La jurisprudence Trump de la réalité alternative (´alternative facts’) et son instrument le « twittisme » survivront-ils à leur initiateur ? Trés probablement à travers le reste des 75 millions de partisans américains d’« America First » et les autres Trump du monde. Mais l’autre réalité, celle de la démocratie exigera que des comptes soient rendus. Cet essai décrit pourquoi et comment. Il propose de créer dans le « monde d’Après », au service de l’humanité, un observatoire du leadership mondial et la juridiction spéciale indépendante des Etats, des médias et des High Tech, susceptible de demander des comptes aux auteurs des offenses criminelles contre les biens publics mondiaux.
Le monde devra solder l’héritage dilapidé de Donald Trump. Mais l'essai vise aussi « ils », tous les populismes, variants contagieux du virus du trumpisme, qui aggravent l’impact global des effets de la première pandémie moderne.
After Charlie and Garissa, addressing the external dimension of global terror...
Ils devront rendre des comptes à l'humanité
1. 15 01 2020
ILS DEVRONT RENDRE DES COMPTES A L’HUMANITÉ
Le monde devra solder l’héritage dilapidé de Donald Trump.
Le Président sortant disqualifié laisse derrière lui un champ de ruines moral. Il est responsable
d’une perte de légitimité historique qui affaiblit les Etats-Unis dans leur corps politique et
social; qui met en danger le système des relations internationales, déstabilisé et en voie de
fragmenation. Le leadership du « monde libre », naguère indiscutablement établi à
Washington, est provisoirement vacant. La crise pandémique et économique la pire de ce
début de XXIème siècle et sa dimension globale exacerbent les circonstances aggravantes de
cette immense et irresponsable dérive autoritaire du pouvoir. Ce flagrant déni de démocratie.
Monsieur1 Trump a encouragé le peuple américain à la sédition. Son usurpation abusive de la
parole médiatique couplée à la technique de la réalité alternative a conduit ses supporteurs à
l’assaut du siège du Congrès, sa mise à sac au coeur du Capitole, le monument iconique de la
démocratie américaine. Il est désormais politiquement et juridiquement coupable et
condamnable. Interdit sur les réseaux Facebook et Twitter, il provoque en chaine une crise
mondiale sur la régulation privée de la parole publique. Il avait déjà offensé le monde pour
son déni d’humanité face au coronavirus. « L’Amérique » a été entrainée dans quatre années
de propagation du complotisme, de la violence, du populisme et de manipulation de la vérité.
La responsabilité du chaos institutionnel doit être sanctionnée par les américains, celle du
chaos de la gouvernance multilatérale par l’ensemble du monde.
L’humanité ne peut laisser impunies les atteintes au bien public mondial de la santé et à la vie
humaine en temps de crise pandémique. C’est devant un tribunal spécial équivalent à la
juridiction mondiale compétente pour les crimes contre l’humanité que leurs auteurs doivent
en répondre. Les roitelets éphémères et autres Bolsonaro de ce monde doivent sentir le vent
du jugement comme une giffle à leur insulte des valeurs, de la Déclaration universelle des
droits de l’homme et à leur manipulation des citoyens. La propagation des dérives populistes
1 On ne peut plus appelerPrésident celui qui a cessé de se comporter en hommed’Etat, …qui a perdules élections et,tout en niant les
résultats, a tenté de les manipuler.
2. sur les scènes politiques des autres nations peut trouver ses contre-feux dans l’instauration
nécessaire d’un mécanisme global de reddition des comptes.
NOUS SOMMES TOUS MORALEMENT RESPONSABLES
Le monde, ses leaders politiques et ses leaders d’opinion, ont-ils été suffisamment ‘vocaux’
pour dénoncer la dérive de Trump depuis quatre ans ? Au plan global, l’ignoble et criminel
déni de pandémie et la propadande sino-américaine sur le coronavirus n’ont-ils pas été
complaisamment délégués et offerts en pâture exclusive aux médias? L’Atlantisme résiduel
n’a-t-il pas protégé outre mesure une Maison Blanche ayant perdu la raison? La crise du
coronavirus marque le passage à une responsabilité collective de la marche du monde avec les
droits et les devoirs qui en découlent. Si nous sommes tous responsables, les leaders doivent
aussi rendre des comptes à l’humanité.
