Bd reportage

DELISLE, Guy. Chroniques de Jérusalem
CAAP – Cours d’initiation en Histoire des Arts, Septembre 2016

Plan du cours
I. La BD reportage : un détournement de genre de la
Bande-dessinée ?
II. Un triptyque narratif : « Le primat du réel » ; « héros » ;
« le témoin-personnage ».
III. Est-ce encore de la Bande dessinée, du journalisme
graphique, ou bien plus encore ?

Selon vous, qu’entends-t-on par BD
Reportage ?

Que faut-il entendre par BD Reportage ?
BOURDIEU, Séverine. « Le reportage en bande dessinée dans la presse actuelle : un autre regard
sur le monde ». In : Contextes, vol. 11, 2012.
«

La BD Reportage : un détournement ?
Comment la bande-dessinée s’est-elle historiquement
emparée du réel ?

Fantastic Four #13, 1963

Tintin au Congo, 1930
Tintin au Pays des Soviets, 1930

Tintin au Congo, 1930
Tintin au Pays des Soviets, 1930
 Des intrigues focalisées sur la figure du
« super héros », lequel combat un « super
méchant » : dichotomie Bien/Mal.
 Ce héros endosse souvent un rôle de
« patriote » (« récit national » = Propagande).
 Un point de vue narratif depuis la « vision des
vainqueurs ».
 Une mythologie du « fait guerrier »
majoritairement représentée.
 Valeurs célébrées : vertus militaires, la loyauté, le
devoir, la force, la virilité, la fidélité.

« L’esprit du temps »
SADOUL, Numa. Tintin et moi, entretiens avec Hergé. Paris : Flammarion, 2003

Comment se positionne la BD
reportage au regard de cet héritage ?
 Comment s’effectue la transition entre la fiction et le
réel ?

« L’heure de la documentation »
« J’ai reçu une lettre … »

« L’heure de la documentation »
« J’ai reçu une lettre … »
S’affranchir des clichés, des représentations dominantes de l’époque,
pour mieux adhérer à la réalité que l’on souhaite décrire.

Une œuvre hybride : Joe Kubert
Sergent Rock, narrant les aventures d’un militaire dans un bataillon d’infanterie européen (la easy company)
durant la seconde guerre mondiale

• Mise en BD du siège
de Sarajevo (1992-
1996). Scénario tiré
des messages envoyés
par fax provenant son
ami Ervin Rustemagic
vivant les événements
sur place.
Fax from Sarajevo, 1996

• Yossel (2003) : En
Yiddish, « Joe ».
Récit fictif sur la
famille de l’auteur,
qui a immigré aux
Etats-Unis en 1926.
Que serait-il arrivé
à la famille Kubert
s’ils étaient restés
en Pologne ?

La BD reportage : un genre en voie
d’autonomisation.
• Des traits communs qui définissent un « style » pour la
BD reportage.

« Le » fondateur du genre : Joe Sacco
(1961 - )
1992 : Après des études journalisme, et un vif intérêt porté à la BD, il fait un
voyage en Palestine, critiquant la démarche des journalistes américains,
qu’il juge trop partisane.
Méthode : « journalistique », se rend sur place, carnet de note, à la
rencontre des gens, croquis de paysages/scènes qu’il voit, prend des
photographies.

Palestine, 1996
Palestine, 1996
Gaza 1956, 2010
Premier élément : l’auteur - « héros »

• Passage Afghan
(2004), Au
lendemain des
attentats du 11
septembre 2001,
Ted Rall veut
comprendre
pourquoi les
américains sont
rentrés en guerre
contre les Talibans,
et se rend sur
place.

• Pyongyang (2003),
Guy Delisle y
raconte son
expérience dans la
capitale de Corée
du Nord, et les
éléments de
dictature qui y
règnent.

Quelle est la fonction de cette fusion entre l’auteur, et
le « héros » de ce type de BD ?
 Une façon de dire « je » pour l’auteur,
raconter à la première personne des faits,
événements …
 Renforcer la véracité du récit ; inscrire la
réalité de la narration à celle de celui qui la
raconte. C’est le récit du témoin oculaire qui
confère à la DB reportage sa force de vérité.

Peter Sis. Publie Le Mur, dans
lequel il raconte son expérience du
mur de Berlin, côté RDA.
 Récit autobiographique

• Marjane Satrapi
introduit aussi une
dimension
affective 
Projection de soi
(en l’occurrence un
contexte d’enfance)
/ identification
dans une
temporalité et une
spatialité différente.
Métropolis, 2000

• Marjane Satrapi
introduit aussi une
dimension
affective 
Projection de soi
(en l’occurrence un
contexte d’enfance)
/ identification
dans une
temporalité et une
spatialité différente.
Métropolis, 2000
«
Ce que j’éprouve pour ces photos relève d’un affect moyen, presque d’un dressage. Je ne voyais
pas, en français, de mot qui exprimât simplement cette sorte d’intérêt humain ; mais en latin, ce mot,
je crois, existe : c’est le studium, qui ne veut pas dire du moins tout de suite, « l’étude », mais
l’application à une chose, le goût pour quelqu’un, une sorte d’investissement général, empressé,
certes, mais sans acuité particulière.
Le second élément vient casser (ou scander) le studium. Cette fois, ce n’est pas moi qui vais le
chercher, c’est lui qui part de la scène, comme une flèche, et vient me percer. Un mot existe en latin
pour désigner cette blessure, cette piqûre, cette marque faite par un instrument pointu ; ce mot
m’irait d’autant mieux qu’il renvoie aussi à l’idée de ponctuation et que les photos dont je parle sont
en effet comme ponctuées, parfois même mouchetées, de ces points sensibles ; précisément, ces
marques, ces blessures sont des points. Ce second élément qui vient déranger le studium, je
l’appellerai donc le punctum ; car punctum, c’est aussi : piqûre, petite tache, petite coupure – et
aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me
meurtrit, me poigne), »
Barthes, Roland. La chambre claire. 1980

