de cause de son existence: Dieu, qui seul existe sans cause, n’est pas une substance;
  • 74. elle existe par soi en ce sens que ce qu’elle est lui appartient en vertu d’un acte unique d’exister, et s’explique immédiatement par cet acte, raison suffisante de tout ce qu’elle est ». (Idem, pp, 44-45). Matière et forme Toute substance peut être dite constituée de deux aspects importants à savoir la matière et la forme. La matière est ce qui nous permet de percevoir et de distinguer différents êtres-substances les unes des autres. La matière est intimément liée à la forme. De ce fait, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas de matière sans forme et vis-versa. En fait, « toute substance implique une forme, et que c’est en vertu de cette forme qu’une substance se classe dans une espèce bien déterminée, dont la définition exprime le concept ». C’est la forme qui rend le réel connaissable par conceptualisation.
  • 75. Ce qui nous permet de dire que cette substance est un être, est à situer au niveau de la forme qui constitue l’élément intelligible qui est saisi par l’abstraction conceptuelle. A ce sujet Gilson dit: « Que la matière ne soit pas ce qui fait que la substance est, on le reconnaît à ceci, que la matière n’est pas susceptible d’exister à part d’une forme quelconque. Elle est toujours la matière d’une substance qui, parce qu’elle est une forme, est objet de concept et de définition » (cf. Gilson, Idem, p. 45).
  • 76. Quant à l’existence, nous dirons que la matière en tant que telle n’existe pas. Si exister se rapporte à ce qui est susceptible de « sortir de soi » ou de « provenir de » et dans ce cas, capable de « se manifester » ou « de paraître »; cela ne peut se dire que de la substance et non de la matière qui, elle, est inerte. A cet sujet, E. Gilson précise en ces termes: « l’exister (esse) est l’acte de ce dont on peut dire: ceci existe, or on ne dit pas de la matière qu’elle existe, on ne le dit que du tout, on ne peut donc pas dire que la matière existe; c’est la substance même qui est ce qui existe. Il poursuit en disant que, « n’ayant pas d’existence propre, la matière ne saurait causer celle de la substance. Ce n’est donc pas en vertu de sa matière qu’on dit d’une substance quelconque : elle est un être, elle est » (Idem, p. 46). En définitive, nous pouvons retenir que dans le réel, « le rôle propre de la forme est donc de constituer la substance comme substance. Saint Thomas dit à ce sujet que la forme est le complementum susbstantiae, ce qui assure la complétion » (cf. Idem).
  • 77. Si dans sa métaphysique saint Thomas a accordé plus d’importance sur l’étude de l’être, nous devons comprendre que cela avait pour objectif final, la théologie. Ainsi, l’ontologie de Thomas d’Aquin se situe « dans une dynamique qui la détermine » dans un aboutissement théologique. De ce fait, « les étants , comme créés, participent de ce mouvement vers Dieu, qui forme à la fois leur cause première et leur fin dernière » (cf. http:/www. Histophilo.com/thomas_d_aquin.php Par conséquent: - l’être est de ce fait le concept clef dans la métaphysique de saint Thomas. Cela se justifie par le fait que c’est lui, l’être, qui rend compte de l’unicité du réel indépendamment de sa multiplicité, « et lui imprime un mouvement dynamique et hiérarchique vers Dieu, terme vers lequel tout étant tant et s’ordonne ». - L’être pour saint Thomas « n’est ni univoque, ni équivoque, il est analogue (comme ressemblance de proportionnalité):
  • 78. - l’ être n’est pas univoque , cela signifie qu’il n’est pas précisément le même dans l’ensemble des choses. ex: un arbre, une maison, une œuvre d’art… Cette diversité ou multiplicité s’explique par le fait que l’être contient en lui l’ensemble des déterminations spécifiques. - l’être en tant qu’être n’est pas équivoque, cela voudrait dire qu’il n’est pas précisément différent dans l’ensemble des choses. L’être est véritablement commun à l’ensemble des choses. Nous retenons en effet que : « l’être ne se réalise pas de la même façon dans l’ensemble des choses, tout en étant le même. C’est par conséquent, conclut Thomas d’Aquin, qu’il se réalise à des degrés divers dans les choses, en se proportionnant à la diversité de ces degrés. Il se hiérarchise intrinsèquement dans l’ensemble des choses selon qu’elles se rapprochent plus au moins de l’Être en plénitude, Dieu, car toute hiérarchie implique une relation ou une référence à quelque chose d’unique. Cette hiérarchie ontologique est une « ressemblance de proportionnalité ». L’ensemble des êtres font référence à quelque chose d’unique, Dieu » (Idem).