L’EX-LEADER DU ‘MONDE LIBRE’ DOIT RENDRE DES COMPTES
Les comptes à rendre par Donald Trump sont nombreux et flagrants. Quelques faits saillants
des quatre années de la présidence Trump méritent un rappel:
La systématique et récurrente sape des institutions multilatérales a trouvé son apogée dans le
désengagement américain de l’OMS et le retrait de l’Accord de Paris sur le Climat.
Le sabotage politique et le retrait financier américains de l’Organisation Mondiale de la Santé
en pleine crise du coronavirus auront eu des répercussions incalculables sur la perte de
crédibilité et de moyens de l’OMS et l’attitude des citoyens ordinaires déboussolés par la
pandémie. Le mépris affiché du bien public mondial de la santé par la persistante négation du
virus (« hoax ») est assimilable à celui de la vie humaine, valeur suprême universelle. Les
deux millions de victimes du covid-19, à ce jour2, dans le monde et aux Etats-Unis, fixent
2
Décès du Coronavirus au15.01.2021: Monde 2.005.368 ; Etats-Unis 398.155,source Covidvisualizer/Worldometers, Carnegie Mellon
University
3. l’ordre de grandeur humain de l’affront politique et moral infligé à l’humanité. Les
populations des pays en développement, plus que tout autres tributaires des avis et soutiens de
l’OMS ont été les hôtages d’une crise supplémentaire déclenchée unilatéralement sur fond de
propagande politique entre super puissances. L’atteinte des objectifs de développement
durable du millénaire en aura indirectement été affectée.
Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris sur le Climat et le déni sur le changement
climatique sont l’autre stigmate indélébile de quatre années de présidence Trump. Il a marqué
une régression considérable des avancées américaines et donc mondiales sur la lutte contre le
changement et le réchauffement climatique. Ni les incendies chroniques et historiques de
Californie, ni ceux persistants de la forêt amazonienne, ni les désastres météorologiques
récurrents et leurs ravages humains n’ont vu vaciller un instant les certitudes de M. Trump
contre les intiatives pour sauver la planète ; autre affront affiché à la face du monde.
En matière de sécurité et de diplomatie, les leçons apprises de l’expérience Trump ne sont pas
près d’être oubliées. Les exemples foisonnent. Ainsi l’accusation de chantage téléphonique
de M. Trump sur le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Cet appel téléphonique
désormais public a soulevé contre son auteur l’accusation formelle d’avoir suspendu une aide
militaire pour obtenir que Kiev enquête sur le fils de son rival politique Jo Biden. On a vu que
la procédure de destitution du président, initiée par la chambre des représentants, n’a échoué
qu’en raison du blocage politique institutionnel du Congrès par la majorité sénatoriale.
L’accusation de chantage reste toutefois rétrospectivement présente à l’esprit lorsqu’on
entend avec effroi l’enregistrement publié par le Washington Post 3 de la conversation du
Président harcelant son interlocuteur de Georgie, le Secrétaire d’Etat républicain Brad
Raffensperger, pour qu’il trouve 11.752 voix en vue de retourner les résultats des élections.
Si l’on se transporte sur le terrain de la paix et la sécurité mondiale, on peut encore trembler
quelques jours avant que tout risque de comportement irresponsable soit écarté avec le départ
de l’occupant de la Maison Blanche avant “l’inauguration day” du 20 janvier.
