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Mémoire
« Ceux que l’on dit Roms »
au Secours catholique de Paris
Définir et nommer un public,
un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale
Conservatoire National des Arts et Métiers
MEMOIRE DU MASTER 2 PROFESSIONNEL
Encadrement et ingénierie de l'action sociale et de l'intervention sociale
Présenté par Virginie SCHMIDT
« Ceux que l’on dit Roms » au Secours catholique de Paris :
Définir et nommer un public, un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale
Tutrice : Evangeline Masson-Diez
Année universitaire 2013-2014
1
Un mot n'est pas la chose, mais un éclair à la lueur duquel on l'aperçoit.
Denis Diderot
Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde.
Albert Camus
2
Remerciements
La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui
je voudrais témoigner toute ma reconnaissance.
Je tiens à remercier tout particulièrement Evangeline Masson-Diez pour son appui et sa
présence à chacun des moments clé de l'élaboration de ce mémoire. Pour sa bienveillante
disponibilité et ses précieux conseils, pour m'avoir fait confiance et m'avoir laissé la liberté
nécessaire à l'accomplissement de mes travaux tout en y gardant un œil critique et avisé, je lui
témoigne ici toute ma gratitude. Je la remercie également pour ses relectures attentives et
enrichissantes.
J’adresse également mes remerciements aux acteurs bénévoles, salariés et intervenants
associatifs rencontrés durant cette enquête qui ont bien voulu m’aider en acceptant de me donner
de leur temps, de partager leur expérience et me transmettre leurs connaissances.
Pour leur accueil chaleureux au sein de l’équipe et leur sens de l’engagement communicatif,
mes remerciements vont également aux bénévoles du Secours catholique de Paris, et plus
particulièrement à tous mes camarades de tournées.
Ce mémoire est le fruit d’un parcours de formation hors temps de travail commencé il y a
plusieurs années et mené en conciliation avec ma vie professionnelle. Je tiens à exprimer à mes
collègues ma sincère reconnaissance pour leurs encouragements et leur précieux soutien durant
tout ce temps.
Ma profonde et affectueuse reconnaissance ira aussi bien entendu à mes proches. Un
grand merci à eux de m’avoir accompagnée tout au long de cette démarche, et un mercé plan tout
particulier à ma mère pour son soutien inconditionnel : l’aboutissement de ce mémoire et du travail
universitaire qui l’a précédé est aussi le fruit de leur appui dans les moments de doutes et de la
tendresse dont ils m’ont entourée.
Ces remerciements ne peuvent s’achever sans une pensée pour les familles rencontrées lors
des tournées réalisées avec le Secours catholique de Paris.
3
SOMMAIRE
Introduction ................................................................................................................ 4
Méthodologie ................................................................................................................ 7
Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie et classe sociale .........................................11
Section I Les Roms sont perçus comme une communauté homogène de culture tsigane ....................... 11
1. Les Roms et les limites du « concept tsigane » ............................................................................................................11
2. Devenir rrom pour se démarquer des représentations tsiganologiques .....................................................................13
3. Communauté univoque ou configuration de sociétés aux cultures et appartenances hétérogènes ? ........................18
Section II Les « Roms », le nom d’une forme de pauvreté spécifique....................................................... 24
1. Les Roms en Roumanie : Un groupe hétérogène dont la mobilité est dictée par des raisons économiques...............24
2. De qui parle-t-on quand on parle des « Roms »?.........................................................................................................27
Section III Les Misérables, infâmes ou infortunés..................................................................................... 35
1. Les « Roms », les « infâmes » : figures de la population indésirable............................................................................36
2. Les « Roms ou les « infortunés », figures de la victime...............................................................................................39
Récusation du terme Rom et transformation des paradigmes mobilisés .............................48
Section I De la défense de l’altérité culturelle à la défense d’ayants-droit.............................................. 48
1. « En route avec les Roms et les Gens du voyage ».......................................................................................................48
2. L’auto-évaluation de 2012 ...........................................................................................................................................55
3. La déclaration d'Evry....................................................................................................................................................58
Section II Une évolution partagée par d’autres grands acteurs................................................................ 64
1. L’approche ethno-sociologique de Médecins du Monde en 1994 ...............................................................................64
2. Une action associative qui s’articule progressivement et collectivement autour du respect des droits fondamentaux
et de la reconnaissance de l’identité tsigane.........................................................................................................................68
3. Récuser le mot Rom, quitter le paradigme de la « Question Rom » ............................................................................71
Enjeux opérationnels de la désethnicisation de la « Question Rom » ..................................76
Section I La désethnicisation comme enjeu premier et structurant de l’intervention sociale ?............... 76
1. Attitudes terminologiques dans les communications grand public et informelles des associations ...........................76
2. Poursuivre la remise en cause du système de pensée ethnicisant qui invite au désengagement de la société sur les
questions de pauvreté...........................................................................................................................................................79
3. Chaque famille est un monde à part pris en compte pour lui-même...........................................................................82
Section II Des dispositifs spécifiques pour pallier aux lacunes du système social..................................... 90
1. Des caractéristiques socio-économiques dont émergent des besoins spécifiques......................................................91
2. Etudes des dispositifs spécifiques ................................................................................................................................98
3. Le Groupe Rom dans le cadre du projet de délégation 2014/2017 ...........................................................................102
Section III Adapter les actions de terrain à la déclaration d’Evry au Secours catholique de Paris : enjeux et
pistes de réflexion ....................................................................................................................................... 105
1. Etendre la logique Maisons à l’action du Groupe Rom ..............................................................................................106
2. La Cause « Rom » : l’engagement des bénévoles est ethnicisé..................................................................................110
3. Sensibilisation contre le rejet anti-rom et désethnicisation de la « Question Rom », une équation complexe.........115
CONCLUSION .............................................................................................................126
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................130
TABLE DES ANNEXES........................................................................................................138
4
Introduction
« Alors les Roms, ça n’existe pas ! »
« Alors, d'abord, les Roms, ça n'existe pas ! » Voici, en substance comment débutaient les
premiers échanges avec certains salariés et bénévoles du Groupe Rom que je venais de rejoindre
en tant que bénévole au Secours catholique de Paris.
Je crois me souvenir de la première fois que j’ai entendu cette phrase, implacable préambule
à bon nombre des futures réponses qui accueilleraient mes premières questions : boulevard du
Temple à Paris, un lundi d’octobre autour de 20h. C’est l’une des premières tournées de rue
auxquelles je participe avec l’association. Les souvenirs de mes quatre années d’équipière aux
maraudes de la Croix Rouge remontent, et je cherche à comprendre ce qui distingue le public
sans-domicile-fixe que je rencontrais alors, des familles roms que nous venons de quitter dans le
quartier de République.
Les racines de mon implication elles-mêmes étaient différentes. « La main qui donne est
toujours au-dessus de celle qui reçoit », dit le proverbe. Etudiante, je pensais que participer à des
maraudes était une façon de dépasser la charité d’une pièce glissée dans la main au détour d’une
rue, et permettait à l’aide matérielle d’être proposée dans le cadre d’un échange véritable, de
personne à personne et en reconnaissant l’individualité de celui qui reçoit. Dix ans plus tard, la place
de premier rang accordée par l’actualité à la « Question Rom », et ce que je considère alors comme
l’expression d’un racisme ordinaire et banalisé à l’égard d’une population, interpelle mes valeurs
politiques et citoyennes. Comment, individuellement et concrètement, se démarquer de ce discours
généralisé dont le principe même me heurte ? Qui sont ces gens dont on parle si violemment ? Qui
sont-ils, ceux et celles que je vois, parfois avec leurs petits enfants en pleine journée en situation de
mendicité ? Mon arrivée comme bénévole au Secours catholique avait donc d’autres buts que le
seul objectif de solidarité. Je cherchais également à comprendre qui sont les Roms. Pour tenter de
répondre à ces questions, je rejoignais à l’automne 2013 le Groupe Rom du Secours catholique de
Paris, et décidai d’y consacrer le mémoire du Master 2 d’ingénierie sociale au Conservatoire
National des Arts et Métiers.
Ce lundi soir, boulevard du Temple, plusieurs questions se bousculent dans mon esprit. Nous
venons de quitter Violeta, 9 ans, et sa mère : arrivées en France il y a quelques semaines, elles
dorment la nuit contre le rideau de fer d’un magasin avec d’autres familles du quartier. Pourquoi les
familles roms de ce quartier ont-elles migré en France ? Depuis combien de temps vivent-elles en
rue ? Ces conditions sont-elles préférables à celles qu’elles trouvent dans le pays d'origine? Est-ce
que les réponses d’hébergement et d’accompagnement élaborées pour les sans-abris
« classiques » représentent une réponse pertinente pour les Roms ?
« Alors, d'abord, les Roms, ça n'existe pas ! »…. Comme d’autres le feront plus tard, K., le
responsable de cette tournée commence ainsi sa réponse, puis continue en montrant un
5
attachement particulier à vouloir déconstruire l'idée même d'une communauté ou d’une identité, et
à démontrer que les caractéristiques (culturelles, religieuses, nationales, ethniques, historiques) que
l'on croit généralement communes aux tsiganes d'Europe centrale sont erronées.
Exposition du sujet et problématique
Pourquoi cependant ses explications, comme celles qui viendront plus tard de différents
intervenants bénévoles ou salariés, restaient-elles émaillées par le terme Rom ? Pourquoi, en
tournée, l'un d'entre nous (le même parfois qui venait de dire que les Roms n'existent pas),
s’apercevant subitement d'un oubli, lançait à l'équipe : « Dites-donc, j'ai vu une famille Rom rue X,
il faudrait qu'on aille les voir ce soir ! » ? Pourquoi les documents qui m'ont été remis lorsque j'ai été
accueillie dans l'équipe parlent tous « des Roms »1
? Et, tout simplement, pourquoi existe-t-il un
« Groupe Rom » au Secours catholique de Paris, si les Roms n'existent pas?
Francis Picabia écrivait « Ce sont les mots qui existent, ce qui n'a pas de nom n'existe pas.
Le mot lumière existe, la lumière n'existe pas » (Picabia, 1996, p.35). Si le nom Rom n’existe pas,
quid de ceux qu’il prétend désigner ? D’où provient cette volonté de ne plus parler de Rom alors que
tout semble indiquer l’inverse ? Comment définir une réalité si on ne la nomme pas? Comment
élaborer des dispositifs sociaux répondant aux besoins du public si celui-ci n’est pas défini ?
Le présent travail s’intéressera aux enjeux associés au choix du terme Rom comme
dénomination associée au public d’un organisme privé d’intervention sociale. Que traduit la question
du nom ? Si un même objet est désigné par des termes différents, on peut commencer par interroger
l’objet lui-même. Parle-t-on vraiment du même objet ? Les différences qui séparent les termes
relèvent-t-elles de l’objet désigné, ou plutôt de ceux qui le désignent ? De quels enjeux politiques et
opérationnels ces hésitations apparentes autour de la terminologie choisie pour désigner le public
du Groupe Rom sont-elles le symptôme ? Dans le cadre de l’intervention sociale, en quoi ces
différences sont-elles susceptibles d’impacter l’approche et la mise en œuvre des réponses
proposées ?
L’ensemble de ces interrogations sera réuni autour d’une même question qui constituera la
problématique de notre travail : en quoi ce qui se joue derrière le choix d'user ou non du terme Rom
pour désigner son public impacte-t-il l'action d'une association privée d'intervention sociale ?
1 Par exemple, le document intitulé « Vade-mecum Groupe Roms à Paris : À la rencontre des nouveaux ressortissants de l’Union
Européenne (Roumains et Bulgares) vivant en squats ou en bidonvilles. » qui explique : « Ce document a pour objectif d’aider les nouveaux
bénévoles à commencer des accompagnements auprès des familles Roms ».
6
Annonce du plan
Dans une première partie, nous chercherons à dresser un état des lieux des significations et
représentations rattachées au signifiant Rom. En mobilisant des ressources issus de la presse, de
la lexicographie, des arts et des sciences humaines plus particulièrement, nous tâcherons
d’identifier des significations et des représentations différentes dont nous identifierons les
caractéristiques, les points communs et les écarts. A partir d’une cartographie analytique des
réponses possibles à la question « de qui parle-t-on lorsque l’on utilise le terme Rom ? », nous
tâcherons d’en présenter les enjeux et les retentissements.
Dans une deuxième partie, nous proposerons une analyse de documents de travail et de
documents institutionnels émis par le Secours catholique et rédigés à des périodes
différentes (2002, 2012 et 2014). Nous chercherons à restituer ce que semblent dire, dans le fonds
et dans la forme, au cours du temps, les discours de l’institution au regard de notre grille d’analyse.
Nous verrons en quoi l’évolution terminologique des supports, notamment liée à l’usage du
terme Rom, traduit une évolution politique majeure dont nous tâcherons de présenter les
mécanismes d’une part, et de comparer les caractéristiques aux positionnements de grands acteurs
de l’intervention sociale et médico-sociale en direction des publics dits « Roms », d’autre part.
La troisième partie abordera les enjeux de la catégorie « Rom » dans le champ de
l’intervention sociale et de l’action associative bénévole. Après avoir identifié les retentissements de
cette catégorisation au regard de l’analyse de la pauvreté, nous tâcherons de comprendre en quoi
elle peut impacter la conception et la mise en œuvre de dispositifs sociaux spécifiques dont nous
étudierons les apports et les limites. Une mise en perspective avec les caractéristiques du
Groupe Rom du Secours catholique de Paris, en tant que dispositif spécifique mis en œuvre par des
bénévoles nous permettra d’identifier les défis auxquels l’association doit répondre pour articuler de
façon cohérente ses actions opérationnelles avec le positionnement politique du siège de
l’association au regard de la dite « Question Rom ». Nous terminerons ce chapitre par un ensemble
de propositions et de pistes de réflexion susceptibles d’apporter une réponse à ces enjeux.
7
Méthodologie
L’approche méthodologique mobilisée pour la réalisation de ce travail a tenté de définir les
éléments de caractéristiques associés aux Roms dans la société globale, et au regard des sciences
humaines. De ce fait, nous nous sommes appuyés sur des ressources de disciplines différentes,
telles que l’histoire, la littérature, l’ethnologie, le droit et la sociologie (voir bibliographie).
Corpus de presse
Aux apports de ces travaux dont les hypothèses ont été mises à l’épreuve par leurs auteurs
au moyen des méthodes d’analyse scientifique, nous avons associé l’étude d’un corpus d’articles
de presse. A travers une analyse du fonds et de la forme des discours de la presse généraliste
pendant une période donnée, ce corpus doit nous permettre d’identifier les représentations
majoritaires concernant les populations désignées par le terme Rom. Il se compose de 33 articles
tirés de la presse française, nationale et régionale, publiés au cours du deuxième semestre 2013 et
portant sur les Roms de manière principale. Très majoritairement, ces articles ont été publiés entre
le 24 septembre 2013 et le 21 octobre 2013.
Le choix de cette temporalité a été dicté par la profusion d’articles et de points de vue ayant
été exprimés sur les Roms au cours de cette période suite à l’intervention du ministre de l’Intérieur,
Manuel Valls, au sujet d’une inadéquation entre mode de vie des Roms à la société
globale (Le Point, 24 septembre 2013). Conjuguée à une atmosphère de pré-campagne électorale,
cette sortie médiatique a généré une importante production d’articles dans la presse généraliste et
d’opinion. Pour chacun de ces articles, nous avons également prélevé, de façon aléatoire, une
dizaine de commentaires postés par les lecteurs dans la quinzaine suivant la date de publication de
l’article. Dans un souci de représentativité, nous nous sommes efforcés de mobiliser des titres
nationaux et régionaux, mais surtout variés en termes de positionnement politique.
Journaux nationaux (29 articles)
 15 articles issus de journaux de gauche, centre-gauche : Le Monde (5 articles),
Nouvel observateur (3 articles), Libération (3 articles), Médiapart (1 article),
Huffington Post (1 article), Télérama (1 article), Journal international (1 article)
 1 article issu d’un journal de gauche anti-libérale : L’Humanité
 12 articles issus de journaux de droite, centre-droit : Le Figaro (4 articles), Le
Point (3 articles), Journal du Dimanche (3 articles), La Croix (1 article),
Atlantico (1 article),
 1 article issu d’un journal de droite libérale-conservatrice : Valeurs actuelles
Presse régionale (6 articles)
 Le Parisien (4 articles), Ouest France (1 article), Le Télégramme (1 article)
8
Observation participante
L’observation participante s’est déroulée au sein du Groupe Rom du Secours catholique de
Paris où je suis bénévole depuis octobre 2013. Nous nous appuierons sur les résultats de
l’observation participante dès la première partie, dont l’objectif est d’identifier de qui l’on parle
lorsque l’on utilise le terme Rom, et plus particulièrement au cours de la troisième partie de ce travail
où il sera question de proposer une réflexion sur les modalités de prise en charge et
d’accompagnement opérationnelle des individus dits « Roms ».