  • 79. L’effort fourni par Thomas d’Aquin dans le domaine de la réflexion métaphysique afin de connaître la réalité s’explique par la conviction qui était la sienne: celle d’atteindre la théologie. Pour l'Aquinate, « les étants, comme créés, participent de ce mouvement vers Dieu, qui forme à la fois leur cause première et leur fin dernière. Pris par conséquent de part en part par la théologie, l’ontologie thomasienne ne peut ni ne doit se comprendre indépendamment de la théologie et des mystères révélés par Dieu dans la Bible, surtout que tout est être créé, qu’il y a un univers visible (celui des hommes) et un univers invisible (celui des anges), que tout a commencé et que toute forme d’être actuelle prendra fin comme telle » (idem).
  • 80. 4. L’ Anthropologie de Saint Thomas D'Aquin L’homme pour saint Thomas est constitué de deux natures: la nature spirituelle (il a un esprit) et la nature matérielle (il a un corps). Cette compréhension se situe en relation avec la définition de l’homme que donne Aristote et dont saint Thomas est parfaitement d’accord. D’après Aristote en effet, l’homme est par nature un « animal social » (cf. La Politique, I. 2.) et un « animal raisonnable ». Pour saint Thomas, l’homme étant capable de raison, s’inscrit dans la hiérarchie des êtres qui remonte jusqu’à Dieu et dont au bas de l’échelle se trouvent les êtres purement matériels (inanimés). Par sa capacité de raisonner, l’homme porte en lui la « ressemblance et représente l’image de Dieu ». Il est à cet effet capable de diriger sa vie en l’orientant librement vers une fin. On parlera dans ce cas de l’autonomie de gestion et de détermination personnelle vers une fin selon des lois qu’il se donne lui-même (question de liberté). En tant qu’être vivant au même titre que les autres vivants, tous ont comme principe vital l’ « âme ».
  • 81. En ce qui concerne l’âme, E. Gilson dit : « C’est elle qui rassemble et organise les éléments que nous nommons aujourd’hui bio-chimiques (éléments organiques, ou même inorganiques, mais jamais informes) pour en former le corps vivant. C’est en ce sens plein que l’âme est en l’acte premier, c’est-à-dire que celui qui fait esse, et c’est grâce à cet acte premier que le vivant peut exercer tous ses actes seconds, les fonctions vitales qui sont ses opérations » (E. Gilson, Le thomisme, pp. 258-259). L’ âme et le Corps L’homme étant constitué de l’âme et du corps, il est important de souligner que pour saint Thomas, on ne doit en aucun cas parler de cette constitution humaine en terme de dualité. En effet, l’âme et le corps forment un seul être qu’est l’homme: l’âme est la forme (immatérielle) et le corps - la matière (forme matérielle). La fonction de l’âme en tant que principe, anime le corps et affecte ainsi l’aspect cognitif et l’aspect sensible de l’homme. Saint Thomas adoptera la terminologie de « l’hylémorphisme aristotélicien » qui consacre que «l ’âme est l’unique forme du composé humain auquel elle donne d’être un corps vivant et sensible ». Etymologiquement parlant, le terme hylémorphisme vient du grec: hulè qui signifie matière et morphè: forme.
  • 82. En affirmant ainsi l’unicité de la nature humaine, saint Thomas dépasse de ce fait la conception platonicienne de l’homme qui, en opposant l’âme au corps, les situe dans un « rapport de contiguïté ». E. Gilson précise à ce sujet: «Telle est la position adoptée par Platon, qui veut que l’intellect ne soit uni au corps qu’à titre de moteur. Mais un tel mode d’union n’est pas suffisant pour que l’action de l’intellect soit attribuable au tout que l’intellect et le corps constituent » (cf. E. Gilson, Idem, p. 265). Cette position platonicienne s’explique clairement par cette conception qui consiste à penser que l’âme est enfermée dans un corps et que tout l’effort (philosophique) viserait à sortir de cette prison qui l’empêcherait d’ effectivement s’épanouir. D’où l’aversion ressentie envers le corps considéré comme mauvais et par conséquent, négativement apprécié. Pour Thomas d’Aquin, il n’ y a pas de dualité en ce qui concerne la nature humaine dans sa dimension spirituelle et matérielle. Cela se justifie par le fait que « la forme du corps, c’est-à-dire l’âme, est le principe vital de l’homme, ce qui
  • 83. donne la nature d’homme. Le corps est la matière, il donne à l’homme ses caractéristiques singulières: le corps est par conséquent principe d’individuation, ce qui fait qu’un homme est tel homme, et non un autre » (cf. www.hisophilo.com/thomas_d_aquin.php). De fait, l’homme est une unité substantielle ontologique et non pas un composé disparate. Il constitue un tout dans ses activités tant intellectuelles que motrices qu’il accomplie et qui lui sont effectivement attribuables sans ambiguïté. De cette compréhension, saint Thomas en est venu à l’analyse et à la distinction de différentes parties de l’âme humaine. Il a ainsi démontré ses multiples manifestations vitales dont l’homme est le garant en tant que substance ontologique.