L’attaque du drone américain sur le général paramilitaire iranien Qassem Soleimani à
l’aéroport de Bagdad, le 3 janvier 2020, avait fait une dizaine de morts. Trump avait ordonné
la frappe qui avait aussi tué le commandant adjoint du réseau paramilitaire irakien Abu Mahdi
al-Muhandis et plusieurs autres accompagnateurs. Il avait alors déclaré qu’il en avait
« éliminé deux pour le prix d’un ». La légalité de cette opération a été directement mise en
cause, qu’il s’agisse de la conformité aux lois internationales ou à la constitution américaine
(approbation du Congrès)4 notamment par le rapporteur spécial du Haut-Commissariat des
Nations-Unies aux droits de l’homme. S’il n’est pas inattendu que l’Iran ait émis un mandat
d’arrêt international contre le Président Trump et saisi Interpol en juin 2020, plus inquiétant
pour le président sortant est le mandat d’arrêt contre lui émis par un tribunal pénal Irakien et
confirmé par la Cour judiciaire suprême d’Irak le 7 janvier 2021. Contrairement à l’Iran,
l’Irak est supposé rester un allié-clé des Etas-Unis au Moyen Orient.
3
WashingtonPost, 5. 01.2021, https://www.washingtonpost.com/politics/trump-raffensperger-call-transcript-georgia-vote/2021/01/03
4
Agnès Callamard, rapporteure spéciale sur les exécutions extrajudiciaires au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme,
(et enseignante à Columbia) considère que l’acte d’attaque militaire « est très probablement illégal et viole les règles du droit international
humanitaire », Voir Wikipedia “La légalité de cette opération est directement mise en cause, qu’il s’agisse de la conformité aux lois
internationales (pas d’accord du pays hôte, pas de légitime défense, pas d’accord de l’ONU, pas d’urgence, attaque ciblée sur un représentant
d’un État), mais aussi aufonctionnement interne des États-Unis (pas d’approbation du Congrès, attaque sur un dignitaire officiel d’un État);
Voir aussi « Iraqissues arrest warrant for Trump overdronestrike killing » CBSNews , 08. 01.2021
https://www.cbsnews.com/news/donald-trump-iraq-arrest-warrant-killing-iranian-qasem-soleimani/
4. Ce qui sera toujours difficilement démontrable ou juridiquement contraignant pointe
cependant le curseur sur la nécessité d’une enquête internationale sur la responsabilité de M.
Trump dans les dossiers comme celui de l’Iran, voire aussi de la Corée du Nord. L’histoire
dira aussi un jour plus clairement si la ligne rouge de la sécurité nationale et internationale a
été franchie dans la conduite de la campagne électorale de M. Trump en 2016 à travers les
interférences numériques venant de la Russie. Les risques que ses décisions, irréfléchies
comme des tweets, ont fait courir à la planète sont à la mesure des craintes qu’il suscite dans
les derniers jours de sa présidence désormais fictive. La plus inquétante illustration en est la
déclaration de Nancy Pelosi, la Présidente de la chambre des Représentants, sur sa discussion
avec l’armée, le 8 janvier, au sujet des mesures de précaution visant à empêcher M. Trump
d’ordonner une frappe nucléaire5 ou de conduire d’autres opérations militaires. Dans cette
atmosphère de film à la Docteur Folamour (Dr Strangelove), on n’a pas envie d’esquisser le
moindre sourire. Comment ne pas être horrifié de voir que les tout derniers jours de la
présidence Trump mobilisent l’ensemble des forces politiques américaines sur la question de
savoir s’il doit être démis de ses fonctions ou déclaré incapable d’exercer ses pouvoirs au titre
du 25eme amendement de la constitution. Horrifié aussi que cette éventualité fasse suite au
lancement probablement voué à l’échec d’une deuxième procédure de destitution du même
Président après l’insurrection du 6 janvier au Capitole de Washington.
Ces exemples, évidemment, seront contestés juridiquement, voire aussi politiquement, par les
lobbies et partisans d’une cause ou de l’autre.
D’où la nécessité d’un instrument indépendant des Etats, des institutions et des géants ‘High
Tech’ pour demander des comptes à ceux qui violent le droit international, portent atteintes
aux biens public mondiaux et aux valeurs fondamentales de l’humanité.
UN MÉCANISME GLOBAL ET INDEPENDANT DE REDDITION DES COMPTE
5
voir https://www.politico.com/news/2021/01/08/pelosi-trump-take-away-nuclear-codes-456529
5. Les dommages collatéraux infligés par le trumpisme au multilatéralisme, y compris aux
institutions des Nations-Unies, seront de longue durée. Il faut donc ouvrir d’urgence une voie
parallele qui protège l’humanité contre l’impunité des leaders faisant peser une menace sur la
paix, la sécurité et la gouvernance des biens publics mondiaux.
