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LE PR ISRAËL NISAND ESTIME QUE,
D’ICI À DIX ANS, APPARAÎTRONT SUR
INTERNET DES LOGICIELS DE
CONSULTATION (PRENANT EN COMPTE
LES ANTÉCÉDENTS DU PATIENT) ET QUE
CEUX-CI SERONT LARGEMENT UTILISÉS
CAR IL N’EN COÛTERA QUASIMENT RIEN
AU PATIENT. RÉSERVANT, SELON LE
PRÉSIDENT DU CNGOF (COLLÈGE DES
GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS
FRANÇAIS) ET FONDATEUR DU FORUM
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CHEZ LE MÉDECIN AUX SEULS PATIENTS
QUI POURRONT SE L’OFFRIR…
TLM : Comment définiriez-vous l’intelli-
gence artificielle (IA), dont on annonce
le déploiement fulgurant dans le monde
de la santé ?
Pr Israël Nisand : L’intelligence artificielle
consiste en la capacité de machines à inté-
grer, bien au-delà des potentialités du cer-
veau humain, des données massives pour
les analyser et en tirer instantanément des
conclusions de grande précision. Mais je
marquerais d’entrée de jeu une distance
par rapport au terme même d’intelligence
artificielle. Il ne s’agit jamais là que de lo-
giciels, autrement dit rien qui corresponde
à l’intelligence telle qu’on la définit, à sa-
voir la capacité à s’adapter et à créer des
corrélations. Quant à l’intelligence artifi-
cielle dite de deuxième génération, c’est-
à-dire dotée de la capacité d’auto-appren-
tissage, elle n’a rien de commun avec l’in-
telligence à proprement parler. Je rappelle
ici que le terme d’IA nous vient de la cy-
bernétique laquelle modélise le cerveau
comme un ordinateur. Ce qui est bien loin
de correspondre à la réalité. Contraire-
ment aux machines, le cerveau apprend
en fonction d’affects. D’autre part la
conscience de soi, constitutive de l’intelli-
gence humaine, est inaccessible aux ma-
chines, quel que soit leur degré de sophis-
tication. Je ne souscris donc pas à cette
techno-prophétie selon laquelle l’intelli-
gence artificielle pourrait un jour être mue
par le désir de se mesurer aux humains,
jusqu’à vouloir les maîtriser et les détruire.
TLM : En quoi et dans quels champs de
la médecine les applications de l’IA se-
ront-elles effectives ?
Pr I. Nisand : L’intelligence artificielle est
appelée à révolutionner la procédure diag-
nostique. Des logiciels renseigneront le
médecin sur les probabilités de tel diag-
nostic par rapport à un tableau donné. Et
nous y sommes déjà depuis longtemps en
génétique périnatale. Il existe quelque
8 000 maladies génétiques, chacune avec
ses symptômes échographiques et néona-
taux spécifiques. Des moteurs de recherche
renseignés par les généticiens permettent
d’établir la valeur prédictive de chacun de
ces symptômes, de les associer entre eux et
de formuler des propositions diagnos-
tiques, y compris concernant des maladies
excessivement rares. A l’évidence ces aides
vont s’améliorer et toucher toute la méde-
cine. C’est le cas, par exemple, de l’analyse
d’images. Je tiens pour assuré que la radio-
graphie, le scanner, l’IRM, etc. auront suc-
combé d’ici dix ans à la puissance d’ana-
lyse des machines. Ces dernières seront ca-
pables de comparer en une fraction de se-
conde une infinité d’images du même type
et seront dotées de logiciels qui suggère-
ront des propositions diagnostiques tou-
jours plus performantes. En dermatologie,
il a déjà été mis en évidence que
e n t r e t i e n S
7TLM N°111 AVR-MAI-JUIN 2018
uuu
« CELA ADVIENDRA, QU’ON LE VEUILLE OU NON… »
Pr I. Nisand: «Demain des logiciels
de consultation en ligne»
Le Pr Israël Nisand :
« Accéder à un médecin
risque bien de devenir
l’apanage d’une médecine
dite de confort… »
« Je tiens pour assuré que la
radiographie, le scanner, l’IRM,
etc. auront succombé d’ici dix
ans à la puissance d’analyse des
machines. Ces dernières seront
capables de comparer en une
fraction de seconde une infinité
d’images du même type et
seront dotées de logiciels qui
suggèreront des propositions
diagnostiques toujours plus
performantes. »
e n t r e t i e n S
9
des machines étaient capables de
poser le diagnostic de mélanome avec au-
tant, sinon plus, de précision et de perti-
nence qu’un bon dermatologue. En cancé-
rologie, nous disposerons bientôt d’outils
de proposition de diagnostics extrême-
ment puissants.
