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École urbaine 	
de Lyon
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Mars
Avril
Mai
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Introduction
Éditorial
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a
(https://medium.com/anthropocene2050)
L’École urbaine de Lyon,
pour un débat public informé sur l’Anthropocène
Nous saisissons l’occasion de notre événement annuel « À l’École
de l’Anthropocène », pour lancer le premier numéro de notre magazine :
AAoo
2020. Il s’agit pour nous de continuer à développer des outils et médias
qui nous permettent de toucher le plus large public, à l’intérieur
du monde universitaire comme à l’extérieur. En 2019, l’École urbaine de
Lyon a déjà renforcé son site internet, créé une lettre d’information,
enrichi considérablement son catalogue de podcasts et, en novembre,
ouvert une plate-forme web : Anthropocene2050, destinée à accueillir
des textes scientifiques, des articles de prise de position, des notes
critiques, des vidéos, des images.
				
				 Cette plate-forme se veut multilingue, car
nous postulons que toutes les langues sont des instruments de pensée
d’égale dignité et qualité. Il nous semble que la monoculture
du globisch (l’anglais globalisé) dans les publications est aujourd’hui
une entrave à la créativité scientifique dont nous avons besoin.
De même que nous devons veiller à ce que la biodiversité soit maintenue
et même accrue dans les écosystèmes, la diversité linguistique et
culturelle est une ressource essentielle et la recherche doit contribuer à
son maintien (et au développement des compétences de traduction),
comme elle devrait au demeurant assumer la pluralité des modes
d’expression du savoir. C’est la raison pour laquelle l’École urbaine de
Lyon place au centre de son fonctionnement la volonté de varier
systématiquement les propositions scientifiques.
				 L’édition 2020 de « À l’École de l’Anthropocène »
en sera le parfait témoignage. Nous y programmons des cours publics
(sept seront lancés car nous voulons redonner de la légitimité
à cette forme de transmission qui est aussi une expé­rience de pensée
et une manière unique de la partager avec quiconque le souhaite),
des conférences, des tables-rondes, des séminaires de recherche,
des ateliers pédagogiques innovants, des expérimentations collectives,
des propositions artistiques. Nous multiplions ainsi les plaisirs de
la réflexion et de l’échange argumenté sans exclure l’émotion qu’on peut
ressentir devant les œuvres et les idées ! C’est aussi une occasion
de continuer de faire vivre ce lieu de partages et d’expériences qui est
devenu depuis l’été 2018 et pour quelques mois encore notre siège :
Les Halles du Faubourg, que nous sommes très heureux de mettre
en valeur avec nos partenaires de la Taverne Gutenberg, d’Intermède,
des Ateliers La Mouche et de Frigo&Co.
Géographe,
directeur de l’École urbaine de Lyon
Michel Lussault
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Page A4Introduction
a
18.07.19
				 Notre visée est bien d’offrir une « école » universitaire
originale, ouverte à tous et à toutes, dans une perspective affirmée
d’université populaire, où la science de la meilleure qualité rencontre
les publics les plus variés qui apportent eux-mêmes leurs contributions
et leurs approches. Le magazine AAoo
2020 se veut l’expression de notre
démarche et ce premier numéro présente quelques-uns des chantiers
que nous avons lancés depuis la création de l’École urbaine de
Lyon, fin 2017. Il propose quatre sections qui recouvrent nos principaux
champs d’activité. On y trouvera des textes repris de nos autres
supports, des articles inédits, des photo­graphies, ainsi qu’une
conversation avec le néolithicien Jean-Paul Demoule.
				 In fine, nous espérons que AAoo
2020, conçu comme une
série de cahiers séparables, coédité avec les Éditions deux-cent-cinq,
rendra compte de notre exigence : l’École urbaine de Lyon entend
contribuer pleinement à la mise en œuvre du débat public informé,
indispensable si nos sociétés veulent être capables d’affronter
les questions redoutables posées par le changement global.
				 Alors que nous nous interrogeons de plus en plus
sur l’habitabilité future de la terre, sur les conditions justes et éthiques
de mise en œuvre des stratégies de réorientations écologiques de
nos cohabitations, il est crucial de faire connaître les réalités
anthropocènes, d’analyser les dynamiques à l’œuvre, notamment
celles liées à l’urbanisation et de mettre en discussion ce qui peut
guider notre action collective.
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Introduction Page A8
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Introduction
Expérience du lieu
en 2019 : les Halles
du Faubourg
Photographies :
Adrien Pinon
A1 – A4
L’École urbaine
de Lyon, pour un débat
public informé
sur l’Anthropocène
Michel Lussault
A5 – A7
Formation / 
Recherche / 
Formation
par la recherche / 
Recherche action
Nous devons tenter,
à l’aide de notre
créativité et de notre
sensibilité, de sortir
des institutions
connues afin d’aborder
les multiples
dimensions
de l’Anthropocène
Debora Swistun
B1 – B2
Spécialistes de biologie
moléculaire, désormais,
nous mènerons aussi
une recherche-action
sur l’anthropocène
Mathilde Paris	
Bastien Boussau
B2 – B3
Notre maison brûle,
faisons un doctorat.
Une formation
doctorale
transdisciplinaire,
collective,
professionnelle et
créative
Jérémy Cheval
Lou Herrmann
B2 – B8
Le cycle
de master class
doctorales de l’École
urbaine de Lyon :
Éditorialiser
les sciences à l’ère
anthropocène
Lucas Tiphine
B6 – B7
Publications /
Dissémination
Avant / après la fin
du monde.
Mathieu Potte-
Bonneville
C1 – C4
Bienvenue(?)
dans l’ anthropocène !
Michel Lussault
C5 – C8
Les liens ville-
campagne réinterrogés
à travers les nouvelles
préoccupations
alimentaires urbaines
Claire Delfosse
C9 – C10
Lectures
anthropocènes 2019
C11 – C12
« Dessiner une terre
inconnue »,
une géo-esthétique
de l’ anthropocène
Michel Lussault
C13 – C15
Souffrances spatiales
Lucas Tiphine
C16
Mise en débat public :
les Mercredis
de l’Anthropocène
L’impact
des ressources
naturelles
sur le développement
Mathieu Couttenier
D1
Design,
démarche artistique
et anthropocène
Gwenaëlle Bertrand
Anne Fischer
D2 – D3
Apprendre
à reconnaître
ses limites : un défi
pour l’Humanité
Bruno Charles
Natacha Gondran
D3 – D4
Quelle morale
pour les restes
Nathalie Ortar
Élisabeth Anstett
D5
La microbiologie
urbaine : un champ
d’investigation
en émergence
Benoît Cournoyer
Laurent Moulin
Jean-Yves Toussaint
Rayan Bouchali
Claire Mandon
D6 – D8
À l’École
de l’Anthropocène
Programme 2020
Relation à la création :
Valorisation  /
Dissémination  /
Exposition
9ph / Prix de la Nuit
de la photographie
2018 : Kola
Céline Clanet
E1 – E12
9ph / Prix de la Nuit
de la photographie
2019 : Missing Migrants
Mahaut Lavoine
E13 – E20
Arkadi Zaides,
de Talos à Necropolis
Alfonso Pinto
E21 – E22
Borderline(s)
investigation #1,
une enquête édifiante
sur les limites
du monde
et son effondrement
de Frédéric Ferrer
Alexandra Pech
E22 – E23
Enquêter, enquêter,
mais pour élucider
quel crime ?
Camille
de Toledo
E24 – E25
Le Néolithique, matrice
de l’Anthropocène ?
Jean-Paul Demoule
et Michel Lussault
E25 – E33
Des Milliers d’Ici,
atlas de lieux infinis
Encore Heureux
Architectes
École urbaine
de Lyon
E34 – E38
Machina Vitruva
Jindra Kratochvil
Hervé Rivano
Lou Herrmann
E38 – E40
ISBN978-2-953463-51-4
ÉcoleurbainedeLyon
Prix :10 €
ISBN978-2-919380-30-5
Éditionsdeux-cent-cinq
ISSNencours
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École urbaine 	
de Lyon
Page B1Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
b
Dans cet entretien, Debora Swistun,
chercheuse à l’Université San Martin de
Buenos Aires (Argentine), actuellement en
résidence scientifique à l’École urbaine de
Lyon grâce à l’aide d’une bourse Saint-Exu-
pery de l’Ambassade de France en Argen-
tine et d’un fellowship international, revient
sur l’école thématique anthropocène que
Julie Le Gall (MCF ENS de Lyon en détache-
ment au CEMCA de Mexico) et elle-même
ont coorganisée en juillet 2019 à Buenos
Aires.	
Dans la continuité des écoles théma-
tiques anthropocènes qui se sont te-
nues à l’ENS de Lyon en 2016 et 2017 sur
le modèle de l’Anthropocène Curriculum
(Haus der Kulturen der Welt, Berlin), Ju-
lie Le Gall (MCF ENS de Lyon en détache-
ment au CEMCA, Mexico) et vous-même
avez coorganisé, avec l’appui de Debo-
rah Mayaud (stagiaire École urbaine
de Lyon) et d’Andrea Sosa (stagiaire
Université San Martin), une semaine de
recherche sur la dimension urbaine de
l’Anthropocène à Buenos Aires. Ce pro-
jet, rendu possible par l’École urbaine
de Lyon, en partenariat avec l’Universi-
té San Martin (Buenos Aires) et l’Insti-
tut français d’Argentine, a notamment
impliqué une dizaine de chercheurs de
l’Université de Lyon qui ont travaillé
sur place avec des homologues de Bue-
nos Aires. À titre personnel, que rete-
nez-vous de cette expérience en termes
scientifiques ?
La première école latino-américaine
sur l’Anthropocène urbain a eu lieu, du 12 au
17 juillet, au sein de ce que nous appelons
le « territoire éducatif » de l’Universidad
Nacional de San Martín [NDT : Université
nationale de San Martín, partido de San
Martín, situé dans la première couronne de
la région métropolitaine de Buenos Aires].
Julie Le Gall et moi-même avons commencé
à penser à cette première école anthropo-
cène latino-américaine, en tant que dispo-
sitif pédagogique expérimental, presque un
an avant sa réalisation. Nous souhaitions,
en effet, compter sur la participation d’un
public très varié : étudiants, chercheurs
issus de différentes disciplines, membres
d’organisations de la société civile, artistes,
leaders originaires des peuples autoch-
tones, enfants, hommes et femmes poli-
tiques, agents territoriaux de la commune
de San Martín, participants d’autres pays
de la sous-région (Chili par exemple).
Face aux prédictions concernant
l’avenir de la vie sur la planète, nous nous
sommes demandé : « Que faire et comment
faire avec l’incertitude ? En ce sens, que
peut nous apprendre l’Amérique latine ? ».
Le défi était de créer des espaces de ren-
contre favorisant l’échange et le dialogue
entre des personnes qui n’ont pas l’ha-
bitude de se rencontrer, car elles appar-
tiennent à des institutions et à des espaces
de production de savoir parfois divergents,
concurrents ou opposés. Si, comme Bruno
Latour le souligne, les institutions doivent
être refondées afin d’aborder les multiples
dimensions de l’Anthropocène, nous devons
alors tenter, au moyen de notre créativité
et de notre sensibilité, de sortir de ces ins-
titutions fermées pour créer/expérimenter
d’autres dispositifs d’apprentissage qui
favorisent la co-construction de savoirs si-
tués pour la prise de décisions.
L’École a démarré de façon classique,
au sens où l’entendent les scientifiques,
avec des conférences, des tables rondes
et des plénières pour aborder les divers
débats que suscite le concept d’Anthropo-
cène, en particulier au sein du bassin de la
rivière Reconquista, un cours d’eau très pol-
lué qui traverse l’agglomération de Buenos
Aires.
Puis, dès la deuxième journée, l’école
est devenue mobile sur le territoire de San
Martin. Les participants ont visité des oc-
cupations informelles de terrains en cours
d’urbanisation et un « bois urbain » qui se
trouve en face de l’université et où sont
menées des expériences de permaculture.
Ils ont rencontré les acteurs d’une coopé-
rative alliant traitement des déchets et
réinsertion sociale, suivi des ateliers ani-
més par des artistes, fait des expériences
avec des matériaux alternatifs, travaillé
les incertitudes vis-à-vis de l’eau au sein
des îles du delta du Tigre et réfléchi à des
propositions de science participative. Tant
les activités menées que les espaces par-
courus ensemble nous ont aidés à repenser
les rapports entre espèces, les formes al-
ternatives possibles pour exister et être au
monde, l’adaptation humaine face aux dé-
sastres environnementaux, les incertitudes
en ce qui concerne l’usage de produits no-
cifs pour l’environnement et leurs effets, le
rôle de l’économie dans l’Anthropocène, les
formes d’extractivisme et la géopolitique
nord-sud, le féminisme et l’écologie poli-
tique, la place des corps et du travail en
lien avec les formes du capitalisme dans les
Suds. Des livrables audiovisuels et une pu-
blication sont en cours de préparation afin
de partager les diverses expériences et les
résultats de l’école.
	
Existe-t-il une tradition de pensée envi-
ronnementale en Argentine ? Et si oui, y
a-t-il des concepts spécifiques formés
dans les langues du pays qui semblent
pertinents pour une théorie plurilingue
de l’Anthropocène ?
Les problèmes environnementaux, que
les organisations d’ouvriers et de femmes
ont rendus visibles à partir des années
quatre-vingt-dix, et que les peuples au-
tochtones subissent depuis le colonialisme
européen, peuvent largement s’envisager
au prisme de concepts mobilisés pour dé-
crire d’autres terrains d’étude, tels que celui
d’accumulation par dépossession, selon la
proposition du géographe David Harvey,
qui vise à penser comme un ensemble coor-
donné les politiques néolibérales de priva-
tisation, de financiarisation, de manipula-
tion des crises (comme le contrôle des taux
d’intérêt) et de redistribution de la richesse
à certaines catégories de population (par
Nous devons tenter,
à l’aide de notre créativité
et de notre sensibilité, de sortir
des institutions connues
afin d’aborder les multiples
dimensions de l’Anthropocène
Entretien avec Debora Swistun Professeure en humanités environnementales à l’Université
nationale d’Avellaneda (Buenos Aires) et à l’Université
nationale de San Martin (Buenos Aires) 
Propos recueillis par Lucas Tiphine,
le 17 septembre 2019
Article pubié sur Anthropocene2050,
le 23 septembre 2019
Photo :
Debora Swistun à l’Aerocene
Festival, Munich, septembre 2019,
Camilla Berggren
©Aerocene Fondation
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Page B2Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
b
exemple par la baisse des impôts pour les
plus aisés). On peut y ajouter les notions
d’injustice environnementale et de racisme
environnemental. Mais les conflits environ-
nementaux latino-américains présentent
aussi une certaine spécificité et leur étude
a permis, en tout cas en ce qui concerne
mon travail, l’émergence de concepts plus
locaux comme la confusion toxique. Nous
avons proposé ce concept avecJavierAuye-
ro dans notre ouvrage Inflamable. Estudio
del sufrimiento ambiental (Editorial Paidós,
BuenosAires, 2008, paru également en tra-
duction anglaise chez Oxford University
Press, 2009) pour décrire de manière syn-
thétique l’expérience de la gestion des pol-
lutions environnementales et des discours
qui cherchent à y donner du sens dans le
quartier de Villa Inflamable (aire urbaine
de Buenos Aires), qui se trouve à immédiate
proximité de l’un des plus grands centres
pétrochimique argentins. La confusion
toxique (confusion toxica) est le résultat du
processus social de production de doutes
et d’incertitudes quant à la multiplicité des
effets des activités industrielles sur l’air, le
sol, l’eau et les corps. C’est un processus de
collaboration non intentionnelle entre les
acteurs du site parmi lesquels les résidents,
les médecins, les enseignants, les avocats,
les employés des compagnies pétrolières,
les fonctionnaires publics, etc.
La plupart des peuples autochtones
parlent d’une histoire cyclique du cosmos,
de la « nuit obscure » [noche oscura] et de la
rébellion des objets qui surviendra si nous
ne changeons pas notre mode actuel de
consommation de ce qui est sur Terre. Le
« bien-vivre » [buen vivir] et/ou « ksumay
kausay » a été bouleversé radicalement
pour tous les êtres vivants. Mais il est aussi
devenu un horizon qui guide les actions de
nombreuses organisations sociales, car
l’empreinte écologique de l’urbanité s’ob-
serve partout, et notamment dans les es-
paces ruraux qui sont connectés aux zones
urbaines.
Justement, quels sont les problèmes et
les études de cas en Argentine qui pour-
raient, selonvous, alimenterune théorie
générale de l’Anthropocène ?
Si l’on se place dans le cadre d’une
approche géopolitique, il est pertinent de
faire référence à plusieurs sujets : les dé-
placements forcés des communautés au-
tochtones devant l’extension du front agri-
cole et minier, les conflits dus à l’utilisation
du glyphosate pour l’agriculture en zone
rurale, le droit à un environnement sain,
qui est défendu dans les actions judiciaires
d’assainissement et de gestion des risques
au sein des bassins urbains et périurbains.
Il faut aussi évoquer les mouvements so-
ciaux qui se forment pour la protection et la
conservation de l’eau contre les industries
minières et les autres industries d’extrac-
tivisme, ou encore, les alternatives et les
résistances qui émergent dans ces mêmes
espaces. Il n’y a donc pas un seul et unique
Anthropocène, mais plutôt une multiplicité
de phénomènes qui suivent les dynamiques
glocales (contraction de global et local)
autour de l’exploitation des ressources na-
turelles et des pratiques d’externalisation
négative des impacts.
Continuerez-vousàtravaillerauseindes
études Anthropocène dans les années à
venir ? Et si oui, dans quelles directions ?
Mes recherches ont commencé il y a
plus de dix ans et portent sur la toxicité et
la gestion des risques technologiques dans
des zones touchées parl’activité pétrolière.
Il est le plus souvent impossible pour les ha-
bitants de ces zones de gagner en justice
pour obtenir l’assainissement du sol sur le-
quel ils vivent ou bien pour imposer un meil-
leur contrôle des émanations polluantes.
Je m’intéresse ainsi à certaines stratégies
d’adaptation alternatives, comme les mou-
vements de hacking d’informations scienti-
fiques et technologiques qui mettent à dis-
position du plus grand nombre des diagnos-
tics environnementaux les plus précis. De-
puis un certain temps, j’observe également
les conceptions alternatives d’organisation
sociale des communautés écologiques lati-
no-américaines et la manière dont cela est
liéautournantdécolonialdanslathéorieso-
ciale. Enfin, j’ai commencé à explorer les in-
terfaces art-science pour communiquer au
moyen d’autres langages les résultats des
recherches dans le domaine des sciences
sociales et de l’anthropocène. Je souhaite
ainsi penser la conception d’autres disposi-
tifs d’apprentissage favorisant un rapport
différent avec ce que nous avons construit
comme idée de nature et la possibilité de
renforcer ces dispositifs dans l’éducation
de premier, deuxième et troisième cycles.
	
“Spécialistes de biologie
moléculaire, désormais,
nous mènerons aussi
une recherche-action sur
l’anthropocène”
Mathilde Paris	 Chercheure en biologie, chargée
de recherches CNRS à l’Institut
de génomique fonctionnelle de Lyon
Chercheur en biologie, chargé
de recherches CNRS au Laboratoire
de biométrie et biologie évolutive
Bastien Boussau
Article écrit en mai 2019 Article pubié
sur Anthropocene2050,
le 30 août 2019
Dans cette tribune, Mathilde Paris et
Bastien Boussau expliquent les raisons de
leur volonté de travailler sur la probléma-
tique du changement global des conditions
de vie. En collaboration avec les services de
restauration collective de l’Université de
Lyon (Crous, Sogeres), une étudiante, dans
le cadre d’un stage financé par l’École ur-
baine de Lyon, va mesurer le bilan CO2 des
plats servis surplusieurs sites du campus et
étudierl’effet de l’affichage de ce bilan surle
choix des usagers.
Nous sommes chercheurs en biologie
et plus particulièrement en évolution, en
génomique comparative et en épigéno­
mique et biologie du développement. Nous
pourrions détailler notre hyperspécialisa-
tion avec davantage de précision encore,
mais il est déjà apparent sans doute que
notre rapprochement avec l’École urbaine
de Lyon ne semble pas, à première vue,
évident. Pourtant, nous ressentons le be-
soin de sortir de notre domaine d’expertise
pour travailler sur des questions liées à la
crise environnementale et à l’épuisement
des ressources.
Jusqu’à récemment, nous étions par-
venus à combinerun haut niveau de confort
personnel, avec une conscience écologique
basée sur une connaissance superficielle
de la magnitude de la crise écologique.
Certes la banquise fondait, mais nous nous
astreignions à n’acheter que rarement des
bouteilles en plastique et prenions le train
pour nos déplacements ; donc nous consi-
dérions que nous faisions notre part. Mais
il y a environ un an, nous avons mieux pris
conscience de l’ampleurdu problème clima-
tique et énergétique par l’entremise de lec-
tures et de podcasts. De nombreux auteurs
prédisent, en effet, que même les sociétés
les plus développées pourraient, dans les
décennies, voire les années qui viennent,
changer au point que les besoins vitaux ne
seraient plus garantis pour la plupart de
leurs membres. Nous avons alors cherché à
évaluer les bases de ces prédictions en pui-
sant dans la littérature scientifique. Nous
en avons retiré la conclusion suivante : le
bon fonctionnement de nos sociétés repose
sur un ensemble de systèmes complexes et
efficaces, mais peu robustes. Ces systèmes
sont de surcroît interconnectés. La crise
Traduction de l’espagnol
(Argentine)
par Natalia D’Aquino
Révision et édition
par Julie Le Gall et Lucas Tiphine
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Page B3Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
b
environnementale et l’épuisement des res-
sources vont mettre, et mettent déjà, ces
systèmes sous pression. Le risque, pour
notre génération et la génération suivante,
est suffisamment grand et probable pour
que l’on cherche à le minimiser.
Ces perspectives sombres sur le futur
nous ont d’autant plus touchés que nous
sommes parents. Notre fille aura en 2050
l’âge que nous avons actuellement (environ
35 ans) : quel monde va-t-on lui léguer ? Les
pays développés, dans leurécrasante majo-
rité, ne tiennent pas leurs engagements pris
lors desAccords de Paris de 2015 (ycompris
la France), engagements qui sont, de toute
façon, insuffisants selon de nombreux ex-
perts, notamment le GIEC. Nous avons donc
décidé de nous engager à notre niveau.
Et là, que faire ? Dans notre vie per-
sonnelle, la tentation de se préparer à
l’inévitable, de manière isolée, est grande,
mais elle n’aurait qu’un impact très limité.
