Quels rôles jouent les technologies numériques dans l’évolution de la médecine du travail ?
Les enjeux de la médecine du travail
La prévention
Les données de santé
Situation internationale
Autres apports des technologies digitales.
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Compte rendu de la réunion Telecom Paris Santé du 21 novembre 2019
1. Quels rôles jouent les technologies numériques
dans l’évolution de la médecine du travail ?
Jeudi 21 Novembre, CCI Paris Ile-de-France Incuba’School,
Compte rendu
Les enjeux de la médecine du travail
La médecine du travail est aujourd’hui confrontée à un double défi : restaurer son
image et améliorer ses performances et cela dans un contexte de pénurie de
médecins du travail.
Ainsi, les entreprises ont le choix de mettre en place un service de santé au travail
intégré à l’entreprise ou d’adhérer à un service de santé au travail inter-
entreprises. Cette contrainte est souvent perçue comme un impôt.
L’évolution législative a focalisé les missions sur la prévention. Avec la loi El
Khomri, depuis 2017 la visite médicale d’embauche est remplacée par une visite
d’information et de prévention qui n’est plus faite nécessairement par le médecin
du travail. Elle doit être renouvelée au moins tous les 5 ans. De plus, le rapport de
la député Charlotte Lecocq de mars 2018 contient des propositions chocs qui
pourraient être intégrées dans une évolution de la loi.
Avec la loi ANI qui impose aux entreprises de proposer une complémentaire santé
aux salariés et la loi de modernisation de la santé qui favorise les parcours hors
des établissements de soins, l’entreprise se trouve au cœur du parcours de santé
des collaborateurs.
Dans ce contexte les technologies digitales peuvent apporter des améliorations
essentielles à la médecine du travail.
La prévention
Le député Dr. Cyrille Isaac-Sibille insiste sur le fait que depuis 1945, le soin est
coupé de la prévention qui regroupe la médecine scolaire, la PMI et la médecine
du travail. Si le soin est doté d’un budget avoisinant les 200 Milliards d’Euros, la
prévention est largement sous dotée. Aujourd’hui, cette coupure historique peut
être en partie résorbée avec les nouveaux outils numériques et en particulier le
Dossier Médical Partagé (DMP). C’est pour cela que le député s’est associé à
l’initiative de la députée Charlotte Lecocq pour soutenir un amendement qui vise
à permettre aux médecins du travail d’avoir accès au dossier médical partagé du
patient, uniquement pour y déposer des documents. A terme, l’objectif d’un
2. décloisonnement complet de la médecine du travail via une réciprocité de l’accès
à l’information pourra faire l’objet de discussion.
Ce décloisonnement serait bien accueilli par les médecins du travail car ils auraient
plus d’informations pour faire leur métier. Par exemple, le docteur Baudelocque
préconise de faire des visites de pré-reprise en téléconsultation. Cela permettrait
de favoriser une reprise du travail précoce et de qualité et ainsi de lutter contre la
désinsertion professionnelle. Et de rappeler qu’un arrêt de travail supérieur à 3
mois est associé à un risque de désinsertion. Les enjeux sont humains, financiers
(> à 10 milliards d’euros en 2018) et impactant pour l’entreprise.
Par ailleurs, l’allongement de la vie professionnelle et l’augmentation des maladies
chroniques qui devraient toucher 10% des salariés incitent les mutuelles à
solvabiliser la prévention.
S’il était possible de disposer des données, en particulier des arrêts de travail, les
techniques d’Intelligence Artificielle pourraient être utilisées en amont pour cibler
les populations à risque. Il serait alors possible d’établir une connexion avec les
salariés pour envoyer des programmes numériques ad hoc ou de mettre en place
des plans de prévention santé au travail comme ceux proposés par VirtualCare.
Les données
En France, le stockage des données en santé semble être un sujet complexe. Le
Health Data Hub qui avait été évoqué dans le rapport Villani, a été officiellement
lancé début 2019 et devrait ouvrir en 2020. Cependant, le DMP ne sera accessible
via le hub que dans 3 ans et il y a plus de 10 projets d’entrepôts de données de
santé qui viennent d’être lancés.
Maitre Maud Parssegny met en garde sur la tentation de l’accumulation de données
favorisée par les nouvelles technologies, en particulier en médecine du travail.
L’idée de croiser le maximum d’informations est légitime et va dans le sens des
incitations légales de prévention alors qu’il y a de moins en moins d’interactions
avec le médecin du travail. Il y a une nécessité de sécuriser ces informations et
d’obtenir l’accord du salarié pour tout transfert de données et prise automatique
de décision sur la base des données (profilage). Le RGPD a introduit la nécessité
de faire des études d’impact potentiel des failles de sécurité et renforcé les
sanctions (4% du CA du groupe), ce qui augmente les responsabilités de la société.
L’avocate recommande la plus grande précaution en :
- ne collectant aucune donnée sans savoir le traitement qui sera fait et en informer
le salarié
- garantissant la sécurité à la conception (privacy by design)
- garantissant la sécurité des systèmes et en faisant des études d’impacts.
