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École urbaine
de Lyon
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Janv.
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éditions
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École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
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Mars
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ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
3. École urbaine
de Lyon
Introduction
Éditorial
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(https://medium.com/anthropocene2050)
L’École urbaine de Lyon,
pour un débat public informé sur l’Anthropocène
Nous saisissons l’occasion de notre événement annuel « À l’École
de l’Anthropocène », pour lancer le premier numéro de notre magazine :
AAoo
2020. Il s’agit pour nous de continuer à développer des outils et médias
qui nous permettent de toucher le plus large public, à l’intérieur
du monde universitaire comme à l’extérieur. En 2019, l’École urbaine de
Lyon a déjà renforcé son site internet, créé une lettre d’information,
enrichi considérablement son catalogue de podcasts et, en novembre,
ouvert une plate-forme web : Anthropocene2050, destinée à accueillir
des textes scientifiques, des articles de prise de position, des notes
critiques, des vidéos, des images.
Cette plate-forme se veut multilingue, car
nous postulons que toutes les langues sont des instruments de pensée
d’égale dignité et qualité. Il nous semble que la monoculture
du globisch (l’anglais globalisé) dans les publications est aujourd’hui
une entrave à la créativité scientifique dont nous avons besoin.
De même que nous devons veiller à ce que la biodiversité soit maintenue
et même accrue dans les écosystèmes, la diversité linguistique et
culturelle est une ressource essentielle et la recherche doit contribuer à
son maintien (et au développement des compétences de traduction),
comme elle devrait au demeurant assumer la pluralité des modes
d’expression du savoir. C’est la raison pour laquelle l’École urbaine de
Lyon place au centre de son fonctionnement la volonté de varier
systématiquement les propositions scientifiques.
L’édition 2020 de « À l’École de l’Anthropocène »
en sera le parfait témoignage. Nous y programmons des cours publics
(sept seront lancés car nous voulons redonner de la légitimité
à cette forme de transmission qui est aussi une expérience de pensée
et une manière unique de la partager avec quiconque le souhaite),
des conférences, des tables-rondes, des séminaires de recherche,
des ateliers pédagogiques innovants, des expérimentations collectives,
des propositions artistiques. Nous multiplions ainsi les plaisirs de
la réflexion et de l’échange argumenté sans exclure l’émotion qu’on peut
ressentir devant les œuvres et les idées ! C’est aussi une occasion
de continuer de faire vivre ce lieu de partages et d’expériences qui est
devenu depuis l’été 2018 et pour quelques mois encore notre siège :
Les Halles du Faubourg, que nous sommes très heureux de mettre
en valeur avec nos partenaires de la Taverne Gutenberg, d’Intermède,
des Ateliers La Mouche et de Frigo&Co.
Géographe,
directeur de l’École urbaine de Lyon
Michel Lussault
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
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École urbaine
de Lyon
Page A4Introduction
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18.07.19
Notre visée est bien d’offrir une « école » universitaire
originale, ouverte à tous et à toutes, dans une perspective affirmée
d’université populaire, où la science de la meilleure qualité rencontre
les publics les plus variés qui apportent eux-mêmes leurs contributions
et leurs approches. Le magazine AAoo
2020 se veut l’expression de notre
démarche et ce premier numéro présente quelques-uns des chantiers
que nous avons lancés depuis la création de l’École urbaine de
Lyon, fin 2017. Il propose quatre sections qui recouvrent nos principaux
champs d’activité. On y trouvera des textes repris de nos autres
supports, des articles inédits, des photographies, ainsi qu’une
conversation avec le néolithicien Jean-Paul Demoule.
In fine, nous espérons que AAoo
2020, conçu comme une
série de cahiers séparables, coédité avec les Éditions deux-cent-cinq,
rendra compte de notre exigence : l’École urbaine de Lyon entend
contribuer pleinement à la mise en œuvre du débat public informé,
indispensable si nos sociétés veulent être capables d’affronter
les questions redoutables posées par le changement global.
Alors que nous nous interrogeons de plus en plus
sur l’habitabilité future de la terre, sur les conditions justes et éthiques
de mise en œuvre des stratégies de réorientations écologiques de
nos cohabitations, il est crucial de faire connaître les réalités
anthropocènes, d’analyser les dynamiques à l’œuvre, notamment
celles liées à l’urbanisation et de mettre en discussion ce qui peut
guider notre action collective.
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Juil.
Août
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de Lyon
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École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
8. École urbaine
de Lyon
Introduction Page A8
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Introduction
Expérience du lieu
en 2019 : les Halles
du Faubourg
Photographies :
Adrien Pinon
A1 – A4
L’École urbaine
de Lyon, pour un débat
public informé
sur l’Anthropocène
Michel Lussault
A5 – A7
Formation /
Recherche /
Formation
par la recherche /
Recherche action
Nous devons tenter,
à l’aide de notre
créativité et de notre
sensibilité, de sortir
des institutions
connues afin d’aborder
les multiples
dimensions
de l’Anthropocène
Debora Swistun
B1 – B2
Spécialistes de biologie
moléculaire, désormais,
nous mènerons aussi
une recherche-action
sur l’anthropocène
Mathilde Paris
Bastien Boussau
B2 – B3
Notre maison brûle,
faisons un doctorat.
Une formation
doctorale
transdisciplinaire,
collective,
professionnelle et
créative
Jérémy Cheval
Lou Herrmann
B2 – B8
Le cycle
de master class
doctorales de l’École
urbaine de Lyon :
Éditorialiser
les sciences à l’ère
anthropocène
Lucas Tiphine
B6 – B7
Publications /
Dissémination
Avant / après la fin
du monde.
Mathieu Potte-
Bonneville
C1 – C4
Bienvenue(?)
dans l’ anthropocène !
Michel Lussault
C5 – C8
Les liens ville-
campagne réinterrogés
à travers les nouvelles
préoccupations
alimentaires urbaines
Claire Delfosse
C9 – C10
Lectures
anthropocènes 2019
C11 – C12
« Dessiner une terre
inconnue »,
une géo-esthétique
de l’ anthropocène
Michel Lussault
C13 – C15
Souffrances spatiales
Lucas Tiphine
C16
Mise en débat public :
les Mercredis
de l’Anthropocène
L’impact
des ressources
naturelles
sur le développement
Mathieu Couttenier
D1
Design,
démarche artistique
et anthropocène
Gwenaëlle Bertrand
Anne Fischer
D2 – D3
Apprendre
à reconnaître
ses limites : un défi
pour l’Humanité
Bruno Charles
Natacha Gondran
D3 – D4
Quelle morale
pour les restes
Nathalie Ortar
Élisabeth Anstett
D5
La microbiologie
urbaine : un champ
d’investigation
en émergence
Benoît Cournoyer
Laurent Moulin
Jean-Yves Toussaint
Rayan Bouchali
Claire Mandon
D6 – D8
À l’École
de l’Anthropocène
Programme 2020
Relation à la création :
Valorisation /
Dissémination /
Exposition
9ph / Prix de la Nuit
de la photographie
2018 : Kola
Céline Clanet
E1 – E12
9ph / Prix de la Nuit
de la photographie
2019 : Missing Migrants
Mahaut Lavoine
E13 – E20
Arkadi Zaides,
de Talos à Necropolis
Alfonso Pinto
E21 – E22
Borderline(s)
investigation #1,
une enquête édifiante
sur les limites
du monde
et son effondrement
de Frédéric Ferrer
Alexandra Pech
E22 – E23
Enquêter, enquêter,
mais pour élucider
quel crime ?
Camille
de Toledo
E24 – E25
Le Néolithique, matrice
de l’Anthropocène ?
Jean-Paul Demoule
et Michel Lussault
E25 – E33
Des Milliers d’Ici,
atlas de lieux infinis
Encore Heureux
Architectes
École urbaine
de Lyon
E34 – E38
Machina Vitruva
Jindra Kratochvil
Hervé Rivano
Lou Herrmann
E38 – E40
ISBN978-2-953463-51-4
ÉcoleurbainedeLyon
Prix :10 €
ISBN978-2-919380-30-5
Éditionsdeux-cent-cinq
ISSNencours
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10. École urbaine
de Lyon
Page B2Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
b
exemple par la baisse des impôts pour les
plus aisés). On peut y ajouter les notions
d’injustice environnementale et de racisme
environnemental. Mais les conflits environ-
nementaux latino-américains présentent
aussi une certaine spécificité et leur étude
a permis, en tout cas en ce qui concerne
mon travail, l’émergence de concepts plus
locaux comme la confusion toxique. Nous
avons proposé ce concept avecJavierAuye-
ro dans notre ouvrage Inflamable. Estudio
del sufrimiento ambiental (Editorial Paidós,
BuenosAires, 2008, paru également en tra-
duction anglaise chez Oxford University
Press, 2009) pour décrire de manière syn-
thétique l’expérience de la gestion des pol-
lutions environnementales et des discours
qui cherchent à y donner du sens dans le
quartier de Villa Inflamable (aire urbaine
de Buenos Aires), qui se trouve à immédiate
proximité de l’un des plus grands centres
pétrochimique argentins. La confusion
toxique (confusion toxica) est le résultat du
processus social de production de doutes
et d’incertitudes quant à la multiplicité des
effets des activités industrielles sur l’air, le
sol, l’eau et les corps. C’est un processus de
collaboration non intentionnelle entre les
acteurs du site parmi lesquels les résidents,
les médecins, les enseignants, les avocats,
les employés des compagnies pétrolières,
les fonctionnaires publics, etc.