Àla place, nous cherchons, comme de nom-
breux citoyens, à promouvoir une baisse
sociétale de notre empreinte environne-
mentale. Dans notre vie professionnelle,
quels sont nos moyens ? Comme la plupart
des chercheurs, nous dédions la plupart de
notre temps et de notre énergie à un travail
qui nous passionne. Notre hyperspécialité
ne risque pas d’être bien utile pour traiter
du changement global des conditions de
vie terrestre, mais nous faisons le pari que
la méthode scientifique, celle que nous ap-
pliquons au quotidien, pourrait l’être. En
effet, lorsque nous nous intéressons à une
problématique donnée, nous cherchons à
l’étudier en définissant une question pré-
cise ; nous faisons appel à des spécialistes
si la question le nécessite, car notre tra-
vail est fondamentalement collaboratif ;
nous mettons en place un protocole expé-
rimental pour répondre à cette question ;
enfin, nous analysons les résultats avec
autant d’esprit critique que possible. Cette
méthode, nous pouvons l’appliquer afin de
mieux comprendre comment nos sociétés
pourraient changer le moins douloureuse-
ment possible.
Parmi les nombreux freins qui empê­
chent le changement des comportements
individuels permettant de réduire son em-
preinte carbone, nous avons décidé de
nous intéresser à l’aspect psychologique. Si
l’échelle de l’individu est loin d’être la seule
à être pertinente pour enclencher la transi-
tion radicale nécessaire pour atteindre un
mode de vie plus durable, elle reste néan-
moins importante.
Nous proposons donc d’étudier, à
l’échelle du campus de l’Université de Lyon,
le positionnement des individus vis-à-vis
des enjeux environnementaux ainsi que
leurs comportements effectifs. Un tel tra-
vail pourrait permettre de rendre plus effi-
caces les politiques publiques en les person-
nalisant, et pourrait, à terme, contribuer à
identifier les barrières économiques, géo-
graphiques ou logistiques à lever, afin de fa-
voriser les comportements les plus compa-
tibles avec les objectifs des Accords de Pa-
ris. L’Université de Lyon, constituée, a priori,
par une population assez ouverte à la mise
en place de protocoles de recherche, servi-
rait, ainsi, de terrain d’expérimentation afin
de définir les politiques à mettre en œuvre
pour que la métropole de Lyon atteigne ses
objectifs ambitieux, mais nécessaires, de
réduction des gaz à effets de serre.
Nous sommes aujourd’hui dans une
situation d’urgence qui implique des chan-
gements radicaux dans tous les secteurs
d’activité. De nombreuses manifestations,
et des articles de plus en plus fré­quents il-
lustrent qu’une partie croissante de la po-
pulation en prend conscience. Le secteurde
la recherche ne sera pas épargné et devra
lui aussi embrasser des changements radi-
caux : déjà des chercheurs de­mandent à ce
que l’empreinte environnementale de leur
travail soit prise en compte lors de leuréva-
luation. Notre décision de dédier une partie
de notre activité de recherche à la crise
environnementale et énergétique s’inscrit
dans cette dynamique générale.
	
Notre maison brûle,
faisons un doctorat
Une formation doctorale transdisciplinaire, collective,
professionnelle et créative
Jérémy Cheval
Lou Herrmann
Docteur en architecture,
coordinateur du pôle formation
de l’École urbaine de Lyon
Docteure en urbanisme,
chercheure postdoctorale
et chargée de projet
à l’École urbaine de Lyon
12 décembre 2019
Dans ce contexte, l’École urbaine de
Lyon appelle à une croissance : celle des
thèses. Car la thèse est précieuse : elle
propose un temps unique de recherche, de
développement et de production d’idées.
Les doctorats se doivent d’augmenter,
d’évoluer, de s’adapter, d’expérimenter,
de sortir de leur zone de confort, de créer,
pour être à la hauteur des enjeux
anthropocènes.
L’avènement de l’Anthropocène révèle
plus que jamais notre besoin de formation,
de recherche et d’expérimentation. Pour-
tant le nombre de doctorats réduit chaque
année en France1
, le réchauffement clima-
tique continue, la fonte des glaces perdure,
les espèces restent menacées et les dé-
chets s’entassent…
Avec ses doctorant.es, l’École urbaine
de Lyon ambitionne de développer des ex-
périences de recherches en commun, de
tester des projets inattendus, de se trom-
per et de se relever, de construire et parta-
ger des idées surprenantes et riches. Avec
elles, avec eux, elle souhaite faire école pour
tous, tout au long de la vie. Car la science a
un impact fondamental sur nos vies et nos
conceptions de l’univers. Comme Galilée
a pu le dire, les découvertes scientifiques
1	 En France, à la rentrée
2017, 73 508 étudiants sont inscrits
en doctorat.
Le nombre de doctorants est
en baisse continue depuis 2009.
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Page B4Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
B
son corps doctoral. Cette attention passe
par une vigilance lors de la sélection des
candidat.es à la thèse. Ainsi, si la première
année, 2018, les sciences sociales étaient
largement représentées parmi les docto-
rant.es sélectionné.es, de fait elle a veillé
dans le recrutement de 2019 à rééquilibrer
son équipe en retenant sept candidat.es
dont cinq en sciences dures.5
Au terme de ces deux premières an-
nées de recrutement doctoral, l’École ur-
baine de Lyon est fière de compter parmi
les siens de jeunes chercheuses et cher-
cheurs issu.es d’horizons disciplinaires
extrêmement variés. Ainsi l’Anthropocène
sera appréhendé selon une multiplicité
d’approches : à travers les outils de la bio-
logie et de la micro-biologie avec des thèses
sur la biodiversité (Thomas Boutreux), la
biorémédiation6
en milieu urbain (Marine
Durand) ou encore la diversité bactérienne
desvilles (Rayan Bouchali), à travers les ou-
tils de l’anthropologie avec des travaux sur
l’alimentation (Alexandra Pech), l’histoire et
la gestion des déchets (Yann Brunet, Clé-
ment Dillenseger, Mélissa Manglou), ceux
de la géographie et des études urbaines
via des thèses sur le périurbain (Loriane
Ferreira) et la justice environnementale
(Fabian Lévêque), ceux de la chimie avec
une recherche sur le traitement et la va-
lorisation des déchets plastiques (Nicolas
Osorio-Grimaldos), ou encore les outils de
la physique à travers des thèses sur la mo-
délisation météorologique (Félix Schmitt) et
la résilience des bâtiments au changement
climatique (Adrien Toesca).
rapports entretenus entre les caractéris-
tiques micro-météorologiques des lieux et
les ambiances urbaines et celui de Thomas
Boutreux qui appréhende la biodiversité en
croisant la biologie et la géographie.
Aussi, sans dire que la réalisation d’une
thèse pluridisciplinaire est un travail impos-
sible, admettons tout de même que c’est un
exercice compliqué. Il est difficile — pour
tou.tes et plus encore pour celles et ceux
qui débutent leur carrière de recherche
— de s’extraire des logiques disciplinaires
qui imprègnent le milieu académique. C’est
pour cette raison que la plupart des projets
de thèse restent affiliés à des disciplines
uniques. Pour porter son projet transdis-
ciplinaire, l’École urbaine de Lyon ne peut
donc pas attendre que cette dernière lui
soit directement proposée par les projets
de thèse : elle doit la construire, elle-même,
en son sein. Et c’est sans doute un de ses
apports les plus précieux dans la formation
des doctorant.es, apport complémentaire à
ceux proposés par les écoles doctorales et
les laboratoires.
La pluridisciplinarité — au sens de
la présence de plusieurs disciplines en un
même lieu et un même temps — est un pré-
alable à l’établissement de la transdisci-
plinarité (soit l’interaction entre plusieurs
disciplines dans un projet commun aboutis-
sant à la création d’une nouvelle approche).
L’École urbaine de Lyon porte ainsi une at-
tention minutieuse à diversifier les champs
disciplinaires (sciences humaines et so-
ciales, sciences expérimentales, sciences de
la terre et du vivant) représentés au sein de
2	 Galilée à la fin de
la troisième journée des Discorsi,
cité dans Durbarle, D. (1965).
La méthode scientifique
de Galilée. Revue d’histoire des
sciences, 18-2, 161
3	 Déjà en 1995, Jacques
Hamel appelait à déconstruire
cet appel — difficile à mettre
en œuvre — à l’interdisciplinarité,
« fiction de la recherche ».
4	 À titre d’exemple, il y a
sept écoles doctorales à
l’Université Lumière Lyon 2, dont
les limites sont définies en
fonction des disciplines dont elles
se réclament : l’ED 476 pour
les neurosciences, l’ED 483 pour
les sciences sociales, l’ED 484
pour les lettres, langues et
les arts, l’ED 485 pour l’éducation,
la psychologie, l’information et
la communication, l’ED 486 pour
les sciences économique et
la gestion, l’ED 492 pour le droit
et l’ED 512 pour l’informatique
et les mathématiques.
5	 Au niveau national,
plus de la moitié des doctorats
relèvent des domaines
des sciences dites « dures ».
6	 Processus de dépollution
de l’environnement via des
organismes vivants.
ouvrent d’autres portes vers d’autres « mé-
thode[s], pourvue[s] de résultats nombreux
et remarquables qui, dans les années à ve-
nir, s’imposeront à l’attention des esprits »2
.
C’est en prenant au sérieux le rôle de toutes
les sciences (du silex au sentiment) que
l’École urbaine de Lyon souhaite aborder
les enjeux soulevés par les systèmes com-
plexes des mondes urbains anthropocènes.
Et c’est en accompagnant ses doctorant.es
en cohérence avec les laboratoires qu’elle
déploie une formation doctorale juste :
transdisciplinaire, collective, profession-
nelle et créative.
1
Construire une recherche
doctorale transdisciplinaire
Explorer l’hypothèse de l’urbain an-
thropocène appelle à une convergence dis-
ciplinaire. C’est là l’essence même de l’École
urbaine de Lyon : celle d’affirmer que pour
être à la hauteur des enjeux soulevés par
cette hypothèse, il faut allier les outils, les
méthodes et les concepts de tous, il faut
créer la rencontre transdisciplinaire. En
effet, les questions soulevées par l’Anthro-
pocène — liées aux activités humaines sur
terre — se situent à la croisée des sciences
exactes, des sciences sociales et des scien­
ces expérimentales. En matière d’Anthro-
pocène la transdisciplinarité n’est donc plus
une option, c’est une nécessité, qui tendrait
à défendre une ère post-discipline.
Cette exigence, l’École urbaine de
Lyon l’applique en premier lieu à la forma-
tion doctorale à travers deux aspects prin-
cipaux : la sélection des candidat.es et la
création d’un collectif de doctorant.es ren-
dant tangible la transdisciplinarité.
Recruter tous horizons
Malgré les fortes (et anciennes3
) in-
jonctions à l’interdisciplinarité dans la re-
cherche doctorale, l’exercice de la thèse
demeure aujourd’hui une réalité profondé-
ment ancrée dans une logique de décou-
page disciplinaire. En effet, se lancer en
thèse signifie aussi entrer dans un labora-
toire de recherche et dans une école doc-
torale, deux institutions intrinsèquement
animées par des logiques disciplinaires4
.
Certain.es candidat.es au doctorat
réussissent cependant à faire de l’inter-
disciplinarité un élément fondateur de leur
projet de thèse. L’École est particulière-
ment attentive et à l’affût de ce signal faible.
Elle a notamment retenu en ce sens les pro-
jets de plusieurs candidats : celui de Rayan
Bouchali entre aménagement, urbanisme
et microbiologie, celui de Félix Schmitt, qui
allie physique et génie civil pour étudier les
Rentrée des doctorants,
1er octobre 2019,
jardin des Halles du Faubourg
© École urbaine de Lyon
– Adrien Pinon
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
Page B5
B
Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
2
Former des professionnels
Outre la transdisciplinarité, la for-
mation doctorale développée par l’École
urbaine de Lyon insiste sur un second as-
pect : la professionnalisation des étudiant.
es. En effet, l’issue d’un doctorat n’est pas
seulement vouée à l’enseignement et la re-
cherche8
. Et la part des doctorant.es dans
les secteurs privés, qui s’élevait déjà à en-
viron 13 % en 2017, augmente encore au-
jourd’hui.
	 En France, le doctorat est entré au
répertoire national de la certification pro-
fessionnelle en février 2019. Cette avancée
considérable permet de favoriser le recru-
tement des docteur.es par les employeurs
des secteurs de la production et des ser-
vices. L’arrêté du 22 février 2019 définit ain-
si de manière officielle les compétences as-
sociées à la formation doctorale. Six pôles,
appelés « blocs de compétences », y sont
inscrits.
Le premier porte sur la capacité
des docteur.es à mobiliser leur expertise
dans différents contextes et à différentes
échelles à travers la conception et l’éla-
boration de leur recherche. Le deuxième
bloc définit les compétences liées à la mise
en œuvre d’une démarche de recherche et
de développement, par les outils et le plan-
ning, mais aussi par la gestion des budgets
et des risques. Le troisième pôle porte sur
la valorisation et la diffusion des savoirs
en respect avec les principes de déonto-
logie, d’éthique, de propriété intellectuelle
et industrielle. Le quatrième bloc précise
les compétences de veilles scientifiques et
technologiques à l’international. Les deux
derniers blocs de compétences, les plus
connus du monde professionnel, portent
sur la formation et la diffusion de la culture
scientifique et sur l’encadrement d’équipes
de recherche — en d’autres termes surl’ap-
titude des docteur.es à former, encadrer et
diffuser les savoirs.
	 Attention, il ne s’agit pas de critères
d’évaluation des doctorant.es, mais bien de
compétences acquises au cours de la for-
mation doctorale. Dans cette perspective,
l’École urbaine de Lyon ambitionne d’appor-
teràsesdoctorant.esencontratdescontri-
butionsnovatricesdanslecadred’échanges
de haut niveau et dans des contextes inter-
nationaux. Elle leur propose, de manière
complémentaire à l’encadrement et aux
formations développées au sein des labo-
ratoires, d’agir en lien avec le monde pro-
fessionnel. Cela passe par son engagement
à accompagner les doctorant.es pour leur
montée en compétences professionnelles.
Sur le plan académique, les docto­
rant.es, considéré.es comme des profes­
sionnel.les de la recherche, sont ainsi invité.
es à participer à des programmes inter-
nationaux tels que le workshop organisé
pétences de diffusion des savoirs. Il s’agit de
temps de travail collectif, relativement
longs (au moins une journée) mais circons-
crits (ne débordant pas du moment en pré-
sentiel), organisés autour de la poursuite
d’un objectif précis et commun à tou.tes.
Pour sa première rencontre, le sémi-
naire avait pour objet : « Faire un journal
en un jour ». Sans entrer dans le contenu
(qui sera explicité un peu plus bas), attar-
dons-nous quelques instants sur les pré-
supposés de ce format. L’idée expérimentée
ici est qu’en sortant les doctorant.es de leur
routine de recherche individuelle et disci-
plinaire, les séminaires leur permettront
de rendre tangible la transdisciplinarité
par la mise en œuvre d’un projet commun,
à la fois un peu étranger et un peu familier.
Étranger, car l’objet ou le thème abordés
se situent en décalage vis-à-vis des atten-
dus académiques qui font leur quotidien
de recherche ; familier, car ce sont eux qui
construisent la matière mise en mouvement
lors de ces séminaires.
	 L’École urbaine de Lyon fait ensuite
le pari que le collectif peut exister par la
création d’un réseau entre les doctorant.
es. À terme, l’objectif est que ce réseau
soit alimenté de manière indépendante
par les étudiant.es eux-mêmes. Mais nous
ne sommes qu’aux premiers jours de cette
histoire. Aussi, et en attendant que monte
le courant, les membres de l’équipe se sont
mis en situation d’imaginer des proposi-
tions dans le sens d’une animation de ce
réseau.
De manière très simple d’abord, en
invitant les doctorant.es à partager une
interface de communication et de tra-
vail : le réseau social Trello. D’autres outils
transversaux sont également en cours de
création, et notamment une bibliographie
transdisciplinaire partagée, qui permettra
de constituer un état de l’art très large sur
l’Anthropocène mis à jour au fil de l’avan-
cement des travaux de thèse et de veille de
l’École.
Sur le fond, cette dynamique d’anima­
tion passe ensuite parl’identification d’axes
de recherche convergents parmi les projets
de thèse, en écho aux autres projets de re-
cherche portés par l’École urbaine de Lyon.
Des « pôles d’intérêt », non préconçus, ont
ainsi émergé a posteriori. Quatre se des-
sinent distinctement : un pôle déchets, un
pôle périurbain, un pôle sol/agriculture/
alimentation et un pôle eau. Convaincue de
la pertinence de ces pôles pour approcher
l’urbain anthropocène, l’École décide de les
prendre au sérieux. L’objectifest désormais
de s’en saisir pour les instituer en véritables
axes de recherche.Àl’avenir, tout sera donc
fait pour donner de l’épaisseur à ces axes,
en favorisant les échanges et les projets
entre les chercheuses et les chercheurs qui
les incarnent, à travers des dispositifs qui
restent encore à inventer. De même, ces
pôles seront amenés à évoluer avec la sé-
lection des futurs candidat.es au doctorat :
soit via le renforcement d’un axe identifié
comme stratégique, soit au contraire via
l’identification d’un point aveugle (les rela-
tions humains non-humains par exemple) à
investir. En la matière, la posture de l’École
sera toujours celle de l’ouverture et de la
souplesse : sensible aux effets de conver-
gence comme au surgissement de l’inat-
tendu.
Sont ainsi amenés à se côtoyer non
seulement ces doctorant.es mais aussi
leurs directrices et directeurs et leurs la-
boratoires respectifs, habituellement très
éloignés les uns des autres, qui sont mis en
réseau grâce à l’École urbaine de Lyon : le
Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes
naturels et anthropisés (LEHNA), l’UMR
Écologie microbienne Lyon, l’UMR Envi-
ronnement ville et société (EVS), le labora-
toire Triangle, l’Institut de recherches sur
la catalyse et l’environnement de Lyon (IR-
CELYON) et le Centre for Energy and Ther-
mal Sciences of Lyon (CETHIL).
Édifier un collectif
Importante mais non suffisante, la plu-
ridisciplinarité est une étape vers la trans-
disciplinarité. Cette dernière constitue un
objectif ambitieux, qui ne se décrète pas
mais se fabrique ensemble. En la matière
l’École urbaine de Lyon expérimente. L’hy-
pothèse en cours d’évaluation est que la
transdisciplinarité doctorale passera par
l’élaboration de communs. L’École y tra-
vaille avec assiduité à travers des actions et
des programmesvisant la création d’un col-
lectif de doctorant.es. Par collectif, on en-
tend l’établissement des conditions d’exis-
tence de la rencontre entre les étudiant.es,
du dialogue, du partage et in fine du travail
en commun — nécessairement transdisci-
plinaire auvu de la diversité de leurs profils.
Sont ainsi organisés des temps collectifs
en présentiel, réunissant non seulement
les doctorant.es financé.es par l’École ur-
baine de Lyon, mais aussi les doctorant.es
associé.es7
et d’autres membres de l’École.
Dans cette perspective, une journée de ren-
trée s’est tenue début octobre 2019. À cette
occasion, les doctorant.es, parfois accom-
pagné.es de leurs directrices et directeurs
de recherche, ont présenté leur projet de
thèse. Face à une audience pour partie ex-
térieure à leur champ, contraint.es par une
consigne temporelle stricte (5 minutes d’ex-
posé), ils ont débuté l’année sous le signe de
la traduction, de la diffusion des savoirs et
de la curiosité scientifique.Au-delà de l’inté-
rêt pédagogique de l’exercice, ce fut un mo-
ment important pour le collectif doctorant.
es et l’équipe de l’École, puisqu’il a permis à
tout.es de prendre connaissance concrète-
ment — par les personnes et les sujets — de
cette diversité disciplinaire constitutive.
Un second format de rencontre a été
ex­pé­­rimenté en novembre 2019 : celui des
for­­mations doctorales. Parmi elles, les pre-
mières master class « éditorialiser la sci­
ence », proposées par Lucas Tiphine, visant 
à mettre en situation les doctorant.es sou-
tenu.es par l’École urbaine de Lyon sous la
conduite d’intervenant.es qui se posent,
dans leur pratique professionnelle, la ques-
tion de la médiation scientifique. L’objectif
visé est de permettre aux jeunes chercheu­
ses et chercheurs de développer leurs com-
7	 Il s’agit des doctorant.es
qui sont financé.es par d’autres
institutions, mais dont le travail
intéresse l’École et sont à ce titre
invité.es à participer à la formation
doctorale qu’elle propose
et peuvent trouver dans l’École
un lieu de ressources
et un espace d’expression.
8	 En 2017, 13 % des docteurs
travaillent dans des entreprises.
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École urbaine 	
de Lyon
B
Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
Page B6
de doctorat est une chance, car il permet
de questionner avec les écoles doctorales
et les universités les critères d’évaluation,
les dossiers attendus et les processus ad-
ministratifs. L’École accompagne cette
première démarche complexe, en partena-
riat avec l’INSA Lyon et l’École doctorale en
sciences humaines et sociales de l’Universi-
té de Lyon. Le premier diplômé de haut ni-
veau dans le domaine de l’aménagement et
de l’urbanisme à Lyon par la voie de la VAE
va rédiger, sur les consignes de l’École, un
mémoire référent composé de deux par-
ties. D’une part, il va devoir rendre compte
d’expériences professionnelles passées, via
les canaux classiques de la diffusion des ré-
sultats de la recherche (articles, chapitres
d’ouvrages, communications…), mais aussi
à travers d’autres supports plus innovants
(documentaires, webdocs, blogs, projets…).
D’autre part, une partie rédigée permettra
d’établir un questionnement fil-rouge des
différentes productions présentées. Elle
proposera ainsi une relecture problémati-
sée des travaux du doctorant.
Par ailleurs, l’École a mis en place de façon
pionnière sur le site Lyon-Saint-Étienne,
un accompagnement de doctorat par la
validation d’acquis d’expériences (VAE). Il
s’agit ici par effet miroir de partir des com-
pétences professionnelles pour valider le
doctorat au niveau universitaire. Cette
démarche, encore trop rare, permet d’ins-
crire le diplôme de doctorat dans le cycle
des formations tout au long de la vie. Bien
qu’il s’agisse d’un des enjeux majeurs de
l’éducation au niveau national, et ce dans
toutes les universités de France, très peu
de doctorats par VAE sont délivrés au-
jourd’hui (une centaine seulement en 2017).
Ce diplôme, né du processus de Bologne, a
été intégré en France en 2002. Il fait encore
l’objet d’un grand nombre de débats et de
défiances, et de fait se développe peu. Or le
caractère expérimental de cette démarche
est au contraire considéré comme une
qualité, que l’École souhaite encourager
et porter. L’aspect innovant et encore libre
(du moins libéré d’un certain formalisme
inhérent aux thèses classiques) de ce type
à Tokyo en 2018, où masterant.es, docto-
rant.es, chercheuses et chercheurs du ré-
seau scientifique de l’École ont participé
ensemble aux échanges scientifiques de
manière horizontale. Dans le même sens,
l’École a mis en place des écoles d’hiver en
été, comme celle organisée à Buenos Aires
en juillet 2019 dans le cadre de la première
école de l’anthropocène enAmérique latine.