Le Groupe Rom organise des tournées en rue et en bidonvilles sur différents sites de la
capitale, chaque semaine entre 19h et 21h30, le plus souvent en présence d'un interprète
roumanophone. Non distributives, ces tournées ont pour objectif de permettre la création d'un lien
de confiance avec les personnes rencontrées afin d’engager une mission d'orientation et
d'accompagnement, de médiation parfois, vers l'organisme ou le dispositif à mobiliser.
Entre octobre 2013 et la fin de la rédaction de ce mémoire, j’ai participé à 20 tournées environ,
ce qui m'a d'abord permis de découvrir différents sites d'intervention (quartier République,
quartier Bastille, un terrain Porte des Lilas) et de m'intégrer à plusieurs équipes avant d'être fixée,
plus tard, à partir de février 2014 à la tournée de rue du quartier Saint-Germain-des-Prés.
Dès mes premières participations à la vie du Groupe, je constatai qu’aucune famille ne
mentionnait le fait d’être Rom ou pas, et il semblait inapproprié de questionner les personnes
rencontrées sur cette identité rom alors que les conversations tournaient autour de sujets beaucoup
plus fondamentaux, liés à l’hébergement d’urgence, à la santé des enfants, à la recherche de
travail… D’octobre à février 2014, je changeai régulièrement de site et d'équipe d’intervention. Cette
instabilité compliquait pour moi la possibilité de tisser des liens individualisés avec les familles et, là
encore, rendait incongrue l’idée même de leur livrer mes questions sur le thème de l’identité rom.
Pour d’autres raisons, la mise en place d’une nouvelle tournée à Saint-Germain et mon
rattachement régulier à cette équipe n’a pas particulièrement changé les choses à cet égard. La
démarche d'aller-vers, « mains nues », sans café et sans vivres peut rendre les premières
rencontres de l'équipe et des personnes rencontrées un peu étranges. Comprennent-elles pourquoi
nous sommes là ? Comment l'expliquer, en français (nous n’avons pas eu d’interprète pendant
plusieurs semaines) à un public faiblement francophone, qui n'a pas demandé à nous rencontrer et
que nous venons voir sur notre propre initiative ? Le temps et la régularité et l’arrivée d’une bénévole
roumanophone ont permis à la confiance d’éclore doucement entre les familles et l’équipe, puis
d’accorder une forme de légitimité à notre présence. Néanmoins, redoutant de mettre en péril la
qualité de ce lien naissant, d’apparaitre intrusive sur un thème rarement évoqué par les familles, j’ai
pris le parti de ne pas poser de questions directement rattachées à ce que veut dire être Rom.
Au fil des semaines, les personnes ont livré des anecdotes, des récits sur leur vie, sur leurs
besoins, sur leurs projets. Si cette observation participante n’a pas donné lieu à des entretiens
formels avec les personnes aidées par le Groupe Rom, les rencontres ponctuelles ou régulières
9
réalisées dans la rue ou sur des sites d’habitat précaire ont néanmoins constitué une ressource
essentielle dans le présent travail. Les noms et prénoms utilisés dans la restitution des séquences
de l’observation participante ont été anonymisés.
Participation aux réunions et séminaires
En tant que bénévole du Groupe Rom, j’ai eu l’opportunité de participer à différents temps
d’échanges et de réflexion collective :
- Réunions d’équipe organisées par l’animatrice salariée (présence à trois réunions)
- Séminaire « Roms », organisé par le Secours catholique à Evry le 4 février 2014
- Séminaire « Rencontre nationale », organisé par le collectif Romeurope et rassemblant les
associations membres, à Toulouse les 17 et 18 mai 2014.
Ces temps collectifs ont constitué un apport important dans le présent mémoire car ils m’ont
permis tout d’abord de nourrir ma démarche exploratoire, puis de confronter différentes hypothèses
de travail aux propos de salariés et de bénévoles, que ce soit dans le cadre des ateliers, ou de façon
plus informelle. En permettant l’écoute de perspectives diverses, ces temps d’observation
participante ont particulièrement favorisé l’étonnement et le questionnement.
Entretiens formels
Ce mémoire s’appuie également sur différents entretiens formels, menés selon la méthode
semi-directive. Cette méthode qualitative m’a semblé plus appropriée au contexte et aux objectifs
de notre travail. Tout d’abord, une part importante de ce mémoire est consacrée aux usages
terminologiques associés à la dite « Question Rom ». Il semblait important de laisser à chaque
interviewé la possibilité de parler ouvertement, à l’aide de termes choisis par lui-même. Ensuite, il
apparaissait important de permettre aux enquêtés d’orienter l’entretien vers des perspectives ou des
points de vigilance que ma courte expérience au sein du Groupe Rom et ma recherche débutante
autour d’un sujet que j’ai abordé totalement profane, ne m’auraient peut-être pas permis d’envisager
sans leur conduite. Cette méthode semi-directive qui, pour certains entretiens s’est progressivement
transformée en entretien libre, a en effet permis de faire émerger directement et indirectement des
thématiques de réflexion qui n’avaient pas été envisagées avant l’interview, et de confronter, de
co-construire parfois, des raisonnements avec des acteurs de terrains forts de leurs pratiques, de
leur expériences, de leur analyses respectives et singulières.
Nous proposons, ci-après, une présentation des différentes personnes interviewées dans le
cadre d’entretiens formels. Deux personnes particulièrement impliqués dans des actions liées à la
dite « Question Rom » ou aux bidonvilles, avec leur accord, citées sous leurs identités véritables.
Les autres interviewés seront présentés avec un prénom d’emprunt.
10
1. Evangeline Masson-Diez, animatrice salariée du Groupe Rom au Secours catholique de
Paris :
a. 4 février 2014 et 7 septembre 2014.
b. A ces deux entretiens formels se sont ajoutés de nombreux entretiens informels.
2. Sébastien Thiéry, politologue et fondateur-coordinateur des actions de l'association
le PEROU (Pôle d'exploration des ressources urbaines). Le 27 juin 2014.
3. Jacques G., bénévole du Groupe Rom et de l’équipe Accueil de Rue au Secours catholique,
environ 55 ans. Le 11 juin 2014.
4. Mickaël A., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 34 ans.
Le 19 mai 2014.
5. Claire D., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 24 ans. Le 2 juin 2014.
6. Silvia E., bénévole roumanophone du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 32 ans.
Le 2 juin 2014.
7. Bénédicte H., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, environ 40 ans.
Le 2 juin 2014.
8. Louise M., assistante sociale pour la « Mission Rom » d’une association d’insertion par le
logement (désignée sous l’acronyme ALAR dans le présent travail), 33 ans. Le 21 juin 2014.
9. Julien D., salarié coordinateur de mission chez Médecins du Monde, en lien avec les
problématiques des habitants en bidonville en France. Environ 35 ans. Le 3 juillet 2014.
10. Adeline J, directrice d’accueil de jour en Ile-de-France, dans une ville de 50 000 habitants,
37 ans. Le 1er
septembre 2014
Remarque sur les analyses rattachées au pays d’origine des personnes aidées et
rencontrées par le Groupe Rom du Secours catholique de Paris.
La totalité des personnes rencontrées par le Groupe Rom ou désignées comme Roms et
présentes sur le territoire francilien sont de nationalité roumaine. C’est pourquoi, lorsqu’il sera
question d’analyser les éléments liés au pays d’origine, nous nous concentrerons davantage sur la
Roumanie.
11
Première partie
Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie
et classe sociale
Nous ne tenterons pas dans cette première partie de savoir qui sont les Roms mais de
répondre à la question « De qui parle-t-on quand on parle des Roms ? ». L’analyse du discours
public et des ressources terminologiques classiques nous montrera que le terme Rom peut renvoyer
alternativement, simultanément parfois, à deux registres de faits sociaux et de représentations, liés
à l’appartenance ethno-culturelle et à l’appartenance socio-économique. Nous verrons en quoi le
télescopage des Roms sujets réels et objets construits à l’intérieur de ces deux registres conduit à
l’élaboration d’une figure du « Rom » elle-même déclinée en quatre figures : la figure de l’Autre, la
figure du Misérable, la figure de la Victime, et la figure de la Déviance.
Section I Les Roms sont perçus comme une communauté
homogène de culture tsigane
1. Les Roms et les limites du « concept tsigane »
Tsigane, la première clé d'entrée pour définir le terme Rom
Si le dictionnaire de l’Académie française et le Littré ignorent l’entrée Rom, le Larousse en
propose une définition qui le rattache à l’ensemble tsigane. Les significations associées au
terme Tsigane constituent donc un point de départ pour tâcher de comprendre de qui l’on parle
lorsque l’on tente de définir les Roms à partir des ressources terminologiques classiques. Pour plus
de lisibilité, toutes les définitions mobilisées ci-après sont citées dans leur intégralité en annexe 2.
En 1872, le Littré renvoie le terme Tzigane à une signification linguistique (un « dialecte
indien ») mais ne l'étend pas à la notion de peuple ou de groupe culturel spécifique. Près de 150 ans
plus tard, le Dictionnaire de l’Académie française et le Larousse mentionnent toujours l’origine
indienne mais la rendent plus extensive à tel point que l'on peut véritablement considérer que
Tsigane désigne un ensemble ethno-culturel originaire d’Inde. En prolongement, alors que le Littré
parlait de « petites bandes », les dictionnaires modernes engagent nettement la notion de
« peuple ». Celle-ci est néanmoins sensiblement différente entre les deux ressources. Là où le
dictionnaire de l'Académie voit « un peuple », le Larousse parle d'un « ensemble de peuples »
tsigane(s) a priori distincts les uns des autres et ne formant pas une nation tsigane transnationale.
En outre, dans les trois sources, la notion d’itinérance occupe une place différente. Totalement
inexistante pour le Larousse, elle est, bien que présentée sous des formes distinctes, prépondérante
pour le Littré du XIXe siècle et le dictionnaire de l’Académie du XXIe siècle. Le premier désigne de
façon dépréciative une classe sociale errante et sans appartenance culturelle
12
spécifique (« vagabonds », « bandes ») tandis que le second parle d’un « nomadisme »
implicitement relié à un mode de vie ethno-culturel (« peuple [...] menant une existence nomade »).
Enfin, les trois sources ne s’accordent pas sur les territoires de vie des « Tsiganes ». Le Littré
ne mentionne pas de sites d'implantation particuliers, l'Académie française les situe en Europe, et
le Larousse « dans le monde entier », s'avançant même à en chiffrer le nombre d'individus.
Ce croisement de trois définitions issues de ressources et d'époques différentes fait émerger
une complexité à définir la signification du terme Tsigane : parle-t-on d’un peuple homogène, d’un
ensemble de peuples ou d’une classe sociale ? Quid de l'itinérance ? L'un n'en parle pas, les deux
autres en font état mais comme le résultat de causes différentes (vagabondage versus mode de vie
nomade). Enfin, où vivent les Tsiganes ?
Une comparaison avec les définitions de trois grands dictionnaires européens confirme ce
flottement. Le dictionnaire de la Real Academia Española propose une définition laconique
confirmant l'origine indienne, puis renvoie au terme « gitan » ; l'Oxford dictionnary entérine l'idée de
« peuple » (« people ») et d'itinérance (qu'il associe à des activités traditionnelles de commerce ou
de bonne aventure) mais introduit une notion nouvelle et étonnante, en reliant l'appartenance à ce
« peuple » à des caractéristiques physiques telles que la couleur de la peau et des yeux ; comme
les dictionnaires français modernes, le Garzanti introduit également une notion territoriale, en citant
différentes régions du monde où les Tsiganes seraient présents (mais ces régions ne sont pas les
mêmes que celles citées dans les définitions françaises).
Si le terme Rom est avant tout défini par sa tsiganité, le flottement des définitions et l'hésitation
qui entourent le terme Tsigane dans le vocabulaire usuel posent question. Rom est en premier lieu
défini par un terme et une appartenance qui sont eux-mêmes définis de manière flottante. En quoi
ce trouble sur la première clé de définition impacte-t-il les usages et représentations associés au
terme Rom ? En quoi Rom est-il ou non rattaché à une appartenance tsigane ? Quels sont les enjeux
de ce rattachement ?
Tsigane : l’exonyme qui désigne un ensemble de groupes composites
L'origine indienne des Tsiganes est avancée comme un fait historique acquis sur les bases
des travaux de linguistique ayant établi depuis le XVIIe siècle des liens incontestables entre le
Romani et le Sanskrit. Ces éléments valident la théorie selon laquelle plusieurs vagues de
migrations formées de populations composites seraient parties d'Inde entre les IVe et Xe siècles,
auraient traversé la Perse pour rejoindre l'Empire ottoman, puis l'Europe à partir du XIVe siècle (la
présence des Tsiganes est attestée pour la première fois en France en 1419).
En Europe, ces mouvements migratoires successifs ont participé à la construction des trois
grands groupes schématiques de l'ensemble tsigane, ci-après désignés par un endonyme (nom que
se donnent ceux qui estiment appartenir au groupe ainsi nommé) : les Kalos (gitans de la péninsule
ibérique et du sud de la France), les Sintis (sinti-manouches et sinti-piémontais) et les Roms (groupe
13
d'Europe centrale et orientale). Suite à l'abolition de l'esclavage dans les provinces de Valachie, de
Moldavie et de Transylvanie, on observe entre 1860 et 1930, la formation d'un deuxième mouvement
migratoire important depuis le foyer balkanique vers l'Europe occidentale.
Dès l'arrivée des Tsiganes en Europe, on constate l'émergence d'exonymes (noms attribués
par ceux qui estiment ne pas appartenir au groupe ainsi nommé) construits et utilisés par les
populations locales pour les désigner. Dérivé du grec « Athinganoi », nom signifiant « intouchable »
et désignant une secte connue en Asie mineure depuis plusieurs siècles, le terme Tsigane est, pour
une raison inconnue, rattaché au XIVe siècle à ces nouveaux groupes lors de leur arrivée en Grèce.
Peu à peu, il imprègne toutes les langues européennes (Cigani en Europe Orientale, Zingari en
Italie, Zigeuner en Allemagne, et Tsiganes en France) et devient progressivement utilisé sur tout le
vieux continent par ceux qui ne se considèrent pas Tsiganes pour désigner indifféremment les
ensembles Kalo, Sinti, et Roms mais aussi des groupes non originaires d’Inde. Les Yéniches,
les Irish Travellers, ou les Voyageurs sont en effet rattachés à la catégorie bien qu’ils ne partagent
aucune origine indienne, et ne pratiquent pas le Romani
Conceptuelle, flexible et construite par l'extérieur, cette catégorie regroupe ainsi des
populations composites dont les critères qui les rattachent à l’appartenance tsigane ne sont ni fixes,
ni strictement communs ; ce que traduit parfaitement l'hétérogénéité des définitions du terme dans
les ressources terminologiques classiques. Pour l’anthropologue Leonardo Piasere, c’est ce qui en
fait une catégorie « polythétique ». Par nature, une catégorie polythétique présente des contours
extrêmement flous et il est très difficile de la définir puisqu'elle ne possède pas d'éléments de
distinction caractéristiques ou suffisants. Elle se fonde en effet sur une manière de classer les gens
qui intègre sous une même catégorie des personnes présentant des « airs de
famille » (Piasere, 2011, p.36), des ressemblances mais qui ne relèvent pas forcément d’une seule
et même définition.
C’est précisément cette nature polythétique que traduit la faible concordance des définitions
du terme Tsigane dans les ressources terminologiques classiques. Par nature en effet, la catégorie
Tsigane ne peut être définie de façon fixe et univoque. Elle renvoie à une variété de trajectoires,
d'implantations territoriales, de sociétés tsiganes variées et de cultures diversifiées car « ancrées
dans leurs composantes nationales et locales depuis l'histoire même des sociétés
européennes. » (Asséo, 2012).
2. Devenir rrom pour se démarquer des représentations tsiganologiques
La dynamique de classement polythétique utilisée par l’extérieur pour construire la catégorie
des Tsiganes relève d'un mécanisme communément utilisé pour favoriser les associations
mentales. Elle constitue également un ressort propice aux amalgames. C’est probablement ce qui
a favorisé la diffusion des représentations forgées de la deuxième moitié du XIXe siècle à la
première moitié du XXe siècle, et a permis de les cristalliser en stéréotypes associés à l'ensemble
des groupes supposés tsiganes.
14
L'influence du mouvement romantique dans la « découverte » des Tsiganes
La présence des Tsiganes a été constante au cours des siècles, particulièrement dans la
littérature et les arts européens. Toutefois, c'est bien au XIXe siècle que l'intérêt des arts et des
lettres françaises à leur égard a connu sa plus grande ampleur, et c'est à cette époque que les
figures de la tsiganité ont connu leur apogée. C'est en effet sous l'influence du courant romantique
qu'est né le « mythe tsigane » dont les représentations continuent de mettre en mouvement
l'imaginaire de la société pour les « Bohémiens »2, et parfois de se montrer plus fortes que la réalité.