La plupart des peuples autochtones
parlent d’une histoire cyclique du cosmos,
de la « nuit obscure » [noche oscura] et de la
rébellion des objets qui surviendra si nous
ne changeons pas notre mode actuel de
consommation de ce qui est sur Terre. Le
« bien-vivre » [buen vivir] et/ou « ksumay
kausay » a été bouleversé radicalement
pour tous les êtres vivants. Mais il est aussi
devenu un horizon qui guide les actions de
nombreuses organisations sociales, car
l’empreinte écologique de l’urbanité s’ob-
serve partout, et notamment dans les es-
paces ruraux qui sont connectés aux zones
urbaines.
Justement, quels sont les problèmes et
les études de cas en Argentine qui pour-
raient, selonvous, alimenterune théorie
générale de l’Anthropocène ?
Si l’on se place dans le cadre d’une
approche géopolitique, il est pertinent de
faire référence à plusieurs sujets : les dé-
placements forcés des communautés au-
tochtones devant l’extension du front agri-
cole et minier, les conflits dus à l’utilisation
du glyphosate pour l’agriculture en zone
rurale, le droit à un environnement sain,
qui est défendu dans les actions judiciaires
d’assainissement et de gestion des risques
au sein des bassins urbains et périurbains.
Il faut aussi évoquer les mouvements so-
ciaux qui se forment pour la protection et la
conservation de l’eau contre les industries
minières et les autres industries d’extrac-
tivisme, ou encore, les alternatives et les
résistances qui émergent dans ces mêmes
espaces. Il n’y a donc pas un seul et unique
Anthropocène, mais plutôt une multiplicité
de phénomènes qui suivent les dynamiques
glocales (contraction de global et local)
autour de l’exploitation des ressources na-
turelles et des pratiques d’externalisation
négative des impacts.
Continuerez-vousàtravaillerauseindes
études Anthropocène dans les années à
venir ? Et si oui, dans quelles directions ?
Mes recherches ont commencé il y a
plus de dix ans et portent sur la toxicité et
la gestion des risques technologiques dans
des zones touchées parl’activité pétrolière.
Il est le plus souvent impossible pour les ha-
bitants de ces zones de gagner en justice
pour obtenir l’assainissement du sol sur le-
quel ils vivent ou bien pour imposer un meil-
leur contrôle des émanations polluantes.
Je m’intéresse ainsi à certaines stratégies
d’adaptation alternatives, comme les mou-
vements de hacking d’informations scienti-
fiques et technologiques qui mettent à dis-
position du plus grand nombre des diagnos-
tics environnementaux les plus précis. De-
puis un certain temps, j’observe également
les conceptions alternatives d’organisation
sociale des communautés écologiques lati-
no-américaines et la manière dont cela est
liéautournantdécolonialdanslathéorieso-
ciale. Enfin, j’ai commencé à explorer les in-
terfaces art-science pour communiquer au
moyen d’autres langages les résultats des
recherches dans le domaine des sciences
sociales et de l’anthropocène. Je souhaite
ainsi penser la conception d’autres disposi-
tifs d’apprentissage favorisant un rapport
différent avec ce que nous avons construit
comme idée de nature et la possibilité de
renforcer ces dispositifs dans l’éducation
de premier, deuxième et troisième cycles.
“Spécialistes de biologie
moléculaire, désormais,
nous mènerons aussi
une recherche-action sur
l’anthropocène”
Mathilde Paris Chercheure en biologie, chargée
de recherches CNRS à l’Institut
de génomique fonctionnelle de Lyon
Chercheur en biologie, chargé
de recherches CNRS au Laboratoire
de biométrie et biologie évolutive
Bastien Boussau
Article écrit en mai 2019 Article pubié
sur Anthropocene2050,
le 30 août 2019
Dans cette tribune, Mathilde Paris et
Bastien Boussau expliquent les raisons de
leur volonté de travailler sur la probléma-
tique du changement global des conditions
de vie. En collaboration avec les services de
restauration collective de l’Université de
Lyon (Crous, Sogeres), une étudiante, dans
le cadre d’un stage financé par l’École ur-
baine de Lyon, va mesurer le bilan CO2 des
plats servis surplusieurs sites du campus et
étudierl’effet de l’affichage de ce bilan surle
choix des usagers.
Nous sommes chercheurs en biologie
et plus particulièrement en évolution, en
génomique comparative et en épigéno
mique et biologie du développement. Nous
pourrions détailler notre hyperspécialisa-
tion avec davantage de précision encore,
mais il est déjà apparent sans doute que
notre rapprochement avec l’École urbaine
de Lyon ne semble pas, à première vue,
évident. Pourtant, nous ressentons le be-
soin de sortir de notre domaine d’expertise
pour travailler sur des questions liées à la
crise environnementale et à l’épuisement
des ressources.
Jusqu’à récemment, nous étions par-
venus à combinerun haut niveau de confort
personnel, avec une conscience écologique
basée sur une connaissance superficielle
de la magnitude de la crise écologique.
Certes la banquise fondait, mais nous nous
astreignions à n’acheter que rarement des
bouteilles en plastique et prenions le train
pour nos déplacements ; donc nous consi-
dérions que nous faisions notre part. Mais
il y a environ un an, nous avons mieux pris
conscience de l’ampleurdu problème clima-
tique et énergétique par l’entremise de lec-
tures et de podcasts. De nombreux auteurs
prédisent, en effet, que même les sociétés
les plus développées pourraient, dans les
décennies, voire les années qui viennent,
changer au point que les besoins vitaux ne
seraient plus garantis pour la plupart de
leurs membres. Nous avons alors cherché à
évaluer les bases de ces prédictions en pui-
sant dans la littérature scientifique. Nous
en avons retiré la conclusion suivante : le
bon fonctionnement de nos sociétés repose
sur un ensemble de systèmes complexes et
efficaces, mais peu robustes. Ces systèmes
sont de surcroît interconnectés. La crise
Traduction de l’espagnol
(Argentine)
par Natalia D’Aquino
Révision et édition
par Julie Le Gall et Lucas Tiphine
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
11. École urbaine
de Lyon
Page B3Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
b
environnementale et l’épuisement des res-
sources vont mettre, et mettent déjà, ces
systèmes sous pression. Le risque, pour
notre génération et la génération suivante,
est suffisamment grand et probable pour
que l’on cherche à le minimiser.
Ces perspectives sombres sur le futur
nous ont d’autant plus touchés que nous
sommes parents. Notre fille aura en 2050
l’âge que nous avons actuellement (environ
35 ans) : quel monde va-t-on lui léguer ? Les
pays développés, dans leurécrasante majo-
rité, ne tiennent pas leurs engagements pris
lors desAccords de Paris de 2015 (ycompris
la France), engagements qui sont, de toute
façon, insuffisants selon de nombreux ex-
perts, notamment le GIEC. Nous avons donc
décidé de nous engager à notre niveau.
Et là, que faire ? Dans notre vie per-
sonnelle, la tentation de se préparer à
l’inévitable, de manière isolée, est grande,
mais elle n’aurait qu’un impact très limité.
Àla place, nous cherchons, comme de nom-
breux citoyens, à promouvoir une baisse
sociétale de notre empreinte environne-
mentale. Dans notre vie professionnelle,
quels sont nos moyens ? Comme la plupart
des chercheurs, nous dédions la plupart de
notre temps et de notre énergie à un travail
qui nous passionne. Notre hyperspécialité
ne risque pas d’être bien utile pour traiter
du changement global des conditions de
vie terrestre, mais nous faisons le pari que
la méthode scientifique, celle que nous ap-
pliquons au quotidien, pourrait l’être. En
effet, lorsque nous nous intéressons à une
problématique donnée, nous cherchons à
l’étudier en définissant une question pré-
cise ; nous faisons appel à des spécialistes
si la question le nécessite, car notre tra-
vail est fondamentalement collaboratif ;
nous mettons en place un protocole expé-
rimental pour répondre à cette question ;
enfin, nous analysons les résultats avec
autant d’esprit critique que possible. Cette
méthode, nous pouvons l’appliquer afin de
mieux comprendre comment nos sociétés
pourraient changer le moins douloureuse-
ment possible.
Parmi les nombreux freins qui empê
chent le changement des comportements
individuels permettant de réduire son em-
preinte carbone, nous avons décidé de
nous intéresser à l’aspect psychologique. Si
l’échelle de l’individu est loin d’être la seule
à être pertinente pour enclencher la transi-
tion radicale nécessaire pour atteindre un
mode de vie plus durable, elle reste néan-
moins importante.
