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mireille gayet
Grand traité
des épices
Préface d’Yves Coppens
Illustrations aquarelles et plume de Mireille Gayet (Lyon)
Crédits photographiques: Olivier Gaudant (Pantin)
Épices support de l’illustration fournies par la maison Bahadourian à Lyon.
www.lesureau.com
© Éditions Le Sureau 2010
ISBN 978-2-911328-64-0
Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite
par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellec-
tuelle. Toutefois, l’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie (photocopie, télécopie, copie papier réalisée par imprimante)
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mireille gayet
Grand traité
des épices
Préface d’Yves Coppens
5
Sommaire
Préface 7
De la définition des épices 10
Une longue histoire courtement
racontée 12
Épices et médecine 17
Huiles essentielles 19
Oléorésines 20
Attention danger 20
Épices et cuisine 21
De l’usage des épices en cuisine 23
Conclusion 24
Cumin noir 89
Curcuma 90
Épine-vinette 93
Fenouil 97
Fenugrec 99
Galanga 102
Genièvre 107
Gingembre 110
Ginseng 113
Girofle 117
Grenade 119
Houblon 121
Laurier 122
Livèche 123
Mahaleb 127
Maniguette 129
Moutarde 132
Muscade, macis 137
Myrte 139
Nigelle 141
Pavot 143
Piment 147
Poivre 152
Poivre de Guinée 160
Poivre de la Jamaïque 162
Poivre des moines 164
Poivre du Sichuan 167
Poivre de Tasmanie 169
Poivre des murailles 171
Pourpier 172
Quinquina 173
Raifort 177
Réglisse 179
Roucou 181
Safran 182
Sésame 187
Sumac 189
Tamarin 191
Tonka 194
Vanille 197
Wasabi 199
Wu wei zi 200
Yuzu 202
Mélanges d’épices 207
›
› Introduction 207
›
› Baharat 207
›
› Bezar 208
›
› Berbere éthiopien 208
›
› Colombo 208
›
› Chili 209
›
› Poudre de curry 209
›
› Dukka 210
›
› Kama 210
›
› Houng-liu 211
›
› Loubia 211
›
› Masala 211
›
› Massalé 213
›
› Ras-el-hanout 213
›
› Shichimi togaraschi 214
›
› Tabil 214
›
› Tex-mex 214
›
› Zahtar 214
›
› Zhug 214
Épices et boissons 217
›
› Les bières 217
›
› Les vins épicés 217
›
› Les infusions 218
›
› Les liqueurs 218
Les vinaigres 219
Le coin des gourmands 220
›
› Les pains d’épice 220
›
› Les spéculos 221
Acore 27
Ajowan 29
Amchoor 31
Aneth 33
Angélique 37
Anis vert 39
Ase fétide 42
Azaret 44
Badiane 47
Baies roses 49
Benoite 52
Boldo 54
Bourse-à-pasteur 57
Cacahuète 58
Cacao 59
Cannelle, Casse 61
Cardamome verte 67
Cardamome noire 70
Carotte 72
Carvi 73
Céleri 77
Cerfeuil musqué 79
Citronnelle 81
Coriandre 83
Cumin 87
Index des noms latins 222
Liste des noms vernaculaires 224
Tableau des épices présentées
en fonction de leur famille 230
Coriandre
7
Préface
Épices, quel mot superbe! Rien qu’à le prononcer, il pique (les anglophones le quali-
fient d’ailleurs de hot) tandis qu’au même titre que les cocotiers (ou presque), il
évoque les lointains exotiques et tropicaux (les hispanophones appellent les épice-
ries, des ultramarinos).
Tout cela n’est certes pas faux mais ce n’est tout de même qu’un aspect bien partiel
d’un sujet immense et compliqué, sujet autant d’ici que d’ailleurs, riche d’une infi-
nité de saveurs (en cuisine) et d’une infinité d’usages (en médecine, herboristerie,
parfumerie, teinturerie, cosmétologie).
L’auteure est scientifique et ça se ressent. De manière très ordonnée, elle circonscrit
d’abord son sujet, en en écartant condiments, aromates et herbes aromatiques, puis
elle le limite aux épices utilisées en cuisine, même si elles sont employées aussi dans
d’autres fonctions et elle y prélève enfin soixante-dix cas qu’elle passera en revue par
ordre alphabétique (en donnant la priorité au nom vernaculaire).
C’est passionnant!
Une généreuse mise en bouche historique fait apparaître à la fois la très grande
ancienneté de la plupart des recettes tout en en soulignant les modes, voire les
passions, et du même coup, les commerces, voire les trafics (j’y ai appris que «payer
en espèces» venait de «payer en épices»).
Et puis, c’est autour du morceau de bravoure de s’installer et de s’épanouir en un
fichier savant alignant à chaque entrée, le nom vernaculaire, le nom latin et le nom
de la famille de la plante étudiée, ses synonymes dans le domaine de l’épiciologie,
la description botanique de la plante et sa description ethnobotanique (histoire,
usages en médecine, en cuisine) et, pour terminer, comble de luxe, quelques recettes
usant habilement et subtilement de l’épice susnommée. N’oublions pas l’icono-
graphie, digne d’un herbier, et la bibliographie tant historique que botanique, tant
gastronomique que médicale, digne d’une encyclopédie.
Mireille, je vous ai connue collègue paléontologue, paléoichtyologue de renom; je
vous retrouve collègue naturaliste, botaniste de talent, vraie taxinomiste obsédée de
classement mais aussi collègue de sciences humaines, vraie humaniste tournée vers
l’utilisation des plantes par l’Homme; votre livre, qui a la densité d’un traité sans
en avoir la sécheresse, est une incroyable somme de savoir et de l’application de ce
savoir, en dépit des dédales que vous nous faites découvrir, bien éloignés parfois de
ce qui pique et vient de loin.
Vous avez été, si je peux me permettre Mireille, cette épice qui a su faire de ce qui
aurait pu n’être qu’un catalogue un monument d’informations savantes, sans
limites ni dans le temps (l’histoire), ni dans l’espace (les cultures). Merci d’avoir eu
l’idée de faire ce beau livre.
Yves Coppens
Membre de l’Institut
Grand
traité
des
épices
8
En guise de prolégomènes
Encore un livre sur les épices direz-vous! C’est exact mais un livre qui se veut diffé-
rent avec une approche autant botanique que médicinale et culinaire.
Cet ouvrage se limitera précisément à un choix de 70 épices «véritables», laissant
de côté aromates, herbes aromatiques et condiments. Il n’est pas strictement culi-
naire même s’il est restreint aux épices utilisées en cuisine, même si leur utilisation
est effectivement signalée en fonction des mets les plus appropriés et même si des
recettes y sont décrites. Ce livre essaie d’approcher l’exhaustivité et comprend ainsi
pour chacune des épices choisies:
• une description botanique;
• un historique rapide de sa découverte;
• sa présentation en tant qu’épice;
• ses vertus médicinales mais aussi ses pouvoirs toxiques, avec les découvertes empi-
riques des Anciens, pour certaines confirmées aujourd’hui;
• son utilisation en cuisine, historiquement et de nos jours, avec pour certaines une
ou plusieurs recettes particulièrement appréciées de l’auteure;
• son éventuelle entrée, parfois ancienne, en parfumerie et en cosmétique, son usage
tinctorial ou autre;
• les espèces reliées à l’espèce principale, bien ou peu connues de tous et uniquement
à usage culinaire.
Si chacun d’entre nous sait différencier sur les étals gingembre et cannelle, voire
graines d’aneth et de fenouil, bien peu reconnaîtraient la plante dans sa totalité,
sa fleur ou son fruit. C’est pourquoi nous avons voulu les représenter. Une riche
illustration, où s’équilibrent dessins en noir et blanc et planches en couleurs, aqua-
relles et photographies, montre l’ensemble de chacune des épices et permet ainsi au
lecteur de ne pas confondre le carvi avec le cumin – ce qui n’est pas très grave en soi ,
ou la carotte sauvage avec la ciguë, toutes deux se côtoyant dans les champs – confu-
sion qui s’avérerait plus embêtante…
Quelques épices peuvent surprendre. Certaines d’entre elles, comme la bourse-à-
pasteur, ne seront pas en vente sur les étals du marché (elles le seront en herboristerie
pour infusions ou tisanes), mais elles ont connu leur heure de gloire au Moyen Âge
ou même après et c’est pourquoi j’ai voulu vous en parler. Bien souvent d’ailleurs,
elles reviennent doucement dans nos cuisines par la petite porte, celle des amoureux
de la nature et des aliments simples, ou par la grande porte, utilisées par un grand
chef.
Enfin, après maintes réflexions j’ai choisi la présentation alphabétique des épices
en fonction de leur nom vernaculaire, celui qui nous interpelle, tout en reconnais-
sant qu’un regroupement par familles serait aussi très utile en raison des propriétés
communes qui s’y rattachent (d’où le tableau en fin de livre et un index qui renvoie
le lecteur à chaque citation de l’épice et de sa famille). J’ai essayé, tant que faire se
peut, d’utiliser des mots compréhensibles par tous, mais cela n’est pas toujours facile
en botanique.
Une kyrielle de noms vernaculaires est rattachée à chaque épice, français bien sûr
mais aussi étrangers. En proposer une liste exhaustive ne m’a pas paru très approprié
et je me suis limitée aux noms français. Des exceptions se sont cependant révélées
nécessaires –noms locaux exotiques mais aussi traductions anglaises – car les noms
des épices vendues dans les boutiques chinoises sont indiqués sous forme de vidéo-
grammes, ce qui n’est pas forcément explicite, et… en anglais.
Cumin
Carvi
9
Je tiens ici à remercier tous ceux qui m’ont aidée soit en me fournissant de simples
renseignements, mais ô combien utiles, soit en m’apportant des épices. Je commen-
cerai ainsi par l’enseigne Bahadourian, Saveurs et découvertes à Lyon1
, qui m’a
procuré sans hésitation et généreusement toutes les épices nécessaires à l’iconogra-
phie photographique réalisée par Olivier Gaudant, photographe indépendant mais
aussi cuisinier dans l’âme, ce qui était nécessaire pour rendre la vie à ses graines,
écorces ou rhizomes. Merci à cet herboriste du 2e
arrondissement de Paris, Ormenis,
qui nous a offert pour l’illustration une racine de ginseng, pas si évidente à trouver
sur les étals parisiens. Parmi les donneurs de renseignements et par ordre alphabé-
tique, je remercie, outre le photographe dont l’apport critique a été très important,
Pierre Abi Saad, Viviane Andries, Arlette Armand, Renata Graulières, Jean-
Claude Gayet, Jean-Louis Petit, Odile Poncy, Line de Smet et Jean Vannier. Un
remerciement notable à Claude Babin qui, à domicile, a patiemment supporté le
stress lié à la rédaction et à l’iconographie de ce livre mais en a aussi relu et vérifié,
avec l’œil critique du naturaliste, tout le contenu.
Bien sûr, une pensée particulière pour Yves Coppens, cet hédoniste amoureux de la
nature et de la bonne chère, qui a accédé sans hésitation, malgré ses lourdes charges,
à ma demande de rédaction d’une préface.
1 Place Djebraël Bahadourian, 20, rue Villeroy et Halles Paul Boccuse, 102 cours Lafayette, 69003 Lyon,
contact.site@bahadourian.com
Grand
traité
des
épices
10
De la définition des épices
Rares sont les livres dont le titre se limite au seul mot épices. Celui-ci est généralement
associé, au même niveau de titre ou en sous-titre selon le cas, à aromates, à herbes
aromatiques et/ou à condiments. Et quand on feuillette ceux qui titrent seulement
Épices, on s’aperçoit très vite que le contenu parle autant d’épices que d’aromates,
autant d’herbes aromatiques que de condiments… La raison en est simple: les défi-
nitions de ces mots se croisent et s’entremêlent et les dictionnaires ne nous aident
guère. Ainsi du Petit Robert édition 2002:
• épice: «Substance d’origine végétale, aromatique ou piquante, servant à l’assai-
sonnement des mets»;
• aromate: «Substance végétale odoriférante»;
• les herbes aromatiques «entrent dans l’assaisonnement de certains mets»;
• condiment: «Substance de saveur forte destinée à relever le goût des aliments».
L’Encyclopédie, le Larousse ou tout autre dictionnaire donneraient des résultats
similaires. Et lorsque des propositions sont formulées, à la suite d’un ou deux noms
bien caractéristiques dans la catégorie (poivre ou cannelle pour les épices, par
exemple), se trouve un etc. ou des points de suspension, laissant le lecteur sur une
réelle indécision.
Fort de ces définitions qui aident peu, chacun a décidé de sa propre définition ou
plus exactement de sa propre compréhension de ces quatre termes, aboutissant pour
certains – hélas! pour certains seulement – à un consensus.
Ainsi un condiment correspond généralement (mais cependant pas chez tous les
auteurs) à une préparation à base d’épices, d’aromates, d’herbes, mais aussi de
toute autre denrée alimentaire naturelle (légume) ou préparée (farine). Il peut aussi
être minéral et simple comme le sel. Pour certains, le fait d’être apporté à table
au moment du service a valeur de définition de condiment. Le poivre, épice par
excellence, dans cette acception devient condiment et représente l’exception qui
confirme la règle.
Il y a donc une séparation claire entre un condiment constituant généralement une
préparation et les trois autres termes limités… en principe, à du végétal. Certains
aromates peuvent en fait être liés au règne animal. Ainsi du musc, du castoréum
et de l’ambre gris, provenant respectivement de chevrotins mâles, de castors ou
de cachalots. Il semblait dès lors facile d’admettre l’intégration de ces aromates
uniquement dans des parfums ou des médicaments, sauf que les Anciens les utili-
saient parfois en cuisine et qu’un jour ou l’autre ils y reviendront, si ce n’est déjà fait,
sous la main d’un grand chef étoilé. Oublions ces trois cas de production animale et
restons, par conséquent, dans le végétal.
Les herbes aromatiques, comme le premier terme l’indique, correspondent à des
petites plantes, le plus souvent utilisées fraîches, bien que cela ne soit pas obligatoire.
Ainsi, thym et romarin peuvent être séchés. Cependant, personne ne parle d’herbes
aromatiques pour des feuilles coriaces comme celles du laurier, pour une écorce
comme la cannelle, pour des rhizomes comme le gingembre ou pour des graines. Les
herbes aromatiques sont finalement assez bien définies.
Des deux autres définitions du Petit Robert, il ressort que les épices semblent limi-
tées à la cuisine, ce qui est évidemment faux. Les épices ont longtemps servi et
servent encore en médecine et il peut en être tiré, tout comme des aromates, des
huiles essentielles et des oligorésines utilisées en médication, en cosmétologie et en
parfumerie.
Reste peut-être l’histoire pour nous aider à comprendre ce qu’est une épice et à en
limiter notre liste. Las, le terme épice forgé à partir du latin species définissait des
11
denrées variables dont le blé et le vin (on précisait species aromatica pour les épices
et aromates), avant de s’intéresser à des produits exotiques, généralement rares et
chers, dont faisait partie… le sucre, qui n’a rien d’aromatique. Le terme s’est même
appliqué, au Moyen Âge, à des friandises, les «épices de chambre» (parfois des
graines enrobées de sucre) servies en fin de repas.
Le concept des épices était aussi flou dans des périodes plus reculées que de nos jours:
species, spezeries, aromatas, droghes, condiments, erbes, ces termes incluent plantes
aromatiques, sel et sucre mais aussi laque, coton, indigo… Il fut un temps aussi où les
aromates indigènes comme le cumin, l’aneth et même le safran, ne possédant pas le
prestige des produits exotiques, n’eurent pas le droit au label d’épices.
Alors…
Alors nous allons faire comme les autres auteurs, les cuisiniers, les marchands, nous
allons donner une définition personnelle de l’épice à partir des textes officiels, trop
vagues, tout en reconnaissant de notre part un choix subjectif mais justifié.
Restons-en à la définition adoptée lors du Premier congrès international pour la
répression des fraudes, à Genève en 1908. Épice: «Substance végétale, d’origine
indigène ou exotique, aromatique ou d’une saveur chaude, piquante, employée
pour rehausser le goût des aliments ou y ajouter les principes stimulants qui y sont
contenus.» Cette définition est cependant trop restrictive puisque les épices ont
conquis depuis fort longtemps pharmacopée et teinturerie, mais nous l’adopterons
et ne seront donc présentes dans cet ouvrage que les seules épices utilisées en cuisine.
Celles dont on retire les huiles essentielles uniquement à des fins pharmaceutiques
ou cosmétiques n’y figureront pas.
Ne seront pas non plus signalées les plantes aromatiques dont seules les feuilles,
tiges ou fleurs, fraîches ou séchées, seront utilisées, sans aucune utilisation de leurs
fruits, graines ou racines, qui sont donc considérées comme des herbes aromatiques
(bourrache, hysope, thym…) ou des aromates (ail, échalote…).
Les épices «vraies» peuvent provenir de différentes parties de la plante: écorce,
fruits, graines, boutons floraux, rhizomes, racines et résine. Certaines plantes
comme le fenouil et la coriandre (herbes aromatiques) ou la carotte (légume) sont
cependant traitées ici comme des épices du fait de l’utilisation de leurs graines dont
les goûts respectifs peuvent être, selon les cas, similaires ou différents.
Laconnotationanciennequiappelaitépicescequiétaitexotiquen’estplus,etladéfini-
tion de 1908 est exacte. Celles-ci peuvent être indigènes, c’est-à-dire de nos contrées
(au sens large). S’il est vrai que les régions tropicales, à l’exception de l’Afrique, four-
nissent grâce à leur climat des conditions idéales pour le développement d’épices,
nombre de ces plantes sont originaires d’Europe, ou du moins y sont-elles actuelle-
ment cultivées. Elles ne seront pas oubliées.
Aujourd’hui, les plantes à épices poussent bien souvent dans des contrées qui n’ont
plus rien à voir avec leur lieu d’origine. Le poivre, originaire de Malabar, finit par
atteindre Zanzibar devenu le centre de production le plus important. Les Antilles
sont riches en épices, pourtant la quasi-totalité d’entre elles viennent d’Asie.
Inversement, le piment, si utilisé et cultivé en Asie, provient d’Amérique du Sud.
Rappelons quelques termes dérivés du mot épice (Dictionnaire de la langue française,
Alain Rey, 1992).
Tout d’abord le terme épices qui a représenté des marchandises variées, puis une
«substance aromatique et piquante d’origine végétale», une «drogue médicinale
venant d’Orient», des friandises sucrées (dragées, confitures) servies en fin de repas,
enfin une «taxe payable aux juges» avant de prendre «son» sens d’aujourd’hui,
si difficile à définir, nous l’avons vu.
Grand
traité
des
épices
12
Le verbe épicer est attesté vers 1200 dans son sens moderne «d’assaisonner avec
des épices». Il a également signifié «faire le commerce des épices» (xiiie
siècle),
«emmagasiner des épices» ou «fixer les frais d’un procès» (xive
siècle).
Épicière (1223) puis épicier (1241): «Celle ou celui qui faisait le commerce des
épices et des drogues avant de devenir le vendeur de produits alimentaires.» Au
figuré, épicier se dit de quelqu’un à l’esprit étroit.
Épicé se trouve au figuré (1870) pour qualifier un prix exagéré, un langage
«pimenté», un ton caustique ou des propos lestes.
Épicerie désignait collectivement les épices, puis le lieu de vente et le commerce
avant de prendre le sens moderne de produits alimentaires vendus par l’épicier.
Rappelons-nous les « pots à épices » ou les « boîtes à épices » qui garnissaient
les étagères de nos grands-mères ou de nos arrière-grands-mères jusqu’au milieu
du xxe
siècle et qui reviennent au goût du jour pour décorer nos cuisines. Le plus
intéressant sur ces pots, parfois en métal mais le plus souvent en porcelaine, n’est
pas leur décoration (fleurs ou dessins géométriques) mais les noms indiquant leur
contenu. Sur les six récipients qui forment généralement l’ensemble – tous de la
même taille (rarement) ou de taille croissante –, on trouve selon les séries, Farine,
Café, Sel, Sucre, Thé, Poivre, Chicorée, Riz, Semoule, Pâtes, ou occasionnellement,
Épices. On voit donc que, encore récemment, la définition de ce terme, dans nos
cuisines, était loin d’être précise.
Une longue histoire courtement racontée
De la plus haute antiquité aux Romains
Une très longue histoire qui débute probablement depuis que l’Homme est Homme,
depuis qu’il a exploité plantes, animaux et minéraux de son environnement à des
fins culinaires, médicales ou funéraires. Qui le premier eut l’idée d’utiliser une épice
pour donner plus de saveur à son repas, pour se soigner ou pour honorer un dieu?
Voilà bien une question à laquelle personne ne peut répondre. Les plus anciennes
traces d’utilisation d’épice remontent au Néolithique, il y a 8000 ans au Moyen-
Orient, 6 000 en Amérique latine où des piments étaient déjà utilisés, 5 000 en
Europe. Graines de carvi, de pavot, de genièvre, de bourse-à-pasteur et de moutarde
ont été retrouvées, soit dans des marmites de terre ou des fragments de pain attes-
tant d’un intérêt culinaire, soit dans des jarres placées dans des tombes datées de
l’âge de bronze (2000 à 800 avant J.-C.) en tant qu’offrande. À cette époque, en
Scandinavie, une bière aromatisée au myrte et au genièvre sert à honorer les morts.
Dans L’Épopée de Gilgamesh, on aurait servi des fromages épicés à ce héros semi-
légendaire (a-t-il vraiment existé?) qui aurait vécu au iiie
siècle avant notre ère et
dont l’histoire a été racontée un millénaire plus tard. Des textes comme le Pen t’sao
(apparu au xvie
siècle seulement) font état de l’utilisation des épices depuis près de
3000 ans en Chine. Il est probable que les effets stupéfiants de certaines d’entre
elles aient eu un fort impact dans cette pratique. Quelle épice chaude, piquante et
parfois très parfumée n’a pas été considérée comme possédant des vertus aphro-
disiaques, entre autres, et ce quels que soient le pays considéré, l’époque ou la
civilisation? D’ailleurs, plus près de nous, Gandhi refusait le sel ainsi que les épices
parce qu’elles réveillaient «les sens». Cette importance relationnelle s’est bien
évidemment aussi adressée aux dieux et aux morts. Les Égyptiens, notamment, se
sont servis des épices pour honorer les premiers, embaumer et momifier les seconds,
qui devaient rester le plus possible à l’image de ce qu’ils avaient été en raison de
la réincarnation de l’esprit dans le corps du défunt. Le rôle des épices est à ce titre
13
important dans la conservation des chairs, éliminant les parasites et interdisant
particulièrement les moisissures. Les corps des pharaons sont ainsi oints pendant
trente jours d’une huile de cèdre mélangée à de la myrrhe et de la cannelle. Le poivre
éloigne les bactéries et l’on en découvrira des graines dans les narines de Ramsès II
où elles auraient aussi joué un rôle d’étai pour éviter leur affaissement. Cumin
et cannelle sont présents dans les bandelettes des momies. Toutes ces épices sont
utilisées à l’intérieur des temples en fumigation pour lutter contre les maléfices et
entrer en contact avec les divinités (à forte dose, leur rôle stupéfiant devait considé-
rablement aider prêtres et participants). Très vite l’intérêt médical est connu. On se
protège des insectes et des maladies par huiles et onguents, parfumés de préférence
avec des épices dont le pouvoir antioxydant empêche ou retarde le rancissement.
Vrai ou faux mais l’empirisme est là, les épices sont à la base de médications contre
toutes les affections et maladies et, ce qui n’est pas le moindre, parfument l’haleine.
Et bien sûr, on utilise ces épices en cuisine pour les mets solides et pour aromatiser
les boissons. On imagine alors facilement la quantité d’épices nécessaires pour satis-
faire les besoins de la population. D’où viennent-elles? Pas d’Égypte. De beaucoup
plus loin, on les croit venir du «Pays de Pount» (maintenant côte de Somalie), à
l’entrée de la mer Rouge où le commerce se fait avec les Arabes, ce qui vaudra, sous le
règne des pharaons de la XIIe
dynastie, une tentative avortée de creusement du canal
de Suez. Et les Égyptiens ne sont pas les seuls à faire ce commerce. Les tablettes
des scribes crétois, au troisième millénaire avant notre ère, font état de quanti-
tés incroyables d’épices utilisées à Cnossos pour parfumer les vins. Les Phéniciens,
navigateurs et marchands, organisent de grandes expéditions marines pour récupé-
rer ces épices et maintiennent le monopole en Méditerranée à partir des villes de Tyr
et de Sidon, au point que les épices sont alors appelées marchandises phéniciennes.