  • 84. Il distingue en effet trois parties dans l’âme à savoir: 1. L’âme végétative qui est « le principe de tous les besoins naturels et vitaux de l’homme »; 2. L’âme sensible qui est « le principe de passivité de la sensation et siège des passions »; 3. L’âme intellectuelle est « la forme substantielle de l’homme » en tant qu’il est un être raisonnable. Saint Thomas poursuit sa réflexion anthropologique en traitant de la question des actes humains et des passions. C’est précisément dans la Somme Théologique dans prima secundœ (Ia, IIꬱ) que le Docteur angélique présente la question des actes humains. Selon l’auteur, « il y a des actes qui sont humains, c’est comme il sont volontaires ». Cependant, il est important de noter que tous les actes humains ne sont nécessairement pas volontaires. D’où la nécessité de clarification de conditions à même de qualifier un acte humain volontaire.
  • 85. En effet, un acte est dit humain et volontaire à condition qu’il soit rationnel et libre. La rationalité et la liberté sont là les deux conditions qui déterminent l’effectivité d’ un acte humain volontaire. Au cas où il manquerait par exemple la liberté, on dirait que tel acte est humain mais pas volontaire. A l’acte humain volontaire est opposé l’acte de l’homme. Nous comprenons à cet effet qu’un tel acte manquerait un qualificatif important qui fait que sa teneur diminue : « volontaire ». NB: « la volonté est dite interne en ce qu’elle choisit une fin et externe en ce qu’elle choisit et exécute les moyens de l’atteindre. En ce qui concerne les passions, il faut noter que Thomas d’Aquin y consacre beaucoup d’attention et cela témoigne effectivement de l’importance que revêt ce sujet dans l’analyse anthropologique de l’auteur. Tout part du principe d’unité de l’homme en ses dimensions spirituelle (âme) et matérielle(corps). Le fait que l’homme est à la fois âme et corps, cette réalité amène Thomas d’Aquin à dire qu’il est un « être mû par ses passions ». Du point de vue étymologique, le mot passion vient du latin passio du radical pati. Il signifie « action de supporter, souffrir, maladie indisposition morale, accident, passivité, incident ».
  • 86. Passio est pour sa part issu du verbe patior signifiant « souffrir, éprouver, endurer » autrement dit un ensemble d’états dans lesquels l’individu est « passif », par opposition aux états dont il est lui-même la cause » (cf. https://fr.m.wiktionary.org). En effet, il est clairement dit que « la passion est une modification de l’âme qui provient du corps. Les passions sont générées , se développent et se produisent dans le composé humain: l’étude des passions repose par conséquent sur une anthropologie hylémorphique. Elles se situent dans ce que Thomas d’Aquin nomme l’appétit sensible, qui provoque le mouvement vers un objet qui intéresse le corps ». Il distingue trois types d’appétits qui font naître les passions: 1. l’appétit naturel qui est un mouvement d’un être vers ce qui l’intéresse à cause de sa nature propre; le sujet se déplace vers l'objet parce qu’il en a ontologiquement besoin de par sa nature même, en raison d’une certaine connaturalité entre objet et sujet.
  • 87. 2. l’appétit sensible est déclenché par les sens lorqu’ils perçoivent quelque chose de délectable ou d’indispensable en propre (nourriture, par exemple) ou à cause de l’espèce (génération, par exemple); 3. l’appétit intellectuel est un désir réfléchi, entièrement soumis à la raison dans un jugement rationnel libre: c’est la volonté (cf.www.histphilo.come/thomas_d_aquin.php). Saint Thomas développe d’autres thèmes en lien avec l’homme entre autres: - l’homme et sa finalité dans le domaine de la morale; - La liberté et la question du libre-arbitre et - La fin dernière de l’homme. NB.: Il y a d’autres domaines importants de la philosophie de saint Thomas que nous ne présentons pas dans ce cours d’introduction. Il s’agit de l’épistémologie, l’éthique ou morale, la politique, etc.
