LA 3E ÉDITION DE CYBERMED, FORUM
CONSACRÉ À LA CYBERMÉDECINE, SE
TIENDRA LE 23 SEPTEMBRE PROCHAIN,
COMME CHAQUE ANNÉE À ANTIBES.
TROIS THÈMES PHARES CETTE ANNÉE :
LA ROBOTIQUE, L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE ET LA RÉALITÉ VIRTUELLE,
AVEC COMME ENTRÉE EN MATIÈRE UNE
MATINÉE CONSACRÉE AUX ENJEUX
ÉTHIQUES DE LA E-SANTÉ. ENTRETIEN
AVEC LE DR ERIC BOUCHARD, PRÉSIDENT
DU COMITÉ D’ORGANISATION
TLM n°108 : Entretien avec le Dr Eric Bouchard : E-Santé, le médecin gardien de l’éthique
1. e n t r e t i e n S
TLM N°108 JUIN-SEPTEMBRE 20176
LA 3E
ÉDITION DE CYBERMED, FORUM
CONSACRÉ À LA CYBERMÉDECINE, SE
TIENDRA LE 23 SEPTEMBRE PROCHAIN,
COMME CHAQUE ANNÉE À ANTIBES.
TROIS THÈMES PHARES CETTE ANNÉE :
LA ROBOTIQUE, L’INTELLIGENCE
ARTIFICIELLE ET LA RÉALITÉ VIRTUELLE,
AVEC COMME ENTRÉE EN MATIÈRE UNE
MATINÉE CONSACRÉE AUX ENJEUX
ÉTHIQUES DE LA E-SANTÉ. ENTRETIEN
AVEC LE DR ERIC BOUCHARD, PRÉSIDENT
DU COMITÉ D’ORGANISATION
TLM:Comment définiriez-vous Cybermed ?
Dr Eric Bouchard: Nous sommes partis du
constat que l’exercice des professionnels de
santé, libéraux ou salariés, allait muter
avec l’avènement de la e-santé. Nous
sommes à l’aube d’une véritable révolu-
tion. Cybermed se donne donc comme ob-
jectifs de faire le point chaque année sur la
e-santé, sur ses évolutions et ses grandes
tendances ainsi que sur les problématiques
auxquelles elle nous confronte. La pre-
mière édition a été consacrée aux objets
connectés — ils sont déjà à la disposition
des patients, intégrés à leur vie, sans l’être
vraiment dans l’exercice médical. La
deuxième édition portait sur la robotisa-
tion, et en particulier sur les expériences
menées à l’étranger.
TLM : En quels termes posez-vous la ques-
tion éthique en matière de e-santé ?
Dr Eric Bouchard: Prenons le cas de l’intel-
ligence artificielle, l’un des thèmes clefs de
ce forum. L’intelligence artificielle s’intro-
duit dans l’exercice médical, et demain bien
plus, sans que les médecins s’en rendent vé-
ritablement compte. Pour avoir une idée de
ce qui nous attend, il faut savoir qu’un su-
percalculateur comme « Dr Watson » ab-
sorbe tous les jours 10 à 12 000 pages de
congrès et d’informations dans tous les do-
maines de la santé. Couplé au big data, il
surclasse toutes nos capacités d’acquisition
et d’apprentissage. Le grand champ de ré-
flexion que nous ouvrirons cette année, c’est
de savoir comment se positionner par rap-
port à ces systèmes automatisés, et où se si-
tue la place du médecin.
TLM : Est-ce à dire que le rôle du méde-
cin ne sera plus d’ordre technique parce
qu’un robot doté de son intelligence arti-
ficielle saura faire beaucoup mieux ?
Dr Eric Bouchard: Du point de vue étroite-
ment technique, vous avez raison. Une ma-
chine nous donnera des informations et
sera dotée d’une technicité bien supérieure
à ce que nous sommes capables de faire.