Nous proposons donc d’étudier, à
l’échelle du campus de l’Université de Lyon,
le positionnement des individus vis-à-vis
des enjeux environnementaux ainsi que
leurs comportements effectifs. Un tel tra-
vail pourrait permettre de rendre plus effi-
caces les politiques publiques en les person-
nalisant, et pourrait, à terme, contribuer à
identifier les barrières économiques, géo-
graphiques ou logistiques à lever, afin de fa-
voriser les comportements les plus compa-
tibles avec les objectifs des Accords de Pa-
ris. L’Université de Lyon, constituée, a priori,
par une population assez ouverte à la mise
en place de protocoles de recherche, servi-
rait, ainsi, de terrain d’expérimentation afin
de définir les politiques à mettre en œuvre
pour que la métropole de Lyon atteigne ses
objectifs ambitieux, mais nécessaires, de
réduction des gaz à effets de serre.
Nous sommes aujourd’hui dans une
situation d’urgence qui implique des chan-
gements radicaux dans tous les secteurs
d’activité. De nombreuses manifestations,
et des articles de plus en plus fréquents il-
lustrent qu’une partie croissante de la po-
pulation en prend conscience. Le secteurde
la recherche ne sera pas épargné et devra
lui aussi embrasser des changements radi-
caux : déjà des chercheurs demandent à ce
que l’empreinte environnementale de leur
travail soit prise en compte lors de leuréva-
luation. Notre décision de dédier une partie
de notre activité de recherche à la crise
environnementale et énergétique s’inscrit
dans cette dynamique générale.
Notre maison brûle,
faisons un doctorat
Une formation doctorale transdisciplinaire, collective,
professionnelle et créative
Jérémy Cheval
Lou Herrmann
Docteur en architecture,
coordinateur du pôle formation
de l’École urbaine de Lyon
Docteure en urbanisme,
chercheure postdoctorale
et chargée de projet
à l’École urbaine de Lyon
12 décembre 2019
Dans ce contexte, l’École urbaine de
Lyon appelle à une croissance : celle des
thèses. Car la thèse est précieuse : elle
propose un temps unique de recherche, de
développement et de production d’idées.
Les doctorats se doivent d’augmenter,
d’évoluer, de s’adapter, d’expérimenter,
de sortir de leur zone de confort, de créer,
pour être à la hauteur des enjeux
anthropocènes.
L’avènement de l’Anthropocène révèle
plus que jamais notre besoin de formation,
de recherche et d’expérimentation. Pour-
tant le nombre de doctorats réduit chaque
année en France1
, le réchauffement clima-
tique continue, la fonte des glaces perdure,
les espèces restent menacées et les dé-
chets s’entassent…
Avec ses doctorant.es, l’École urbaine
de Lyon ambitionne de développer des ex-
périences de recherches en commun, de
tester des projets inattendus, de se trom-
per et de se relever, de construire et parta-
ger des idées surprenantes et riches. Avec
elles, avec eux, elle souhaite faire école pour
tous, tout au long de la vie. Car la science a
un impact fondamental sur nos vies et nos
conceptions de l’univers. Comme Galilée
a pu le dire, les découvertes scientifiques
1 En France, à la rentrée
2017, 73 508 étudiants sont inscrits
en doctorat.
Le nombre de doctorants est
en baisse continue depuis 2009.
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
13. École urbaine
de Lyon
Page B5
B
Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
2
Former des professionnels
Outre la transdisciplinarité, la for-
mation doctorale développée par l’École
urbaine de Lyon insiste sur un second as-
pect : la professionnalisation des étudiant.
es. En effet, l’issue d’un doctorat n’est pas
seulement vouée à l’enseignement et la re-
cherche8
. Et la part des doctorant.es dans
les secteurs privés, qui s’élevait déjà à en-
viron 13 % en 2017, augmente encore au-
jourd’hui.
En France, le doctorat est entré au
répertoire national de la certification pro-
fessionnelle en février 2019. Cette avancée
considérable permet de favoriser le recru-
tement des docteur.es par les employeurs
des secteurs de la production et des ser-
vices. L’arrêté du 22 février 2019 définit ain-
si de manière officielle les compétences as-
sociées à la formation doctorale. Six pôles,
appelés « blocs de compétences », y sont
inscrits.
Le premier porte sur la capacité
des docteur.es à mobiliser leur expertise
dans différents contextes et à différentes
échelles à travers la conception et l’éla-
boration de leur recherche. Le deuxième
bloc définit les compétences liées à la mise
en œuvre d’une démarche de recherche et
de développement, par les outils et le plan-
ning, mais aussi par la gestion des budgets
et des risques. Le troisième pôle porte sur
la valorisation et la diffusion des savoirs
en respect avec les principes de déonto-
logie, d’éthique, de propriété intellectuelle
et industrielle. Le quatrième bloc précise
les compétences de veilles scientifiques et
technologiques à l’international. Les deux
derniers blocs de compétences, les plus
connus du monde professionnel, portent
sur la formation et la diffusion de la culture
scientifique et sur l’encadrement d’équipes
de recherche — en d’autres termes surl’ap-
titude des docteur.es à former, encadrer et
diffuser les savoirs.
Attention, il ne s’agit pas de critères
d’évaluation des doctorant.es, mais bien de
compétences acquises au cours de la for-
mation doctorale. Dans cette perspective,
l’École urbaine de Lyon ambitionne d’appor-
teràsesdoctorant.esencontratdescontri-
butionsnovatricesdanslecadred’échanges
de haut niveau et dans des contextes inter-
nationaux. Elle leur propose, de manière
complémentaire à l’encadrement et aux
formations développées au sein des labo-
ratoires, d’agir en lien avec le monde pro-
fessionnel. Cela passe par son engagement
à accompagner les doctorant.es pour leur
montée en compétences professionnelles.
Sur le plan académique, les docto
rant.es, considéré.es comme des profes
sionnel.les de la recherche, sont ainsi invité.
es à participer à des programmes inter-
nationaux tels que le workshop organisé
pétences de diffusion des savoirs. Il s’agit de
temps de travail collectif, relativement
longs (au moins une journée) mais circons-
crits (ne débordant pas du moment en pré-
sentiel), organisés autour de la poursuite
d’un objectif précis et commun à tou.tes.
Pour sa première rencontre, le sémi-
naire avait pour objet : « Faire un journal
en un jour ». Sans entrer dans le contenu
(qui sera explicité un peu plus bas), attar-
dons-nous quelques instants sur les pré-
supposés de ce format. L’idée expérimentée
ici est qu’en sortant les doctorant.es de leur
routine de recherche individuelle et disci-
plinaire, les séminaires leur permettront
de rendre tangible la transdisciplinarité
par la mise en œuvre d’un projet commun,
à la fois un peu étranger et un peu familier.
Étranger, car l’objet ou le thème abordés
se situent en décalage vis-à-vis des atten-
dus académiques qui font leur quotidien
de recherche ; familier, car ce sont eux qui
construisent la matière mise en mouvement
lors de ces séminaires.
L’École urbaine de Lyon fait ensuite
le pari que le collectif peut exister par la
création d’un réseau entre les doctorant.
es. À terme, l’objectif est que ce réseau
soit alimenté de manière indépendante
par les étudiant.es eux-mêmes. Mais nous
ne sommes qu’aux premiers jours de cette
histoire. Aussi, et en attendant que monte
le courant, les membres de l’équipe se sont
mis en situation d’imaginer des proposi-
tions dans le sens d’une animation de ce
réseau.
De manière très simple d’abord, en
invitant les doctorant.es à partager une
interface de communication et de tra-
vail : le réseau social Trello. D’autres outils
transversaux sont également en cours de
création, et notamment une bibliographie
transdisciplinaire partagée, qui permettra
de constituer un état de l’art très large sur
l’Anthropocène mis à jour au fil de l’avan-
cement des travaux de thèse et de veille de
l’École.
Sur le fond, cette dynamique d’anima
tion passe ensuite parl’identification d’axes
de recherche convergents parmi les projets
de thèse, en écho aux autres projets de re-
cherche portés par l’École urbaine de Lyon.
Des « pôles d’intérêt », non préconçus, ont
ainsi émergé a posteriori. Quatre se des-
sinent distinctement : un pôle déchets, un
pôle périurbain, un pôle sol/agriculture/
alimentation et un pôle eau. Convaincue de
la pertinence de ces pôles pour approcher
l’urbain anthropocène, l’École décide de les
prendre au sérieux. L’objectifest désormais
de s’en saisir pour les instituer en véritables
axes de recherche.Àl’avenir, tout sera donc
fait pour donner de l’épaisseur à ces axes,
en favorisant les échanges et les projets
entre les chercheuses et les chercheurs qui
les incarnent, à travers des dispositifs qui
restent encore à inventer. De même, ces
pôles seront amenés à évoluer avec la sé-
lection des futurs candidat.es au doctorat :
soit via le renforcement d’un axe identifié
comme stratégique, soit au contraire via
l’identification d’un point aveugle (les rela-
tions humains non-humains par exemple) à
investir. En la matière, la posture de l’École
sera toujours celle de l’ouverture et de la
souplesse : sensible aux effets de conver-
gence comme au surgissement de l’inat-
tendu.