  • 88. IV. L’ECOLE THOMISTE ET L’INFLUENCE DE SAINT THOMAS D’AQUIN La notoriété de saint Thomas d’Aquin ne s’est pas faite attendre. Aussitôt après l’obtention de sa maitrise en théologie et philosophie à Paris aux côtés de saint Albert le Grand, il s’engagea avec ferveur comme enseignant (Paris, Italie, Naples) et plus tard comme écrivain (commentateur d’Aristote). Cependant, ses enseignements ainsi que l’ influence qu’il exerça ne furent pas facilement accueillis par tous. Il conquît un bon nombre des disciples parmi ses confrères dominicains, des jésuites, des carmes, etc. Mais, il eut aussi des adversaires parmi lesquels on dénombre des noms des éminents intellectuels et dignitaires ecclésiastiques. La présentation de ces deux tendances nous permet en effet d’apprécier le mouvement de pensée de la doctrine de saint Thomas à travers le temps – ce que l’on appelle thomisme.
  • 89. 1. Les disciples et adversaires de saint Thomas (jusqu’à la fin du XIVe siècle) Nous savons bien que saint Thomas a débuté sa carrière d’enseignement à Paris au moment où la pensée augustinienne était encore très influente dans l’Eglise et particulièrement dans les universités pontificales. Ayant opté de sa part pour l’étude et l’ approfondissement de la philosophie d’Aristote, il heurta certaines résistances issues de certains dominicains et des défenseurs de l’augustinisme, fervents admirateurs de la pensée platonicienne. Cet état de lieu nous montre déjà comment saint Thomas a eu, de son vivant déjà, des adversaires déclarés de sa doctrine. D’après ce qu’affirme H.D. Gardeil, certains grands personnages ont clairement témoigné de leur adversité à l’égard de sa doctrine, tel Robert KILWARDBY, archevêque de Cantorbéry, osât censurer certaines de ses thèses » (cf. H. D. Gardeil, p. 30).
  • 90. Mais, on note avec grande satisfaction l’adhésion à sa doctrine de plusieurs de ses frères dominicains selon l’affirmation suivante: « le plus grand nombre de ses frères en religion ne tardèrent pas à se déclarer en sa faveur, et, dès la fin du XIIIème siècle, les chapitres généraux des dominicains prennent officiellement position pour lui » (Idem). D’ autres témoignages favorables à sa doctrine vinrent des responsables d’instituions et des religieux. On peut mentionner parmi ceux-ci, « des maîtres ès-arts de l’Université de Paris, ou de celui de Gilles De ROME, général des ermites de saint Augustin, disciple assez personnel d’ailleurs… Parmi les farouches adversaires de saint Thomas au XIIIème siècle, on relève en majorité des théologiens et plus particulièrement, des « fransciscains qui demeuraient plus strictement attachés à la tradition Augustinienne ». Leur opposition était liée principalement à une littérature polémique de l’époque reconnu sous l’appellation de correctoires.
  • 91. ll est cependant important de noter que, quelques années après la mort de saint Thomas d’Aquin, on pouvait déjà compté parmi ses partisans des anglais tels que Guillaume de MAKELFIELD et Richard KLAPWELL et Jean QUIDORT. Et le premier commentaire de la Somme théologique sera réalisé par Jean CAPREOlLUS vers les années 1444 à Toulouse. Son écrit portait le titre : « Defensiones theologiæ Divi Thomæ ». Cet ouvrage a été publié quelques années après la canonisation de Thomas d’Aquin par le Pape Jean XXII, le 18 juillet 1323. Et sa déclaration comme Docteur de l’Eglise universelle a été faite par le Pape saint Pie V, le 21 avril 1567.
  • 92. 2. Les grands commentateurs de saint Thomas et les controverses Théologiques des XVIe, XVIIe siècles Le XVIème siècle a été marqué par un regain de ferveur en ce qui concerne la littérature scolastique après un ralentissement de productions théologiques et philosophiques. Le retour à saint Thomas a été comme un renouveau, suscitant ainsi un intérêt particulier à l’égard de la Somme Théologique comme livre important dont les commentaires furent produits en série. Trois grandes écoles thomistes constituèrent les centres de réflexions théologiques et philosophiques à savoir: l’École dominicaine, l’École jésuite et enfin, l’École carmélitaine.
  • 93. a. Les Maîtres dominicains Les ténors de l’école dominicaine s’engagèrent avec abnégation dans le développement et l’extension de la pensée thomiste plus particulièrement dans le domaine théologique. - CAJETAN (1468-1534), connu sous le nom de Thomas de Vio, cardinal Cajetan est à citer parmi les éminents théologiens qui ont commenté et répandu la doctrine du Docteur angélique. « On le connaît surtout pour son commentaire littéral de la Somme où, avec une rigueur précision et une grande netteté, il s’efforce de suivre d’aussi près que possible la pensée de saint Thomas. Son thomisme, très orthodoxe dans l’ensemble, garde une certaine liberté, et ne va pas sans quelques hardiesses ». Son œuvre théologique défend la pensée de saint Thomas contre la métaphysique développée au XIV ème siècle.
