Interview dans le Figaro du 3 juin 2010. L'idée est venu lors d'une discussion avec la journaliste sur ma fatigue des notifications. En pleine essor les réseaux n'étaient pas "ajustés" dans le filtrage des infos et une réel fatigue s'était installé à l'époque. Le phenomene a d'ailleurs donner des livres et des essais sortis dans les 18 mois suivant cette interview, à l'instar de "J'ai débranché: Comment revivre sans internet après une overdose" de
Thierry Crouzet sorti en 2012.
1. jeudi 3 juin 2010 LE FIGARO
A
8 franceSOCIÉTÉ
CÉCILIA GABIZON
INTERNET À mesure qu’Internet vampi-
rise le monde, les inquiétudes se généra-
lisent. Et les demandes de règles claires
se font plus pressantes. Sans pour
autant, entamer l’attrait du Net. C’est le
paradoxe Facebook, succès planétaire
avec 450 millions de membres malgré
les polémiques récurrentes, ou de Goo-
gle sans cesse montré du doigt pour son
hégémonie, mais porte d’entrée princi-
pale du Web. Car l’utilisateur n’entend
pas renoncer aux immenses possibilités
de la Toile, à cette proximité inédite avec
le monde entier, au nom de risques qu’il
perçoit, mais dont les conséquences pa-
raissent rarement dramatiques.
Si les internautes n’envisagent ni
l’abstention ni les solutions techniques
qu’ils jugent compliquées pour mieux
£
++
================================================
////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////////
::
///////////////////////////////////////
:::::::::::
//////////////////////////////
:::::::::::::::::::::::::::
...........
;;;;;
ctrl
t
cmmdd
79 %
20 %
77979797 %
0 %%%%%%%%%%%%%%%
79 %20 %
1%
*******
$$$$$$$$$$$$
75%25%
61%39%
53%46%
1%
cc
35%63%
2%
aaaaaalt85% 15%
Trèsinquietou
assezinquiet
Peuoupasdu
toutinquiet
Sansopinion
EnquêteTNSSofresréalisée
du26au30avril2010selonla
méthodedesquotasauprèsd'un
échantillonde1200personnes
représentatifdelapopulation
françaiseâgéede15ansetplus.
PhotoFigaro
...les pouvoirs
publics
...n'importe
qui
...des collègues
ou collaborateurs
...des membres
de votre
famille
...des
entreprises
commerciales
...des pirates
informatiques%%%%%%%%%%%%%%%%%
ùùùùùùùùù
6161%%399%%
...%%%%%%%%%%%ntrepriseen es
mmercialcom les
Êtes-vous inquiet que vos données
sur Internet puissent être vues et utilisées par...
P
gérer leurs données… Ils réclament de
plus en plus « le droit à l’oubli », la possi-
bilité de supprimer, définitivement,
leurs profils sur les réseaux sociaux
comme Facebook.
Et cette clameur monte, aux États-
Unis comme en France, où vient de
s’achever la consultation lancée par Na-
thalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire
d’État au Numérique : quelque 74 % des
votants demandent un véritable droit de
vie et de mort sur leurs profils mais aussi
leurs traces, celles qui les désignent
comme amateurs de foot, de chaussures
ou de voyages et que Google ou Face-
book vendent aux publicitaires. Beau-
coup aimeraient même pouvoir récupé-
rer leurs données, qui sont pour l’instant
presque impossibles à « déménager »
d’un site à un autre. Lorsqu’on ferme
son profil, on perd ses souvenirs.
Globalement, les internautes vou-
draient mieux contrôler leur image nu-
mérique, mais sans trop d’effort, semble
indiquer la consultation. Ils rechignent à
régler « les paramètres de confidentiali-
té », devenus, il est vrai, aussi opaques
et enchevêtrés que la forêt amazonien-
ne. En l’espace de quelques années, le
nombre de ces critères sur Facebook a
bondi, laissant les membres nonchalants
ou débutants à la merci du regard public.
Sans réglage, on peut retrouver le profil
Facebook d’une personne par un moteur
de recherche, lire son nom, sa date de
naissance, son diplôme et voir quelques-
uns de ses amis et de ses pages préfé-
rées… Seuls les messages restent cachés.
Par son ampleur, Facebook, concen-
tre les critiques. Ses tentatives commer-
ciales agressives et son manque de
transparence dans la gestion des don-
nées ont parfois alimenté, chez ses
membres, le sentiment d’être floués.
Quelque 30 000 personnes se seraient
désinscrites lundi dernier au cours d’un
« Quit Facebook Day » organisé par
deux Canadiens… Une goutte d’eau dans
l’océan des « amis ». Mais 60 % des
Le Net veut s’acheter une bonne conduite
Les internautes comme les responsables politiques souhaitent à présent mieux préserver leur vie privée.