Au cœur d'un XIXe siècle qui se caractérise également par la naissance de l'individualisme et
par une forte admiration pour les cultures étrangères, érudits, chercheurs et artistes romantiques
partiront ainsi en voyage hors de leurs frontières pour découvrir et étudier des mondes exotiques.
Dans la réalité cependant, si l'altérité de l'étranger fascine, elle renvoie à des personnages et à des
mondes toujours perçus comme, sinon inquiétants, pour le moins étranges : ces expériences de
voyages et d'explorations restent donc sommaires et peu approfondies (Fucikova, 2006). C'est
pourtant par ces premiers itinéraires qu'ont été alimentés les récits de la littérature romantique
européenne et les premiers ouvrages ethnologiques qui ont forgé l'imagerie moderne associée aux
Tsiganes. Dans ces deux types de récits, deux aspects accompagnent cette image du Tsigane : la
diabolisation et l'idéalisation.
Tsiganophilie et anti-tsiganisme : les deux faces d’un même Janus
L'idéalisation, ou la tsiganophilie
Mouvement culturel basé sur l'idée globale de liberté (politique, morale, artistique, individuelle)
et d'exaltation des sentiments, le Romantisme apparaît comme une forme de rejet d’une société
bâtie par une bourgeoisie financière et commerçante. Marquant également une rupture avec
l’époque classique par une ouverture des perspectives de l'esthétique sur des couches de
populations marginales et déviantes au regard de la norme artistique des siècles
précédents (étudiants, mendiants, pauvres, prostituées, etc.), le mouvement romantique nourrit une
certaine inclination pour les figures qui ne se reconnaissent pas (ou ne sont pas reconnues) dans le
monde bourgeois, sédentaire, moderne, laborieux et industriel qui se met en place au XIXe siècle.
En 1856, l'émancipation des Tsiganes après plusieurs siècles d'esclavage dans les provinces
roumaines favorise un redéploiement des populations vers de nouveaux bassins d'installation.
Malgré la condition d'esclaves, certains Tsiganes étaient restés nomades3
. De ces groupes
émergera le deuxième mouvement migratoire vers l'ouest de l'Europe. Dans ce contexte de
2 Le terme Bohémien est dû au prestige de lettres de protection, réelles ou falsifiées, signées du Roi de Hongrie, Prince de Bohême et de
Pologne, dont étaient porteurs les chefs des groupes tsiganes arrivées en Europe au XIVe siècle.
3 Voir à ce sujet les travaux de Veselin Popov et d’Elena Marushiakova (2006) concernant les différences de statuts entre les « Tsiganes du
Prince », autonomes et nomades et les Varagev, esclaves domestiques et donc sédentarisés des boyards et des monastères. Les chercheurs
montrent que ceux qui ont formé la deuxième vague de migration vers l'Europe de l'Ouest étaient principalement les anciens « Tsiganes du
Prince », restés nomades.
15
transformations sociales provoquées par la Révolution industrielle et la montée des nationalismes
européens qui s'appuient sur le principe de l'Etat-nation, de la conscience de la nationalité et des
frontières, les Tsiganes nomades deviennent, pour les Romantiques, un emblème de la liberté
absolue, le symbole positif d'une opposition à l'ordre, aux lois et à la soumission.
En transfigurant cette image, les Romantiques vont élaborer un objet construit, une figure du
Tsigane libre4
, non conventionnel5
, forcément nomade6
, apatride, internationaliste et refusant les
normes du travail imposées par la morale bourgeoise. Cette figure leur servira de métaphore positive
pour incarner leur propre désir d'altérité sociale, de vie libre et indépendante des lois et des règles.
Ainsi, « [l]a vision romantique place les Tsiganes non pas dans le bas de la société, mais dans son
opposition extrême. » (Fucikova, 2006).
Insoumise et anomique, porteuse naturelle de l'esprit de Bohème, exotique, forcément
nomade, cette « altérité étrange » (Fucikova, 2006) constitue l'essence même d’une métaphore qui
se prolongera après le XIXe siècle et se confondra bientôt avec l'image d'une identité tsigane
réelle (voir annexe 3) : « Les peintures et gravures diffusées dans la presse imprimée exaltent ainsi
l'image d'un peuple présenté à travers le prisme de l'exotisme et défini par une série de caractères
stéréotypiques qui définissent durablement l'image contemporaine d'un "modèle
tsigane" » (Coquio et Pouyeto, 2014, p. 434).
Comme un piège, cette allégorie tsiganophile de l'Homme libre se refermera sur les
intéressés, cristallisera et perpétuera bien au-delà de l'époque romantique des représentations qui
finiront par « transporter la figure du Tsigane de l'autre côté des frontières sociales et annuler toute
place possible dans la société » (Fucikova, 2006), c’est-à-dire par le figer comme individu « à part »
et hors de la société globale.
La diabolisation, ou l'anti-tsiganisme
Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une nouvelle image, négative, viendra se
superposer à la figure du Bohémien romantique. Ainsi, à la figure du Tsigane, certes perturbateur
de l'ordre social mais noble, séducteur et épris de liberté, vient s'ajouter celle de l'étranger marginal,
inassimilable, sans loi, ni morale.
Interpellé par la presse sur des délits imputés aux migrants tsiganes du deuxième mouvement
migratoire, le gouvernement français présente au Parlement un projet de loi qui prévoit de créer une
catégorie juridique de « nomade ». Votée le 16 juillet 1912, cette loi instaure des régimes différents,
associés à des devoirs plus ou moins contraignants selon le degré de dangerosité suspecté des
intéressés. En d'autres termes, la loi établit une distinction de régimes et de droits entre les
« bons » itinérants (forains et marchands ambulants, travailleurs circulants, tous généralement
4 Par exemple : « Pour les gens de sa race, la liberté est tout, et ils mettraient le feu à une ville pour s'épargner un jour de prison », in Carmen,
Prosper Mérimée, voir annexe 3.
5 Par exemple : « Tous les enfants de ce peuple bizarre […] dont tant de siècles n’ont pu interrompre la filiation énigmatique… », in Voyage en
Espagne, Théophile Gautier, voir annexe 3.
6 Par exemple : « Nous n’avons donc, exempts d’orgueil, / De lois vaines, / De lourdes chaînes ; / Nous n’avons donc, exempts d’orgueil, / Ni
berceau, ni toit, ni cercueil. » in Les Bohémiens, Pierre Jean Béranger.
16
français et rattachés à un habitat fixe) et les « mauvais » itinérants, définis uniquement en négatif
par rapport aux premiers et visant spécifiquement les migrants nomades du deuxième mouvement
migratoire originaires de l’est de l’Europe, autrement dit les « Tsiganes ».
Un retour sur les débats parlementaires qui précèdent le vote de la loi de 1912 sur le régime
des nomades montre que le législateur ne sait pas précisément définir qui sont les Tsiganes.
Certains parlementaires tels que le sénateur Pierre-Etienne Flandin ou le député Fernand David
convoquent la dimension ethnique qui apparaît bien floue et imprécise : là où le premier parle de
« vagabonds à caractère ethnique », le second affirme à un élu qui l’interroge sur ce qui permet de
distinguer les Tsiganes des non-Tsiganes : « On reconnaît les romanichels à des signes qui sont
les suivants : il y a d’abord un signe de race que vous connaissez comme moi… » puis, sans ajouter
davantage de précisions, conclue immédiatement sa réponse par un signe d’étonnement : « J’avoue
que je ne pensais pas que l’on pût se poser la question, car elle est posée depuis des années. C’est
la solution seule qui reste à trouver » (Delclitte, 1995).
Si ces exemples montrent que certains parlementaires déterminent le rattachement à la
catégorie tsigane à une appartenance ethno-raciale, l'étude des échanges intervenus dans
l’hémicycle montre que le Tsigane est d'abord défini comme tel en fonction de comportements, réels
ou supposés : « C’est un nomade qui ne fait rien. », « Ils sont dans le Midi l’hiver et dans le Nord
l’été. », « Le nomade ne sait pas exactement où sont nés ses enfants, où il a enterré ses
morts » (Citation extraites du Journal officiel par Filhol, 2012).
Un retour sur l’intervention du Sénateur Flandin du 10 mars 1911 nous permet de compléter
cette représentation des Tsiganes (voir annexe 4 pour consulter l’intégralité de l’extrait ici étudié).
Le Sénateur associe l’identité tsigane à l’itinérance (« nomade », « maraude le long des routes »),
au transnationalisme (« ni domicile, ni résidence, ni patrie »), à l’anomie et l’opposition à la morale
bourgeoise (« fainéantise », « mendicité », « braconnage », « mépris pour nos lois »), ou au mode
de vie essentialisé (« instinct », « genre de vie »). L’extrait étudié illustre le fait que le
discours anti-tsigane s’appuie sur des fondements identiques à ceux que mobilisent les
tsiganophiles. Seule l’interprétation qui en est faite est différente. Ainsi, ces deux regards s’opposent
moins par la confrontation de logiques différentes que par leur interprétation en contrepoint d’un
même réservoir de représentations et de stéréotypes.
Tsiganophilie et anti-tsiganisme apparaissent comme les deux visages d’un même Janus :
qu'elles soient positives ou négatives, c’est autour des mêmes représentations ethnocentristes que
s’articulent ces discours déclinés en miroir. Tour à tour valorisées ou dépréciées elles concourent
toutes, à leur manière, à confirmer ce que Milena Fucikova appelle « l'altérité
étrange » (Fucikova, 2006) des Tsiganes et ainsi à les ériger en une figure de l'Autre, mystérieuse
et essentialisée dont l'identité serait caractérisée par l'opposition aux conventions, l'anomie et
l’itinérance. Autrement dit, dans les deux visions, le Tsigane est confirmé comme un individu à part
qui ne peut, par essence, ou ne veut, par opposition, s’adapter pour faire société et « vivre parmi
les hommes ».
17
Une nouvelle dénomination pour tenter de se démarquer des stéréotypes rattachés à la
figure du « Tsigane »
L’ensemble Tsigane devient rrom
Le terme Tsigane a acquis des connotations péjoratives dans la plupart des langues du centre
et de l'est de l'Europe. Aussi, dès sa création en 1971, pour se démarquer des stéréotypes liés à
cette dénomination attribuée de « l'extérieur », l'Union Romani Internationale (URI)7 choisit de
remplacer le terme Tsigane par le terme générique Rroms. Le choix du terme s’explique par la
référence au Romani dont les parlers des Kalos, des Sintis et des Roms porteraient encore
aujourd'hui une trace plus ou moins importante. Il est difficile d’estimer le nombre de personnes
pouvant être rattachées à cette définition extensive mais les sources s’entendent pour parler de
12 à 15 millions d’individus dans le monde, vivant en majeure partie sur le continent européen et
plus particulièrement dans les pays de l’ancien bloc
communiste (60 à 70 %) (Commission européenne, 2011). Le terme Rrom a donc vocation à réunir
à lui seul les groupes auparavant désignés comme Tsiganes. Sous l'influence des militants du
mouvement rrom international, le terme a remplacé l’usage du mot Tsigane auprès de l’Union
européenne et du Conseil de l’Europe. A cet égard, notons que les personnes relevant de la
catégorie administrative des Gens du voyage (selon la loi française dépourvue de toute connotation
ethnique) sont rattachées à cette dénomination Rrom par les instances et politiques européennes.
C’est ce qui explique qu’en 2009, le Conseil de l’Europe estimait que 300 à 500 000 Rroms vivaient
en France, soit à peine plus de 0,5 % de la population (Commission européenne, 2011, p.16)
Une graphie différente est souvent utilisée pour distinguer les Rroms (utilisé à la place de
Tsiganes et désignant l'ensemble global des groupes d'Europe occidentale ayant une origine
indienne commune), des Roms (« sous-ensemble » de Tsiganes essentiellement implanté en
Europe centrale et orientale). Néanmoins, cette distinction orthographique n’est pas systématique.
Le terme Rom laisse alors éclater deux mots ayant chacun une signification différente, mais
homographes et homophones, ce qui participe à entretenir le flou existant autour de qu’il désigne.
Une unité politique et culturelle peu reconnue sur le terrain
Certains chercheurs tels que le sociologue Jean-Pierre Liégeois soutiennent l'idée d'un
ensemble ethno-culturel rrom/tsigane uni par une histoire et une origine indienne communes, et par
une culture caractérisée par la pratique du Romani et de l'itinérance. Toutefois, la forte
sédentarisation des Tsiganes de l’Est imposée par les régimes communistes depuis la fin de la
Seconde Guerre mondiale (80% des Roms sont sédentaires), la persistance de pratiques itinérantes
chez les Manouches de l’ouest, l'absence d'origine indienne chez certains groupes relevant de la
catégorie Rrom, l'existence d’une pluralité de variantes de Romani plus ou moins imprégnées par la
langue de chaque territoire d'implantation, la pratique hétérogène du romani (si le parler quotidien
des Kalos n’en conserve que des traces, il est parfois utilisé de façon dialectale dans l’est de
7 Créée à la suite du premier congrès mondial rom réuni à Londres en 1971, l’Union romani internationale possède un rôle consultatif comme
représentante des Roms auprès de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Présente dans une trentaine de pays, l’URI a installé son siège à Prague.
18
l’Europe), sont autant d'arguments qui laissent penser que ces caractéristiques de reconnaissance
identitaire proprement rrom/tsiganes, s’il en est, se sont affaiblies au cours des générations.
Différents chercheurs tels que Grégoire Cousin et Manuel Olivera analysent avec
circonspection la conception d'une identité tsigane partagée de façon extensive et, à ce titre, le statut
de minorité européenne revendiqué par les mouvements tels que l'URI. La mise en avant de
l'identité rrom/tsigane par l'URI relèverait en effet de ce qu’ils désignent respectivement comme un
« essentialisme stratégique » (Redor-fichot [dir.], 2013, p.58) et une « entreprise militante [qui]
demeure toutefois assez éloignée des réalités de terrains et rencontre davantage d’échos auprès
des diverses institutions que des communautés [rroms] locales » (Olivera, 2009, p.4).
Si le terme Rrom est reconnu par les instances internationales, l’idée de peuple qui le
sous-tend est donc souvent considérée comme le fruit d'une construction intellectuelle, héritier direct
de la catégorie conceptuelle « Tsigane » et de ses limites en termes d'ensemble sociologique et
culturel, pour les mêmes raisons.
3. Communauté univoque ou configuration de sociétés aux cultures et
appartenances hétérogènes ?
Aujourd’hui, les représentations sur les Roms comme peuple tsigane homogène
La tsiganophilie et la confusion autour des termes Rroms et Rom participent à alimenter les
représentations stéréotypées sur les Roms
La confusion induite par l'homophonie (et l'homographie) du terme Rom et de ses
significations (Rrom/Tsiganes et Rom/Roms de l'Est) peut également participer à alimenter les
représentations erronées sur les Roms de l'Est dans la société française.
Le traitement promotionnel et médiatique de l'exposition « La traversée » organisée autour du
travail du photographe Mathieu Pernot au musée du Jeu de Paume à Paris offre un exemple de
cette confusion et de ses impacts. Dans la vidéo d’une interview promotionnelle de l'exposition
réalisée et montée pour les pages cultures de parismatch.com, l'artiste présente son
travail (Paris Match, 2013).
« "La Traversée" c'est l'idée du voyage, du déplacement, de la migration. Et les gens que je
photographie sont habités par ça... depuis très longtemps pour ce qui concerne les Roms, puisque
ce sont des gens qui ont toujours bougé. Même quand ils se sédentarisent ils restent nomades
dans la tête. Et puis il y a des gens qui bougent pour des raisons historiques précises, c'est le cas
des migrants afghans. »
Une représentation tsiganologique du Rom itinérant, forcément nomade, même lorsqu'il se
sédentarise s'impose dès la première phrase de l'interview où l'artiste indique que « les Roms » sont
« habités [...] depuis très longtemps » par l'itinérance (« [le] voyage, [le] déplacement,
[la] migration »). L'artiste prend même le soin d'apporter une distinction entre les migrants
conjoncturels, tels que les Afghans, et les migrants culturels que seraient les Roms.
19
« On commence par des photomatons d'enfants gitans, ils ont entre 5 et 13 ans, et à la fin de
l'exposition, on voit des adultes, qui regardent une caravane qui brûle. Et ces adultes, ce sont les
mêmes que les enfants des photomatons. Symboliquement, cette caravane qui brûle, c'est un peu
la fin du voyage. Mais en même temps, ils sont toujours là, ils sont les uns à côté des autres, comme
s'ils se tenaient chaud, comme s'ils restaient ensemble. »
Les paroles qui entourent la mise à feu de la caravane, déclinaison moderne de la roulotte
symbolique du Tsigane nomade, viennent conforter la figure du Rom itinérant : « C'est un peu la fin
du voyage ». Si le musée du Jeu de Paume précise sur la page de présentation de l'exposition qu'il
s'agit de la cérémonie traditionnelle qui accompagne les funérailles d'un défunt (voir annexe 5),
l'interview de Paris Match n’explique pas les raisons de cette mise à feu. Le journal Libération non
plus, qui choisit pourtant d'illustrer son article du 2 mai 2014 traitant de l'exposition par la photo de
la caravane qui brûle, avec cette légende : « Une image issue de la série « Le Feu », réalisée dans
un camp de Roms. (Photo Mathieu Pernot) ».