Sont ainsi amenés à se côtoyer non
seulement ces doctorant.es mais aussi
leurs directrices et directeurs et leurs la-
boratoires respectifs, habituellement très
éloignés les uns des autres, qui sont mis en
réseau grâce à l’École urbaine de Lyon : le
Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes
naturels et anthropisés (LEHNA), l’UMR
Écologie microbienne Lyon, l’UMR Envi-
ronnement ville et société (EVS), le labora-
toire Triangle, l’Institut de recherches sur
la catalyse et l’environnement de Lyon (IR-
CELYON) et le Centre for Energy and Ther-
mal Sciences of Lyon (CETHIL).
Édifier un collectif
Importante mais non suffisante, la plu-
ridisciplinarité est une étape vers la trans-
disciplinarité. Cette dernière constitue un
objectif ambitieux, qui ne se décrète pas
mais se fabrique ensemble. En la matière
l’École urbaine de Lyon expérimente. L’hy-
pothèse en cours d’évaluation est que la
transdisciplinarité doctorale passera par
l’élaboration de communs. L’École y tra-
vaille avec assiduité à travers des actions et
des programmesvisant la création d’un col-
lectif de doctorant.es. Par collectif, on en-
tend l’établissement des conditions d’exis-
tence de la rencontre entre les étudiant.es,
du dialogue, du partage et in fine du travail
en commun — nécessairement transdisci-
plinaire auvu de la diversité de leurs profils.
Sont ainsi organisés des temps collectifs
en présentiel, réunissant non seulement
les doctorant.es financé.es par l’École ur-
baine de Lyon, mais aussi les doctorant.es
associé.es7
et d’autres membres de l’École.
Dans cette perspective, une journée de ren-
trée s’est tenue début octobre 2019. À cette
occasion, les doctorant.es, parfois accom-
pagné.es de leurs directrices et directeurs
de recherche, ont présenté leur projet de
thèse. Face à une audience pour partie ex-
térieure à leur champ, contraint.es par une
consigne temporelle stricte (5 minutes d’ex-
posé), ils ont débuté l’année sous le signe de
la traduction, de la diffusion des savoirs et
de la curiosité scientifique.Au-delà de l’inté-
rêt pédagogique de l’exercice, ce fut un mo-
ment important pour le collectif doctorant.
es et l’équipe de l’École, puisqu’il a permis à
tout.es de prendre connaissance concrète-
ment — par les personnes et les sujets — de
cette diversité disciplinaire constitutive.
Un second format de rencontre a été
expérimenté en novembre 2019 : celui des
formations doctorales. Parmi elles, les pre-
mières master class « éditorialiser la sci
ence », proposées par Lucas Tiphine, visant
à mettre en situation les doctorant.es sou-
tenu.es par l’École urbaine de Lyon sous la
conduite d’intervenant.es qui se posent,
dans leur pratique professionnelle, la ques-
tion de la médiation scientifique. L’objectif
visé est de permettre aux jeunes chercheu
ses et chercheurs de développer leurs com-
7 Il s’agit des doctorant.es
qui sont financé.es par d’autres
institutions, mais dont le travail
intéresse l’École et sont à ce titre
invité.es à participer à la formation
doctorale qu’elle propose
et peuvent trouver dans l’École
un lieu de ressources
et un espace d’expression.
8 En 2017, 13 % des docteurs
travaillent dans des entreprises.
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
14. École urbaine
de Lyon
B
Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
Page B6
de doctorat est une chance, car il permet
de questionner avec les écoles doctorales
et les universités les critères d’évaluation,
les dossiers attendus et les processus ad-
ministratifs. L’École accompagne cette
première démarche complexe, en partena-
riat avec l’INSA Lyon et l’École doctorale en
sciences humaines et sociales de l’Universi-
té de Lyon. Le premier diplômé de haut ni-
veau dans le domaine de l’aménagement et
de l’urbanisme à Lyon par la voie de la VAE
va rédiger, sur les consignes de l’École, un
mémoire référent composé de deux par-
ties. D’une part, il va devoir rendre compte
d’expériences professionnelles passées, via
les canaux classiques de la diffusion des ré-
sultats de la recherche (articles, chapitres
d’ouvrages, communications…), mais aussi
à travers d’autres supports plus innovants
(documentaires, webdocs, blogs, projets…).
D’autre part, une partie rédigée permettra
d’établir un questionnement fil-rouge des
différentes productions présentées. Elle
proposera ainsi une relecture problémati-
sée des travaux du doctorant.
Par ailleurs, l’École a mis en place de façon
pionnière sur le site Lyon-Saint-Étienne,
un accompagnement de doctorat par la
validation d’acquis d’expériences (VAE). Il
s’agit ici par effet miroir de partir des com-
pétences professionnelles pour valider le
doctorat au niveau universitaire. Cette
démarche, encore trop rare, permet d’ins-
crire le diplôme de doctorat dans le cycle
des formations tout au long de la vie. Bien
qu’il s’agisse d’un des enjeux majeurs de
l’éducation au niveau national, et ce dans
toutes les universités de France, très peu
de doctorats par VAE sont délivrés au-
jourd’hui (une centaine seulement en 2017).
Ce diplôme, né du processus de Bologne, a
été intégré en France en 2002. Il fait encore
l’objet d’un grand nombre de débats et de
défiances, et de fait se développe peu. Or le
caractère expérimental de cette démarche
est au contraire considéré comme une
qualité, que l’École souhaite encourager
et porter. L’aspect innovant et encore libre
(du moins libéré d’un certain formalisme
inhérent aux thèses classiques) de ce type
à Tokyo en 2018, où masterant.es, docto-
rant.es, chercheuses et chercheurs du ré-
seau scientifique de l’École ont participé
ensemble aux échanges scientifiques de
manière horizontale. Dans le même sens,
l’École a mis en place des écoles d’hiver en
été, comme celle organisée à Buenos Aires
en juillet 2019 dans le cadre de la première
école de l’anthropocène enAmérique latine.
Sur le plan professionnel régional, la
formation doctorale de l’École s’appuie
sur sa programmation évènementielle aux
Halles du Faubourg, et notamment la se-
maine « À l’École de l’Anthropocène » orga-
nisée fin janvier et les « Mercredis de l’An-
thropocène », rendez-vous public hebdoma-
daire. Dans le cadre de ces programmes, les
doctorant.es sont ainsi amené.es à animer
des débats ou des émissions radio, à mon-
ter des séminaires et des formations. Ce
faisant, l’objectif est de faire école grâce au
vivierd’activités publiques développées par
l’École urbaine de Lyon.
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
17. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine
de Lyon
Page C1Publications / Dissémination
Quatre mots de la fin — quatre : pas un de plus.
/1 / Slash.
est une barre oblique, le segment d’une
diagonale qui court d’un point situé en bas à
gauche à un autre point, plus haut sur la droite
— une barre ascendante, donc, si l’on s’en tient
au sens de lecture. Le Français l’appelle comme
cela, barre oblique, quand l’anglais dispose d’un
mot plus bref, sifflé-craché comme un geste,
la main qui remonte et le couteau qui brille,
slash, mot que le glob- bish typographique a
donc adopté sans oublier tout à fait qu’employé comme
verbe, ce même mot sifflant-sonore nomme l’acte de fen
dre, trancher, sabrer — d’un slasher movie, de ses éclabous-
sures rouges, personne ne sort vivant, ni de la fin du
monde d’ailleurs. Le slash n’est pas un nouveau venu par-
mi les signes ; mais son usage contemporain est cepen-
dant récent et la façon dont il s’est invité dans l’ordinaire
de nos échanges et de nos textes, jusque dans ce titre
curieux sous lequel je m’in- vite, « avant/après la fin du
monde », mérite d’être in- terrogée. Hegel soutenait que les
idées qui gouvernent le monde s’avancent à pas de co-
lombes ; affligé d’une graphie pénible, je serais tenté de
penser qu’elles se présentent en pattes de mouche,
et qu’à cette aune une époque a la typographie qu’elle
mérite.
Me frappe, le fait que la fortune récente du slash se
soutient de deux utilisations principales. La première, c’est celle
que l’on trouve dans la barre d’adresse de nos navigateurs ou nos
systèmes d’exploitation ; la barre oblique vient y figurer ou y expri-
mer la relation qu’un dossier entretient avec le dossier de rang in-
férieur, indiquant ainsi le chemin à suivre dans une arborescence.
