Dans un potager, tout n’est que sexualité !
Les plantes mettent en place de nombreux stratagèmes pour se reproduire :
couleurs séduisantes, parfums capiteux, formes engageantes.
D’autre part, depuis toujours, les plantes sont utilisées pour leurs vertus aphrodisiaques… Sans compter toutes les expressions ambigües et noms évocateurs utilisés par les jardiniers !
Par ce biais original, Xavier Mathias invite à mieux comprendre les plantes, découvrir des histoires et réviser ses connaissances dans un livre intitulé "La vie érotique de mon potager". Un ouvrage amusant, passionnant et instructif. Aux Editions Terre Vivante. En voici quelques bonnes feuilles
Le Roc Saint André. Les résultats des 30eme foulees
En librairie: "la vie érotique de mon potager"
1. La vie érotique de mon potager
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Mille mercis
Quoi de plus érotique qu’un potager ? Pas grand-chose si j’en crois les mines
réjouies, les soupirs de ravissement, les cris de surprise et les sourires enten-
dus de tous ces jardiniers ravis après quelques heures au jardin. Quoi de
plus émoustillant, il est vrai, que nombre de ces fruits ou racines aux formes
aguicheuses, que ces belles aux involucres 1
frémissantes, aux corolles épa-
nouies ? Ne nous étonnons pas de cette ambiance torride au potager, entre
pistil accueillant et étamines dressées, quoi de surprenant à toutes ces allu-
sions suggestives entre jardiniers qui ne manquent pas d’arriver sitôt que
nous prêtons un peu d’attention à nos chers légumes. Souvenons-nous que
ce sont les végétaux qui ont inventé la sexualité ! Merci qui ? En effet, avant
que nos adorables plantes fassent enfin preuve d’un peu plus d’imagination
que les bactéries et nous offrent la méiose, ou reproduction sexuée, c’est la
mitose qui était de mise. Certes, cette technique de scission d’une cellule en
deux identiques, puis en deux, puis en deux, etc. est très efficace et demande
peu d’énergie, mais admettons néanmoins que ce mode de reproduction
manque quelque peu de piquant.
Outre remercier les végétaux dans leur ensemble pour cet incomparable don
de la sexualité dont nous, les animaux, avons ensuite hérité, se souvenir
qu’au potager aussi l’essentiel est affaire de mœurs nous permettra de mieux
le comprendre et mieux le cultiver.
Les courgettes sont-elles insatiables à ce point, par exemple, que tant qu’on
les cueille elles n’ont qu’une idée en tête : continuer de chercher à se repro-
duire encore et encore ? Et la bourrache, la simple bourrache, pourquoi ses
fleurs peuvent-elles virer du bleu au rose sur le même pied ? A-t-elle eu vent
de cette curieuse coutume établissant que chez certains humains le rose était
traditionnellement réservé aux petites filles à l’inverse du bleu consacré aux
garçons ?
C’est dans cette ambiance électrique, traversée par les bourdonnements
des pollinisateurs tout à leur butinage, parmi les bruissements d’insectes
qui semblent bien affairés auprès de ces multiples corolles parfumées ou
1. Base de l’inflorescence de certains végétaux. L’artichaut par exemple dont nous aurons
l’occasion de reparler (voir p. 134).
2. Mille mercis
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chatoyantes offertes à leur regard et leur insatiable gourmandise, que nous
œuvrons. Comment s’étonner alors que tout devienne sujet à interprétation ?
Un simple sillon prend un sens nouveau au moment de l’ensemencer, mais
faut-il y voir malice, coïncidence ou l’innocent usage de mots simples pour
décrire cette réalité qui s’offre à tout jardinier : le frémissement d’une vie qui
ne demande qu’à palpiter bien au chaud dans l’enveloppe de sa graine ?
Les parallèles concernant reproduction, mœurs et coutumes sont tellement
flagrants entre les végétaux et les animaux que finalement nous ne sommes
en rien surpris que derrière chaque mot, chaque situation décrivant ces êtres
a priori non animés, sans voix pour exprimer leurs peines et surtout leurs
joies, nous puissions avoir une autre lecture que celle habituellement propo-
sée. Certes, elle est un peu plus scabreuse que celle que les manuels jardiniers
ont l’habitude de nous proposer, mais tellement à l’image de nos potagers
finalement : gais, source de plaisir, voire de jouissance, de découvertes et
d’émerveillements. Bref, tellement pleins de vie !
La couleur blanche inhabituelle de cette
bourrache n’empêche pas un baiser langoureux.
3. Quatre saisons
de plaisir
dans un jardin
potager
« Le ciel est haut, la terre est basse ; il n’y a que la table
et le lit qui soient à la bonne hauteur. »
Proverbe français
(vous pouvez rappeler les enfants)
4.
5. La vie érotique de mon potager
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L’asperge ou l’érotisme du jardin jusque
dans l’assiette
Asparagus officinalis – Asparagacées
Commençons immédiatement par avouer la vérité : vous avez eu raison,
messieurs, de suer sang et eau et de vous montrer patients à ce point pour
cultiver cette délicate Asparagacée! Pline l’Ancien ou Rabelais, par exemple,
avaient d’ailleurs eu la même intuition que vous, une intuition confirmée par
la science : l’asperge, stimulant la production de testostérone, a bien des pro-
priétés aphrodisiaques. Pas de publicité mensongère, donc, avec cet insolent
turion*, dont il est presque gênant d’évoquer l’extrémité souvent légèrement
violacée, pointant au printemps à la surface de ce monticule que nous avons
érigé à son intention. Elle a décidément tout pour elle cette asperge : forme,
couleur et surgissement pour qui saura bichonner ce bourgeon, requérant au
moins trois ans pour se décider à poin-
ter la première fois.