Mais ce sont les Arabes qui en gardent le privilège et bloquent l’entrée de la mer
Rouge. Ils se gardent bien de donner le lieu d’origine de ces épices. Ils les achètent à
des marchands chinois ou javanais venant d’Inde ou ayant transité par l’Inde et ils
font courir les histoires les plus folles sur les difficultés de leur récolte, légendes que
voyageurs ou historiens comme Hérodote contribueront à propager. C’est aussi cet
auteur qui nous contera les premières caravanes terrestres, périple de trois années
qui conduisait jusqu’en Chine à partir des rives occidentales de la Méditerranée via
le nord de l’Euphrate, le nord de la Perse, la vallée du Syr-Darya en Tadjikistan et le
Turkestan oriental, ce qui deviendra la route de la soie.
Les Chinois, il est vrai, étaient de grands utilisateurs d’épices. Confucius dans les
Analects, entretiens entre maître et disciples, rédigé en fait par ses disciples, écrit qu’il
«avait toujours du gingembre sur sa table», lequel «éclaire l’intelligence et dissipe
toutes les impuretés». Et cette épice est loin d’être la seule utilisée par ce peuple.
C’est à cette époque qu’Alexandre le Grand ouvre la voie des Indes. En 330, dans le
palais de Darius III à Persépolis, il découvre, stupéfait, pas moins de 277 cuisiniers
et de nombreux esclaves exclusivement préposés aux épices. Alexandrie et Byzance
deviennent de nouveaux entrepôts.
Les Grecs, avant les Romains, sont gagnés par la folie contagieuse de ces épices. Elles
tiennent une place non négligeable dans les rites funéraires et en médecine, ce qui les
lie à la cuisine. Les plats épicés vont ainsi exciter l’appétit ou faciliter la digestion et
se mettre à soigner tous les maux. L’hygiène grecque n’est pas un mythe et les épices
vont y concourir. Curieusement, les premiers textes grecs comme ceux d’Hérodote
semblent limiter les épices à la cannelle et à la casse chinoise. Pourtant, à Babylone,
on cultivait déjà la cardamome. Le poivre attendra pour être connu des Grecs le
ive
siècle avant notre ère et la parution d’Historia plantarum de Théophraste.
Grand
traité
des
épices
14
Les Romains vont devenir fous d’épices qui viennent de «l’Arabie heureuse» car
ils ne commercent pas avec la Chine, faisant se lamenter Pline l’Ancien sur, notam-
ment, les sommes faramineuses dépensées par les empereurs et les femmes. Celles-ci
les utilisent en parfums, crèmes et onguents divers… tout comme leurs conjoints
d’ailleurs. Quant à Néron, pour qui les rues de Rome furent recouvertes de safran
lors de son arrivée au pouvoir, il n’hésite pas à réquisitionner le stock annuel
de cannelle pour brûler le corps de sa femme, Poppée… qu’il vient de tuer. Plus
économes, les autres Romains utiliseront cependant des épices lors des crémations,
rendant l’air plus parfumé et plus respirable. Pline l’Ancien, dans son Histoire natu-
relle, parle de botanique et un peu de médecine, et si Dioscoride présente les vertus
médicinales des épices dans son De materia medica, en revanche Archestrate, au
ive
siècle avant notre ère, et Apicius, plus tard, parleront cuisine.
Il est temps de trouver une route directe vers ce lieu de production des épices pour
s’affranchir des Arabes. C’est un navigateur romain, Hippalus, qui va se servir de
l’alternance des vents de mousson, partant au printemps de la mer Rouge vers l’Inde
et revenant en automne. Grecs et Romains vont alors s’approvisionner directement
sur place… un temps, jusqu’à l’effondrement de l’Empire romain au ve
siècle. Les
prix des épices remontent en flèche, si tant est qu’ils aient vraiment baissé.
L’apport arabe
Le viie
siècle va être marqué par l’avènement de l’islam. Mahomet, de la tribu des
Quraychites – maîtres du commerce en mer Rouge – et époux d’une riche veuve
marchande d’épices, est bien placé dans ce monde quand il publie son ouvrage
intitulé La médecine du prophète. La cuisine et la médecine arabe, au sens large
incluant parfums et cosmétiques, font depuis longtemps la part belle aux épices.
Les musulmans en font une grande consommation et c’est l’époque où la civilisa-
tion arabo-musulmane va s’étendre sur tout l’Ancien Continent: Moyen-Orient,
Maghreb, Espagne et sud de la France, puis Asie, Inde et Chine. Une seule langue
et une seule religion vont leur permettre de prendre le contrôle de tout le commerce,
de la Malaisie à la pointe occidentale de l’Europe.
Les Arabes ne sont pas seulement maîtres du commerce mais règnent aussi sur tout
ce qui est culture scientifique et littéraire. Ils ont une remarquable avance sur l’Oc-
cident qui va, heureusement, passer outre les hostilités officielles pour s’ouvrir à eux
et le commerce des épices va considérablement contribuer à ces échanges jusqu’à l’ar-
rivée des Mongols qui vont affaiblir cette civilisation avec la destruction de Bagdad
en 1258 et le massacre des élites intellectuelles et scientifiques. Pendant un temps,
en Europe, les pratiques culinaires des Romains vont avoir tendance à disparaître.
Elles reviendront.
Le Moyen Âge en Europe
Au début du Moyen Âge, les épices, très chères du fait de leur long voyage, sont
réservées essentiellement aux monastères et à la royauté. En attendant, le seigneur
qui côtoie le vilain – au sens plébéien du terme – et mange comme lui dans son
château, grande ferme fortifiée, consomme les herbes aromatiques locales. En 780,
sousl’influencedeCharlemagne,leCapitulairedeVillisdonnelalistedesoixanteplantes
aromatiques qu’il faut cultiver. La consommation des épices va changer peu à peu.
En Terre Sainte, les croisés ont rencontré le luxe des épices sur les tables arabes
et ne vont pas l’oublier. La première croisade a lieu au xie
siècle (1096 à 1099) et,
après la prise de Jérusalem, le commerce des épices au Moyen-Orient revient en
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Méditerranée quasi exclusivement aux Génois et aux Vénitiens, les Arabes conti-
nuant à en assurer le transport jusqu’à Constantinople et Alexandrie. À partir des
ports de Marseille ou d’Aigues-Mortes, les épices finissent sur les étals de grandes
foires de Champagne ou de Flandres pour n’en citer que deux, mais leur prix ne
diminue pas et seuls les fortunés peuvent s’en procurer, ce que rappelle bien l’adage
« être cher comme poivre ». En raison de l’incertitude des marchés, les riches,
vraiment riches, font des provisions de poivre. Guillaume, comte de Limoges,
possédait chez lui «des tas énormes de poivre amoncelés sans prix, comme si c’eût
été du gland pour les porcs» et l’officier qui gardait ce trésor le prenait à la pelle
pour les besoins de la cuisine, nous raconte le chroniqueur Geoffroy, prieur du
Vigeois. Le mot épice apparaît vers 1150 dans la langue française, dans Le Voyage de
Charlemagne, à partir, nous l’avons dit, du mot species qui signifiait toutes sortes de
denrées, denrées qui ne servaient pas qu’en médecine ou cuisine mais qui, vu leur
prix, permettaient de payer des dettes, régler ses impôts, constituer une dot, acheter
sa liberté pour un serf, ou «acheter» un magistrat (ce qui vaudra à ces derniers
l’appellation de «épices de juges» et durera, officiellement, jusqu’à la Révolution).
C’est du mot espices que viendra celui d’espèces que nous utilisons aujourd’hui sous
la locution «payer en espèces».
C’est à cette époque que se livre une guerre entre épiciers et apothicaires. Depuis
une ordonnance de 1484, la profession des épiciers, par définition ceux qui vendent
des épices, avait à son sommet les grossistes ou «pébriers soubeyrans» (poivriers
souverains). Ils régentaient les épiciers ciergiers et les épiciers apothicaires, encore
appelés épiciers-droguistes, qui possédaient le droit de vendre épices et plantes
entrant dans la fabrication des drogues. En 1782, ils ont de plus le droit de vendre
ce que l’on appelle «les grandes compositions foraines», des contrepoisons comme
la thériaque pour n’en citer qu’une. La bataille fait rage entre ces deux professions
réputées âpres au gain. «Ils vendent des poisons comme de la cannelle, de l’eau-
forte et de l’huile, du fromage et de l’émétique, de l’eau-de-vie et des couleurs, du
sucre et de l’arsenic, des confitures et du séné; ils ont des statuts homologués qui les
mettent en concurrence avec les apothicaires. Quand ils confondent les drogues et
les sels qui se ressemblent, tant pis pour l’art médical, tant pis surtout pour celui qui
avale le paquet», écrit l’écrivain Sébastien Mercier en 1783 dans Tableau de Paris.
La querelle durera jusqu’en 1777 avec la formation d’un collège de pharmacie et la
séparation entre épiciers, qui vendront épices et condiments, et apothicaires, à qui
est dévolue le commerce des drogues.
Venise supplante Gênes, mais ce monopole vénitien ne va pas durer. C’est le temps
des longs voyages et des grandes découvertes dans lesquelles la quête des épices a
joué un rôle déterminant. Si Marco Polo, dans son Livre des merveilles du monde
publié en 1295, décrit avec force détails, vrais mais aussi imaginaires, l’incroyable
volume d’épices et leur commerce qu’il a pu observer, il laisse planer le mystère des
lieux exacts. Il est pourtant l’un des premiers Européens à les connaître. «Il y croît
maintes épices qui jamais ne furent vues dans notre pays», «il n’y a nulle de ces îles
où il n’y ait […] beaucoup de sortes d’épices», «[…] il y a grande quantité d’épices
précieuses qui ne viennent jamais jusque chez nous» raconte-t-il maintes fois.De
quoi exciter les peuples occidentaux ! Pline l’Ancien avait bien essayé de mettre
fin aux légendes fabuleuses et inquiétantes de la production des épices mais Jean
de Joinville, sénéchal de Champagne, en perpétue encore certaines dans son récit
intitulé Livre des saintes paroles et des bons faits de notre roi Louis, paru vers 1309.
D’autres voyageurs, notamment portugais, habiles marins, vont rechercher une
nouvelle route pour accéder à ces lieux mythiques. Ils vont «chercher des épices,
faire des Chrétiens» comme le dit le prince du Portugal Henri le Navigateur, suivi
Grand
traité
des
épices
16
par Bartolomé Dias, le premier à atteindre, en 1487, le cap de Bonne-Espérance,
et Vasco de Gama, qui le franchira onze ans plus tard et parviendra à la côte de
Malabar où il fait provision de cannelle, muscade, gingembre et poivre, avant de
revenir en héros à Lisbonne. La route des Indes est ouverte. Des comptoirs portu-
gais viendront la jalonner, dont les célèbres Goa en Inde et Macao en Chine. À la
même époque (1453), Constantinople tombe aux mains des Turcs et la route de la
soie est sinon interdite aux chrétiens du moins ceux-ci sont-ils fortement «incités»
à payer des taxes exorbitantes au passage. Une des conséquences sera l’acclimatation
et la culture du safran en Espagne et en Provence. Pour ravir en mer et sur place le
monopole des épices aux Arabes, les Portugais ne vont pas employer la diplomatie
mais les grands moyens: mutilations, assassinats, incendies, destructions, histoire
de les impressionner sur mer mais aussi d’impressionner les indigènes sur leurs terres.
Une des conséquences sera une baisse importante du prix des épices, de près de 80%.
Christophe Colomb, de son côté, claironne haut et fort qu’il a atteint les Indes
occidentales par l’ouest et apporte des épices nouvelles des Antilles dont le piment,
qu’il appelle «poivre rouge» et qui, nous le verrons, sera longtemps boudé par les
Européens. Suite à la découverte du Brésil par le Portugais Pedro Álvarez Cabral,
une bulle papale, signée en 1493 par le pape Alexandre vi et appelée Partage du
monde, est censée séparer tant au niveau commercial qu’au niveau des conquêtes le
Nouveau Monde mais aussi le monde tout court. L’Est – Afrique et Inde – est sous
domination du Portugal et l’Ouest, nouvellement découvert, est sous domination
de l’Espagne, ce qui laissait les Portugais maîtres des épices de l’Ancien Monde et
les Espagnols maîtres de celles du Nouveau Monde (sauf le Brésil)… mais cela n’em-
pêchera pas Magellan, en 1520, de dépasser le détroit… de Magellan et d’accoster
deux ans plus tard aux Moluques, aux îles Banda et d’Amboine dont les arbres sont
porteurs de clous de girofle et de noix de muscade, ouvrant la guerre «épicière»
entre Portugais et Espagnols. C’était aussi sans compter avec les Hollandais.
Du monopole à la désaffectation
Plus astucieux, à la fin du xve
siècle et en accord avec les Portugais, les Hollandais
vont d’abord se faire passer pour de pacifiques marchands auprès des potentats
locaux, excédés des exactions qu’ils subissent. À la suite de l’annexion du Portugal
par la couronne espagnole et du fait des représailles politiques de la part du roi
d’Espagne qui interdit à ses sujets, espagnols et portugais, tout commerce avec les
Hollandais, ces derniers vont aller tout simplement s’approvisionner directement
en épices sur leur lieu de production et non à Lisbonne comme ils le faisaient aupa-
ravant. C’est la création, en 1602, de la Compagnie hollandaise des Indes orientales,
compagnie privée de marchands partageant bénéfices et risques du commerce des
épices. Le ton sur place va vite changer et les manières pacifiques vont rapidement
disparaître. Les Hollandais vont rationaliser le commerce de certaines épices, dont
muscade et girofle, n’hésitant pas à limiter la production sur place en stérilisant
les graines, en éliminant les plantations dans de nombreuses îles, en détruisant les
excédents pour maintenir les prix, après en avoir contrôlé le coût par l’utilisation sur
place d’une main-d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, qui devient
esclave dans les plantations. Ils achètent également la totalité des feuilles des arbres,
sachant qu’ensuite ceux-ci ne pourront que périr. À l’image de leurs prédécesseurs,
on ne peut pas parler de diplomatie et tout le xviie
siècle verra leur suprématie se
maintenir au détriment des peuples indigènes et de leur environnement. En 1619, ils
fondent Batavia (maintenant Djakarta), capitale des Indes néerlandaises. Pendant
les deux siècles qui suivirent, les Compagnies des Indes orientales, hollandaise et
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anglaise mais aussi française (créée en 1664 avec les deux comptoirs de Pondichéry et
Chandernagor) furent les instruments d’un commerce lucratif. La guerre des épices
fera rage sur mer et sur terre; les corsaires pour lesquels une cargaison de poivre
valait son pesant d’or n’étaient pas en reste. Longtemps, la victoire des Hollandais
fut indéniable… jusqu’en 1750, puis surtout 1798, deux dates clés dans leur chute.
À cette première date, Pierre Poivre, un botaniste lyonnais au nom prédestiné (le
mot poivre existait déjà), va réussir à dérober des plants de poivrier, de muscadier
et de giroflier, lesquels seront plantés sur l’île de France (île Maurice) et sur l’île
Bourbon (île de La Réunion). En réalité, les plants rapportés par Poivre ne parvien-
dront pas à s’acclimater en raison de la malveillance du botaniste en chef de la
colonie de l’île de France et responsable du Jardin d’essai dit des pamplemousses,
Jean-Baptiste Fusée-Aublet. Il faut attendre 1767 et la nomination de Poivre à l’île
de France pour qu’une expédition, confiée au capitaine Provost-d’Etchevery et
à laquelle Poivre ne participe pas, se procure auprès d’un potentat local excédé du
joug hollandais une pleine cargaison de muscadiers et de girofliers qui seront plan-
tés avec succès cette fois aux îles de La Réunion et des Seychelles. Des graines seront
également acclimatées en Guyane française.
Il en est fini du monopole des précieuses épices, même si les acclimatations géogra-
phiques, humaines et politiques ne se font pas sans mal. La seconde date correspond
à la dissolution de la Compagnie hollandaise des Indes orientales suite à la conquête
de certains comptoirs (Padang, Malacca, Cochin) par les Anglais qui s’installent
durablement sur place. En 1825, le giroflier est introduit à Zanzibar qui devien-
dra, trente ans plus tard, le troisième producteur mondial de clous de girofle. Les
prix vont baisser en raison de la concurrence mais aussi en raison d’une certaine
désaffection de la part des Européens. Leur substitution en médecine et en agroali-
mentaire par des produits de synthèse, moins chers, change la donne.
Le retour
Au xixe
siècle, la Food House est créée à Londres par Charles Henry Harrod ainsi
que le Comptoir d’épices et des colonies à Paris, fondé par Ferdinand Hédiard. Il
faudra attendre le début du xxe
siècle pour voir les épices conditionnées en petits
volumes pour la vente aux particuliers. Celles-ci sont en constante augmentation
depuis cinquante ans et leur utilisation envahit littéralement tous les domaines
(culinaire, médical, paramédical et cosmétologique), pour le meilleur et pour le pire.
Épices et médecine
Même si les épices se rencontrent, dans quelques textes anciens, dans des recettes
de plats cuisinés, la motivation première de leur utilisation fut médicale. L’hygiène
du corps est importante, du moins chez certains peuples et à certaines époques, et
c’est pour se soigner que l’on ajoute herbes et épices, pour prévenir ou guérir et
non pour le plaisir gustatif. En Europe, la médecine arabo-gréco-romaine encore
admise au Moyen Âge est fondée sur la doctrine des quatre humeurs. Sang, flegme,
bile noire et bile jaune répondent aux quatre éléments terre, eau, feu et air et sont
définis en proportions variées par les qualités de froid, chaud, humide et sec. Excès
ou défaut de ces humeurs expliquent toutes les maladies. Il suffit d’y remédier par
apport de nourritures appropriées et les épices vont jouer ainsi un rôle primordial.
Plutôt considérées comme «chaudes», elles seront recommandées pour une diges-
tion plus facile des viandes, par exemple, considérées comme mets «froids». Les
Grand
traité
des
épices
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graines d’anis constituaient ainsi avec le fenouil, le cumin et le carvi les «quatre
semences chaudes majeures». Les épices jaunes seront dédiées bien souvent à la
guérison des maladies du foie. En Inde, la médecine ayurvédique, mot qui en sans-
krit signifie «science de la vie et de la longévité», proposera très vite des cocktails
d’épices pour soigner les maladies «dues au vent», dont paludisme et rhumatismes,
des côtes de Malabar. Cette fusion entre médecine et cuisine peut particulièrement
s’observer en Inde avec l’Âyurveda basé sur les systèmes de pensée hindoue. Cet
ancien traité sur la santé puise ses origines dans un recueil datant de 3000 avant
notre ère, l’Atharvaveda. Il traite en fait de tous les aspects de la vie. Avec le vent,
la bile et le phlegme, ce sont «trois humeurs» et non quatre, comme nous avons
vu précédemment, qui régissent notre santé. Selon ses principes, tout déséquilibre
physique doit être traité en premier lieu par l’alimentation, en se reposant sur six
saveurs (sucré, salé, acide, piquant, amer et astringent) à visée thérapeutique précise.
L’alimentation est végétarienne et les épices y jouent un rôle important soit en fonc-
tion de leur nature refroidissante ou échauffante, soit comme antidote de certains
éléments. Dans ce dernier cas, elles peuvent contrebalancer des effets négatifs d’ali-
ments selon la constitution des individus.
En Europe, les épices indigènes avaient les mêmes réputations de chaleur pour
compenser la froideur de la plupart des aliments et, qu’elles soient indigènes ou
exotiques, elles étaient par conséquent déconseillées à tous ceux qui étaient malades
et fiévreux. Les ouvrages de médecine donnent ainsi des recettes pour « bien
portants» avec épices et des recettes pour malades, dépourvues d’épices.
Quoi qu’il en soit, les plus anciens ouvrages traitant d’épices sont avant tout des
livres de médecine et, lorsqu’ils donnent franchement quelques recettes culinaires,
celles-ci sont rapportées à des soins particuliers. C’est dans cet esprit qu’un médecin
grec, Acron d’Agrigente, publie De la nourriture des gens bien portants et qu’Hip-
pocrate recommande «que votre alimentation soit votre médecine». Il n’existe pas
d’épice ancienne qui n’ait été tout d’abord utilisée comme médicament.
Le papyrus d’Ebers (vers 1550 avant notre ère), qui comporte des passages reco-
piés datant du troisième millénaire, est un des plus anciens traités médicaux connus
et apporte plus de sept cents recettes de médicaments. Outre quelques ingrédients
particuliers (excréments divers, substances d’origines animale et minérale), près
de cinq cents plantes y sont répertoriées dont l’anis, le carvi, la cardamome, la
moutarde, le fenugrec et le safran. Les anciens traités d’herboristerie, qu’ils soient
chinois, assyriens, égyptiens, grecs ou romains, attestent des vertus médicinales des
herbes, en général, des épices en ce qui nous concerne. À peu près toutes les maladies
de l’époque peuvent être ainsi soignées, sans parler des protections contre morsures
de serpents ou piqûres d’autres bêtes venimeuses.
Cette utilisation médicale perdurera longtemps puisque au xviie
siècle encore, des
livres comme Le thrésor de santé paru en 1607 parlent du poivre en termes médici-
naux. Notons cependant qu’au xive
siècle, au contraire, Magninus de Milan, dans
De saporibus, sépare nourriture et médications en prévenant de l’abus des sauces
considérées comme médicamenteuses, «…car pour conserver la santé on doit s’abs-
tenir de toutes choses médicales», et n’oublions pas que le livre De re coquinaria
d’Apicius, paru au ive
siècle, était destiné à la seule cuisine. En Europe, le rôle médi-
cinal, à l’exception de quelques utilisations en médecine traditionnelle, disparaît
avant de revenir sur le devant de la scène avec les études chimiques, les essences et
les huiles essentielles. En Inde, Chine, Moyen-Orient et Afrique, la médecine tradi-
tionnelle les utilisera plus longtemps et les utilise encore aujourd’hui.
L’action principale des épices affecte la sphère digestive par stimulation des sécré-
tions, ce qui se traduit par un effet actif sur la digestion, laquelle commence par la
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phase céphalique liée à la vue des mets, leur odeur et leur saveur, phase dans laquelle
les épices, leurs couleurs, leurs parfums et leur exotisme ne sont pas innocents.
Nombre d’entre elles ont également un effet carminatif c’est-à-dire de réduction
des flatulences, ce qui peut s’expliquer par leur effet de stimulation de sécrétions
biliaires et donc une meilleure dégradation des aliments. Il est ainsi logique, à
propos des épices, de lier médecine et cuisine.
Il est aussi logique de lier médecine et cuisine quand le goût s’en mêle. Combien
d’élixirs médicinaux à l’origine se sont transformés en apéritifs ou en liqueurs !
L’Élixir de Garus, qui eut son heure de gloire au xviie
siècle, fut redéfini plus tard
par Nicolas Lemery dans sa Pharmacopée universelle comme un «ratafia extrême-
ment précieux, dont on fait aujourd’hui plus d’usage pour flatter la sensualité des
personnes en bonne santé, que pour la guérison des malades».
Il est aussi intéressant de noter que tous ces «remèdes» dits à base de gingembre,
de safran, de cannelle ou de toute autre épice correspondent bien souvent à un
mélange savant et fort complexe d’une kyrielle d’épices et d’herbes aromatiques.
Laquelle a un effet positif?
Huiles essentielles
Pourquoi un chapitre particulier sur les huiles essentielles? Simplement parce que
celles-ci semblent jouer un rôle de plus en plus important dans la vie quotidienne,
en médecine, en cosmétologie et, plus récemment et qui nous intéresse dans le cadre
de cet ouvrage, en cuisine.
Les essences sont des produits sécrétés par des organes particuliers des plantes. Pour
obtenir l’essence d’agrumes, par exemple, il suffit de gratter les zestes sous un courant
d’eau. Aucune distillation n’est nécessaire. Au contraire, les huiles essentielles qui,
comme ne l’indique pas leur nom, ne sont pas huileuses, sont uniquement compo-
sées de molécules aromatiques volatiles obtenues par distillation par la vapeur d’eau
de tout ou partie de la plante et sont responsables de l’odeur caractéristique de
celle-ci.
Nous ne détaillerons pas ici les molécules entrant dans la composition des huiles
essentielles (plus de 3 000 constituants en ont été isolés) ni leurs propriétés
médicinales. Aldéhydes, cétones, esters, éthers, mono- ou sesquiterpènes, mono- ou
sesquiterphénols, phénols, autant de noms que vous retrouverez souvent au cours de
vos lectures sur les épices ou les plantes en général, qui font très savant mais qui,
soyons honnêtes, ne nous aident pas dans leur utilisation quotidienne.
