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SOCIÉTÉ
I N T E R N E T
Le grand méchant Facebook
Enpleinepolémiquesurlesapérosgéants,faut-ildiaboliserlesitedontl’influence
necesse de s’étendre chez les jeunes ? Profil d’un réseau qui n’a pas que des amis.
J
usqu’ici, le phéno-
mènemi-happening,
mi-festif amusait. De
Rennes à Brest, de
Caen à Montpellier,
les « apéros géants » dépla-
cent au fil des semaines des
milliers d’internautes, sé-
duits par ces mobilisations
spontanéesetplutôtbonen-
fant. Mais avec le décès, à
Nantes,d’unjeunede21ans,
le13maidernier,lenouveau
rite branché a pris une tour-
nure politique. Le ministre
de l’Intérieur, Brice Horte-
feux,annonceune«réunion
de travail » afin de « préci-
ser les mesures permettant
de faire face à ce type d’évé-
nements spontanés ». Et la
préfecture de Paris est déjà
sur les dents en prévision de
l’apéritif annoncé le 23 mai
sur le Champ-de-Mars, à Pa-
ris, auquel 14 000 partici-
pants se sont déjà inscrits.
Derrière cette frénésie
d’apéros, il y a Facebook. In-
connu il y a encore quatre
ans, ce réseau social reven-
dique aujourd’hui 400 mil-
lions de membres dans le
mondeetfaitunmalheuren
France, avec 15 millions
d’utilisateurs. Un géant du
Web peu porté sur la com-
munication médiatique,
mais très affûté côté busi-
ness – son chiffre d’affaires
pourrait atteindre 1 milliard
de dollars en 2010. Plate-
forme gigantesque où cha-
cunpeutouvrirgratuitement
unprofiletinteragiravecses
amis, collègues ou parents,
Facebook est devenu un lieu
d’expression et de partage
quasiincontournable.«C’est
le premier site sur lequel
je me connecte quand j’al-
lume mon ordinateur, dit
Pauline, une étudiante qui a
trinqué avec ses voisins lors
de l’événement rennais. Le
fait que cet apéro soit né sur
Facebook montre que l’im-
pactduréseauesténorme.»
Avec sa force de frappe, ce
tam-tam virtuel peut trans-
former une simple idée de
findesoiréeenuneravepar-
tie sans sono. « Facebook a
fait tomber les barrières en
termes d’échelle, relève Ra-
phaël Labbé, fondateur du
site ulike.net. Il est mainte-
nant très simple de mobili-
ser10 000personnes,quece
soitpoursoutenirunecause
ou pour se soûler. »
Le réseau à la mode chez
les ados est en effet capa-
ble du meilleur comme du
pire. Le pire, ce sont ces
groupes qui font l’apologie
de l’antisémitisme ou de la
violence ; ces rumeurs, qui
échauffent les esprits – mi-
mai, des lycéens sont des-
cendus dans la rue pour
protester contre une pré-
tendue réduction de moitié
des vacances d’été ; et le cy-
ber-harcèlement, devenu
monnaie courante chez les
jeunes. « Il y a toujours eu
des têtes de Turc dans les
cours de récréation, note
Véronique Fima, présidente
de l’association Action In-
nocence. Mais, jadis, quand
les élèves rentraient chez
eux, ils étaient tranquilles.
Maintenant, les règlements
de comptes continuent sur
Internet. » Par son fonc-
tionnement même – incita-
tion à l’actualisation des
« statuts » et à l’accumu-
lation de contacts – le site
appelle également au dé-
voilement. Pour la jeune
génération, biberonnée à
la télé-réalité, mettre ses
photos à disposition de
500 « amis » n’est pas consi-
déré comme un problème.
Les plus âgés, eux, peuvent
être tentés d’exposer anec-
dotes personnelles, préfé-
rences sexuelles ou états
TAM-TAM Avec 15 millions d’utilisateurs, Facebook peut mobiliser spontanément 10 000 personnes.
LE RÉSEAU
À LA MODE
EST CAPABLE
DU MEILLEUR
COMME DU PIRE
D.BEREHULAK/GETTYIMAGES/AFP
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d’âme professionnels. Sans
toujours mesurer la portée
deleursconfidences.Unlieu-
tenant de police a ainsi fait
l’objet d’une enquête admi-
nistrative pour avoir quali-
fié de « tyrannique » une de
ses supérieures sur sa page
Facebook… « Il y a des gens
qui sautaient au plafond au
moment du débat sur le fi-
chierEdvige,alorsqu’ilsfour-
nissent eux-mêmes des in-
fos sensibles sur les réseaux
sociaux ! » s’exclame Alex
Türk, le président de la Cnil
(Commission nationale de
l’informatique et des liber-
tés), qui se bat pour que Fa-
cebook protège davantage
les données personnelles de
ses utilisateurs et n’en fasse
pas un usage commercial.
Pas évident, lorsque l’on sait
que le droit américain, dont
relèvelesite,auneapproche
de la vie privée différente
decelledudroiteuropéenet
que Mark Zuckerberg, son
créateur, considère qu’il
s’agit là d’un concept rin-
gard… Comme pour enfon-
cer le clou, le réseau a ré-
cemment essuyé une faille
de sécurité qui a donné ac-
cès aux discussions privées
de ses membres !
Un formidable vecteur
de sociabilité
Il ne faudrait pas pour au-
tant jeter Facebook avec
l’eau du Net. « Au regard du
nombre d’inscrits, la quan-
tité de faits singuliers reste
dans la norme de ce qui ar-
rive dans la vraie vie so-
ciale », note Dominique
Cardon, sociologue au labo-
ratoire des usages d’Orange
Labs. Le site est un formi-
dable vecteur de sociabilité
qui « permet de garder en
mémoire des personnes et
desviesqu’onoublieraitsans
cela », relève-t-il aussi. La
plate-formesertdecaissede
résonanceàdescombatsas-
sociatifsethumanitaires,dé-
veloppe la créativité, fédère
les passionnés. Elle fait éga-
lement office de relais d’in-
formation et d’agence pour
l’emploi. « C’est grâce à ce
site que j’ai appris la mort
de Michael Jackson et que
j’ai su qu’un poste était dis-
ponible dans une entre-
prise»,sesouvientCaroline,
une trentenaire parisienne.
Et puis, il y a du « doudou »
dans Facebook. « Quand on
a 500 amis, on trouve tou-
jours quelqu’un qui pense à
vous, même un peu, analyse
le psychanalyste Serge Tis-
seron (Virtuel, mon amour,
Albin Michel). C’est une ma-
nière de se rassurer. » Pour
les ados mal dans leur peau,
la plate-forme peut aussi
constituer un moyen de
« sortir d’un milieu étouf-
fant, renchérit le sociologue
Stéphane Hugon. Ces ré-
seaux permettent de re-
construire une relation so-
ciale sans le corps, sans se
voiretsansêtrejugé».Avant
de diaboliser Facebook,
mieux vaudrait donc
d’abord informer les utili-
sateurssurlanature,lefonc-
tionnement et les risques de
ceréseaupluscomplexequ’il
n’en a l’air. Un « Code de la
route du Web » qui reste
encore à inventer.
● NATACHA CZERWINSKI
Voir aussi la chronique de David
Abiker en page 99.
FACEBOOK EST-IL DANGEREUX ? RÉAGISSEZ SUR WWW.LEXPRESS.FR
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Un amnésique
n’a aucun
souvenir(page 282)
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