IL A TENU un blog dans la préhistoire de
l’Internet, s’est déployé sur Facebook à
peine le réseau social lancé, a twitté quand
personne n’en avait entendu parler, et
vientdedevenir« lemaireduThéâtredela
ville » dans le monde virtuel de Foursqua-
re, un site de géolocalisation lancé récem-
ment en France, où chacun signale ses dé-
placements, pour retrouver des membres
et de devenir… maire en cas de fréquenta-
tion assidue ! « Et maintenant, je vais dé-
crocher, parce que l’hyperconnexion est un
peu vaine, que je n’ai pas envie d’aller saluer
des inconnus juste parce qu’ils pointent à
Foursquare », assure Raphaël Labbé, en-
trepreneur du Web, créateur d’ulike.net.
Comme lui, des centaines de « geeks », ces
jeunes amateurs de nouvelles technologies
quiontlancélesnouvellesmodesduNeten
France, commencent à saturer, annonçant
peut-être une évolution plus massive.
«Prime à la présence»
« Mon téléphone bipe à chaque seconde
pour m’annoncer la localisation de person-
nes que je connais à peine, ou encore que
l’on m’a poké (c’est-à-dire gratifié d’une
petite salutation virtuelle, NDLR) ou
qu’une alerte google a retenti, signalant
qu’à un bout de la toile on a parlé de moi,
tandis qu’une pluie de messages Twitter
tambourine… Je n’en peux plus », confesse
Stéphanie, pourtant animatrice de com-
munauté sur le Net. Après des hésita-
tions, elle vient de retirer le « push » de
son iPhone, cette fonction qui lui signale
la moindre activité de son réseau.
Facebook et ses masses d’amis qu’on
n’identifie même plus est « devenu un tor-
rentdeconfessionsinutiles,unesortedemé-
téo des humeurs, qui peut vous occuper pen-
dant des heures, avant de se retrouver bien
seul pour déménager », raille Fabien, qui
lève le pied après deux années d’addiction.
Noyés sous les messages, ces geeks en-
tament une mue. Ils ne désertent pas le ré-
seau. Mais condamnent certains outils.
« On ralentit les connexions », dit ce res-
ponsable de communication d’une fonda-
tion. À contre-courant de ceux qui se font
un nom sur le Net aujourd’hui, « en twit-
tant en permanence, en occupant le terrain.
Car il règne encore une prime à la présence
sur la Toile, selon Raphaël Labbé, mais, dé-
sormais, on peine à identifier qui parle de
quoi. » D’autant que chacun « pollénise »,
diffusant sur tous les supports, en moult
exemplaires, donc, sa prose et celle des
autres, que l’on re-twitte sans fin. Pour
parfois tourner en rond.
Les pionniers du Net peinent à recon-
naître le Twitter des débuts, « véritable fo-
rum de geeks », selon Maëlis Jamin-Bizet,
de l’agence de veille Internet Human to
Human. Il est ensuite « devenu un outil
pour partager des liens vraiment intéres-
sants. On pouvait suivre de vrais leaders
d’opinion sur des sujets pointus. Mais, à
partir de la massification, à l’été 2009, la
conversation a pris le dessus, comme le
buzz, au détriment des informations », esti-
me cette spécialiste.
Les geeks qui utilisaient justement leur
compte twitter, leur profil ou leur blog
comme une vitrine, pour faire de leur
nom une marque, pâtissent de cette mas-
sification. « Avant, lorsque j’envoyais un
message, j’avais énormément de retour.
Aujourd’hui, j’ai plein de followers (per-
sonnes qui suivent votre production
twitter, NDLR), mais très peu de répon-
ses », poursuit Florence, qui s’était in-
vestie sur le Net pour faire connaître son
groupe de musique. Maintenant, pour
faire venir des spectateurs, « il vaut
mieux téléphoner », assure-t-elle. Ce que
Maëlis Jamin-Bizet, spécialiste de la
communication sur le Net, appelle pro-
longer l’amorce faite sur les réseaux par
un échange en IRL… In real life ! I C. G.
Les «geeks» se débranchent
Les internautes rechignent
à régler « les paramètres
de confidentialité »,
devenus, il est vrai, aussi
opaques et enchevêtrés
que la forêt amazonienne
LE WEB n’est pas sans loi. Il est au
contraire régi par moult codes civils :
sur Google et Facebook, qu’on les
consulte en France ou aux États-Unis,
c’est la loi californienne qui règne. Le lé-
gislateur français peine donc à réguler
ces opérateurs, qui se montrent plus
sensibles aux protestations des inter-
nautes. Car « la gratuité n’est qu’appa-
rente. En réalité, le consommateur
“échange” ses données personnelles
contre le droit d’utiliser le service »,
rappellent les députés UMP dans un
rapport sur l’éthique du numérique.
C’est pourquoi Nathalie Kosciusko-
Morizet, secrétaire d’État au Numéri-
que, espère clarifier les relations entre
les utilisateurs et les sites par une
charte. Le texte définitif devrait être
prêt d’ici à la fin du mois. Les signataires
vont probablement accepter un « pa-
ramétrage par défaut protecteur »,
« clarifier les catégories de personnes
qui ont accès à chaque type de conte-
nus publiés » et permettre aux « utili-
sateurs de résilier facilement leur ad-
hésion ou de supprimer leur compte ».