Les huiles essentielles que contiennent les épices, lipophiles, sont souvent spas-
molytiques, ce qui facilite l’absorption au niveau intestinal. Anis, fenouil, carvi,
badiane et cannelle possèdent ces vertus. Cette lipophilie se traduit également
par des effets antimicrobiens plus ou moins prononcés. Enfin, comme pour bon
nombre de substances végétales, leur pouvoir à élaborer des molécules capables
de piéger les radicaux libres les rend antioxydantes et évite les processus inflam-
matoires. Clou de girofle, curcuma, gingembre, macis, noix de muscade et piment
sont particulièrement antioxydants. L’activation des sécrétions biliaires liée à l’ac-
tion antiradicalaire se traduit également chez certaines épices comme le fenugrec, le
gingembre, la moutarde, le safran ou le sésame, par des propriétés antihypercholes-
térolémiantes, réduisant l’artériosclérose. Chez certaines d’entre elles ont été mis en
évidence des effets progestatifs (clou de girofle, cumin, curcuma, fenouil, muscade)
ou œstrogéniques (anis, cumin, fenouil, livèche). Enfin, des activités antiulcéreuses
(par inhibition notamment de la bactérie stomacale Helicobacter pylori), hypoglycé-
Grand
traité
des
épices
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miantes, diurétiques, analgésiques, antiasthmatiques, antidiarrhéiques ou sédatives
ont pu être démontrées pour certaines (voir Plantes aromatiques d’Eberhard
Teuschern, Robert Anton et Annelise Lobstein, éditions Tec  Doc, 2005).
Oléorésines
Un mot sur les oléorésines, mélanges d’essences et de résines naturelles sécrétées
par la plante, insolubles dans l’eau, entraînées pour certaines par action d’alcool
avant évaporation de celle-ci. Employées essentiellement dans la fabrication des
vernis, elles sont passées dans l’agroalimentaire en raison de leur fort parfum et plus
récemment en cuisine. L’oléorésine de vanille se vend au même titre que son huile
essentielle. Quant à celle du piment, elle intéresse surtout les services antiémeutes.
Attention danger
À dose «normale», les épices ne sont pas toxiques, mais très vite une surconsom-
mation peut s’avérer dangereuse. Gastrites et ulcères dus à certaines d’entre elles,
comme poivre ou curcuma, sont connus. Moins répertoriés sont les dangers sur des
personnes allergiques ou fragilisées comme les femmes enceintes, les enfants, les
personnes âgées ou malades. L’effet toxique des épices est bien étudié et nombre
d’entre elles sont signalées comme étant abortives, ce que les Anciens connaissaient
puisqu’ils l’utilisaient en ce sens. L’École de médecine de Salerme, à partir du
ixe
siècle, prévenait déjà, par exemple, de la toxicité de la noix de muscade («Une
noix est profitable, deux nuisibles et trois mortelles»). Or, si personne ne s’amuse
à avaler trois noix de muscade, tripler la dose indiquée d’une huile essentielle, de
deux gouttes à six, ne paraît pas effrayant. Or, les huiles essentielles sont extrême-
ment concentrées. À une époque où les gens se soignent en partie seuls, les surdoses
deviennent de plus en plus fréquentes et peuvent provoquer de graves affections.
Certaines de ces huiles présentent aussi un effet inverse à celui désiré en fonction de
la posologie. Les molécules chimiques des épices ont un pouvoir sensibilisant qui
peut générer des réactions d’hypersensibilités immédiates ou retardées. D’ailleurs
les huiles essentielles sont pour la plupart interdites chez l’enfant et la femme
enceinte. La science peut se faire déborder par le côté irrationnel et passionnel de
certains consommateurs qui ne doivent pas oublier l’adage de Paracelse: «Tout est
poison, rien n’est poison, c’est la dose qui compte.»
L’emploi des huiles essentielles en cuisine apparaît de plus en plus souvent dans les
recettes. Il est vrai qu’ajouter de l’huile essentielle de poivre apporte la saveur sans le
piquant, ce qui peut éventuellement être apprécié par certains. Donner une saveur
mexicaine à un mets, pourquoi pas, mais soyons honnêtes, cela enlève tout de même
un certain charme au travail de cuisine, un peu comme faire des confitures en deux
minutes trente avec une poudre achetée dans le commerce et versée sur les fruits,
annulant l’odeur de confiture et les souvenirs d’enfance qui l’accompagnaient.
Mais plus que jamais, attention aux quantités, aux mélanges qui ne s’apprécient pas,
tant du point de vue de la santé que de celui du goût. Si vous utilisez ces huiles essen-
tielles, attention au surdosage qui peut gâcher totalement un plat. Et attention enfin
à la dangerosité des produits totalement déconseillés aux personnes fragiles. Ce qui
est vrai en médecine l’est aussi en cuisine.
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Épices et cuisine
L’utilisation des épices en cuisine est probablement aussi vieille que le cuisinier.
Nous avons vu que certaines d’entre elles ont été utilisées dès l’âge de bronze puisque
retrouvées dans des fragments de pain et que des traces de culture et de cueillette de
piment ont été repérées dans des sites archéologiques péruviens et mexicains vieux
d’environ 6 000 ans mais, nous l’avons dit aussi, rien ne prouve que cet usage n’ait
pas été uniquement à but médicinal.
Mis à part quelques recettes, souvent à usage plus médical que gustatif, les premiers
écrits de cuisine qui nous sont parvenus sont celui d’Archestrate et ceux d’Apicius.
Archestrate, poète sicilien et grand voyageur féru de gastronomie, a écrit au ive
siècle
avant notre ère un livre intitulé, selon les historiens, Gastronomie d’Archestrate ou
Gastrologie dont seuls quelques extraits nous sont parvenus, relatant ses découvertes
et ses expériences gastronomiques lors de ses voyages. Apicius, gastronome et cuisi-
nier romain, nous a décrit des recettes de sauces. Dans De re coquinaria, ouvrage
paru quatre siècles plus tard et non limité aux écrits de ce cuisinier, ce dernier nous
parle, pour les épices, de cumin, coriandre, livèche, ache et sumac. Columelle, au
ier
siècle, nous enseigne simplement dans son ouvrage d’agriculture De re rustica
à confire les olives avec calamus, jonc odorant, cardamome, anis ou fenouil ou à
préparer le vin cuit avec fenugrec, nard, costus, palmier, souchet, schœnum, myrrhe,
cannelle, amome et safran. Les Romains aiment les plats parfumés. Les épices sont
celles que nous connaissons aujourd’hui à l’exception du laser ou Silphium de
Cyrénaïque, disparu car trop employé. Il faut attendre le vie
siècle et les recettes du
Grec Anthimus, ambassadeur du roi franc Thierry ier
, dans son ouvrage De observa-
tione ciborum, pour rencontrer pour la première fois le clou de girofle dans la cuisine
occidentale, mais pour entendre aussi dénigrer le gingembre. L’auteur donne des
recettes de cuisine pour se maintenir en bonne santé.
Avant de parler des ouvrages culinaires du Moyen Âge en Occident, arrêtons-nous
un instant sur le monde arabe au ixe
siècle. Le premier ouvrage pratique et détaillé
en langue arabe, le Livre de cuisine (Kitâb al-Tabîkh), est dû à un certain prince
gastronome, Ibrâhîm ibn al-Mahdî. Épices et herbes aromatiques sont divisées
en substances « aromatiques » (musc, ambre gris, eau de rose, safran, cannelle,
galanga, clou de girofle, mastic, noix de muscade, macis et gingembre) et en subs-
tances «piquantes» (poivre rond, poivre long, cumin, ache des montagnes, assa
fœtida, thym et vinaigre) et l’harmonie doit régner entre elles. Au sel étaient ajoutés
cumin, sumac, assa fœtida, graines de grenade ou sésame. Comme dans beaucoup
de livres anciens, la quantité d’épices utilisées est à l’appréciation du cuisinier.
En Occident, les premiers «vrais» ouvrages culinaires du Moyen Âge qui nous
sont parvenus datent du xive
siècle avec en particulier, vers 1300, le Viandier de
Taillevent et, en 1392, Le Mesnagier de Paris que l’on doit à un bourgeois parisien
anonyme, désireux d’éduquer sa jeune épouse. Le premier de ces livres donne la
liste des «Espices appartenantes a ce présent viandier»: «Gingembre, cannelle,
girofle, graine de paradis, poyvre long, mastic [résine de lentisque], garingal, noix
de muscade, safran, fleur de cannelle, sucrée, agnis et pouldre fine.» Ce ne sont pas
les seules épices utilisées à l’époque. Poivre rond, cumin, cubèbe, coriandre, carda-
mome, citoal (zédoaire), santal et sumac apparaissent selon les écrits ou les listes de
commerce. La particularité de la cuisine médiévale tient à l’utilisation non seule-
ment d’une vingtaine d’épices mais aussi de mélanges multipliant les saveurs. À ce
titre, le second livre «innove» en parlant de mélanges d’épices séchées qui lors de
l’utilisation seront additionnés de verjus, d’huile ou de vinaigre. En fait, Apicius
avait déjà parlé de mélange pilé d’épices qu’il appelait condimenta montaria.
Grand
traité
des
épices
22
Le poivre, qui entrait dans 80% des recettes d’Apicius, est dépassé
au xive
siècle par le gingembre. Le couple gingembre et
cannelle, que l’on retrouve dans la sauce cameline, est
de loin le plus fréquent, suivi par le safran, le clou de
girofle et, spécialité française, la graine de paradis.
Curieusement, si l’Italie est attirée par le safran, l’An-
gleterre l’est par le poivre et les recettes piquantes. On
aurait pensé le contraire. Si les épices ont tout de même
un rôle de préservation des aliments du fait de leur
pouvoir antioxydant, c’est pour leur apport gustatif
qu’elles sont employées, non pour cacher le goût de mets
avariés. À la fin du Moyen Âge, la consommation entre les
épices les plus utilisées, appelées « grosses épices » – souvent
celles connues depuis l’Antiquité – et les moins employées («menues épices») – les
plus récemment apparues – varie selon les pays, les époques et les utilisateurs.
Il est vrai aussi que cette utilisation d’épices exotiques est le fait d’une certaine
aristocratie. Le «vilain» est censé se contenter des produits du jardin (ail, écha-
lote). Plus on monte dans l’échelle sociale, plus on diversifie ses épices, surtout les
plus rares et les plus coûteuses. Seul le poivre rond est considéré comme une épice
commune, pour les pauvres (on se demande d’ailleurs comment ils pouvaient la
payer), et se voit attitré aux mets considérés comme plébéiens (sang et viscères). La
consommation des épices varie en fonction des fêtes (Noël, mariages, funérailles)
et de l’alternance des jours gras et maigres où l’on mangera ou non des poissons.
Saumons et anguilles, par exemple, sont enveloppés d’une sorte de gelée parfumée
de girofle, de gingembre et d’autres herbes et servis sur les tables seigneuriales avec,
pour les épices, gingembre, cannelle, poivre, girofle, graines de paradis, safran
et noix de muscade. Enfin, la théorie des humeurs que nous avons citée au niveau
médical engendre un intérêt différent selon les saisons. L’hiver devient ainsi une
époque privilégiée pour la consommation d’épices qui réchauffent.
La Renaissance n’est pas une rupture au point de vue culinaire avec le Moyen
Âge. La transition sera douce. L’invention de l’imprimerie va assurer la diffusion
des livres de cuisine, comme le Viandier et assurer le succès de leurs recettes. Les
plats sont toujours très épicés et le sucre de canne fait une entrée en force dans des
plats auparavant miellés. Néanmoins, l’influence de Marie de Médicis et, dans son
sillage, de la cuisine italienne, ainsi que les nouveaux apports d’aliments d’Amé-
rique du Sud vont doucement transformer les habitudes culinaires. Poivre long,
macis, cardamome, graines de paradis et surtout safran perdent de leur superbe
tandis que poivre rond, clous de girofle et muscade sont toujours appréciés et que
cannelle et gingembre sont réservés aux plats sucrés. À partir du xviie
siècle, on
retourne à une valeur intrinsèque des aliments ou aux herbes du terroir, plus pour
les pays du Sud que pour ceux du Nord qui restent plus fidèles aux épices. On
passe d’un engouement extrême à un rejet. «Aimez-vous la muscade? on en a mis
partout», écrit Nicolas Boileau dans Le repas ridicule, critiquant un petit-bourgeois
qui, pour se faire valoir vis-à-vis de ses convives, a fait parfumer un repas entier avec
l’une des épices les plus chères de l’époque. François Marin, maître d’hôtel chez
le maréchal de Soubise, publie en 1739 les Dons de Comus ou les délices de la table,
ouvrage de «nouvelle cuisine» dans lequel il condamne «l’excès d’épices dans
les assaisonnements», excès considéré comme «l’écueil des médiocres». Antonin
Carême parle déjà de « cuisine ancienne » épicée. Alexandre Dumas, dans son
Grand dictionnaire de la cuisine paru en 1873, ne définit même pas les épices et l’on
peut y chercher en vain ce que sont cardamome et gingembre.
23
Nous n’en sommes plus là. Les voyages, les brassages de peuples et de leurs cuisines
ont apporté un renouveau des épices. Les épiciers d’antan sont chinois, indoné-
siens, maghrébins, libanais, offrant sur place un choix de plus en plus important.
Il ne s’agit pas seulement de restituer à l’identique une recette asiatique, les grands
chefs innovent avec les épices, à partir de plantes ou légumes oubliés. Les épices sont
simplement et positivement de retour dans notre cuisine.
De l’usage des épices en cuisine
Avant l’usage, il y a bien sûr le choix de l’épice ou plutôt de sa présentation. Doit-on
l’acheter entière, en poudre, fraîche ou séchée?
Les épices correspondent, selon les cas, à une partie d’écorce, des fruits, des graines,
des boutons floraux, des rhizomes, des racines ou de la résine et leur présentation
diffère. Elles peuvent être entières, concassées, broyées ou réduites en poudre. Il est
nettement préférable de les acheter entières pour deux raisons bien simples. Tout
d’abord, les éléments entiers, non incisés, gardent plus longtemps leur arôme et
leur saveur, à condition toutefois de les conserver dans un récipient hermétique en
verre ou en métal à l’abri de l’humidité et de la lumière. Ensuite, l’achat d’une épice
entière réduit (il ne l’exclut pas totalement) la possibilité de fraude, facile avec la
poudre qu’il vaut mieux éviter. En revanche la poudre est, dans certains cas, plus
facile d’utilisation. Nous indiquerons pour chaque épice ses différentes présenta-
tions à la vente et les dangers de falsification possibles.
D’une manière générale et à quelques exceptions près, les épices sont vendues
séchées. C’est d’ailleurs cette possibilité de conservation qui leur a valu un fort inté-
rêt de la part des peuples nomades. Il est recommandé de les broyer au moment de
l’emploi (avec un simple moulin à poivre) ou de les écraser au pilon dans un mortier.
On ne hache pas les épices. La noix de muscade se râpe comme les rhizomes.
Certaines épices (pavot, cumin) gagnent à être rapidement grillées à sec afin de libé-
rer le maximum d’arôme. D’autres (safran, tamarin) doivent être mises à macérer
quelques minutes dans un liquide avant emploi. L’utilisation des épices dépend de la
nature de chacune. Les clous de girofle, par exemple, seront piqués dans un oignon
pour pouvoir être facilement repérés en fin de cuisson et retirés avant le service.
Accords et désaccords ne sont pas uniquement le fruit d’une longue expérience
gastronomique mais ils sont aussi liés à des civilisations. Les Aztèques mettaient du
piment dans leur cacao, piment bien vite remplacé par de la vanille ou de la cannelle
selon les goûts espagnols, et, au Moyen-Orient, la première gorgée, piquante, d’un
café à la cardamome laisse perplexe le voyageur occidental peu informé. Les goûts
sont affaire de culture et d’éducation culinaire. Des enquêtes ont montré que dans
des pays chauds (Éthiopie, Kenya, Grèce, Inde, Indonésie, Iran, Malaisie, Maroc,
Nigeria, Thaïlande), on répertorie au moins une épice par recette, et généralement
parmi les plus puissantes, leur donnant un pouvoir antibactérien plus fort, alors que
dans des pays nordiques comme la Finlande et la Norvège, une recette sur trois n’en
contient pas. Cette différence n’est pas fortuite.
Les couleurs des plats ont de tout temps eu une importance, puisque la vue déve-
loppe le plaisir gustatif. La couleur anticipe le goût. Au Moyen Âge, les mets et
notamment les sauces étaient fortement colorés grâce aux épices et aux extraits
naturels de plantes. Apprécier une viande, aussi délicieuse soit-elle, devenue verte
par adjonction de pigment vert (totalement inodore et sans saveur) est sinon impos-
sible du moins très difficile. Le safran a tout d’abord joué un rôle de colorant
Grand
traité
des
épices
24
en cuisine, apportant aux mets la couleur de l’or, secondé ensuite par le curcuma.
Paprika et roucou sont recherchés pour leur couleur rouge autant que pour leur
saveur.
De nombreuses recettes demandent des mélanges d’épices qui peuvent être préparés
individuellement ou achetés tout prêts… mais généralement en poudre. Nous vous
donnerons en fin de volume des explications sur quelques mélanges classiques tout
en sachant que sous un nom – le ras-el-hanout (épices pour couscous) par exemple –
se cache une multitude de recettes aux ingrédients divers. Attention à l’excès
d’épices différentes dans un même plat: ni trop, ni trop peu. Attention à l’intensité
des saveurs, celle d’une épice pouvant totalement effacer l’autre. Attention aussi à
certains mélanges qui peuvent donner un goût désastreux.
Conclusion
Avant de conclure ces généralités, il est aussi intéressant de rappeler que, de tout
temps, les épices ont été l’objet d’une attention particulière en raison de leur
pouvoir, supposé ou réel, aphrodisiaque. Rares sont celles – si tant est qu’il y
en ait une – qui n’eurent pas leur temps de gloire basé sur cette vertu. Rares sont
celles également dont la célébrité fut liée à leur vertu anaphrodisiaque et qui furent
connues essentielllement dans les couvents et les monastères. Pourquoi ce besoin de
voir en elles un pouvoir sexuel? L’image exotique qu’elles transportaient permettait
très probablement à certains d’améliorer une vente basée sur un pouvoir que l’on
savait ne pas exister sur l’épice ou l’herbe locale. Soyons honnêtes, l’Homme a de
longue date, sinon toujours (certains de nos cousins primates comme les bonobos
ne font pas exception) été fort intéressé par le sexe. Le traité d’érotologie du cheikh
Nefzaoui, La Prairie parfumée pour la récréation de l’âme, publié en 1420, sauva
ainsi la vie à son auteur grâce aux épices. On y trouve notamment une recette de
gâteau destiné à remédier aux défaillances masculines dont celle du bey de Tunis
de l’époque, demandeur de l’ouvrage, contenant entre autres gingembre, cannelle,
muscade, cardamome, langues de moineaux, macis, poivre long, sans parler de
vinaigre et d’hellébore.
Certaines épices sont connues pour leur pouvoir excitant ou vasodilatateur et
certaines recettes prêtent à sourire. Ainsi l’euphorbiacée, Richeria grandis, sauvage
dans les montagnes antillaises, porte le nom vernaculaire significatif de « bois
bandé». Son écorce séchée au soleil est depuis longtemps utilisée par les créoles des
Caraïbes pour subvenir à certaines défaillances. Cette écorce est macérée à froid
dans du rhum mais en compagnie d’autres épices dont le gingembre, la noix de kola,
la muscade et la cannelle qui, toutes, sont aussi reconnues pour posséder ces mêmes
vertus. Alors, le bois bandé joue-t-il un rôle dans le processus ? Rien n’est moins
certain, aucune étude scientifique ne venant appuyer ces dires… et les effets secon-
daires sont, hélas, encore mal connus.
Aphrodisiaques ou non, les épices restent des joyaux appréciés dans l’art culi-
naire. Le plaisir gourmand de celui qui cuisine est à la fois sensuel et esthétique, les
couleurs si importantes à nos yeux précédant le plaisir gustatif, et les épices sont là
pour conduire à un paradis de couleurs, de parfums et de saveurs.
Connaissance intrinsèque de l’épice, mais aussi de la plante qui l’a fournie, choix
basé sur cette connaissance mais aussi sur celle du plat dans lequel elle va être intro-
duite pour le transformer à nos yeux, nos narines et nos papilles en un mets de rêve,
tel est l’objectif de cet ouvrage.
27
racines. L’acore fait partie des plantes aromatiques
que Moïse doit se procurer pour préparer l’huile
d’onction. Il est associé au safran, à la myrrhe, au
genièvre et à la cardamome au sein du kyphi, parfum
de l’Égypte ancienne que les archéologues disent
avoir retrouvé dans la tombe de Toutankhamon. Il
est d’ailleurs appelé «roseau sacré».
Son utilisation est citée par les Romains et les Grecs
tant en cuisine qu’en médecine. Les péripatéti-
ciennes romaines s’en parfument en raison de son
puissant attrait sexuel. Il est considéré comme un
des composants de la thériaque de la pharmacopée
maritime occidentale du xviiie
siècle mais on parle
alors de schœnanthe, ce qui pourrait correspondre à
l’Andropogon.
Dans l’Antiquité, les tiges d’acore servaient de
stylets pour écrire sur des tablettes de cire. On les
appelait calames. C’est de calamus que l’on doit
l’expression lapsus calami.
Parties utilisées
Rhizome essentiellement. On le mange confit ou
on le fait sécher à l’air libre sans l’éplucher puisque
l’huile essentielle est localisée dans son écorce.
Jeunes feuilles.
Médecine
Les Tartares purifiaient leur eau par macération
d’une racine sèche. L’acore était réputé pour les
yeux, usage déconseillé de nos jours en raison de la
présence de bêta-asarone chez certaines variétés.
L’huile essentielle de l’acore, située dans l’écorce
du rhizome, distillée à la vapeur d’eau, est utili-
sée dans le traitement des infections respiratoires
et dans des cas d’insuffisance hépato-biliaire. En
Europe, ses vertus stomachiques le font utiliser en
phytothérapie, ouvrant l’appétit en infusion avant
les repas, facilitant la digestion si consommée après.
Il est considéré également comme antiseptique et
tonifiant.
Son utilisation médicale est très importante en
Asie du fait de sa réputation d’aphrodisiaque,
Jonc odorant, acore aromatique, acore vrai, canne
aromatique, roseau aromatique, calamus aromatique.
Sweet flag en anglais.
Le terme jonc odorant recouvre en fait deux espèces:
l’acore vrai et la graminée Andropogon schœnanthus
d’où parfois le nom vernaculaire de schœnante qui
lui est donné. L’acore est souvent pris pour une
graminée ou confondu, avant floraison seulement,
avec le lis des marais à fleurs jaunes (Iris pseudoa-
corus). La citronnelle, Cymbopogon citratus, est
souvent appelée jonc odorant ou l’inverse par les
médias. Rappelons qu’il s’agit d’une graminée.
Description
Planteherbacée,vivace,aquatique,pouvantatteindre
plus d’un mètre de hauteur. Rhizome rampant de
la grosseur d’un doigt, très aromatique, compor-
tant des nœuds d’où partent des racines fibreuses
en grand nombre. Tige droite. Feuilles longues, li-
néaires, à nervures parallèles, caduques, fortement
ridées à leur partie inférieure et au bord légèrement
ondulé, attachées par un pétiole non différencié.
Inflorescence en épis composés de fleurs minuscules
jaune verdâtre, à 6 sépales, serrées les unes contre les
autres en un spadice de 5 à 10 cm de long, droit et
dressé, entouré d’une bractée ou spathe, semblable
à ceux des arums mais de section triangulaire (ce
qui la distingue des iris toxiques), apparaissant de
mai à août. Dans nos régions, se trouve dans des
roselières où, stériles, les plantes se multiplient par
division des touffes. Subspontanée actuellement
dans tout l’hémisphère nord.
Histoire
Originaire d’Inde ou du moins d’Asie, cette plante
cultivée dans ces régions depuis dix mille ans
semble avoir été importée en Europe au xiiie
siècle
par les Tartares pour ses propriétés pharmaceu-
tiques et odoriférantes. Dans son Traité médical, en
3700 environ avant notre ère, l’empereur chinois
Shen Nong donne à l’acore le nom de «prolonga-
teur de vie» et vante les vertus stomachiques de ses
Acore
❧
❧ Acorus calamus
❧
❧ Aracées
Grand
traité
des
épices
28
Divers
L’acore était utilisé comme insecticide et parti-
culièrement comme antimite. Feuilles et rhizomes
étaient jadis séchés et réduits en poudre pour chas-
ser les fourmis. Ses propriétés insecticides sont
reconnues et, en Afrique, son huile essentielle est
toujours utilisée pour protéger maïs ou manioc des
attaques du coléoptère dit grand capucin.