Cela dit, il y aura toujours face au médecin
des êtres de chair et de sang animés de
sentiments complexes et en proie à l’in-
quiétude et à l’angoisse. Et là le médecin
est irremplaçable. Le patient, les profes-
sionnels de santé, la société tout entière ne
sauraient se passer de cet humanisme et
cette éthique inhérents aujourd’hui à
l’exercice des professionnels de santé. Par
ailleurs la machine ne peut rien faire de
plus que proposer un certain nombre d’ar-
bres décisionnels. Le choix et la décision en
incombent au médecin qui, lui, va prendre
chaque fois en considération la dimension
éthique et individuelle. Il n’en reste pas
moins que notre métier est en passe de
complètement changer. L’interface intelli-
gence artificielle/médecin est un phéno-
mène tout à fait extraordinaire, et il nous
arrive dessus. Il faut le prendre comme une
véritable amélioration de nos pratiques,
mais à condition d’être maîtrisé. On utilise
de plus en plus ces nouveaux outils, il est
donc capital d’en savoir les avantages et les
limites. Et c’est pourquoi il est important
que les professionnels de santé apprennent
à les connaître de façon à ne pas laisser la
machine décider et que le patient reste tou-
jours au cœur de notre démarche.
TLM : Ne pensez-vous pas qu’il se pour-
rait qu’on en vienne à paramétrer jusqu’à
la dimension éthique ?
Dr Eric Bouchard : Il y en aura toujours
pour tenter de poser partout des normes.
Le projet de normalisation généralisée
hante notre société. Mais en matière de re-
«IL Y AURA TOUJOURS FACE AU MÉDECIN DES ÊTRES DE CHAIR ET DE SANG… »
Eric Bouchard: E-Santé,
le médecin gardien de l’éthique
Le Dr Eric Bouchard : « La société ne saurait se
passer de cet humanisme et cette éthique
inhérents à l’exercice médical. »
&
« La machine ne peut rien faire
de plus que proposer
un certain nombre d’arbres
décisionnels. Le choix et la
décision en incombent au
médecin qui, lui, va prendre
chaque fois en considération la
dimension éthique et
individuelle. Il n’en reste pas
moins que notre métier est en
passe de complètement
changer… »
&
2. e n t r e t i e n S
7TLM N°108 JUIN-SEPTEMBRE 2017
lations humaines je ne pense pas que l’on
puisse instaurer des normes puisque
chaque individu est différent, vit la mala-
die et sa relation sociale de façon singu-
lière. Seul le professionnel de santé est ca-
pable d’adapter son discours et sa relation
à chacun. Telle est notre conviction pro-
fonde : la machine ne pourra jamais rem-
placer le professionnel de santé, et une
norme automatisée pas davantage.
TLM : Le sens et l’intuition diagnostiques
appartiennent-ils au passé ?
Dr Eric Bouchard : L’un de mes maîtres
disait qu’il y avait l’intuition mais aussi la
qualité de l’examen clinique. Je pense
qu’à terme ce que l’on appelle l’intuition
médicale sera reléguée au passé. D’au-
tant qu’elle ne tombe pas toujours juste.
L’examen clinique devra perdurer mais
ne sera plus primordial comparativement
à ce que les machines, l’intelligence arti-
ficielle, les objets connectés fourniront
comme informations et analyses. A telle
enseigne que j’estime que les cabinets
médicaux, les maisons pluridisciplinaires
et les services hospitaliers devraient
compter dans leurs rangs un ingénieur en
santé. Le professionnel de santé n’est pas
totalement toujours bien formé aux diffé-
rentes technologies, alors qu’elles pro-
gressent à une vitesse vertigineuse. Il fau-
drait qu’un professionnel soit spéciale-
ment formé de façon à pouvoir suivre
l’évolution des machines, de la technolo-
gie et des puces connectées. Tout cela né-
cessite une compréhension des technolo-
gies qui n’est pas toujours à la portée du
professionnel de santé. A terme l’ingé-
nieur en santé sera nécessaire à la pra-
tique médicale.
TLM : De quelle façon la robotique médi-
cale va-t-elle impacter la profession médi-
cale ?