Ajoutons à cela la façon la plus com-
mune de s’en délecter à un moment de
la saison où, de manière générale, la
sève ne remonte pas uniquement chez
les végétaux, et l’affaire est faite. L’as-
perge se voit teintée d’une réputation
sulfureuse et méritée. Louis XIV, notre
tricheur habituel au potager, qui ne
supportait pas l’idée qu’il puisse y avoir
des saisons, monarque tout entièrement
dévolu à sa toute-puissance, secondé
dans ses quatre volontés par l’incroyable
Jean-Baptiste de la Quintinie22
, en exi-
geait à sa table, même en hiver! Il est
vrai que, mon bon monsieur, il n’y a pas
de saison pour la testostérone!
22. Chef d’orchestre, magicien et grand ordonnateur du potager du roi.
« L’autre, celui qui fait rêver les communiantes
[…] » Léo Ferré
«Etj’aivumapeine
bienrécompensée.»
6. « J’suis content, c’est l’printemps »
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D’AUTRES ASPERGES
Si l’on consomme des asperges classiques, d’autres espèces se prêtent aussi
parfaitement à ce mode consommation consistant à se délecter d’une hampe
florale au moment de son émission. La plus connue est probablement la cel-
tuce ou laitue asperge, une sélection très commune en Asie, permettant, une
fois n’est pas coutume, de se réjouir de voir nos laitues monter ! Signalons
aussi les jeunes hampes florales de moutarde, un régal récoltées avant que
les fleurs ne soient toutes ouvertes, celles des choux verts ou, pour les jardi-
niers amateurs de cueillette sauvage, les célèbres respounchous, ces jeunes
pousses de tamier, la fameuse « herbe aux femmes battues 23
» – une dénomi-
nation qui nous éloigne de notre sujet, convenons-en.
« Aller aux asperges », quand on vit sur le bitume ou en ville, évoque bien la
quête de turions* à des fins professionnelles, mais des turions dont la turges-
cence est bien éloignée de la botanique.
23. Son gros tubercule souterrain était traditionnellement employé pour lutter contre
les hématomes.
« Il ne faut pas tremper son
asperge dans n’importe quel
coquetier. »
Dicton français
7. La vie érotique de mon potager
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Les slaouis, le concours de la plus longue
Lagenaria siceraria – Cucurbitacées
« N’est-elle pas déjà trop longue pour mon frêle appétit ? »,
se demande une gourmande jardinière.
Touteressemblance
avecetc.,etc.
8. L’automne
129
C’est un ami marocain qui, s’étonnant de ne pas trouver en France de slaouis,
les vraies courgettes selon lui pour faire le couscous, m’en a ramené des
graines. Rien d’étonnant à ce qu’il ne trouve pas sur nos étals ces fruits qu’il
me décrivait d’une taille à peu près identique à nos variétés, mais d’un vert
plus pâle, avec une chair plus dense !
La couleur et la forme très particulières des semences qu’il m’offrit ne lais-
saient pas de place au doute. Les fruits dont il me parlait n’étaient pas des
courgettes au sens botanique où nous l’entendons, des petites Cucurbita
pepo donc, mais plutôt ce que nous appelons des « gourdes » ou « calebasses »,
des Lagenaria siceraria, qu’aucun maraîcher français à ma connaissance ne
cultive à des fins alimentaires (pour les manger comme des courgettes) et ne
récolte avant leur complet développement.
Bien avant les différentes espèces de Cucurbita, que nous appelons courges
ou parfois courgettes si elles sont récoltées immatures, c’était pourtant bien
des Lagenaria siceraria qui étaient cultivées, entre autres, à des fins alimen-
taires sur le vieux continent. Pline l’Ancien, par exemple, ne nous décrit déjà
pas moins de treize recettes de ces Lagenarias cuites, bouillies, en sauce, etc.
Exactement comme nous le faisons dorénavant avec nos courgettes que nous
ne laissons pas mûrir et atteindre leur plein développement pour les récolter,
il est aussi possible de cueillir ces gourdes avant qu’elles n’aient leur taille
définitive. C’est d’ailleurs faire preuve de bon sens que de récolter ces slaouis
quand elles mesurent « seulement » une quarantaine de centimètres environ.
En premier lieu parce qu’elles sont plus tendres à ce stade, mais aussi parce
qu’il n’est pas rare qu’elles atteignent un bon deux mètres de long quand
elles parviennent à leur terme !
Même s’il est compliqué de nommer avec certitude une variété de gourde,
on peut rapprocher ces slaouis de ce que nous appelons les ‘Speckled snake’,
ou ‘Snake’. Très impressionnantes pour peu que l’été soit un peu chaud,
elles sont parfaites pour habiller treillages et pergolas, avec leur développe-
ment absolument stupéfiant. Plantées mi-mai, après avoir été semées sous
abri début avril, les slaouis produisent souvent une trentaine de mètres de
pousses qui s’orneront de fleurs blanches à la finesse du papier crépon au
cours de l’été. Cette plante étant très fructifère, on peut alors récolter les fruits
jeunes et les manger tout de suite ou, pour le plaisir des yeux, les laisser arri-
ver à terme, puis sécher au cours de l’hiver.