Avec la multiplication du nombre de médicaments, l’évolution des méthodes de diagnostic, l’apparition des objets connectés de santé et la médecine participative, le traitement des données devient un élément clef de la médecine. Avec les évolutions technologiques tant en traitement qu’en stockage, le big data ouvre des voies thérapeutiques nouvelles qui vont nécessairement modifier en profondeur la pratique médicale.
Utiliser des algorithmes mathématiques sans pouvoir vérifier explicitement les résultats pose au médecin et au patient un premier problème de confiance. Le partage des données de santé qui sont sensibles, pose des problèmes de sécurité et donc un deuxième problème de confiance. Mettre des règles sur le traitement des données est nécessaire pour établir la confiance. Mais légiférer de façon très restrictive risque de nuire à l’innovation. Imposer un consentement explicite avec obligation de mémoriser ce consentement sur plusieurs années, est un frein au développement du big data car cela tue le business model des industriels. Un consentement a priori, avec liberté de refuser le partage des données pour les personnes qui le souhaitent semble plus adapté au développement de la médecine prédictive et personnalisée.
Émile Nelligan - poète québécois, pris entre deux solitudes : la poèsie et la...
Big Data en santé : De la technologie à la thérapie, en passant par la confiance
1. Notre réseauAssociation
Présentations
Table Ronde
• Michel Le Van Quyen : Directeur de recherche, ICM
• Dr Pascal Zellner : Fondateur, Institut de Recherche en Médecine de Montagne
• Paul-Louis Belletante : Président, BETTERISE Health Tech
• Jean-Yves Robin : Directeur Général, OPENHEALTH Company
• Pierre Desmarais : Avocat à la Cour – Correspondant Informatique et Libertés
Les présentations sont en ligne sur
• le site deTélécom ParisTech alumni pour les membres du groupe
• Slideshare : http://fr.slideshare.net/TELECOM-PARISTECH-SANTE
• le site de Télécom Evolution pour les autres participants.
Big Data en santé
« De la technologie à la thérapie,
en passant par la confiance »
3ème
entretien du numérique, Télécom ParisTalks
Par Alain Tassy (1982)
Georges Uzbelger
Advanced Analytics &
Cognitive Solutions
Leader, IBM Watson
Isabelle Hilali
Vice President, Strategy
and Marketing, Orange
Healthcare
Raphaël
Pousset-Bougère
Big Data and Analytics
Director, IPSEN
Valère Dussaux
Directeur du secteur
Santé et Sciences de la
Vie pour l’Europe de
l’Ouest, Intel
63
www.telecom-paristech.org TELECOM n°182
63
2. Notre réseau
I
Introduction
Cette conférence est la troisième
édition des Télécom ParisTalks. Elle
a été organisée conjointement par le
groupe thématique Santé de Télécom
ParisTech alumni et Télécom Evolution,
l’organisme de Formation Continue de
Télécom Bretagne, Télécom ParisTech
et Télécom SudParis. Elle a rencontré
un vrai succès avec plus de 190 inscrits.
Cette conférence fait suite à quatre
réunions thématiques de Télécom
ParisTech Santé sur les objets connectés
en santé, la sécurité numérique, l’ima-
gerie médicale et la gamification (Pour
plus d’information consulter le site de
l’association ou Slideshare Telecom-
ParisTech-Santé). Nous avons donc
concentré les débats sur le big data et
évité les digressions très naturelles sur
les objets connectés qui seront certai-
nement les sources principales des
données de santé.
Technologies
L’augmentation de la puissance des
processeurs et des capacités de stockage
font que les machines sont capables
de traiter un très grand nombre de
données dans des délais très courts
dépassant très largement les capacités
humaines dans ce domaine. En paral-
lèle, le nombre de médicaments et le
nombre de publications ont explosé ces
dernières années.
Après un rappel sur les technologies
cognitives et l'intelligence artificielle,
Georges Uzbelger explique comment
on passe du descriptif au prescriptif.
Il présente ensuite Watson qui utilise
l’intelligence artificielle pour aider les
médecins à prescrire le bon traitement
en oncologie.