Pourtant, il est fort peu probable que ces photos parlent de Roms, au sens de citoyens
est-européens issus du sous-ensemble tsigane balkanique. Un élément objectif nous l'indique :
Mathieu Pernot précise que ces personnes qui regardent la caravane brûler sont les enfants
« gitans », devenus adultes, qu'il avait placé douze ans auparavant devant l'objectif d'un
photomaton. L’artiste parle donc des Rroms au sens de Tsiganes, et plus précisément des
Rroms gitans. A cela s’ajoute le fait que l’habitat en caravane est plus particulièrement celui des
Gens du voyage que celui des Roms de l’est, vivant en maison ou en appartement depuis plusieurs
siècles dans leurs pays d’origines.
La fusion des termes Rom et Rrom, leur rattachement au champ lexical du nomadisme,
l’utilisation d'illustrations visuelles symboliques telles que la caravane mobilisent et confortent la
représentation tsiganologique de l'itinérance associée aux Roms.
« Je trouve que ce sont des gens incroyables, magnifiques. J'aime la façon dont ils se tiennent
debout, dont ils nous regardent, ce qu'ils incarnent, la façon dont ils résistent à tout ce qu'il y a
autour d'eux. Quand je les ai retrouvés une douzaine d'années après, quand je les ai retrouvés
devant mon appareil photo, j'ai éprouvé le même vertige que quand j'étais étudiant et qu'ils étaient
devant moi. Je me disais : "ils ont quand même quelque chose que les autres n'ont pas". Qu'est-ce
que c'est que cette chose ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il y avait cette présence incroyable. »
Enfin, on retrouve certaines représentations du « mythe tsigane » romantique dans les paroles
de l'artiste : en résistance contre les règles de la société globale, ils ont « quelque chose que les
autres n'ont pas », quelque chose d'indicible, de « magnifique » qui donne au photographe une
véritable sensation de « vertige » artistique et qui n’est pas sans rappeler l’émotion de
Théophile Gautier face à la « tristesse mystérieuse […] de ce peuple bizarre » (voir annexe 3). Ainsi,
la description de ces Rroms, ces Autres, qui « nous » regardent, mystérieux, fiers (« la façon dont
ils se tiennent debout »), libres et en opposition aux règles dominantes de la société globale (« ils
résistent à tout ce qu'il y a autour d'eux ») s’inscrit dans les représentations tsiganophiles du
XIXe siècle : de la même manière, elle renvoie les Rroms et, du fait de l'homophonie non clarifiée,
les Roms, à un groupe « à part », figure d'une altérité fascinante et mystérieuse comme l'était le
Tsigane romantique.
20
Les Roms comme une communauté homogène
De l'autre côté du spectre, on retrouve toujours des représentations anti-tsiganes fondées sur
une imagerie également déclinée autour de l'altérité d'un groupe univoque qui, aujourd’hui encore,
se caractériserait par son opposition aux règles et par la pratique du nomadisme. Pour l’année 2013,
la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) démontre qu'une très
grande majorité des enquêtés (87%) considère que les Roms forment une population « à part » et
fermée aux autres (seuls 4% considèrent qu’ils forment un groupe « ouvert aux
autres ») (CNCDH, 2013, p. 202).
L’analyse de notre corpus de presse incluant des articles et des commentaires de lecteurs
confirme également que les « Roms » conservent l’imagerie associée aux « Tsiganes » et sont
identifiés comme un groupe homogène. Que ce soit pour les questionner, les abonder ou les rejeter,
de façon implicite ou explicite, ces représentations sont mobilisées de façon constante. Le traitement
de la notion du « nomadisme » dans notre corpus offre une clé d’entrée pertinente pour démontrer
la persistance de ces représentations8 et leur rattachement à l’image des Roms. En écho aux
résultats de l'enquête de la CNDCH, ces extraits montrent que les Roms sont souvent considérés
comme un groupe à part, ou tout au moins homogène. En témoigne par exemple le fait que le
terme ou la notion de « peuple » soient fréquemment associés aux articles traitant directement des
Roms.
- Article n° 26; Télérama : interview de Weronika Zarachowicz à Jean-Pierre Liégeois le 08/10/2013 :
« Ils n'ont rien à voir avec le nomadisme? »
- Article n° 4; Journal international, 18/06/2013 : « Contrairement aux Tziganes de France qualifiés
de « Gens du voyage » depuis le XIXe siècle, les Roms venus de l’Est sont pour la plupart
sédentarisés depuis des siècles. »
- Commentaire de FEDE le 25/09/2013 à 18:06 pour l’article n°16 : « Pourquoi veut-on penser que
les Roms devraient se comporter comme tous les autres peuples sachant qu'ils ont leur mode de
vie ? Ils sont des nomades et cela se sait. »
- Commentaire de Courrier des lecteurs le 7/10/13 à11 h 53 pour l’article n°6 : « Ma question est :
les Roms sont-ils un peuple nomade ? »
En complément des extraits mobilisés ci-dessus, l'article du Nouvel Observateur daté du
25 septembre 2013 permet d’identifier en quoi, même lorsqu'il n'est pas directement traité par
l'article, le nomadisme peut être implicitement rattaché au « mode de vie » rom et induire qu'il
resterait une spécificité rom. Intitulé « Lyon tente de sédentariser ses Roms dans leur pays
d'origine », cet article explique que la municipalité française a établi un programme de coopération
avec la ville roumaine de Tinca visant « à offrir des conditions de vie décentes à une centaine de
familles issues de Tinca ». En finançant la réhabilitation des infrastructures locales dans le village
d'origine des populations, Lyon espère assécher les causes de l'immigration dite « Rom » sur son
8 Dans les 33 articles mobilisés, on comptabilise 21 occurrences de termes liés au champ lexical du nomadisme.
21
territoire. Toutes les informations contenues dans l'article indiquent que la migration des « Roms »
de Tinca est portée par des motivations économiques et en aucun cas par un mode de vie itinérant.9
Pourtant, l'article s'appuie nettement sur la représentation tsigane du nomadisme. A trois
reprises, il explique que ce projet de coopération a pour objectif de « sédentariser » les Roms de
Tinca : une fois dans le titre, une fois dans le corps de texte10
et une fois en légende de la
photographie qui l'illustre11
. Cette dernière montre un groupe de personnes, dont quelques enfants,
poussant des chariots remplis de valises et longeant le bas-côté d'une route fréquentée par les
voitures. Devant eux, un panneau d'entrée de ville nous permet de comprendre qu'ils arrivent à
Lyon. Le parti pris d'illustration renforce cette représentation du « Rom » itinérant, de « bandes »
tsiganes qui se déplacent en famille de ville en ville.
La persistance des représentations tsiganologiques (particulièrement concernant le
nomadisme) associées aux Roms nous amène à constater que ceux-ci sont très largement perçus
comme un groupe lié par des pratiques et une culture homogènes, et par une psychologie collective
univoque.
Au regard des critères d'appartenance généralement invoqués par le sens commun, il
n'existe pas « une » communauté rom
Les travaux de l'ethnologue Martin Olivera que nous mobiliserons tout particulièrement dans
l'analyse ci-après démontrent que les Roms de Roumanie ne forment pas un groupe homogène sur
le plan ethnique, que ce soit au regard de l’approche primordialiste ou de l’approche
circonstancialiste de l'ethnie.
Selon l'approche primordialiste, les critères d'appartenance à une ethnie renvoient à la
communauté de langue, de religion, de traditions et de territoire (actuel ou d'origine). Sur le plan
international, cette approche sert de socle aux mouvements militants rroms qui, en déclarant
l'existence d'un territoire d’origine commune (l'Inde), d'un drapeau, d'un hymne et d'une journée
annuelle (le 8 avril), s'appuient résolument sur cette conception de l'appartenance. Elle sert
également de cadre à la reconnaissance et à l’élaboration juridique de la minorité Rom par la
Constitution roumaine. Dans sa contribution à l’ouvrage « Rom, Tsiganes et Gens du voyage »,
Grégoire Cousin met en évidence le faible ralliement des intéressés à cette catégorie administrative
dont l'appartenance accorde des droits politiques et des droits linguistiques. Aux raisons souvent
invoquées pour expliquer cette sous déclaration (crainte des discriminations, honte de la tsiganité),
Grégoire Cousin s’appuie sur les travaux de l’ethnologue Martin Olivera pour en avancer une autre :
9 Propos de Hubert Julien-Laferrière, Vice-président du Grand Lyon, cités dans l’article : « A Tinca, comme dans de nombreux squats à Lyon,
j'ai discuté avec les Roms qui m'ont affirmé que s'ils avaient les moyens de vivre plus décemment chez eux en Roumanie, ils auraient beaucoup
moins de raisons de venir séjourner régulièrement en région lyonnaise ».
10 « Lyon s'efforce depuis deux ans de sédentariser dans la petite ville de Tinca, en Roumanie, des familles de Roms installées dans des
campements dans l'agglomération lyonnaise pour tenter d'enrayer leur arrivée massive sur son territoire. »
11 « Des familles de Roms après leur évacuation d'un squat à Lyon. Le Grand Lyon s'efforce depuis deux ans de sédentariser dans la petite ville
de Tinca, en Roumanie, des familles de Roms installées dans des campements dans l'agglomération lyonnaise pour tenter d'enrayer leur arrivée
massive sur son territoire. Cette opération de coopération décentralisée, unique en France, vise à offrir des conditions de vie décentes à une
centaine de familles originaires de cette ville. »
22
le désintérêt des populations qui ne se reconnaissent pas dans les critères d'appartenance assignés
à cette catégorie standardisée et primordialiste supposés correspondre à « la » communauté et à
l'identité de tous les Roms de Roumanie.
Conjugués aux entretiens informels que nous avons eus avec trois traducteurs roumains du
Secours catholique et de Médecins du Monde, les travaux académiques de Martin Olivera sur
l'Histoire des régions roumaines et la société des Roms Gabori (Olivera, 2009) démontrent que
certaines coutumes apparentes (danses folkloriques, gastronomie, mode vestimentaire) parfois
considérées comme des particularité roms sont en fait des spécificités traditionnelles locales dont
la pratique est tombée en désuétude dans les classes sociales (roms et non-roms) plus urbaines et
non défavorisées. De plus, si elles peuvent sembler homogènes aux yeux de l’étranger, les pratiques
culturelles locales de Roumanie sont particulièrement diversifiées. La Roumanie est un pays récent
où les identités régionales ont été forgées en dehors du creuset commun d’un Etat multiséculaire,
comme c’est le cas pour la France12
.
Ainsi imprégné par les événements des histoires locales propres à chaque territoire depuis le
XIVe siècle, l’ensemble rom de Roumanie est donc particulièrement diversifié. Cette mosaïque de
spécificités culturelles est également démontrée dans les travaux du sociologue Olivier Peyroux :
« En effet, entre Roms de Serbie et de Bulgarie, bien que ces pays soient voisins, la langue, la
religion, la façon de s'habiller ainsi que les règles internes au groupe diffèrent. [...] [L]es mêmes
remarques seront valables entre des groupes roms provenant d'un même pays ou d'une même
région. » (Peyroux, 2013, p. 80). Les pratiques culturelles observées dans les sociétés roms ne
seraient donc pas tsiganes par essence ou consécutives à la déclinaison hétérogène d’une culture
tsigane univoque et originelle. Elles constitueraient à la fois le reflet et les réminiscences de
spécificités éminemment locales, régionales ou nationales.
« Nous, les Roms », à distinguer des « autres Roms »
Selon l’optique circonstancialiste, les identités collectives ne sont pas des objets mais des
constructions, autrement dit des sociétés qui s'élaborent à travers les contacts qu'elles entretiennent
les unes avec les autres. Comme le rappelle Martin Olivera (Olivera, 2009), selon les sociologues
et ethnologues d'approche circonstancialiste, le « groupe ethnique » se définit par une conscience
d'appartenance (Max Weber) construite à travers les interactions avec l'Autre, lesquelles participent
à élaborer et affirmer des « frontières ethniques » communes (Frederick Barth). Enfin, selon
Edmund Leach, une société se caractérise par l'usage d'un « Nous ».
Martin Olivera démontre que s'il existe un « Nous, les Roms », nombre d'entre eux considèrent
comme aussi évidentes les différences les séparant des Gadjés13 que celles qui les distinguent des
12 Les trois « pays » qui composent la Roumanie moderne, c’est-à-dire la Valachie, la Moldavie et Transylvanie, ont connu des histoires et des
trajectoires autonomes depuis le Moyen-âge. Si les deux premières s’émancipent de la suzeraineté ottomane pour s’unir en 1859, la
Transylvanie restera sous domination austro-hongroise jusqu’en 1918. On comprend dès lors que la Roumanie d’aujourd’hui est formée de
régions aux identités culturelles et historiques non seulement complexes mais aussi puissantes et diversifiées.
13 Ici masculin pluriel de gadjo. Terme romani utilisé pour désigner les non-roms.
23
« autres Tsiganes ». La construction de leur identité ne définit pas une simple distinction entre
« Nous, les Roms » et « Les Autres ». Plus complexe, elle s'articule autour d'une distinction entre
« Nous, les Roms », « Les Autres non-Roms » et « Les Autres Roms ». Le « Nous » servira alors à
se distinguer des Gadjés tout autant que des autres Roms n'étant pas identifiés comme faisant
partie du même sous-ensemble.
Ainsi, s'il y a bien une distinction entre le « Nous » des Roms et le « Nous » des Gadjés, un
Rom s'estimera plus proche d'un Gadjé de sa région que d’un Rom venant d'une autre province. Il
n'est pas rare que des discours tenus par des Roms sur les « autres Roms » (vivant dans une
province ou un village non fréquentés par le locuteur) expriment les même préjugés et stéréotypes
négatifs que ceux des Gadjés à l'égard des Tsiganes : « [...] [D]iscourant sur les « autres Roms »,
[les Roms] manipulent généralement les mêmes catégories vagues, et souvent fantasmées que
leurs voisins gadjés. » (Olivera, 2009) Olivier Peyroux va dans le même sens : « Toute personne
qui a rencontré des Roms est souvent étonnée de la volonté de ces derniers de chercher à tout prix
à se différencier des autres Roms en les accusant de tous les maux. » (Peyroux, 2013, p. 81)
Conclusion de section
Le Groupe Rom est un ensemble ethno-culturel élaboré « de l’intérieur », la dénomination par
l’endonyme en témoigne, mais il est délicat de le considérer comme une communauté
transnationale, unie autour d’une pratique culturelle univoque et d’une conscience d’appartenance
collective à « la » communauté rom. Les Roms de Roumanie forment un ensemble hétérogène dont
les individus rattachent d’abord leur sentiment d’appartenance et leurs pratiques culturelles à leur
territoire. Pourtant, au sens ethno-culturel, les Roms sont souvent considérés comme un groupe
uniforme et homogène qui formerait « une » communauté. A ce présupposé se conjugue l’idée que
cette communauté serait déterminée par une culture tsigane homogène et liante, ce que contestent
différents chercheurs tels que Martin Olivera, Leonardo Piasere ou Olivier Peyroux, du fait de la
nature conceptuelle et polythétique de l’ensemble tsigane.
D'autres chercheurs tels que sociologue Jean-Pierre Liégeois considèrent qu’il est faux
d’affirmer l’existence d’une « culture tsigane unifiée dans son contenu », mais reconnaissent « une
configuration tsigane » au niveau culturel. Celle-ci se caractériserait par la pratique passée ou
actuelle de l'itinérance, par la pratique actuelle ou mémorielle du romani et par les discriminations
partagées. Cette configuration rrom est défendue par des associations au niveau politique telles que
La voix des Roms ou l'URI qui, tout en revendiquant des droits et la fierté rrom, s'appuient sur la
diversité de l'ensemble tsigane. La réalité d’une identité rrom extensive telle que reconstruite par
l'URI et reconnue par l'Union européenne semble néanmoins affaiblie par le caractère conceptuel
et polythétique de la catégorie tsigane. En tout état de cause, il apparaît au moins inexact
d’envisager le sous-ensemble rom comme un groupe au mode de vie et à la psychologie collective
spécifiques, eux-mêmes induits par une culture Rrom/Tsigane originelle et univoque.
24
Section II Les « Roms », le nom d’une forme de pauvreté
spécifique
Nous analyserons en quoi le terme Rom ou Roms migrants, entouré de guillemets, désigne
également une forme spécifique de pauvreté et non une appartenance ethno-culturelle. Nous nous
efforcerons ensuite de confronter cette représentation aux ressorts de la migration Rom de
Roumanie et de les mettre en perspective avec le contexte socio-économique et migratoire roumain,
ce qui nous permettra de constater que le « Rom » ou le « Rom » migrant est un objet construit, et
non un sujet réel. Nous étudierons ensuite les enjeux rattachés à l’usage de cet objet construit.