  • 94. - SYLVESTRE DE FERRARE (1476-1538), sa renommée est due à son excellent commentaire de la Somme Contra Gentiles de saint Thomas. En effet, C’est à la Salamanque (Espagne) que, sous l’impulsion du théologien FRANCOIS DE VITTORIA (1480-1546) que s’est développé un mouvement de pensée théologique particulièrement brillant qui a connu la participation de plusieurs éminents théologiens tels que Melchior Cano, Dominique Soto, Pierre Soto, Barthélemy de Medina et Dominique Banes. Dans tout le développement du mouvement théologique impulsé par l’École dominicaine, une place de choix doit être réservée à JEAN DE SAINT THOMAS (1589-1644) qui, « en plus d’un Cursus theologicus apprécié, a laissé un Cursus philosophicus où l’on trouve un exposé méthodique relativement complet de la philosophie spéculative. Disciple incontestablement fidèle et profond de saint Thomas, il ne craint pas de développer la pensée de celui-ci sur des points où elle est moins explicite » (cf. H.D Gardeil, Initiation à la Philosophie de saint Thomas d’Aquin, Op.cit., p. 32).
  • 95. b. Les Maîtres Jésuites En réponse à la recommandation du fondateur de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola, qui avait prescrit à ses fils spirituels de suivre avec une certaine liberté d’esprit la pensée du Docteur Angélique; certains des grands Maîtres jésuites, théologiens et philosophes, s’engagèrent sur le chantier du développement de la doctrine thomiste. Dans le domaine de la réflexion théologique, nous retenons ici les noms de: François TOLET, Louis MOLINA, Gabriel VASQUEZ et LEONARD LESSIUS. Dans le domaine de la réflexion philosophique, le nom de François SUAREZ (1554-1623) requiert une attention particulière. « auteur de nombreux ouvrages, SUAREZ écrivit le premier grand traité scolastique de métaphysique indépendant du texte d’Aristote, ses Disputationes metaphysicœ. Esprit conciliant, il s’efforce de suivre une voie moyenne
  • 96. où, tout en s’inspirant de saint Thomas, il ne craint pas d’accueillir certaines idées d’origine scotiste ou nominaliste » (Idem). c. Les Maîtres Carmes Dans le développement de la théologie thomiste, les Maîtres Carmes de Salamanque occupent une place importante. Ils étaient appelés « les « Salmanticenses » à cause de l’important Cursus théologicus, qu’ils composèrent ». Cet ouvrage constitué de 20 volumes, a été écrit entre les années 1631 et 1701 et connu la collaboration de plus au moins quatre ou cinq professeurs.
  • 97. 3. Le mouvement thomiste contemporain Avec l’évolution du temps et le recul de l’activité intellectuelle au XVIIIème, le début du XIXème siècle devint un moment d’intense reprise de réflexion intellectuelle dans l’Eglise. Evidemment, l’Encyclique Æterni Patris du Pape Léon XIII, « donna la consigne d’un retour à saint Thomas. De cette impulsion du pape, naquit donc un mouvement de pensée « Néo-thomiste » « dont l’Eglise contemporaine est encore profondément remuée. Ses résultats doctrinaux, que virent bientôt doubler ceux de recherches historiques et critiques de plus en plus actives, on été incontestablement très considérables»(cf. Idem, p.33). Parmi les philosophes représentant ce mouvement thomiste contemporain, nous pouvons citer: le Cardinal Mercier (1851-1926), Jacques Maritain (1882-1973), Etienne Gilson (1884-1978), etc.
  • 98. BIBLIOGRAPHIE • Gardeil Henri Dominique, Initiation à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin : Introduction et Logique, Paris, Cerf, 1952. • Gardeil Henri Dominique, Initiation à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin : Psychologie et métaphysique, Paris, Cerf, 2007. • Gilson Etienne, Le thomisme. Introduction à la philosophie de Saint Thomas d’Aquin, Paris, Vrin, 1942. • Grenet Paul, Le thomisme, Que sais-je ?, Paris, PUF, 1960. • Prouvost Géry, Thomas d’Aquin et les thomismes, Paris, Cerf, 2007. • D’Aquin Thomas, Somme théologique, Tome 1,2,3,4, Paris, Cerf, 2004.