TLM : Peut-on imaginer un système de
soins réservant à des machines la prise en
charge de certains types de consultation ?
Pr I. Nisand : Cela adviendra, qu’on le
veuille ou non. Je ne serais pas surpris que
d’ici 10 ans l’on voit apparaître des logi-
ciels de consultation et qu’ils soient large-
ment utilisés. La médecine à deux vitesses
est là. Il n’en coûtera quasiment rien de se
brancher sur un logiciel qui aura vos anté-
cédents, votre carte génétique, votre anté-
riorité biologique, et d’obtenir de la ma-
chine un avis. Il faut même s’attendre à
trouver sur Internet des offres de soins
étagées selon que la machine prenne en
compte ou non l’ensemble des antécé-
dents personnels et familiaux, le passé
biologique, etc. En revanche, accéder à un
médecin susceptible de manifester son
empathie, de discuter et de réagir, risque
bien de devenir l’apanage d’une méde-
cine dite de confort réservée à ceux qui
pourront se l’offrir.
TLM : Les facultés de médecine prépa-
rent-elles les étudiants à ce nouvel état
du système de santé ?
Pr I. Nisand : Hélas non. Certes, il y a des
stages de numérique pour ceux qui le sou-
haitent, mais aucun apprentissage n’est dé-
livré ne serait-ce qu’en matière de bases de
données. Les facultés de médecine n’ont
pas encore changé de vitesse.
TLM : Quel jugement éthique porter sur
un système de soins où la machine oc-
cupe une telle place ?
Pr I. Nisand : L’éthique médicale pourrait
se définir comme l’organisation des rap-
ports entre le médecin et le patient. Elle
n’est convoquée qu’entre des interlocu-
teurs humains. S’agissant d’un rapport
avec une machine où il ne s’agit que de
juger de la performance de tel ou tel mo-
teur de recherche, nous ne sommes plus
dans le champ de l’éthique médicale.
Néanmoins il se pose au plan éthique des
questions très difficiles liées à l’utilisation
collective et massive de données person-
nelles. Le secret médical risque d’en être la
première victime, la seconde en étant le
respect de l’identité et de la confidentialité
des personnes. Et cela non par la violation
du secret mais par la volonté délibérée des
personnes de confier, à un titre ou à un au-
tre, leurs données de santé à des systèmes
informatiques. Stockées dans ces sys-
tèmes, ces données seront l’objet de la
convoitise de quantité d’acteurs écono-
miques ou politiques. Les pouvoirs pu-
blics notamment pourraient être tentés
d’opérer un certain nombre de croise-
ments à partir de ces données : par exem-
ple, l’exposition à l’alcool ou la vaccina-
tion par rapport aux pathologies qui leur
sont afférentes. Ce qui dans un temps ini-
tial constitue un véritable intérêt collectif
risque, dans un second temps, de porter
atteinte aux libertés individuelles.
TLM : Augmenter l’homme est-ce en-
core de la médecine ?
Pr I.Nisand: Ce sont les mêmes moyens qui
permettent de réparer et d’augmenter, la
limite est donc ténue entre médecine « ré-
parante » et médecine « augmentante ».
Originairement la médecine consiste à in-
tervenir sur le corps humain pour le modi-
fier. Tout homme, aujourd’hui, est aug-
menté : son espérance de vie est sans com-
mune mesure avec celle de ses ancêtres, il
est en meilleure santé, vacciné, etc. Depuis
la nuit des temps l’espèce humaine
cherche à corriger ce patrimoine natif qui
la rend si vulnérable, l’homme augmenté
prolonge le même sillon, et avec des
moyens bien plus puissants. Et ne croyez
surtout pas que l’on s’en privera. Dès que
nous serons armés pour lutter contre la
DMLA, la mucoviscidose ou la myopathie
nous le ferons. Si une technique de génie
génétique permet de corriger la myopa-
thie, quel politique demandera aux myo-
pathes de bien vouloir rester dans leur fau-
teuil roulant ! Mais ce qui advient au-
jourd’hui est inédit dans l’histoire du
monde. Pour la première fois une espèce
vivante est en mesure de se retourner sur
sa création. Nous avons déchiffré notre al-
phabet génétique et avons appris à en mo-
difier les lettres et les mots. Pourquoi alors
laisser à la nature le choix parmi les propo-
sitions mutationnelles ! Il faut lui substi-
tuer le nôtre, bien plus sélectif et de réali-
sation incomparablement plus rapide !