Le slash a, dans ce contexte, une signification à la fois distinctive
et hiérarchique — il sépare, relie, distribue. Or, d’un autre côté,
dans d’autres contextes, nous recourons au slash pour relier des
éléments de même rang, éléments dont nous souhaitons signifier
qu’ils sont liés ensemble par une relation de disjonction — mais
disjonction qui, fait étrange, peut être tantôt exclusive, et tan-
tôt inclusive. Autrement dit, « A/B » peut signifier « soit l’un, soit
l’autre », mais aussi « l’un, ou l’autre, ou les deux », ce qu’on appuie
parfois en écrivant « et/ou ». Il arrive donc ceci à notre langue et
à notre pensée : qu’un même signe y dit l’ordonnancement des
choses dans un emboîtement de niveaux distincts, et la façon dont
elles se présentent ensemble, se bousculent de telle sorte que, re-
nonçant à les sérier, nous les laissons affleurer en même temps
à la surface de l’écriture, battre mollement
l’une contre l’autre comme on étalerait sur un
même marbre des pâtons aux formes incer-
taines, la barre oblique intercalée entre eux
en un vague feuillet ; et ce même signe peut
vouloir dire, alors, qu’on a affaire à une stricte
alternative, c’est l’un ou l’autre, la nuit ou le
jour, la vie ou la mort, l’hiver ou l’été, avant
ou après ; ou que l’alternative s’estompe, de
sorte qu’on ne serait pas surpris ni notre slash
démenti de voir le jour et la nuit se présenter
ensemble, la vie et la mort se mêler, les gelures
de l’hiver se confondre avec le dessèchement
de l’été dans la raideur cassante d’un présent
qu’aucune alternance des saisons, aucun ba-
lancement d’avant en après n’animeraient plus
jamais.
Je voudrais seulement suggérer ceci :
écrire « Avant/après la fin du monde », ce
n’est pas céder à une facilité de présentation,
ou à une forme de paresse quand on aurait
pu assigner plus clairement et distinctement
la relation entre ces deux temps, dire enfin
ce qui se joue le long de cette barre oblique ;
c’est au contraire serrer au plus juste l’expérience dont il s’agit, la
façon dont la pensée et peut-être l’approche de la fin du monde
soumettent l’avant et l’après à la double loi de la séparation et du
mélange, comme l’entaille et l’incertitude des chairs meurtries qui
la corrompt, la trouble, la recouvre ; par exemple, quel signe, mieux
que le slash dans la double valence que je viens de décrire, pourrait
ainsi exprimer à la fois le désir un peu panique de sérier les ques-
tions et l’impuissance à les démêler, ou la nécessité de renoncer à
le faire quand elles se présentent toutes ensemble ? Au terme de
son grand livre Effondrement, sur lequel je reviendrai, Jared Dia-
mond énumère douze problèmes écologiques potentiellement
fatals puis demande : « Quel est le problème environnemental et
démographique le plus important aujourd’hui ? » Et de répondre
en indiquant ce qui lui paraît être, à lui, la plus grave des difficultés :
« Notre tendance erronée à vouloir identifier le problème le plus
important ».
/2 / Sorite.
Le paradoxe du sorite est connu, sous différentes variantes, de-
puis le ive siècle avant notre ère, où il fut énoncé par Eubulide de
Mégare. Cet argument consiste à demander : combien de grains
de sable faut-il ajouter à un grain de sable pour obtenir un tas de
sable ? (En grec, soros veut dire tas). Car enfin, un grain de sable
avant après
la fin
du monde
Danslecadredelasoirée
« Avant / aprèslafindumonde »,
Àl’Écoledel’Anthropocène,
26 janvier2019.
C’
Mathieu Potte-Bonneville Philosophe, maître de conférences
à l’Université de Lyon (École normale
supérieure de Lyon) et directeur
du département Culture et création
du Centre Pompidou
Publié sur AOC
[Analyse Opinion Critique],
le 10 février 2019
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18. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine
de Lyon
Page C2Publications / Dissémination
c
n’est pas un tas (première prémisse incontestable) ; et ajouter un
grain de sable à ce qui n’est pas un tas ne suffit pas à en faire un
tas (deuxième prémisse incontestable) ; de sorte que vous aurez
beau ajouter, un à un, autant de grains de sable que vous voudrez,
il est logiquement impossible de comprendre comment soudain,
se tient devant vous un tas de sable. C’est la même chose, mais
dans l’autre sens, avec la calvitie : retirer un cheveu ne suffit pas à
passer de l’état de non-chauve à celui de chauve, et pourtant on
dira certainement de celui qui n’a plus qu’un seul cheveu sur la tête
qu’il est chauve. Reste que ce qui apparaît empiriquement comme
un fait, le paradoxe du sorite le répute logiquement incompréhen-
sible. Cet amoncellement, ce crâne, on ne sait pas, on ne voit pas,
on ne comprend pas comment ils ont pu arriver.
Le paradoxe de Wang (du nom de Wang Yang-Ming, philo-
sophe né en 1472 à Yuyao et mort en 1529 dans le Guangji) est une
variante numérique du paradoxe du sorite. On peut l’énoncer ainsi :
1 est un petit nombre
si n est un petit nombre, alors n+1 est un petit nombre
par conséquent tous les entiers naturels sont
de petits nombres
le 17 novembre dernier ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signa-
lement — 237 » ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signalement
— 238 »…). Voyant s’élever ces chiffres, et sans que rien ne change,
je me disais ceci : dans l’Antiquité, les paradoxes servaient à attester
du divorce entre la raison et les sens — leur intérêt philosophique
tenait au scandale qu’ils font naître, dès lors que nos facultés di-
vergent, parce que nous voyons ici le tas mais que nous le jugeons
là impossible ou contradictoire, et qu’il nous faut choisir, nous de-
mander que croire. Qu’ils soient grecs ou chinois, les philosophes
n’avaient pas vu que ces paradoxes peuvent tout aussi bien sceller
une secrète alliance entre la dénégation et la gradation, les dresser
ensemble contre toute obligation d’avoir à effectuer quelque choix
que ce soit. Étrange promesse : pour peu que le tas augmente peu
à peu, nous pourrons continuer à ne pas le voir, quitte à nous y
retrouver jusqu’au cou comme Winnie dans la pièce de Beckett, Oh
les beaux jours, dont le torse seul émerge du sable ; pour peu que le
nombre n des éborgnés ou des exilés s’accroisse petit à petit, nous
pourrons continuer à le réputer petit, repoussant dans chaque cas
à l’extrémité de notre raisonnement, à la bordure de notre œil, le
scandale que nous savons bien, et la gravité de la catastrophe.
Bien entendu, cette convergence terrible où la continuité
de la mesure conspire avec notre manière de n’y déceler aucun
changement notable, aucun saut, cette convergence vaut d’abord
aujourd’hui pour le réchauffement climatique : les hypothèses
à deux degrés, trois, quatre ou cinq degrés ont beau déboucher
sur des transformations cauchemardesques dont il nous est fait
amplement récit, elles ont beau annoncer un monde dépeuplé
d’animaux, où survit un tas d’hommes et nu comme une tête, cela
ne fait rien ; si un degré est un petit nombre, comment deux ne
seraient-ils pas petits encore ?
À ce compte oui, on comprend que l’envie de trancher pal-
pite ; on saisit que si l’idée de la fin du monde insiste quelque part,
c’est davantage dans le miroitement de nos désirs, du côté de nos
fantasmes, plutôt que dans l’horizon de nos choix ou de nos res-
ponsabilités. Qu’est-ce qu’elle attend, la fin du monde ? Qu’est-ce
qu’il fout, l’astéroïde ? Si une part de la pensée politique radicale
s’est aujourd’hui rangée sous la bannière de l’imminence voire
du messianisme (comme Giorgio Agamben relisant Saint-Paul y
puisait cette promesse : « car elle passe, la figure de ce monde »,
ou comme le Comité invisible titrant l’un de ses opus d’un sobre :
Maintenant) ; si dans le même temps la collapsologie mainstream
fait florès en librairie, c’est que la part non-résignée de nous-même
rêverait d’opposer à cet enfoncement la netteté d’une date, à ces
malheurs en pente douce, à ces agonies d’opéra où la diva s’en-
nuie ferme sans cesser de souffrir, la butée d’une barre de mesure,
même oblique ; un trait, une limite, un slash.
(Voici quelque temps, c’était en novembre, je me trouvais
dans la salle de petit-déjeuner déserte d’un hôtel ; surplombant les
serviettes en papier orange, dans le silence des tasses retournées
sur leurs soucoupes, sur un immense écran plasma défilaient par-
mi les carcasses d’abribus noircies les véhicules vert pomme de la
propreté de Paris ; c’était un dimanche matin, au sortir donc de
l’acte ii ou iii des gilets jaunes, et bfm avait choisi d’inscrire au bas
de l’écran, sur le banc-titre, une légende directement empruntée
aux blockbusters post-apocalyptiques, où se lisait surtout l’exulta-
tion d’enfin y être : « Champs-Élysées : le jour d’après »).
/3 / Malheur.