1. Les Roms en Roumanie : Un groupe hétérogène dont la mobilité est
dictée par des raisons économiques
Retour sur le contexte économique et migratoire roumain
Un contexte économique roumain dégradé...
L'étude du contexte roumain depuis 1989 permet de distinguer trois périodes dans l'histoire
récente de la Roumanie :
1) la période de transition du régime communiste vers l'économie de marché (1990 à 2000)
où la dégradation de la situation économique a paupérisé une grande partie de la population
roumaine et particulièrement les couches peu qualifiées : fragile, non qualifié, l'ensemble des
« sous-prolétaires » voit ses opportunités sur le marché du travail se réduire de façon drastique et
sera plus rapidement et plus intensément appauvri et marginalisé que les autres par la période de
transition ;
2) une période de croissance rapide (2000-2008) qui a fait reculer la pauvreté de façon
significative ;
3) la période actuelle post-crise économique et financière où l'on constate la persistance d'un
niveau de pauvreté particulièrement élevé et supérieur à la moyenne européenne (PNUD, 2013).
...qui continue de motiver des mouvements importants de migrations économiques
En réponse aux difficultés générées par le contexte économique, la population roumaine opte
dès les années 1990 pour la migration à l'étranger. La persistance d'un faible niveau de vie pendant
toute la décennie continuera de motiver des migrations dont le caractère avant tout économique se
traduit notamment par le fait que « depuis 2002, 10 % de la valeur des investissements faits en
Roumanie viendraient de revenus rapatriés ». (Vasilcu et Séchet, 2012) Cette réponse migratoire à
une situation économique dégradée continue d'être massive (en 2012, l'OCDE place la Roumanie
parmi les trois premiers pays d’émigration au monde, avec la Chine et la Pologne et touche 10 %
de la population nationale (OCDE, 2012).
25
A cet égard, notons que, loin d'être majoritaire au sein de la population migrante, la part des
Roms est identique à celle qui est la leur dans la population nationale (Precupetu, 2013), ce qui
remet en cause les craintes « d'invasion » parfois convoquées dans le discours public (infra p. 37).
Les spécificités de la stratégie migratoire roumaine
Dès 1990, une part importante de la population roumaine s’inscrit dans une migration
économique et circulatoire faite de va-et-vient à l'étranger. Cette migration pendulaire est, selon la
sociologue Mihaela Nedelcu, une spécificité qu'elle qualifie « [d]’installation dans la
mobilité » (Nedelcu, 2002). Contrairement aux migrants extra-européens, du fait de la proximité
géographique et de l’ouverture progressive des frontières avec les autres pays d’Europe, les
Roumains migrants adoptent plus facilement une stratégie de migration pendulaire qui leur permet
de rester en lien avec le pays d'origine y compris lorsqu'ils sont en situation précaire ou clandestine.
Migrations de la minorité rom de Roumanie au regard des caractéristiques nationales
La situation actuelle des Roms en situation de pauvreté est indissociable de l'impact social
global opéré par la période de transition sur les couches populaires peu qualifiées en Roumanie
Selon Stanculescu et al. (cités in Precupetu, 2013), les gagnants de la transition économique
se trouvent parmi les individus jeunes, issus de milieu urbain, ayant suivi des études supérieures et
disposant d’une formation adaptée aux activités de l’économie de marché. Les grands perdants de
la transition sont les enfants, les Roms, les personnes avec un faible niveau d’éducation, les
personnes sans emploi ou travaillant dans l’économie informelle, plus exposées à la pauvreté. La
période de transition a donc semé les graines de nouvelles opportunités pour certaines catégories
de la population, tout en réduisant drastiquement celles des groupes qui étaient déjà les plus
vulnérables à la veille de la Révolution.
Sous le régime communiste, les travailleurs occupant un emploi dans les fermes ou les usines
d'Etat sont faiblement qualifiés et mal rémunérés. La fragilité et la vulnérabilité socio-économiques
de ceux que la Nomenklatura désigne alors comme le « sous-prolétariat » sont compensées par le
contrôle des prix et par la stabilité des revenus, puisque ces emplois sont maintenus de façon
volontariste par les pouvoirs publics. Or, ces mêmes emplois ne résistent pas à la logique de marché
imposée par le changement de régime et disparaissent massivement au moment de la période de
transition. Fragile, non qualifié, l'ensemble des « sous-prolétaires » voit ses opportunités sur le
marché du travail se réduire de façon drastique et sera plus rapidement et plus intensément appauvri
et marginalisé que les autres.
Suite aux vastes programmes d’assimilation engagés par le pouvoir roumain au lendemain de
la Seconde Guerre mondiale (sédentarisation, scolarisation, accès aux soins, logements et travail
salarial), de nombreux Roms sont encouragés à s’installer en ville. Ceux qui choisissent le milieu
urbain laissent derrière eux les activités artisanales traditionnelles et rurales, et occupent des postes
d’ouvriers non qualifiés dans les usines d’Etat ou rejoignent les services de nettoyage des rues et
du ramassage des ordures. Ceux qui restent dans les campagnes gardent un emploi agricole,
26
notamment dans les fermes d’Etat. Le processus de sédentarisation des Roms voulu par la politique
d’assimilation du régime communiste s’accompagne ainsi pour nombre d'entre eux à leur
rattachement au « sous-prolétariat », c'est-à-dire non pas à une catégorie ethnique mais à une
catégorie sociale plus vaste qui subira de plein fouet les effets de la transition économique.
Les Roumains roms aujourd’hui, un groupe hétérogène néanmoins plus impacté par la
pauvreté et les marqueurs d’exclusion dans leur pays d’origine
Selon les études14
concernant la situation socio-économique actuelle des Roms de Roumanie
une grande majorité d’entre eux suit une scolarité jusqu'à 15 ans au moins, est alphabétisée, dispose
d'une activité professionnelle et occupe un emploi salarié. Un examen approfondi de ces enquêtes
démontre que toutes les sociétés roms ne connaissent pas les mêmes difficultés, ni dans les mêmes
proportions. Certains chercheurs tels que Martin Olivera appellent par ailleurs à nuancer les résultats
de ces études, au motif que leur méthodologie introduit généralement un biais statistique en excluant
de leurs échantillons de population (supposés représentatifs des Roms) de nombreux groupes de
« Roms invisibles »15, probablement mieux insérés dans la vie locale16.
Il n'en demeure pas moins que les résultats statistiques de ces études indiquent que les Roms
sont surreprésentés dans les catégories fortement défavorisées. Aujourd'hui, beaucoup restent
particulièrement touchés par des marqueurs d'exclusion sociale tels que le taux de
déscolarisation (35 % d'individus déscolarisés avant l'âge de 15 ans, soit 6 fois plus que la moyenne
nationale), le taux d’analphabétisme (25 % d'individus analphabètes, soit 10 fois plus que la
moyenne nationale), le taux d'emploi (28% d'individus au chômage, soit 2,5 fois plus que la moyenne
nationale), le taux d'emploi salarié (33 % des Roms sont salariés, soit 2 fois moins que la moyenne
nationale). En 2009, 31,4 % des Roms étaient en situation de pauvreté absolue, contre 4,4 % de la
moyenne nationale. Ce niveau particulièrement élevé a néanmoins suivi la tendance nationale
observée au cours des années 2000 en termes de baisse de la pauvreté sévère, puisque 76,8 %
des Roms vivaient en situation de pauvreté absolue en 2003.17
Migration pendulaire et économique
Plusieurs caractéristiques ressortent des migrations roumaines depuis 1990 : ce sont des
migrations économiques, souvent pendulaires et polarisées. Jusqu’au 31 décembre 2013,
l’ensemble des citoyens roumains (et bulgares) a été freiné dans son accès à l’emploi dans les
autres pays membres, du fait de l’application des mesures transitoires depuis 2007 réduisant leur
14 Voir notamment l’étude « GINI Country Reports », et l’enquête « Pro-Romi » sur la « Pauvreté des communautés roms de Roumanie »
menée en 2005 par l’Agence nationale pour les Roms» et citée par Martin Olivera dans « Les Roms comme « minorité ethnique » ? Un
questionnement roumain », 2009.
15 Ces Roms « invisibles » qui ne s'auto déclarent pas et que rien ne distinguent socialement d'un voisin « roumain » socialement intégré.
16 Voir à ce sujet la démonstration de Martin Olivera dans « Critique de la « question Rom », 2009.
17 Voir note 16.
27
accès à l'emploi, et donc leur droit au séjour (soumis à la possession de « ressources suffisantes »
et d'une couverture maladie) dans les autres pays membres18
.
Pour Marushiakova et Popov, les motivations qui amènent les Roms de l'Est à rejoindre
l'Europe occidentale sont avant tout économiques. De fait, il semble que la situation actuelle des
Roumains roms en situation de pauvreté est indissociable de l'impact social global opéré par la
période de transition en Roumanie. Dans le fonds (motivations économiques), dans la
forme (déplacements pendulaires, polarisés, accès à l'emploi rendu difficile par les mesures de
transitions jusqu'en 2014) et au niveau quantitatif (proportion identique à leur part dans la population
nationale), la situation migratoire des Roms de Roumanie s'appuie sur les fondamentaux de la
dynamique migratoire roumaine actuelle.
L’étude de l’exemple roumain démontre que sur le plan socio-économique, il est erroné de
considérer que les Roms forment une communauté univoque et monolithe. En tant que sujet réel,
Rom désigne un groupe ethno-culturel hétérogène dont les individus qui s’y rattachent vivent une
situation socio-économique elle aussi hétérogène, laquelle, bien que plus fréquemment marquée
par les indicateurs de pauvreté, ne saurait pourtant s'y réduire. Sur le plan socio-économique,
l'équation systématique Rom = pauvre apparait comme une généralisation erronée. De même, si
l’immigration rom de Roumanie est loin d’être massive, elle s’inscrit dans une stratégie migratoire
similaire à la stratégie nationale et a été particulièrement impactée, quoique de façon hétérogène,
par la période de transition vers l’économie de marché.
2. De qui parle-t-on quand on parle des « Roms »?
Pour l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), le terme Rom désigne : « des
groupes ou des familles Roms, issus principalement de Roumanie et, dans une moindre mesure,
de Bulgarie […] installées en France, de façon plus ou moins durable, dans des conditions précaires,
qu’il s’agisse de campements illicites ou de squats » (Inspections générales, 2012, p. 5).
Nous avons cherché à compléter cette définition à partir des entretiens informels menés lors
de l’observation participante avec les personnes rencontrées au cours des tournées de rue menées
avec le Groupe Rom du Secours catholique de Paris, ainsi qu’en sollicitant les intervenants,
professionnels et bénévoles, d’actions ou de dispositifs expressément à dédiés à un public dit
« Rom ». Voici une sélection représentative des réponses recueillies suite à cette question :
« Quelles sont les caractéristiques du public accueilli ou rencontré dans le cadre de votre action ? » :
18 Prévue par le traité d'adhésion du 25 avril 2005, et notamment par l'article 20 du protocole sur les conditions et modalités de cette adhésion,
cette période limitait la libre circulation et l'accès à l'emploi pour les travailleurs roumains et bulgares dans les pays de l'Union, et ne pouvait
excéder une durée de 7 ans à compter de 2007 (soit jusqu'au 31 décembre 2013). Le principe d'une période transitoire n'est pas exceptionnel,
il a existé bien avant 2007. Au moment de leur adhésion, l'Espagne et le Portugal (1986) ainsi que huit pays de l'est de l'Europe tels que la
Pologne (2004) s'étaient vus imposer une période transitoire restreignant l'accès de leurs ressortissants aux marchés du travail des autres pays
membres.
28
« Familles roms, couchant dehors. Ils sont tous SDF, ils sont soit dans la rue soit dans des
bidonvilles. »19
« Globalement, c’est des familles. C’est une grosse caractéristique, avec généralement des
parents jeunes. Même les moins jeunes, quand ils te disent le nombre d’enfants qu’ils ont, tu te
rends compte que le premier enfant est arrivé tôt ; entre 15 et 20 ans. »20
« Il s’agit en majorité de populations venant de l’Europe de l’Est, de Roumanie et de Bulgarie.
Certains qui revendiquent leur identité rom, certains qui revendiquent le contraire, c’est-à-dire
de ne pas être Rom, mais qui pour des raisons de traduction… certains qui ne revendiquent rien
de tout ça. […] Il y a beaucoup de familles, quelques personnes isolées. Au niveau des lieux de
vie, ça peut être des gens en campements ou en squats, des gens qui vivent dans la rue ou dans
leur voiture, des gens qui vivent en appartement, soit des gens qui louent à des marchands de
sommeil. Le problème c’est que ce sont des gens qui ont souvent des revenus au noir, alors
même quand ils pourraient se payer un appartement, ils ne peuvent pas signer un contrat de
bail. »21
Les caractéristiques mises en avant par ces restitutions forment autant d’éléments de
définition du terme Rom, ici mobilisé pour désigner un migrant originaire d’Europe de l’est, installé
en famille en habitat le plus souvent précaire, vivant de ressources issues du travail non déclaré, et
dont l’identité rom au sens ethno-culturel n’est objectivement ni certaine, ni nécessaire pour que
l’individu concerné soit désigné comme « Rom ». La définition du terme Rom s’inscrit ici dans un
registre exclusivement socio-économique, éloigné des considérations anthropologiques et
historiques étudiées en première section.
Nous formons ici l’hypothèse que la population désignée par les intervenants sociaux répond
à la même définition que celle mobilisée par le discours public lorsqu’il parle des « Roms ». Pour
vérifier cette hypothèse, nous confronterons les caractéristiques identifiées à l’analyse de notre
corpus.
Une migration familiale venue de l’Est
Tout d’abord, les « Roms » sont entendus comme des migrants venus de l’Est. Pour
l’Observatoire des inégalités, « les groupes mis en cause [lorsque l’on parle des Roms] - expulsables
car étrangers en situation irrégulière - sont environ 20 000, originaires de Roumanie, de Bulgarie et
d’autres pays d’Europe de l’Est. [… ]. En préambule de son rapport d’activité 2012, Romeurope22
précise : « Dans ce rapport, le terme « Rom » n’est pas employé dans son sens générique mais en
référence au groupe présent dans les Balkans et en Europe centrale, dont une partie a émigré
plus ou moins récemment dans les pays d’Europe de l’Ouest. ».
19 Entretien : Jacques G., bénévole au Secours catholique (Groupe Rom et Equipe Accueil de rue). 11 juin 2014
20 Entretien : Silvia E, bénévole au Groupe Rom du Secours catholique de Paris. 19 mai 2014
21 Entretien : Louise M., assistante sociale pour la « Mission Rom » d’ALAR, une association d’insertion par le logement ; 21 juin 2014
22 Collectif National Droits de l’Homme Romeurope. Collectif créé en 2001 pour l’accès aux droits fondamentaux des Roms. Nous traiterons
de la création et du positionnement politique de ce collectif de façon plus approfondie au pp.68-71
29
L’étude du corpus de presse confirme lui aussi à la fois l’idée de migration et de mobilité en
famille comme élément caractéristique des « Roms » : tout d’abord, les termes Roumanie et Bulgarie
apparaissent respectivement 61 et 31 fois, tandis, que l’on retrouve 47 occurrences de famille.23
L’aspect familial de la migration dite « Rom » est donc sa caractéristique principale. Elle diffère
en cela de la stratégie migratoire classique (homme seul, encore jeune, venu travailler pour gagner
de l'argent dont il enverra une partie à la famille restée au pays)24
. Il serait erroné d’interpréter ces
mouvements comme des manifestations de la nature nomade des Roms. Leurs migrations et
aller-venues entre l’Europe de l’Ouest et le pays d'origine s'inscrivent dans un schéma
caractéristique de la stratégie migratoire roumaine, circulatoire et économique depuis 1990. Qu'elle
soit effectuée par des Roms ou des non-Roms, cette migration roumaine pendulaire (« installée
dans la mobilité » du fait de la proximité géographique permettant des aller-retours au pays, comme
l’explique Alexandra Nacu) n'a donc rien à voir avec d'éventuelles pratiques nomades.
Les entretiens menés avec les personnes rencontrées dans le cadre des activités du
Groupe Rom confirment par ailleurs ces résultats de recherches. Mariana, 26 ans, explique qu’en
Roumanie, elle vit avec son mari et ses quatre enfants dans une petite maison où résident aussi
6 adultes et plusieurs enfants, tous membres de sa famille élargie. Tous les adultes fabriquent à
leur compte des briques qu’ils revendent à des grossistes ou à des particuliers. Mariana nous
explique comment elle récupère sa matière première, combien de briques sont fabriquées par heure
en moyenne, le nombre d’heures de travail par personne, le temps de séchage pour chaque brique,
le tarif de vente à l’unité qui n’est pas le même pour les grossistes que pour les particuliers, le
nombre de briques vendues en un mois… après de savants calculs, l’un de nous conclut que cela
génère, au mieux, un chiffre d’affaire d’un peu moins de 1 000 € par mois, ce que Mariana approuve
en précisant que la somme est répartie entre les différents adultes de la famille. Ces revenus ne
permettent pas de construire une maison individuelle pour elle, son mari et ses enfants. Le départ
pour la France a été envisagé comme une opportunité pour gagner un peu plus d’argent avant d’aller
construire leur maison dans la ville de Buzau. Assise dans une rue du quartier Saint Germain avec
ses enfants chaque fois que nous la voyons, Mariana pratique une mendicité passive, tandis que
son mari travaille sur des chantiers de construction non déclarés dans le Val d’Oise. Ils prévoient
d’avoir gagné suffisamment d’argent en janvier pour rentrer en Roumanie et construire la maison.