Sur le plan professionnel régional, la
formation doctorale de l’École s’appuie
sur sa programmation évènementielle aux
Halles du Faubourg, et notamment la se-
maine « À l’École de l’Anthropocène » orga-
nisée fin janvier et les « Mercredis de l’An-
thropocène », rendez-vous public hebdoma-
daire. Dans le cadre de ces programmes, les
doctorant.es sont ainsi amené.es à animer
des débats ou des émissions radio, à mon-
ter des séminaires et des formations. Ce
faisant, l’objectif est de faire école grâce au
vivierd’activités publiques développées par
l’École urbaine de Lyon.
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École urbaine 	
de Lyon
B
Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
Page B7
comme méthodes d’enquête et comme mo-
dalités de restitution des résultats scienti-
fiques : le passage par l’image, la scène, le
son, etc.
Ouvrir les formats de l’enquête
Dans la formation doctorale à l’École,
la place de l’enquête est primordiale. Elle
permet d’envisager les systèmes com-
plexes issus du terrain. En effet, l’hypo-
thèse portée par l’École est que la diver-
sification des modalités de réalisation de
l’enquête permet d’appréhender de nou-
veaux enjeux et de fait peut conduire à de
nouveaux résultats. Une enquête ouverte
aux médium contemporains d’expression
se rapproche des enquêté.es. L’École at-
tache une grande importance à toutes les
formes d’expression capables d’enregistrer
des phénomènes scientifiques et sensibles.
Ainsi du multimédia à la performance, on
observe une mutation des outils méthodo-
logiques dans la recherche urbaine, qui se
retrouve également chez les doctorant.es
3
Explorer les formats
pour une recherche créative
Les doctorant.es sont également em-
barqué.es au sein de l’École dans une explo-
ration créative des formats d’enquête et
de restitution des résultats de la science.
L’idée est que les modes de formalisation
traditionnels académiques (articles et ex-
posés) ne peuvent pas être les formats ex-
clusifs de la construction et de la diffusion
des savoirs. L’École est ainsi convaincue
que le passage par des formes d’expression
non-traditionnelles, empruntées à l’art et
à d’autres médias est une piste fertile non
seulement pour appréhender les enjeux an-
thropocènes, mais aussi pour développer
une recherche créative et innovante acces-
sible aux publics extérieurs à l’université.
L’ambition est de pousser les doctorant.es
à explorer de nouveaux formats à la fois
Depuis 2019, l’École s’est engagée
sur un profil international pilote, avec son
premier candidat, Jérémie Descamps, fon-
dateur de Sinapolis, bureau d’études et de
recherches pluridisciplinaires autour de
l’urbain, des échanges culturels et de la dif-
fusion des savoirs entre acteurs européens
et chinois. Il vient de déposer son dossier
de recevabilité administrative et devrait
défendre sa thèse sur les enjeux urbains
chinois avant fin 2020. Cette première ex-
périence positive pousse l’École urbaine de
Lyon à poursuivre son programme docto-
ral dans ce sens à travers le recrutement
de nouveaux candidats au doctorat en VAE.
À terme, l’objectif est de dépasser les ca-
drages disciplinaires et de développer les
formations anthropocènes tout au long de
la vie, dans d’autres universités, d’autres
domaines avec des membres du consortium
voire d’autres partenaires.
1	https://www.youtube.com/
watch?v=TZSjEyfP8lA
Le dessin, outil d’enquête.
Esquisse du chantier derrière
les Halles. 25 novembre 2019
© École urbaine de Lyon
– Lou Herrmann
Le cycle de master class
doctorales de l’École
urbaine de Lyon :
Éditorialiser les sciences
à l’ère anthropocène
Docteur en géographie,
chercheur postdoctoral et chargé
de projet à l’École urbaine
de Lyon
Lucas Tiphine
Catherine Jeandel, océanographe au LEGOS de Toulouse et membre
de la commission stratigraphique sur l’Anthropocène, confiait récemment dans
un podcast de l’École urbaine Lyon : « Maintenant on nous écoute un peu plus ! » 1
On peut néanmoins se poser la question, au vu par exemple du décalage
entre les recommandations faites par les scientifiques pour respecter l’engagement
politique pris pendant la COP21 de limiter le réchauffement climatique
et les actions mises en place effectivement, de la valeur de la parole scientifique.
	 C’est dans cette perspective que s’est tenue la première master class
« Éditorialiser les sciences » en novembre 2019 aux Halles du Faubourg pour réfléchir
aux modalités d’intervention des scientifiques dans le débat public.
Des doctorant.es et postdoctorant.es associé.es à l’École se sont réuni.es
pour réaliser collectivement un journal en quelques heures avec Cécile Michaut,
formatrice en vulgarisation scientifique. Le but était d’obtenir en fin de journée
un journal modeste, mais complet, à la manière des journaux révolutionnaires
du début du XXe siècle réalisés très rapidement et avec peu de moyens : reportages,
interviews, titres, textes, images, rubriques, mise en page… Concrètement,
les participant.es ont défini ensemble le public visé, le thème général, la taille
du journal et les rubriques. C’est ainsi qu’est née La Terre en Chantier.
Au sommaire : un édito sur le statut de l’art face à l’urgence, un dossier consacré
au chantier qui a lieu actuellement à proximité immédiate des Halles du Faubourg
(avec un reportage et une analyse), une rubrique « conseils » (alimentation
et logement), un encadré « poésie » et un horoscope anthropocène, l’ensemble
illustré par des croquis d’observation réalisés pendant la journée.
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de Lyon
Page B8Formation / Recherche /
Formation par la recherche / Recherche action
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Enfin, l’École urbaine de Lyon invite et ac-
compagne les doctorant.es à la publication
surson blog d’ « Anthropocene2050 » héber-
gé sur la plateforme Medium. Cet espace
est un support d’édition souple, capable
d’accueillir du texte, comme de l’image, du
son ou de la vidéo. Moins normé que la pu-
blication académique classique, « Anthro-
pocene2050 » est ouvert à des modes d’ex-
pression diversifiés.
Pour l’École la formation doctorale n’est
pas un chantier annexe du programme :
au contraire, elle est au centre de ses ac-
tivités. Car si l’anthropocène est une porte
vers une nouvelle formation doctorale, fon-
der une nouvelle formation doctorale est
une nécessité pour appréhender les enjeux
anthropocènes. En conclusion, le postulat
que pose ici l’École urbaine de Lyon pour-
rait être formulé de la manière suivante :
« Cherchons encore comme éteindre nos
centrales en fusion, faisons un doctorat ».
cialisée dans le journalisme scientifique, un
journal en un jour.
Le dispositif« e-portfolio » a également
été investi par l’École. Il s’agit d’un outil nu-
mérique permettant aux doctorant.es de
mettre en forme les compétences et expé-
riences développées au cours de leur par-
cours doctoral dans une version évolutive,
attractive et surtout diffusable.Àtravers ce
dispositif, l’idée est de les amenerà prendre
conscience de leurs compétences, de les
accompagner dans leur insertion profes-
sionnelle après la thèse, mais aussi pour
l’École d’améliorer et d’adapter ses forma-
tions/activités en prenant en compte leurs
attentes. Le e-portfolio constitue ainsi à la
fois un outil de capitalisation progressive,
de formalisation originale de leurs expé-
riences mais aussi de diffusion de leur tra-
vail par réseau.
L’École a lancé par ailleurs une série
vidéo, dans laquelle elle invite les scienti-
fiques à s’exprimer de manière originale
sur leurs travaux en répondant à la ques-
tion suivante : « Quel objet vous permet de
penser l’Anthropocène ? ». Les doctorant.es
ont été sollicité.es au même titre que l’en-
semble de la communauté de chercheurs et
chercheuses affilié.es à l’École.
que l’École a choisi de soutenir. Alexandra
Pech, par exemple, travaille avec l’artiste
Thierry Boutonnier : elle s’appuie sur le pro-
jet artistique « Selfood inquiry », pour faire
du terrain autour des enjeux de l’alimenta-
tion des jeunes. Loriane Feirrera souhaite
utiliser et intégrer les principes de cap-
tation sonore dans son travail empirique
sur les périphéries urbaines entre Lyon et
Montréal. Clément Dillensegerintègre dans
son protocole de recherche les principes
de recueil d’information multisensoriel en
fournissant à ses enquêté.es des kits com-
prenant des crayons, carnets et appareils
photos jetables, pour récolter des dessins,
images et récits. Ces représentations, en-
core rares dans les travaux académiques,
lui permettent d’appréhender sous un jour
nouveau ses objets d’études. Thomas Bou-
treux souhaite mettre en place des visites
participatives de terrain afin de créer des
données coproduites par l’échange d’infor-
mations citoyennes et la sensibilisation.
Un des objectifs de la formation doctorale
est d’accompagner et d’encourager ces
prises de risque méthodologique, de mettre
l’accent surces outils hors-champs d’explo-
ration empirique et de représentation spa-
tiale et conceptuelle.
Les participant.es à l’école de Bue-
nos Aires ont ainsi pu prendre part à un
workshop de cinq jours mêlant approches
artistiques, spirituelles et scientifiques dans
l’appréhension de cinq études de cas. De
cette façon, le groupe a parexemple décou-
vert de manière originale le territoire de la
Costa Esperenza, quartierinformel au nord
de San Martin qui vit par, pour et avec les
déchets, en confrontant récits d’habitants,
discours des collectivités locales, pratiques
d’un centre de tri de déchets coopératif et
expériences chorégraphiques engageant le
rapport au corps dans le travail. Dans cette
perspective, l’École soutient également une
semaine de formation à la production de
reportages radio pour ses masterant.es et
doctorant.es. De même, elle va recevoir dé-
but 2020 en résidence l’écrivain, essayiste
et plasticien, Camille de Toledo, pour un
travail d’écriture intitulé « Enquêter, enquê-
ter, mais pour élucider quel crime ? », dans
le cadre duquel les doctorant.es sont invité.
es à participer à un atelier autour de cette
question de l’enquête.
Expérimenter de nouveaux formats
de diffusion scientifique
Cet enjeu de la diversité des formats
se joue également autour de la question de
la restitution des résultats de la recherche.
Décidée à l’aborder de manière frontale,
l’École propose à ses doctorant.es financé.
es et associé.es, mais aussi à ses post-doc-
torant.es, une série de programmes. L’idée
n’est pas de leur offrir des formations fer-
mées, clefs en main, mais de les pousser à
s’engager activement dans ces probléma-
tiques via des démarches expérimentales.
La première d’entre elles prend la
forme d’un séminaire intitulé « Éditorialiser
les sciences » (voir encart), évoquée plus
haut. Une première master class s’est ainsi
tenue en novembre 2019 : une douzaine de
chercheuses et chercheurs se sont réunis
pour créer, avec l’aide d’une experte spé-
Plateau radio du 26 janvier 2019,
Halles du Faubourg
© Collectif Item – Bertrand
Gaudillère
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Quatre mots de la fin — quatre : pas un de plus.
/1 /	Slash.
est une barre oblique, le segment d’une
diagonale qui court d’un point situé en bas à
gauche à un autre point, plus haut sur la droite
— une barre ascendante, donc, si l’on s’en tient
au sens de lecture. Le Français l’appelle comme
cela, barre oblique, quand l’anglais dispose d’un
mot plus bref, sifflé-craché comme un geste,
la main qui remonte et le couteau qui brille,
slash, mot que le glob- bish typographique a
donc adopté sans oublier tout à fait qu’employé comme
verbe, ce même mot sifflant-sonore nomme l’acte de fen­
dre, trancher, sabrer — d’un slasher movie, de ses éclabous-
sures rouges, personne ne sort vivant, ni de la fin du
monde d’ailleurs. Le slash n’est pas un nouveau venu par-
mi les signes ; mais son usage contemporain est cepen-
dant récent et la façon dont il s’est invité dans l’ordinaire
de nos échan­ges et de nos textes, jusque dans ce titre
curieux sous lequel je m’in- vite, « avant/après la fin du
monde », mérite d’être in- terrogée. Hegel soutenait que les
idées qui gouvernent le monde s’avancent à pas de co-
lombes ; affligé d’une graphie pénible, je serais tenté de
penser qu’elles se présentent en pattes de mouche,
et qu’à cette aune une époque a la typographie qu’elle
mérite.
Me frappe, le fait que la fortune récente du slash se
soutient de deux utilisations principales. La première, c’est celle
que l’on trouve dans la barre d’adresse de nos navigateurs ou nos
systèmes d’exploitation ; la barre oblique vient y figurer ou y expri-
mer la relation qu’un dossier entretient avec le dossier de rang in-
férieur, indiquant ainsi le chemin à suivre dans une arborescence.
Le slash a, dans ce contexte, une signification à la fois distinctive
et hiérarchique — il sépare, relie, distribue. Or, d’un autre côté,
dans d’autres contextes, nous recourons au slash pour relier des
éléments de même rang, éléments dont nous souhaitons signifier
qu’ils sont liés ensemble par une relation de disjonction — mais
disjonction qui, fait étrange, peut être tantôt exclusive, et tan-
tôt inclusive. Autrement dit, « A/B » peut signifier « soit l’un, soit
l’autre », mais aussi « l’un, ou l’autre, ou les deux », ce qu’on appuie
parfois en écrivant « et/ou ». Il arrive donc ceci à notre langue et
à notre pensée : qu’un même signe y dit l’ordonnancement des
choses dans un emboîtement de niveaux distincts, et la façon dont
elles se présentent ensemble, se bousculent de telle sorte que, re-
nonçant à les sérier, nous les laissons affleurer en même temps
à la surface de l’écriture, battre mollement
l’une contre l’autre comme on étalerait sur un
même marbre des pâtons aux formes incer-
taines, la barre oblique intercalée entre eux
en un vague feuillet ; et ce même signe peut
vouloir dire, alors, qu’on a affaire à une stricte
alternative, c’est l’un ou l’autre, la nuit ou le
jour, la vie ou la mort, l’hiver ou l’été, avant
ou après ; ou que l’alternative s’estompe, de
sorte qu’on ne serait pas surpris ni notre slash
démenti de voir le jour et la nuit se présenter
ensemble, la vie et la mort se mêler, les gelures
de l’hiver se confondre avec le dessèchement
de l’été dans la raideur cassante d’un présent
qu’aucune alternance des saisons, aucun ba-
lancement d’avant en après n’animeraient plus
jamais.
Je voudrais seulement suggérer ceci :
écrire « Avant/après la fin du monde », ce
n’est pas céder à une facilité de présentation,
ou à une forme de paresse quand on aurait
pu assigner plus clairement et distinctement
la relation entre ces deux temps, dire enfin
ce qui se joue le long de cette barre oblique ;
c’est au contraire serrer au plus juste l’expérience dont il s’agit, la
façon dont la pensée et peut-être l’approche de la fin du monde
soumettent l’avant et l’après à la double loi de la séparation et du
mélange, comme l’entaille et l’incertitude des chairs meurtries qui
la corrompt, la trouble, la recouvre ; par exemple, quel signe, mieux
que le slash dans la double valence que je viens de décrire, pourrait
ainsi exprimer à la fois le désir un peu panique de sérier les ques-
tions et l’impuissance à les démêler, ou la nécessité de renoncer à
le faire quand elles se présentent toutes ensemble ? Au terme de
son grand livre Effondrement, sur lequel je reviendrai, Jared Dia-
mond énumère douze problèmes écologiques potentiellement
fatals puis demande : « Quel est le problème environnemental et
démographique le plus important aujourd’hui ? » Et de répondre
en indiquant ce qui lui paraît être, à lui, la plus grave des difficultés :
« Notre tendance erronée à vouloir identifier le problème le plus
important ».
/2 /	Sorite.
Le paradoxe du sorite est connu, sous différentes variantes, de-
puis le ive siècle avant notre ère, où il fut énoncé par Eubulide de
Mégare. Cet argument consiste à demander : combien de grains
de sable faut-il ajouter à un grain de sable pour obtenir un tas de
sable ? (En grec, soros veut dire tas). Car enfin, un grain de sable
avant   après
la fin
du monde
Danslecadredelasoirée
« Avant / aprèslafindumonde »,
Àl’Écoledel’Anthropocène,
26 janvier2019.
C’
Mathieu Potte-Bonneville Philosophe, maître de conférences
à l’Université de Lyon (École normale
supérieure de Lyon) et directeur
du département Culture et création
du Centre Pompidou
Publié sur AOC
[Analyse Opinion Critique],
le 10 février 2019
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n’est pas un tas (première prémisse incontestable) ; et ajouter un
grain de sable à ce qui n’est pas un tas ne suffit pas à en faire un
tas (deuxième prémisse incontestable) ; de sorte que vous aurez
beau ajouter, un à un, autant de grains de sable que vous voudrez,
il est logiquement impossible de comprendre comment soudain,
se tient devant vous un tas de sable. C’est la même chose, mais
dans l’autre sens, avec la calvitie : retirer un cheveu ne suffit pas à
passer de l’état de non-chauve à celui de chauve, et pourtant on
dira certainement de celui qui n’a plus qu’un seul cheveu sur la tête
qu’il est chauve. Reste que ce qui apparaît empiriquement comme
un fait, le paradoxe du sorite le répute logiquement incompréhen-
sible. Cet amoncellement, ce crâne, on ne sait pas, on ne voit pas,
on ne comprend pas comment ils ont pu arriver.
Le paradoxe de Wang (du nom de Wang Yang-Ming, philo-
sophe né en 1472 à Yuyao et mort en 1529 dans le Guangji) est une
variante numérique du paradoxe du sorite. On peut l’énoncer ainsi :
	 1 est un petit nombre
	 si n est un petit nombre, alors n+1 est un petit nombre
	 par conséquent tous les entiers naturels sont
		 de petits nombres
	
le 17 novembre dernier ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signa-
lement — 237 » ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signalement
— 238 »…). Voyant s’élever ces chiffres, et sans que rien ne change,
je me disais ceci : dans l’Antiquité, les paradoxes servaient à attester
du divorce entre la raison et les sens — leur intérêt philosophique
tenait au scandale qu’ils font naître, dès lors que nos facultés di-
vergent, parce que nous voyons ici le tas mais que nous le jugeons
là impossible ou contradictoire, et qu’il nous faut choisir, nous de-
mander que croire. Qu’ils soient grecs ou chinois, les philosophes
n’avaient pas vu que ces paradoxes peuvent tout aussi bien sceller
une secrète alliance entre la dénégation et la gradation, les dresser
ensemble contre toute obligation d’avoir à effectuer quelque choix
que ce soit. Étrange promesse : pour peu que le tas augmente peu
à peu, nous pourrons continuer à ne pas le voir, quitte à nous y
retrouver jusqu’au cou comme Winnie dans la pièce de Beckett, Oh
les beaux jours, dont le torse seul émerge du sable ; pour peu que le
nombre n des éborgnés ou des exilés s’accroisse petit à petit, nous
pourrons continuer à le réputer petit, repoussant dans chaque cas
à l’extrémité de notre raisonnement, à la bordure de notre œil, le
scandale que nous savons bien, et la gravité de la catastrophe.
Bien entendu, cette convergence terrible où la continuité
de la mesure conspire avec notre manière de n’y déceler aucun
changement notable, aucun saut, cette convergence vaut d’abord
aujourd’hui pour le réchauffement climatique : les hypothèses
à deux degrés, trois, quatre ou cinq degrés ont beau déboucher
sur des transformations cauchemardesques dont il nous est fait
amplement récit, elles ont beau annoncer un monde dépeuplé
d’animaux, où survit un tas d’hommes et nu comme une tête, cela
ne fait rien ; si un degré est un petit nombre, comment deux ne
seraient-ils pas petits encore ?
À ce compte oui, on comprend que l’envie de trancher pal-
pite ; on saisit que si l’idée de la fin du monde insiste quelque part,
c’est davantage dans le miroitement de nos désirs, du côté de nos
fantasmes, plutôt que dans l’horizon de nos choix ou de nos res-
ponsabilités. Qu’est-ce qu’elle attend, la fin du monde ? Qu’est-ce
qu’il fout, l’astéroïde ? Si une part de la pensée politique radicale
s’est aujourd’hui rangée sous la bannière de l’imminence voire
du messianisme (comme Giorgio Agamben relisant Saint-Paul y
puisait cette promesse : « car elle passe, la figure de ce monde »,
ou comme le Comité invisible titrant l’un de ses opus d’un sobre :
Maintenant) ; si dans le même temps la collapsologie mainstream
fait florès en librairie, c’est que la part non-résignée de nous-même
rêverait d’opposer à cet enfoncement la netteté d’une date, à ces
malheurs en pente douce, à ces agonies d’opéra où la diva s’en-
nuie ferme sans cesser de souffrir, la butée d’une barre de mesure,
même oblique ; un trait, une limite, un slash.
(Voici quelque temps, c’était en novembre, je me trouvais
dans la salle de petit-déjeuner déserte d’un hôtel ; surplombant les
serviettes en papier orange, dans le silence des tasses retournées
sur leurs soucoupes, sur un immense écran plasma défilaient par-
mi les carcasses d’abribus noircies les véhicules vert pomme de la
propreté de Paris ; c’était un dimanche matin, au sortir donc de
l’acte ii ou iii des gilets jaunes, et bfm avait choisi d’inscrire au bas
de l’écran, sur le banc-titre, une légende directement empruntée
aux blockbusters post-apocalyptiques, où se lisait surtout l’exulta-
tion d’enfin y être : « Champs-Élysées : le jour d’après »).
/3 /	Malheur.
Le malheur est que le malheur tarde. Le malheur est (pour re-
prendre le titre d’un film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet)
que le malheur vient trop tôt trop tard. Pas toujours, bien sûr : par-
fois, la tempête nous fait l’horreur de sa présence. Dans son beau
livre Chronique des jours tremblants, Yoko Tawada explique qu’au Ja-
pon, les jours qui suivent un tremblement de terre procurent sous
la douleur et l’affairement des rescapés un sentiment de sécurité
relative ; si éprouvantes que soient les répliques, on sait d’un savoir
immémorial qu’elles ne sauraient être aussi dévastatrices que le
séisme initial, répétitions atténuées qui repoussent dans le passé
la grande secousse ; ainsi les souvenirs pénibles ont-ils au moins
ceci d’apaisant qu’ils sont des souvenirs — la tempête est venue. Et
Combien de grains
de sable faut-il
ajouter à un grain de
sable pour obtenir
un tas de sable ? […]
il est logiquement
impossible de
comprendre comment
soudain, se tient
devant vous un tas
de sable.