Dr Eric Bouchard : De façon générale, il
faut s’attendre à une baisse des coûts de
cette technologie qui reste encore au-
jourd’hui assez onéreuse. En effet, il y aura
sans doute des transferts de technologie qui
permettront de mettre à la disposition des
professionnels de santé de petits robots ve-
nus du monde de la grande industrie. La ro-
botique a déjà pénétré dans un certain
nombre de professions médicales. Mais elle
ne le fera que progressivement et certaine-
ment pas partout. Elle impactera à n’en pas
douter l’activité des chirurgiens mais peu
celle des psychiatres, par exemple.
TLM : Si l’exercice médical est appelé à se
transformer, ne doit-il pas en être de même
de la formation, initiale et continue ?
Dr Eric Bouchard: Il est évident que la for-
mation initiale doit absolument se réfor-
mer en conséquence. Aujourd’hui les tech-
nologies de e-santé ne sont pas étudiées en
tant que telles, sinon dans un autre cadre,
celui d’un module thérapeutique par
exemple. On évoque la télétransmission, la
télémédecine mais toujours selon une op-
tique relativement restreinte. Le fait que les
étudiants n’aient pas une vision globale de
ce que va amener la e-santé les laisse avec
un bagage insuffisant pour entrer dans le
monde des 10 à 15 ans qui viennent.
Concernant la formation continue, et en
particulier le DPC, nous n’avons aucune
orientation nationale de santé publique en
e-santé. C’est dire que les pouvoirs publics
et les diverses instances responsables, qui
ont défini les orientations nationales en
matière de santé publique, n’ont pas une
vision suffisante et prédictive en e-santé. Si
bien que l’ensemble des professionnels de
santé qui se forment dans le cadre du DPC
n’ont aucune orientation en e-santé alors
que cette dernière arrive dans leur vie pro-
fessionnelle. Tout cela est proprement in-
vraisemblable.
TLM : Le troisième thème de ce Cyber-
med portera sur la réalité virtuelle…
Dr Eric Bouchard : Nous entendons ce
terme essentiellement dans le cadre de la
formation. Il s’agit là certainement d’une
méthode d’apprentissage parmi les plus in-
téressantes et qui est appelée à se dévelop-
per dans les années à venir.
TLM : A quel public vous adressez-vous et
qui sont les participants ?
Dr Eric Bouchard: Cette manifestation est
faite pour les professionnels de santé, mais
bien entendu aussi pour les responsables
politiques, les responsables des différentes
institutions et Agences régionales de
santé, Caisse nationale d’assurance mala-
die, etc. ainsi que pour les responsables
d’établissements de santé. Ces derniers,
par exemple, doivent prévoir les investis-
sements nécessaires en termes d’équipe-
ments et de formation des personnels pour
être à la hauteur des enjeux des 10 à 15
ans qui viennent. Nous travaillons égale-
ment en collaboration constante avec les
associations de patients : la e-santé n’au-
rait aucun intérêt si le patient ne restait pas
au cœur de son système.
TLM : La fréquentation a-t-elle évolué ?
Dr Eric Bouchard : Nous accueillons nom-
bre de professionnels de santé libéraux,
médecins dans 50 % des cas. L’évolution
est nette. Les professionnels de santé ont
bien compris, ne serait-ce qu’intuitivement
sinon dans leur pratique, que la e-santé pé-
nétrait leur cabinet et interférait dans leur
relation avec les patients. Cybermed pré-
sente l’intérêt de permettre de travailler sur
un certain nombre de sujets spécifiques
qu’on n’aborde habituellement pas dans la
formation initiale ou continue, et peu sou-
vent dans les colloques, ou alors sans aller
au fond. J’ajoute qu’en marge du forum
nous avons organisé une manifestation, les
Cyber Awards, qui permet à un certain
nombre de start-up dans le domaine de la
santé de venir présenter leurs produits,
avec à la clef un prix pour la meilleure.
Propos recueillis par
Bernard Maruani ■
&
« Concernant la formation
continue et le DPC, nous
n’avons aucune orientation
nationale en e-santé. C’est dire
que les pouvoirs publics et les
instances responsables n’ont pas
une vision prédictive. Et tandis
que celle-ci arrive dans leur vie
professionnelle, les médecins qui
se forment dans le cadre du
DPC n’ont aucune orientation
en e-santé. Tout cela est
invraisemblable. »
&