Claudia, 34 ans, ne semble pas avoir de projet aussi élaboré. Elle explique qu’elle est là parce
qu’en Roumanie « il n’y a pas d’argent ». Florin, 32 ans, explique lui aussi qu’il est là pour trouver
du travail. La vie avec Ana, sa compagne, et son bébé au domicile de ses parents est trop difficile
à supporter, ils sont trop nombreux à vivre sous le même toit. Il veut pouvoir s’installer avec sa
famille dans une maison ou un appartement à eux seuls. D’autre part, la vie est chère, il est trop
23 Prenons cet extrait du journal Le Monde pour exemple (article n° 11 du corpus) : « Moins nombreuses qu'avant, ces familles d'origine
bulgare ou roumaine restent concentrées en Essonne […] et surtout en Seine-Saint-Denis. Un rapport interministériel avait comptabilisé fin 2012
près de 7 500 des migrants roms dans ce seul département, sur un total de 11 700 en Ile-de-France. »
24 Séminaire de Toulouse du CNDH-Romeurope, 17 et 18 mai 2014
30
peu allé à l’école pour avoir un emploi qualifié et les travaux agricoles que sa femme et lui peuvent
faire en Roumanie ne rapportent pas assez d’argent pour faire face au quotidien et s’installer.
Ces différents récits et projets de vie confirment les travaux de recherche qui démontrent la
nature économique des motivations migratoires dites « Roms », et plus globalement roumaines.
Lieu de vie : « campement », grande précarité et regroupement
La deuxième caractéristique importante rattachée aux populations dites « Rom » renvoie à
des conditions d’habitat très précaires. Pour l’Observatoire des inégalités, « ces populations ont en
commun de vivre souvent dans des conditions très difficiles (sites pollués, absence d’électricité et
d’eau courante, etc.) [Observatoire des inégalités, 2013] ». Ainsi, l’habitat dit « rom » est un habitat
de fortune installé dans les zones de relégation, en marge des villes, dans des squats ou sur des
terrains inoccupés, ce qui contribue à la visibilité des pratiques de ces migrants et, par là, à
l’émergence de la « Question Rom »25
. Notons que pour l’IGAS et pour l’Observatoire de la pauvreté,
le nombre de « Roms » désigne le nombre d’habitants en bidonvilles, et réciproquement.
L'étude du corpus nous montre par ailleurs que sur les 33 articles de presse mobilisés, on
retrouve 64 occurrences des termes camp, campement ou bidonville, et une douzaine liée au
champ lexical de la pauvreté (pauvre, misère, etc.). Pour parler des lieux de vie des « Roms », le
discours public optera en effet plus volontiers pour le terme camp ou campement, l'usage de
bidonville apparaissant presque marginal.
Une recherche d'occurrences associées au terme Rom sur le moteur de recherche Google
permet de s'en rendre compte. Pour ne pas biaiser les résultats du fait de la polysémie d'un
terme (camp, par exemple) qui pourrait faire ressortir plus d'occurrences que celles concernant
réellement notre champ lexical, nous avons associé le terme Aulnay-sous-Bois26. Ainsi, les formules
de recherche testées ont eu pour résultat :
- campement+roms+"Aulnay-sous-bois" : 34 900 résultats
- camp+roms+"Aulnay-sous-bois" : 33 330 résultats
- bidonville+roms+"Aulnay-sous-bois" : 6 160 résultats
Le terme Bidonville apparaît 5 fois moins que les termes camp et campement. Ces résultats
peuvent être confirmés par d'autres combinaisons à trois termes, mais c'est véritablement la
combinaison des deux premiers mots qui démontre à quel point la terminologie semble consacrée :
dans cette configuration, le terme Bidonville apparait 657 fois moins que le terme campement, ce
qui démontre sa prévalence.
- campement+roms : 47 900 000 résultats
- camp+roms : 548 000 résultats
- bidonville+roms : 72 900 résultats
25 Voir à ce sujet les travaux d’Olivier Legros
26 Au moment de la recherche, l'évacuation du bidonville d'Aulnay-sous-Bois (29 juillet 2014) vient de se dérouler et bénéficie d'une relative
couverture médiatique.
31
Une simple lecture des définitions des entrées camp, campement et bidonville dans le
dictionnaire permet d'identifier le contenu réel et symbolique de ces termes, puis de le mettre en
regard de la situation des familles dites « Roms » (les définitions des termes analysés ci-après sont
consultables dans leur intégralité en annexe 6).
Alors que la définition du terme Bidonville semble en faire le signifiant le plus fidèle pour
illustrer et décrire la réalité de ces familles (« habitations de fortune », « construites à la périphérie
de certaines grandes villes », « population sans ressources, difficile à intégrer »), il est le moins
utilisé des trois. L'usage répété, voire consacré, des termes campement et camp mobilise alors un
champ lexical qui n’est ici plus celui de la grande pauvreté marginalisée mais celui du
nomadisme (« Action de camper », « campement de bohémiens, de nomades, d'une tribu, de
tsiganes »), du camping (« groupe de campeurs ») ou de l’action militaire (« Terrain généralement
clos et fortifié », « des troupes s'installent », « pour se loger, s'entraîner ou se défendre ») : autrement
dit, à un type d’abri temporaire mais volontairement choisi ou dangereux.
Enfin, parce qu'ils rassemblent des individus, parfois nombreux, dans une promiscuité
importante, ces lieux de vie peuvent donner l'apparence d'une organisation collective
communautaire et liée par l'entraide. Alexandra Nacu et Milena Guest démontrent en quoi, à cette
vie collective, se superpose une dynamique fortement individualiste dont il convient de tenir compte
au risque de tomber dans « le trompe l'œil de la communauté ». Ce trompe-l'œil est par exemple
alimenté par certains migrants qui s'auto-désignent « chefs de terrain ». Les chercheuses y voient
des « personne[s] dont la fonction oscille entre l’exploitation de la pauvreté et l’organisation de ces
rassemblements de fortune » mais en aucun cas des représentants communautaires. C'est pourtant
le statut que, dans le souci d'avoir un nombre d’interlocuteurs limité, certaines associations leur
accordent (Nacu, 2010).
La biffe et la mendicité
Suite à l'élargissement de l'Union européenne à la Roumanie et la Bulgarie, les citoyens
provenant de ces pays bénéficient comme l’ensemble des ressortissants européens de la libre
circulation mais leur accès à l’emploi et donc leur droit au séjour est resté limité par l’application de
mesures transitoires jusqu’au 31 décembre 2013.
La période de transition maintenue par la France entre 2007 et le 31 décembre 2013 a
indéniablement constitué un frein pour l'accès à l'emploi des citoyens roumains et bulgares qui
voyaient toute activité salariée soumise à l'obtention d'une autorisation de travail, laquelle était
délivrée aux mêmes conditions que celles s'appliquant aux étrangers non européens. Alors que l'on
observe un niveau de français et de qualification relativement bas chez les habitants de bidonvilles,
les contraintes administratives et financières qui entouraient toute embauche potentielle n'en
faisaient pas des candidats particulièrement « attractifs » pour les employeurs.
Mémoire - "Ceux que l'on dit Roms"
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Mémoire - "Ceux que l'on dit Roms"

  • 1. Mémoire « Ceux que l’on dit Roms » au Secours catholique de Paris Définir et nommer un public, un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale
  • 2. Conservatoire National des Arts et Métiers MEMOIRE DU MASTER 2 PROFESSIONNEL Encadrement et ingénierie de l'action sociale et de l'intervention sociale Présenté par Virginie SCHMIDT « Ceux que l’on dit Roms » au Secours catholique de Paris : Définir et nommer un public, un enjeu politique et opérationnel de l’intervention sociale Tutrice : Evangeline Masson-Diez Année universitaire 2013-2014
  • 3. 1 Un mot n'est pas la chose, mais un éclair à la lueur duquel on l'aperçoit. Denis Diderot Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. Albert Camus
  • 4. 2 Remerciements La réalisation de ce mémoire a été possible grâce au concours de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma reconnaissance. Je tiens à remercier tout particulièrement Evangeline Masson-Diez pour son appui et sa présence à chacun des moments clé de l'élaboration de ce mémoire. Pour sa bienveillante disponibilité et ses précieux conseils, pour m'avoir fait confiance et m'avoir laissé la liberté nécessaire à l'accomplissement de mes travaux tout en y gardant un œil critique et avisé, je lui témoigne ici toute ma gratitude. Je la remercie également pour ses relectures attentives et enrichissantes. J’adresse également mes remerciements aux acteurs bénévoles, salariés et intervenants associatifs rencontrés durant cette enquête qui ont bien voulu m’aider en acceptant de me donner de leur temps, de partager leur expérience et me transmettre leurs connaissances. Pour leur accueil chaleureux au sein de l’équipe et leur sens de l’engagement communicatif, mes remerciements vont également aux bénévoles du Secours catholique de Paris, et plus particulièrement à tous mes camarades de tournées. Ce mémoire est le fruit d’un parcours de formation hors temps de travail commencé il y a plusieurs années et mené en conciliation avec ma vie professionnelle. Je tiens à exprimer à mes collègues ma sincère reconnaissance pour leurs encouragements et leur précieux soutien durant tout ce temps. Ma profonde et affectueuse reconnaissance ira aussi bien entendu à mes proches. Un grand merci à eux de m’avoir accompagnée tout au long de cette démarche, et un mercé plan tout particulier à ma mère pour son soutien inconditionnel : l’aboutissement de ce mémoire et du travail universitaire qui l’a précédé est aussi le fruit de leur appui dans les moments de doutes et de la tendresse dont ils m’ont entourée. Ces remerciements ne peuvent s’achever sans une pensée pour les familles rencontrées lors des tournées réalisées avec le Secours catholique de Paris.
  • 5. 3 SOMMAIRE Introduction ................................................................................................................ 4 Méthodologie ................................................................................................................ 7 Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie et classe sociale .........................................11 Section I Les Roms sont perçus comme une communauté homogène de culture tsigane ....................... 11 1. Les Roms et les limites du « concept tsigane » ............................................................................................................11 2. Devenir rrom pour se démarquer des représentations tsiganologiques .....................................................................13 3. Communauté univoque ou configuration de sociétés aux cultures et appartenances hétérogènes ? ........................18 Section II Les « Roms », le nom d’une forme de pauvreté spécifique....................................................... 24 1. Les Roms en Roumanie : Un groupe hétérogène dont la mobilité est dictée par des raisons économiques...............24 2. De qui parle-t-on quand on parle des « Roms »?.........................................................................................................27 Section III Les Misérables, infâmes ou infortunés..................................................................................... 35 1. Les « Roms », les « infâmes » : figures de la population indésirable............................................................................36 2. Les « Roms ou les « infortunés », figures de la victime...............................................................................................39 Récusation du terme Rom et transformation des paradigmes mobilisés .............................48 Section I De la défense de l’altérité culturelle à la défense d’ayants-droit.............................................. 48 1. « En route avec les Roms et les Gens du voyage ».......................................................................................................48 2. L’auto-évaluation de 2012 ...........................................................................................................................................55 3. La déclaration d'Evry....................................................................................................................................................58 Section II Une évolution partagée par d’autres grands acteurs................................................................ 64 1. L’approche ethno-sociologique de Médecins du Monde en 1994 ...............................................................................64 2. Une action associative qui s’articule progressivement et collectivement autour du respect des droits fondamentaux et de la reconnaissance de l’identité tsigane.........................................................................................................................68 3. Récuser le mot Rom, quitter le paradigme de la « Question Rom » ............................................................................71 Enjeux opérationnels de la désethnicisation de la « Question Rom » ..................................76 Section I La désethnicisation comme enjeu premier et structurant de l’intervention sociale ?............... 76 1. Attitudes terminologiques dans les communications grand public et informelles des associations ...........................76 2. Poursuivre la remise en cause du système de pensée ethnicisant qui invite au désengagement de la société sur les questions de pauvreté...........................................................................................................................................................79 3. Chaque famille est un monde à part pris en compte pour lui-même...........................................................................82 Section II Des dispositifs spécifiques pour pallier aux lacunes du système social..................................... 90 1. Des caractéristiques socio-économiques dont émergent des besoins spécifiques......................................................91 2. Etudes des dispositifs spécifiques ................................................................................................................................98 3. Le Groupe Rom dans le cadre du projet de délégation 2014/2017 ...........................................................................102 Section III Adapter les actions de terrain à la déclaration d’Evry au Secours catholique de Paris : enjeux et pistes de réflexion ....................................................................................................................................... 105 1. Etendre la logique Maisons à l’action du Groupe Rom ..............................................................................................106 2. La Cause « Rom » : l’engagement des bénévoles est ethnicisé..................................................................................110 3. Sensibilisation contre le rejet anti-rom et désethnicisation de la « Question Rom », une équation complexe.........115 CONCLUSION .............................................................................................................126 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................130 TABLE DES ANNEXES........................................................................................................138
  • 6. 4 Introduction « Alors les Roms, ça n’existe pas ! » « Alors, d'abord, les Roms, ça n'existe pas ! » Voici, en substance comment débutaient les premiers échanges avec certains salariés et bénévoles du Groupe Rom que je venais de rejoindre en tant que bénévole au Secours catholique de Paris. Je crois me souvenir de la première fois que j’ai entendu cette phrase, implacable préambule à bon nombre des futures réponses qui accueilleraient mes premières questions : boulevard du Temple à Paris, un lundi d’octobre autour de 20h. C’est l’une des premières tournées de rue auxquelles je participe avec l’association. Les souvenirs de mes quatre années d’équipière aux maraudes de la Croix Rouge remontent, et je cherche à comprendre ce qui distingue le public sans-domicile-fixe que je rencontrais alors, des familles roms que nous venons de quitter dans le quartier de République. Les racines de mon implication elles-mêmes étaient différentes. « La main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit », dit le proverbe. Etudiante, je pensais que participer à des maraudes était une façon de dépasser la charité d’une pièce glissée dans la main au détour d’une rue, et permettait à l’aide matérielle d’être proposée dans le cadre d’un échange véritable, de personne à personne et en reconnaissant l’individualité de celui qui reçoit. Dix ans plus tard, la place de premier rang accordée par l’actualité à la « Question Rom », et ce que je considère alors comme l’expression d’un racisme ordinaire et banalisé à l’égard d’une population, interpelle mes valeurs politiques et citoyennes. Comment, individuellement et concrètement, se démarquer de ce discours généralisé dont le principe même me heurte ? Qui sont ces gens dont on parle si violemment ? Qui sont-ils, ceux et celles que je vois, parfois avec leurs petits enfants en pleine journée en situation de mendicité ? Mon arrivée comme bénévole au Secours catholique avait donc d’autres buts que le seul objectif de solidarité. Je cherchais également à comprendre qui sont les Roms. Pour tenter de répondre à ces questions, je rejoignais à l’automne 2013 le Groupe Rom du Secours catholique de Paris, et décidai d’y consacrer le mémoire du Master 2 d’ingénierie sociale au Conservatoire National des Arts et Métiers. Ce lundi soir, boulevard du Temple, plusieurs questions se bousculent dans mon esprit. Nous venons de quitter Violeta, 9 ans, et sa mère : arrivées en France il y a quelques semaines, elles dorment la nuit contre le rideau de fer d’un magasin avec d’autres familles du quartier. Pourquoi les familles roms de ce quartier ont-elles migré en France ? Depuis combien de temps vivent-elles en rue ? Ces conditions sont-elles préférables à celles qu’elles trouvent dans le pays d'origine? Est-ce que les réponses d’hébergement et d’accompagnement élaborées pour les sans-abris « classiques » représentent une réponse pertinente pour les Roms ? « Alors, d'abord, les Roms, ça n'existe pas ! »…. Comme d’autres le feront plus tard, K., le responsable de cette tournée commence ainsi sa réponse, puis continue en montrant un
  • 7. 5 attachement particulier à vouloir déconstruire l'idée même d'une communauté ou d’une identité, et à démontrer que les caractéristiques (culturelles, religieuses, nationales, ethniques, historiques) que l'on croit généralement communes aux tsiganes d'Europe centrale sont erronées. Exposition du sujet et problématique Pourquoi cependant ses explications, comme celles qui viendront plus tard de différents intervenants bénévoles ou salariés, restaient-elles émaillées par le terme Rom ? Pourquoi, en tournée, l'un d'entre nous (le même parfois qui venait de dire que les Roms n'existent pas), s’apercevant subitement d'un oubli, lançait à l'équipe : « Dites-donc, j'ai vu une famille Rom rue X, il faudrait qu'on aille les voir ce soir ! » ? Pourquoi les documents qui m'ont été remis lorsque j'ai été accueillie dans l'équipe parlent tous « des Roms »1 ? Et, tout simplement, pourquoi existe-t-il un « Groupe Rom » au Secours catholique de Paris, si les Roms n'existent pas? Francis Picabia écrivait « Ce sont les mots qui existent, ce qui n'a pas de nom n'existe pas. Le mot lumière existe, la lumière n'existe pas » (Picabia, 1996, p.35). Si le nom Rom n’existe pas, quid de ceux qu’il prétend désigner ? D’où provient cette volonté de ne plus parler de Rom alors que tout semble indiquer l’inverse ? Comment définir une réalité si on ne la nomme pas? Comment élaborer des dispositifs sociaux répondant aux besoins du public si celui-ci n’est pas défini ? Le présent travail s’intéressera aux enjeux associés au choix du terme Rom comme dénomination associée au public d’un organisme privé d’intervention sociale. Que traduit la question du nom ? Si un même objet est désigné par des termes différents, on peut commencer par interroger l’objet lui-même. Parle-t-on vraiment du même objet ? Les différences qui séparent les termes relèvent-t-elles de l’objet désigné, ou plutôt de ceux qui le désignent ? De quels enjeux politiques et opérationnels ces hésitations apparentes autour de la terminologie choisie pour désigner le public du Groupe Rom sont-elles le symptôme ? Dans le cadre de l’intervention sociale, en quoi ces différences sont-elles susceptibles d’impacter l’approche et la mise en œuvre des réponses proposées ? L’ensemble de ces interrogations sera réuni autour d’une même question qui constituera la problématique de notre travail : en quoi ce qui se joue derrière le choix d'user ou non du terme Rom pour désigner son public impacte-t-il l'action d'une association privée d'intervention sociale ? 1 Par exemple, le document intitulé « Vade-mecum Groupe Roms à Paris : À la rencontre des nouveaux ressortissants de l’Union Européenne (Roumains et Bulgares) vivant en squats ou en bidonvilles. » qui explique : « Ce document a pour objectif d’aider les nouveaux bénévoles à commencer des accompagnements auprès des familles Roms ».
