Pour Curiouser, Anthony Mathé, Docteur en sémiotique et Communication est venu, lors de Digital + Humanities 3, donner une approche sémiotique de l'innovation et du digital.
3. COMMENT PENSER L’INNOVATION ?
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Dire l’innovation et faire de l’innovation : voici deux questions distinctes, qui
seront traitées successivement, mais qui doivent se recouper pour élaborer
une stratégie de communication efficiente.
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Pour le sémiologue, « comment penser l’innovation ? » devient « comment
analyser l’innovation en termes de langage et de sens ? ».
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Penser l’innovation, ça veut dire savoir l’analyser. Et là, il faut un point de vue. Ce n’est pas
en tant qu’expert de l’innovation ou du digital que je parle, mais en tant que spécialiste du
sens et des langages.
L’innovation digitale – ou plus généralement l’innovation sur le digital et dans notre société –
produit du sens, des effets de sens, elle participe à des récits ; dès lors, ce point de vue
spécifique du sens construit permet de porter un regard nouveau sur l’innovation et le digital.
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4. COMMENT PENSER L’INNOVATION ?
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Dans le cadre de ce bref exposé ouvert au dialogue avec vous ce soir et d’abord
avec Alexis à mes côtés, j’ai trois choses à partager en l’occurrence :
1.
Pour ouvrir : une analyse du mot « innovation » et de ses usages dans notre société et dans
les univers du digital.
2.
Pour cadrer : une typologie sémiotique des formes d’innovation pour expliciter selon quelles
modalités le sens peut être construit. Une typologie n’est pas une fin en soi, mais un moyen
de s’armer pour analyser une hétérogénéité de pratiques.
3.
Pour répondre à vos attentes : un regard sur les innovations digitales à partir d’un corpus
élaboré en collaboration avec la team de Curiouser. Comme vous le verrez, j’ai pris le parti
à chaque fois de confronter un exemple digital avec un exemple non digital.
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5. 1.
Un mot
Les usages
contemporains du mot
« innovation »
2.
Des procédés
Typologie
sémiotique des
formes d’innovation
3.
Des pratiques
digitales
Regards croisés
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6. 1. LE MOT
Les usages contemporains du terme « innovation »
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7. Le mot « innovation » – Petite anecdote
liminaire…
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En même temps que la table ronde, se tenait la remise des prix de l’innovation de la mairie
de Paris au palais Brognard. Sauf erreur de ma part, je n’ai trouvé nulle définition claire, mais
une accumulation de manifestations possibles, par exemple, pour ce qui est de l’innovation
digitale et numérique, pas moins de 21 catégories , dont :
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La numérisation de données
La gestion des contenus : pré- et post-traitement des données…
La production de e-contenus
L’édition numérique
Culture Presse Media
Le communautaire
Les nouveaux média, etc…
Comme nous le verrons, l’absence de définition comme l’accumulation des catégories ne sont pas des
faits anodins et nous donne une information de taille : « innovation » est un terme englobant, positif,
socialement. valorisé et qui pose la question du devenir (« …dessiner la ville de demain »).
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8. Le terme « innovation » en question
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En langue, selon les dictionnaires et les usages triviaux, il importe de faire la différence
entre l’innovation en tant que processus et les innovations en tant que résultats,
produits, procédés, etc.
•
Comme indiqué dans le schéma qui suit, une triangulation peut être identifiée entre
trois termes clefs caractéristiques de la sémantique de l’innovation : « nouveauté »,
« inventivité », « changement ».
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Les tenants et les aboutissants de l’innovation apparaissent clairement : l’innovation en tant
que processus génère des innovations, procédés nouveaux et inventifs qui changent la
donne.
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9. Le terme « innovation » en question
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Notons un problème ici en ce qui concerne les imaginaires linguistiques de l’innovation :
la question de la technologie apparaît vite centrale, si ce n’est cruciale et écrasante.