Intel pour sa part fournit à ses parte-
naires les technologies permettant de
stocker et de traiter des très grandes
quantités de données. Valère Dussaux
présente des cas d’usage d’utilisation du
machine learning et de l’apprentissage
de models sur des données collectées
dans les dossiers patients d’un réseau
d’hôpitaux. Les algorithmes ainsi géné-
rés permettent de prédire le risque de
ré-hospitalisation dans 30 ou 90 jours
pour des insuffisants cardiaques. Cette
collecte de données entre un grand
nombre d’établissements de santé est
clef. Valère présente la création d’un
Cloud Collaboratif sur le cancer qui offre
la possibilité aux hôpitaux des Etats-
Unis de donner accès à de nombreux
dossiers patients atteint d’un cancer.
Valère introduit la notion de médecine
personnalisée qui équivaut à considérer
que tous les malades sont atteints d’une
maladie rare qui leur est propre.
De son côté Raphaël Pousset-Bougère
présentecommentIpsen,unlaboratoire
pharmaceutique, utilise le big data dans
différents métiers de l’entreprise. Par
exemple, des chercheurs se sont livrés à
une expérience dans la lecture de publi-
cations scientifiques. Sur un très grand
nombre de publications, les chercheurs
ont sélectionné deux articles pertinents
pour leur thème de recherche. Dans un
temps très court, la machine en a sélec-
tionné sept, dont quatre qui n’avaient
pas été retenus par les chercheurs mais
qui étaient parfaitement ciblés sur leur
sujet de recherche.
Isabelle Hilali explique qu’Orange
intervient dans la chaîne de valeur au
niveau du transport et du stockage des
données, de l’accès aux données via des
applications et de la sécurité. Orange
a été le premier hébergeur agréé pour
stocker les données personnelles de
santé. L’interopérabilité entre systèmes
et la disponibilité des infrastructures
sont des problèmes importants pour
permettre le partage de données et leur
traitement.
Orange utilise les techniques de big
data pour modéliser la propagation
des maladies et pour optimiser la
localisation des centres de soin et des
ressources disponibles, afin d’améliorer
la prise en charge médicale.
Thérapie
Comme nous avions pu le voir dans
les réunions thématiques précédentes,
les évolutions technologiques, comme
les objets connectés de santé ou les
nouvelles techniques d’imagerie,
génèrent automatiquement un très
grand nombre de données qu’un méde-
cin ne peut plus traiter manuellement.
Dans ce sens, Michel Le Van Quyennous
explique qu’un challenge de la recherche
en neuroscience est la maîtrise du
déluge de données qui inondent le
domaine. L'interprétation visuelle
des tracés EEG est souvent difficile et
longue. En utilisant les technologies du
Big Data, il est possible d’identifier des
biomarqueurs EEG de l’épilepsie. Le but
des recherches est d’arriver à prédire les
crises et donc d’apporter un vrai béné-
fice thérapeutique pour le patient.
De même Pascal Zellner nous montre
qu’en utilisant du big data sur des
mesures SPO2 (la saturation de l'hé-
moglobine en oxygène par oxymétrie)
haute définition, il est possible de
prévenir les œdèmes pulmonaires chez
les insuffisants cardiaques.
Enfin Paul-Louis Belletante explique
que Betterise utilise jusqu’à 1000
données pour caractériser la personne,
son comportement, ses usages et le
contexte. Avec un nombre très impor-
tant de contenus, validés par un collège
de médecins, Betterise propose à ses
utilisateurs conseils, programmes de
coaching, tableaux de bord, quizz, défis,
recettes, etc. La plate-forme peut traiter
17 thématiques bien-être/santé comme
les maladies cardio-vasculaires, les
cancers ou diabètes de type 2. En aidant
la personne à modifier légèrement son
comportement et en luttant contre les
principaux facteurs de risque, Betterise
a une action thérapeutique qui évite
les accidents et diminue la prise médi-
camenteuse. Des assureurs comme
Harmonie Mutuelle ou des grandes
entreprises ont compris cela et offrent
les services Betterise à leur assurés ou
leur personnel.
Confiance
La confiance est au cœur du monde de la
santé. La personne fait confiance à son
médecin. Elle a confiance dans le médi-
cament qu’elle prend même s’il peut
provoquer des effets secondaires. Elle a
confiance en l’hôpital même si le risque
de maladie nosocomiale existe. Quand
la confiance est rompue, tout le système
est remis en cause (ex : Médiator).
Sommes-nous prêt à faire confiance à
un algorithme ?
Pierre Desmarais raconte que le CNOM
s’est très sérieusement posé la ques-
tion d’attaquer les fabricants de logi-
ciels intelligents pour exercice illégal
de la médecine. En réalité ce n’est pas
possible juridiquement.