J’aibeaucouprepenséauparadoxedeWangcesdernièressemaines,
cependant que s’alignaient au long de journées troublées et sem-
blables deux colonnes de chiffres sur ma page Twitter : la première
colonne recensait le nombre d’exilé·e·s repérés en Méditerranée,
les un·e·s noyé·e·s, d’autres condamné·e·s à attendre (longtemps)
qu’on veuille bien les répartir dans divers pays de l’Union euro-
péenne, d’autres encore renvoyé·e·s en Libye selon une pratique
qui peu à peu, petit à petit, paraît devenir accordée et habituelle ;
sur la deuxième colonne s’élevait comme un monument solitaire
la série des signalements dont le journaliste David Dufresne tient
le décompte sur son fil Twitter, signalement renvoyant à des bru-
talités policières tour à tour répertoriées et additionnées (chaque
post de David Dufresne est indexé par un nombre, indiquant qu’il
augmente d’une unité le total des violences documentées depuis
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Cela fait trois jours
qu’il n’a pas mangé
Et il a beau
se répéter depuis
trois jours
Ça ne peut pas durer
Ça dure
de même Épicure et Lucrèce entendaient nous remonter le moral
avec cette pensée que la douleur est facile à supporter, car son
intensité varie en raison inverse de sa durée de sorte que lorsqu’on
a très mal, c’est très vite fini. Tu parles. Le malheur est en effet que
les fins du monde n’obéissent pas aux raisons des philosophes :
les écroulements prennent tout leur temps, transissent le temps
lui-même, on ne bouge plus. Ainsi le réchauffement climatique,
s’il multiplie les phénomènes extrêmes, ressemble pourtant moins
à la brusquerie d’un tremblement de terre qu’à un orage qui sans
craquer indéfiniment s’alourdit, nous laissant avec le genre de
frustration que procurent les éternuements s’ils s’annoncent et ne
veulent pas venir.
Pour le dire autrement, ce que la catastrophe tend à catas-
tropher, c’est la coïncidence à soi de l’événement qui permettrait
de distinguer nettement un avant d’un après : en avance ou en re-
tard sur elle-même, elle déconcerte l’ordre du temps. D’une part,
en aval ou sur sa lancée, la fin n’en finit pas, et l’expérience qu’elle
suscite obéit à la loi de ce que j’ai tenté de nommer ailleurs le
« continuel ». Je n’y insiste pas, là-dessus, Jacques Prévert a écrit
l’essentiel, en quatre vers et à propos de la pauvreté :	
La fin, donc, se survit, et repousse ou retarde par là même toute
possibilité d’envisager un après ; mais symétriquement, la fin an-
ticipe sur elle-même, elle vient de plus loin, de plus haut, de plus
tôt, elle entache l’avant d’une forme de compromission qui lui ôte
toute innocence. Dans l’un des passages les plus frappants du livre
que j’ai déjà cité, Effondrement, Jared Diamond tente de répondre à
la question de l’un de ses étudiants, qui l’avait laissé coi : « Qu’est-ce
que l’habitant de l’île de Pâques qui a coupé le dernier arbre a bien
pu se dire à lui-même ? ». Et voici ce qu’écrit Diamond : « L’amné-
sie du paysage répond en partie à la question de mes étudiants
(...) nous imaginons inconsciemment un changement soudain :
une année, l’île était encore recouverte d’une forêt de palmiers,
parce qu’on y produisait du vin, des fruits et du bois d’œuvre pour
transporter et ériger les statues ; puis voilà que l’année suivante,
il ne restait plus qu’un arbre, qu’un habitant a abattu, incroyable
geste de stupidité autodestructrice. Il est cependant plus probable
que les modifications dans la couverture forestière d’année en
année ont été presque indétectables : une année, quelques arbres
ont été coupés ici ou là, mais de jeunes arbres commençaient à
repousser sur le site de ce jardin abandonné. Seuls les plus vieux
habitants de l’île, s’ils repensaient à leur enfance des décennies
plus tôt, pouvaient voir la différence. Leurs enfants ne pouvaient
pas non plus comprendre les contes de leurs parents, où il était
question d’une grande forêt (...). À l’époque où le dernier palmier
portant des fruits a été coupé, cette espèce avait depuis longtemps
cessé d’avoir une signification économique. Il ne restait à couper
chaque année que de jeunes palmiers de plus en plus petits, ainsi
que d’autres buissons et pousses. Personne n’aurait remarqué la
chute du dernier petit palmier. Le souvenir de la forêt de palmiers
des siècles antérieurs avait succombé à l’amnésie du paysage ». Le
malheur, donc, est que la fin s’éclipse deux fois, dans une affolante
superposition de l’avant et de l’après : une fois parce qu’elle ne finit
pas de finir, une autre fois (à supposer qu’un tel décompte ne soit
pas lui-même compromis, et que cette autre fois ne soit pas la
même) parce que lorsque cela finit de finir, c’était déjà fini, depuis
longtemps et d’aussi loin que l’on s’en souvienne.
Manque, encore, le régime de pensée adéquat à cet entre-temps.
/4 /	Insomnie.
La gravure d’Escher intitulée « Jour et nuit » propose une variation
assez particulière du motif des figures ambiguës, qui fascinait le
graveur néerlandais. Le motif qu’elle présente, celui d’un vol d’oies
sauvages vu en légère contre-plongée et sous lequel défile un semis
de champs cultivés, est affecté d’une double ambiguïté : horizonta-
lement, on passe par degrés insensibles d’un groupe d’oies noires,
tête vers la gauche et séparées par une série de zones claires, à un
groupe d’oies blanches, tête vers la droite et que séparent des ha-
chures sombres. D’autre part, sur l’axe vertical, la gravure permet
de passer sans solution de continuité du vol des oies aux losanges
des champs, comme si leur dénivellation, elles en haut, eux en bas,
différence des plans clairement perceptible dans la partie supé-
rieure de l’image, se dissolvait dans l’aplat à mesure que l’on des-
cend. Aux angles inférieurs, deux villages se font face, dont on ne
saurait décider s’ils se disposent comme deux espaces, deux étapes
sur la route des oiseaux migrateurs, ou comme deux temps, même
église et même hameau, jour et nuit. Sur sa diagonale ascendante,
sa barre oblique, se font signe le village nettement dessiné et l’oie
la plus claire ; le tableau, on le voit, aurait pu s’intituler « jour/nuit »,
tant la géométrie qu’il déploie, cette coexistence possible d’états
qui par ailleurs s’excluent, ce surplomb avalé dans la platitude du
mélange, font écho à la logique que je tentais tout à l’heure de
décrire. Mais m’intéresse surtout la façon l’indication que donne
Escher, la piste qu’il ouvre en intitulant précisément « jour et nuit »
cette scène où l’on ne sait plus distinguer l’avant de l’après, le mou-
vement progressif et celui qui va à rebours, ni le ciel de la terre :
peut-être, suggère-t-il, pour rendre notre pensée adéquate à ce
moment si incertain où les chronologies sont brouillées, il fallait
trouver d’abord à défaire notre vigilance de ce qu’elles doit à l’alter-
nance du jour et de la nuit, du sommeil et de la veille.
Si l’on prend au sérieux le motif de « la fin du monde », on ne
peut manquer de se souvenir que le monde commence par là, sitôt
ciel et terre installés face à face — « Dieu vit que la lumière était
Escher, « Jour et nuit »,
gravure sur bois de fil,
deux planches 36 x 68 cm,
1938
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bonne, et il sépara la lumière des ténèbres/Dieu appela la lumière
jour, et les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin. Ce
fut le premier jour. » C’est à cette alternance-là, d’abord, que nous
devons de pouvoir distinguer ce qui vient avant et ce qui vient
ensuite, les veilles et leurs lendemains, le grand soir et les petits
matins. Penser « à la fin du monde », alors, en tous les sens de
la préposition, comme on pense à un certain objet mais comme
on s’installe aussi en un certain lieu, ce serait déployer une pen-
sée qui, littéralement, ne soit plus ni matinale ni crépusculaire, ni
d’amont ni d’aval, ni d’avant ni d’après. De cette question, peut-être,
de cette posture ou de cette disposition de la pensée les insom-
niaques savent quelque chose — puisqu’il est tard, qu’il fait nuit et
que je vous amuse des miettes de mes poches, vous me permettrez
de tirer une brève note du journal que je tiens de mes insomnies,
et qui m’est revenue en préparant ce texte.
2 h 08 — Au cours des nuits passées à boire, à s’aimer, à jouer
au tarot ou aux ambassadeurs, vient souvent ce moment où l’un
dit : il est tard, et l’autre corrige en : il est tôt, parce qu’on est déjà
demain et que le souligner ainsi appartient aux plaisanteries ri-
tuelles qui saluent et conjurent le plaisir pris aux transgressions
de l’ordre du jour.
(un des plus beaux films du monde en fit une chanson :
Good morning,
good mo-o-orning, we
spent the whole night
through,
good morning, good
morning, to you
).
Si la nuit blanche réconcilie le très tard et le très tôt, au contraire,
l’inquiétude liée à l’insomnie vient de ce qu’elle les congédie en-
semble, et ne saurait en toute rigueur être dite ni l’un ni l’autre :
deux heures, pour qui s’y éveille, ce n’est ni tôt, ni tard. Raison pour
laquelle l’insomniaque ruminera volontiers la vieillesse, la mort, la
rédemption ou la vengeance : elles, au moins, viennent tôt ou tard,
donnent malgré l’effroi qu’elles inspirent à la nuit l’indication d’une
issue, font repartir le temps en tirant sur son grand côté. 
Relisant ceci, et songeant à nos affaires, je me disais qu’il en va
de la collapsologie comme des ruminations de l’insomniaque : elle
se figure le pire parce qu’au moins, celui-ci redonne une direction
au temps. Et je me disais du coup qu’accueillir, au contraire, cette
expérience dégagée de l’alternative du « tôt ou tard » était l’une des
tâches les plus urgentes de notre temps. Peut-être la fin du monde,
si par là on nomme d’un trait ce qui nous arrive et dont nous ne
voulons pas, a-t-elle besoin de gens qui face à cette aggravation
n’en ferment plus l’œil de la nuit.
A°2020
Coédition
École urbaine de Lyon
+ Éditions deux-cent-cinq
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– Université de Lyon
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69007 Lyon — France
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Ont collaboré à cette parution
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T	 Lucas Tiphine,
	 Camille de Toledo,
	 Jean-Yves Toussaint,
			W	 Chuan Wang
Conception éditoriale,
design graphique et réalisation
Bureau 205®
www.bureau205.fr
ISSN
En cours
Janvier 2020
ISBN
Éditions deux-cent-cinq
978–2–919380–30–5
ISBN
École urbaine de Lyon
— Université de Lyon
978–2–953463–51–4
Nos remercions AOC (Analyse
Opinion Critique), Rue89Lyon
et Tous urbains, pour avoir
accepté de republier certains
de leurs textes dans A°2020.
Diffusion/Distribution
Éditions deux-cent-cinq
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Saint-Just-la-Pendue (42)
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Éditer « anthropocène »
Éditer, c’est faire des choix,
prendre position, valoriser par
la diffusion, faire acte de
dissémination.
	 Éditer c’est aussi produire
un objet, un format, un volume,
un poids. Penser chaque
paramètre en fonction
du projet. C’est faire exister
le texte, l’image sous une
forme tangible, durable
et transmis­sible. Donner du
sens aux images et aux signes
qui nous entourent pour nous
rendre autonomes et citoyens.
C’est faire œuvre de création
graphique, typo­graphique.
Éditer c’est utiliser du papier
et de l’encre, c’est transporter,
et ce sont tout autant
des personnes : des auteurs,
des éditeurs, des imprimeurs,
des designers graphiques…
des diffuseurs, des libraires,
des bibliothécaires.
À l’heure d’une planète
fragilisée, comment interroger
le processus éditorial ?
En portant une attention aux
hommes avec la recherche
de compétences qualifiées
et certifiées, une attention
aux matériaux — de la forêt
au papier, du végétal à l’encre
—, une attention générale à
l’optimisation des ressources
humaines et matérielles en
privilégiant les circuits courts
afin d’amoindrir les impacts
du transport, en imaginant
une politique éditoriale
inventive afin de limiter les
déchets.
	 Éditer « anthropocène »,
c’est réfléchir simultanément
à tous les aspects du
processus, tenir l’ensemble
des contraintes et assumer les
limites rencontrées. C’est le
pari engagé par l’École urbaine
de Lyon avec les Éditions
deux-cent-cinq. Ce magazine
est déjà la manifestation
de ces choix.
École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
École urbaine 	
de Lyon
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c
Michel Lussault
Photo :
Earth at Night,
Asia and Australia (2016).
NASA Earth Observatory
Géographe, professeur
à l’Université de Lyon
(École normale supérieure
de Lyon) et directeur
de l’École urbaine de Lyon
Qu’est-ce que le Monde, cette réalité globale
— un espace social d’échelle terrestre —
que la mondialisation installe1
 ? Un nouveau
mode de spatialisation des sociétés humaines,
une mutation dans l’ordre de l’habitation
humaine de la planète, c’est pourquoi il est
judicieux d’écrire ce terme avec une majuscule,
pour réserver le mot avec minuscule à ce
qui ressortit du mondain, du social. Et cette
mutation possède une cause majeure, un
vecteur principal : l’urbanisation, tout à la fois
mondialisée et mondialisante, est la principale
force instituante et imaginante du Monde.
Instituante, parce qu’elle arrange de nouvelle
façon les réalités matérielles, humaines et
non humaines et construit les environnements
spatiaux des sociétés. Imaginante, parce
qu’elle installe les idéologies, les savoirs,
les imaginaires et les images
constitutifs de la mondialité.
Bienvenue(?)
dans
l’ an
thro   po
cE   ne ! Article pubié
sur Anthropocene2050,
le 27 octobre 2019
1	 Voir à ce sujet Michel
Lussault, L’avènement du Monde.
Essai sur l’humanisation
de la Terre (Le Seuil, 2013)
ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
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de Lyon
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c
	 Urbanisation généralisée
l s’agit d’un phénomène dont on peut appréhender l’ampleur par
quelques données démographiques simples. La population urbanisée a
connu une croissance spectaculaire au xxe siècle, passant de 220 mil-
lions à 2,8 milliards d’habitants — quand la population totale de la terre
progressait de 1,7 à 6,1 milliards. En 1900, 1 humain sur 8 était urbain ; ils
étaient 3 sur 10 en 1950, tandis que se lançait la phase d’urbanisation la
plus puissante. En 2008, pour la première fois depuis que l’être humain
a commencé à imprimer sa marque sur la planète, plus de 50 % de la
population du globe, c’est-à-dire au bas mot entre 3,3 et 3,5 milliards de
personnes, vivaient dans des ensembles urbains. Cette barre franchie, la population urbaine
continue de croître. D’ici à 2030 toutes les régions du globe seront plus urbaines que ru-
rales, et en 2050, 70 % des 9,7 milliards d’habitants escomptés sur terre (selon l’hypothèse
médiane de l’ONU), soit 6,7 milliards, résideront dans un ensemble urbain : l’Asie accueillera
alors plus de 50 % de la population urbaine mondiale et l’Afrique 20 % ! Alors qu’en cent cin-
quante ans (1900–2050), la population mondiale aura été multipliée environ par 6 — ce qui
est déjà considérable —, la population urbaine l’aura été au moins par 30 ! Et l’on voudrait
ne pas considérer cela comme un bouleversement majeur, qui change toutes les conditions
d’existence, individuelles et collectives ?
Au-delà de la seule statistique, l’urbanisation consiste aussi et surtout en un rempla-
cement des modes d’organisation des sociétés, des paysages et des formes de vie qui furent
dominants (la ville préindustrielle, puis industrielle, et la campagne) par de nouveaux mo-
des, paysages et formes de vie : celui de l’« urbain » généralisé. L’économie est nouvelle, les
structures sociales et culturelles connaissent des mutations profondes, les temporalités
sont bouleversées, des logiques inédites d’organisation et de pratiques spatiales s’épanouis-
sent à toutes les échelles, un état de nature spécifique est créé par le mouvement même
d’urbanisation… En quelques générations, Homo sapiens est bel et bien devenu Homo urba-
nus 2
. Un autre Monde s’est installé via l’urbanisation ; il constitue l’état historique contem-
porain, différent de tout ce qui a précédé, de l’écoumène terrestre — l’écoumène étant un
concept essentiel de la géographie, qui désigne l’espace de vie construit et habité par les
êtres humains, à quelque échelle qu’on le considère.
	 Global Change
n lien avec cette mondialisation puissante, le grand public s’est
vu aussi de plus en plus confronté, en quelques années à peine, à l’émer-
gence d’une nouvelle force, qui travaille le Monde en profondeur et le
(re)configure à toutes les échelles — et dérange bien des certitudes et des
habitudes : le changement global. Nous découvrons que nous sommes
entrés dans la période anthropocène, qui est en passe de redistribuer les
cartes. En réalité, l’alerte avait été lancée depuis longtemps, en même
temps que s’enclenchait la phase la plus puissante d’urbanisation globa-
lisante. En 1972, la conférence de Stockholm sur l’environne-
ment s’est en effet conclue par une célèbre déclaration, qui faisait de la ques-
tion écologique une des principales que les pays de l’onu devaient affronter
collectivement. Le fameux rapport de Dennis Meadows, au Club de Rome, The
Limits of Growth, date également de 1972 : c’est une des premières occurrences
des analyses critiques de la surexploitation des ressources et des logiques de
la croissance infinie, qui mèneront ultérieurement, à la diffusion de la pro-
blématique de la décroissance, mais aussi, par exemple, à celle de l’empreinte
écologique excessive due à l’occupation humaine. La conférence de Stockholm
ouvrit la série des « Sommets de la terre » et, depuis lors, les appels à la prise
I
E
Nous découvrons que nous
sommes entrés dans la période
anthropocène, qui est en passe
de redistribuer les cartes.
---------E
---------E
2	 Pour reprendre le titre
d’un livre de Thierry Paquot,
Homo Urbanus. Essai sur l’urba­
nisation du monde et des mœurs,
Paris, Éditions du Felin, 1990,
un des premiers auteurs a avoir
repéré cette mutation globale,
en méditant notamment les
intuitions d’un Henri Lefebvre, qui
publia La révolution urbaine en
1970, mais dans une perspective
intellectuelle très différente.
4	 Timothy Mitchell, Carbon
Democracy. Political Power
in the Age of Oil, Verso, 2011
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de Lyon
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c
en compte des effets environnementaux des activités humaines n’ont pas cessé. Le Giec
(Groupement intergouvernemental pour l’évaluation du climat), créé dès 1988, joua un rôle
décisif en cette matière, ainsi que, quoique moins médiatisé, l’igbp (International Geos-
phere-Biosphere Program) créé quant à lui en 1987 et qui a terminé son activité à la fin 2015.
Du coup, on peut même se demander pourquoi il a fallu tant tarder pour que les problèmes
afférents se trouvent enfin au centre des préoccupations de la sphère publique mondiale.
Peut-être parce que l’on a longtemps voulu sous-estimer l’ampleur des bouleverse-
ments liés au Global change et qu’on a peiné à comprendre à quel point il allait nous falloir
modifier nos manières de voir, de penser et d’agir. Désormais, un changement de paradigme
est en cours. Alors que le concept de crise environnementale renvoie à l’idée classique que
les sociétés humaines ont à gérer un incident de parcours momentané, pour lequel on
trouvera nécessairement les parades, celui d’anthropocène a le mérite de souligner l’exis-
tence d’une bifurcation, dont nous sommes en passe de vivre et d’éprouver les premières
conséquences systémiques. Et ce pour une raison simple : « L’humanité, notre propre es-
pèce, est devenue si grande et si active qu’elle rivalise avec quelques-unes des
grandes forces de la Nature dans son impact sur le fonctionnement du système
terre ». Ainsi, « le genre humain est devenu une force géologique globale3
 ». La
planète-terre, en raison des activités humaines, s’est continûment anthropisée,
d’abord à bas bruit, avant que l’anthropisation ne s’accentue et ne prenne un
tour spectaculaire, lié à l’urbanisation, à partir du xixe siècle. Cet anthropocène,
défini comme une nouvelle « époque » géologique, témoignerait de l’influence
directe et prééminente de certaines grandes activités humaines sur le système
biophysique planétaire, en particulier des activités liées à la phase d’urbanisa-
tion massive enclenchée après la Seconde Guerre mondiale.
Le terme « Anthropocène » (dont on peut tracer les origines depuis le
début du xxe siècle) avait été proposé dans les années quatre-vingt et quatre-
vingt-dix, par le biologiste Eugène F. Stoermer et le journaliste Andrew Revkin.
Mais son importance s’affirme à partir de 2000, lorsqu’il est repris et diffusé par
le prix Nobel de chimie Paul Crutzen qui, quant à lui, estime qu’il s’enclenche
à la fin du xviiie siècle ; il fait de la machine à vapeur de James Watt, datant de
1784, l’indice de l’ouverture de l’ère nouvelle. Cette datation ne fait pas l’una-
nimité. Lors du 35e Congrès mondial de géologie organisé à Cape Town, du
27 août au 4 septembre 2016, une commission de travail a suggéré de considé-
rer l’anthropocène comme une nouvelle « époque » (au sein de la « période »
quaternaire de « l’ère » cénozoïque, pour reprendre les termes exacts), avec le
choix de la faire débuter après 1945, notamment en raison de l’apparition des
dépôts de particules nucléaires, mais aussi de l’impact de l’exploitation intense
des phosphates et de l’utilisation des nitrates, tout cela devenant de véritables
marqueurs stratigraphiques. Même si les géologues n’ont pas encore tranché,
un grand nombre de chercheurs penchent aujourd’hui pour identifier ce qu’on nomme une
« grande accélération » post 1945 des phénomènes de Global Change. C’est-à-dire une pé-
riode synchrone de l’enclenchement de la phase contemporaine de l’urbanisation massive.
Des recherches plus récentes promeuvent quant à elle l’idée d’un « Early Anthropo­cene »
débutant dès le néolithique voire à la fin du paléolithique.
	 Toujours-déjà vulnérable
uoi qu’il en soit, une « convergence » vers ce concept encore en
discussion est désormais assumée par un nombre croissant de spécialistes
du monde entier, qu’ils soient issus des sciences expérimentales ou des
sciences humaines et sociales, sans oublier le droit et la philosophie. Dans
la perspective de l’École urbaine de Lyon, l’Anthropocène s’avère d’ailleurs
moins une grille de lecture exclusive qu’un métaproblème qui informe et
questionne aujourd’hui tous les champs de la société, à toutes les échelles.