  • 8. 6 Annonce du plan Dans une première partie, nous chercherons à dresser un état des lieux des significations et représentations rattachées au signifiant Rom. En mobilisant des ressources issus de la presse, de la lexicographie, des arts et des sciences humaines plus particulièrement, nous tâcherons d’identifier des significations et des représentations différentes dont nous identifierons les caractéristiques, les points communs et les écarts. A partir d’une cartographie analytique des réponses possibles à la question « de qui parle-t-on lorsque l’on utilise le terme Rom ? », nous tâcherons d’en présenter les enjeux et les retentissements. Dans une deuxième partie, nous proposerons une analyse de documents de travail et de documents institutionnels émis par le Secours catholique et rédigés à des périodes différentes (2002, 2012 et 2014). Nous chercherons à restituer ce que semblent dire, dans le fonds et dans la forme, au cours du temps, les discours de l’institution au regard de notre grille d’analyse. Nous verrons en quoi l’évolution terminologique des supports, notamment liée à l’usage du terme Rom, traduit une évolution politique majeure dont nous tâcherons de présenter les mécanismes d’une part, et de comparer les caractéristiques aux positionnements de grands acteurs de l’intervention sociale et médico-sociale en direction des publics dits « Roms », d’autre part. La troisième partie abordera les enjeux de la catégorie « Rom » dans le champ de l’intervention sociale et de l’action associative bénévole. Après avoir identifié les retentissements de cette catégorisation au regard de l’analyse de la pauvreté, nous tâcherons de comprendre en quoi elle peut impacter la conception et la mise en œuvre de dispositifs sociaux spécifiques dont nous étudierons les apports et les limites. Une mise en perspective avec les caractéristiques du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, en tant que dispositif spécifique mis en œuvre par des bénévoles nous permettra d’identifier les défis auxquels l’association doit répondre pour articuler de façon cohérente ses actions opérationnelles avec le positionnement politique du siège de l’association au regard de la dite « Question Rom ». Nous terminerons ce chapitre par un ensemble de propositions et de pistes de réflexion susceptibles d’apporter une réponse à ces enjeux.
  • 9. 7 Méthodologie L’approche méthodologique mobilisée pour la réalisation de ce travail a tenté de définir les éléments de caractéristiques associés aux Roms dans la société globale, et au regard des sciences humaines. De ce fait, nous nous sommes appuyés sur des ressources de disciplines différentes, telles que l’histoire, la littérature, l’ethnologie, le droit et la sociologie (voir bibliographie). Corpus de presse Aux apports de ces travaux dont les hypothèses ont été mises à l’épreuve par leurs auteurs au moyen des méthodes d’analyse scientifique, nous avons associé l’étude d’un corpus d’articles de presse. A travers une analyse du fonds et de la forme des discours de la presse généraliste pendant une période donnée, ce corpus doit nous permettre d’identifier les représentations majoritaires concernant les populations désignées par le terme Rom. Il se compose de 33 articles tirés de la presse française, nationale et régionale, publiés au cours du deuxième semestre 2013 et portant sur les Roms de manière principale. Très majoritairement, ces articles ont été publiés entre le 24 septembre 2013 et le 21 octobre 2013. Le choix de cette temporalité a été dicté par la profusion d’articles et de points de vue ayant été exprimés sur les Roms au cours de cette période suite à l’intervention du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, au sujet d’une inadéquation entre mode de vie des Roms à la société globale (Le Point, 24 septembre 2013). Conjuguée à une atmosphère de pré-campagne électorale, cette sortie médiatique a généré une importante production d’articles dans la presse généraliste et d’opinion. Pour chacun de ces articles, nous avons également prélevé, de façon aléatoire, une dizaine de commentaires postés par les lecteurs dans la quinzaine suivant la date de publication de l’article. Dans un souci de représentativité, nous nous sommes efforcés de mobiliser des titres nationaux et régionaux, mais surtout variés en termes de positionnement politique. Journaux nationaux (29 articles)  15 articles issus de journaux de gauche, centre-gauche : Le Monde (5 articles), Nouvel observateur (3 articles), Libération (3 articles), Médiapart (1 article), Huffington Post (1 article), Télérama (1 article), Journal international (1 article)  1 article issu d’un journal de gauche anti-libérale : L’Humanité  12 articles issus de journaux de droite, centre-droit : Le Figaro (4 articles), Le Point (3 articles), Journal du Dimanche (3 articles), La Croix (1 article), Atlantico (1 article),  1 article issu d’un journal de droite libérale-conservatrice : Valeurs actuelles Presse régionale (6 articles)  Le Parisien (4 articles), Ouest France (1 article), Le Télégramme (1 article)
  • 10. 8 Observation participante L’observation participante s’est déroulée au sein du Groupe Rom du Secours catholique de Paris où je suis bénévole depuis octobre 2013. Nous nous appuierons sur les résultats de l’observation participante dès la première partie, dont l’objectif est d’identifier de qui l’on parle lorsque l’on utilise le terme Rom, et plus particulièrement au cours de la troisième partie de ce travail où il sera question de proposer une réflexion sur les modalités de prise en charge et d’accompagnement opérationnelle des individus dits « Roms ». Le Groupe Rom organise des tournées en rue et en bidonvilles sur différents sites de la capitale, chaque semaine entre 19h et 21h30, le plus souvent en présence d'un interprète roumanophone. Non distributives, ces tournées ont pour objectif de permettre la création d'un lien de confiance avec les personnes rencontrées afin d’engager une mission d'orientation et d'accompagnement, de médiation parfois, vers l'organisme ou le dispositif à mobiliser. Entre octobre 2013 et la fin de la rédaction de ce mémoire, j’ai participé à 20 tournées environ, ce qui m'a d'abord permis de découvrir différents sites d'intervention (quartier République, quartier Bastille, un terrain Porte des Lilas) et de m'intégrer à plusieurs équipes avant d'être fixée, plus tard, à partir de février 2014 à la tournée de rue du quartier Saint-Germain-des-Prés. Dès mes premières participations à la vie du Groupe, je constatai qu’aucune famille ne mentionnait le fait d’être Rom ou pas, et il semblait inapproprié de questionner les personnes rencontrées sur cette identité rom alors que les conversations tournaient autour de sujets beaucoup plus fondamentaux, liés à l’hébergement d’urgence, à la santé des enfants, à la recherche de travail… D’octobre à février 2014, je changeai régulièrement de site et d'équipe d’intervention. Cette instabilité compliquait pour moi la possibilité de tisser des liens individualisés avec les familles et, là encore, rendait incongrue l’idée même de leur livrer mes questions sur le thème de l’identité rom. Pour d’autres raisons, la mise en place d’une nouvelle tournée à Saint-Germain et mon rattachement régulier à cette équipe n’a pas particulièrement changé les choses à cet égard. La démarche d'aller-vers, « mains nues », sans café et sans vivres peut rendre les premières rencontres de l'équipe et des personnes rencontrées un peu étranges. Comprennent-elles pourquoi nous sommes là ? Comment l'expliquer, en français (nous n’avons pas eu d’interprète pendant plusieurs semaines) à un public faiblement francophone, qui n'a pas demandé à nous rencontrer et que nous venons voir sur notre propre initiative ? Le temps et la régularité et l’arrivée d’une bénévole roumanophone ont permis à la confiance d’éclore doucement entre les familles et l’équipe, puis d’accorder une forme de légitimité à notre présence. Néanmoins, redoutant de mettre en péril la qualité de ce lien naissant, d’apparaitre intrusive sur un thème rarement évoqué par les familles, j’ai pris le parti de ne pas poser de questions directement rattachées à ce que veut dire être Rom. Au fil des semaines, les personnes ont livré des anecdotes, des récits sur leur vie, sur leurs besoins, sur leurs projets. Si cette observation participante n’a pas donné lieu à des entretiens formels avec les personnes aidées par le Groupe Rom, les rencontres ponctuelles ou régulières
  • 11. 9 réalisées dans la rue ou sur des sites d’habitat précaire ont néanmoins constitué une ressource essentielle dans le présent travail. Les noms et prénoms utilisés dans la restitution des séquences de l’observation participante ont été anonymisés. Participation aux réunions et séminaires En tant que bénévole du Groupe Rom, j’ai eu l’opportunité de participer à différents temps d’échanges et de réflexion collective : - Réunions d’équipe organisées par l’animatrice salariée (présence à trois réunions) - Séminaire « Roms », organisé par le Secours catholique à Evry le 4 février 2014 - Séminaire « Rencontre nationale », organisé par le collectif Romeurope et rassemblant les associations membres, à Toulouse les 17 et 18 mai 2014. Ces temps collectifs ont constitué un apport important dans le présent mémoire car ils m’ont permis tout d’abord de nourrir ma démarche exploratoire, puis de confronter différentes hypothèses de travail aux propos de salariés et de bénévoles, que ce soit dans le cadre des ateliers, ou de façon plus informelle. En permettant l’écoute de perspectives diverses, ces temps d’observation participante ont particulièrement favorisé l’étonnement et le questionnement. Entretiens formels Ce mémoire s’appuie également sur différents entretiens formels, menés selon la méthode semi-directive. Cette méthode qualitative m’a semblé plus appropriée au contexte et aux objectifs de notre travail. Tout d’abord, une part importante de ce mémoire est consacrée aux usages terminologiques associés à la dite « Question Rom ». Il semblait important de laisser à chaque interviewé la possibilité de parler ouvertement, à l’aide de termes choisis par lui-même. Ensuite, il apparaissait important de permettre aux enquêtés d’orienter l’entretien vers des perspectives ou des points de vigilance que ma courte expérience au sein du Groupe Rom et ma recherche débutante autour d’un sujet que j’ai abordé totalement profane, ne m’auraient peut-être pas permis d’envisager sans leur conduite. Cette méthode semi-directive qui, pour certains entretiens s’est progressivement transformée en entretien libre, a en effet permis de faire émerger directement et indirectement des thématiques de réflexion qui n’avaient pas été envisagées avant l’interview, et de confronter, de co-construire parfois, des raisonnements avec des acteurs de terrains forts de leurs pratiques, de leur expériences, de leur analyses respectives et singulières. Nous proposons, ci-après, une présentation des différentes personnes interviewées dans le cadre d’entretiens formels. Deux personnes particulièrement impliqués dans des actions liées à la dite « Question Rom » ou aux bidonvilles, avec leur accord, citées sous leurs identités véritables. Les autres interviewés seront présentés avec un prénom d’emprunt.
  • 12. 10 1. Evangeline Masson-Diez, animatrice salariée du Groupe Rom au Secours catholique de Paris : a. 4 février 2014 et 7 septembre 2014. b. A ces deux entretiens formels se sont ajoutés de nombreux entretiens informels. 2. Sébastien Thiéry, politologue et fondateur-coordinateur des actions de l'association le PEROU (Pôle d'exploration des ressources urbaines). Le 27 juin 2014. 3. Jacques G., bénévole du Groupe Rom et de l’équipe Accueil de Rue au Secours catholique, environ 55 ans. Le 11 juin 2014. 4. Mickaël A., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 34 ans. Le 19 mai 2014. 5. Claire D., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 24 ans. Le 2 juin 2014. 6. Silvia E., bénévole roumanophone du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, 32 ans. Le 2 juin 2014. 7. Bénédicte H., bénévole du Groupe Rom du Secours catholique de Paris, environ 40 ans. Le 2 juin 2014. 8. Louise M., assistante sociale pour la « Mission Rom » d’une association d’insertion par le logement (désignée sous l’acronyme ALAR dans le présent travail), 33 ans. Le 21 juin 2014. 9. Julien D., salarié coordinateur de mission chez Médecins du Monde, en lien avec les problématiques des habitants en bidonville en France. Environ 35 ans. Le 3 juillet 2014. 10. Adeline J, directrice d’accueil de jour en Ile-de-France, dans une ville de 50 000 habitants, 37 ans. Le 1er septembre 2014 Remarque sur les analyses rattachées au pays d’origine des personnes aidées et rencontrées par le Groupe Rom du Secours catholique de Paris. La totalité des personnes rencontrées par le Groupe Rom ou désignées comme Roms et présentes sur le territoire francilien sont de nationalité roumaine. C’est pourquoi, lorsqu’il sera question d’analyser les éléments liés au pays d’origine, nous nous concentrerons davantage sur la Roumanie.