L’huile essentielle entrait dans la composition de
poudre comme celle dite « à la Maréchale » que
l’on doit à la maréchale d’Aumont. Notons cepen-
dant que les recettes de ce parfum citeront à sa
base soit le Calamus aromaticus (J.J. Machet, Le
Confiseur moderne, 1803), soit l’iris (C.F. Bertrand,
Le parfumeur impérial, 1809), preuve de la confu-
sion probable, déjà citée, entre ces deux plantes.
L’acore est utilisé de nos jours en parfumerie et en
cosmétologie, dans des lotions toniques, purifiantes
pour la peau ou dans des dentifrices. Un bain aux
rhizomes aurait un effet calmant.
Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, ce ne
sont pas les feuilles de l’Acorus calamus qui entou-
rent le fromage livarot, ces cinq laîches qui lui
valent le surnom de Colonel avec ses cinq galons,
mais les feuilles de Typha latifolia, autrement dit la
massette. De même, la jonchée de Poitou-Charentes
repose sur un lit de jonc, le Juncus effusus, et non sur
du jonc odorant.
Autres espèces consommées
Acorus gramineus
Acore graminé, Shi shang pu.
L’Acorus gramineus est une plante vivace semi-
persistante aux feuilles linéaires panachées vert
pâle et crème, en éventail sur deux rangs. Elle est
connue en Asie. L’usage plus médical que culinaire
est semblable à celui de l’acore vrai.
Sauce à l’acore
10 g de rhizome d’acore
3 gousses d’ail
1 échalote
1 cc de curcuma en poudre
2 cs d’huile d’olive
• Râper le rhizome. Ajouter l’échalote, les gousses
d’ail émincées et le curcuma.
• Mélanger avec l’huile.
• Servir sur des canapés à l’apéritif ou avec un
tartare de poisson.
de diurétique, d’emménagogue et de vermifuge.
En médecine hindoue – l’Âyurveda – l’acore est
considéré comme une plante régénérant le système
nerveux.
Au Canada, les rhizomes de la «belle-angélique»,
comme est appelé l’acore, servent de chiques aux
Indiens pour leurs effets stimulants. Ils ont l’avan-
tage de rafraîchir l’haleine.
• Attention. Si la partie interne des jeunes pousses
est comestible, à dose trop élevée, le rhizome est vomi-
tif et peut provoquer des hallucinations visuelles.
Cuisine
Les feuilles de l’acore, à odeur de mandarine, piquent
agréablement la langue. Le rhizome est odorant, à
saveur chaude et piquante, secondairement âcre et
amer. L’odeur est pénétrante.
• Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme
épice. Pline l’Ancien en ajoute au vin. Au
xviie
siècle, l’acore faisait partie de la recette du
vinaigre des quatre voleurs (voir p.219).
Son utilisation est sensiblement identique à celle du
gingembre. Ce rhizome blanc rosé, une fois séché,
parfume ainsi des compotes de pommes ou de
poires, des mets sucrés, mais peut aussi aromatiser
potages et légumes.
• Boissons. L’acore entre dans la composition de
plusieurs liqueurs comme, entre autres, le Kalmus
(nom allemand de l’acore), la bénédictine, la char-
treuse, le génépi, le marasquin ou la fameuse liqueur
de Dantzig qui est un kummel (liqueur blanche à
l’anis et au cumin) dans laquelle ont été ajoutés des
débris de feuilles d’or (voir p. 218).
Dans certains pays, il parfume la bière. Au Maroc,
on en fait une délicieuse boisson rafraîchissante.
• Utilisation d’autres parties de la plante. Les
jeunes pousses se consomment en salade.
• Attention. L’acore a la réputation d’être cancéro-
gène et, de ce fait, la plante est interdite en Amérique
du Nord. En fait, il existe quatre caryotypes d’Aco-
rus calamus répartis en Amérique du Nord, en
Europe, en Asie du Sud-Est (Inde et Japon) et au
Cachemire dont l’huile essentielle contient une
quantité différente de bêta-asarone incriminé qui
va respectivement de 0% (variété nord-américaine)
à 96% (variété indienne). L’industrie alimentaire
utilise en Europe l’extrait d’hydrosol alcoolique (et
non l’huile essentielle entraînée à la vapeur d’eau)
qui ne renferme que très peu de bêta-asarone.
29
i­ncurvées semblables par leur taille et leur forme à
des graines de céleri ou de cumin miniature, ou en-
core de persil, brun rougeâtre ou brun foncé, avec
5 côtes longitudinales peu proéminentes mais plus
claires et une surface légèrement rugueuse.
Histoire
L’ajowan semble originaire de l’est de la Méditer-
ranée. Cette plante est cultivée de nos jours en
Inde, Iran, Pakistan, Afghanistan et Égypte. Elle
était utilisée dans l’Égypte des pharaons contre les
douleurs néphrétiques. Un désaccord subsiste sur le
fait que l’ajowan ait été listé dans le Capitulaire de
Villis en 780 sous le nom de lovage, ce qui est peu
probable, une tentative d’introduction en Europe
centrale au xvie
siècle a d’ailleurs échoué en raison
de conditions climatiques défavorables. Avant et
pendant la Première Guerre mondiale, une quanti-
té importante de graines d’ajowan furent importées
en Europe pour être distillées aux fins d’obtention
de thymol (elle était la source principale de thymol
au monde jusqu’à la réalisation du thymol synthé-
tique). Ce n’est pas une épice très courante de nos
jours.
Parties utilisées
Fruits (graines) récoltés peu avant leur maturation,
dits desi pour ceux de grande taille, ou nadiad
pour les plus petits. Tige. Poudre. Huile essentielle.
Oléorésine.
Les fruits sont récoltés peu avant maturation et
séchés. La poudre est brun jaune. L’huile essentielle,
incolore, peut jaunir et foncer très rapidement.
Amni de l’Inde, amni égyptien, amni de Candie, thym
des Indes. Falsely lovage seeds en anglais.
Les noms Amni copticum, Carum copticum, Carum
ajowan ou Trachyspermum amni sont des syno-
nymes juniors et ne doivent plus être employés.
Cette plante est sans rapport avec Amni majus,
inodore, de nos contrées, et Amni visnaga, cultivée
en Égypte et au Maghreb ; on n’utilise ces deux
plantes (par leurs graines) que dans un but médical,
et pour en faire des cure-dents (par les tiges) pour
la seconde. On le trouve aussi sous le nom hindi
d’ajmud qui est celui de l’ache des marais, nommé
lovage en Inde.
Description
Petite plante herbacée annuelle originaire d’Inde,
pouvant atteindre au maximum un mètre de hau-
teur. Tiges dressées, glabres ou parfois légèrement
pubescentes. Feuilles duveteuses, peu nombreuses,
très divisées, aux derniers segments filiformes. Une
vingtaine de fleurs blanches disposées en ombelles
à l’extrémité de pédicelles inégaux. Fruits diakènes
ovoïdes, élargis à la base, striés, de couleur gris vert
à marron rouge plus ou moins foncé, portant à leur
sommet de larges et courts stylopodes. Graines
Ajowan
❧
❧ Trachyspermum copticum
❧
❧ Apiacées (= Ombellifères)
Grand
traité
des
épices
30
• Boissons. En Éthiopie, outre le pain qu’elles
aromatisent, les graines d’ajowan servent à la prépa-
ration de boissons alcoolisées.
• Autres parties de la plante consommées. Les
Indiens mangent également les tiges à la manière
des tiges de céleri.
• Mélanges. On les retrouve dans des mélanges
d’épices comme le chat masala, certains currys,
le mélange siwak ou le panch phoron de la cuisine
bengalie. En Europe, c’est dans le mélange Bombay
(version piquante des graines d’anis) que les graines
d’ajowan interviennent.
Divers
L’huile essentielle tirée des graines est utilisée non
seulement en médecine mais aussi en parfumerie
(dentifrice).
Les fruits servent d’engrais ou d’aliment en
pisciculture.
Autres espèces consommées
Trachyspermum roxburghianum
Appelée aussi maraka (confondue dans la littéra-
ture ancienne avec l’ajmud). Petite plante annuelle
ou bisannuelle, ressemblant au persil, cultivée en
Asie, consommée pour ses fruits et ses feuilles. Elle
participe à plusieurs mélanges d’épices.
Médecine
Mâchées, les graines soulagent les maux d’estomac,
les coliques, les flatulences et, en raison de leur
saveur piquante, favorisent la digestion en stimu-
lant les sécrétions salivaires, gastriques et biliaires.
Elles engourdissent légèrement les gencives et la
langue.
En externe, en cataplasme, elles peuvent soigner les
rhumatismes et l’asthme car elles contiennent un
antispasmodique.
L’huile essentielle est fortement épicée et amère, ce
qui est dû au thymol qu’elle contient. Elle est effi-
cace contre certaines infections bactériennes et est
utilisée dans les bains de bouche.
En médecine indienne, l’épice est reconnue médi-
calement sous le seul nom de Trachyspermum et
utilisée comme remède de la sphère digestive.
• Attention. Pure, l’huile essentielle peut être caus-
tique pour la peau.
Cuisine
Entières, les graines ont peu de parfum; écrasées elles
dégagent une odeur chaude, amère, piquante, anisée,
mâtinée de thym ou d’origan mais en moins subtil.
Saveur piquante et brûlante.
• Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme
épice. On utilise les fruits frais ou secs. Cette
finesse autorise son utilisation sur des poissons
ou des coquillages. Les graines sont à saupoudrer,
légèrement écrasées ou moulues, sur une salade de
fruits frais.
Appelées ajwain en Inde, elles sont utilisées en pâtis-
serie (pakora, paratha ou paans, mélanges digestifs
de noix et d’épices), s’enrobent de sucre coloré ou
participentàlacuisinevégétarienne(ompadi,boondi,
sov et nambin) où, combinées avec du piment et de
la coriandre fraîche, elles sont source de protéines.
Elles évitent les ballonnements dus à la consomma-
tion de féculents. Elles aromatisent des pains et des
pâtes à beignets et se marient bien avec ail et cumin.
Mélangées à du gingembre et du sel, elles sont la base
d’un chutney.
En Europe, on les retrouve, pour les mêmes raisons
qu’en Inde, dans les plats de légumes secs. Elles
aromatisent les marinades de poisson et certaines
pâtisseries, partout où le thym est employé mais en
quantité moindre que celui-ci. On les retrouve dans
les pickles.
Carottes à l’ajowan
1 kg de carottes
2 échalotes
1 cc de cumin en poudre
1 cc de graines d’ajowan
huile d’olive
sel
• Peler les carottes et les couper en fines rondelles.
• Émincer les échalotes. Les faire revenir à feu doux
dans un peu d’huile d’olive.
• Ajouter les carottes, un verre d’eau et les épices.
Saler.
• Faire cuire jusqu’à parfaite cuisson des carottes
(environ 20 min).
• Servir telles quelles ou écrasées à la fourchette.
• Accompagne un poisson comme le Saint-Pierre.
31
nuances allant du vert au rouge en passant par le
jaune et l’orange. Noyau à graine unique de grande
taille.
Histoire
L’histoire raconte que Boudhha aurait médité dans
unvergerdemanguiersoffertparunecourtisane.Le
botaniste français Augustin Pyramus de Candolle
estimait sa culture à 4 000 ans. Originaire d’Asie
méridionale, Inde et Birmanie, il se répand dans les
pays voisins par l’intermédiaire des commerçants,
des navigateurs et des missionnaires bouddhistes.
Au ve
siècle avant notre ère, on retrouve cet arbre en
Malaisie et dans tout l’Extrême-Orient. Alexandre
le Grand en aurait vu en 377 avant notre ère. Au
xe
siècle, le manguier est introduit en Afrique par
les Arabes. La première mention européenne serait
due au missionnaire français, évêque au Kerala,
et la première description de la plante apparaît au
xve
siècle sous la plume du voyageur et auteur véni-
tien Jordanus Catalani qui raconte l’avoir goûtée à
Amchur, mangue séchée, poudre de mangue verte.
Mango tree en anglais.
Description
Arbre, manguier, de grande taille (une quarantaine
de mètres de hauteur), à port étalé. Écorce lisse,
gris foncé à noire. Feuilles persistantes, alternes
de forme oblongue, lancéolées à elliptiques, de
grande taille (une trentaine de centimètres), au
bord parfois ondulé, vert foncé, disposées en
rosettes à l’extrémité des rameaux. Fleurs petites
(6 mm de diamètre), jaunes ou rouges, à 5 pétales,
très nombreuses (plusieurs milliers), regroupées
en grappes terminales, mâles ou hermaphrodites.
Fruits charnus, pédonculés, dissymétriques, de
formes diverses, oblongs, réniformes, elliptiques,
ovoïdes, cordiformes ou aplatis et de taille variable
selon les variétés, allant de 500 g à 2,5 kg. Apex
comportant un bec plus ou moins marqué. Peau
verte devenant, selon les variétés, jaune orangé,
puis rouge ou rouge violacé. Chair à nombreuses
Amchoor
❧
❧ Mangifera indica
❧
❧ Anacardiacées
Grand
traité
des
épices
32
La poudre de mangue sauvage peut être obtenue à
partir de l’amande récoltée sur des fruits mûrs. Au
Cameroun, ces amandes, bien séchées, grillées avec
un peu d’huile et pilées à chaud dans un mortier,
forment une pâte de couleur de marrons confits.
Ce gâteau, appelé aussi boule ou Bitsim en langue
ewondo, peut être à la base d’huile de mangue
sauvage par chauffage adéquat, ou de poudre par
râpage à l’aide d’un couteau.
Cette poudre est surtout utilisée en Inde, en cuisine
végétarienne dans des ragoûts de légumes ou des
soupes, des courts-bouillons, des salades et des
chutneys. Elle convient aux plats pour lesquels on
veut ajouter une touche d’acidité sans ajouter de
liquide (jus de citron, vinaigre ou tamarin). Elle est
délicieuse avec les volailles (saupoudrée avant cuis-
son), les poissons crus et les tartares.
Mélangée à un curry, elle donne une note exotique
à un flan vanillé ou à une crème au chocolat.
Elle est très utilisée dans les marinades en raison de
ses propriétés à attendrir la viande.
• Mélanges. Elle entre dans le célèbre mélange
chat masala côtoyant ajowan, piment de Cayenne,
gingembre, menthe, cumin et graines de grenade.
Divers
L’huile essentielle extraite de l’amande de mangue
sauvageestutiliséeenparfumerie(savons,parfums).
C’est avec les feuilles de manguier que certains
Indiens bengalis fabriquaient de la teinture jaune.
Ils nourrissaient le bétail avec des feuilles, en petite
quantité car toxiques, puis récoltaient l’urine,
jaune, des animaux. Cette histoire ou légende serait
un cas isolé et non une coutume.
La forme du fruit est la base du motif cachemire.
Caviar d’aubergine à l’amchoor
1 aubergine
1 cs d’amchoor en poudre
1 cs de lebné
sel
• Mettre l’aubergine au four à 180° (th 6) pendant
30 min environ en la retournant à mi-cuisson.
• L’ouvrir et retirer la chair que l’on égouttera un
moment si nécessaire.
• Hacher grossièrement la chair.
• Ajouter le lebné et l’amchoor. Saler.
• À déguster froid, sur toasts ou dans des verrines.
Malabar. Il existe toujours à l’état sauvage dans ses
pays d’origine.
Le manguier fut introduit au xvie
siècle en
Amérique du Sud (au Brésil) par les Portugais. Il
est depuis longtemps cultivé dans les pays tropi-
caux pour son fruit. L’empereur mongol Akbar le
Grand (1556-1605) en avait ordonné la plantation
de 100 000 pieds.
Parties utilisées
Poudre de mangue verte et amande séchée. Fruits.
Feuilles. Bois.
Médecine
Mangues fraîches, tranches de mangues séchées ou
poudre sont utilisées depuis longtemps pour préve-
nir le scorbut.
Ses feuilles sont reconnues en Afrique comme
renfermant des propriétés antiseptiques et
antioxydantes.
La mangue aide à la restructuration et à l’élasticité
de la peau et peut être utilisée en masque de beauté.
• Attention. La peau de la mangue contient des
oléorésines, sécrétions naturelles qui peuvent
provoquer des dermatites allergiques de contact.
Cuisine
Saveur aigrelette malgré son sucre, citronnée avec une
note de résine et rafraîchissante. Goût de pêche et de
fleur selon la variété. Fragrance de miel. Odeur téré-
benthinée (fruits et feuilles), surtout chez les mangots
(mangues africaines un peu fibreuses).
• Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme
épice. Si la consommation du fruit frais est bien
connue, celle de la mangue séchée, l’amchoor
qui est une poudre de mangue verte sauvage, l’est
moins. La chair est coupée en fines lamelles mises
à sécher au soleil, saupoudrées ou non de curcuma
pour lui donner une teinte plus jaune, puis pulvé-
risées. Très finement granulée, elle peut présenter
une très légère texture fibreuse. Certains puristes
diront qu’il ne faut pas faire cuire l’amchoor et s’en
servir uniquement comme condiment. Il faut ache-
ter la poudre de mangue en petite quantité car sa
saveur se perd en une année.
Les tranches séchées apportent une saveur épicée
aux mets tandis que la poudre apporte de l’acidité.
Cette poudre peut également se faire à partir de la
pulpe de fruits mûrs par concentration par le froid.
Elle est alors mise en boîte sous azote.
33
repas des gladiateurs. Le Capitulaire de Villis,
rédigé sous la férule de Charlemagne, conseille sa
culture. Son usage apparaît en Angleterre vers le
xe
ou xie
siècle et si, selon Hildegarde de Bingen,
la vue de cette plante rendait certains tristes, il ne
pouvait que s’agir d’hommes puisque son utilisa-
tion était «d’éteindre les ardeurs et les plaisirs de
la chair». Son autre réputation était en revanche
pour certains d’exciter le désir sexuel des femmes.
Elle entrait dans la composition de parfaits philtres
d’amour et apparaît dans des formules magiques.
Comme le fenouil, elle était censée protéger les
maisons des mauvais esprits et les graines avaient
la réputation d’empêcher la folie. Comme l’anis,
les graines, considérées comme coupe-faim, étaient
consommées discrètement au cours de l’office reli-
gieux ou en réunion. Elle est cultivée en Angleterre
dès le xvie
siècle et aux États-Unis trois siècles plus
tard.
Parties utilisées
Fruits, graines (en fait fruits séchés). Feuilles.
Fleurs. Huile essentielle (provenant des graines).
Oléorésine. Les fruits peuvent être confondus avec
ceux de l’aneth d’Inde (voir ci-après).
Médecine
Ses vertus anciennes ne se comptent plus. Elle est
galactogène pour Pline l’Ancien et les Romains la
mâchent pour se purifier l’haleine. Elle est surnom-
mée «plante à Dioscoride» tantelle est utilisée par
ce médecin grec. Les Chinois la connaissent pour
les problèmes stomacaux. Seize siècles plus tard,
elle est censée améliorer les capacités du cerveau.
L’efficacité d’une infusion contre le hoquet est
connue de longue date puisque Charlemagne aurait
faitplacerdanscebutdesfiolesd’extraitd’anethsur
les tables lors de festins, de même contre les maux
de tête. On lui reconnaît maintenant des vertus
digestives, diurétiques, carminatives et stimulantes.
Le fruit de l’aneth ingéré par voie orale est tradi-
tionnellement utilisé dans le traitement de troubles
Aneth odorant, faux anis, fenouil russe, fenouil suédois,
fenouil puant, fenouil bâtard. Dill en anglais.
Anethum vient du grec anethon («fenouil») auquel
elle ressemble mais aux graines plus âcres. Graveolens
signifiant «à odeur forte». Seule la variété cultivée,
A. graveolens var. hortorum, est consommée et non
la variété sauvage, A. graveolens var. graveolens, qui
pousse spontanément au bord des chemins.
Description
Plante herbacée, annuelle, à tige glabre, glauque,
dressée atteignant plus d’un mètre, aux tiges grêles,
rondes, creuses, striée de bandes blanches et vertes.
Racine pivotante longue et fine. Feuilles alternes,
très finement découpées, filiformes, vert bleuté.
Feuilles de la base à gaine courte bordée de blanc.
Fleurs très petites à 5 pétales jaune pâle veinés de
brun, à apex très recourbé vers l’intérieur, groupées
en ombelles plates de 15 à 30 rayons inégaux. Pas
d’involucre ni d’involucelle. Fruits diakènes, jaune
verdâtre, ovales, comprimés dorsalement et entou-
rés d’un large rebord plan, arrivant à maturité en
août-septembre. Graines petites, brun clair, ovales
et aplaties, ornées de côtes longitudinales.
Histoire
Originaire d’Orient, Anethum graveolens s’est rapi-
dement répandue en Méditerranée. Sa présence
la plus ancienne date du Néolithique, époque à
laquelle elle est retrouvée en Suisse près de maisons
sur pilotis. Elle est connue des Égyptiens et signalée
dans le papyrus d’Ebers vers 1550 avant notre ère,
ainsi que dans le Nouveau Testament attestant de
son utilisation en Palestine. Son importance était
telle qu’elle était taxée. Les Chinois l’utilisaient
contre les maux d’estomac. Elle fut inspiratrice de
poètes, de l’Antiquité aux Romantiques. Plante
potagère chez les Hébreux, médicinale chez les
Égyptiens (on l’a retrouvée également avec la
momie d’Amenophis II), les Arabes, les Grecs
et les Romains, elle devient culinaire chez ces
derniers. Symbole de vitalité, elle participe aux
Aneth
❧
❧ Anethum graveolens
❧
❧ Apiacées (= Ombellifères)
Grand
traité
des
épices
34
Autre espèce consommée
Anethum sowa
L’espèce Anethum sowa, rencontrée et cultivée en
Inde et au Japon, n’est qu’une variante d’Anethum
graveolens, aux fruits plus longs et plus étroits,
dont l’odeur se rapproche de celle du cumin et à
l’huile essentielle légèrement différente. Certains
botanistes la considèrent comme synonyme
d’A. graveolens. Elle est utilisée comme épice à Java.
Crème à l’aneth
1 cc de graines d’aneth moulues
4 brins de ciboulette
25 cl de crème liquide
sel, poivre
• Ciseler finement la ciboulette. Ajouter les graines
d’aneth moulues et la ciboulette à la crème fraîche.
Mélanger. Saler, poivrer.
• Servir sur un saumon froid ou fumé.
Filets de sandre grillés à l’aneth
4 filets de sandre avec leur peau
2 oignons verts
2 cc de graines d’aneth
½ cc de zeste de citron jaune non traité
20 g de beurre
• Ciseler finement les oignons verts, moudre les
graines d’aneth et mélanger au zeste de citron.
• Badigeonner la peau des filets avec le beurre et
saupoudrer du mélange précédent le côté sans peau.
• Faire griller les filets côté peau à couvert.
Salade de pommes de terre
au yaourt et à l’aneth
400 g de pommes de terre cuites
2 yaourts nature
le zeste d’un demi-citron non traité
2 gousses d’ail
2 verts d’oignon nouveau
1 cc de graines d’aneth
1 cs d’huile d’olive
1 cc de vinaigre de vin
sel, poivre
• Mélanger les pommes de terre coupées en
morceaux, les tiges des oignons ciselées, l’ail émincé,
les graines d’aneth broyées, les yaourts, l’huile et le
vinaigre. Saler, poivrer.
fonctionnels digestifs et pour favoriser l’élimina-
tion rénale d’eau.
Riche en sels minéraux l’aneth peut remplacer le sel
dans un régime hyposodique.
• L’huile essentielle est fortement sédative. C’est
de là que vient son nom anglo-saxon, dill tiré du
norvégien dilla qui signifie « bercer ». Elle est
antiseptique contre certains germes de la sphère
digestive. Elle n’est délivrée que sur ordonnance
médicale.
Cuisine
La saveur chaude des graines, anisée, légèrement
piquante et mentholée, rappelle le carvi en plus doux.
• Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme
épice. Les graines sont surtout utilisées pour
aromatiser les cornichons au vinaigre, les pickles
ou tout simplement de l’huile ou du vinaigre, ou
encore les crèmes aigres. Elles peuvent remplacer les
feuilles dans la marinade du saumon cru scandinave
appelée gravlax. Ne jamais les faire cuire car elles
perdent arôme et saveur. Légèrement écrasées ou
pilées, elles aromatisent les terrines de poisson mais
aussi les hachis de viande, les pains, les pâtisseries,
les ragoûts, les feuilles de vigne et la choucroute. À
essayer sur des œufs brouillés. Elles sont aussi indis-
pensables dans la cuisine russe que dans la cuisine
nordique. On les retrouve ainsi dans des marinades
de poisson et elles apportent une note aromatique
aux crustacés, aux viandes, blanches notamment,
aux sauces et aux soupes. On saupoudre des graines
d’aneth sur des pains ou des gâteaux, des pommes
de terre, certains fromages ou enfin du jus de
tomate. Elles peuvent parfumer des confitures.
• Boissons. On peut en faire des infusions
calmantes à boire après les repas. L’aneth participe
au parfum de l’aquavit, alcool de pommes de terre
et de céréales suédois, avec d’autres apiacées (cumin,
carvi, anis et coriandre).
• Mélanges. Moulues, elles entrent dans la compo-
sition de certains currys.
• Autres parties de la plante consommées. Les
feuilles, récoltées avant la floraison, ou les fleurs
sont servies fraîches ou séchées dans de nombreux
mets, de poissons notamment.
Divers
Les graines servent à parfumer le linge dans les
armoires.
L’huile essentielle sert comme aromatisant dans
certaines préparations pharmaceutiques et en
parfumerie.
En infusion concentrée, c’est un durcisseur
d’ongles.
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  • 1. mireille gayet Grand traité des épices Préface d’Yves Coppens
  • 2. Illustrations aquarelles et plume de Mireille Gayet (Lyon) Crédits photographiques: Olivier Gaudant (Pantin) Épices support de l’illustration fournies par la maison Bahadourian à Lyon. www.lesureau.com © Éditions Le Sureau 2010 ISBN 978-2-911328-64-0 Aux termes du Code de la propriété intellectuelle, toute reproduction ou représentation, intégrale ou partielle de la présente publication, faite par quelque procédé que ce soit (reprographie, microfilmage, scannérisation, numérisation…) sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellec- tuelle. Toutefois, l’autorisation d’effectuer des reproductions par reprographie (photocopie, télécopie, copie papier réalisée par imprimante) peut être obtenue auprès du Centre Français d’exploitation du droit de Copie (CFC) - 20, rue des Grands-Augustins - 75006 Paris.
  • 3. mireille gayet Grand traité des épices Préface d’Yves Coppens
  • 4.
  • 5. 5 Sommaire Préface 7 De la définition des épices 10 Une longue histoire courtement racontée 12 Épices et médecine 17 Huiles essentielles 19 Oléorésines 20 Attention danger 20 Épices et cuisine 21 De l’usage des épices en cuisine 23 Conclusion 24 Cumin noir 89 Curcuma 90 Épine-vinette 93 Fenouil 97 Fenugrec 99 Galanga 102 Genièvre 107 Gingembre 110 Ginseng 113 Girofle 117 Grenade 119 Houblon 121 Laurier 122 Livèche 123 Mahaleb 127 Maniguette 129 Moutarde 132 Muscade, macis 137 Myrte 139 Nigelle 141 Pavot 143 Piment 147 Poivre 152 Poivre de Guinée 160 Poivre de la Jamaïque 162 Poivre des moines 164 Poivre du Sichuan 167 Poivre de Tasmanie 169 Poivre des murailles 171 Pourpier 172 Quinquina 173 Raifort 177 Réglisse 179 Roucou 181 Safran 182 Sésame 187 Sumac 189 Tamarin 191 Tonka 194 Vanille 197 Wasabi 199 Wu wei zi 200 Yuzu 202 Mélanges d’épices 207 › › Introduction 207 › › Baharat 207 › › Bezar 208 › › Berbere éthiopien 208 › › Colombo 208 › › Chili 209 › › Poudre de curry 209 › › Dukka 210 › › Kama 210 › › Houng-liu 211 › › Loubia 211 › › Masala 211 › › Massalé 213 › › Ras-el-hanout 213 › › Shichimi togaraschi 214 › › Tabil 214 › › Tex-mex 214 › › Zahtar 214 › › Zhug 214 Épices et boissons 217 › › Les bières 217 › › Les vins épicés 217 › › Les infusions 218 › › Les liqueurs 218 Les vinaigres 219 Le coin des gourmands 220 › › Les pains d’épice 220 › › Les spéculos 221 Acore 27 Ajowan 29 Amchoor 31 Aneth 33 Angélique 37 Anis vert 39 Ase fétide 42 Azaret 44 Badiane 47 Baies roses 49 Benoite 52 Boldo 54 Bourse-à-pasteur 57 Cacahuète 58 Cacao 59 Cannelle, Casse 61 Cardamome verte 67 Cardamome noire 70 Carotte 72 Carvi 73 Céleri 77 Cerfeuil musqué 79 Citronnelle 81 Coriandre 83 Cumin 87 Index des noms latins 222 Liste des noms vernaculaires 224 Tableau des épices présentées en fonction de leur famille 230
  • 7. 7 Préface Épices, quel mot superbe! Rien qu’à le prononcer, il pique (les anglophones le quali- fient d’ailleurs de hot) tandis qu’au même titre que les cocotiers (ou presque), il évoque les lointains exotiques et tropicaux (les hispanophones appellent les épice- ries, des ultramarinos). Tout cela n’est certes pas faux mais ce n’est tout de même qu’un aspect bien partiel d’un sujet immense et compliqué, sujet autant d’ici que d’ailleurs, riche d’une infi- nité de saveurs (en cuisine) et d’une infinité d’usages (en médecine, herboristerie, parfumerie, teinturerie, cosmétologie). L’auteure est scientifique et ça se ressent. De manière très ordonnée, elle circonscrit d’abord son sujet, en en écartant condiments, aromates et herbes aromatiques, puis elle le limite aux épices utilisées en cuisine, même si elles sont employées aussi dans d’autres fonctions et elle y prélève enfin soixante-dix cas qu’elle passera en revue par ordre alphabétique (en donnant la priorité au nom vernaculaire). C’est passionnant! Une généreuse mise en bouche historique fait apparaître à la fois la très grande ancienneté de la plupart des recettes tout en en soulignant les modes, voire les passions, et du même coup, les commerces, voire les trafics (j’y ai appris que «payer en espèces» venait de «payer en épices»). Et puis, c’est autour du morceau de bravoure de s’installer et de s’épanouir en un fichier savant alignant à chaque entrée, le nom vernaculaire, le nom latin et le nom de la famille de la plante étudiée, ses synonymes dans le domaine de l’épiciologie, la description botanique de la plante et sa description ethnobotanique (histoire, usages en médecine, en cuisine) et, pour terminer, comble de luxe, quelques recettes usant habilement et subtilement de l’épice susnommée. N’oublions pas l’icono- graphie, digne d’un herbier, et la bibliographie tant historique que botanique, tant gastronomique que médicale, digne d’une encyclopédie. Mireille, je vous ai connue collègue paléontologue, paléoichtyologue de renom; je vous retrouve collègue naturaliste, botaniste de talent, vraie taxinomiste obsédée de classement mais aussi collègue de sciences humaines, vraie humaniste tournée vers l’utilisation des plantes par l’Homme; votre livre, qui a la densité d’un traité sans en avoir la sécheresse, est une incroyable somme de savoir et de l’application de ce savoir, en dépit des dédales que vous nous faites découvrir, bien éloignés parfois de ce qui pique et vient de loin. Vous avez été, si je peux me permettre Mireille, cette épice qui a su faire de ce qui aurait pu n’être qu’un catalogue un monument d’informations savantes, sans limites ni dans le temps (l’histoire), ni dans l’espace (les cultures). Merci d’avoir eu l’idée de faire ce beau livre. Yves Coppens Membre de l’Institut
  • 8. Grand traité des épices 8 En guise de prolégomènes Encore un livre sur les épices direz-vous! C’est exact mais un livre qui se veut diffé- rent avec une approche autant botanique que médicinale et culinaire. Cet ouvrage se limitera précisément à un choix de 70 épices «véritables», laissant de côté aromates, herbes aromatiques et condiments. Il n’est pas strictement culi- naire même s’il est restreint aux épices utilisées en cuisine, même si leur utilisation est effectivement signalée en fonction des mets les plus appropriés et même si des recettes y sont décrites. Ce livre essaie d’approcher l’exhaustivité et comprend ainsi pour chacune des épices choisies: • une description botanique; • un historique rapide de sa découverte; • sa présentation en tant qu’épice; • ses vertus médicinales mais aussi ses pouvoirs toxiques, avec les découvertes empi- riques des Anciens, pour certaines confirmées aujourd’hui; • son utilisation en cuisine, historiquement et de nos jours, avec pour certaines une ou plusieurs recettes particulièrement appréciées de l’auteure; • son éventuelle entrée, parfois ancienne, en parfumerie et en cosmétique, son usage tinctorial ou autre; • les espèces reliées à l’espèce principale, bien ou peu connues de tous et uniquement à usage culinaire. Si chacun d’entre nous sait différencier sur les étals gingembre et cannelle, voire graines d’aneth et de fenouil, bien peu reconnaîtraient la plante dans sa totalité, sa fleur ou son fruit. C’est pourquoi nous avons voulu les représenter. Une riche illustration, où s’équilibrent dessins en noir et blanc et planches en couleurs, aqua- relles et photographies, montre l’ensemble de chacune des épices et permet ainsi au lecteur de ne pas confondre le carvi avec le cumin – ce qui n’est pas très grave en soi , ou la carotte sauvage avec la ciguë, toutes deux se côtoyant dans les champs – confu- sion qui s’avérerait plus embêtante… Quelques épices peuvent surprendre. Certaines d’entre elles, comme la bourse-à- pasteur, ne seront pas en vente sur les étals du marché (elles le seront en herboristerie pour infusions ou tisanes), mais elles ont connu leur heure de gloire au Moyen Âge ou même après et c’est pourquoi j’ai voulu vous en parler. Bien souvent d’ailleurs, elles reviennent doucement dans nos cuisines par la petite porte, celle des amoureux de la nature et des aliments simples, ou par la grande porte, utilisées par un grand chef. Enfin, après maintes réflexions j’ai choisi la présentation alphabétique des épices en fonction de leur nom vernaculaire, celui qui nous interpelle, tout en reconnais- sant qu’un regroupement par familles serait aussi très utile en raison des propriétés communes qui s’y rattachent (d’où le tableau en fin de livre et un index qui renvoie le lecteur à chaque citation de l’épice et de sa famille). J’ai essayé, tant que faire se peut, d’utiliser des mots compréhensibles par tous, mais cela n’est pas toujours facile en botanique. Une kyrielle de noms vernaculaires est rattachée à chaque épice, français bien sûr mais aussi étrangers. En proposer une liste exhaustive ne m’a pas paru très approprié et je me suis limitée aux noms français. Des exceptions se sont cependant révélées nécessaires –noms locaux exotiques mais aussi traductions anglaises – car les noms des épices vendues dans les boutiques chinoises sont indiqués sous forme de vidéo- grammes, ce qui n’est pas forcément explicite, et… en anglais.
  • 9. Cumin Carvi 9 Je tiens ici à remercier tous ceux qui m’ont aidée soit en me fournissant de simples renseignements, mais ô combien utiles, soit en m’apportant des épices. Je commen- cerai ainsi par l’enseigne Bahadourian, Saveurs et découvertes à Lyon1 , qui m’a procuré sans hésitation et généreusement toutes les épices nécessaires à l’iconogra- phie photographique réalisée par Olivier Gaudant, photographe indépendant mais aussi cuisinier dans l’âme, ce qui était nécessaire pour rendre la vie à ses graines, écorces ou rhizomes. Merci à cet herboriste du 2e arrondissement de Paris, Ormenis, qui nous a offert pour l’illustration une racine de ginseng, pas si évidente à trouver sur les étals parisiens. Parmi les donneurs de renseignements et par ordre alphabé- tique, je remercie, outre le photographe dont l’apport critique a été très important, Pierre Abi Saad, Viviane Andries, Arlette Armand, Renata Graulières, Jean- Claude Gayet, Jean-Louis Petit, Odile Poncy, Line de Smet et Jean Vannier. Un remerciement notable à Claude Babin qui, à domicile, a patiemment supporté le stress lié à la rédaction et à l’iconographie de ce livre mais en a aussi relu et vérifié, avec l’œil critique du naturaliste, tout le contenu. Bien sûr, une pensée particulière pour Yves Coppens, cet hédoniste amoureux de la nature et de la bonne chère, qui a accédé sans hésitation, malgré ses lourdes charges, à ma demande de rédaction d’une préface. 1 Place Djebraël Bahadourian, 20, rue Villeroy et Halles Paul Boccuse, 102 cours Lafayette, 69003 Lyon, contact.site@bahadourian.com
  • 10. Grand traité des épices 10 De la définition des épices Rares sont les livres dont le titre se limite au seul mot épices. Celui-ci est généralement associé, au même niveau de titre ou en sous-titre selon le cas, à aromates, à herbes aromatiques et/ou à condiments. Et quand on feuillette ceux qui titrent seulement Épices, on s’aperçoit très vite que le contenu parle autant d’épices que d’aromates, autant d’herbes aromatiques que de condiments… La raison en est simple: les défi- nitions de ces mots se croisent et s’entremêlent et les dictionnaires ne nous aident guère. Ainsi du Petit Robert édition 2002: • épice: «Substance d’origine végétale, aromatique ou piquante, servant à l’assai- sonnement des mets»; • aromate: «Substance végétale odoriférante»; • les herbes aromatiques «entrent dans l’assaisonnement de certains mets»; • condiment: «Substance de saveur forte destinée à relever le goût des aliments». L’Encyclopédie, le Larousse ou tout autre dictionnaire donneraient des résultats similaires. Et lorsque des propositions sont formulées, à la suite d’un ou deux noms bien caractéristiques dans la catégorie (poivre ou cannelle pour les épices, par exemple), se trouve un etc. ou des points de suspension, laissant le lecteur sur une réelle indécision. Fort de ces définitions qui aident peu, chacun a décidé de sa propre définition ou plus exactement de sa propre compréhension de ces quatre termes, aboutissant pour certains – hélas! pour certains seulement – à un consensus. Ainsi un condiment correspond généralement (mais cependant pas chez tous les auteurs) à une préparation à base d’épices, d’aromates, d’herbes, mais aussi de toute autre denrée alimentaire naturelle (légume) ou préparée (farine). Il peut aussi être minéral et simple comme le sel. Pour certains, le fait d’être apporté à table au moment du service a valeur de définition de condiment. Le poivre, épice par excellence, dans cette acception devient condiment et représente l’exception qui confirme la règle. Il y a donc une séparation claire entre un condiment constituant généralement une préparation et les trois autres termes limités… en principe, à du végétal. Certains aromates peuvent en fait être liés au règne animal. Ainsi du musc, du castoréum et de l’ambre gris, provenant respectivement de chevrotins mâles, de castors ou de cachalots. Il semblait dès lors facile d’admettre l’intégration de ces aromates uniquement dans des parfums ou des médicaments, sauf que les Anciens les utili- saient parfois en cuisine et qu’un jour ou l’autre ils y reviendront, si ce n’est déjà fait, sous la main d’un grand chef étoilé. Oublions ces trois cas de production animale et restons, par conséquent, dans le végétal. Les herbes aromatiques, comme le premier terme l’indique, correspondent à des petites plantes, le plus souvent utilisées fraîches, bien que cela ne soit pas obligatoire. Ainsi, thym et romarin peuvent être séchés. Cependant, personne ne parle d’herbes aromatiques pour des feuilles coriaces comme celles du laurier, pour une écorce comme la cannelle, pour des rhizomes comme le gingembre ou pour des graines. Les herbes aromatiques sont finalement assez bien définies. Des deux autres définitions du Petit Robert, il ressort que les épices semblent limi- tées à la cuisine, ce qui est évidemment faux. Les épices ont longtemps servi et servent encore en médecine et il peut en être tiré, tout comme des aromates, des huiles essentielles et des oligorésines utilisées en médication, en cosmétologie et en parfumerie. Reste peut-être l’histoire pour nous aider à comprendre ce qu’est une épice et à en limiter notre liste. Las, le terme épice forgé à partir du latin species définissait des
  • 11. 11 denrées variables dont le blé et le vin (on précisait species aromatica pour les épices et aromates), avant de s’intéresser à des produits exotiques, généralement rares et chers, dont faisait partie… le sucre, qui n’a rien d’aromatique. Le terme s’est même appliqué, au Moyen Âge, à des friandises, les «épices de chambre» (parfois des graines enrobées de sucre) servies en fin de repas. Le concept des épices était aussi flou dans des périodes plus reculées que de nos jours: species, spezeries, aromatas, droghes, condiments, erbes, ces termes incluent plantes aromatiques, sel et sucre mais aussi laque, coton, indigo… Il fut un temps aussi où les aromates indigènes comme le cumin, l’aneth et même le safran, ne possédant pas le prestige des produits exotiques, n’eurent pas le droit au label d’épices. Alors… Alors nous allons faire comme les autres auteurs, les cuisiniers, les marchands, nous allons donner une définition personnelle de l’épice à partir des textes officiels, trop vagues, tout en reconnaissant de notre part un choix subjectif mais justifié. Restons-en à la définition adoptée lors du Premier congrès international pour la répression des fraudes, à Genève en 1908. Épice: «Substance végétale, d’origine indigène ou exotique, aromatique ou d’une saveur chaude, piquante, employée pour rehausser le goût des aliments ou y ajouter les principes stimulants qui y sont contenus.» Cette définition est cependant trop restrictive puisque les épices ont conquis depuis fort longtemps pharmacopée et teinturerie, mais nous l’adopterons et ne seront donc présentes dans cet ouvrage que les seules épices utilisées en cuisine. Celles dont on retire les huiles essentielles uniquement à des fins pharmaceutiques ou cosmétiques n’y figureront pas. Ne seront pas non plus signalées les plantes aromatiques dont seules les feuilles, tiges ou fleurs, fraîches ou séchées, seront utilisées, sans aucune utilisation de leurs fruits, graines ou racines, qui sont donc considérées comme des herbes aromatiques (bourrache, hysope, thym…) ou des aromates (ail, échalote…). Les épices «vraies» peuvent provenir de différentes parties de la plante: écorce, fruits, graines, boutons floraux, rhizomes, racines et résine. Certaines plantes comme le fenouil et la coriandre (herbes aromatiques) ou la carotte (légume) sont cependant traitées ici comme des épices du fait de l’utilisation de leurs graines dont les goûts respectifs peuvent être, selon les cas, similaires ou différents. Laconnotationanciennequiappelaitépicescequiétaitexotiquen’estplus,etladéfini- tion de 1908 est exacte. Celles-ci peuvent être indigènes, c’est-à-dire de nos contrées (au sens large). S’il est vrai que les régions tropicales, à l’exception de l’Afrique, four- nissent grâce à leur climat des conditions idéales pour le développement d’épices, nombre de ces plantes sont originaires d’Europe, ou du moins y sont-elles actuelle- ment cultivées. Elles ne seront pas oubliées. Aujourd’hui, les plantes à épices poussent bien souvent dans des contrées qui n’ont plus rien à voir avec leur lieu d’origine. Le poivre, originaire de Malabar, finit par atteindre Zanzibar devenu le centre de production le plus important. Les Antilles sont riches en épices, pourtant la quasi-totalité d’entre elles viennent d’Asie. Inversement, le piment, si utilisé et cultivé en Asie, provient d’Amérique du Sud. Rappelons quelques termes dérivés du mot épice (Dictionnaire de la langue française, Alain Rey, 1992). Tout d’abord le terme épices qui a représenté des marchandises variées, puis une «substance aromatique et piquante d’origine végétale», une «drogue médicinale venant d’Orient», des friandises sucrées (dragées, confitures) servies en fin de repas, enfin une «taxe payable aux juges» avant de prendre «son» sens d’aujourd’hui, si difficile à définir, nous l’avons vu.
  • 12. Grand traité des épices 12 Le verbe épicer est attesté vers 1200 dans son sens moderne «d’assaisonner avec des épices». Il a également signifié «faire le commerce des épices» (xiiie siècle), «emmagasiner des épices» ou «fixer les frais d’un procès» (xive siècle). Épicière (1223) puis épicier (1241): «Celle ou celui qui faisait le commerce des épices et des drogues avant de devenir le vendeur de produits alimentaires.» Au figuré, épicier se dit de quelqu’un à l’esprit étroit. Épicé se trouve au figuré (1870) pour qualifier un prix exagéré, un langage «pimenté», un ton caustique ou des propos lestes. Épicerie désignait collectivement les épices, puis le lieu de vente et le commerce avant de prendre le sens moderne de produits alimentaires vendus par l’épicier. Rappelons-nous les « pots à épices » ou les « boîtes à épices » qui garnissaient les étagères de nos grands-mères ou de nos arrière-grands-mères jusqu’au milieu du xxe siècle et qui reviennent au goût du jour pour décorer nos cuisines. Le plus intéressant sur ces pots, parfois en métal mais le plus souvent en porcelaine, n’est pas leur décoration (fleurs ou dessins géométriques) mais les noms indiquant leur contenu. Sur les six récipients qui forment généralement l’ensemble – tous de la même taille (rarement) ou de taille croissante –, on trouve selon les séries, Farine, Café, Sel, Sucre, Thé, Poivre, Chicorée, Riz, Semoule, Pâtes, ou occasionnellement, Épices. On voit donc que, encore récemment, la définition de ce terme, dans nos cuisines, était loin d’être précise. Une longue histoire courtement racontée De la plus haute antiquité aux Romains Une très longue histoire qui débute probablement depuis que l’Homme est Homme, depuis qu’il a exploité plantes, animaux et minéraux de son environnement à des fins culinaires, médicales ou funéraires. Qui le premier eut l’idée d’utiliser une épice pour donner plus de saveur à son repas, pour se soigner ou pour honorer un dieu? Voilà bien une question à laquelle personne ne peut répondre. Les plus anciennes traces d’utilisation d’épice remontent au Néolithique, il y a 8000 ans au Moyen- Orient, 6 000 en Amérique latine où des piments étaient déjà utilisés, 5 000 en Europe. Graines de carvi, de pavot, de genièvre, de bourse-à-pasteur et de moutarde ont été retrouvées, soit dans des marmites de terre ou des fragments de pain attes- tant d’un intérêt culinaire, soit dans des jarres placées dans des tombes datées de l’âge de bronze (2000 à 800 avant J.-C.) en tant qu’offrande. À cette époque, en Scandinavie, une bière aromatisée au myrte et au genièvre sert à honorer les morts. Dans L’Épopée de Gilgamesh, on aurait servi des fromages épicés à ce héros semi- légendaire (a-t-il vraiment existé?) qui aurait vécu au iiie siècle avant notre ère et dont l’histoire a été racontée un millénaire plus tard. Des textes comme le Pen t’sao (apparu au xvie siècle seulement) font état de l’utilisation des épices depuis près de 3000 ans en Chine. Il est probable que les effets stupéfiants de certaines d’entre elles aient eu un fort impact dans cette pratique. Quelle épice chaude, piquante et parfois très parfumée n’a pas été considérée comme possédant des vertus aphro- disiaques, entre autres, et ce quels que soient le pays considéré, l’époque ou la civilisation? D’ailleurs, plus près de nous, Gandhi refusait le sel ainsi que les épices parce qu’elles réveillaient «les sens». Cette importance relationnelle s’est bien évidemment aussi adressée aux dieux et aux morts. Les Égyptiens, notamment, se sont servis des épices pour honorer les premiers, embaumer et momifier les seconds, qui devaient rester le plus possible à l’image de ce qu’ils avaient été en raison de la réincarnation de l’esprit dans le corps du défunt. Le rôle des épices est à ce titre
  • 13. 13 important dans la conservation des chairs, éliminant les parasites et interdisant particulièrement les moisissures. Les corps des pharaons sont ainsi oints pendant trente jours d’une huile de cèdre mélangée à de la myrrhe et de la cannelle. Le poivre éloigne les bactéries et l’on en découvrira des graines dans les narines de Ramsès II où elles auraient aussi joué un rôle d’étai pour éviter leur affaissement. Cumin et cannelle sont présents dans les bandelettes des momies. Toutes ces épices sont utilisées à l’intérieur des temples en fumigation pour lutter contre les maléfices et entrer en contact avec les divinités (à forte dose, leur rôle stupéfiant devait considé- rablement aider prêtres et participants). Très vite l’intérêt médical est connu. On se protège des insectes et des maladies par huiles et onguents, parfumés de préférence avec des épices dont le pouvoir antioxydant empêche ou retarde le rancissement. Vrai ou faux mais l’empirisme est là, les épices sont à la base de médications contre toutes les affections et maladies et, ce qui n’est pas le moindre, parfument l’haleine. Et bien sûr, on utilise ces épices en cuisine pour les mets solides et pour aromatiser les boissons. On imagine alors facilement la quantité d’épices nécessaires pour satis- faire les besoins de la population. D’où viennent-elles? Pas d’Égypte. De beaucoup plus loin, on les croit venir du «Pays de Pount» (maintenant côte de Somalie), à l’entrée de la mer Rouge où le commerce se fait avec les Arabes, ce qui vaudra, sous le règne des pharaons de la XIIe dynastie, une tentative avortée de creusement du canal de Suez. Et les Égyptiens ne sont pas les seuls à faire ce commerce. Les tablettes des scribes crétois, au troisième millénaire avant notre ère, font état de quanti- tés incroyables d’épices utilisées à Cnossos pour parfumer les vins. Les Phéniciens, navigateurs et marchands, organisent de grandes expéditions marines pour récupé- rer ces épices et maintiennent le monopole en Méditerranée à partir des villes de Tyr et de Sidon, au point que les épices sont alors appelées marchandises phéniciennes. Mais ce sont les Arabes qui en gardent le privilège et bloquent l’entrée de la mer Rouge. Ils se gardent bien de donner le lieu d’origine de ces épices. Ils les achètent à des marchands chinois ou javanais venant d’Inde ou ayant transité par l’Inde et ils font courir les histoires les plus folles sur les difficultés de leur récolte, légendes que voyageurs ou historiens comme Hérodote contribueront à propager. C’est aussi cet auteur qui nous contera les premières caravanes terrestres, périple de trois années qui conduisait jusqu’en Chine à partir des rives occidentales de la Méditerranée via le nord de l’Euphrate, le nord de la Perse, la vallée du Syr-Darya en Tadjikistan et le Turkestan oriental, ce qui deviendra la route de la soie. Les Chinois, il est vrai, étaient de grands utilisateurs d’épices. Confucius dans les Analects, entretiens entre maître et disciples, rédigé en fait par ses disciples, écrit qu’il «avait toujours du gingembre sur sa table», lequel «éclaire l’intelligence et dissipe toutes les impuretés». Et cette épice est loin d’être la seule utilisée par ce peuple. C’est à cette époque qu’Alexandre le Grand ouvre la voie des Indes. En 330, dans le palais de Darius III à Persépolis, il découvre, stupéfait, pas moins de 277 cuisiniers et de nombreux esclaves exclusivement préposés aux épices. Alexandrie et Byzance deviennent de nouveaux entrepôts. Les Grecs, avant les Romains, sont gagnés par la folie contagieuse de ces épices. Elles tiennent une place non négligeable dans les rites funéraires et en médecine, ce qui les lie à la cuisine. Les plats épicés vont ainsi exciter l’appétit ou faciliter la digestion et se mettre à soigner tous les maux. L’hygiène grecque n’est pas un mythe et les épices vont y concourir. Curieusement, les premiers textes grecs comme ceux d’Hérodote semblent limiter les épices à la cannelle et à la casse chinoise. Pourtant, à Babylone, on cultivait déjà la cardamome. Le poivre attendra pour être connu des Grecs le ive siècle avant notre ère et la parution d’Historia plantarum de Théophraste.