Le malheur est que le malheur tarde. Le malheur est (pour re-
prendre le titre d’un film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet)
que le malheur vient trop tôt trop tard. Pas toujours, bien sûr : par-
fois, la tempête nous fait l’horreur de sa présence. Dans son beau
livre Chronique des jours tremblants, Yoko Tawada explique qu’au Ja-
pon, les jours qui suivent un tremblement de terre procurent sous
la douleur et l’affairement des rescapés un sentiment de sécurité
relative ; si éprouvantes que soient les répliques, on sait d’un savoir
immémorial qu’elles ne sauraient être aussi dévastatrices que le
séisme initial, répétitions atténuées qui repoussent dans le passé
la grande secousse ; ainsi les souvenirs pénibles ont-ils au moins
ceci d’apaisant qu’ils sont des souvenirs — la tempête est venue. Et
Combien de grains
de sable faut-il
ajouter à un grain de
sable pour obtenir
un tas de sable ? […]
il est logiquement
impossible de
comprendre comment
soudain, se tient
devant vous un tas
de sable.
J’aibeaucouprepenséauparadoxedeWangcesdernièressemaines,
cependant que s’alignaient au long de journées troublées et sem-
blables deux colonnes de chiffres sur ma page Twitter : la première
colonne recensait le nombre d’exilé·e·s repérés en Méditerranée,
les un·e·s noyé·e·s, d’autres condamné·e·s à attendre (longtemps)
qu’on veuille bien les répartir dans divers pays de l’Union euro-
péenne, d’autres encore renvoyé·e·s en Libye selon une pratique
qui peu à peu, petit à petit, paraît devenir accordée et habituelle ;
sur la deuxième colonne s’élevait comme un monument solitaire
la série des signalements dont le journaliste David Dufresne tient
le décompte sur son fil Twitter, signalement renvoyant à des bru-
talités policières tour à tour répertoriées et additionnées (chaque
post de David Dufresne est indexé par un nombre, indiquant qu’il
augmente d’une unité le total des violences documentées depuis
19. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine
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Cela fait trois jours
qu’il n’a pas mangé
Et il a beau
se répéter depuis
trois jours
Ça ne peut pas durer
Ça dure
de même Épicure et Lucrèce entendaient nous remonter le moral
avec cette pensée que la douleur est facile à supporter, car son
intensité varie en raison inverse de sa durée de sorte que lorsqu’on
a très mal, c’est très vite fini. Tu parles. Le malheur est en effet que
les fins du monde n’obéissent pas aux raisons des philosophes :
les écroulements prennent tout leur temps, transissent le temps
lui-même, on ne bouge plus. Ainsi le réchauffement climatique,
s’il multiplie les phénomènes extrêmes, ressemble pourtant moins
à la brusquerie d’un tremblement de terre qu’à un orage qui sans
craquer indéfiniment s’alourdit, nous laissant avec le genre de
frustration que procurent les éternuements s’ils s’annoncent et ne
veulent pas venir.
Pour le dire autrement, ce que la catastrophe tend à catas-
tropher, c’est la coïncidence à soi de l’événement qui permettrait
de distinguer nettement un avant d’un après : en avance ou en re-
tard sur elle-même, elle déconcerte l’ordre du temps. D’une part,
en aval ou sur sa lancée, la fin n’en finit pas, et l’expérience qu’elle
suscite obéit à la loi de ce que j’ai tenté de nommer ailleurs le
« continuel ». Je n’y insiste pas, là-dessus, Jacques Prévert a écrit
l’essentiel, en quatre vers et à propos de la pauvreté :
La fin, donc, se survit, et repousse ou retarde par là même toute
possibilité d’envisager un après ; mais symétriquement, la fin an-
ticipe sur elle-même, elle vient de plus loin, de plus haut, de plus
tôt, elle entache l’avant d’une forme de compromission qui lui ôte
toute innocence. Dans l’un des passages les plus frappants du livre
que j’ai déjà cité, Effondrement, Jared Diamond tente de répondre à
la question de l’un de ses étudiants, qui l’avait laissé coi : « Qu’est-ce
que l’habitant de l’île de Pâques qui a coupé le dernier arbre a bien
pu se dire à lui-même ? ». Et voici ce qu’écrit Diamond : « L’amné-
sie du paysage répond en partie à la question de mes étudiants
(...) nous imaginons inconsciemment un changement soudain :
une année, l’île était encore recouverte d’une forêt de palmiers,
parce qu’on y produisait du vin, des fruits et du bois d’œuvre pour
transporter et ériger les statues ; puis voilà que l’année suivante,
il ne restait plus qu’un arbre, qu’un habitant a abattu, incroyable
geste de stupidité autodestructrice. Il est cependant plus probable
que les modifications dans la couverture forestière d’année en
année ont été presque indétectables : une année, quelques arbres
ont été coupés ici ou là, mais de jeunes arbres commençaient à
repousser sur le site de ce jardin abandonné. Seuls les plus vieux
habitants de l’île, s’ils repensaient à leur enfance des décennies
plus tôt, pouvaient voir la différence. Leurs enfants ne pouvaient
pas non plus comprendre les contes de leurs parents, où il était
question d’une grande forêt (...). À l’époque où le dernier palmier
portant des fruits a été coupé, cette espèce avait depuis longtemps
cessé d’avoir une signification économique. Il ne restait à couper
chaque année que de jeunes palmiers de plus en plus petits, ainsi
que d’autres buissons et pousses. Personne n’aurait remarqué la
chute du dernier petit palmier. Le souvenir de la forêt de palmiers
des siècles antérieurs avait succombé à l’amnésie du paysage ». Le
malheur, donc, est que la fin s’éclipse deux fois, dans une affolante
superposition de l’avant et de l’après : une fois parce qu’elle ne finit
pas de finir, une autre fois (à supposer qu’un tel décompte ne soit
pas lui-même compromis, et que cette autre fois ne soit pas la
même) parce que lorsque cela finit de finir, c’était déjà fini, depuis
longtemps et d’aussi loin que l’on s’en souvienne.
Manque, encore, le régime de pensée adéquat à cet entre-temps.
/4 / Insomnie.
La gravure d’Escher intitulée « Jour et nuit » propose une variation
assez particulière du motif des figures ambiguës, qui fascinait le
graveur néerlandais. Le motif qu’elle présente, celui d’un vol d’oies
sauvages vu en légère contre-plongée et sous lequel défile un semis
de champs cultivés, est affecté d’une double ambiguïté : horizonta-
lement, on passe par degrés insensibles d’un groupe d’oies noires,
tête vers la gauche et séparées par une série de zones claires, à un
groupe d’oies blanches, tête vers la droite et que séparent des ha-
chures sombres. D’autre part, sur l’axe vertical, la gravure permet
de passer sans solution de continuité du vol des oies aux losanges
des champs, comme si leur dénivellation, elles en haut, eux en bas,
différence des plans clairement perceptible dans la partie supé-
rieure de l’image, se dissolvait dans l’aplat à mesure que l’on des-
cend. Aux angles inférieurs, deux villages se font face, dont on ne
saurait décider s’ils se disposent comme deux espaces, deux étapes
sur la route des oiseaux migrateurs, ou comme deux temps, même
église et même hameau, jour et nuit. Sur sa diagonale ascendante,
sa barre oblique, se font signe le village nettement dessiné et l’oie
la plus claire ; le tableau, on le voit, aurait pu s’intituler « jour/nuit »,
tant la géométrie qu’il déploie, cette coexistence possible d’états
qui par ailleurs s’excluent, ce surplomb avalé dans la platitude du
mélange, font écho à la logique que je tentais tout à l’heure de
décrire. Mais m’intéresse surtout la façon l’indication que donne
Escher, la piste qu’il ouvre en intitulant précisément « jour et nuit »
cette scène où l’on ne sait plus distinguer l’avant de l’après, le mou-
vement progressif et celui qui va à rebours, ni le ciel de la terre :
peut-être, suggère-t-il, pour rendre notre pensée adéquate à ce
moment si incertain où les chronologies sont brouillées, il fallait
trouver d’abord à défaire notre vigilance de ce qu’elles doit à l’alter-
nance du jour et de la nuit, du sommeil et de la veille.
Si l’on prend au sérieux le motif de « la fin du monde », on ne
peut manquer de se souvenir que le monde commence par là, sitôt
ciel et terre installés face à face — « Dieu vit que la lumière était
Escher, « Jour et nuit »,
gravure sur bois de fil,
deux planches 36 x 68 cm,
1938
20. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
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bonne, et il sépara la lumière des ténèbres/Dieu appela la lumière
jour, et les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin. Ce
fut le premier jour. » C’est à cette alternance-là, d’abord, que nous
devons de pouvoir distinguer ce qui vient avant et ce qui vient
ensuite, les veilles et leurs lendemains, le grand soir et les petits
matins. Penser « à la fin du monde », alors, en tous les sens de
la préposition, comme on pense à un certain objet mais comme
on s’installe aussi en un certain lieu, ce serait déployer une pen-
sée qui, littéralement, ne soit plus ni matinale ni crépusculaire, ni
d’amont ni d’aval, ni d’avant ni d’après. De cette question, peut-être,
de cette posture ou de cette disposition de la pensée les insom-
niaques savent quelque chose — puisqu’il est tard, qu’il fait nuit et
que je vous amuse des miettes de mes poches, vous me permettrez
de tirer une brève note du journal que je tiens de mes insomnies,
et qui m’est revenue en préparant ce texte.
