Le secteur à but non lucratif (via les communaux collaboratifs) va devenir le système économique porteur, créateur d'emplois.
L'Entreprise sociale, génératrice d'amélioration de bien-être ("faire du bien" et non "bien gagner"), sera le lien de solidarité et de confiance forgé par les partenaires collaboratifs avec la population locale.
La politique sociale francaise tiraillée de toutes parts !
Le Tout Gratuit - Une démarche d'économie circulaire
1. etsitoutdevenaitgratuit…
Boutiquessans
argent,boîtesàlivres,
café«suspendu»
pourleclientsuivant…
Laculturedudonse
développe.Entrerejet
dugaspillageetélan
desolidarité
ENQUÊTE
S
ur chaque rayonnage,
vaisselle, petit électromé-
nager, jouets pour en-
fants, une grosse éti-
quette indique le prix. « Zéro
euro. » Pourtant, cela ne rate ja-
mais. Les nouveaux clients po-
sent la question, comme si leur
cerveau ne pouvait intégrer l’in-
formation : « Et ça, c’est com-
bien ? » C’est gratuit, doit répon-
dre Debora Fischkandl toute la
journée. Gratuit et déroutant.
Au début de l’été, la boutique
sans argent a ouvert avenue Dau-
mesnil, à Paris. Chacun peut y ve-
nir et prendre ce qui lui fait envie.
Inutile de brandir un justificatif
de chômage ni même de déposer
un objet en échange. « La généro-
sité est contagieuse », lance en
souriant Mme Fischkandl, la créa-
trice de cet espace de dons entre
particuliers. Visiblement dotée
d’une confiance en l’humanité
aussisolidequesessoutiensinsti-
tutionnels (région Ile-de-France,
mairiesdeParisetdu12e arrondis-
sement, qui prête le lieu), l’an-
cienne chargée de communica-
tion dans l’associatif n’a observé
« aucunerazzia »depuisl’inaugu-
ration.
Un mariage à zéro euro
Devant le portant à vêtements
adultes, Béatrice Lanouar hésite,
chemisier tendu à bout de bras,
comme s’il allait lui coûter une
fortune. La quinquagénaire sem-
ble jouer à la cliente, ce qu’elle n’a
plus guère le loisir d’être avec son
emploiaidéà570eurosmensuels.
« Je prends ce qui me plaît, c’est un
bonheur ! Personne ne m’a jamais
rien donné. Mais si je ne porte pas,
je ne garde pas, il ne faut pas abu-
ser de la générosité des gens. » A
son arrivée, elle s’est empressée
de déposer sur le comptoir un
soutien-gorge acheté quelques
euros en promotion. Trop grand,
une autre en profitera.
C’est à Mulhouse (Haut-Rhin),
en 2010, que s’est créé le premier
Magasin pour rien associatif,
d’inspiration allemande. Paris et
Rennes ont emboîté le pas. Un in-
dice, parmi tant d’autres qu’il
n’est pas possible de lister, de l’ac-
tuelle floraison d’initiatives ayant
la gratuité pour principe. Un jour,
l’œil est attiré par une énigmati-
que ardoise accrochée au mur
d’un bistrot : « 3 cafés suspen-
dus. » Et le serveur d’expliquer ce
système tout récent en France :
payez votre café le double de son
prix, vous en offrirez un au client
suivant,quin’enapaslesmoyens.
Fred Machado, le patron de Chez
Fred, à Bordeaux, est un con-
vaincu. « Ce ne sont pas les clo-
chards qui en profitent, eux veu-
lent des bières. Plutôt les étudiants
et les retraités en fin de mois. C’est
sans abus, une fois de temps en
temps. Et mes clients adorent. Ils
font une bonne action pour
1,50 euro. »
Après les cafés, des commer-
çants solidaires, un peu partout
en France, se sont mis à « suspen-
dre » des baguettes, des repas et
même des coupes de cheveux.
CoffeeFunders, la plate-forme In-
ternet qui les recense, fait état
d’une progression constante.
« Pourtant, c’est compliqué pour
les gens d’accepter quelque chose
de gratuit. Le processus d’échange
est bien plus ancré dans les
mœurs », témoigne Madeline
Da Silva. Depuis un an, elle œuvre
pour faire des Lilas (Seine-Saint-
Denis), commune dont elle est
conseillère municipale, la pre-
mière « ville suspendue ». Sept
commerces ont déjà joué le jeu,
au moins un temps.
Latrentenaire,mèrededeuxen-
fants, sort éreintée de l’organisa-
tion de son mariage collaboratif –
fleuriste, DJ, styliste et photogra-
phe ont accepté que les futurs
époux ne les rémunèrent pas en
argent, mais en travaillant sur
leur stratégie de communication.
Preuve par le champagne que « la
gratuité est possible partout,
même dans ce domaine de dépen-
ses à tout-va ». « On ne peut plus
faire l’impasse sur cette économie
circulaire, l’attente est trop forte,
poursuit Madeline Da Silva. Tout
le monde achète désormais des vê-
tements de seconde main, ce n’est
plus réservé aux pauvres, ce n’est
plus plouc. C’est celui qui achète
plein pot qui l’est ! Il se passera la
même chose avec la gratuité. »
Etapesuivante,encetterentrée :
installation d’une boîte à dons
dans un parc public. Imaginez
une sorte de grosse cabine télé-
phonique en matériaux recyclés.
Des petites étagères, des patères
accueillent tout ce qui encombre
les appartements urbains. Libre à
chacun de se servir et d’apporter.