  • 14. Grand traité des épices 14 Les Romains vont devenir fous d’épices qui viennent de «l’Arabie heureuse» car ils ne commercent pas avec la Chine, faisant se lamenter Pline l’Ancien sur, notam- ment, les sommes faramineuses dépensées par les empereurs et les femmes. Celles-ci les utilisent en parfums, crèmes et onguents divers… tout comme leurs conjoints d’ailleurs. Quant à Néron, pour qui les rues de Rome furent recouvertes de safran lors de son arrivée au pouvoir, il n’hésite pas à réquisitionner le stock annuel de cannelle pour brûler le corps de sa femme, Poppée… qu’il vient de tuer. Plus économes, les autres Romains utiliseront cependant des épices lors des crémations, rendant l’air plus parfumé et plus respirable. Pline l’Ancien, dans son Histoire natu- relle, parle de botanique et un peu de médecine, et si Dioscoride présente les vertus médicinales des épices dans son De materia medica, en revanche Archestrate, au ive siècle avant notre ère, et Apicius, plus tard, parleront cuisine. Il est temps de trouver une route directe vers ce lieu de production des épices pour s’affranchir des Arabes. C’est un navigateur romain, Hippalus, qui va se servir de l’alternance des vents de mousson, partant au printemps de la mer Rouge vers l’Inde et revenant en automne. Grecs et Romains vont alors s’approvisionner directement sur place… un temps, jusqu’à l’effondrement de l’Empire romain au ve siècle. Les prix des épices remontent en flèche, si tant est qu’ils aient vraiment baissé. L’apport arabe Le viie siècle va être marqué par l’avènement de l’islam. Mahomet, de la tribu des Quraychites – maîtres du commerce en mer Rouge – et époux d’une riche veuve marchande d’épices, est bien placé dans ce monde quand il publie son ouvrage intitulé La médecine du prophète. La cuisine et la médecine arabe, au sens large incluant parfums et cosmétiques, font depuis longtemps la part belle aux épices. Les musulmans en font une grande consommation et c’est l’époque où la civilisa- tion arabo-musulmane va s’étendre sur tout l’Ancien Continent: Moyen-Orient, Maghreb, Espagne et sud de la France, puis Asie, Inde et Chine. Une seule langue et une seule religion vont leur permettre de prendre le contrôle de tout le commerce, de la Malaisie à la pointe occidentale de l’Europe. Les Arabes ne sont pas seulement maîtres du commerce mais règnent aussi sur tout ce qui est culture scientifique et littéraire. Ils ont une remarquable avance sur l’Oc- cident qui va, heureusement, passer outre les hostilités officielles pour s’ouvrir à eux et le commerce des épices va considérablement contribuer à ces échanges jusqu’à l’ar- rivée des Mongols qui vont affaiblir cette civilisation avec la destruction de Bagdad en 1258 et le massacre des élites intellectuelles et scientifiques. Pendant un temps, en Europe, les pratiques culinaires des Romains vont avoir tendance à disparaître. Elles reviendront. Le Moyen Âge en Europe Au début du Moyen Âge, les épices, très chères du fait de leur long voyage, sont réservées essentiellement aux monastères et à la royauté. En attendant, le seigneur qui côtoie le vilain – au sens plébéien du terme – et mange comme lui dans son château, grande ferme fortifiée, consomme les herbes aromatiques locales. En 780, sousl’influencedeCharlemagne,leCapitulairedeVillisdonnelalistedesoixanteplantes aromatiques qu’il faut cultiver. La consommation des épices va changer peu à peu. En Terre Sainte, les croisés ont rencontré le luxe des épices sur les tables arabes et ne vont pas l’oublier. La première croisade a lieu au xie siècle (1096 à 1099) et, après la prise de Jérusalem, le commerce des épices au Moyen-Orient revient en
  • 15. 15 Méditerranée quasi exclusivement aux Génois et aux Vénitiens, les Arabes conti- nuant à en assurer le transport jusqu’à Constantinople et Alexandrie. À partir des ports de Marseille ou d’Aigues-Mortes, les épices finissent sur les étals de grandes foires de Champagne ou de Flandres pour n’en citer que deux, mais leur prix ne diminue pas et seuls les fortunés peuvent s’en procurer, ce que rappelle bien l’adage « être cher comme poivre ». En raison de l’incertitude des marchés, les riches, vraiment riches, font des provisions de poivre. Guillaume, comte de Limoges, possédait chez lui «des tas énormes de poivre amoncelés sans prix, comme si c’eût été du gland pour les porcs» et l’officier qui gardait ce trésor le prenait à la pelle pour les besoins de la cuisine, nous raconte le chroniqueur Geoffroy, prieur du Vigeois. Le mot épice apparaît vers 1150 dans la langue française, dans Le Voyage de Charlemagne, à partir, nous l’avons dit, du mot species qui signifiait toutes sortes de denrées, denrées qui ne servaient pas qu’en médecine ou cuisine mais qui, vu leur prix, permettaient de payer des dettes, régler ses impôts, constituer une dot, acheter sa liberté pour un serf, ou «acheter» un magistrat (ce qui vaudra à ces derniers l’appellation de «épices de juges» et durera, officiellement, jusqu’à la Révolution). C’est du mot espices que viendra celui d’espèces que nous utilisons aujourd’hui sous la locution «payer en espèces». C’est à cette époque que se livre une guerre entre épiciers et apothicaires. Depuis une ordonnance de 1484, la profession des épiciers, par définition ceux qui vendent des épices, avait à son sommet les grossistes ou «pébriers soubeyrans» (poivriers souverains). Ils régentaient les épiciers ciergiers et les épiciers apothicaires, encore appelés épiciers-droguistes, qui possédaient le droit de vendre épices et plantes entrant dans la fabrication des drogues. En 1782, ils ont de plus le droit de vendre ce que l’on appelle «les grandes compositions foraines», des contrepoisons comme la thériaque pour n’en citer qu’une. La bataille fait rage entre ces deux professions réputées âpres au gain. «Ils vendent des poisons comme de la cannelle, de l’eau- forte et de l’huile, du fromage et de l’émétique, de l’eau-de-vie et des couleurs, du sucre et de l’arsenic, des confitures et du séné; ils ont des statuts homologués qui les mettent en concurrence avec les apothicaires. Quand ils confondent les drogues et les sels qui se ressemblent, tant pis pour l’art médical, tant pis surtout pour celui qui avale le paquet», écrit l’écrivain Sébastien Mercier en 1783 dans Tableau de Paris. La querelle durera jusqu’en 1777 avec la formation d’un collège de pharmacie et la séparation entre épiciers, qui vendront épices et condiments, et apothicaires, à qui est dévolue le commerce des drogues. Venise supplante Gênes, mais ce monopole vénitien ne va pas durer. C’est le temps des longs voyages et des grandes découvertes dans lesquelles la quête des épices a joué un rôle déterminant. Si Marco Polo, dans son Livre des merveilles du monde publié en 1295, décrit avec force détails, vrais mais aussi imaginaires, l’incroyable volume d’épices et leur commerce qu’il a pu observer, il laisse planer le mystère des lieux exacts. Il est pourtant l’un des premiers Européens à les connaître. «Il y croît maintes épices qui jamais ne furent vues dans notre pays», «il n’y a nulle de ces îles où il n’y ait […] beaucoup de sortes d’épices», «[…] il y a grande quantité d’épices précieuses qui ne viennent jamais jusque chez nous» raconte-t-il maintes fois.De quoi exciter les peuples occidentaux ! Pline l’Ancien avait bien essayé de mettre fin aux légendes fabuleuses et inquiétantes de la production des épices mais Jean de Joinville, sénéchal de Champagne, en perpétue encore certaines dans son récit intitulé Livre des saintes paroles et des bons faits de notre roi Louis, paru vers 1309. D’autres voyageurs, notamment portugais, habiles marins, vont rechercher une nouvelle route pour accéder à ces lieux mythiques. Ils vont «chercher des épices, faire des Chrétiens» comme le dit le prince du Portugal Henri le Navigateur, suivi
  • 16. Grand traité des épices 16 par Bartolomé Dias, le premier à atteindre, en 1487, le cap de Bonne-Espérance, et Vasco de Gama, qui le franchira onze ans plus tard et parviendra à la côte de Malabar où il fait provision de cannelle, muscade, gingembre et poivre, avant de revenir en héros à Lisbonne. La route des Indes est ouverte. Des comptoirs portu- gais viendront la jalonner, dont les célèbres Goa en Inde et Macao en Chine. À la même époque (1453), Constantinople tombe aux mains des Turcs et la route de la soie est sinon interdite aux chrétiens du moins ceux-ci sont-ils fortement «incités» à payer des taxes exorbitantes au passage. Une des conséquences sera l’acclimatation et la culture du safran en Espagne et en Provence. Pour ravir en mer et sur place le monopole des épices aux Arabes, les Portugais ne vont pas employer la diplomatie mais les grands moyens: mutilations, assassinats, incendies, destructions, histoire de les impressionner sur mer mais aussi d’impressionner les indigènes sur leurs terres. Une des conséquences sera une baisse importante du prix des épices, de près de 80%. Christophe Colomb, de son côté, claironne haut et fort qu’il a atteint les Indes occidentales par l’ouest et apporte des épices nouvelles des Antilles dont le piment, qu’il appelle «poivre rouge» et qui, nous le verrons, sera longtemps boudé par les Européens. Suite à la découverte du Brésil par le Portugais Pedro Álvarez Cabral, une bulle papale, signée en 1493 par le pape Alexandre vi et appelée Partage du monde, est censée séparer tant au niveau commercial qu’au niveau des conquêtes le Nouveau Monde mais aussi le monde tout court. L’Est – Afrique et Inde – est sous domination du Portugal et l’Ouest, nouvellement découvert, est sous domination de l’Espagne, ce qui laissait les Portugais maîtres des épices de l’Ancien Monde et les Espagnols maîtres de celles du Nouveau Monde (sauf le Brésil)… mais cela n’em- pêchera pas Magellan, en 1520, de dépasser le détroit… de Magellan et d’accoster deux ans plus tard aux Moluques, aux îles Banda et d’Amboine dont les arbres sont porteurs de clous de girofle et de noix de muscade, ouvrant la guerre «épicière» entre Portugais et Espagnols. C’était aussi sans compter avec les Hollandais. Du monopole à la désaffectation Plus astucieux, à la fin du xve siècle et en accord avec les Portugais, les Hollandais vont d’abord se faire passer pour de pacifiques marchands auprès des potentats locaux, excédés des exactions qu’ils subissent. À la suite de l’annexion du Portugal par la couronne espagnole et du fait des représailles politiques de la part du roi d’Espagne qui interdit à ses sujets, espagnols et portugais, tout commerce avec les Hollandais, ces derniers vont aller tout simplement s’approvisionner directement en épices sur leur lieu de production et non à Lisbonne comme ils le faisaient aupa- ravant. C’est la création, en 1602, de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, compagnie privée de marchands partageant bénéfices et risques du commerce des épices. Le ton sur place va vite changer et les manières pacifiques vont rapidement disparaître. Les Hollandais vont rationaliser le commerce de certaines épices, dont muscade et girofle, n’hésitant pas à limiter la production sur place en stérilisant les graines, en éliminant les plantations dans de nombreuses îles, en détruisant les excédents pour maintenir les prix, après en avoir contrôlé le coût par l’utilisation sur place d’une main-d’œuvre bon marché, taillable et corvéable à merci, qui devient esclave dans les plantations. Ils achètent également la totalité des feuilles des arbres, sachant qu’ensuite ceux-ci ne pourront que périr. À l’image de leurs prédécesseurs, on ne peut pas parler de diplomatie et tout le xviie siècle verra leur suprématie se maintenir au détriment des peuples indigènes et de leur environnement. En 1619, ils fondent Batavia (maintenant Djakarta), capitale des Indes néerlandaises. Pendant les deux siècles qui suivirent, les Compagnies des Indes orientales, hollandaise et
  • 17. 17 anglaise mais aussi française (créée en 1664 avec les deux comptoirs de Pondichéry et Chandernagor) furent les instruments d’un commerce lucratif. La guerre des épices fera rage sur mer et sur terre; les corsaires pour lesquels une cargaison de poivre valait son pesant d’or n’étaient pas en reste. Longtemps, la victoire des Hollandais fut indéniable… jusqu’en 1750, puis surtout 1798, deux dates clés dans leur chute. À cette première date, Pierre Poivre, un botaniste lyonnais au nom prédestiné (le mot poivre existait déjà), va réussir à dérober des plants de poivrier, de muscadier et de giroflier, lesquels seront plantés sur l’île de France (île Maurice) et sur l’île Bourbon (île de La Réunion). En réalité, les plants rapportés par Poivre ne parvien- dront pas à s’acclimater en raison de la malveillance du botaniste en chef de la colonie de l’île de France et responsable du Jardin d’essai dit des pamplemousses, Jean-Baptiste Fusée-Aublet. Il faut attendre 1767 et la nomination de Poivre à l’île de France pour qu’une expédition, confiée au capitaine Provost-d’Etchevery et à laquelle Poivre ne participe pas, se procure auprès d’un potentat local excédé du joug hollandais une pleine cargaison de muscadiers et de girofliers qui seront plan- tés avec succès cette fois aux îles de La Réunion et des Seychelles. Des graines seront également acclimatées en Guyane française. Il en est fini du monopole des précieuses épices, même si les acclimatations géogra- phiques, humaines et politiques ne se font pas sans mal. La seconde date correspond à la dissolution de la Compagnie hollandaise des Indes orientales suite à la conquête de certains comptoirs (Padang, Malacca, Cochin) par les Anglais qui s’installent durablement sur place. En 1825, le giroflier est introduit à Zanzibar qui devien- dra, trente ans plus tard, le troisième producteur mondial de clous de girofle. Les prix vont baisser en raison de la concurrence mais aussi en raison d’une certaine désaffection de la part des Européens. Leur substitution en médecine et en agroali- mentaire par des produits de synthèse, moins chers, change la donne. Le retour Au xixe siècle, la Food House est créée à Londres par Charles Henry Harrod ainsi que le Comptoir d’épices et des colonies à Paris, fondé par Ferdinand Hédiard. Il faudra attendre le début du xxe siècle pour voir les épices conditionnées en petits volumes pour la vente aux particuliers. Celles-ci sont en constante augmentation depuis cinquante ans et leur utilisation envahit littéralement tous les domaines (culinaire, médical, paramédical et cosmétologique), pour le meilleur et pour le pire. Épices et médecine Même si les épices se rencontrent, dans quelques textes anciens, dans des recettes de plats cuisinés, la motivation première de leur utilisation fut médicale. L’hygiène du corps est importante, du moins chez certains peuples et à certaines époques, et c’est pour se soigner que l’on ajoute herbes et épices, pour prévenir ou guérir et non pour le plaisir gustatif. En Europe, la médecine arabo-gréco-romaine encore admise au Moyen Âge est fondée sur la doctrine des quatre humeurs. Sang, flegme, bile noire et bile jaune répondent aux quatre éléments terre, eau, feu et air et sont définis en proportions variées par les qualités de froid, chaud, humide et sec. Excès ou défaut de ces humeurs expliquent toutes les maladies. Il suffit d’y remédier par apport de nourritures appropriées et les épices vont jouer ainsi un rôle primordial. Plutôt considérées comme «chaudes», elles seront recommandées pour une diges- tion plus facile des viandes, par exemple, considérées comme mets «froids». Les
  • 18. Grand traité des épices 18 graines d’anis constituaient ainsi avec le fenouil, le cumin et le carvi les «quatre semences chaudes majeures». Les épices jaunes seront dédiées bien souvent à la guérison des maladies du foie. En Inde, la médecine ayurvédique, mot qui en sans- krit signifie «science de la vie et de la longévité», proposera très vite des cocktails d’épices pour soigner les maladies «dues au vent», dont paludisme et rhumatismes, des côtes de Malabar. Cette fusion entre médecine et cuisine peut particulièrement s’observer en Inde avec l’Âyurveda basé sur les systèmes de pensée hindoue. Cet ancien traité sur la santé puise ses origines dans un recueil datant de 3000 avant notre ère, l’Atharvaveda. Il traite en fait de tous les aspects de la vie. Avec le vent, la bile et le phlegme, ce sont «trois humeurs» et non quatre, comme nous avons vu précédemment, qui régissent notre santé. Selon ses principes, tout déséquilibre physique doit être traité en premier lieu par l’alimentation, en se reposant sur six saveurs (sucré, salé, acide, piquant, amer et astringent) à visée thérapeutique précise. L’alimentation est végétarienne et les épices y jouent un rôle important soit en fonc- tion de leur nature refroidissante ou échauffante, soit comme antidote de certains éléments. Dans ce dernier cas, elles peuvent contrebalancer des effets négatifs d’ali- ments selon la constitution des individus. En Europe, les épices indigènes avaient les mêmes réputations de chaleur pour compenser la froideur de la plupart des aliments et, qu’elles soient indigènes ou exotiques, elles étaient par conséquent déconseillées à tous ceux qui étaient malades et fiévreux. Les ouvrages de médecine donnent ainsi des recettes pour « bien portants» avec épices et des recettes pour malades, dépourvues d’épices. Quoi qu’il en soit, les plus anciens ouvrages traitant d’épices sont avant tout des livres de médecine et, lorsqu’ils donnent franchement quelques recettes culinaires, celles-ci sont rapportées à des soins particuliers. C’est dans cet esprit qu’un médecin grec, Acron d’Agrigente, publie De la nourriture des gens bien portants et qu’Hip- pocrate recommande «que votre alimentation soit votre médecine». Il n’existe pas d’épice ancienne qui n’ait été tout d’abord utilisée comme médicament. Le papyrus d’Ebers (vers 1550 avant notre ère), qui comporte des passages reco- piés datant du troisième millénaire, est un des plus anciens traités médicaux connus et apporte plus de sept cents recettes de médicaments. Outre quelques ingrédients particuliers (excréments divers, substances d’origines animale et minérale), près de cinq cents plantes y sont répertoriées dont l’anis, le carvi, la cardamome, la moutarde, le fenugrec et le safran. Les anciens traités d’herboristerie, qu’ils soient chinois, assyriens, égyptiens, grecs ou romains, attestent des vertus médicinales des herbes, en général, des épices en ce qui nous concerne. À peu près toutes les maladies de l’époque peuvent être ainsi soignées, sans parler des protections contre morsures de serpents ou piqûres d’autres bêtes venimeuses. Cette utilisation médicale perdurera longtemps puisque au xviie siècle encore, des livres comme Le thrésor de santé paru en 1607 parlent du poivre en termes médici- naux. Notons cependant qu’au xive siècle, au contraire, Magninus de Milan, dans De saporibus, sépare nourriture et médications en prévenant de l’abus des sauces considérées comme médicamenteuses, «…car pour conserver la santé on doit s’abs- tenir de toutes choses médicales», et n’oublions pas que le livre De re coquinaria d’Apicius, paru au ive siècle, était destiné à la seule cuisine. En Europe, le rôle médi- cinal, à l’exception de quelques utilisations en médecine traditionnelle, disparaît avant de revenir sur le devant de la scène avec les études chimiques, les essences et les huiles essentielles. En Inde, Chine, Moyen-Orient et Afrique, la médecine tradi- tionnelle les utilisera plus longtemps et les utilise encore aujourd’hui. L’action principale des épices affecte la sphère digestive par stimulation des sécré- tions, ce qui se traduit par un effet actif sur la digestion, laquelle commence par la
  • 19. 19 phase céphalique liée à la vue des mets, leur odeur et leur saveur, phase dans laquelle les épices, leurs couleurs, leurs parfums et leur exotisme ne sont pas innocents. Nombre d’entre elles ont également un effet carminatif c’est-à-dire de réduction des flatulences, ce qui peut s’expliquer par leur effet de stimulation de sécrétions biliaires et donc une meilleure dégradation des aliments. Il est ainsi logique, à propos des épices, de lier médecine et cuisine. Il est aussi logique de lier médecine et cuisine quand le goût s’en mêle. Combien d’élixirs médicinaux à l’origine se sont transformés en apéritifs ou en liqueurs ! L’Élixir de Garus, qui eut son heure de gloire au xviie siècle, fut redéfini plus tard par Nicolas Lemery dans sa Pharmacopée universelle comme un «ratafia extrême- ment précieux, dont on fait aujourd’hui plus d’usage pour flatter la sensualité des personnes en bonne santé, que pour la guérison des malades». Il est aussi intéressant de noter que tous ces «remèdes» dits à base de gingembre, de safran, de cannelle ou de toute autre épice correspondent bien souvent à un mélange savant et fort complexe d’une kyrielle d’épices et d’herbes aromatiques. Laquelle a un effet positif? Huiles essentielles Pourquoi un chapitre particulier sur les huiles essentielles? Simplement parce que celles-ci semblent jouer un rôle de plus en plus important dans la vie quotidienne, en médecine, en cosmétologie et, plus récemment et qui nous intéresse dans le cadre de cet ouvrage, en cuisine. Les essences sont des produits sécrétés par des organes particuliers des plantes. Pour obtenir l’essence d’agrumes, par exemple, il suffit de gratter les zestes sous un courant d’eau. Aucune distillation n’est nécessaire. Au contraire, les huiles essentielles qui, comme ne l’indique pas leur nom, ne sont pas huileuses, sont uniquement compo- sées de molécules aromatiques volatiles obtenues par distillation par la vapeur d’eau de tout ou partie de la plante et sont responsables de l’odeur caractéristique de celle-ci. Nous ne détaillerons pas ici les molécules entrant dans la composition des huiles essentielles (plus de 3 000 constituants en ont été isolés) ni leurs propriétés médicinales. Aldéhydes, cétones, esters, éthers, mono- ou sesquiterpènes, mono- ou sesquiterphénols, phénols, autant de noms que vous retrouverez souvent au cours de vos lectures sur les épices ou les plantes en général, qui font très savant mais qui, soyons honnêtes, ne nous aident pas dans leur utilisation quotidienne. Les huiles essentielles que contiennent les épices, lipophiles, sont souvent spas- molytiques, ce qui facilite l’absorption au niveau intestinal. Anis, fenouil, carvi, badiane et cannelle possèdent ces vertus. Cette lipophilie se traduit également par des effets antimicrobiens plus ou moins prononcés. Enfin, comme pour bon nombre de substances végétales, leur pouvoir à élaborer des molécules capables de piéger les radicaux libres les rend antioxydantes et évite les processus inflam- matoires. Clou de girofle, curcuma, gingembre, macis, noix de muscade et piment sont particulièrement antioxydants. L’activation des sécrétions biliaires liée à l’ac- tion antiradicalaire se traduit également chez certaines épices comme le fenugrec, le gingembre, la moutarde, le safran ou le sésame, par des propriétés antihypercholes- térolémiantes, réduisant l’artériosclérose. Chez certaines d’entre elles ont été mis en évidence des effets progestatifs (clou de girofle, cumin, curcuma, fenouil, muscade) ou œstrogéniques (anis, cumin, fenouil, livèche). Enfin, des activités antiulcéreuses (par inhibition notamment de la bactérie stomacale Helicobacter pylori), hypoglycé-
  • 20. Grand traité des épices 20 miantes, diurétiques, analgésiques, antiasthmatiques, antidiarrhéiques ou sédatives ont pu être démontrées pour certaines (voir Plantes aromatiques d’Eberhard Teuschern, Robert Anton et Annelise Lobstein, éditions Tec Doc, 2005). Oléorésines Un mot sur les oléorésines, mélanges d’essences et de résines naturelles sécrétées par la plante, insolubles dans l’eau, entraînées pour certaines par action d’alcool avant évaporation de celle-ci. Employées essentiellement dans la fabrication des vernis, elles sont passées dans l’agroalimentaire en raison de leur fort parfum et plus récemment en cuisine. L’oléorésine de vanille se vend au même titre que son huile essentielle. Quant à celle du piment, elle intéresse surtout les services antiémeutes. Attention danger À dose «normale», les épices ne sont pas toxiques, mais très vite une surconsom- mation peut s’avérer dangereuse. Gastrites et ulcères dus à certaines d’entre elles, comme poivre ou curcuma, sont connus. Moins répertoriés sont les dangers sur des personnes allergiques ou fragilisées comme les femmes enceintes, les enfants, les personnes âgées ou malades. L’effet toxique des épices est bien étudié et nombre d’entre elles sont signalées comme étant abortives, ce que les Anciens connaissaient puisqu’ils l’utilisaient en ce sens. L’École de médecine de Salerme, à partir du ixe siècle, prévenait déjà, par exemple, de la toxicité de la noix de muscade («Une noix est profitable, deux nuisibles et trois mortelles»). Or, si personne ne s’amuse à avaler trois noix de muscade, tripler la dose indiquée d’une huile essentielle, de deux gouttes à six, ne paraît pas effrayant. Or, les huiles essentielles sont extrême- ment concentrées. À une époque où les gens se soignent en partie seuls, les surdoses deviennent de plus en plus fréquentes et peuvent provoquer de graves affections. Certaines de ces huiles présentent aussi un effet inverse à celui désiré en fonction de la posologie. Les molécules chimiques des épices ont un pouvoir sensibilisant qui peut générer des réactions d’hypersensibilités immédiates ou retardées. D’ailleurs les huiles essentielles sont pour la plupart interdites chez l’enfant et la femme enceinte. La science peut se faire déborder par le côté irrationnel et passionnel de certains consommateurs qui ne doivent pas oublier l’adage de Paracelse: «Tout est poison, rien n’est poison, c’est la dose qui compte.» L’emploi des huiles essentielles en cuisine apparaît de plus en plus souvent dans les recettes. Il est vrai qu’ajouter de l’huile essentielle de poivre apporte la saveur sans le piquant, ce qui peut éventuellement être apprécié par certains. Donner une saveur mexicaine à un mets, pourquoi pas, mais soyons honnêtes, cela enlève tout de même un certain charme au travail de cuisine, un peu comme faire des confitures en deux minutes trente avec une poudre achetée dans le commerce et versée sur les fruits, annulant l’odeur de confiture et les souvenirs d’enfance qui l’accompagnaient. Mais plus que jamais, attention aux quantités, aux mélanges qui ne s’apprécient pas, tant du point de vue de la santé que de celui du goût. Si vous utilisez ces huiles essen- tielles, attention au surdosage qui peut gâcher totalement un plat. Et attention enfin à la dangerosité des produits totalement déconseillés aux personnes fragiles. Ce qui est vrai en médecine l’est aussi en cuisine.