Deuxième élément : qui sont « les
personnages » dans ce genre de BD ?
Les témoins de la réalité décrite sont autant de personnages, qui par leur fragment
de vie, font « avancer l’histoire »
Joe Sacco,
Reportages,
2011

Troisième élément : Quid du
« scénario » ?
 Une règle intangible : la force du réel.
L’histoire se structure au gré de la rencontre des
différents personnages et des événements qui
se sont déroulés sur le terrain de l’enquête.
MAIS
C’est aussi une manière particulière d’interroger le réel

« scénario » ?
MAIS
QUESTION – Ton nouveau livre, Gaza 1956, en marge de l'histoire, est paru fin
2009 aux USA et vient de paraitre en France chez Futuropolis… parle-nous un
peu de ce projet
JS – Ce livre se penche sur deux incidents qui se sont produit à Gaza en 1956.
L’idée m’est venue en lisant un document de l’ONU qui traitait de façon très
superficielle ces incidents qui se sont déroulés pendant la crise du canal de
Suez, et au cours desquels un grand nombre de palestiniens furent tués. Selon
le document de l’ONU, les israéliens prétendent avoir eu affaire à une
résistance de la part des palestiniens… mais selon les palestiniens ce n’était
pas le cas. Donc l’idée derrière mon livre est d’aller parler aux gens qui ont
vraiment vécu ces incidents, pour connaitre leur version des faits…
QUESTION – Et mettre à jour la vérité ?
JS – Je l’espère bien, mais comme souvent dans ce genre de cas, les preuves
écrites donnent des versions contradictoires et ne permettent pas de
trancher… alors comme de nombreux témoins sont toujours en vie et s’en
rappellent, je me suis dit « pourquoi ne pas aller leur demander leur version
des faits ? »
Interview de Joe Sacco, BdThèque, réalisée le 27/01/2010

« scénario » ?
Les témoins de la réalité décrites sont autant de personnages, qui par leur fragment
MAIS
 La BD reportage, comme information alternative aux versions
officielles, souhaite lire l’actualité « au ras du sol »

Est-ce encore de la Bande dessinée, du journalisme
graphique, ou bien plus encore ?
• Quelle distance peut-il y avoir entre le journalisme et la
BD Reportage ?
 Si le narrateur devient acteur, et les témoins des personnages, le
lecteur est accroché. L’auteur est alors plus à même de développer une
trame émotionnelle, en éveillant la sympathie de son lecteur
(l’approche étant plus froide dans le « journalisme pur »).


Matérialiser la mémoire ; dire
l’indicible.
Keiji Nakazawa . Il avait 6
ans lors du bombardement
d’Hiroshima. Seule sa mère, ses
frères et sœurs et lui survivent.
Il publie le manga Gen
d’Hiroshima (1973), relatant
l’histoire de la famille Nakakoa
durant le bombardement.
 Quelle plus-value ?

l’indicible.
 Un fait qui d’ordinaire est montré sous
un angle ou bien politique, ou bien
scientifique. Nakazawa privilégie l’axe de
la souffrance humaine.
 Reconstituer ce que la technique n’a
pas permis de sauver, détruite en
l’occurrence par l’arme atomique
 Aurait-on les mêmes
émotions face à des photos ?

Guerre civile américaine (1861-
1865) : passage de la
représentation dessinée (cf.
Winslow Homer) des champs
de bataille, à celle de la
photographie prise dans les
combats.
 La figuration de la mort revêt
une autre acuité : le public
a été choqué .
 Le dessin et la photographie
ne se placent pas dans le
même champ
d’expression des
sentiments.

Souligner la violence du réel par la fiction
l’indicible.
Art Spiegelman. Il retrace
dans la BD Maus, l’histoire de sa
famille pendant la persécution des
juifs par les nazis, via la parole de
son père.

Conclusion
• Le public amateur de BD, n’est pas le même que celui qui prise le BD reportage.
• Un statut particulier pour le BD journaliste : prend des notes, des photos, des
vidéos, des témoignages, et réalise un montage de cet ensemble dans lequel il
se positionne en qualité de « guide ».
• Le BD journalisme porte un double message :
• Une alternative à l’information officielle (le témoignage de terrain comme dépassant les discours
officiels)
• Mettre en lumière des événements sous un jour « humain », via le rôle des
personnages/témoins.
• Parfois recréer un réel qui n’est plus.
• Eveiller de la compassion, de l’empathie aux lecteurs, là où ordinairement règnent
des discours politiques, économiques, scientifiques …

Dans un monde où Photoshop ne permet plus de distinguer le photographe
du menteur, on peut autoriser les artistes à revenir à leur fonction
originelle : le reportage »
Art Spiegelman
«

Bibliographie indicative
• BARTHES, Roland. La Chambre Claire. Notes sur la photographie.
Paris : Editions du Seuil, 1980.
• CONROY, Mike. La guerre dans la BD, Personnages de fiction ou
véritables héros. Paris : Eyrolles, 2011.
• DANIELS, Mark. La BD s'en va t-'en guerre. De Art Spiegelman à Joe
Sacco : Histoire du BD Journalisme. Arte éditions, 2009.
• LESSOUS, Laurent (dir.) La bande dessinée de reportage : histoire,
actualité, société. Poitiers : CRDP, 2011.
• SADOUL, Numa. Tintin et moi. Entretiens avec Hergé. Paris :
Casterman, 1975.

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