La charte devrait aussi encourager,
lorsque c’est possible, les utilisateurs à
prendre un pseudonyme et le recom-
mander fortement aux mineurs. Enfin
certains internautes ont suggéré
d’instaurer une date de péremption
des données publiées ou encore la
possibilité pour l’internaute de désin-
dexer son nom des moteurs de re-
cherche. C. G.
Une future charte
membres seraient prêts à quitter le ré-
seau, selon une étude menée par la so-
ciété de sécurité informatique Sophos.
Possibilités commerciales
La direction de Facebook a senti le dan-
ger et vient d’annoncer une simplifica-
tion de ces critères de confidentialité. Ils
passent de 50 à 15. Mais Marc Zucker-
berg, le fondateur, n’a pas cédé à l’appel
des hommes politiques ou des Cnil euro-
péennes qui réclamaient un réglage par
défaut totalement protecteur, réservant
les données aux seules personnes admi-
ses comme « amies ». Car la visibilité
participe du rayonnement du site et de
ses possibilités commerciales.
Difficiles à réglementer par la loi, les
pratiques sur le Net interpellent de plus
en plus les politiques. Les députés UMP
Hervé Mariton, Lionel Tardy et Patrice
Martin-Lalande recommandent que
leur groupe privilégie, après la contestée
loi Hadopi, de la pédagogie et les propo-
sitions concertées avec les acteurs du
Net. Tandis que Nathalie Kosciusko-
Morizet devrait finaliser dans les semai-
nes qui viennent une charte de bonnes
pratiques (voir encadré).
Mais il ne faut pas attendre la salvation
des acteurs du Net, si les comportements
des utilisateurs n’évoluent pas, insiste-
t-on chez NKM. Les pionniers du Net,
ces geeks férus de nouvelles technolo-
gies, commencent d’ailleurs à saturer
(voir ci-dessous) d’une vie entièrement
connectée, ce qui annonce, peut-être,
une évolution de fond. D’autant que la
moitié des internautes ont cette année
tapé leur propre nom dans un moteur de
recherche. Découvrant parfois, à leurs
dépens, que le Net a bonne mémoire. I
«Facebook
est devenu
un torrent
de confessions
inutiles qui peut
vous occuper
pendant
des heures
»FABIEN, DÉÇU DU RÉSEAU
SOCIAL
Les Français redoutent
surtout les pirates du Net
TENTACULAIRE, globalisé,
mené par des acteurs privés,
l’Internet fait peur. Les Fran-
çais redoutent surtout d’y croi-
ser un pirate informatique. Se-
lon une récente étude menée
par TNS pour Microsoft, 79 %
des utilisateurs craignent
d’être dépouillés par des ma-
fieux du clavier. Ils sont encore
75 % à s’inquiéter d’une mau-
vaise rencontre avec un « in-
connu » prêt à utiliser à mau-
vais escient des informations
laissées sur le Web ou, plus gra-
ve, à détourner un enfant. Les
parents multiplient les invita-
tions à la prudence. L’utilisa-
tion commerciale de tout ce
que les moteurs de recherche
savent de nous effraie, elle,
65 % des personnes, mais af-
fecte peu les comportements.
Tandis que 53 % craignent les
pouvoirs publics, perçus com-
me un Big Brother.
Mesures sécuritaires
Beaucoup d’utilisateurs du Net
piratant, à l’occasion, des mor-
ceaux de musique ou des films,
le vote d’Hadopi ou encore
l’adoption de mesures sécuri-
taires dans la Loppsi, au nom de
la lutte contre la cyberpédo-
philie, ont donné le sentiment
d’une reprise en main du Web
par l’État. Et alimenté, chez
certains, la crainte d’une sur-
veillance, qu’elle soit policière
ou fiscale.
Ces peurs relèvent parfois du
fantasme. Moins on fréquente
l’Internet, plus on le diabolise,
d’ailleurs. Les plus de 65 ans
prônent souvent l’abstinence
technologique ou l’expression
minimale, pour limiter les ris-
ques. À l’inverse, plus on est fa-
milier du Web, moins on craint
ses traquenards. « 70 % des jeu-
nes de 15 à 24 ans pensent qu’ils
maîtrisent ce qu’ils disent d’eux
sur la Toile », souligne le socio-
logue Jean-Claude Kaufmann,
auteur de Sex@amour. Si ces
jeunes urbains se dévoilent à
dessein, ils réservent cependant
leur numéro de téléphone ou
leur adresse aux vrais amis, et
non à leurs fréquentations vir-
tuelles. Comme une dernière
barrière entre l’univers du nu-
mérique, où, de pseudo en pro-
fil, ils se mettent en scène, et la
vraie vie, dont ils aimeraient te-
nir à distance les êtres juste croi-
sés sur la toile, « sans toujours
comprendre, regrette le sociolo-
gue, que ces deux mondes ne sont
plus vraiment séparés ». I C. G.
«À partir de
la massification
de Twitter,
à l’été 2009,
la conversation
a pris le dessus,
comme le buzz,
au détriment des
informations
»RAPHAËL LABBÉ,
ENTREPRENEUR DU WEB
ALDOSPERBER/PICTURETANK