  • 21. 21 Épices et cuisine L’utilisation des épices en cuisine est probablement aussi vieille que le cuisinier. Nous avons vu que certaines d’entre elles ont été utilisées dès l’âge de bronze puisque retrouvées dans des fragments de pain et que des traces de culture et de cueillette de piment ont été repérées dans des sites archéologiques péruviens et mexicains vieux d’environ 6 000 ans mais, nous l’avons dit aussi, rien ne prouve que cet usage n’ait pas été uniquement à but médicinal. Mis à part quelques recettes, souvent à usage plus médical que gustatif, les premiers écrits de cuisine qui nous sont parvenus sont celui d’Archestrate et ceux d’Apicius. Archestrate, poète sicilien et grand voyageur féru de gastronomie, a écrit au ive siècle avant notre ère un livre intitulé, selon les historiens, Gastronomie d’Archestrate ou Gastrologie dont seuls quelques extraits nous sont parvenus, relatant ses découvertes et ses expériences gastronomiques lors de ses voyages. Apicius, gastronome et cuisi- nier romain, nous a décrit des recettes de sauces. Dans De re coquinaria, ouvrage paru quatre siècles plus tard et non limité aux écrits de ce cuisinier, ce dernier nous parle, pour les épices, de cumin, coriandre, livèche, ache et sumac. Columelle, au ier siècle, nous enseigne simplement dans son ouvrage d’agriculture De re rustica à confire les olives avec calamus, jonc odorant, cardamome, anis ou fenouil ou à préparer le vin cuit avec fenugrec, nard, costus, palmier, souchet, schœnum, myrrhe, cannelle, amome et safran. Les Romains aiment les plats parfumés. Les épices sont celles que nous connaissons aujourd’hui à l’exception du laser ou Silphium de Cyrénaïque, disparu car trop employé. Il faut attendre le vie siècle et les recettes du Grec Anthimus, ambassadeur du roi franc Thierry ier , dans son ouvrage De observa- tione ciborum, pour rencontrer pour la première fois le clou de girofle dans la cuisine occidentale, mais pour entendre aussi dénigrer le gingembre. L’auteur donne des recettes de cuisine pour se maintenir en bonne santé. Avant de parler des ouvrages culinaires du Moyen Âge en Occident, arrêtons-nous un instant sur le monde arabe au ixe siècle. Le premier ouvrage pratique et détaillé en langue arabe, le Livre de cuisine (Kitâb al-Tabîkh), est dû à un certain prince gastronome, Ibrâhîm ibn al-Mahdî. Épices et herbes aromatiques sont divisées en substances « aromatiques » (musc, ambre gris, eau de rose, safran, cannelle, galanga, clou de girofle, mastic, noix de muscade, macis et gingembre) et en subs- tances «piquantes» (poivre rond, poivre long, cumin, ache des montagnes, assa fœtida, thym et vinaigre) et l’harmonie doit régner entre elles. Au sel étaient ajoutés cumin, sumac, assa fœtida, graines de grenade ou sésame. Comme dans beaucoup de livres anciens, la quantité d’épices utilisées est à l’appréciation du cuisinier. En Occident, les premiers «vrais» ouvrages culinaires du Moyen Âge qui nous sont parvenus datent du xive siècle avec en particulier, vers 1300, le Viandier de Taillevent et, en 1392, Le Mesnagier de Paris que l’on doit à un bourgeois parisien anonyme, désireux d’éduquer sa jeune épouse. Le premier de ces livres donne la liste des «Espices appartenantes a ce présent viandier»: «Gingembre, cannelle, girofle, graine de paradis, poyvre long, mastic [résine de lentisque], garingal, noix de muscade, safran, fleur de cannelle, sucrée, agnis et pouldre fine.» Ce ne sont pas les seules épices utilisées à l’époque. Poivre rond, cumin, cubèbe, coriandre, carda- mome, citoal (zédoaire), santal et sumac apparaissent selon les écrits ou les listes de commerce. La particularité de la cuisine médiévale tient à l’utilisation non seule- ment d’une vingtaine d’épices mais aussi de mélanges multipliant les saveurs. À ce titre, le second livre «innove» en parlant de mélanges d’épices séchées qui lors de l’utilisation seront additionnés de verjus, d’huile ou de vinaigre. En fait, Apicius avait déjà parlé de mélange pilé d’épices qu’il appelait condimenta montaria.
  • 22. Grand traité des épices 22 Le poivre, qui entrait dans 80% des recettes d’Apicius, est dépassé au xive siècle par le gingembre. Le couple gingembre et cannelle, que l’on retrouve dans la sauce cameline, est de loin le plus fréquent, suivi par le safran, le clou de girofle et, spécialité française, la graine de paradis. Curieusement, si l’Italie est attirée par le safran, l’An- gleterre l’est par le poivre et les recettes piquantes. On aurait pensé le contraire. Si les épices ont tout de même un rôle de préservation des aliments du fait de leur pouvoir antioxydant, c’est pour leur apport gustatif qu’elles sont employées, non pour cacher le goût de mets avariés. À la fin du Moyen Âge, la consommation entre les épices les plus utilisées, appelées « grosses épices » – souvent celles connues depuis l’Antiquité – et les moins employées («menues épices») – les plus récemment apparues – varie selon les pays, les époques et les utilisateurs. Il est vrai aussi que cette utilisation d’épices exotiques est le fait d’une certaine aristocratie. Le «vilain» est censé se contenter des produits du jardin (ail, écha- lote). Plus on monte dans l’échelle sociale, plus on diversifie ses épices, surtout les plus rares et les plus coûteuses. Seul le poivre rond est considéré comme une épice commune, pour les pauvres (on se demande d’ailleurs comment ils pouvaient la payer), et se voit attitré aux mets considérés comme plébéiens (sang et viscères). La consommation des épices varie en fonction des fêtes (Noël, mariages, funérailles) et de l’alternance des jours gras et maigres où l’on mangera ou non des poissons. Saumons et anguilles, par exemple, sont enveloppés d’une sorte de gelée parfumée de girofle, de gingembre et d’autres herbes et servis sur les tables seigneuriales avec, pour les épices, gingembre, cannelle, poivre, girofle, graines de paradis, safran et noix de muscade. Enfin, la théorie des humeurs que nous avons citée au niveau médical engendre un intérêt différent selon les saisons. L’hiver devient ainsi une époque privilégiée pour la consommation d’épices qui réchauffent. La Renaissance n’est pas une rupture au point de vue culinaire avec le Moyen Âge. La transition sera douce. L’invention de l’imprimerie va assurer la diffusion des livres de cuisine, comme le Viandier et assurer le succès de leurs recettes. Les plats sont toujours très épicés et le sucre de canne fait une entrée en force dans des plats auparavant miellés. Néanmoins, l’influence de Marie de Médicis et, dans son sillage, de la cuisine italienne, ainsi que les nouveaux apports d’aliments d’Amé- rique du Sud vont doucement transformer les habitudes culinaires. Poivre long, macis, cardamome, graines de paradis et surtout safran perdent de leur superbe tandis que poivre rond, clous de girofle et muscade sont toujours appréciés et que cannelle et gingembre sont réservés aux plats sucrés. À partir du xviie siècle, on retourne à une valeur intrinsèque des aliments ou aux herbes du terroir, plus pour les pays du Sud que pour ceux du Nord qui restent plus fidèles aux épices. On passe d’un engouement extrême à un rejet. «Aimez-vous la muscade? on en a mis partout», écrit Nicolas Boileau dans Le repas ridicule, critiquant un petit-bourgeois qui, pour se faire valoir vis-à-vis de ses convives, a fait parfumer un repas entier avec l’une des épices les plus chères de l’époque. François Marin, maître d’hôtel chez le maréchal de Soubise, publie en 1739 les Dons de Comus ou les délices de la table, ouvrage de «nouvelle cuisine» dans lequel il condamne «l’excès d’épices dans les assaisonnements», excès considéré comme «l’écueil des médiocres». Antonin Carême parle déjà de « cuisine ancienne » épicée. Alexandre Dumas, dans son Grand dictionnaire de la cuisine paru en 1873, ne définit même pas les épices et l’on peut y chercher en vain ce que sont cardamome et gingembre.
  • 23. 23 Nous n’en sommes plus là. Les voyages, les brassages de peuples et de leurs cuisines ont apporté un renouveau des épices. Les épiciers d’antan sont chinois, indoné- siens, maghrébins, libanais, offrant sur place un choix de plus en plus important. Il ne s’agit pas seulement de restituer à l’identique une recette asiatique, les grands chefs innovent avec les épices, à partir de plantes ou légumes oubliés. Les épices sont simplement et positivement de retour dans notre cuisine. De l’usage des épices en cuisine Avant l’usage, il y a bien sûr le choix de l’épice ou plutôt de sa présentation. Doit-on l’acheter entière, en poudre, fraîche ou séchée? Les épices correspondent, selon les cas, à une partie d’écorce, des fruits, des graines, des boutons floraux, des rhizomes, des racines ou de la résine et leur présentation diffère. Elles peuvent être entières, concassées, broyées ou réduites en poudre. Il est nettement préférable de les acheter entières pour deux raisons bien simples. Tout d’abord, les éléments entiers, non incisés, gardent plus longtemps leur arôme et leur saveur, à condition toutefois de les conserver dans un récipient hermétique en verre ou en métal à l’abri de l’humidité et de la lumière. Ensuite, l’achat d’une épice entière réduit (il ne l’exclut pas totalement) la possibilité de fraude, facile avec la poudre qu’il vaut mieux éviter. En revanche la poudre est, dans certains cas, plus facile d’utilisation. Nous indiquerons pour chaque épice ses différentes présenta- tions à la vente et les dangers de falsification possibles. D’une manière générale et à quelques exceptions près, les épices sont vendues séchées. C’est d’ailleurs cette possibilité de conservation qui leur a valu un fort inté- rêt de la part des peuples nomades. Il est recommandé de les broyer au moment de l’emploi (avec un simple moulin à poivre) ou de les écraser au pilon dans un mortier. On ne hache pas les épices. La noix de muscade se râpe comme les rhizomes. Certaines épices (pavot, cumin) gagnent à être rapidement grillées à sec afin de libé- rer le maximum d’arôme. D’autres (safran, tamarin) doivent être mises à macérer quelques minutes dans un liquide avant emploi. L’utilisation des épices dépend de la nature de chacune. Les clous de girofle, par exemple, seront piqués dans un oignon pour pouvoir être facilement repérés en fin de cuisson et retirés avant le service. Accords et désaccords ne sont pas uniquement le fruit d’une longue expérience gastronomique mais ils sont aussi liés à des civilisations. Les Aztèques mettaient du piment dans leur cacao, piment bien vite remplacé par de la vanille ou de la cannelle selon les goûts espagnols, et, au Moyen-Orient, la première gorgée, piquante, d’un café à la cardamome laisse perplexe le voyageur occidental peu informé. Les goûts sont affaire de culture et d’éducation culinaire. Des enquêtes ont montré que dans des pays chauds (Éthiopie, Kenya, Grèce, Inde, Indonésie, Iran, Malaisie, Maroc, Nigeria, Thaïlande), on répertorie au moins une épice par recette, et généralement parmi les plus puissantes, leur donnant un pouvoir antibactérien plus fort, alors que dans des pays nordiques comme la Finlande et la Norvège, une recette sur trois n’en contient pas. Cette différence n’est pas fortuite. Les couleurs des plats ont de tout temps eu une importance, puisque la vue déve- loppe le plaisir gustatif. La couleur anticipe le goût. Au Moyen Âge, les mets et notamment les sauces étaient fortement colorés grâce aux épices et aux extraits naturels de plantes. Apprécier une viande, aussi délicieuse soit-elle, devenue verte par adjonction de pigment vert (totalement inodore et sans saveur) est sinon impos- sible du moins très difficile. Le safran a tout d’abord joué un rôle de colorant
  • 24. Grand traité des épices 24 en cuisine, apportant aux mets la couleur de l’or, secondé ensuite par le curcuma. Paprika et roucou sont recherchés pour leur couleur rouge autant que pour leur saveur. De nombreuses recettes demandent des mélanges d’épices qui peuvent être préparés individuellement ou achetés tout prêts… mais généralement en poudre. Nous vous donnerons en fin de volume des explications sur quelques mélanges classiques tout en sachant que sous un nom – le ras-el-hanout (épices pour couscous) par exemple – se cache une multitude de recettes aux ingrédients divers. Attention à l’excès d’épices différentes dans un même plat: ni trop, ni trop peu. Attention à l’intensité des saveurs, celle d’une épice pouvant totalement effacer l’autre. Attention aussi à certains mélanges qui peuvent donner un goût désastreux. Conclusion Avant de conclure ces généralités, il est aussi intéressant de rappeler que, de tout temps, les épices ont été l’objet d’une attention particulière en raison de leur pouvoir, supposé ou réel, aphrodisiaque. Rares sont celles – si tant est qu’il y en ait une – qui n’eurent pas leur temps de gloire basé sur cette vertu. Rares sont celles également dont la célébrité fut liée à leur vertu anaphrodisiaque et qui furent connues essentielllement dans les couvents et les monastères. Pourquoi ce besoin de voir en elles un pouvoir sexuel? L’image exotique qu’elles transportaient permettait très probablement à certains d’améliorer une vente basée sur un pouvoir que l’on savait ne pas exister sur l’épice ou l’herbe locale. Soyons honnêtes, l’Homme a de longue date, sinon toujours (certains de nos cousins primates comme les bonobos ne font pas exception) été fort intéressé par le sexe. Le traité d’érotologie du cheikh Nefzaoui, La Prairie parfumée pour la récréation de l’âme, publié en 1420, sauva ainsi la vie à son auteur grâce aux épices. On y trouve notamment une recette de gâteau destiné à remédier aux défaillances masculines dont celle du bey de Tunis de l’époque, demandeur de l’ouvrage, contenant entre autres gingembre, cannelle, muscade, cardamome, langues de moineaux, macis, poivre long, sans parler de vinaigre et d’hellébore. Certaines épices sont connues pour leur pouvoir excitant ou vasodilatateur et certaines recettes prêtent à sourire. Ainsi l’euphorbiacée, Richeria grandis, sauvage dans les montagnes antillaises, porte le nom vernaculaire significatif de « bois bandé». Son écorce séchée au soleil est depuis longtemps utilisée par les créoles des Caraïbes pour subvenir à certaines défaillances. Cette écorce est macérée à froid dans du rhum mais en compagnie d’autres épices dont le gingembre, la noix de kola, la muscade et la cannelle qui, toutes, sont aussi reconnues pour posséder ces mêmes vertus. Alors, le bois bandé joue-t-il un rôle dans le processus ? Rien n’est moins certain, aucune étude scientifique ne venant appuyer ces dires… et les effets secon- daires sont, hélas, encore mal connus. Aphrodisiaques ou non, les épices restent des joyaux appréciés dans l’art culi- naire. Le plaisir gourmand de celui qui cuisine est à la fois sensuel et esthétique, les couleurs si importantes à nos yeux précédant le plaisir gustatif, et les épices sont là pour conduire à un paradis de couleurs, de parfums et de saveurs. Connaissance intrinsèque de l’épice, mais aussi de la plante qui l’a fournie, choix basé sur cette connaissance mais aussi sur celle du plat dans lequel elle va être intro- duite pour le transformer à nos yeux, nos narines et nos papilles en un mets de rêve, tel est l’objectif de cet ouvrage.
  • 25.
  • 26.
  • 27. 27 racines. L’acore fait partie des plantes aromatiques que Moïse doit se procurer pour préparer l’huile d’onction. Il est associé au safran, à la myrrhe, au genièvre et à la cardamome au sein du kyphi, parfum de l’Égypte ancienne que les archéologues disent avoir retrouvé dans la tombe de Toutankhamon. Il est d’ailleurs appelé «roseau sacré». Son utilisation est citée par les Romains et les Grecs tant en cuisine qu’en médecine. Les péripatéti- ciennes romaines s’en parfument en raison de son puissant attrait sexuel. Il est considéré comme un des composants de la thériaque de la pharmacopée maritime occidentale du xviiie siècle mais on parle alors de schœnanthe, ce qui pourrait correspondre à l’Andropogon. Dans l’Antiquité, les tiges d’acore servaient de stylets pour écrire sur des tablettes de cire. On les appelait calames. C’est de calamus que l’on doit l’expression lapsus calami. Parties utilisées Rhizome essentiellement. On le mange confit ou on le fait sécher à l’air libre sans l’éplucher puisque l’huile essentielle est localisée dans son écorce. Jeunes feuilles. Médecine Les Tartares purifiaient leur eau par macération d’une racine sèche. L’acore était réputé pour les yeux, usage déconseillé de nos jours en raison de la présence de bêta-asarone chez certaines variétés. L’huile essentielle de l’acore, située dans l’écorce du rhizome, distillée à la vapeur d’eau, est utili- sée dans le traitement des infections respiratoires et dans des cas d’insuffisance hépato-biliaire. En Europe, ses vertus stomachiques le font utiliser en phytothérapie, ouvrant l’appétit en infusion avant les repas, facilitant la digestion si consommée après. Il est considéré également comme antiseptique et tonifiant. Son utilisation médicale est très importante en Asie du fait de sa réputation d’aphrodisiaque, Jonc odorant, acore aromatique, acore vrai, canne aromatique, roseau aromatique, calamus aromatique. Sweet flag en anglais. Le terme jonc odorant recouvre en fait deux espèces: l’acore vrai et la graminée Andropogon schœnanthus d’où parfois le nom vernaculaire de schœnante qui lui est donné. L’acore est souvent pris pour une graminée ou confondu, avant floraison seulement, avec le lis des marais à fleurs jaunes (Iris pseudoa- corus). La citronnelle, Cymbopogon citratus, est souvent appelée jonc odorant ou l’inverse par les médias. Rappelons qu’il s’agit d’une graminée. Description Planteherbacée,vivace,aquatique,pouvantatteindre plus d’un mètre de hauteur. Rhizome rampant de la grosseur d’un doigt, très aromatique, compor- tant des nœuds d’où partent des racines fibreuses en grand nombre. Tige droite. Feuilles longues, li- néaires, à nervures parallèles, caduques, fortement ridées à leur partie inférieure et au bord légèrement ondulé, attachées par un pétiole non différencié. Inflorescence en épis composés de fleurs minuscules jaune verdâtre, à 6 sépales, serrées les unes contre les autres en un spadice de 5 à 10 cm de long, droit et dressé, entouré d’une bractée ou spathe, semblable à ceux des arums mais de section triangulaire (ce qui la distingue des iris toxiques), apparaissant de mai à août. Dans nos régions, se trouve dans des roselières où, stériles, les plantes se multiplient par division des touffes. Subspontanée actuellement dans tout l’hémisphère nord. Histoire Originaire d’Inde ou du moins d’Asie, cette plante cultivée dans ces régions depuis dix mille ans semble avoir été importée en Europe au xiiie siècle par les Tartares pour ses propriétés pharmaceu- tiques et odoriférantes. Dans son Traité médical, en 3700 environ avant notre ère, l’empereur chinois Shen Nong donne à l’acore le nom de «prolonga- teur de vie» et vante les vertus stomachiques de ses Acore ❧ ❧ Acorus calamus ❧ ❧ Aracées
  • 28. Grand traité des épices 28 Divers L’acore était utilisé comme insecticide et parti- culièrement comme antimite. Feuilles et rhizomes étaient jadis séchés et réduits en poudre pour chas- ser les fourmis. Ses propriétés insecticides sont reconnues et, en Afrique, son huile essentielle est toujours utilisée pour protéger maïs ou manioc des attaques du coléoptère dit grand capucin. L’huile essentielle entrait dans la composition de poudre comme celle dite « à la Maréchale » que l’on doit à la maréchale d’Aumont. Notons cepen- dant que les recettes de ce parfum citeront à sa base soit le Calamus aromaticus (J.J. Machet, Le Confiseur moderne, 1803), soit l’iris (C.F. Bertrand, Le parfumeur impérial, 1809), preuve de la confu- sion probable, déjà citée, entre ces deux plantes. L’acore est utilisé de nos jours en parfumerie et en cosmétologie, dans des lotions toniques, purifiantes pour la peau ou dans des dentifrices. Un bain aux rhizomes aurait un effet calmant. Contrairement à ce que l’on peut parfois lire, ce ne sont pas les feuilles de l’Acorus calamus qui entou- rent le fromage livarot, ces cinq laîches qui lui valent le surnom de Colonel avec ses cinq galons, mais les feuilles de Typha latifolia, autrement dit la massette. De même, la jonchée de Poitou-Charentes repose sur un lit de jonc, le Juncus effusus, et non sur du jonc odorant. Autres espèces consommées Acorus gramineus Acore graminé, Shi shang pu. L’Acorus gramineus est une plante vivace semi- persistante aux feuilles linéaires panachées vert pâle et crème, en éventail sur deux rangs. Elle est connue en Asie. L’usage plus médical que culinaire est semblable à celui de l’acore vrai. Sauce à l’acore 10 g de rhizome d’acore 3 gousses d’ail 1 échalote 1 cc de curcuma en poudre 2 cs d’huile d’olive • Râper le rhizome. Ajouter l’échalote, les gousses d’ail émincées et le curcuma. • Mélanger avec l’huile. • Servir sur des canapés à l’apéritif ou avec un tartare de poisson. de diurétique, d’emménagogue et de vermifuge. En médecine hindoue – l’Âyurveda – l’acore est considéré comme une plante régénérant le système nerveux. Au Canada, les rhizomes de la «belle-angélique», comme est appelé l’acore, servent de chiques aux Indiens pour leurs effets stimulants. Ils ont l’avan- tage de rafraîchir l’haleine. • Attention. Si la partie interne des jeunes pousses est comestible, à dose trop élevée, le rhizome est vomi- tif et peut provoquer des hallucinations visuelles. Cuisine Les feuilles de l’acore, à odeur de mandarine, piquent agréablement la langue. Le rhizome est odorant, à saveur chaude et piquante, secondairement âcre et amer. L’odeur est pénétrante. • Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme épice. Pline l’Ancien en ajoute au vin. Au xviie siècle, l’acore faisait partie de la recette du vinaigre des quatre voleurs (voir p.219). Son utilisation est sensiblement identique à celle du gingembre. Ce rhizome blanc rosé, une fois séché, parfume ainsi des compotes de pommes ou de poires, des mets sucrés, mais peut aussi aromatiser potages et légumes. • Boissons. L’acore entre dans la composition de plusieurs liqueurs comme, entre autres, le Kalmus (nom allemand de l’acore), la bénédictine, la char- treuse, le génépi, le marasquin ou la fameuse liqueur de Dantzig qui est un kummel (liqueur blanche à l’anis et au cumin) dans laquelle ont été ajoutés des débris de feuilles d’or (voir p. 218). Dans certains pays, il parfume la bière. Au Maroc, on en fait une délicieuse boisson rafraîchissante. • Utilisation d’autres parties de la plante. Les jeunes pousses se consomment en salade. • Attention. L’acore a la réputation d’être cancéro- gène et, de ce fait, la plante est interdite en Amérique du Nord. En fait, il existe quatre caryotypes d’Aco- rus calamus répartis en Amérique du Nord, en Europe, en Asie du Sud-Est (Inde et Japon) et au Cachemire dont l’huile essentielle contient une quantité différente de bêta-asarone incriminé qui va respectivement de 0% (variété nord-américaine) à 96% (variété indienne). L’industrie alimentaire utilise en Europe l’extrait d’hydrosol alcoolique (et non l’huile essentielle entraînée à la vapeur d’eau) qui ne renferme que très peu de bêta-asarone.
