1. LA PAROLE AUX ÉTUDIANTS
Quatre visions d’avenir pour la France
Comme chaque année, La Tribune reproduit ici quatre des meilleures « copies » proposées par
des étudiants dans le cadre du concours « La parole aux étudiants » dont le jury est présidé par Erik
Orsenna. Cent étudiants de partout en France, âgés de 18 à 28 ans, ont participé à l’exercice, et leurs
contributions et réflexions feront l’objet de la session d’ouverture des Rencontres, vendredi 1er
juillet.
BASTIEN CUEFF, Sciences Po Paris
Former un peuple d’experts-citoyens
La remise en question de l’État et de la
politique par la nouvelle génération est
une aubaine pour la France.
Ma génération est une génération définie
comme « postmoderne ». Elle
fait face à des défis sociaux,
économiques, politiques,
sociétaux et moraux
sans précédent. On
peut distinguer deux
traits propres à ma
génération. Tout
d’abord, elle a des
valeurs, ensuite elle
est réaliste, voire prag-
matique.
Ma génération est une
génération stoïque. Nous
nous adaptonsaux différentes
attentes sans pour autant renier
nos valeurs. Nous acceptons ce qui nous
semble convenable et ce qui est dans
notre intérêt. Nous sommes guidés par
nos valeurs. Celles-ci sont centrales dans
nos vies carelles vont façonner notre par-
cours personnel et professionnel. Mes
valeurs seront forcément différentes de
celles d’un autre individu. Pour autant,
nous vivrons ensemble parce que même
avec des valeurs différentes, nous avons
une philosophie de vie qui nous réunit :
nous sommes entrepreneurs de nos vies
et nous comprenons que chacun ait une
envie d’entreprendre différemment.
Contrairement à ce que disent les dis-
cours de méfiance et de scepticisme vis-
à-vis de ma génération, nous vivons dans
une société qui tend à devenir anomique.
Dans ce contexte, nous inventons, nous
recréons et adaptons nos propres valeurs
à nos attentes. Cependant, à l’inverse de
nos pères, ces valeurs ne sont pas celles
de la société dans son ensemble,
ce sont des valeurs indivi-
duelles. Et nous n’avons
que faire des considéra-
tions de nos parents.
Grâce à ces valeurs,
nous devenons entre-
preneurs de nos vies.
Parceque nous savons
que rien ne nous sera
donné, qu’il faudra
tout prendre pour s’ac-
complir. Il est également
important de souligner ce
mot « s’accomplir », car avant
de réussir, ma génération aspire à
s’accomplir. Nous voulons être enconcor-
dance avecnous-mêmes et celaavant d’af-
ficher une pseudo-réussite socialement
valorisée.
UNE TENDANCE
À L’HYPER-RÉALISME
Ma génération est plus que jamais
consciente du monde dans lequel elle vit
et comment entirer le meilleur. Internet
et les nouveaux moyens de communica-
tion ont fait denous une génération ultra-
connectée et ultra-savante. Contraire-
ment à ceque l’on peut dire denous, nous
avons le savoir et la connaissance,non en
tête mais à portée de main. Nous sommes
dans une ère de surinformation où cha-
cun d’entre nous, d’un bout à l’autre du
monde, sait ce qu’il se passeà n’importe
quelle heure et n’importe où sur Terre.
Ces possibilités, ouvertes par Internet,
créent un nouvel individu, un citoyen
savant, un expert-citoyen. Et c’est ce phé-
nomène qui rend la gouvernance par un
État de plus en plus difficile. Lorsque l’on
a les débatsà portée d’oreille, lorsque l’on
a des sources comme Wikileaks qui font
scandale et permettent de remettre en
question la légitimité de nos institutions,
on ne pense pas de la même manière.
On a une tendance à l’hyper-réalisme.
Lorsque j’utilise mon smartphone, je sais
que je suis potentiellement écouté. Jesais
également que je laisse des traces. Donc
nous sommes demoins en moins surpris
et de plus en plus pragmatiques dans
nos choix de vies. Finalement, Internet a
mené à l’autonomisation del’individu. Ma
génération n’a plus besoin de personne,
parce qu’elle peut penser par elle-même,
discuter par elle-même, s’informer hors
des canaux classiques (télévisions, radio,
journaux…) et agir par elle-même.
C’est finalement cette autonomie qui
nous entraîne à questionner l’État et ses
institutions. Nous avonsnos valeurs,nous
sommes autonomes et entrepreneurs
de nos vies. Et surtout, nous avons des
outils qui permettent deprendre part aux
débats, nous ne sommes pasune généra-
tion ignorante. Donc face à ce constat, la
question qui demeure ensuspens est celle
du rôle de la France face à cette nouvelle
génération.
FOCUS RENCONTRESÉCONOMIQUESD’AIX-EN-PROVENCE
Tous droits de reproduction réservés
PAYS : France
PAGE(S) : 23,24
SURFACE : 180 %
PERIODICITE : Hebdomadaire
DIFFUSION : 192749
1 juillet 2016 - N°177