2 h 08 — Au cours des nuits passées à boire, à s’aimer, à jouer
au tarot ou aux ambassadeurs, vient souvent ce moment où l’un
dit : il est tard, et l’autre corrige en : il est tôt, parce qu’on est déjà
demain et que le souligner ainsi appartient aux plaisanteries ri-
tuelles qui saluent et conjurent le plaisir pris aux transgressions
de l’ordre du jour.
(un des plus beaux films du monde en fit une chanson :
Good morning,
good mo-o-orning, we
spent the whole night
through,
good morning, good
morning, to you
).
Si la nuit blanche réconcilie le très tard et le très tôt, au contraire,
l’inquiétude liée à l’insomnie vient de ce qu’elle les congédie en-
semble, et ne saurait en toute rigueur être dite ni l’un ni l’autre :
deux heures, pour qui s’y éveille, ce n’est ni tôt, ni tard. Raison pour
laquelle l’insomniaque ruminera volontiers la vieillesse, la mort, la
rédemption ou la vengeance : elles, au moins, viennent tôt ou tard,
donnent malgré l’effroi qu’elles inspirent à la nuit l’indication d’une
issue, font repartir le temps en tirant sur son grand côté.
Relisant ceci, et songeant à nos affaires, je me disais qu’il en va
de la collapsologie comme des ruminations de l’insomniaque : elle
se figure le pire parce qu’au moins, celui-ci redonne une direction
au temps. Et je me disais du coup qu’accueillir, au contraire, cette
expérience dégagée de l’alternative du « tôt ou tard » était l’une des
tâches les plus urgentes de notre temps. Peut-être la fin du monde,
si par là on nomme d’un trait ce qui nous arrive et dont nous ne
voulons pas, a-t-elle besoin de gens qui face à cette aggravation
n’en ferment plus l’œil de la nuit.
A°2020
Coédition
École urbaine de Lyon
+ Éditions deux-cent-cinq
École urbaine de Lyon
– Université de Lyon
92, rue Pasteur
69007 Lyon — France
Éditions deux-cent-cinq®
24, rue Commandant-Faurax
69006 Lyon — France
www.editions205.fr
Directeur de la publication
Michel Lussault
Directrice éditoriale
Valérie Disdier
Ont collaboré à cette parution
A Élisabeth Anstett,
B Gwenaëlle Bertrand,
Rayan Bouchali,
Bastien Boussau,
C Bruno Charles,
Jérémy Cheval,
Céline Clanet,
Benoît Cournoyer,
Mathieu Couttenier,
D Claire Delfosse,
Jean-Paul Demoule,
Clément Dillenseger,
Valérie Disdier,
Cédric Duroux,
E Encore Heureux Architectes,
F Anne Fischer,
G Bérénice Gagne,
Natacha Gondran,
Anne Guinot,
H Lou Herrmann,
K Jindra Kratochvil,
L Mahaut Lavoine,
Michel Lussault,
M Claire Mandon,
Nancy Moreno,
Laurent Moulin,
O Nathalie Ortar,
P Mathilde Paris,
Alexandra Pech,
Adrien Pinon,
Alfonso Pinto,
Mathieu Potte-Bonneville,
R Hervé Rivano,
S Loïc Sagnard,
Alice Sender,
Debora Swistun,
T Lucas Tiphine,
Camille de Toledo,
Jean-Yves Toussaint,
W Chuan Wang
Conception éditoriale,
design graphique et réalisation
Bureau 205®
www.bureau205.fr
ISSN
En cours
Janvier 2020
ISBN
Éditions deux-cent-cinq
978–2–919380–30–5
ISBN
École urbaine de Lyon
— Université de Lyon
978–2–953463–51–4
Nos remercions AOC (Analyse
Opinion Critique), Rue89Lyon
et Tous urbains, pour avoir
accepté de republier certains
de leurs textes dans A°2020.
Diffusion/Distribution
Éditions deux-cent-cinq
Impression
Imprimerie Chirat,
Saint-Just-la-Pendue (42)
Imprimé sur des papiers
en stock et restant de précédents
travaux d'impression pour
limiter l'impact écologique de
ce support :
– Soporset Premium 135 g et 90 g
(Inapa). Certifié 100 % PEFC™.
Écolabel Fleur européenne.
Certification alimentaire ISEGA
– Nautilus Classic 120g (Antalis)
100% fibres recyclées,
Ange Bleu, écolabel européen,
FSC Recycled. À 100% à partir
de vieux papiers désencrés.
Exempt de chlore
ou de composés chlorés.
– Magno Gloss 115 g (Sappi).
ECF, FSC® Mix (FSC-C014955),
PEFC™
Typographies
Les textes ont été composés
exclusivement avec
des caractères typographiques
distribués par 205TF®
— www.205.tf — :
– Beretta Sans
– Bouclard (proch. disponible)
– Cosimo
– Heliuum (proch. disponible)
– Helvetius
– Maax Raw
– Petit Serif
– Plaak
– Robin
– Salmanazar
– Yorick
Éditer « anthropocène »
Éditer, c’est faire des choix,
prendre position, valoriser par
la diffusion, faire acte de
dissémination.
Éditer c’est aussi produire
un objet, un format, un volume,
un poids. Penser chaque
paramètre en fonction
du projet. C’est faire exister
le texte, l’image sous une
forme tangible, durable
et transmissible. Donner du
sens aux images et aux signes
qui nous entourent pour nous
rendre autonomes et citoyens.
C’est faire œuvre de création
graphique, typographique.
Éditer c’est utiliser du papier
et de l’encre, c’est transporter,
et ce sont tout autant
des personnes : des auteurs,
des éditeurs, des imprimeurs,
des designers graphiques…
des diffuseurs, des libraires,
des bibliothécaires.
À l’heure d’une planète
fragilisée, comment interroger
le processus éditorial ?
En portant une attention aux
hommes avec la recherche
de compétences qualifiées
et certifiées, une attention
aux matériaux — de la forêt
au papier, du végétal à l’encre
—, une attention générale à
l’optimisation des ressources
humaines et matérielles en
privilégiant les circuits courts
afin d’amoindrir les impacts
du transport, en imaginant
une politique éditoriale
inventive afin de limiter les
déchets.
Éditer « anthropocène »,
c’est réfléchir simultanément
à tous les aspects du
processus, tenir l’ensemble
des contraintes et assumer les
limites rencontrées. C’est le
pari engagé par l’École urbaine
de Lyon avec les Éditions
deux-cent-cinq. Ce magazine
est déjà la manifestation
de ces choix.
21. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine
de Lyon
Page C5Publications / Dissémination
c
Michel Lussault
Photo :
Earth at Night,
Asia and Australia (2016).
NASA Earth Observatory
Géographe, professeur
à l’Université de Lyon
(École normale supérieure
de Lyon) et directeur
de l’École urbaine de Lyon
Qu’est-ce que le Monde, cette réalité globale
— un espace social d’échelle terrestre —
que la mondialisation installe1
? Un nouveau
mode de spatialisation des sociétés humaines,
une mutation dans l’ordre de l’habitation
humaine de la planète, c’est pourquoi il est
judicieux d’écrire ce terme avec une majuscule,
pour réserver le mot avec minuscule à ce
qui ressortit du mondain, du social. Et cette
mutation possède une cause majeure, un
vecteur principal : l’urbanisation, tout à la fois
mondialisée et mondialisante, est la principale
force instituante et imaginante du Monde.
Instituante, parce qu’elle arrange de nouvelle
façon les réalités matérielles, humaines et
non humaines et construit les environnements
spatiaux des sociétés. Imaginante, parce
qu’elle installe les idéologies, les savoirs,
les imaginaires et les images
constitutifs de la mondialité.
Bienvenue(?)
dans
l’ an
thro po
cE ne ! Article pubié
sur Anthropocene2050,
le 27 octobre 2019
1 Voir à ce sujet Michel
Lussault, L’avènement du Monde.
Essai sur l’humanisation
de la Terre (Le Seuil, 2013)
22. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine
de Lyon
Page C6Publications / Dissémination
c
Urbanisation généralisée
l s’agit d’un phénomène dont on peut appréhender l’ampleur par
quelques données démographiques simples. La population urbanisée a
connu une croissance spectaculaire au xxe siècle, passant de 220 mil-
lions à 2,8 milliards d’habitants — quand la population totale de la terre
progressait de 1,7 à 6,1 milliards. En 1900, 1 humain sur 8 était urbain ; ils
étaient 3 sur 10 en 1950, tandis que se lançait la phase d’urbanisation la
plus puissante. En 2008, pour la première fois depuis que l’être humain
a commencé à imprimer sa marque sur la planète, plus de 50 % de la
population du globe, c’est-à-dire au bas mot entre 3,3 et 3,5 milliards de
personnes, vivaient dans des ensembles urbains. Cette barre franchie, la population urbaine
continue de croître. D’ici à 2030 toutes les régions du globe seront plus urbaines que ru-
rales, et en 2050, 70 % des 9,7 milliards d’habitants escomptés sur terre (selon l’hypothèse
médiane de l’ONU), soit 6,7 milliards, résideront dans un ensemble urbain : l’Asie accueillera
alors plus de 50 % de la population urbaine mondiale et l’Afrique 20 % ! Alors qu’en cent cin-
quante ans (1900–2050), la population mondiale aura été multipliée environ par 6 — ce qui
est déjà considérable —, la population urbaine l’aura été au moins par 30 ! Et l’on voudrait
ne pas considérer cela comme un bouleversement majeur, qui change toutes les conditions
d’existence, individuelles et collectives ?