Nantes, Roubaix, Besançon,
Le Havre, Lyon ont déjà adopté le
concept inventé, en 2011, dans les
quartiers branchés berlinois. En
version plus modeste, les boîtes à
livres installées ici par des parti-
culiers, là par des associations de
quartiers (Circul’Livre) ou des li-
braires (Decitre) ont popularisé le
principe depuis une poignée
d’années.
Cafés, boîtes, armoires, et désor-
mais marchés, c’est l’effet boule
deneige :des« zonesdegratuité »
(ou «gratiferias»), ces vide-gre-
niers du tout-gratuit, apparais-
sent, comme à Sarlat-la-Canéda
(Dordogne), début juillet. L’orga-
nisatrice, Nacira El Manouzi,
agent Pôle emploi, est bien placée
pour savoir que l’argent manque.
« Mais certaines personnes ont en-
vie de donner, aussi. Elles sont
payées d’un sourire, d’une discus-
sion. Leurs objets ont une seconde
vie au lieu d’atterrir à la déchette-
rie. » La planète les remercie.
Donner sans dominer
On partage graines et plants dans
des grainothèques, et même des
composteurs en pied d’immeu-
ble, on se prête les outils entre
voisins, les canapés entre voya-
geurs, on cuisine pour tous une
soupe géante de légumes récupé-
rés… Avant l’arrivée imminente
de réfrigérateurs collectifs de rue,
dans lesquels placer ses surplus.
Pour la génération coutumière
du free Wi-Fi à chaque pas de
porte, des films en streaming,
des logiciels libres et de Wikipé-
dia, la gratuité s’impose comme
une voie d’évidence qu’ont
ouverteInternetetlacriseécono-
mique et écologique.
A la Gratiferia de Sarlat, qui offre
aussi repas et spectacles, l’am-
biance n’est pas franchement mo-
rose, raconte Nacira El Manouzi.
Carceluiquivientchangesavision
de l’autre, soudain perçu comme
désintéressé. « On a besoin de cela,
de quelque chose de plus humain,
degentillesse,deresteroptimisteen
voyant qu’il y a une autre manière
de s’en sortir, par l’entraide. » « Et
les reventes sur Leboncoin ? », de-
mande-t-on. Pas majeures, et pas
graves, assure-t-elle.
Les boîtes à dons ne sont pas da-
vantage vidées d’un bloc. Ni les
fruits et légumes cultivés en com-
mun dans les interstices urbains
(par le biais du mouvement
LesIncroyablesComestibles).Une
autorégulation s’instaure. Doc-
teur en économie, Anne-Sophie
Novel voit, dans la crise, la mon-
tée des inégalités et le caractère
aisémentreproductibledecesini-
tiatives, la raison de leur succès
actuel. « A cela s’ajoute une criti-
que montante de l’économie du
partage, qui pousse à la marchan-
disation de pratiques non mar-
chandes, à vendre la moindre par-
celle de son intimité. »
Mieux. Pour l’entrepreneur so-
cial Nathan Stern, bien qu’impli-
quant contrepartie (monétarisée
ou non), l’économie du partage
« porte dans son ADN la gratuité :
c’est la marque de fabrique des
particuliers, ce petit crochet sup-
plémentaire que fait le conducteur
de BlaBlaCar qui a sympathisé
avecsonpassager,cecadeauàl’ar-
rivée dans la maison échangée par
HomeExchange ou louée par l’in-
termédiaire d’Airbnb… ».
L’essor du don vient aussi
d’unepertedeconfianceàl’égard
« des solidarités verticales, ve-
nant de l’Etat », selon Sophie
Dubuisson-Quellier, sociologue
et chercheuse au Centre national
de la recherche scientifique :
« C’est donc à chacun d’aider, de
reprendre la main. Par ailleurs, les
nouvelles formes de don permet-
tent d’éviter le contre-don décrit
par Marcel Mauss et Pierre Bour-
dieu. Donner est une forme de do-
mination puisqu’on prend l’ascen-
dant sur une personne redevable.
POUR LA GÉNÉRATION
COUTUMIÈRE DU FREE
WI-FI, DES FILMS EN
STREAMING, DES
LOGICIELS LIBRES ET DE
WIKIPÉDIA, LA GRATUITÉ
S’IMPOSE COMME
UNE VOIE D’ÉVIDENCE
Là, c’est anonyme, déconnecté
dans le temps, on se débarrasse de
cette dette. »
Les militants anarchistes, d’ex-
trême gauche et/ou écolo-dé-
croissants en lutte contre la ty-
rannie de l’argent, les fouilleurs
de poubelles au « régime déché-
tarien » sont rejoints par les
24 millions de visiteurs annuels
du site de consommation res-
ponsable ConsoGlobe, dont le
service le plus fréquenté est celui
du don entre particuliers – une
caverne d’Ali Baba pour amateurs
de chatons, rollers, cuisinières,
cuves à fioul et Seat Ibiza. Par les
53 000 membres français du ré-
seau mondial (de 7 millions
d’inscrits) Freecycle, aussi. « Don
après don, nous changeons le
monde », promet-il.
Les élus locaux, eux, ont encore
du mal à intégrer cette mutation.
Quand,àlafinde2014,AmélieAl-
lioux, 29 ans, architecte de mé-
tier, a installé bénévolement la
première boîte à dons dans un
quartier populaire de Nantes, le
plusinquietaétél’und’entreeux.
« Et si quelqu’un vole, qu’est-ce
qu’on fait ? » p
pascale krémer
annoté ERIC LEGER
DIMANCHE 6 - LUNDI 7 SEPTEMBRE 2015
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