Comme la question de l’urbanisation généralisée avec lequel il est pro-
fondément lié, il incite à développer une pensée systémique. Insistons
bien sur un point : l’urbain n’est pas qu’un espace où se projetteraient les symptômes d’un
anthropocène qui serait nourri essentiellement par la « carbonisation »4
des activités et
des sociétés. L’urbanisation en tant que processus global et globalisant, qui intègre toutes
Q
Le terme « Anthropocène »
(dont on peut tracer
les origines depuis le début
du xxe siècle) avait été proposé
dans les années quatre-vingt
et quatre-vingt-dix,
par le biologiste Eugène
F. Stoermer et le journaliste
Andrew Revkin.
-E
3	 Will Steffen, Jacques
Grinevald, Paul Crutzen et John
McNeill, “The Anthropocene:
conceptual and historical
perspectives”, Philosophical
Transactions of the Royal Society
A, vol. 369, 2011, p. 842–867
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  • 1. Page A1 École urbaine de Lyon 16.01.19 14.01.19 22.01.19 07.02.19 08.02.19 15.02.19 21.02.19 25.02.19 22.01.19 Janv. Fév. éditions .FR 13.01.19 École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 2. Page A2 a 03.03.19 18.03.19 04.04.19 10.04.19 18.04.19 25.04.19 01.05.19 02.05.19 10.05.19 10.05.19 17.05.19 30.04.19 25.03.19 06.03.19 12.03.19 Mars Avril Mai ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 3. École urbaine de Lyon Introduction Éditorial Page A3 a (https://medium.com/anthropocene2050) L’École urbaine de Lyon, pour un débat public informé sur l’Anthropocène Nous saisissons l’occasion de notre événement annuel « À l’École de l’Anthropocène », pour lancer le premier numéro de notre magazine : AAoo 2020. Il s’agit pour nous de continuer à développer des outils et médias qui nous permettent de toucher le plus large public, à l’intérieur du monde universitaire comme à l’extérieur. En 2019, l’École urbaine de Lyon a déjà renforcé son site internet, créé une lettre d’information, enrichi considérablement son catalogue de podcasts et, en novembre, ouvert une plate-forme web : Anthropocene2050, destinée à accueillir des textes scientifiques, des articles de prise de position, des notes critiques, des vidéos, des images. Cette plate-forme se veut multilingue, car nous postulons que toutes les langues sont des instruments de pensée d’égale dignité et qualité. Il nous semble que la monoculture du globisch (l’anglais globalisé) dans les publications est aujourd’hui une entrave à la créativité scientifique dont nous avons besoin. De même que nous devons veiller à ce que la biodiversité soit maintenue et même accrue dans les écosystèmes, la diversité linguistique et culturelle est une ressource essentielle et la recherche doit contribuer à son maintien (et au développement des compétences de traduction), comme elle devrait au demeurant assumer la pluralité des modes d’expression du savoir. C’est la raison pour laquelle l’École urbaine de Lyon place au centre de son fonctionnement la volonté de varier systématiquement les propositions scientifiques. L’édition 2020 de « À l’École de l’Anthropocène » en sera le parfait témoignage. Nous y programmons des cours publics (sept seront lancés car nous voulons redonner de la légitimité à cette forme de transmission qui est aussi une expé­rience de pensée et une manière unique de la partager avec quiconque le souhaite), des conférences, des tables-rondes, des séminaires de recherche, des ateliers pédagogiques innovants, des expérimentations collectives, des propositions artistiques. Nous multiplions ainsi les plaisirs de la réflexion et de l’échange argumenté sans exclure l’émotion qu’on peut ressentir devant les œuvres et les idées ! C’est aussi une occasion de continuer de faire vivre ce lieu de partages et d’expériences qui est devenu depuis l’été 2018 et pour quelques mois encore notre siège : Les Halles du Faubourg, que nous sommes très heureux de mettre en valeur avec nos partenaires de la Taverne Gutenberg, d’Intermède, des Ateliers La Mouche et de Frigo&Co. Géographe, directeur de l’École urbaine de Lyon Michel Lussault École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 4. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page A4Introduction a 18.07.19 Notre visée est bien d’offrir une « école » universitaire originale, ouverte à tous et à toutes, dans une perspective affirmée d’université populaire, où la science de la meilleure qualité rencontre les publics les plus variés qui apportent eux-mêmes leurs contributions et leurs approches. Le magazine AAoo 2020 se veut l’expression de notre démarche et ce premier numéro présente quelques-uns des chantiers que nous avons lancés depuis la création de l’École urbaine de Lyon, fin 2017. Il propose quatre sections qui recouvrent nos principaux champs d’activité. On y trouvera des textes repris de nos autres supports, des articles inédits, des photo­graphies, ainsi qu’une conversation avec le néolithicien Jean-Paul Demoule. In fine, nous espérons que AAoo 2020, conçu comme une série de cahiers séparables, coédité avec les Éditions deux-cent-cinq, rendra compte de notre exigence : l’École urbaine de Lyon entend contribuer pleinement à la mise en œuvre du débat public informé, indispensable si nos sociétés veulent être capables d’affronter les questions redoutables posées par le changement global. Alors que nous nous interrogeons de plus en plus sur l’habitabilité future de la terre, sur les conditions justes et éthiques de mise en œuvre des stratégies de réorientations écologiques de nos cohabitations, il est crucial de faire connaître les réalités anthropocènes, d’analyser les dynamiques à l’œuvre, notamment celles liées à l’urbanisation et de mettre en discussion ce qui peut guider notre action collective.
  • 5. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue Page A5 07.06.19 21.06.19 02.07.19 06.08.19 16.08.19 08.08.19 15.08.19 26.07.19 17.07.19 17.07.19 27.06.19 19.06.19 19.06.19 Juin Juil. Août
  • 6. Page A6 Nov. Oct. 19.09.19 01.10.19 29.10.19 06.11.19 07.11.19 20.11.19 31.10.19 21.10.19 28.10.19 25.09.19 12.09.1904.09.19 13.09.19 Sept. 16.08.19 ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 7. Page A7IntroductionÉcole urbaine de Lyon a Nov. Déc. 24.11.19 25.11.19 28.11.19 09.12.19 09.12.19 25.11.19 24.11.19 École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 8. École urbaine de Lyon Introduction Page A8 a Introduction Expérience du lieu en 2019 : les Halles du Faubourg Photographies : Adrien Pinon A1 – A4 L’École urbaine de Lyon, pour un débat public informé sur l’Anthropocène Michel Lussault A5 – A7 Formation /  Recherche /  Formation par la recherche /  Recherche action Nous devons tenter, à l’aide de notre créativité et de notre sensibilité, de sortir des institutions connues afin d’aborder les multiples dimensions de l’Anthropocène Debora Swistun B1 – B2 Spécialistes de biologie moléculaire, désormais, nous mènerons aussi une recherche-action sur l’anthropocène Mathilde Paris Bastien Boussau B2 – B3 Notre maison brûle, faisons un doctorat. Une formation doctorale transdisciplinaire, collective, professionnelle et créative Jérémy Cheval Lou Herrmann B2 – B8 Le cycle de master class doctorales de l’École urbaine de Lyon : Éditorialiser les sciences à l’ère anthropocène Lucas Tiphine B6 – B7 Publications / Dissémination Avant / après la fin du monde. Mathieu Potte- Bonneville C1 – C4 Bienvenue(?) dans l’ anthropocène ! Michel Lussault C5 – C8 Les liens ville- campagne réinterrogés à travers les nouvelles préoccupations alimentaires urbaines Claire Delfosse C9 – C10 Lectures anthropocènes 2019 C11 – C12 « Dessiner une terre inconnue », une géo-esthétique de l’ anthropocène Michel Lussault C13 – C15 Souffrances spatiales Lucas Tiphine C16 Mise en débat public : les Mercredis de l’Anthropocène L’impact des ressources naturelles sur le développement Mathieu Couttenier D1 Design, démarche artistique et anthropocène Gwenaëlle Bertrand Anne Fischer D2 – D3 Apprendre à reconnaître ses limites : un défi pour l’Humanité Bruno Charles Natacha Gondran D3 – D4 Quelle morale pour les restes Nathalie Ortar Élisabeth Anstett D5 La microbiologie urbaine : un champ d’investigation en émergence Benoît Cournoyer Laurent Moulin Jean-Yves Toussaint Rayan Bouchali Claire Mandon D6 – D8 À l’École de l’Anthropocène Programme 2020 Relation à la création : Valorisation  / Dissémination  / Exposition 9ph / Prix de la Nuit de la photographie 2018 : Kola Céline Clanet E1 – E12 9ph / Prix de la Nuit de la photographie 2019 : Missing Migrants Mahaut Lavoine E13 – E20 Arkadi Zaides, de Talos à Necropolis Alfonso Pinto E21 – E22 Borderline(s) investigation #1, une enquête édifiante sur les limites du monde et son effondrement de Frédéric Ferrer Alexandra Pech E22 – E23 Enquêter, enquêter, mais pour élucider quel crime ? Camille de Toledo E24 – E25 Le Néolithique, matrice de l’Anthropocène ? Jean-Paul Demoule et Michel Lussault E25 – E33 Des Milliers d’Ici, atlas de lieux infinis Encore Heureux Architectes École urbaine de Lyon E34 – E38 Machina Vitruva Jindra Kratochvil Hervé Rivano Lou Herrmann E38 – E40 ISBN978-2-953463-51-4 ÉcoleurbainedeLyon Prix :10 € ISBN978-2-919380-30-5 Éditionsdeux-cent-cinq ISSNencours École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 9. École urbaine de Lyon Page B1Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action b Dans cet entretien, Debora Swistun, chercheuse à l’Université San Martin de Buenos Aires (Argentine), actuellement en résidence scientifique à l’École urbaine de Lyon grâce à l’aide d’une bourse Saint-Exu- pery de l’Ambassade de France en Argen- tine et d’un fellowship international, revient sur l’école thématique anthropocène que Julie Le Gall (MCF ENS de Lyon en détache- ment au CEMCA de Mexico) et elle-même ont coorganisée en juillet 2019 à Buenos Aires. Dans la continuité des écoles théma- tiques anthropocènes qui se sont te- nues à l’ENS de Lyon en 2016 et 2017 sur le modèle de l’Anthropocène Curriculum (Haus der Kulturen der Welt, Berlin), Ju- lie Le Gall (MCF ENS de Lyon en détache- ment au CEMCA, Mexico) et vous-même avez coorganisé, avec l’appui de Debo- rah Mayaud (stagiaire École urbaine de Lyon) et d’Andrea Sosa (stagiaire Université San Martin), une semaine de recherche sur la dimension urbaine de l’Anthropocène à Buenos Aires. Ce pro- jet, rendu possible par l’École urbaine de Lyon, en partenariat avec l’Universi- té San Martin (Buenos Aires) et l’Insti- tut français d’Argentine, a notamment impliqué une dizaine de chercheurs de l’Université de Lyon qui ont travaillé sur place avec des homologues de Bue- nos Aires. À titre personnel, que rete- nez-vous de cette expérience en termes scientifiques ? La première école latino-américaine sur l’Anthropocène urbain a eu lieu, du 12 au 17 juillet, au sein de ce que nous appelons le « territoire éducatif » de l’Universidad Nacional de San Martín [NDT : Université nationale de San Martín, partido de San Martín, situé dans la première couronne de la région métropolitaine de Buenos Aires]. Julie Le Gall et moi-même avons commencé à penser à cette première école anthropo- cène latino-américaine, en tant que dispo- sitif pédagogique expérimental, presque un an avant sa réalisation. Nous souhaitions, en effet, compter sur la participation d’un public très varié : étudiants, chercheurs issus de différentes disciplines, membres d’organisations de la société civile, artistes, leaders originaires des peuples autoch- tones, enfants, hommes et femmes poli- tiques, agents territoriaux de la commune de San Martín, participants d’autres pays de la sous-région (Chili par exemple). Face aux prédictions concernant l’avenir de la vie sur la planète, nous nous sommes demandé : « Que faire et comment faire avec l’incertitude ? En ce sens, que peut nous apprendre l’Amérique latine ? ». Le défi était de créer des espaces de ren- contre favorisant l’échange et le dialogue entre des personnes qui n’ont pas l’ha- bitude de se rencontrer, car elles appar- tiennent à des institutions et à des espaces de production de savoir parfois divergents, concurrents ou opposés. Si, comme Bruno Latour le souligne, les institutions doivent être refondées afin d’aborder les multiples dimensions de l’Anthropocène, nous devons alors tenter, au moyen de notre créativité et de notre sensibilité, de sortir de ces ins- titutions fermées pour créer/expérimenter d’autres dispositifs d’apprentissage qui favorisent la co-construction de savoirs si- tués pour la prise de décisions. L’École a démarré de façon classique, au sens où l’entendent les scientifiques, avec des conférences, des tables rondes et des plénières pour aborder les divers débats que suscite le concept d’Anthropo- cène, en particulier au sein du bassin de la rivière Reconquista, un cours d’eau très pol- lué qui traverse l’agglomération de Buenos Aires. Puis, dès la deuxième journée, l’école est devenue mobile sur le territoire de San Martin. Les participants ont visité des oc- cupations informelles de terrains en cours d’urbanisation et un « bois urbain » qui se trouve en face de l’université et où sont menées des expériences de permaculture. Ils ont rencontré les acteurs d’une coopé- rative alliant traitement des déchets et réinsertion sociale, suivi des ateliers ani- més par des artistes, fait des expériences avec des matériaux alternatifs, travaillé les incertitudes vis-à-vis de l’eau au sein des îles du delta du Tigre et réfléchi à des propositions de science participative. Tant les activités menées que les espaces par- courus ensemble nous ont aidés à repenser les rapports entre espèces, les formes al- ternatives possibles pour exister et être au monde, l’adaptation humaine face aux dé- sastres environnementaux, les incertitudes en ce qui concerne l’usage de produits no- cifs pour l’environnement et leurs effets, le rôle de l’économie dans l’Anthropocène, les formes d’extractivisme et la géopolitique nord-sud, le féminisme et l’écologie poli- tique, la place des corps et du travail en lien avec les formes du capitalisme dans les Suds. Des livrables audiovisuels et une pu- blication sont en cours de préparation afin de partager les diverses expériences et les résultats de l’école. Existe-t-il une tradition de pensée envi- ronnementale en Argentine ? Et si oui, y a-t-il des concepts spécifiques formés dans les langues du pays qui semblent pertinents pour une théorie plurilingue de l’Anthropocène ? Les problèmes environnementaux, que les organisations d’ouvriers et de femmes ont rendus visibles à partir des années quatre-vingt-dix, et que les peuples au- tochtones subissent depuis le colonialisme européen, peuvent largement s’envisager au prisme de concepts mobilisés pour dé- crire d’autres terrains d’étude, tels que celui d’accumulation par dépossession, selon la proposition du géographe David Harvey, qui vise à penser comme un ensemble coor- donné les politiques néolibérales de priva- tisation, de financiarisation, de manipula- tion des crises (comme le contrôle des taux d’intérêt) et de redistribution de la richesse à certaines catégories de population (par Nous devons tenter, à l’aide de notre créativité et de notre sensibilité, de sortir des institutions connues afin d’aborder les multiples dimensions de l’Anthropocène Entretien avec Debora Swistun Professeure en humanités environnementales à l’Université nationale d’Avellaneda (Buenos Aires) et à l’Université nationale de San Martin (Buenos Aires)  Propos recueillis par Lucas Tiphine, le 17 septembre 2019 Article pubié sur Anthropocene2050, le 23 septembre 2019 Photo : Debora Swistun à l’Aerocene Festival, Munich, septembre 2019, Camilla Berggren ©Aerocene Fondation École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 10. École urbaine de Lyon Page B2Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action b exemple par la baisse des impôts pour les plus aisés). On peut y ajouter les notions d’injustice environnementale et de racisme environnemental. Mais les conflits environ- nementaux latino-américains présentent aussi une certaine spécificité et leur étude a permis, en tout cas en ce qui concerne mon travail, l’émergence de concepts plus locaux comme la confusion toxique. Nous avons proposé ce concept avecJavierAuye- ro dans notre ouvrage Inflamable. Estudio del sufrimiento ambiental (Editorial Paidós, BuenosAires, 2008, paru également en tra- duction anglaise chez Oxford University Press, 2009) pour décrire de manière syn- thétique l’expérience de la gestion des pol- lutions environnementales et des discours qui cherchent à y donner du sens dans le quartier de Villa Inflamable (aire urbaine de Buenos Aires), qui se trouve à immédiate proximité de l’un des plus grands centres pétrochimique argentins. La confusion toxique (confusion toxica) est le résultat du processus social de production de doutes et d’incertitudes quant à la multiplicité des effets des activités industrielles sur l’air, le sol, l’eau et les corps. C’est un processus de collaboration non intentionnelle entre les acteurs du site parmi lesquels les résidents, les médecins, les enseignants, les avocats, les employés des compagnies pétrolières, les fonctionnaires publics, etc. La plupart des peuples autochtones parlent d’une histoire cyclique du cosmos, de la « nuit obscure » [noche oscura] et de la rébellion des objets qui surviendra si nous ne changeons pas notre mode actuel de consommation de ce qui est sur Terre. Le « bien-vivre » [buen vivir] et/ou « ksumay kausay » a été bouleversé radicalement pour tous les êtres vivants. Mais il est aussi devenu un horizon qui guide les actions de nombreuses organisations sociales, car l’empreinte écologique de l’urbanité s’ob- serve partout, et notamment dans les es- paces ruraux qui sont connectés aux zones urbaines. Justement, quels sont les problèmes et les études de cas en Argentine qui pour- raient, selonvous, alimenterune théorie générale de l’Anthropocène ? Si l’on se place dans le cadre d’une approche géopolitique, il est pertinent de faire référence à plusieurs sujets : les dé- placements forcés des communautés au- tochtones devant l’extension du front agri- cole et minier, les conflits dus à l’utilisation du glyphosate pour l’agriculture en zone rurale, le droit à un environnement sain, qui est défendu dans les actions judiciaires d’assainissement et de gestion des risques au sein des bassins urbains et périurbains. Il faut aussi évoquer les mouvements so- ciaux qui se forment pour la protection et la conservation de l’eau contre les industries minières et les autres industries d’extrac- tivisme, ou encore, les alternatives et les résistances qui émergent dans ces mêmes espaces. Il n’y a donc pas un seul et unique Anthropocène, mais plutôt une multiplicité de phénomènes qui suivent les dynamiques glocales (contraction de global et local) autour de l’exploitation des ressources na- turelles et des pratiques d’externalisation négative des impacts. Continuerez-vousàtravaillerauseindes études Anthropocène dans les années à venir ? Et si oui, dans quelles directions ? Mes recherches ont commencé il y a plus de dix ans et portent sur la toxicité et la gestion des risques technologiques dans des zones touchées parl’activité pétrolière. Il est le plus souvent impossible pour les ha- bitants de ces zones de gagner en justice pour obtenir l’assainissement du sol sur le- quel ils vivent ou bien pour imposer un meil- leur contrôle des émanations polluantes. Je m’intéresse ainsi à certaines stratégies d’adaptation alternatives, comme les mou- vements de hacking d’informations scienti- fiques et technologiques qui mettent à dis- position du plus grand nombre des diagnos- tics environnementaux les plus précis. De- puis un certain temps, j’observe également les conceptions alternatives d’organisation sociale des communautés écologiques lati- no-américaines et la manière dont cela est liéautournantdécolonialdanslathéorieso- ciale. Enfin, j’ai commencé à explorer les in- terfaces art-science pour communiquer au moyen d’autres langages les résultats des recherches dans le domaine des sciences sociales et de l’anthropocène. Je souhaite ainsi penser la conception d’autres disposi- tifs d’apprentissage favorisant un rapport différent avec ce que nous avons construit comme idée de nature et la possibilité de renforcer ces dispositifs dans l’éducation de premier, deuxième et troisième cycles. “Spécialistes de biologie moléculaire, désormais, nous mènerons aussi une recherche-action sur l’anthropocène” Mathilde Paris Chercheure en biologie, chargée de recherches CNRS à l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon Chercheur en biologie, chargé de recherches CNRS au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive Bastien Boussau Article écrit en mai 2019 Article pubié sur Anthropocene2050, le 30 août 2019 Dans cette tribune, Mathilde Paris et Bastien Boussau expliquent les raisons de leur volonté de travailler sur la probléma- tique du changement global des conditions de vie. En collaboration avec les services de restauration collective de l’Université de Lyon (Crous, Sogeres), une étudiante, dans le cadre d’un stage financé par l’École ur- baine de Lyon, va mesurer le bilan CO2 des plats servis surplusieurs sites du campus et étudierl’effet de l’affichage de ce bilan surle choix des usagers. Nous sommes chercheurs en biologie et plus particulièrement en évolution, en génomique comparative et en épigéno­ mique et biologie du développement. Nous pourrions détailler notre hyperspécialisa- tion avec davantage de précision encore, mais il est déjà apparent sans doute que notre rapprochement avec l’École urbaine de Lyon ne semble pas, à première vue, évident. Pourtant, nous ressentons le be- soin de sortir de notre domaine d’expertise pour travailler sur des questions liées à la crise environnementale et à l’épuisement des ressources. Jusqu’à récemment, nous étions par- venus à combinerun haut niveau de confort personnel, avec une conscience écologique basée sur une connaissance superficielle de la magnitude de la crise écologique. Certes la banquise fondait, mais nous nous astreignions à n’acheter que rarement des bouteilles en plastique et prenions le train pour nos déplacements ; donc nous consi- dérions que nous faisions notre part. Mais il y a environ un an, nous avons mieux pris conscience de l’ampleurdu problème clima- tique et énergétique par l’entremise de lec- tures et de podcasts. De nombreux auteurs prédisent, en effet, que même les sociétés les plus développées pourraient, dans les décennies, voire les années qui viennent, changer au point que les besoins vitaux ne seraient plus garantis pour la plupart de leurs membres. Nous avons alors cherché à évaluer les bases de ces prédictions en pui- sant dans la littérature scientifique. Nous en avons retiré la conclusion suivante : le bon fonctionnement de nos sociétés repose sur un ensemble de systèmes complexes et efficaces, mais peu robustes. Ces systèmes sont de surcroît interconnectés. La crise Traduction de l’espagnol (Argentine) par Natalia D’Aquino Révision et édition par Julie Le Gall et Lucas Tiphine ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 11. École urbaine de Lyon Page B3Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action b environnementale et l’épuisement des res- sources vont mettre, et mettent déjà, ces systèmes sous pression. Le risque, pour notre génération et la génération suivante, est suffisamment grand et probable pour que l’on cherche à le minimiser. Ces perspectives sombres sur le futur nous ont d’autant plus touchés que nous sommes parents. Notre fille aura en 2050 l’âge que nous avons actuellement (environ 35 ans) : quel monde va-t-on lui léguer ? Les pays développés, dans leurécrasante majo- rité, ne tiennent pas leurs engagements pris lors desAccords de Paris de 2015 (ycompris la France), engagements qui sont, de toute façon, insuffisants selon de nombreux ex- perts, notamment le GIEC. Nous avons donc décidé de nous engager à notre niveau. Et là, que faire ? Dans notre vie per- sonnelle, la tentation de se préparer à l’inévitable, de manière isolée, est grande, mais elle n’aurait qu’un impact très limité. Àla place, nous cherchons, comme de nom- breux citoyens, à promouvoir une baisse sociétale de notre empreinte environne- mentale. Dans notre vie professionnelle, quels sont nos moyens ? Comme la plupart des chercheurs, nous dédions la plupart de notre temps et de notre énergie à un travail qui nous passionne. Notre hyperspécialité ne risque pas d’être bien utile pour traiter du changement global des conditions de vie terrestre, mais nous faisons le pari que la méthode scientifique, celle que nous ap- pliquons au quotidien, pourrait l’être. En effet, lorsque nous nous intéressons à une problématique donnée, nous cherchons à l’étudier en définissant une question pré- cise ; nous faisons appel à des spécialistes si la question le nécessite, car notre tra- vail est fondamentalement collaboratif ; nous mettons en place un protocole expé- rimental pour répondre à cette question ; enfin, nous analysons les résultats avec autant d’esprit critique que possible. Cette méthode, nous pouvons l’appliquer afin de mieux comprendre comment nos sociétés pourraient changer le moins douloureuse- ment possible. Parmi les nombreux freins qui empê­ chent le changement des comportements individuels permettant de réduire son em- preinte carbone, nous avons décidé de nous intéresser à l’aspect psychologique. Si l’échelle de l’individu est loin d’être la seule à être pertinente pour enclencher la transi- tion radicale nécessaire pour atteindre un mode de vie plus durable, elle reste néan- moins importante. Nous proposons donc d’étudier, à l’échelle du campus de l’Université de Lyon, le positionnement des individus vis-à-vis des enjeux environnementaux ainsi que leurs comportements effectifs. Un tel tra- vail pourrait permettre de rendre plus effi- caces les politiques publiques en les person- nalisant, et pourrait, à terme, contribuer à identifier les barrières économiques, géo- graphiques ou logistiques à lever, afin de fa- voriser les comportements les plus compa- tibles avec les objectifs des Accords de Pa- ris. L’Université de Lyon, constituée, a priori, par une population assez ouverte à la mise en place de protocoles de recherche, servi- rait, ainsi, de terrain d’expérimentation afin de définir les politiques à mettre en œuvre pour que la métropole de Lyon atteigne ses objectifs ambitieux, mais nécessaires, de réduction des gaz à effets de serre. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence qui implique des chan- gements radicaux dans tous les secteurs d’activité. De nombreuses manifestations, et des articles de plus en plus fré­quents il- lustrent qu’une partie croissante de la po- pulation en prend conscience. Le secteurde la recherche ne sera pas épargné et devra lui aussi embrasser des changements radi- caux : déjà des chercheurs de­mandent à ce que l’empreinte environnementale de leur travail soit prise en compte lors de leuréva- luation. Notre décision de dédier une partie de notre activité de recherche à la crise environnementale et énergétique s’inscrit dans cette dynamique générale. Notre maison brûle, faisons un doctorat Une formation doctorale transdisciplinaire, collective, professionnelle et créative Jérémy Cheval Lou Herrmann Docteur en architecture, coordinateur du pôle formation de l’École urbaine de Lyon Docteure en urbanisme, chercheure postdoctorale et chargée de projet à l’École urbaine de Lyon 12 décembre 2019 Dans ce contexte, l’École urbaine de Lyon appelle à une croissance : celle des thèses. Car la thèse est précieuse : elle propose un temps unique de recherche, de développement et de production d’idées. Les doctorats se doivent d’augmenter, d’évoluer, de s’adapter, d’expérimenter, de sortir de leur zone de confort, de créer, pour être à la hauteur des enjeux anthropocènes. L’avènement de l’Anthropocène révèle plus que jamais notre besoin de formation, de recherche et d’expérimentation. Pour- tant le nombre de doctorats réduit chaque année en France1 , le réchauffement clima- tique continue, la fonte des glaces perdure, les espèces restent menacées et les dé- chets s’entassent… Avec ses doctorant.es, l’École urbaine de Lyon ambitionne de développer des ex- périences de recherches en commun, de tester des projets inattendus, de se trom- per et de se relever, de construire et parta- ger des idées surprenantes et riches. Avec elles, avec eux, elle souhaite faire école pour tous, tout au long de la vie. Car la science a un impact fondamental sur nos vies et nos conceptions de l’univers. Comme Galilée a pu le dire, les découvertes scientifiques 1 En France, à la rentrée 2017, 73 508 étudiants sont inscrits en doctorat. Le nombre de doctorants est en baisse continue depuis 2009. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 12. École urbaine de Lyon Page B4Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action B son corps doctoral. Cette attention passe par une vigilance lors de la sélection des candidat.es à la thèse. Ainsi, si la première année, 2018, les sciences sociales étaient largement représentées parmi les docto- rant.es sélectionné.es, de fait elle a veillé dans le recrutement de 2019 à rééquilibrer son équipe en retenant sept candidat.es dont cinq en sciences dures.5 Au terme de ces deux premières an- nées de recrutement doctoral, l’École ur- baine de Lyon est fière de compter parmi les siens de jeunes chercheuses et cher- cheurs issu.es d’horizons disciplinaires extrêmement variés. Ainsi l’Anthropocène sera appréhendé selon une multiplicité d’approches : à travers les outils de la bio- logie et de la micro-biologie avec des thèses sur la biodiversité (Thomas Boutreux), la biorémédiation6 en milieu urbain (Marine Durand) ou encore la diversité bactérienne desvilles (Rayan Bouchali), à travers les ou- tils de l’anthropologie avec des travaux sur l’alimentation (Alexandra Pech), l’histoire et la gestion des déchets (Yann Brunet, Clé- ment Dillenseger, Mélissa Manglou), ceux de la géographie et des études urbaines via des thèses sur le périurbain (Loriane Ferreira) et la justice environnementale (Fabian Lévêque), ceux de la chimie avec une recherche sur le traitement et la va- lorisation des déchets plastiques (Nicolas Osorio-Grimaldos), ou encore les outils de la physique à travers des thèses sur la mo- délisation météorologique (Félix Schmitt) et la résilience des bâtiments au changement climatique (Adrien Toesca). rapports entretenus entre les caractéris- tiques micro-météorologiques des lieux et les ambiances urbaines et celui de Thomas Boutreux qui appréhende la biodiversité en croisant la biologie et la géographie. Aussi, sans dire que la réalisation d’une thèse pluridisciplinaire est un travail impos- sible, admettons tout de même que c’est un exercice compliqué. Il est difficile — pour tou.tes et plus encore pour celles et ceux qui débutent leur carrière de recherche — de s’extraire des logiques disciplinaires qui imprègnent le milieu académique. C’est pour cette raison que la plupart des projets de thèse restent affiliés à des disciplines uniques. Pour porter son projet transdis- ciplinaire, l’École urbaine de Lyon ne peut donc pas attendre que cette dernière lui soit directement proposée par les projets de thèse : elle doit la construire, elle-même, en son sein. Et c’est sans doute un de ses apports les plus précieux dans la formation des doctorant.es, apport complémentaire à ceux proposés par les écoles doctorales et les laboratoires. La pluridisciplinarité — au sens de la présence de plusieurs disciplines en un même lieu et un même temps — est un pré- alable à l’établissement de la transdisci- plinarité (soit l’interaction entre plusieurs disciplines dans un projet commun aboutis- sant à la création d’une nouvelle approche). L’École urbaine de Lyon porte ainsi une at- tention minutieuse à diversifier les champs disciplinaires (sciences humaines et so- ciales, sciences expérimentales, sciences de la terre et du vivant) représentés au sein de 2 Galilée à la fin de la troisième journée des Discorsi, cité dans Durbarle, D. (1965). La méthode scientifique de Galilée. Revue d’histoire des sciences, 18-2, 161 3 Déjà en 1995, Jacques Hamel appelait à déconstruire cet appel — difficile à mettre en œuvre — à l’interdisciplinarité, « fiction de la recherche ». 4 À titre d’exemple, il y a sept écoles doctorales à l’Université Lumière Lyon 2, dont les limites sont définies en fonction des disciplines dont elles se réclament : l’ED 476 pour les neurosciences, l’ED 483 pour les sciences sociales, l’ED 484 pour les lettres, langues et les arts, l’ED 485 pour l’éducation, la psychologie, l’information et la communication, l’ED 486 pour les sciences économique et la gestion, l’ED 492 pour le droit et l’ED 512 pour l’informatique et les mathématiques. 5 Au niveau national, plus de la moitié des doctorats relèvent des domaines des sciences dites « dures ». 6 Processus de dépollution de l’environnement via des organismes vivants. ouvrent d’autres portes vers d’autres « mé- thode[s], pourvue[s] de résultats nombreux et remarquables qui, dans les années à ve- nir, s’imposeront à l’attention des esprits »2 . C’est en prenant au sérieux le rôle de toutes les sciences (du silex au sentiment) que l’École urbaine de Lyon souhaite aborder les enjeux soulevés par les systèmes com- plexes des mondes urbains anthropocènes. Et c’est en accompagnant ses doctorant.es en cohérence avec les laboratoires qu’elle déploie une formation doctorale juste : transdisciplinaire, collective, profession- nelle et créative. 1 Construire une recherche doctorale transdisciplinaire Explorer l’hypothèse de l’urbain an- thropocène appelle à une convergence dis- ciplinaire. C’est là l’essence même de l’École urbaine de Lyon : celle d’affirmer que pour être à la hauteur des enjeux soulevés par cette hypothèse, il faut allier les outils, les méthodes et les concepts de tous, il faut créer la rencontre transdisciplinaire. En effet, les questions soulevées par l’Anthro- pocène — liées aux activités humaines sur terre — se situent à la croisée des sciences exactes, des sciences sociales et des scien­ ces expérimentales. En matière d’Anthro- pocène la transdisciplinarité n’est donc plus une option, c’est une nécessité, qui tendrait à défendre une ère post-discipline. Cette exigence, l’École urbaine de Lyon l’applique en premier lieu à la forma- tion doctorale à travers deux aspects prin- cipaux : la sélection des candidat.es et la création d’un collectif de doctorant.es ren- dant tangible la transdisciplinarité. Recruter tous horizons Malgré les fortes (et anciennes3 ) in- jonctions à l’interdisciplinarité dans la re- cherche doctorale, l’exercice de la thèse demeure aujourd’hui une réalité profondé- ment ancrée dans une logique de décou- page disciplinaire. En effet, se lancer en thèse signifie aussi entrer dans un labora- toire de recherche et dans une école doc- torale, deux institutions intrinsèquement animées par des logiques disciplinaires4 . Certain.es candidat.es au doctorat réussissent cependant à faire de l’inter- disciplinarité un élément fondateur de leur projet de thèse. L’École est particulière- ment attentive et à l’affût de ce signal faible. Elle a notamment retenu en ce sens les pro- jets de plusieurs candidats : celui de Rayan Bouchali entre aménagement, urbanisme et microbiologie, celui de Félix Schmitt, qui allie physique et génie civil pour étudier les Rentrée des doctorants, 1er octobre 2019, jardin des Halles du Faubourg © École urbaine de Lyon – Adrien Pinon ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 13. École urbaine de Lyon Page B5 B Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action 2 Former des professionnels Outre la transdisciplinarité, la for- mation doctorale développée par l’École urbaine de Lyon insiste sur un second as- pect : la professionnalisation des étudiant. es. En effet, l’issue d’un doctorat n’est pas seulement vouée à l’enseignement et la re- cherche8 . Et la part des doctorant.es dans les secteurs privés, qui s’élevait déjà à en- viron 13 % en 2017, augmente encore au- jourd’hui. En France, le doctorat est entré au répertoire national de la certification pro- fessionnelle en février 2019. Cette avancée considérable permet de favoriser le recru- tement des docteur.es par les employeurs des secteurs de la production et des ser- vices. L’arrêté du 22 février 2019 définit ain- si de manière officielle les compétences as- sociées à la formation doctorale. Six pôles, appelés « blocs de compétences », y sont inscrits. Le premier porte sur la capacité des docteur.es à mobiliser leur expertise dans différents contextes et à différentes échelles à travers la conception et l’éla- boration de leur recherche. Le deuxième bloc définit les compétences liées à la mise en œuvre d’une démarche de recherche et de développement, par les outils et le plan- ning, mais aussi par la gestion des budgets et des risques. Le troisième pôle porte sur la valorisation et la diffusion des savoirs en respect avec les principes de déonto- logie, d’éthique, de propriété intellectuelle et industrielle. Le quatrième bloc précise les compétences de veilles scientifiques et technologiques à l’international. Les deux derniers blocs de compétences, les plus connus du monde professionnel, portent sur la formation et la diffusion de la culture scientifique et sur l’encadrement d’équipes de recherche — en d’autres termes surl’ap- titude des docteur.es à former, encadrer et diffuser les savoirs. Attention, il ne s’agit pas de critères d’évaluation des doctorant.es, mais bien de compétences acquises au cours de la for- mation doctorale. Dans cette perspective, l’École urbaine de Lyon ambitionne d’appor- teràsesdoctorant.esencontratdescontri- butionsnovatricesdanslecadred’échanges de haut niveau et dans des contextes inter- nationaux. Elle leur propose, de manière complémentaire à l’encadrement et aux formations développées au sein des labo- ratoires, d’agir en lien avec le monde pro- fessionnel. Cela passe par son engagement à accompagner les doctorant.es pour leur montée en compétences professionnelles. Sur le plan académique, les docto­ rant.es, considéré.es comme des profes­ sionnel.les de la recherche, sont ainsi invité. es à participer à des programmes inter- nationaux tels que le workshop organisé pétences de diffusion des savoirs. Il s’agit de temps de travail collectif, relativement longs (au moins une journée) mais circons- crits (ne débordant pas du moment en pré- sentiel), organisés autour de la poursuite d’un objectif précis et commun à tou.tes. Pour sa première rencontre, le sémi- naire avait pour objet : « Faire un journal en un jour ». Sans entrer dans le contenu (qui sera explicité un peu plus bas), attar- dons-nous quelques instants sur les pré- supposés de ce format. L’idée expérimentée ici est qu’en sortant les doctorant.es de leur routine de recherche individuelle et disci- plinaire, les séminaires leur permettront de rendre tangible la transdisciplinarité par la mise en œuvre d’un projet commun, à la fois un peu étranger et un peu familier. Étranger, car l’objet ou le thème abordés se situent en décalage vis-à-vis des atten- dus académiques qui font leur quotidien de recherche ; familier, car ce sont eux qui construisent la matière mise en mouvement lors de ces séminaires. L’École urbaine de Lyon fait ensuite le pari que le collectif peut exister par la création d’un réseau entre les doctorant. es. À terme, l’objectif est que ce réseau soit alimenté de manière indépendante par les étudiant.es eux-mêmes. Mais nous ne sommes qu’aux premiers jours de cette histoire. Aussi, et en attendant que monte le courant, les membres de l’équipe se sont mis en situation d’imaginer des proposi- tions dans le sens d’une animation de ce réseau. De manière très simple d’abord, en invitant les doctorant.es à partager une interface de communication et de tra- vail : le réseau social Trello. D’autres outils transversaux sont également en cours de création, et notamment une bibliographie transdisciplinaire partagée, qui permettra de constituer un état de l’art très large sur l’Anthropocène mis à jour au fil de l’avan- cement des travaux de thèse et de veille de l’École. Sur le fond, cette dynamique d’anima­ tion passe ensuite parl’identification d’axes de recherche convergents parmi les projets de thèse, en écho aux autres projets de re- cherche portés par l’École urbaine de Lyon. Des « pôles d’intérêt », non préconçus, ont ainsi émergé a posteriori. Quatre se des- sinent distinctement : un pôle déchets, un pôle périurbain, un pôle sol/agriculture/ alimentation et un pôle eau. Convaincue de la pertinence de ces pôles pour approcher l’urbain anthropocène, l’École décide de les prendre au sérieux. L’objectifest désormais de s’en saisir pour les instituer en véritables axes de recherche.Àl’avenir, tout sera donc fait pour donner de l’épaisseur à ces axes, en favorisant les échanges et les projets entre les chercheuses et les chercheurs qui les incarnent, à travers des dispositifs qui restent encore à inventer. De même, ces pôles seront amenés à évoluer avec la sé- lection des futurs candidat.es au doctorat : soit via le renforcement d’un axe identifié comme stratégique, soit au contraire via l’identification d’un point aveugle (les rela- tions humains non-humains par exemple) à investir. En la matière, la posture de l’École sera toujours celle de l’ouverture et de la souplesse : sensible aux effets de conver- gence comme au surgissement de l’inat- tendu. Sont ainsi amenés à se côtoyer non seulement ces doctorant.es mais aussi leurs directrices et directeurs et leurs la- boratoires respectifs, habituellement très éloignés les uns des autres, qui sont mis en réseau grâce à l’École urbaine de Lyon : le Laboratoire d’écologie des hydrosystèmes naturels et anthropisés (LEHNA), l’UMR Écologie microbienne Lyon, l’UMR Envi- ronnement ville et société (EVS), le labora- toire Triangle, l’Institut de recherches sur la catalyse et l’environnement de Lyon (IR- CELYON) et le Centre for Energy and Ther- mal Sciences of Lyon (CETHIL). Édifier un collectif Importante mais non suffisante, la plu- ridisciplinarité est une étape vers la trans- disciplinarité. Cette dernière constitue un objectif ambitieux, qui ne se décrète pas mais se fabrique ensemble. En la matière l’École urbaine de Lyon expérimente. L’hy- pothèse en cours d’évaluation est que la transdisciplinarité doctorale passera par l’élaboration de communs. L’École y tra- vaille avec assiduité à travers des actions et des programmesvisant la création d’un col- lectif de doctorant.es. Par collectif, on en- tend l’établissement des conditions d’exis- tence de la rencontre entre les étudiant.es, du dialogue, du partage et in fine du travail en commun — nécessairement transdisci- plinaire auvu de la diversité de leurs profils. Sont ainsi organisés des temps collectifs en présentiel, réunissant non seulement les doctorant.es financé.es par l’École ur- baine de Lyon, mais aussi les doctorant.es associé.es7 et d’autres membres de l’École. Dans cette perspective, une journée de ren- trée s’est tenue début octobre 2019. À cette occasion, les doctorant.es, parfois accom- pagné.es de leurs directrices et directeurs de recherche, ont présenté leur projet de thèse. Face à une audience pour partie ex- térieure à leur champ, contraint.es par une consigne temporelle stricte (5 minutes d’ex- posé), ils ont débuté l’année sous le signe de la traduction, de la diffusion des savoirs et de la curiosité scientifique.Au-delà de l’inté- rêt pédagogique de l’exercice, ce fut un mo- ment important pour le collectif doctorant. es et l’équipe de l’École, puisqu’il a permis à tout.es de prendre connaissance concrète- ment — par les personnes et les sujets — de cette diversité disciplinaire constitutive. Un second format de rencontre a été ex­pé­­rimenté en novembre 2019 : celui des for­­mations doctorales. Parmi elles, les pre- mières master class « éditorialiser la sci­ ence », proposées par Lucas Tiphine, visant  à mettre en situation les doctorant.es sou- tenu.es par l’École urbaine de Lyon sous la conduite d’intervenant.es qui se posent, dans leur pratique professionnelle, la ques- tion de la médiation scientifique. L’objectif visé est de permettre aux jeunes chercheu­ ses et chercheurs de développer leurs com- 7 Il s’agit des doctorant.es qui sont financé.es par d’autres institutions, mais dont le travail intéresse l’École et sont à ce titre invité.es à participer à la formation doctorale qu’elle propose et peuvent trouver dans l’École un lieu de ressources et un espace d’expression. 8 En 2017, 13 % des docteurs travaillent dans des entreprises. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 14. École urbaine de Lyon B Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action Page B6 de doctorat est une chance, car il permet de questionner avec les écoles doctorales et les universités les critères d’évaluation, les dossiers attendus et les processus ad- ministratifs. L’École accompagne cette première démarche complexe, en partena- riat avec l’INSA Lyon et l’École doctorale en sciences humaines et sociales de l’Universi- té de Lyon. Le premier diplômé de haut ni- veau dans le domaine de l’aménagement et de l’urbanisme à Lyon par la voie de la VAE va rédiger, sur les consignes de l’École, un mémoire référent composé de deux par- ties. D’une part, il va devoir rendre compte d’expériences professionnelles passées, via les canaux classiques de la diffusion des ré- sultats de la recherche (articles, chapitres d’ouvrages, communications…), mais aussi à travers d’autres supports plus innovants (documentaires, webdocs, blogs, projets…). D’autre part, une partie rédigée permettra d’établir un questionnement fil-rouge des différentes productions présentées. Elle proposera ainsi une relecture problémati- sée des travaux du doctorant. Par ailleurs, l’École a mis en place de façon pionnière sur le site Lyon-Saint-Étienne, un accompagnement de doctorat par la validation d’acquis d’expériences (VAE). Il s’agit ici par effet miroir de partir des com- pétences professionnelles pour valider le doctorat au niveau universitaire. Cette démarche, encore trop rare, permet d’ins- crire le diplôme de doctorat dans le cycle des formations tout au long de la vie. Bien qu’il s’agisse d’un des enjeux majeurs de l’éducation au niveau national, et ce dans toutes les universités de France, très peu de doctorats par VAE sont délivrés au- jourd’hui (une centaine seulement en 2017). Ce diplôme, né du processus de Bologne, a été intégré en France en 2002. Il fait encore l’objet d’un grand nombre de débats et de défiances, et de fait se développe peu. Or le caractère expérimental de cette démarche est au contraire considéré comme une qualité, que l’École souhaite encourager et porter. L’aspect innovant et encore libre (du moins libéré d’un certain formalisme inhérent aux thèses classiques) de ce type à Tokyo en 2018, où masterant.es, docto- rant.es, chercheuses et chercheurs du ré- seau scientifique de l’École ont participé ensemble aux échanges scientifiques de manière horizontale. Dans le même sens, l’École a mis en place des écoles d’hiver en été, comme celle organisée à Buenos Aires en juillet 2019 dans le cadre de la première école de l’anthropocène enAmérique latine. Sur le plan professionnel régional, la formation doctorale de l’École s’appuie sur sa programmation évènementielle aux Halles du Faubourg, et notamment la se- maine « À l’École de l’Anthropocène » orga- nisée fin janvier et les « Mercredis de l’An- thropocène », rendez-vous public hebdoma- daire. Dans le cadre de ces programmes, les doctorant.es sont ainsi amené.es à animer des débats ou des émissions radio, à mon- ter des séminaires et des formations. Ce faisant, l’objectif est de faire école grâce au vivierd’activités publiques développées par l’École urbaine de Lyon. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 15. École urbaine de Lyon B Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action Page B7 comme méthodes d’enquête et comme mo- dalités de restitution des résultats scienti- fiques : le passage par l’image, la scène, le son, etc. Ouvrir les formats de l’enquête Dans la formation doctorale à l’École, la place de l’enquête est primordiale. Elle permet d’envisager les systèmes com- plexes issus du terrain. En effet, l’hypo- thèse portée par l’École est que la diver- sification des modalités de réalisation de l’enquête permet d’appréhender de nou- veaux enjeux et de fait peut conduire à de nouveaux résultats. Une enquête ouverte aux médium contemporains d’expression se rapproche des enquêté.es. L’École at- tache une grande importance à toutes les formes d’expression capables d’enregistrer des phénomènes scientifiques et sensibles. Ainsi du multimédia à la performance, on observe une mutation des outils méthodo- logiques dans la recherche urbaine, qui se retrouve également chez les doctorant.es 3 Explorer les formats pour une recherche créative Les doctorant.es sont également em- barqué.es au sein de l’École dans une explo- ration créative des formats d’enquête et de restitution des résultats de la science. L’idée est que les modes de formalisation traditionnels académiques (articles et ex- posés) ne peuvent pas être les formats ex- clusifs de la construction et de la diffusion des savoirs. L’École est ainsi convaincue que le passage par des formes d’expression non-traditionnelles, empruntées à l’art et à d’autres médias est une piste fertile non seulement pour appréhender les enjeux an- thropocènes, mais aussi pour développer une recherche créative et innovante acces- sible aux publics extérieurs à l’université. L’ambition est de pousser les doctorant.es à explorer de nouveaux formats à la fois Depuis 2019, l’École s’est engagée sur un profil international pilote, avec son premier candidat, Jérémie Descamps, fon- dateur de Sinapolis, bureau d’études et de recherches pluridisciplinaires autour de l’urbain, des échanges culturels et de la dif- fusion des savoirs entre acteurs européens et chinois. Il vient de déposer son dossier de recevabilité administrative et devrait défendre sa thèse sur les enjeux urbains chinois avant fin 2020. Cette première ex- périence positive pousse l’École urbaine de Lyon à poursuivre son programme docto- ral dans ce sens à travers le recrutement de nouveaux candidats au doctorat en VAE. À terme, l’objectif est de dépasser les ca- drages disciplinaires et de développer les formations anthropocènes tout au long de la vie, dans d’autres universités, d’autres domaines avec des membres du consortium voire d’autres partenaires. 1 https://www.youtube.com/ watch?v=TZSjEyfP8lA Le dessin, outil d’enquête. Esquisse du chantier derrière les Halles. 25 novembre 2019 © École urbaine de Lyon – Lou Herrmann Le cycle de master class doctorales de l’École urbaine de Lyon : Éditorialiser les sciences à l’ère anthropocène Docteur en géographie, chercheur postdoctoral et chargé de projet à l’École urbaine de Lyon Lucas Tiphine Catherine Jeandel, océanographe au LEGOS de Toulouse et membre de la commission stratigraphique sur l’Anthropocène, confiait récemment dans un podcast de l’École urbaine Lyon : « Maintenant on nous écoute un peu plus ! » 1 On peut néanmoins se poser la question, au vu par exemple du décalage entre les recommandations faites par les scientifiques pour respecter l’engagement politique pris pendant la COP21 de limiter le réchauffement climatique et les actions mises en place effectivement, de la valeur de la parole scientifique. C’est dans cette perspective que s’est tenue la première master class « Éditorialiser les sciences » en novembre 2019 aux Halles du Faubourg pour réfléchir aux modalités d’intervention des scientifiques dans le débat public. Des doctorant.es et postdoctorant.es associé.es à l’École se sont réuni.es pour réaliser collectivement un journal en quelques heures avec Cécile Michaut, formatrice en vulgarisation scientifique. Le but était d’obtenir en fin de journée un journal modeste, mais complet, à la manière des journaux révolutionnaires du début du XXe siècle réalisés très rapidement et avec peu de moyens : reportages, interviews, titres, textes, images, rubriques, mise en page… Concrètement, les participant.es ont défini ensemble le public visé, le thème général, la taille du journal et les rubriques. C’est ainsi qu’est née La Terre en Chantier. Au sommaire : un édito sur le statut de l’art face à l’urgence, un dossier consacré au chantier qui a lieu actuellement à proximité immédiate des Halles du Faubourg (avec un reportage et une analyse), une rubrique « conseils » (alimentation et logement), un encadré « poésie » et un horoscope anthropocène, l’ensemble illustré par des croquis d’observation réalisés pendant la journée. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 16. École urbaine de Lyon Page B8Formation / Recherche / Formation par la recherche / Recherche action B Enfin, l’École urbaine de Lyon invite et ac- compagne les doctorant.es à la publication surson blog d’ « Anthropocene2050 » héber- gé sur la plateforme Medium. Cet espace est un support d’édition souple, capable d’accueillir du texte, comme de l’image, du son ou de la vidéo. Moins normé que la pu- blication académique classique, « Anthro- pocene2050 » est ouvert à des modes d’ex- pression diversifiés. Pour l’École la formation doctorale n’est pas un chantier annexe du programme : au contraire, elle est au centre de ses ac- tivités. Car si l’anthropocène est une porte vers une nouvelle formation doctorale, fon- der une nouvelle formation doctorale est une nécessité pour appréhender les enjeux anthropocènes. En conclusion, le postulat que pose ici l’École urbaine de Lyon pour- rait être formulé de la manière suivante : « Cherchons encore comme éteindre nos centrales en fusion, faisons un doctorat ». cialisée dans le journalisme scientifique, un journal en un jour. Le dispositif« e-portfolio » a également été investi par l’École. Il s’agit d’un outil nu- mérique permettant aux doctorant.es de mettre en forme les compétences et expé- riences développées au cours de leur par- cours doctoral dans une version évolutive, attractive et surtout diffusable.Àtravers ce dispositif, l’idée est de les amenerà prendre conscience de leurs compétences, de les accompagner dans leur insertion profes- sionnelle après la thèse, mais aussi pour l’École d’améliorer et d’adapter ses forma- tions/activités en prenant en compte leurs attentes. Le e-portfolio constitue ainsi à la fois un outil de capitalisation progressive, de formalisation originale de leurs expé- riences mais aussi de diffusion de leur tra- vail par réseau. L’École a lancé par ailleurs une série vidéo, dans laquelle elle invite les scienti- fiques à s’exprimer de manière originale sur leurs travaux en répondant à la ques- tion suivante : « Quel objet vous permet de penser l’Anthropocène ? ». Les doctorant.es ont été sollicité.es au même titre que l’en- semble de la communauté de chercheurs et chercheuses affilié.es à l’École. que l’École a choisi de soutenir. Alexandra Pech, par exemple, travaille avec l’artiste Thierry Boutonnier : elle s’appuie sur le pro- jet artistique « Selfood inquiry », pour faire du terrain autour des enjeux de l’alimenta- tion des jeunes. Loriane Feirrera souhaite utiliser et intégrer les principes de cap- tation sonore dans son travail empirique sur les périphéries urbaines entre Lyon et Montréal. Clément Dillensegerintègre dans son protocole de recherche les principes de recueil d’information multisensoriel en fournissant à ses enquêté.es des kits com- prenant des crayons, carnets et appareils photos jetables, pour récolter des dessins, images et récits. Ces représentations, en- core rares dans les travaux académiques, lui permettent d’appréhender sous un jour nouveau ses objets d’études. Thomas Bou- treux souhaite mettre en place des visites participatives de terrain afin de créer des données coproduites par l’échange d’infor- mations citoyennes et la sensibilisation. Un des objectifs de la formation doctorale est d’accompagner et d’encourager ces prises de risque méthodologique, de mettre l’accent surces outils hors-champs d’explo- ration empirique et de représentation spa- tiale et conceptuelle. Les participant.es à l’école de Bue- nos Aires ont ainsi pu prendre part à un workshop de cinq jours mêlant approches artistiques, spirituelles et scientifiques dans l’appréhension de cinq études de cas. De cette façon, le groupe a parexemple décou- vert de manière originale le territoire de la Costa Esperenza, quartierinformel au nord de San Martin qui vit par, pour et avec les déchets, en confrontant récits d’habitants, discours des collectivités locales, pratiques d’un centre de tri de déchets coopératif et expériences chorégraphiques engageant le rapport au corps dans le travail. Dans cette perspective, l’École soutient également une semaine de formation à la production de reportages radio pour ses masterant.es et doctorant.es. De même, elle va recevoir dé- but 2020 en résidence l’écrivain, essayiste et plasticien, Camille de Toledo, pour un travail d’écriture intitulé « Enquêter, enquê- ter, mais pour élucider quel crime ? », dans le cadre duquel les doctorant.es sont invité. es à participer à un atelier autour de cette question de l’enquête. Expérimenter de nouveaux formats de diffusion scientifique Cet enjeu de la diversité des formats se joue également autour de la question de la restitution des résultats de la recherche. Décidée à l’aborder de manière frontale, l’École propose à ses doctorant.es financé. es et associé.es, mais aussi à ses post-doc- torant.es, une série de programmes. L’idée n’est pas de leur offrir des formations fer- mées, clefs en main, mais de les pousser à s’engager activement dans ces probléma- tiques via des démarches expérimentales. La première d’entre elles prend la forme d’un séminaire intitulé « Éditorialiser les sciences » (voir encart), évoquée plus haut. Une première master class s’est ainsi tenue en novembre 2019 : une douzaine de chercheuses et chercheurs se sont réunis pour créer, avec l’aide d’une experte spé- Plateau radio du 26 janvier 2019, Halles du Faubourg © Collectif Item – Bertrand Gaudillère École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue
  • 17. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C1Publications / Dissémination Quatre mots de la fin — quatre : pas un de plus. /1 / Slash. est une barre oblique, le segment d’une diagonale qui court d’un point situé en bas à gauche à un autre point, plus haut sur la droite — une barre ascendante, donc, si l’on s’en tient au sens de lecture. Le Français l’appelle comme cela, barre oblique, quand l’anglais dispose d’un mot plus bref, sifflé-craché comme un geste, la main qui remonte et le couteau qui brille, slash, mot que le glob- bish typographique a donc adopté sans oublier tout à fait qu’employé comme verbe, ce même mot sifflant-sonore nomme l’acte de fen­ dre, trancher, sabrer — d’un slasher movie, de ses éclabous- sures rouges, personne ne sort vivant, ni de la fin du monde d’ailleurs. Le slash n’est pas un nouveau venu par- mi les signes ; mais son usage contemporain est cepen- dant récent et la façon dont il s’est invité dans l’ordinaire de nos échan­ges et de nos textes, jusque dans ce titre curieux sous lequel je m’in- vite, « avant/après la fin du monde », mérite d’être in- terrogée. Hegel soutenait que les idées qui gouvernent le monde s’avancent à pas de co- lombes ; affligé d’une graphie pénible, je serais tenté de penser qu’elles se présentent en pattes de mouche, et qu’à cette aune une époque a la typographie qu’elle mérite. Me frappe, le fait que la fortune récente du slash se soutient de deux utilisations principales. La première, c’est celle que l’on trouve dans la barre d’adresse de nos navigateurs ou nos systèmes d’exploitation ; la barre oblique vient y figurer ou y expri- mer la relation qu’un dossier entretient avec le dossier de rang in- férieur, indiquant ainsi le chemin à suivre dans une arborescence. Le slash a, dans ce contexte, une signification à la fois distinctive et hiérarchique — il sépare, relie, distribue. Or, d’un autre côté, dans d’autres contextes, nous recourons au slash pour relier des éléments de même rang, éléments dont nous souhaitons signifier qu’ils sont liés ensemble par une relation de disjonction — mais disjonction qui, fait étrange, peut être tantôt exclusive, et tan- tôt inclusive. Autrement dit, « A/B » peut signifier « soit l’un, soit l’autre », mais aussi « l’un, ou l’autre, ou les deux », ce qu’on appuie parfois en écrivant « et/ou ». Il arrive donc ceci à notre langue et à notre pensée : qu’un même signe y dit l’ordonnancement des choses dans un emboîtement de niveaux distincts, et la façon dont elles se présentent ensemble, se bousculent de telle sorte que, re- nonçant à les sérier, nous les laissons affleurer en même temps à la surface de l’écriture, battre mollement l’une contre l’autre comme on étalerait sur un même marbre des pâtons aux formes incer- taines, la barre oblique intercalée entre eux en un vague feuillet ; et ce même signe peut vouloir dire, alors, qu’on a affaire à une stricte alternative, c’est l’un ou l’autre, la nuit ou le jour, la vie ou la mort, l’hiver ou l’été, avant ou après ; ou que l’alternative s’estompe, de sorte qu’on ne serait pas surpris ni notre slash démenti de voir le jour et la nuit se présenter ensemble, la vie et la mort se mêler, les gelures de l’hiver se confondre avec le dessèchement de l’été dans la raideur cassante d’un présent qu’aucune alternance des saisons, aucun ba- lancement d’avant en après n’animeraient plus jamais. Je voudrais seulement suggérer ceci : écrire « Avant/après la fin du monde », ce n’est pas céder à une facilité de présentation, ou à une forme de paresse quand on aurait pu assigner plus clairement et distinctement la relation entre ces deux temps, dire enfin ce qui se joue le long de cette barre oblique ; c’est au contraire serrer au plus juste l’expérience dont il s’agit, la façon dont la pensée et peut-être l’approche de la fin du monde soumettent l’avant et l’après à la double loi de la séparation et du mélange, comme l’entaille et l’incertitude des chairs meurtries qui la corrompt, la trouble, la recouvre ; par exemple, quel signe, mieux que le slash dans la double valence que je viens de décrire, pourrait ainsi exprimer à la fois le désir un peu panique de sérier les ques- tions et l’impuissance à les démêler, ou la nécessité de renoncer à le faire quand elles se présentent toutes ensemble ? Au terme de son grand livre Effondrement, sur lequel je reviendrai, Jared Dia- mond énumère douze problèmes écologiques potentiellement fatals puis demande : « Quel est le problème environnemental et démographique le plus important aujourd’hui ? » Et de répondre en indiquant ce qui lui paraît être, à lui, la plus grave des difficultés : « Notre tendance erronée à vouloir identifier le problème le plus important ». /2 / Sorite. Le paradoxe du sorite est connu, sous différentes variantes, de- puis le ive siècle avant notre ère, où il fut énoncé par Eubulide de Mégare. Cet argument consiste à demander : combien de grains de sable faut-il ajouter à un grain de sable pour obtenir un tas de sable ? (En grec, soros veut dire tas). Car enfin, un grain de sable avant   après la fin du monde Danslecadredelasoirée « Avant / aprèslafindumonde », Àl’Écoledel’Anthropocène, 26 janvier2019. C’ Mathieu Potte-Bonneville Philosophe, maître de conférences à l’Université de Lyon (École normale supérieure de Lyon) et directeur du département Culture et création du Centre Pompidou Publié sur AOC [Analyse Opinion Critique], le 10 février 2019 c
  • 18. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C2Publications / Dissémination c n’est pas un tas (première prémisse incontestable) ; et ajouter un grain de sable à ce qui n’est pas un tas ne suffit pas à en faire un tas (deuxième prémisse incontestable) ; de sorte que vous aurez beau ajouter, un à un, autant de grains de sable que vous voudrez, il est logiquement impossible de comprendre comment soudain, se tient devant vous un tas de sable. C’est la même chose, mais dans l’autre sens, avec la calvitie : retirer un cheveu ne suffit pas à passer de l’état de non-chauve à celui de chauve, et pourtant on dira certainement de celui qui n’a plus qu’un seul cheveu sur la tête qu’il est chauve. Reste que ce qui apparaît empiriquement comme un fait, le paradoxe du sorite le répute logiquement incompréhen- sible. Cet amoncellement, ce crâne, on ne sait pas, on ne voit pas, on ne comprend pas comment ils ont pu arriver. Le paradoxe de Wang (du nom de Wang Yang-Ming, philo- sophe né en 1472 à Yuyao et mort en 1529 dans le Guangji) est une variante numérique du paradoxe du sorite. On peut l’énoncer ainsi : 1 est un petit nombre si n est un petit nombre, alors n+1 est un petit nombre par conséquent tous les entiers naturels sont de petits nombres le 17 novembre dernier ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signa- lement — 237 » ; « Allo Place Beauvau ? C’est pour un signalement — 238 »…). Voyant s’élever ces chiffres, et sans que rien ne change, je me disais ceci : dans l’Antiquité, les paradoxes servaient à attester du divorce entre la raison et les sens — leur intérêt philosophique tenait au scandale qu’ils font naître, dès lors que nos facultés di- vergent, parce que nous voyons ici le tas mais que nous le jugeons là impossible ou contradictoire, et qu’il nous faut choisir, nous de- mander que croire. Qu’ils soient grecs ou chinois, les philosophes n’avaient pas vu que ces paradoxes peuvent tout aussi bien sceller une secrète alliance entre la dénégation et la gradation, les dresser ensemble contre toute obligation d’avoir à effectuer quelque choix que ce soit. Étrange promesse : pour peu que le tas augmente peu à peu, nous pourrons continuer à ne pas le voir, quitte à nous y retrouver jusqu’au cou comme Winnie dans la pièce de Beckett, Oh les beaux jours, dont le torse seul émerge du sable ; pour peu que le nombre n des éborgnés ou des exilés s’accroisse petit à petit, nous pourrons continuer à le réputer petit, repoussant dans chaque cas à l’extrémité de notre raisonnement, à la bordure de notre œil, le scandale que nous savons bien, et la gravité de la catastrophe. Bien entendu, cette convergence terrible où la continuité de la mesure conspire avec notre manière de n’y déceler aucun changement notable, aucun saut, cette convergence vaut d’abord aujourd’hui pour le réchauffement climatique : les hypothèses à deux degrés, trois, quatre ou cinq degrés ont beau déboucher sur des transformations cauchemardesques dont il nous est fait amplement récit, elles ont beau annoncer un monde dépeuplé d’animaux, où survit un tas d’hommes et nu comme une tête, cela ne fait rien ; si un degré est un petit nombre, comment deux ne seraient-ils pas petits encore ? À ce compte oui, on comprend que l’envie de trancher pal- pite ; on saisit que si l’idée de la fin du monde insiste quelque part, c’est davantage dans le miroitement de nos désirs, du côté de nos fantasmes, plutôt que dans l’horizon de nos choix ou de nos res- ponsabilités. Qu’est-ce qu’elle attend, la fin du monde ? Qu’est-ce qu’il fout, l’astéroïde ? Si une part de la pensée politique radicale s’est aujourd’hui rangée sous la bannière de l’imminence voire du messianisme (comme Giorgio Agamben relisant Saint-Paul y puisait cette promesse : « car elle passe, la figure de ce monde », ou comme le Comité invisible titrant l’un de ses opus d’un sobre : Maintenant) ; si dans le même temps la collapsologie mainstream fait florès en librairie, c’est que la part non-résignée de nous-même rêverait d’opposer à cet enfoncement la netteté d’une date, à ces malheurs en pente douce, à ces agonies d’opéra où la diva s’en- nuie ferme sans cesser de souffrir, la butée d’une barre de mesure, même oblique ; un trait, une limite, un slash. (Voici quelque temps, c’était en novembre, je me trouvais dans la salle de petit-déjeuner déserte d’un hôtel ; surplombant les serviettes en papier orange, dans le silence des tasses retournées sur leurs soucoupes, sur un immense écran plasma défilaient par- mi les carcasses d’abribus noircies les véhicules vert pomme de la propreté de Paris ; c’était un dimanche matin, au sortir donc de l’acte ii ou iii des gilets jaunes, et bfm avait choisi d’inscrire au bas de l’écran, sur le banc-titre, une légende directement empruntée aux blockbusters post-apocalyptiques, où se lisait surtout l’exulta- tion d’enfin y être : « Champs-Élysées : le jour d’après »). /3 / Malheur. Le malheur est que le malheur tarde. Le malheur est (pour re- prendre le titre d’un film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet) que le malheur vient trop tôt trop tard. Pas toujours, bien sûr : par- fois, la tempête nous fait l’horreur de sa présence. Dans son beau livre Chronique des jours tremblants, Yoko Tawada explique qu’au Ja- pon, les jours qui suivent un tremblement de terre procurent sous la douleur et l’affairement des rescapés un sentiment de sécurité relative ; si éprouvantes que soient les répliques, on sait d’un savoir immémorial qu’elles ne sauraient être aussi dévastatrices que le séisme initial, répétitions atténuées qui repoussent dans le passé la grande secousse ; ainsi les souvenirs pénibles ont-ils au moins ceci d’apaisant qu’ils sont des souvenirs — la tempête est venue. Et Combien de grains de sable faut-il ajouter à un grain de sable pour obtenir un tas de sable ? […] il est logiquement impossible de comprendre comment soudain, se tient devant vous un tas de sable. J’aibeaucouprepenséauparadoxedeWangcesdernièressemaines, cependant que s’alignaient au long de journées troublées et sem- blables deux colonnes de chiffres sur ma page Twitter : la première colonne recensait le nombre d’exilé·e·s repérés en Méditerranée, les un·e·s noyé·e·s, d’autres condamné·e·s à attendre (longtemps) qu’on veuille bien les répartir dans divers pays de l’Union euro- péenne, d’autres encore renvoyé·e·s en Libye selon une pratique qui peu à peu, petit à petit, paraît devenir accordée et habituelle ; sur la deuxième colonne s’élevait comme un monument solitaire la série des signalements dont le journaliste David Dufresne tient le décompte sur son fil Twitter, signalement renvoyant à des bru- talités policières tour à tour répertoriées et additionnées (chaque post de David Dufresne est indexé par un nombre, indiquant qu’il augmente d’une unité le total des violences documentées depuis