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Dans les faits, on note une réduction sémantique, un raccourci qui a souvent lieu : on
rabat l’innovation sur la technologie. C’est alors le terme technologie qui prend le pas.
•
Or ce n’est pas parce que c’est souvent le substrat de l’innovation que la technologie
doit passer pour centrale dans la façon de penser l’innovation en tant qu’objet de sens.
Du point de vue de sa compréhension, l’innovation ne doit pas être réduite à la
technologie.
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10. Le terme « innovation » : une sémantique en langue
placée sous le signe de la « modernité »
« produit innovant et
original »
« NOUVEAUTÉ »
« innovation technologique »
CREATIVITÉ
ORIGINALITÉ
DISTINCTION
« INVENTIVITÉ »
« innovation rupturiste »
RUPTURE
DISCONTINUITÉ
AVANT-GARDE
PROCESSUS
TECHNOLOGIE
DEVENIR
« CHANGEMENT »
« démarche innovante »
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11. Le terme « innovation » en question
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En contexte de communication, sur la base des corpus étudiés, deux constats ressortent
quant à la valeur communicationnelle et sociale du terme « innovation » :
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Un signe de modernité qui permet de créer du désir mercantile :
• un argument proprement publicitaire qui fonctionne comme une étiquette désignant une
simple nouveauté produit.
• « innovation » en publicité fonctionne comme une étiquette, à l’instar de « nouveau », qui
est un appel au désir du consommateur. On explicite la nouveauté, on interpelle. Et bien
souvent, ce n’est pas bien différent sur le digital.
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Un signe de dynamisme qui permet d’exprimer le leadership :
• un argument corporate qui porte sur une dynamique d’entreprise et une innovation
entendue au sens de processus.
• « innovation » dans le discours corporate des entreprises touche à l’expression d’un
leadership : l’entreprise cherche ainsi à suscite de l’adhésion auprès de ses parties
prenantes, c’est une façon de présenter l’entreprise dans sa dynamique et de la tourner
vers son devenir ; l’innovation touche ainsi au dynamisme et à la croissance.
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12. En publicité, un signe de modernité :
« la nouveauté » comme moteur du désir
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13. En communication, un signe de dynamisme :
« l’inventivité », un facteur de croissance
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14. Au final, des usages digitaux entre publicité et
technoscientisme dans la lignée des autres pratiques
communicationnelles : « être résolument moderne »
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15. 2. LES FORMES D’INNOVATION
Typologie sémiotique de l’innovation
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16. Au-delà des usages stéréotypés du mot, le
processus d’innovation en question
•
La définition en sémiotique de l’innovation, proche d’autres théories issues des sciences
humaines et sociales, envisage l’innovation en tant que processus et en tant que procédés –
sous un angle précis :
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•
Cette définition paradoxale qui souligne la question de l’écart et l’émergence de
l’inattendu, souligne également la nécessité d’appréhender l’innovation à partir de la notion
de paradoxe.
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–
•
l’innovation est une solution nouvelle à un problème qui n’avait pas été formulé tel quel.
L’innovation invente la réponse en même temps que la question.
L’innovation est une forme de nouveauté tout à fait spécifique, elle se présente d’une certaine
façon comme le langage poétique : elle est un écart à la norme qui réinvente la norme.
Cet écart ne crée pas simplement de la différence, comme pour une nouveauté produit. Il crée
de l’inédit et de la surprise en jouant précisément sur les cadres, sur les catégories, tout autant
que sur le contenu, si ce n’est plus.
Je parlais de paradoxe, précisons : les innovations (procédés) si nouvelles soient-elles, ne
durent pas, elles rentrent dans les normes et se banalisent.
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17. Au-delà des usages stéréotypés du mot,
l’innovation s’analyse en tant que processus
Vers une définition sémiotique :
L’innovation est une solution nouvelle à un problème qui
n’avait pas été formulé tel quel.