Un mécanisme est nécessaire à trois niveaux: observation-régulation-sanction.
Un Observatoire mondial du leadership. Il doit être établi au niveau non-gouvernemental
sous la supervision d’un groupe de personnalités choisies pour leur indépendance, leur
réputation internationale, leur expérience et leur réussite dans des domaines reconnus d’utilité
publique.
La Régulation de la parole publique. Sur les grands réseaux sociaux, lorsqu’il y a atteinte à
la Démocratie, aux biens publics mondiaux et à la Déclaration universelle des Droits de
l’homme, une nouvelle regulation doit faire l’objet d’un consensus international. Le précédent
de l’interdiction de Donald Trump sur Twitter et Facebook ne doit pas laisser aux entités de la
sphère privée, tells que les géants High Tech du type GAFAs 6 , la responsabilité de la
régulation des atteintes à la liberté et des dérives populistes sécuritaires et criminelles. Les
Etats démocratiques doivent s’engager sur cette voie. En mettant en œuvre les intiatives du
type de celles déjà lancées en Europe comme le Règlement Général sur la Propriété des
Données Personnelles (RGDP) qui s’est imposé aux Géants du numérique. L’Union
européenne discute actuellement un paquet legislatif, le Digital Services Act and Digital
Markets Act (DSA) établissant un ensemble unique de nouvelles règles applicables dans
l’ensemble de l’UE. Il en résultera un espace numérique plus sûr et plus ouvert, respectant les
valeurs européennes et universelles, une responsabilité transparente des plateformes
numériques et des règles claires pour l’interdiction des contenus illégaux.
Une juridiction pénale internationale permanente. A vocation universelle, elle serait
chargée de juger les personnes, les autorités civiles et militaires accusées de crimes autres que
ceux relevant de la compétence existante de la Cour Pénale Internationale. Elle exercerait
aussi un rôle préventif et moral équivalent à celui des Tribunaux d’opinion du type Tribunal
Russell-Sartre (1966) et du Tribunal moral pour les crimes contre la nature et le futur de
l'humanité lancé lors de la Conférence de Rio +207.
UNE NOUVELLE GOUVERNANCE AU SERVICE DE L’HUMANITÉ
Un seul contre pouvoir peut résister à l’emballement de l’« univers médiatique-ultra
technologique » : celui d’un rassemblement de nations autour d’une souveraineté protectrice
de valeurs démocratiques et humanistes. Son ferment n’est discrètement perceptible
aujourd’hui qu’à travers les réalités et effets démontrés de la puissance « soft »
magistralement décrite par Anu Bradford dans son ouvrage «the Brussels effect »8. L’Europe
sait désormais ce qu’elle peut et doit semer sur la terre brulée populiste de la double crise
mondiale. De ces efforts pour sauvegarder la démocratie, la stabilité et le sécurité du monde,
doit naitre une nouvelle gouvernance.
6
GAFAs : Google, Apple, Facebook, Amazon, Alibaba etc.
7
Le sociologue et philosophe Edgar Morin, participe en 2013 avec le chef Raoni du peuple autochtone kayapo et de nombreux autres
intellectuels, juristes et politiques au lancement d'un Tribunal moral pour les crimes contre la nature et le futur de l'humanité lors de la
Conférence « Rio+20».
8 “The Brussels Effect: HowtheEuropeanUnionRules the World”,AnuBradford, OxfordUnity Press, 2020.
6. L’Amérique plongée dans une crise historique mettra du temps à panser les plaies infectées
par le virus du déni démocratique. La jurisprudence Trump de la réalité alternative et son
outil, le twittisme, ne seront pas éradiqués en un jour du corps politico-social américain. C’est
au monde de prendre le relais de la démocratie et du peuple américains en demandant des
comptes. Les leaders passent, le destin solidaire de l’humanité reste.
Shannon Stapelton | REUTERS
Philippe Darmuzey