  • 19. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C3Publications / Dissémination c Cela fait trois jours qu’il n’a pas mangé Et il a beau se répéter depuis trois jours Ça ne peut pas durer Ça dure de même Épicure et Lucrèce entendaient nous remonter le moral avec cette pensée que la douleur est facile à supporter, car son intensité varie en raison inverse de sa durée de sorte que lorsqu’on a très mal, c’est très vite fini. Tu parles. Le malheur est en effet que les fins du monde n’obéissent pas aux raisons des philosophes : les écroulements prennent tout leur temps, transissent le temps lui-même, on ne bouge plus. Ainsi le réchauffement climatique, s’il multiplie les phénomènes extrêmes, ressemble pourtant moins à la brusquerie d’un tremblement de terre qu’à un orage qui sans craquer indéfiniment s’alourdit, nous laissant avec le genre de frustration que procurent les éternuements s’ils s’annoncent et ne veulent pas venir. Pour le dire autrement, ce que la catastrophe tend à catas- tropher, c’est la coïncidence à soi de l’événement qui permettrait de distinguer nettement un avant d’un après : en avance ou en re- tard sur elle-même, elle déconcerte l’ordre du temps. D’une part, en aval ou sur sa lancée, la fin n’en finit pas, et l’expérience qu’elle suscite obéit à la loi de ce que j’ai tenté de nommer ailleurs le « continuel ». Je n’y insiste pas, là-dessus, Jacques Prévert a écrit l’essentiel, en quatre vers et à propos de la pauvreté : La fin, donc, se survit, et repousse ou retarde par là même toute possibilité d’envisager un après ; mais symétriquement, la fin an- ticipe sur elle-même, elle vient de plus loin, de plus haut, de plus tôt, elle entache l’avant d’une forme de compromission qui lui ôte toute innocence. Dans l’un des passages les plus frappants du livre que j’ai déjà cité, Effondrement, Jared Diamond tente de répondre à la question de l’un de ses étudiants, qui l’avait laissé coi : « Qu’est-ce que l’habitant de l’île de Pâques qui a coupé le dernier arbre a bien pu se dire à lui-même ? ». Et voici ce qu’écrit Diamond : « L’amné- sie du paysage répond en partie à la question de mes étudiants (...) nous imaginons inconsciemment un changement soudain : une année, l’île était encore recouverte d’une forêt de palmiers, parce qu’on y produisait du vin, des fruits et du bois d’œuvre pour transporter et ériger les statues ; puis voilà que l’année suivante, il ne restait plus qu’un arbre, qu’un habitant a abattu, incroyable geste de stupidité autodestructrice. Il est cependant plus probable que les modifications dans la couverture forestière d’année en année ont été presque indétectables : une année, quelques arbres ont été coupés ici ou là, mais de jeunes arbres commençaient à repousser sur le site de ce jardin abandonné. Seuls les plus vieux habitants de l’île, s’ils repensaient à leur enfance des décennies plus tôt, pouvaient voir la différence. Leurs enfants ne pouvaient pas non plus comprendre les contes de leurs parents, où il était question d’une grande forêt (...). À l’époque où le dernier palmier portant des fruits a été coupé, cette espèce avait depuis longtemps cessé d’avoir une signification économique. Il ne restait à couper chaque année que de jeunes palmiers de plus en plus petits, ainsi que d’autres buissons et pousses. Personne n’aurait remarqué la chute du dernier petit palmier. Le souvenir de la forêt de palmiers des siècles antérieurs avait succombé à l’amnésie du paysage ». Le malheur, donc, est que la fin s’éclipse deux fois, dans une affolante superposition de l’avant et de l’après : une fois parce qu’elle ne finit pas de finir, une autre fois (à supposer qu’un tel décompte ne soit pas lui-même compromis, et que cette autre fois ne soit pas la même) parce que lorsque cela finit de finir, c’était déjà fini, depuis longtemps et d’aussi loin que l’on s’en souvienne. Manque, encore, le régime de pensée adéquat à cet entre-temps. /4 / Insomnie. La gravure d’Escher intitulée « Jour et nuit » propose une variation assez particulière du motif des figures ambiguës, qui fascinait le graveur néerlandais. Le motif qu’elle présente, celui d’un vol d’oies sauvages vu en légère contre-plongée et sous lequel défile un semis de champs cultivés, est affecté d’une double ambiguïté : horizonta- lement, on passe par degrés insensibles d’un groupe d’oies noires, tête vers la gauche et séparées par une série de zones claires, à un groupe d’oies blanches, tête vers la droite et que séparent des ha- chures sombres. D’autre part, sur l’axe vertical, la gravure permet de passer sans solution de continuité du vol des oies aux losanges des champs, comme si leur dénivellation, elles en haut, eux en bas, différence des plans clairement perceptible dans la partie supé- rieure de l’image, se dissolvait dans l’aplat à mesure que l’on des- cend. Aux angles inférieurs, deux villages se font face, dont on ne saurait décider s’ils se disposent comme deux espaces, deux étapes sur la route des oiseaux migrateurs, ou comme deux temps, même église et même hameau, jour et nuit. Sur sa diagonale ascendante, sa barre oblique, se font signe le village nettement dessiné et l’oie la plus claire ; le tableau, on le voit, aurait pu s’intituler « jour/nuit », tant la géométrie qu’il déploie, cette coexistence possible d’états qui par ailleurs s’excluent, ce surplomb avalé dans la platitude du mélange, font écho à la logique que je tentais tout à l’heure de décrire. Mais m’intéresse surtout la façon l’indication que donne Escher, la piste qu’il ouvre en intitulant précisément « jour et nuit » cette scène où l’on ne sait plus distinguer l’avant de l’après, le mou- vement progressif et celui qui va à rebours, ni le ciel de la terre : peut-être, suggère-t-il, pour rendre notre pensée adéquate à ce moment si incertain où les chronologies sont brouillées, il fallait trouver d’abord à défaire notre vigilance de ce qu’elles doit à l’alter- nance du jour et de la nuit, du sommeil et de la veille. Si l’on prend au sérieux le motif de « la fin du monde », on ne peut manquer de se souvenir que le monde commence par là, sitôt ciel et terre installés face à face — « Dieu vit que la lumière était Escher, « Jour et nuit », gravure sur bois de fil, deux planches 36 x 68 cm, 1938
  • 20. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue Page C4École urbaine de Lyon Publications / Dissémination c bonne, et il sépara la lumière des ténèbres/Dieu appela la lumière jour, et les ténèbres nuit. Il y eut un soir et il y eut un matin. Ce fut le premier jour. » C’est à cette alternance-là, d’abord, que nous devons de pouvoir distinguer ce qui vient avant et ce qui vient ensuite, les veilles et leurs lendemains, le grand soir et les petits matins. Penser « à la fin du monde », alors, en tous les sens de la préposition, comme on pense à un certain objet mais comme on s’installe aussi en un certain lieu, ce serait déployer une pen- sée qui, littéralement, ne soit plus ni matinale ni crépusculaire, ni d’amont ni d’aval, ni d’avant ni d’après. De cette question, peut-être, de cette posture ou de cette disposition de la pensée les insom- niaques savent quelque chose — puisqu’il est tard, qu’il fait nuit et que je vous amuse des miettes de mes poches, vous me permettrez de tirer une brève note du journal que je tiens de mes insomnies, et qui m’est revenue en préparant ce texte. 2 h 08 — Au cours des nuits passées à boire, à s’aimer, à jouer au tarot ou aux ambassadeurs, vient souvent ce moment où l’un dit : il est tard, et l’autre corrige en : il est tôt, parce qu’on est déjà demain et que le souligner ainsi appartient aux plaisanteries ri- tuelles qui saluent et conjurent le plaisir pris aux transgressions de l’ordre du jour. (un des plus beaux films du monde en fit une chanson : Good morning, good mo-o-orning, we spent the whole night through, good morning, good morning, to you ). Si la nuit blanche réconcilie le très tard et le très tôt, au contraire, l’inquiétude liée à l’insomnie vient de ce qu’elle les congédie en- semble, et ne saurait en toute rigueur être dite ni l’un ni l’autre : deux heures, pour qui s’y éveille, ce n’est ni tôt, ni tard. Raison pour laquelle l’insomniaque ruminera volontiers la vieillesse, la mort, la rédemption ou la vengeance : elles, au moins, viennent tôt ou tard, donnent malgré l’effroi qu’elles inspirent à la nuit l’indication d’une issue, font repartir le temps en tirant sur son grand côté.  Relisant ceci, et songeant à nos affaires, je me disais qu’il en va de la collapsologie comme des ruminations de l’insomniaque : elle se figure le pire parce qu’au moins, celui-ci redonne une direction au temps. Et je me disais du coup qu’accueillir, au contraire, cette expérience dégagée de l’alternative du « tôt ou tard » était l’une des tâches les plus urgentes de notre temps. Peut-être la fin du monde, si par là on nomme d’un trait ce qui nous arrive et dont nous ne voulons pas, a-t-elle besoin de gens qui face à cette aggravation n’en ferment plus l’œil de la nuit. A°2020 Coédition École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq École urbaine de Lyon – Université de Lyon 92, rue Pasteur 69007 Lyon — France Éditions deux-cent-cinq® 24, rue Commandant-Faurax 69006 Lyon — France www.editions205.fr Directeur de la publication Michel Lussault Directrice éditoriale Valérie Disdier Ont collaboré à cette parution A Élisabeth Anstett, B Gwenaëlle Bertrand, Rayan Bouchali, Bastien Boussau, C Bruno Charles, Jérémy Cheval, Céline Clanet, Benoît Cournoyer, Mathieu Couttenier, D Claire Delfosse, Jean-Paul Demoule, Clément Dillenseger, Valérie Disdier, Cédric Duroux, E Encore Heureux Architectes, F Anne Fischer, G Bérénice Gagne, Natacha Gondran, Anne Guinot, H Lou Herrmann, K Jindra Kratochvil, L Mahaut Lavoine, Michel Lussault, M Claire Mandon, Nancy Moreno, Laurent Moulin, O Nathalie Ortar, P Mathilde Paris, Alexandra Pech, Adrien Pinon, Alfonso Pinto, Mathieu Potte-Bonneville, R Hervé Rivano, S Loïc Sagnard, Alice Sender, Debora Swistun, T Lucas Tiphine, Camille de Toledo, Jean-Yves Toussaint, W Chuan Wang Conception éditoriale, design graphique et réalisation Bureau 205® www.bureau205.fr ISSN En cours Janvier 2020 ISBN Éditions deux-cent-cinq 978–2–919380–30–5 ISBN École urbaine de Lyon — Université de Lyon 978–2–953463–51–4 Nos remercions AOC (Analyse Opinion Critique), Rue89Lyon et Tous urbains, pour avoir accepté de republier certains de leurs textes dans A°2020. Diffusion/Distribution Éditions deux-cent-cinq Impression Imprimerie Chirat, Saint-Just-la-Pendue (42) Imprimé sur des papiers en stock et restant de précédents travaux d'impression pour limiter l'impact écologique de ce support : – Soporset Premium 135 g et 90 g (Inapa). Certifié 100 % PEFC™. Écolabel Fleur européenne. Certification alimentaire ISEGA – Nautilus Classic 120g (Antalis) 100% fibres recyclées, Ange Bleu, écolabel européen, FSC Recycled. À 100% à partir de vieux papiers désencrés. Exempt de chlore ou de composés chlorés. – Magno Gloss 115 g (Sappi). ECF, FSC® Mix (FSC-C014955), PEFC™ Typographies Les textes ont été composés exclusivement avec des caractères typographiques distribués par 205TF® — www.205.tf — : – Beretta Sans – Bouclard (proch. disponible) – Cosimo – Heliuum (proch. disponible) – Helvetius – Maax Raw – Petit Serif – Plaak – Robin – Salmanazar – Yorick Éditer « anthropocène » Éditer, c’est faire des choix, prendre position, valoriser par la diffusion, faire acte de dissémination. Éditer c’est aussi produire un objet, un format, un volume, un poids. Penser chaque paramètre en fonction du projet. C’est faire exister le texte, l’image sous une forme tangible, durable et transmis­sible. Donner du sens aux images et aux signes qui nous entourent pour nous rendre autonomes et citoyens. C’est faire œuvre de création graphique, typo­graphique. Éditer c’est utiliser du papier et de l’encre, c’est transporter, et ce sont tout autant des personnes : des auteurs, des éditeurs, des imprimeurs, des designers graphiques… des diffuseurs, des libraires, des bibliothécaires. À l’heure d’une planète fragilisée, comment interroger le processus éditorial ? En portant une attention aux hommes avec la recherche de compétences qualifiées et certifiées, une attention aux matériaux — de la forêt au papier, du végétal à l’encre —, une attention générale à l’optimisation des ressources humaines et matérielles en privilégiant les circuits courts afin d’amoindrir les impacts du transport, en imaginant une politique éditoriale inventive afin de limiter les déchets. Éditer « anthropocène », c’est réfléchir simultanément à tous les aspects du processus, tenir l’ensemble des contraintes et assumer les limites rencontrées. C’est le pari engagé par l’École urbaine de Lyon avec les Éditions deux-cent-cinq. Ce magazine est déjà la manifestation de ces choix.
  • 21. École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C5Publications / Dissémination c Michel Lussault Photo : Earth at Night, Asia and Australia (2016). NASA Earth Observatory Géographe, professeur à l’Université de Lyon (École normale supérieure de Lyon) et directeur de l’École urbaine de Lyon Qu’est-ce que le Monde, cette réalité globale — un espace social d’échelle terrestre — que la mondialisation installe1  ? Un nouveau mode de spatialisation des sociétés humaines, une mutation dans l’ordre de l’habitation humaine de la planète, c’est pourquoi il est judicieux d’écrire ce terme avec une majuscule, pour réserver le mot avec minuscule à ce qui ressortit du mondain, du social. Et cette mutation possède une cause majeure, un vecteur principal : l’urbanisation, tout à la fois mondialisée et mondialisante, est la principale force instituante et imaginante du Monde. Instituante, parce qu’elle arrange de nouvelle façon les réalités matérielles, humaines et non humaines et construit les environnements spatiaux des sociétés. Imaginante, parce qu’elle installe les idéologies, les savoirs, les imaginaires et les images constitutifs de la mondialité. Bienvenue(?) dans l’ an thro   po cE   ne ! Article pubié sur Anthropocene2050, le 27 octobre 2019 1 Voir à ce sujet Michel Lussault, L’avènement du Monde. Essai sur l’humanisation de la Terre (Le Seuil, 2013)
  • 22. ÉcoleÉcole urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C6Publications / Dissémination c Urbanisation généralisée l s’agit d’un phénomène dont on peut appréhender l’ampleur par quelques données démographiques simples. La population urbanisée a connu une croissance spectaculaire au xxe siècle, passant de 220 mil- lions à 2,8 milliards d’habitants — quand la population totale de la terre progressait de 1,7 à 6,1 milliards. En 1900, 1 humain sur 8 était urbain ; ils étaient 3 sur 10 en 1950, tandis que se lançait la phase d’urbanisation la plus puissante. En 2008, pour la première fois depuis que l’être humain a commencé à imprimer sa marque sur la planète, plus de 50 % de la population du globe, c’est-à-dire au bas mot entre 3,3 et 3,5 milliards de personnes, vivaient dans des ensembles urbains. Cette barre franchie, la population urbaine continue de croître. D’ici à 2030 toutes les régions du globe seront plus urbaines que ru- rales, et en 2050, 70 % des 9,7 milliards d’habitants escomptés sur terre (selon l’hypothèse médiane de l’ONU), soit 6,7 milliards, résideront dans un ensemble urbain : l’Asie accueillera alors plus de 50 % de la population urbaine mondiale et l’Afrique 20 % ! Alors qu’en cent cin- quante ans (1900–2050), la population mondiale aura été multipliée environ par 6 — ce qui est déjà considérable —, la population urbaine l’aura été au moins par 30 ! Et l’on voudrait ne pas considérer cela comme un bouleversement majeur, qui change toutes les conditions d’existence, individuelles et collectives ? Au-delà de la seule statistique, l’urbanisation consiste aussi et surtout en un rempla- cement des modes d’organisation des sociétés, des paysages et des formes de vie qui furent dominants (la ville préindustrielle, puis industrielle, et la campagne) par de nouveaux mo- des, paysages et formes de vie : celui de l’« urbain » généralisé. L’économie est nouvelle, les structures sociales et culturelles connaissent des mutations profondes, les temporalités sont bouleversées, des logiques inédites d’organisation et de pratiques spatiales s’épanouis- sent à toutes les échelles, un état de nature spécifique est créé par le mouvement même d’urbanisation… En quelques générations, Homo sapiens est bel et bien devenu Homo urba- nus 2 . Un autre Monde s’est installé via l’urbanisation ; il constitue l’état historique contem- porain, différent de tout ce qui a précédé, de l’écoumène terrestre — l’écoumène étant un concept essentiel de la géographie, qui désigne l’espace de vie construit et habité par les êtres humains, à quelque échelle qu’on le considère. Global Change n lien avec cette mondialisation puissante, le grand public s’est vu aussi de plus en plus confronté, en quelques années à peine, à l’émer- gence d’une nouvelle force, qui travaille le Monde en profondeur et le (re)configure à toutes les échelles — et dérange bien des certitudes et des habitudes : le changement global. Nous découvrons que nous sommes entrés dans la période anthropocène, qui est en passe de redistribuer les cartes. En réalité, l’alerte avait été lancée depuis longtemps, en même temps que s’enclenchait la phase la plus puissante d’urbanisation globa- lisante. En 1972, la conférence de Stockholm sur l’environne- ment s’est en effet conclue par une célèbre déclaration, qui faisait de la ques- tion écologique une des principales que les pays de l’onu devaient affronter collectivement. Le fameux rapport de Dennis Meadows, au Club de Rome, The Limits of Growth, date également de 1972 : c’est une des premières occurrences des analyses critiques de la surexploitation des ressources et des logiques de la croissance infinie, qui mèneront ultérieurement, à la diffusion de la pro- blématique de la décroissance, mais aussi, par exemple, à celle de l’empreinte écologique excessive due à l’occupation humaine. La conférence de Stockholm ouvrit la série des « Sommets de la terre » et, depuis lors, les appels à la prise I E Nous découvrons que nous sommes entrés dans la période anthropocène, qui est en passe de redistribuer les cartes. ---------E ---------E 2 Pour reprendre le titre d’un livre de Thierry Paquot, Homo Urbanus. Essai sur l’urba­ nisation du monde et des mœurs, Paris, Éditions du Felin, 1990, un des premiers auteurs a avoir repéré cette mutation globale, en méditant notamment les intuitions d’un Henri Lefebvre, qui publia La révolution urbaine en 1970, mais dans une perspective intellectuelle très différente.
  • 23. 4 Timothy Mitchell, Carbon Democracy. Political Power in the Age of Oil, Verso, 2011 École urbaine de Lyon + Éditions deux-cent-cinq / Version numérique : diffusion libre, ne peut être vendue École urbaine de Lyon Page C7Publications / Dissémination c en compte des effets environnementaux des activités humaines n’ont pas cessé. Le Giec (Groupement intergouvernemental pour l’évaluation du climat), créé dès 1988, joua un rôle décisif en cette matière, ainsi que, quoique moins médiatisé, l’igbp (International Geos- phere-Biosphere Program) créé quant à lui en 1987 et qui a terminé son activité à la fin 2015. Du coup, on peut même se demander pourquoi il a fallu tant tarder pour que les problèmes afférents se trouvent enfin au centre des préoccupations de la sphère publique mondiale. Peut-être parce que l’on a longtemps voulu sous-estimer l’ampleur des bouleverse- ments liés au Global change et qu’on a peiné à comprendre à quel point il allait nous falloir modifier nos manières de voir, de penser et d’agir. Désormais, un changement de paradigme est en cours. Alors que le concept de crise environnementale renvoie à l’idée classique que les sociétés humaines ont à gérer un incident de parcours momentané, pour lequel on trouvera nécessairement les parades, celui d’anthropocène a le mérite de souligner l’exis- tence d’une bifurcation, dont nous sommes en passe de vivre et d’éprouver les premières conséquences systémiques. Et ce pour une raison simple : « L’humanité, notre propre es- pèce, est devenue si grande et si active qu’elle rivalise avec quelques-unes des grandes forces de la Nature dans son impact sur le fonctionnement du système terre ». Ainsi, « le genre humain est devenu une force géologique globale3  ». La planète-terre, en raison des activités humaines, s’est continûment anthropisée, d’abord à bas bruit, avant que l’anthropisation ne s’accentue et ne prenne un tour spectaculaire, lié à l’urbanisation, à partir du xixe siècle. Cet anthropocène, défini comme une nouvelle « époque » géologique, témoignerait de l’influence directe et prééminente de certaines grandes activités humaines sur le système biophysique planétaire, en particulier des activités liées à la phase d’urbanisa- tion massive enclenchée après la Seconde Guerre mondiale. Le terme « Anthropocène » (dont on peut tracer les origines depuis le début du xxe siècle) avait été proposé dans les années quatre-vingt et quatre- vingt-dix, par le biologiste Eugène F. Stoermer et le journaliste Andrew Revkin. Mais son importance s’affirme à partir de 2000, lorsqu’il est repris et diffusé par le prix Nobel de chimie Paul Crutzen qui, quant à lui, estime qu’il s’enclenche à la fin du xviiie siècle ; il fait de la machine à vapeur de James Watt, datant de 1784, l’indice de l’ouverture de l’ère nouvelle. Cette datation ne fait pas l’una- nimité. Lors du 35e Congrès mondial de géologie organisé à Cape Town, du 27 août au 4 septembre 2016, une commission de travail a suggéré de considé- rer l’anthropocène comme une nouvelle « époque » (au sein de la « période » quaternaire de « l’ère » cénozoïque, pour reprendre les termes exacts), avec le choix de la faire débuter après 1945, notamment en raison de l’apparition des dépôts de particules nucléaires, mais aussi de l’impact de l’exploitation intense des phosphates et de l’utilisation des nitrates, tout cela devenant de véritables marqueurs stratigraphiques. Même si les géologues n’ont pas encore tranché, un grand nombre de chercheurs penchent aujourd’hui pour identifier ce qu’on nomme une « grande accélération » post 1945 des phénomènes de Global Change. C’est-à-dire une pé- riode synchrone de l’enclenchement de la phase contemporaine de l’urbanisation massive. Des recherches plus récentes promeuvent quant à elle l’idée d’un « Early Anthropo­cene » débutant dès le néolithique voire à la fin du paléolithique. Toujours-déjà vulnérable uoi qu’il en soit, une « convergence » vers ce concept encore en discussion est désormais assumée par un nombre croissant de spécialistes du monde entier, qu’ils soient issus des sciences expérimentales ou des sciences humaines et sociales, sans oublier le droit et la philosophie. Dans la perspective de l’École urbaine de Lyon, l’Anthropocène s’avère d’ailleurs moins une grille de lecture exclusive qu’un métaproblème qui informe et questionne aujourd’hui tous les champs de la société, à toutes les échelles. Comme la question de l’urbanisation généralisée avec lequel il est pro- fondément lié, il incite à développer une pensée systémique. Insistons bien sur un point : l’urbain n’est pas qu’un espace où se projetteraient les symptômes d’un anthropocène qui serait nourri essentiellement par la « carbonisation »4 des activités et des sociétés. L’urbanisation en tant que processus global et globalisant, qui intègre toutes Q Le terme « Anthropocène » (dont on peut tracer les origines depuis le début du xxe siècle) avait été proposé dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, par le biologiste Eugène F. Stoermer et le journaliste Andrew Revkin. -E 3 Will Steffen, Jacques Grinevald, Paul Crutzen et John McNeill, “The Anthropocene: conceptual and historical perspectives”, Philosophical Transactions of the Royal Society A, vol. 369, 2011, p. 842–867