Il y a consensus pour dire que ni Google,
ni Apple, ni un nouveau venu ne rempla-
cera le médecin. En revanche Pascal
annonce clairement que les méde-
Association
TELECOM n°182 www.telecom-paristech.org
64
3. Notre réseauAssociation
cins vont voir leur métier se modifier
complètement dans les années à venir.
Il remarque des réticences chez certains
de ses confrères mais l’adaptation aux
nouveaux outils est indispensable.
Comme son nom l’indique, le big data
a besoin d’un très grand nombre de
données. Mais les données de santé
sont les données personnelles les plus
sensibles. Ces données ne risquent-elles
pas d’être piratées et utilisées à notre
insu à des fins mercantiles ?
Pour assurer la confiance, il est indis-
pensable de mettre des règles sur le
traitement des données. Pierre rappelle
que la France s’est dotée d’un arsenal
législatif parmi les plus contraignants
au monde sur le stockage des données.
Le règlement européen relatif à la
protection des données, qui entrera en
vigueur en mai 2018, va aussi renfor-
cer les règles qui sont fondées sur le
consentement explicite de la personne.
Jean-Yves explique que le traitement
des données dans le secteur de la santé
offre des opportunités nouvelles mais
génèrent de nouveaux risques. Les
équilibres entre la protection de la vie
privée d’une part et la nécessité d’inno-
vation et de croissance d’autre part,
conduisent à réinterroger les règles qui
régissent le traitement des données
quasi inchangées depuis près de 40 ans.
Une des façons de protéger les données
est de les anonymiser. Aujourd’hui les
chercheurs ne travaillent déjà le plus
souvent que sur des données anonymes.
Mais, dans le domaine thérapeutique, la
problématique est bien plus complexe
et il y aura certainement besoin d’un
tiers de confiance entre le patient, le
médecin et les plates-formes web.
Paul-Louis insiste sur le fait qu’il faut
laisser la liberté aux gens qui ont
confiance de profiter des avancées tech-
nologiques. Le problème est d’évaluer la
balance bénéfice / risque qui n’est pas
homogène sur l’ensemble des données
et sur la population. Par ailleurs le
risque dépend du modèle économique
de l’entité qui traite les données. Ainsi,
Betterise propose un service payant et
n’a donc pas besoin de monnayer les
données pour exister. Ce n’est pas le cas
des services gratuits comme Google ou
Facebook.
La confiance dans la société qui traite
les données est essentielle. Et ce n’est
pas le fait d’utiliser l’Internet qui
change le problème. Refuser en bloc
le big data en santé nuira aux innova-
tions dans le monde médical. Si de plus
la France et l’Europe font cavalier seul
avec une législation très restrictive,
elles s’exposent à une perte de compé-
titivité des entreprises et un recul de la
compétence du corps médical français
reconnu aujourd’hui encore parmi les
plus performants au monde.
Conclusion
Avec la multiplication du nombre de
médicaments, l’évolution des méthodes
de diagnostic, l’apparition des objets
connectés de santé et la médecine
participative, le traitement des données
devient un élément clef de la médecine.
Avec les évolutions technologiques tant
en traitement qu’en stockage, le big
data ouvre des voies thérapeutiques
nouvelles qui vont nécessairement
modifier en profondeur la pratique
médicale.
Utiliserdesalgorithmesmathématiques
sans pouvoir vérifier explicitement les
résultats pose au médecin et au patient
un premier problème de confiance. Le
partage des données de santé qui sont
sensibles, pose des problèmes de sécu-
rité et donc un deuxième problème de
confiance. Mettre des règles sur le trai-
tement des données est nécessaire pour
établir la confiance. Mais légiférer de
façon très restrictive risque de nuire à
l’innovation. Imposer un consentement
explicite avec obligation de mémoriser
ce consentement sur plusieurs années,
est un frein au développement du big
data car cela tue le business model
des industriels. Un consentement a
priori, avec liberté de refuser le partage
des données pour les personnes qui
le souhaitent, semble plus adapté au
développement de la médecine prédic-
tive et personnalisée.
Les intervenants de la table ronde : Michel Le Van Quyen - Dr Pascal Zellner - Paul-Louis Belletante - Jean-Yves Robin - Pierre Desmarais
65
www.telecom-paristech.org TELECOM n°182
65