TLM : Incorporer une puce dans le cer-
veau pour en augmenter les perfor-
mances, est-ce encore de la médecine ?
Pr I.Nisand: Si demain nous étions capa-
bles d’identifier les 30 à 40 gènes modi-
fiant l’intelligence, ce qui arrivera sans
doute dans 10 à 20 ans, et qu’une thérapie
génique puisse agir sur l’intelligence
moyenne des personnes, croyez-vous que la
France resterait les bras croisés en attendant
que ses voisins aient fini de s’y mettre !
TLM : Est-ce à dire que, à terme, il n’y
aura plus de distance éthique tenable ?
Pr I.Nisand: Il faut poser la question, mais
elle mobilisera peu. Tout simplement parce
que nous ne sommes pas capables d’écrire
une éthique universelle et universellement
contraignante. D’autres contrées, porteuses
d’autres cultures, n’ont pas nos réticences
et se moquent éperdument de la réflexion
éthique qui est la nôtre. Il nous faudra
mettre un peu d’eau dans notre vin si
nous ne voulons pas être dépassés par la
partie de l’humanité qui aura su prendre
le train à grande vitesse de cette évolu-
tion. Il est essentiel d’avoir des comités
d’éthique mais ils seront comme à l’ac-
coutumée amenés à entériner les évolu-
tions une fois celles-ci acceptées par tous.
Très clairement je pense que rien n’arrê-
tera l’espèce humaine qui, de tout, sait
faire le pire comme le meilleur.
Propos recueillis par
Bernard Maruani ■
inisand@me.com
TLM N°111 AVR-MAI-JUIN 2018
« Les prouesses diagnostiques
obtenues grâce à l’intelligence
artificielle, qu’il s’agisse
de génétique, d’imagerie
ou de dermatologie toucheront,
à terme, toutes les spécialités
médicales. La puissance de
calcul phénoménale des
machines va révolutionner
la démarche diagnostique,
y compris celle des maladies
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uuu

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  • 1. LE PR ISRAËL NISAND ESTIME QUE, D’ICI À DIX ANS, APPARAÎTRONT SUR INTERNET DES LOGICIELS DE CONSULTATION (PRENANT EN COMPTE LES ANTÉCÉDENTS DU PATIENT) ET QUE CEUX-CI SERONT LARGEMENT UTILISÉS CAR IL N’EN COÛTERA QUASIMENT RIEN AU PATIENT. RÉSERVANT, SELON LE PRÉSIDENT DU CNGOF (COLLÈGE DES GYNÉCOLOGUES ET OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS) ET FONDATEUR DU FORUM EUROPÉEN DE BIOÉTHIQUE, LA VISITE CHEZ LE MÉDECIN AUX SEULS PATIENTS QUI POURRONT SE L’OFFRIR… TLM : Comment définiriez-vous l’intelli- gence artificielle (IA), dont on annonce le déploiement fulgurant dans le monde de la santé ? Pr Israël Nisand : L’intelligence artificielle consiste en la capacité de machines à inté- grer, bien au-delà des potentialités du cer- veau humain, des données massives pour les analyser et en tirer instantanément des conclusions de grande précision. Mais je marquerais d’entrée de jeu une distance par rapport au terme même d’intelligence artificielle. Il ne s’agit jamais là que de lo- giciels, autrement dit rien qui corresponde à l’intelligence telle qu’on la définit, à sa- voir la capacité à s’adapter et à créer des corrélations. Quant à l’intelligence artifi- cielle dite de deuxième génération, c’est- à-dire dotée de la capacité d’auto-appren- tissage, elle n’a rien de commun avec l’in- telligence à proprement parler. Je rappelle ici que le terme d’IA nous vient de la cy- bernétique laquelle modélise le cerveau comme un ordinateur. Ce qui est bien loin de correspondre à la réalité. Contraire- ment aux machines, le cerveau apprend en fonction d’affects. D’autre part la conscience de soi, constitutive de l’intelli- gence humaine, est inaccessible aux ma- chines, quel que soit leur degré de sophis- tication. Je ne souscris donc pas à cette techno-prophétie selon laquelle l’intelli- gence artificielle pourrait un jour être mue par le désir de se mesurer aux humains, jusqu’à vouloir les maîtriser et les détruire. TLM : En quoi et dans quels champs de la médecine les applications de l’IA se- ront-elles effectives ? Pr I. Nisand : L’intelligence artificielle est appelée à révolutionner