Au-delà de la seule statistique, l’urbanisation consiste aussi et surtout en un rempla-
cement des modes d’organisation des sociétés, des paysages et des formes de vie qui furent
dominants (la ville préindustrielle, puis industrielle, et la campagne) par de nouveaux mo-
des, paysages et formes de vie : celui de l’« urbain » généralisé. L’économie est nouvelle, les
structures sociales et culturelles connaissent des mutations profondes, les temporalités
sont bouleversées, des logiques inédites d’organisation et de pratiques spatiales s’épanouis-
sent à toutes les échelles, un état de nature spécifique est créé par le mouvement même
d’urbanisation… En quelques générations, Homo sapiens est bel et bien devenu Homo urba-
nus 2
. Un autre Monde s’est installé via l’urbanisation ; il constitue l’état historique contem-
porain, différent de tout ce qui a précédé, de l’écoumène terrestre — l’écoumène étant un
concept essentiel de la géographie, qui désigne l’espace de vie construit et habité par les
êtres humains, à quelque échelle qu’on le considère.
Global Change
n lien avec cette mondialisation puissante, le grand public s’est
vu aussi de plus en plus confronté, en quelques années à peine, à l’émer-
gence d’une nouvelle force, qui travaille le Monde en profondeur et le
(re)configure à toutes les échelles — et dérange bien des certitudes et des
habitudes : le changement global. Nous découvrons que nous sommes
entrés dans la période anthropocène, qui est en passe de redistribuer les
cartes. En réalité, l’alerte avait été lancée depuis longtemps, en même
temps que s’enclenchait la phase la plus puissante d’urbanisation globa-
lisante. En 1972, la conférence de Stockholm sur l’environne-
ment s’est en effet conclue par une célèbre déclaration, qui faisait de la ques-
tion écologique une des principales que les pays de l’onu devaient affronter
collectivement. Le fameux rapport de Dennis Meadows, au Club de Rome, The
Limits of Growth, date également de 1972 : c’est une des premières occurrences
des analyses critiques de la surexploitation des ressources et des logiques de
la croissance infinie, qui mèneront ultérieurement, à la diffusion de la pro-
blématique de la décroissance, mais aussi, par exemple, à celle de l’empreinte
écologique excessive due à l’occupation humaine. La conférence de Stockholm
ouvrit la série des « Sommets de la terre » et, depuis lors, les appels à la prise
I
E
Nous découvrons que nous
sommes entrés dans la période
anthropocène, qui est en passe
de redistribuer les cartes.
---------E
---------E
2 Pour reprendre le titre
d’un livre de Thierry Paquot,
Homo Urbanus. Essai sur l’urba
nisation du monde et des mœurs,
Paris, Éditions du Felin, 1990,
un des premiers auteurs a avoir
repéré cette mutation globale,
en méditant notamment les
intuitions d’un Henri Lefebvre, qui
publia La révolution urbaine en
1970, mais dans une perspective
intellectuelle très différente.
23. 4 Timothy Mitchell, Carbon
Democracy. Political Power
in the Age of Oil, Verso, 2011
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École urbaine
de Lyon
Page C7Publications / Dissémination
c
en compte des effets environnementaux des activités humaines n’ont pas cessé. Le Giec
(Groupement intergouvernemental pour l’évaluation du climat), créé dès 1988, joua un rôle
décisif en cette matière, ainsi que, quoique moins médiatisé, l’igbp (International Geos-
phere-Biosphere Program) créé quant à lui en 1987 et qui a terminé son activité à la fin 2015.
Du coup, on peut même se demander pourquoi il a fallu tant tarder pour que les problèmes
afférents se trouvent enfin au centre des préoccupations de la sphère publique mondiale.
Peut-être parce que l’on a longtemps voulu sous-estimer l’ampleur des bouleverse-
ments liés au Global change et qu’on a peiné à comprendre à quel point il allait nous falloir
modifier nos manières de voir, de penser et d’agir. Désormais, un changement de paradigme
est en cours. Alors que le concept de crise environnementale renvoie à l’idée classique que
les sociétés humaines ont à gérer un incident de parcours momentané, pour lequel on
trouvera nécessairement les parades, celui d’anthropocène a le mérite de souligner l’exis-
tence d’une bifurcation, dont nous sommes en passe de vivre et d’éprouver les premières
conséquences systémiques. Et ce pour une raison simple : « L’humanité, notre propre es-
pèce, est devenue si grande et si active qu’elle rivalise avec quelques-unes des
grandes forces de la Nature dans son impact sur le fonctionnement du système
terre ». Ainsi, « le genre humain est devenu une force géologique globale3
». La
planète-terre, en raison des activités humaines, s’est continûment anthropisée,
d’abord à bas bruit, avant que l’anthropisation ne s’accentue et ne prenne un
tour spectaculaire, lié à l’urbanisation, à partir du xixe siècle. Cet anthropocène,
défini comme une nouvelle « époque » géologique, témoignerait de l’influence
directe et prééminente de certaines grandes activités humaines sur le système
biophysique planétaire, en particulier des activités liées à la phase d’urbanisa-
tion massive enclenchée après la Seconde Guerre mondiale.
Le terme « Anthropocène » (dont on peut tracer les origines depuis le
début du xxe siècle) avait été proposé dans les années quatre-vingt et quatre-
vingt-dix, par le biologiste Eugène F. Stoermer et le journaliste Andrew Revkin.
Mais son importance s’affirme à partir de 2000, lorsqu’il est repris et diffusé par
le prix Nobel de chimie Paul Crutzen qui, quant à lui, estime qu’il s’enclenche
à la fin du xviiie siècle ; il fait de la machine à vapeur de James Watt, datant de
1784, l’indice de l’ouverture de l’ère nouvelle. Cette datation ne fait pas l’una-
nimité. Lors du 35e Congrès mondial de géologie organisé à Cape Town, du
27 août au 4 septembre 2016, une commission de travail a suggéré de considé-
rer l’anthropocène comme une nouvelle « époque » (au sein de la « période »
quaternaire de « l’ère » cénozoïque, pour reprendre les termes exacts), avec le
choix de la faire débuter après 1945, notamment en raison de l’apparition des
dépôts de particules nucléaires, mais aussi de l’impact de l’exploitation intense
des phosphates et de l’utilisation des nitrates, tout cela devenant de véritables
marqueurs stratigraphiques. Même si les géologues n’ont pas encore tranché,
un grand nombre de chercheurs penchent aujourd’hui pour identifier ce qu’on nomme une
« grande accélération » post 1945 des phénomènes de Global Change. C’est-à-dire une pé-
riode synchrone de l’enclenchement de la phase contemporaine de l’urbanisation massive.
Des recherches plus récentes promeuvent quant à elle l’idée d’un « Early Anthropocene »
débutant dès le néolithique voire à la fin du paléolithique.
Toujours-déjà vulnérable
uoi qu’il en soit, une « convergence » vers ce concept encore en
discussion est désormais assumée par un nombre croissant de spécialistes
du monde entier, qu’ils soient issus des sciences expérimentales ou des
sciences humaines et sociales, sans oublier le droit et la philosophie. Dans
la perspective de l’École urbaine de Lyon, l’Anthropocène s’avère d’ailleurs
moins une grille de lecture exclusive qu’un métaproblème qui informe et
questionne aujourd’hui tous les champs de la société, à toutes les échelles.
Comme la question de l’urbanisation généralisée avec lequel il est pro-
fondément lié, il incite à développer une pensée systémique. Insistons
bien sur un point : l’urbain n’est pas qu’un espace où se projetteraient les symptômes d’un
anthropocène qui serait nourri essentiellement par la « carbonisation »4
des activités et
des sociétés. L’urbanisation en tant que processus global et globalisant, qui intègre toutes
Q
Le terme « Anthropocène »
(dont on peut tracer
les origines depuis le début
du xxe siècle) avait été proposé
dans les années quatre-vingt
et quatre-vingt-dix,
par le biologiste Eugène
F. Stoermer et le journaliste
Andrew Revkin.
-E
3 Will Steffen, Jacques
Grinevald, Paul Crutzen et John
McNeill, “The Anthropocene:
conceptual and historical
perspectives”, Philosophical
Transactions of the Royal Society
A, vol. 369, 2011, p. 842–867