  • 29. 29 i­ncurvées semblables par leur taille et leur forme à des graines de céleri ou de cumin miniature, ou en- core de persil, brun rougeâtre ou brun foncé, avec 5 côtes longitudinales peu proéminentes mais plus claires et une surface légèrement rugueuse. Histoire L’ajowan semble originaire de l’est de la Méditer- ranée. Cette plante est cultivée de nos jours en Inde, Iran, Pakistan, Afghanistan et Égypte. Elle était utilisée dans l’Égypte des pharaons contre les douleurs néphrétiques. Un désaccord subsiste sur le fait que l’ajowan ait été listé dans le Capitulaire de Villis en 780 sous le nom de lovage, ce qui est peu probable, une tentative d’introduction en Europe centrale au xvie siècle a d’ailleurs échoué en raison de conditions climatiques défavorables. Avant et pendant la Première Guerre mondiale, une quanti- té importante de graines d’ajowan furent importées en Europe pour être distillées aux fins d’obtention de thymol (elle était la source principale de thymol au monde jusqu’à la réalisation du thymol synthé- tique). Ce n’est pas une épice très courante de nos jours. Parties utilisées Fruits (graines) récoltés peu avant leur maturation, dits desi pour ceux de grande taille, ou nadiad pour les plus petits. Tige. Poudre. Huile essentielle. Oléorésine. Les fruits sont récoltés peu avant maturation et séchés. La poudre est brun jaune. L’huile essentielle, incolore, peut jaunir et foncer très rapidement. Amni de l’Inde, amni égyptien, amni de Candie, thym des Indes. Falsely lovage seeds en anglais. Les noms Amni copticum, Carum copticum, Carum ajowan ou Trachyspermum amni sont des syno- nymes juniors et ne doivent plus être employés. Cette plante est sans rapport avec Amni majus, inodore, de nos contrées, et Amni visnaga, cultivée en Égypte et au Maghreb ; on n’utilise ces deux plantes (par leurs graines) que dans un but médical, et pour en faire des cure-dents (par les tiges) pour la seconde. On le trouve aussi sous le nom hindi d’ajmud qui est celui de l’ache des marais, nommé lovage en Inde. Description Petite plante herbacée annuelle originaire d’Inde, pouvant atteindre au maximum un mètre de hau- teur. Tiges dressées, glabres ou parfois légèrement pubescentes. Feuilles duveteuses, peu nombreuses, très divisées, aux derniers segments filiformes. Une vingtaine de fleurs blanches disposées en ombelles à l’extrémité de pédicelles inégaux. Fruits diakènes ovoïdes, élargis à la base, striés, de couleur gris vert à marron rouge plus ou moins foncé, portant à leur sommet de larges et courts stylopodes. Graines Ajowan ❧ ❧ Trachyspermum copticum ❧ ❧ Apiacées (= Ombellifères)
  • 30. Grand traité des épices 30 • Boissons. En Éthiopie, outre le pain qu’elles aromatisent, les graines d’ajowan servent à la prépa- ration de boissons alcoolisées. • Autres parties de la plante consommées. Les Indiens mangent également les tiges à la manière des tiges de céleri. • Mélanges. On les retrouve dans des mélanges d’épices comme le chat masala, certains currys, le mélange siwak ou le panch phoron de la cuisine bengalie. En Europe, c’est dans le mélange Bombay (version piquante des graines d’anis) que les graines d’ajowan interviennent. Divers L’huile essentielle tirée des graines est utilisée non seulement en médecine mais aussi en parfumerie (dentifrice). Les fruits servent d’engrais ou d’aliment en pisciculture. Autres espèces consommées Trachyspermum roxburghianum Appelée aussi maraka (confondue dans la littéra- ture ancienne avec l’ajmud). Petite plante annuelle ou bisannuelle, ressemblant au persil, cultivée en Asie, consommée pour ses fruits et ses feuilles. Elle participe à plusieurs mélanges d’épices. Médecine Mâchées, les graines soulagent les maux d’estomac, les coliques, les flatulences et, en raison de leur saveur piquante, favorisent la digestion en stimu- lant les sécrétions salivaires, gastriques et biliaires. Elles engourdissent légèrement les gencives et la langue. En externe, en cataplasme, elles peuvent soigner les rhumatismes et l’asthme car elles contiennent un antispasmodique. L’huile essentielle est fortement épicée et amère, ce qui est dû au thymol qu’elle contient. Elle est effi- cace contre certaines infections bactériennes et est utilisée dans les bains de bouche. En médecine indienne, l’épice est reconnue médi- calement sous le seul nom de Trachyspermum et utilisée comme remède de la sphère digestive. • Attention. Pure, l’huile essentielle peut être caus- tique pour la peau. Cuisine Entières, les graines ont peu de parfum; écrasées elles dégagent une odeur chaude, amère, piquante, anisée, mâtinée de thym ou d’origan mais en moins subtil. Saveur piquante et brûlante. • Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme épice. On utilise les fruits frais ou secs. Cette finesse autorise son utilisation sur des poissons ou des coquillages. Les graines sont à saupoudrer, légèrement écrasées ou moulues, sur une salade de fruits frais. Appelées ajwain en Inde, elles sont utilisées en pâtis- serie (pakora, paratha ou paans, mélanges digestifs de noix et d’épices), s’enrobent de sucre coloré ou participentàlacuisinevégétarienne(ompadi,boondi, sov et nambin) où, combinées avec du piment et de la coriandre fraîche, elles sont source de protéines. Elles évitent les ballonnements dus à la consomma- tion de féculents. Elles aromatisent des pains et des pâtes à beignets et se marient bien avec ail et cumin. Mélangées à du gingembre et du sel, elles sont la base d’un chutney. En Europe, on les retrouve, pour les mêmes raisons qu’en Inde, dans les plats de légumes secs. Elles aromatisent les marinades de poisson et certaines pâtisseries, partout où le thym est employé mais en quantité moindre que celui-ci. On les retrouve dans les pickles. Carottes à l’ajowan 1 kg de carottes 2 échalotes 1 cc de cumin en poudre 1 cc de graines d’ajowan huile d’olive sel • Peler les carottes et les couper en fines rondelles. • Émincer les échalotes. Les faire revenir à feu doux dans un peu d’huile d’olive. • Ajouter les carottes, un verre d’eau et les épices. Saler. • Faire cuire jusqu’à parfaite cuisson des carottes (environ 20 min). • Servir telles quelles ou écrasées à la fourchette. • Accompagne un poisson comme le Saint-Pierre.
  • 31. 31 nuances allant du vert au rouge en passant par le jaune et l’orange. Noyau à graine unique de grande taille. Histoire L’histoire raconte que Boudhha aurait médité dans unvergerdemanguiersoffertparunecourtisane.Le botaniste français Augustin Pyramus de Candolle estimait sa culture à 4 000 ans. Originaire d’Asie méridionale, Inde et Birmanie, il se répand dans les pays voisins par l’intermédiaire des commerçants, des navigateurs et des missionnaires bouddhistes. Au ve siècle avant notre ère, on retrouve cet arbre en Malaisie et dans tout l’Extrême-Orient. Alexandre le Grand en aurait vu en 377 avant notre ère. Au xe siècle, le manguier est introduit en Afrique par les Arabes. La première mention européenne serait due au missionnaire français, évêque au Kerala, et la première description de la plante apparaît au xve siècle sous la plume du voyageur et auteur véni- tien Jordanus Catalani qui raconte l’avoir goûtée à Amchur, mangue séchée, poudre de mangue verte. Mango tree en anglais. Description Arbre, manguier, de grande taille (une quarantaine de mètres de hauteur), à port étalé. Écorce lisse, gris foncé à noire. Feuilles persistantes, alternes de forme oblongue, lancéolées à elliptiques, de grande taille (une trentaine de centimètres), au bord parfois ondulé, vert foncé, disposées en rosettes à l’extrémité des rameaux. Fleurs petites (6 mm de diamètre), jaunes ou rouges, à 5 pétales, très nombreuses (plusieurs milliers), regroupées en grappes terminales, mâles ou hermaphrodites. Fruits charnus, pédonculés, dissymétriques, de formes diverses, oblongs, réniformes, elliptiques, ovoïdes, cordiformes ou aplatis et de taille variable selon les variétés, allant de 500 g à 2,5 kg. Apex comportant un bec plus ou moins marqué. Peau verte devenant, selon les variétés, jaune orangé, puis rouge ou rouge violacé. Chair à nombreuses Amchoor ❧ ❧ Mangifera indica ❧ ❧ Anacardiacées
  • 32. Grand traité des épices 32 La poudre de mangue sauvage peut être obtenue à partir de l’amande récoltée sur des fruits mûrs. Au Cameroun, ces amandes, bien séchées, grillées avec un peu d’huile et pilées à chaud dans un mortier, forment une pâte de couleur de marrons confits. Ce gâteau, appelé aussi boule ou Bitsim en langue ewondo, peut être à la base d’huile de mangue sauvage par chauffage adéquat, ou de poudre par râpage à l’aide d’un couteau. Cette poudre est surtout utilisée en Inde, en cuisine végétarienne dans des ragoûts de légumes ou des soupes, des courts-bouillons, des salades et des chutneys. Elle convient aux plats pour lesquels on veut ajouter une touche d’acidité sans ajouter de liquide (jus de citron, vinaigre ou tamarin). Elle est délicieuse avec les volailles (saupoudrée avant cuis- son), les poissons crus et les tartares. Mélangée à un curry, elle donne une note exotique à un flan vanillé ou à une crème au chocolat. Elle est très utilisée dans les marinades en raison de ses propriétés à attendrir la viande. • Mélanges. Elle entre dans le célèbre mélange chat masala côtoyant ajowan, piment de Cayenne, gingembre, menthe, cumin et graines de grenade. Divers L’huile essentielle extraite de l’amande de mangue sauvageestutiliséeenparfumerie(savons,parfums). C’est avec les feuilles de manguier que certains Indiens bengalis fabriquaient de la teinture jaune. Ils nourrissaient le bétail avec des feuilles, en petite quantité car toxiques, puis récoltaient l’urine, jaune, des animaux. Cette histoire ou légende serait un cas isolé et non une coutume. La forme du fruit est la base du motif cachemire. Caviar d’aubergine à l’amchoor 1 aubergine 1 cs d’amchoor en poudre 1 cs de lebné sel • Mettre l’aubergine au four à 180° (th 6) pendant 30 min environ en la retournant à mi-cuisson. • L’ouvrir et retirer la chair que l’on égouttera un moment si nécessaire. • Hacher grossièrement la chair. • Ajouter le lebné et l’amchoor. Saler. • À déguster froid, sur toasts ou dans des verrines. Malabar. Il existe toujours à l’état sauvage dans ses pays d’origine. Le manguier fut introduit au xvie siècle en Amérique du Sud (au Brésil) par les Portugais. Il est depuis longtemps cultivé dans les pays tropi- caux pour son fruit. L’empereur mongol Akbar le Grand (1556-1605) en avait ordonné la plantation de 100 000 pieds. Parties utilisées Poudre de mangue verte et amande séchée. Fruits. Feuilles. Bois. Médecine Mangues fraîches, tranches de mangues séchées ou poudre sont utilisées depuis longtemps pour préve- nir le scorbut. Ses feuilles sont reconnues en Afrique comme renfermant des propriétés antiseptiques et antioxydantes. La mangue aide à la restructuration et à l’élasticité de la peau et peut être utilisée en masque de beauté. • Attention. La peau de la mangue contient des oléorésines, sécrétions naturelles qui peuvent provoquer des dermatites allergiques de contact. Cuisine Saveur aigrelette malgré son sucre, citronnée avec une note de résine et rafraîchissante. Goût de pêche et de fleur selon la variété. Fragrance de miel. Odeur téré- benthinée (fruits et feuilles), surtout chez les mangots (mangues africaines un peu fibreuses). • Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme épice. Si la consommation du fruit frais est bien connue, celle de la mangue séchée, l’amchoor qui est une poudre de mangue verte sauvage, l’est moins. La chair est coupée en fines lamelles mises à sécher au soleil, saupoudrées ou non de curcuma pour lui donner une teinte plus jaune, puis pulvé- risées. Très finement granulée, elle peut présenter une très légère texture fibreuse. Certains puristes diront qu’il ne faut pas faire cuire l’amchoor et s’en servir uniquement comme condiment. Il faut ache- ter la poudre de mangue en petite quantité car sa saveur se perd en une année. Les tranches séchées apportent une saveur épicée aux mets tandis que la poudre apporte de l’acidité. Cette poudre peut également se faire à partir de la pulpe de fruits mûrs par concentration par le froid. Elle est alors mise en boîte sous azote.
  • 33. 33 repas des gladiateurs. Le Capitulaire de Villis, rédigé sous la férule de Charlemagne, conseille sa culture. Son usage apparaît en Angleterre vers le xe ou xie siècle et si, selon Hildegarde de Bingen, la vue de cette plante rendait certains tristes, il ne pouvait que s’agir d’hommes puisque son utilisa- tion était «d’éteindre les ardeurs et les plaisirs de la chair». Son autre réputation était en revanche pour certains d’exciter le désir sexuel des femmes. Elle entrait dans la composition de parfaits philtres d’amour et apparaît dans des formules magiques. Comme le fenouil, elle était censée protéger les maisons des mauvais esprits et les graines avaient la réputation d’empêcher la folie. Comme l’anis, les graines, considérées comme coupe-faim, étaient consommées discrètement au cours de l’office reli- gieux ou en réunion. Elle est cultivée en Angleterre dès le xvie siècle et aux États-Unis trois siècles plus tard. Parties utilisées Fruits, graines (en fait fruits séchés). Feuilles. Fleurs. Huile essentielle (provenant des graines). Oléorésine. Les fruits peuvent être confondus avec ceux de l’aneth d’Inde (voir ci-après). Médecine Ses vertus anciennes ne se comptent plus. Elle est galactogène pour Pline l’Ancien et les Romains la mâchent pour se purifier l’haleine. Elle est surnom- mée «plante à Dioscoride» tantelle est utilisée par ce médecin grec. Les Chinois la connaissent pour les problèmes stomacaux. Seize siècles plus tard, elle est censée améliorer les capacités du cerveau. L’efficacité d’une infusion contre le hoquet est connue de longue date puisque Charlemagne aurait faitplacerdanscebutdesfiolesd’extraitd’anethsur les tables lors de festins, de même contre les maux de tête. On lui reconnaît maintenant des vertus digestives, diurétiques, carminatives et stimulantes. Le fruit de l’aneth ingéré par voie orale est tradi- tionnellement utilisé dans le traitement de troubles Aneth odorant, faux anis, fenouil russe, fenouil suédois, fenouil puant, fenouil bâtard. Dill en anglais. Anethum vient du grec anethon («fenouil») auquel elle ressemble mais aux graines plus âcres. Graveolens signifiant «à odeur forte». Seule la variété cultivée, A. graveolens var. hortorum, est consommée et non la variété sauvage, A. graveolens var. graveolens, qui pousse spontanément au bord des chemins. Description Plante herbacée, annuelle, à tige glabre, glauque, dressée atteignant plus d’un mètre, aux tiges grêles, rondes, creuses, striée de bandes blanches et vertes. Racine pivotante longue et fine. Feuilles alternes, très finement découpées, filiformes, vert bleuté. Feuilles de la base à gaine courte bordée de blanc. Fleurs très petites à 5 pétales jaune pâle veinés de brun, à apex très recourbé vers l’intérieur, groupées en ombelles plates de 15 à 30 rayons inégaux. Pas d’involucre ni d’involucelle. Fruits diakènes, jaune verdâtre, ovales, comprimés dorsalement et entou- rés d’un large rebord plan, arrivant à maturité en août-septembre. Graines petites, brun clair, ovales et aplaties, ornées de côtes longitudinales. Histoire Originaire d’Orient, Anethum graveolens s’est rapi- dement répandue en Méditerranée. Sa présence la plus ancienne date du Néolithique, époque à laquelle elle est retrouvée en Suisse près de maisons sur pilotis. Elle est connue des Égyptiens et signalée dans le papyrus d’Ebers vers 1550 avant notre ère, ainsi que dans le Nouveau Testament attestant de son utilisation en Palestine. Son importance était telle qu’elle était taxée. Les Chinois l’utilisaient contre les maux d’estomac. Elle fut inspiratrice de poètes, de l’Antiquité aux Romantiques. Plante potagère chez les Hébreux, médicinale chez les Égyptiens (on l’a retrouvée également avec la momie d’Amenophis II), les Arabes, les Grecs et les Romains, elle devient culinaire chez ces derniers. Symbole de vitalité, elle participe aux Aneth ❧ ❧ Anethum graveolens ❧ ❧ Apiacées (= Ombellifères)
  • 34. Grand traité des épices 34 Autre espèce consommée Anethum sowa L’espèce Anethum sowa, rencontrée et cultivée en Inde et au Japon, n’est qu’une variante d’Anethum graveolens, aux fruits plus longs et plus étroits, dont l’odeur se rapproche de celle du cumin et à l’huile essentielle légèrement différente. Certains botanistes la considèrent comme synonyme d’A. graveolens. Elle est utilisée comme épice à Java. Crème à l’aneth 1 cc de graines d’aneth moulues 4 brins de ciboulette 25 cl de crème liquide sel, poivre • Ciseler finement la ciboulette. Ajouter les graines d’aneth moulues et la ciboulette à la crème fraîche. Mélanger. Saler, poivrer. • Servir sur un saumon froid ou fumé. Filets de sandre grillés à l’aneth 4 filets de sandre avec leur peau 2 oignons verts 2 cc de graines d’aneth ½ cc de zeste de citron jaune non traité 20 g de beurre • Ciseler finement les oignons verts, moudre les graines d’aneth et mélanger au zeste de citron. • Badigeonner la peau des filets avec le beurre et saupoudrer du mélange précédent le côté sans peau. • Faire griller les filets côté peau à couvert. Salade de pommes de terre au yaourt et à l’aneth 400 g de pommes de terre cuites 2 yaourts nature le zeste d’un demi-citron non traité 2 gousses d’ail 2 verts d’oignon nouveau 1 cc de graines d’aneth 1 cs d’huile d’olive 1 cc de vinaigre de vin sel, poivre • Mélanger les pommes de terre coupées en morceaux, les tiges des oignons ciselées, l’ail émincé, les graines d’aneth broyées, les yaourts, l’huile et le vinaigre. Saler, poivrer. fonctionnels digestifs et pour favoriser l’élimina- tion rénale d’eau. Riche en sels minéraux l’aneth peut remplacer le sel dans un régime hyposodique. • L’huile essentielle est fortement sédative. C’est de là que vient son nom anglo-saxon, dill tiré du norvégien dilla qui signifie « bercer ». Elle est antiseptique contre certains germes de la sphère digestive. Elle n’est délivrée que sur ordonnance médicale. Cuisine La saveur chaude des graines, anisée, légèrement piquante et mentholée, rappelle le carvi en plus doux. • Utilisation d’hier et d’aujourd’hui comme épice. Les graines sont surtout utilisées pour aromatiser les cornichons au vinaigre, les pickles ou tout simplement de l’huile ou du vinaigre, ou encore les crèmes aigres. Elles peuvent remplacer les feuilles dans la marinade du saumon cru scandinave appelée gravlax. Ne jamais les faire cuire car elles perdent arôme et saveur. Légèrement écrasées ou pilées, elles aromatisent les terrines de poisson mais aussi les hachis de viande, les pains, les pâtisseries, les ragoûts, les feuilles de vigne et la choucroute. À essayer sur des œufs brouillés. Elles sont aussi indis- pensables dans la cuisine russe que dans la cuisine nordique. On les retrouve ainsi dans des marinades de poisson et elles apportent une note aromatique aux crustacés, aux viandes, blanches notamment, aux sauces et aux soupes. On saupoudre des graines d’aneth sur des pains ou des gâteaux, des pommes de terre, certains fromages ou enfin du jus de tomate. Elles peuvent parfumer des confitures. • Boissons. On peut en faire des infusions calmantes à boire après les repas. L’aneth participe au parfum de l’aquavit, alcool de pommes de terre et de céréales suédois, avec d’autres apiacées (cumin, carvi, anis et coriandre). • Mélanges. Moulues, elles entrent dans la compo- sition de certains currys. • Autres parties de la plante consommées. Les feuilles, récoltées avant la floraison, ou les fleurs sont servies fraîches ou séchées dans de nombreux mets, de poissons notamment. Divers Les graines servent à parfumer le linge dans les armoires. L’huile essentielle sert comme aromatisant dans certaines préparations pharmaceutiques et en parfumerie. En infusion concentrée, c’est un durcisseur d’ongles.