la procédure diag- nostique. Des logiciels renseigneront le médecin sur les probabilités de tel diag- nostic par rapport à un tableau donné. Et nous y sommes déjà depuis longtemps en génétique périnatale. Il existe quelque 8 000 maladies génétiques, chacune avec ses symptômes échographiques et néona- taux spécifiques. Des moteurs de recherche renseignés par les généticiens permettent d’établir la valeur prédictive de chacun de ces symptômes, de les associer entre eux et de formuler des propositions diagnos- tiques, y compris concernant des maladies excessivement rares. A l’évidence ces aides vont s’améliorer et toucher toute la méde- cine. C’est le cas, par exemple, de l’analyse d’images. Je tiens pour assuré que la radio- graphie, le scanner, l’IRM, etc. auront suc- combé d’ici dix ans à la puissance d’ana- lyse des machines. Ces dernières seront ca- pables de comparer en une fraction de se- conde une infinité d’images du même type et seront dotées de logiciels qui suggère- ront des propositions diagnostiques tou- jours plus performantes. En dermatologie, il a déjà été mis en évidence que e n t r e t i e n S 7TLM N°111 AVR-MAI-JUIN 2018 uuu « CELA ADVIENDRA, QU’ON LE VEUILLE OU NON… » Pr I. Nisand: «Demain des logiciels de consultation en ligne» Le Pr Israël Nisand : « Accéder à un médecin risque bien de devenir l’apanage d’une médecine dite de confort… » « Je tiens pour assuré que la radiographie, le scanner, l’IRM, etc. auront succombé d’ici dix ans à la puissance d’analyse des machines. Ces dernières seront capables de comparer en une fraction de seconde une infinité d’images du même type et seront dotées de logiciels qui suggèreront des propositions diagnostiques toujours plus performantes. »
  • 2. e n t r e t i e n S 9 des machines étaient capables de poser le diagnostic de mélanome avec au- tant, sinon plus, de précision et de perti- nence qu’un bon dermatologue. En cancé- rologie, nous disposerons bientôt d’outils de proposition de diagnostics extrême- ment puissants. TLM : Peut-on imaginer un système de soins réservant à des machines la prise en charge de certains types de consultation ? Pr I. Nisand : Cela adviendra, qu’on le veuille ou non. Je ne serais pas surpris que d’ici 10 ans l’on voit apparaître des logi- ciels de consultation et qu’ils soient large- ment utilisés. La médecine à deux vitesses est là. Il n’en coûtera quasiment rien de se brancher sur un logiciel qui aura vos anté- cédents, votre carte génétique, votre anté- riorité biologique, et d’obtenir de la ma- chine un avis. Il faut même s’attendre à trouver sur Internet des offres de soins étagées selon que la machine prenne en compte ou non l’ensemble des antécé- dents personnels et familiaux, le passé biologique, etc. En revanche, accéder à un médecin susceptible de manifester son empathie, de discuter et de réagir, risque bien de devenir l’apanage d’une méde- cine dite de confort réservée à ceux qui pourront se l’offrir. TLM : Les facultés de médecine prépa- rent-elles les étudiants à ce nouvel état du système de santé ? Pr I. Nisand : Hélas non. Certes, il y a des stages de numérique pour ceux qui le sou- haitent, mais aucun apprentissage n’est dé- livré ne serait-ce qu’en matière de bases de données. Les facultés de médecine n’ont pas encore changé de vitesse. TLM : Quel jugement éthique porter sur un système de soins où la machine oc- cupe une telle place ? Pr I. Nisand : L’éthique médicale pourrait se définir comme l’organisation des rap- ports entre le médecin et le patient. Elle n’est convoquée qu’entre des interlocu- teurs humains. S’agissant d’un rapport avec une machine où il ne s’agit que de juger de la performance de tel ou tel mo- teur de recherche, nous ne sommes plus dans le champ de l’éthique médicale. Néanmoins il se pose au plan éthique des questions très difficiles liées à l’utilisation collective et massive de données person- nelles. Le secret médical risque d’en être la première