Son importance réside dans son impact sur l’évolution des systèmes de valeurs au
sein de la société, bien plus que dans son contenu même.
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18. Au-delà des usages stéréotypés du mot,
l’innovation s’analyse en tant que processus
Le paradoxe de l’innovation : un écart à la norme qui réinvente la norme ;
un écart qui finit par se normaliser.
Publicité erronée
pour une école de
commerce
L’innovation ne confirme pas la règle, elle la réinvente, la déplace, la modifie.
En modifiant la norme, elle marque une rupture et finit par se normaliser, se banaliser.
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19. Typologie sémiotique des formes d’innovation
INNOVATION DES
PROCÉDÉS
INNOVATION
TECHNOLOGIQUE
INNOVATION DU
DISPOSITIF
INNOVATION SOCIALE
(DITE NONTECHNOLOGIQUE)
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20. Typologie sémiotique des formes d’innovation
INNOVATION
TECHNOLOGIQUE
INNOVATION DU
DISPOSITIF
INNOVATION SOCIALE
(DITE NONTECHNOLOGIQUE)
Formulation
Algorythme
Interface
Média
Médiation
Interaction
Relation
Organisation
Réel discrétisé
Réel médiaté
Réel restructuré
Performance
Valeurs de base
(fonctionnalié)
Compétence
Valeurs d’usage
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21. Typologie sémiotique des formes d’innovation
INNOVATION
TECHNOLOGIQUE
INNOVATION DU
DISPOSITIF
INNOVATION SOCIALE
(DITE NONTECHNOLOGIQUE)
Formulation
Algorythme
Interface
Média
Médiation
Interaction
Relation
Organisation
Réel discrétisé
Réel médiaté
Réel restructuré
« INNOVATION & DIGITAL »
Un champ de pratiques à questionner à partir
des valeurs d’usage en jeu (horizontalité,
décloisonnement, transitivité, implication)
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23. Innovation du dispositif : transfert, déplacement,
hybridation, réappropriation
Le bar à ongle avec un comptoir
emprunté au domaine du bar
Burberry et un nouveau mode de mécénat et
de sponsoring : une plateforme musicale, un
média à disposition
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25. Innovation du dispositif : le positionnement innovant
de marque
Procédé de l’hybridation de deux domaines
Question stratégique : comment gérer
l’institutionnalisation et la normalisation ?
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26. Innovation sociale : la communauté comme mode
d’adhésion, le digital comme ancrage
Implication, responsabilisation
Transversalité, autonomie, décloisonnement
Fédération autour de valeurs communes
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29. Comment parler d’innovation (sur le digital) ?
•
De la même façon que dans le vrai luxe, on n’emploie pas le terme luxe, une organisation
proprement innovante peut se passer du terme innovation et déplacer le débat :
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Dire n’est pas signifier, faire n’est pas revendiquer.
Autant être pragmatique et partir des valeurs d’usage des innovations proposées (procédés)
plutôt que de leur valeur de base.
En revanche, l’enjeu communicationnel de l’innovation est tout autre et on peut identifier
quelques pistes de réflexion sémiotiques :
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La pédagogie reste la clef au niveau du discours : l’apprentissage conceptuel des catégories
en jeu doit orienter le discours de marque. Reste à identifier les paradigmes en jeu,
questionner les supports de croyance et d’adhésion.
Une approche centrée sur l’usager s’avère plus appropriée : partir du besoin, de la motivation
et du désir pour raconter l’action, non de la nouveauté.
Se tourner du côté de l’innovation de la consommation et rester à l’écoute de l’appropriation
et des demandes pour ajuster le discours comme le dispositif au fur et à mesure que
l’innovation se normalise.
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30. My contact :
Anthony Mathé Ph.D.
+44(0)7819.912.486
+33 (0)6.13.15.14.52
anthony.julien.mathe@gmail.com
www.semiolab.com