Situation internationale
3. Sans porter de jugement de valeur, force est de constater qu’aux USA et au
Canada les données de santé sont exploitées pour faire de la prévention en
médecine du travail.
Fabrice Pakin rappelle que 66% des maladies chroniques peuvent être évitées en
changeant de style de vie et qu’aux USA chaque dollar investi dans des
programmes de bien-être permet d’économiser 2,73$, car le coût de la santé et
de l’absentéisme sont en forte croissance. Au Canada, il existe une norme sur la
santé en entreprise et chaque entreprise est notée sur une échelle à 3 niveaux.
La plateforme Ignilife qui est bien déployée au Brésil est un outil permettant d’avoir
des tableaux de bord pour les payeurs, du coaching pour les individus, des
informations à destination du corps médical et une market place pour acheter des
produits et des services. 52% des utilisateurs signalent qu’ils ont changé leur
comportement santé après 3 mois de coaching.
Si les assurances santé en France ont identifié les applications de gestion du
sommeil comme prioritaire, aux USA la détection de ce problème est souvent faite
dans l’entreprise. Ce sont les managers qui sont les plus à même de détecter des
comportements révélateurs du manque de sommeil. Mais en France, le manager
ne peut pas poser des questions sur la santé de ses collaborateurs.
Nouveaux métiers
Le numérique impacte d’une autre façon la médecine du travail car il favorise les
plateformes type Uber qui emploient des travailleurs indépendants et il encourage
le télé-travail. Dans ce dernier cas, les efforts fait sur l’ergonomie du poste de
travail dans les bureaux pour prévenir des TMS risquent de n’avoir aucun résultat
sur le poste de travail à domicile. La télémédecine avec de la visiophonie pourrait
être faite à distance pour conseiller le télétravailleur, nous suggère Hervé Rabec.
Mais le paradoxe est que certaines personnes pourraient considérer que c’est une
intrusion dans leur vie privée.
La téléconsultation pourrait aussi être proposée pour les personnes qui ne sont pas
sédentarisées dans les locaux de l’entreprise, par exemple des consultants
travaillant chez les clients. La téléconsultation permettrait de diminuer les temps
de déplacement.
Autres apports des technologies digitales.
Dans les situations d’accident industriel avec multi-victimes la difficulté est de trier
les patients en fonction de la gravité et de les évacuer rapidement. Actuellement
des cartes de triage sont fixées sur le blessé. La société allemande Rescuewave
propose des boitiers électroniques qui permettent avec une tablette de géolocaliser
les personnes en donnant sa photo et le niveau de gravité. L’usage de ces
nouveaux outils doit être organisé en amont pour rendre les secours efficaces.
4. Beaucoup d’autres technologies numériques peuvent être utilisées pour obtenir
une vision globale des actions de prévention comme par exemple les outils de
mesure de la qualité de l’air ou des systèmes d’aide à la conduite anti-somnolence.
Conclusion
Comme beaucoup d’intervenants du monde médical, la médecine du travail souffre
d’un cloisonnement du système de santé.
Il semble se dégager un consensus sur le fait que toutes les parties prenantes
doivent collaborer pour co-construire des plans de prévention santé intégrés dans
le parcours de santé des collaborateurs.
L’enjeu est de taille pour la médecine du travail qui dans le cadre de la réforme
souhaite s’approprier les technologies digitales afin de ne plus être perçue comme
un impôt mais, en faisant baisser l’absentéisme, comme une ressource contribuant
à la performance de l’entreprise.
Alain TASSY, co-président de Telecom Paris Santé
Intervenants
| PREVENTION, DOSSIER MEDICAL PARTAGE ET MEDECINE DU TRAVAIL (EN VIDEO)
Dr. Cyrille ISAAC-SIBILLE, Député du Rhône, secrétaire de la commission des affaires
sociales de l’Assemblée nationale
| DU TRAVAIL NUMERIQUE A LA MEDECINE NUMERIQUE : QUELLE PREVENTION POUR LES
SALARIES A L’HEURE DE LA PROTECTION DES DONNEES ?
Maud PARSSEGNY, Avocat à la Cour, Osborne Clarke SELAS
| MEDECINE DU TRAVAIL : AU-DELA DE LA VISITE PERIODIQUE, UN VERITABLE OUTIL DE
DETECTION ET SUIVI DES RISQUES DES SALARIES
Fabrice PAKIN, CEO, Ignilife
| BESOINS SPECIFIQUES EN INNOVATION POUR LA MEDECINE DU TRAVAIL DANS LES GRANDS
GROUPES
Dr. Hervé BAUDELOCQUE, Médecin Directeur Santé au Travail, Schneider Electric
| E-MEDECINE DU TRAVAIL : RENOUVELER L’IMAGE OU RENOUVELER LES PRATIQUES ?
Hervé RABEC, Directeur général, SEST
| ROLE DES ASSUREURS SANTE DANS LA PREVENTION EN MEDECINE AU TRAVAIL ET APPORTS
DES TECHNOLOGIES NUMERIQUES (EXCUSEE)
Anne-Sophie GODON, Directrice Innovation chez Malakoff Médéric Humanis
Retrouver les présentations des intervenants : https://fr.slideshare.net/ALAIN_TASSY