victime, la seconde en étant le respect de l’identité et de la confidentialité des personnes. Et cela non par la violation du secret mais par la volonté délibérée des personnes de confier, à un titre ou à un au- tre, leurs données de santé à des systèmes informatiques. Stockées dans ces sys- tèmes, ces données seront l’objet de la convoitise de quantité d’acteurs écono- miques ou politiques. Les pouvoirs pu- blics notamment pourraient être tentés d’opérer un certain nombre de croise- ments à partir de ces données : par exem- ple, l’exposition à l’alcool ou la vaccina- tion par rapport aux pathologies qui leur sont afférentes. Ce qui dans un temps ini- tial constitue un véritable intérêt collectif risque, dans un second temps, de porter atteinte aux libertés individuelles. TLM : Augmenter l’homme est-ce en- core de la médecine ? Pr I.Nisand: Ce sont les mêmes moyens qui permettent de réparer et d’augmenter, la limite est donc ténue entre médecine « ré- parante » et médecine « augmentante ». Originairement la médecine consiste à in- tervenir sur le corps humain pour le modi- fier. Tout homme, aujourd’hui, est aug- menté : son espérance de vie est sans com- mune mesure avec celle de ses ancêtres, il est en meilleure santé, vacciné, etc. Depuis la nuit des temps l’espèce humaine cherche à corriger ce patrimoine natif qui la rend si vulnérable, l’homme augmenté prolonge le même sillon, et avec des moyens bien plus puissants. Et ne croyez surtout pas que l’on s’en privera. Dès que nous serons armés pour lutter contre la DMLA, la mucoviscidose ou la myopathie nous le ferons. Si une technique de génie génétique permet de corriger la myopa- thie, quel politique demandera aux myo- pathes de bien vouloir rester dans leur fau- teuil roulant ! Mais ce qui advient au- jourd’hui est inédit dans l’histoire du monde. Pour la première fois une espèce vivante est en mesure de se retourner sur sa création. Nous avons déchiffré notre al- phabet génétique et avons appris à en mo- difier les lettres et les mots. Pourquoi alors laisser à la nature le choix parmi les propo- sitions mutationnelles ! Il faut lui substi- tuer le nôtre, bien plus sélectif et de réali- sation incomparablement plus rapide ! TLM : Incorporer une puce dans le cer- veau pour en augmenter les perfor- mances, est-ce encore de la médecine ? Pr I.Nisand: Si demain nous étions capa- bles d’identifier les 30 à 40 gènes modi- fiant l’intelligence, ce qui arrivera sans doute dans 10 à 20 ans, et qu’une thérapie génique puisse agir sur l’intelligence moyenne des personnes, croyez-vous que la France resterait les bras croisés en attendant que ses voisins aient fini de s’y mettre ! TLM : Est-ce à dire que, à terme, il n’y aura plus de distance éthique tenable ? Pr I.Nisand: Il faut poser la question, mais elle mobilisera peu. Tout simplement parce que nous ne sommes pas capables d’écrire une éthique universelle et universellement contraignante. D’autres contrées, porteuses d’autres cultures, n’ont pas nos réticences et se moquent éperdument de la réflexion éthique qui est la nôtre. Il nous faudra mettre un peu d’eau dans notre vin si nous ne voulons pas être dépassés par la partie de l’humanité qui aura su prendre le train à grande vitesse de cette évolu- tion. Il est essentiel d’avoir des comités d’éthique mais ils seront comme à l’ac- coutumée amenés à entériner les évolu- tions une fois celles-ci acceptées par tous. Très clairement je pense que rien n’arrê- tera l’espèce humaine qui, de tout, sait faire le pire comme le meilleur. Propos recueillis par Bernard Maruani ■ inisand@me.com TLM N°111 AVR-MAI-JUIN 2018 « Les prouesses diagnostiques obtenues grâce à l’intelligence artificielle, qu’il s’agisse de génétique, d’imagerie ou de dermatologie toucheront, à terme, toutes les spécialités médicales. La puissance de calcul phénoménale des machines va révolutionner la démarche diagnostique, y compris celle des maladies très rares…» uuu