  • 13. 11 Première partie Rom, un signifiant flottant qui fusionne ethnie et classe sociale Nous ne tenterons pas dans cette première partie de savoir qui sont les Roms mais de répondre à la question « De qui parle-t-on quand on parle des Roms ? ». L’analyse du discours public et des ressources terminologiques classiques nous montrera que le terme Rom peut renvoyer alternativement, simultanément parfois, à deux registres de faits sociaux et de représentations, liés à l’appartenance ethno-culturelle et à l’appartenance socio-économique. Nous verrons en quoi le télescopage des Roms sujets réels et objets construits à l’intérieur de ces deux registres conduit à l’élaboration d’une figure du « Rom » elle-même déclinée en quatre figures : la figure de l’Autre, la figure du Misérable, la figure de la Victime, et la figure de la Déviance. Section I Les Roms sont perçus comme une communauté homogène de culture tsigane 1. Les Roms et les limites du « concept tsigane » Tsigane, la première clé d'entrée pour définir le terme Rom Si le dictionnaire de l’Académie française et le Littré ignorent l’entrée Rom, le Larousse en propose une définition qui le rattache à l’ensemble tsigane. Les significations associées au terme Tsigane constituent donc un point de départ pour tâcher de comprendre de qui l’on parle lorsque l’on tente de définir les Roms à partir des ressources terminologiques classiques. Pour plus de lisibilité, toutes les définitions mobilisées ci-après sont citées dans leur intégralité en annexe 2. En 1872, le Littré renvoie le terme Tzigane à une signification linguistique (un « dialecte indien ») mais ne l'étend pas à la notion de peuple ou de groupe culturel spécifique. Près de 150 ans plus tard, le Dictionnaire de l’Académie française et le Larousse mentionnent toujours l’origine indienne mais la rendent plus extensive à tel point que l'on peut véritablement considérer que Tsigane désigne un ensemble ethno-culturel originaire d’Inde. En prolongement, alors que le Littré parlait de « petites bandes », les dictionnaires modernes engagent nettement la notion de « peuple ». Celle-ci est néanmoins sensiblement différente entre les deux ressources. Là où le dictionnaire de l'Académie voit « un peuple », le Larousse parle d'un « ensemble de peuples » tsigane(s) a priori distincts les uns des autres et ne formant pas une nation tsigane transnationale. En outre, dans les trois sources, la notion d’itinérance occupe une place différente. Totalement inexistante pour le Larousse, elle est, bien que présentée sous des formes distinctes, prépondérante pour le Littré du XIXe siècle et le dictionnaire de l’Académie du XXIe siècle. Le premier désigne de façon dépréciative une classe sociale errante et sans appartenance culturelle
  • 14. 12 spécifique (« vagabonds », « bandes ») tandis que le second parle d’un « nomadisme » implicitement relié à un mode de vie ethno-culturel (« peuple [...] menant une existence nomade »). Enfin, les trois sources ne s’accordent pas sur les territoires de vie des « Tsiganes ». Le Littré ne mentionne pas de sites d'implantation particuliers, l'Académie française les situe en Europe, et le Larousse « dans le monde entier », s'avançant même à en chiffrer le nombre d'individus. Ce croisement de trois définitions issues de ressources et d'époques différentes fait émerger une complexité à définir la signification du terme Tsigane : parle-t-on d’un peuple homogène, d’un ensemble de peuples ou d’une classe sociale ? Quid de l'itinérance ? L'un n'en parle pas, les deux autres en font état mais comme le résultat de causes différentes (vagabondage versus mode de vie nomade). Enfin, où vivent les Tsiganes ? Une comparaison avec les définitions de trois grands dictionnaires européens confirme ce flottement. Le dictionnaire de la Real Academia Española propose une définition laconique confirmant l'origine indienne, puis renvoie au terme « gitan » ; l'Oxford dictionnary entérine l'idée de « peuple » (« people ») et d'itinérance (qu'il associe à des activités traditionnelles de commerce ou de bonne aventure) mais introduit une notion nouvelle et étonnante, en reliant l'appartenance à ce « peuple » à des caractéristiques physiques telles que la couleur de la peau et des yeux ; comme les dictionnaires français modernes, le Garzanti introduit également une notion territoriale, en citant différentes régions du monde où les Tsiganes seraient présents (mais ces régions ne sont pas les mêmes que celles citées dans les définitions françaises). Si le terme Rom est avant tout défini par sa tsiganité, le flottement des définitions et l'hésitation qui entourent le terme Tsigane dans le vocabulaire usuel posent question. Rom est en premier lieu défini par un terme et une appartenance qui sont eux-mêmes définis de manière flottante. En quoi ce trouble sur la première clé de définition impacte-t-il les usages et représentations associés au terme Rom ? En quoi Rom est-il ou non rattaché à une appartenance tsigane ? Quels sont les enjeux de ce rattachement ? Tsigane : l’exonyme qui désigne un ensemble de groupes composites L'origine indienne des Tsiganes est avancée comme un fait historique acquis sur les bases des travaux de linguistique ayant établi depuis le XVIIe siècle des liens incontestables entre le Romani et le Sanskrit. Ces éléments valident la théorie selon laquelle plusieurs vagues de migrations formées de populations composites seraient parties d'Inde entre les IVe et Xe siècles, auraient traversé la Perse pour rejoindre l'Empire ottoman, puis l'Europe à partir du XIVe siècle (la présence des Tsiganes est attestée pour la première fois en France en 1419). En Europe, ces mouvements migratoires successifs ont participé à la construction des trois grands groupes schématiques de l'ensemble tsigane, ci-après désignés par un endonyme (nom que se donnent ceux qui estiment appartenir au groupe ainsi nommé) : les Kalos (gitans de la péninsule ibérique et du sud de la France), les Sintis (sinti-manouches et sinti-piémontais) et les Roms (groupe
  • 15. 13 d'Europe centrale et orientale). Suite à l'abolition de l'esclavage dans les provinces de Valachie, de Moldavie et de Transylvanie, on observe entre 1860 et 1930, la formation d'un deuxième mouvement migratoire important depuis le foyer balkanique vers l'Europe occidentale. Dès l'arrivée des Tsiganes en Europe, on constate l'émergence d'exonymes (noms attribués par ceux qui estiment ne pas appartenir au groupe ainsi nommé) construits et utilisés par les populations locales pour les désigner. Dérivé du grec « Athinganoi », nom signifiant « intouchable » et désignant une secte connue en Asie mineure depuis plusieurs siècles, le terme Tsigane est, pour une raison inconnue, rattaché au XIVe siècle à ces nouveaux groupes lors de leur arrivée en Grèce. Peu à peu, il imprègne toutes les langues européennes (Cigani en Europe Orientale, Zingari en Italie, Zigeuner en Allemagne, et Tsiganes en France) et devient progressivement utilisé sur tout le vieux continent par ceux qui ne se considèrent pas Tsiganes pour désigner indifféremment les ensembles Kalo, Sinti, et Roms mais aussi des groupes non originaires d’Inde. Les Yéniches, les Irish Travellers, ou les Voyageurs sont en effet rattachés à la catégorie bien qu’ils ne partagent aucune origine indienne, et ne pratiquent pas le Romani Conceptuelle, flexible et construite par l'extérieur, cette catégorie regroupe ainsi des populations composites dont les critères qui les rattachent à l’appartenance tsigane ne sont ni fixes, ni strictement communs ; ce que traduit parfaitement l'hétérogénéité des définitions du terme dans les ressources terminologiques classiques. Pour l’anthropologue Leonardo Piasere, c’est ce qui en fait une catégorie « polythétique ». Par nature, une catégorie polythétique présente des contours extrêmement flous et il est très difficile de la définir puisqu'elle ne possède pas d'éléments de distinction caractéristiques ou suffisants. Elle se fonde en effet sur une manière de classer les gens qui intègre sous une même catégorie des personnes présentant des « airs de famille » (Piasere, 2011, p.36), des ressemblances mais qui ne relèvent pas forcément d’une seule et même définition. C’est précisément cette nature polythétique que traduit la faible concordance des définitions du terme Tsigane dans les ressources terminologiques classiques. Par nature en effet, la catégorie Tsigane ne peut être définie de façon fixe et univoque. Elle renvoie à une variété de trajectoires, d'implantations territoriales, de sociétés tsiganes variées et de cultures diversifiées car « ancrées dans leurs composantes nationales et locales depuis l'histoire même des sociétés européennes. » (Asséo, 2012). 2. Devenir rrom pour se démarquer des représentations tsiganologiques La dynamique de classement polythétique utilisée par l’extérieur pour construire la catégorie des Tsiganes relève d'un mécanisme communément utilisé pour favoriser les associations mentales. Elle constitue également un ressort propice aux amalgames. C’est probablement ce qui a favorisé la diffusion des représentations forgées de la deuxième moitié du XIXe siècle à la première moitié du XXe siècle, et a permis de les cristalliser en stéréotypes associés à l'ensemble des groupes supposés tsiganes.
  • 16. 14 L'influence du mouvement romantique dans la « découverte » des Tsiganes La présence des Tsiganes a été constante au cours des siècles, particulièrement dans la littérature et les arts européens. Toutefois, c'est bien au XIXe siècle que l'intérêt des arts et des lettres françaises à leur égard a connu sa plus grande ampleur, et c'est à cette époque que les figures de la tsiganité ont connu leur apogée. C'est en effet sous l'influence du courant romantique qu'est né le « mythe tsigane » dont les représentations continuent de mettre en mouvement l'imaginaire de la société pour les « Bohémiens »2, et parfois de se montrer plus fortes que la réalité. Au cœur d'un XIXe siècle qui se caractérise également par la naissance de l'individualisme et par une forte admiration pour les cultures étrangères, érudits, chercheurs et artistes romantiques partiront ainsi en voyage hors de leurs frontières pour découvrir et étudier des mondes exotiques. Dans la réalité cependant, si l'altérité de l'étranger fascine, elle renvoie à des personnages et à des mondes toujours perçus comme, sinon inquiétants, pour le moins étranges : ces expériences de voyages et d'explorations restent donc sommaires et peu approfondies (Fucikova, 2006). C'est pourtant par ces premiers itinéraires qu'ont été alimentés les récits de la littérature romantique européenne et les premiers ouvrages ethnologiques qui ont forgé l'imagerie moderne associée aux Tsiganes. Dans ces deux types de récits, deux aspects accompagnent cette image du Tsigane : la diabolisation et l'idéalisation. Tsiganophilie et anti-tsiganisme : les deux faces d’un même Janus L'idéalisation, ou la tsiganophilie Mouvement culturel basé sur l'idée globale de liberté (politique, morale, artistique, individuelle) et d'exaltation des sentiments, le Romantisme apparaît comme une forme de rejet d’une société bâtie par une bourgeoisie financière et commerçante. Marquant également une rupture avec l’époque classique par une ouverture des perspectives de l'esthétique sur des couches de populations marginales et déviantes au regard de la norme artistique des siècles précédents (étudiants, mendiants, pauvres, prostituées, etc.), le mouvement romantique nourrit une certaine inclination pour les figures qui ne se reconnaissent pas (ou ne sont pas reconnues) dans le monde bourgeois, sédentaire, moderne, laborieux et industriel qui se met en place au XIXe siècle. En 1856, l'émancipation des Tsiganes après plusieurs siècles d'esclavage dans les provinces roumaines favorise un redéploiement des populations vers de nouveaux bassins d'installation. Malgré la condition d'esclaves, certains Tsiganes étaient restés nomades3 . De ces groupes émergera le deuxième mouvement migratoire vers l'ouest de l'Europe. Dans ce contexte de 2 Le terme Bohémien est dû au prestige de lettres de protection, réelles ou falsifiées, signées du Roi de Hongrie, Prince de Bohême et de Pologne, dont étaient porteurs les chefs des groupes tsiganes arrivées en Europe au XIVe siècle. 3 Voir à ce sujet les travaux de Veselin Popov et d’Elena Marushiakova (2006) concernant les différences de statuts entre les « Tsiganes du Prince », autonomes et nomades et les Varagev, esclaves domestiques et donc sédentarisés des boyards et des monastères. Les chercheurs montrent que ceux qui ont formé la deuxième vague de migration vers l'Europe de l'Ouest étaient principalement les anciens « Tsiganes du Prince », restés nomades.
  • 17. 15 transformations sociales provoquées par la Révolution industrielle et la montée des nationalismes européens qui s'appuient sur le principe de l'Etat-nation, de la conscience de la nationalité et des frontières, les Tsiganes nomades deviennent, pour les Romantiques, un emblème de la liberté absolue, le symbole positif d'une opposition à l'ordre, aux lois et à la soumission. En transfigurant cette image, les Romantiques vont élaborer un objet construit, une figure du Tsigane libre4 , non conventionnel5 , forcément nomade6 , apatride, internationaliste et refusant les normes du travail imposées par la morale bourgeoise. Cette figure leur servira de métaphore positive pour incarner leur propre désir d'altérité sociale, de vie libre et indépendante des lois et des règles. Ainsi, « [l]a vision romantique place les Tsiganes non pas dans le bas de la société, mais dans son opposition extrême. » (Fucikova, 2006). Insoumise et anomique, porteuse naturelle de l'esprit de Bohème, exotique, forcément nomade, cette « altérité étrange » (Fucikova, 2006) constitue l'essence même d’une métaphore qui se prolongera après le XIXe siècle et se confondra bientôt avec l'image d'une identité tsigane réelle (voir annexe 3) : « Les peintures et gravures diffusées dans la presse imprimée exaltent ainsi l'image d'un peuple présenté à travers le prisme de l'exotisme et défini par une série de caractères stéréotypiques qui définissent durablement l'image contemporaine d'un "modèle tsigane" » (Coquio et Pouyeto, 2014, p. 434). Comme un piège, cette allégorie tsiganophile de l'Homme libre se refermera sur les intéressés, cristallisera et perpétuera bien au-delà de l'époque romantique des représentations qui finiront par « transporter la figure du Tsigane de l'autre côté des frontières sociales et annuler toute place possible dans la société » (Fucikova, 2006), c’est-à-dire par le figer comme individu « à part » et hors de la société globale. La diabolisation, ou l'anti-tsiganisme Entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, une nouvelle image, négative, viendra se superposer à la figure du Bohémien romantique. Ainsi, à la figure du Tsigane, certes perturbateur de l'ordre social mais noble, séducteur et épris de liberté, vient s'ajouter celle de l'étranger marginal, inassimilable, sans loi, ni morale. Interpellé par la presse sur des délits imputés aux migrants tsiganes du deuxième mouvement migratoire, le gouvernement français présente au Parlement un projet de loi qui prévoit de créer une catégorie juridique de « nomade ». Votée le 16 juillet 1912, cette loi instaure des régimes différents, associés à des devoirs plus ou moins contraignants selon le degré de dangerosité suspecté des intéressés. En d'autres termes, la loi établit une distinction de régimes et de droits entre les « bons » itinérants (forains et marchands ambulants, travailleurs circulants, tous généralement 4 Par exemple : « Pour les gens de sa race, la liberté est tout, et ils mettraient le feu à une ville pour s'épargner un jour de prison », in Carmen, Prosper Mérimée, voir annexe 3. 5 Par exemple : « Tous les enfants de ce peuple bizarre […] dont tant de siècles n’ont pu interrompre la filiation énigmatique… », in Voyage en Espagne, Théophile Gautier, voir annexe 3. 6 Par exemple : « Nous n’avons donc, exempts d’orgueil, / De lois vaines, / De lourdes chaînes ; / Nous n’avons donc, exempts d’orgueil, / Ni berceau, ni toit, ni cercueil. » in Les Bohémiens, Pierre Jean Béranger.
  • 18. 16 français et rattachés à un habitat fixe) et les « mauvais » itinérants, définis uniquement en négatif par rapport aux premiers et visant spécifiquement les migrants nomades du deuxième mouvement migratoire originaires de l’est de l’Europe, autrement dit les « Tsiganes ». Un retour sur les débats parlementaires qui précèdent le vote de la loi de 1912 sur le régime des nomades montre que le législateur ne sait pas précisément définir qui sont les Tsiganes. Certains parlementaires tels que le sénateur Pierre-Etienne Flandin ou le député Fernand David convoquent la dimension ethnique qui apparaît bien floue et imprécise : là où le premier parle de « vagabonds à caractère ethnique », le second affirme à un élu qui l’interroge sur ce qui permet de distinguer les Tsiganes des non-Tsiganes : « On reconnaît les romanichels à des signes qui sont les suivants : il y a d’abord un signe de race que vous connaissez comme moi… » puis, sans ajouter davantage de précisions, conclue immédiatement sa réponse par un signe d’étonnement : « J’avoue que je ne pensais pas que l’on pût se poser la question, car elle est posée depuis des années. C’est la solution seule qui reste à trouver » (Delclitte, 1995). Si ces exemples montrent que certains parlementaires déterminent le rattachement à la catégorie tsigane à une appartenance ethno-raciale, l'étude des échanges intervenus dans l’hémicycle montre que le Tsigane est d'abord défini comme tel en fonction de comportements, réels ou supposés : « C’est un nomade qui ne fait rien. », « Ils sont dans le Midi l’hiver et dans le Nord l’été. », « Le nomade ne sait pas exactement où sont nés ses enfants, où il a enterré ses morts » (Citation extraites du Journal officiel par Filhol, 2012). Un retour sur l’intervention du Sénateur Flandin du 10 mars 1911 nous permet de compléter cette représentation des Tsiganes (voir annexe 4 pour consulter l’intégralité de l’extrait ici étudié). Le Sénateur associe l’identité tsigane à l’itinérance (« nomade », « maraude le long des routes »), au transnationalisme (« ni domicile, ni résidence, ni patrie »), à l’anomie et l’opposition à la morale bourgeoise (« fainéantise », « mendicité », « braconnage », « mépris pour nos lois »), ou au mode de vie essentialisé (« instinct », « genre de vie »). L’extrait étudié illustre le fait que le discours anti-tsigane s’appuie sur des fondements identiques à ceux que mobilisent les tsiganophiles. Seule l’interprétation qui en est faite est différente. Ainsi, ces deux regards s’opposent moins par la confrontation de logiques différentes que par leur interprétation en contrepoint d’un même réservoir de représentations et de stéréotypes. Tsiganophilie et anti-tsiganisme apparaissent comme les deux visages d’un même Janus : qu'elles soient positives ou négatives, c’est autour des mêmes représentations ethnocentristes que s’articulent ces discours déclinés en miroir. Tour à tour valorisées ou dépréciées elles concourent toutes, à leur manière, à confirmer ce que Milena Fucikova appelle « l'altérité étrange » (Fucikova, 2006) des Tsiganes et ainsi à les ériger en une figure de l'Autre, mystérieuse et essentialisée dont l'identité serait caractérisée par l'opposition aux conventions, l'anomie et l’itinérance. Autrement dit, dans les deux visions, le Tsigane est confirmé comme un individu à part qui ne peut, par essence, ou ne veut, par opposition, s’adapter pour faire société et « vivre parmi les hommes ».
  • 19. 17 Une nouvelle dénomination pour tenter de se démarquer des stéréotypes rattachés à la figure du « Tsigane » L’ensemble Tsigane devient rrom Le terme Tsigane a acquis des connotations péjoratives dans la plupart des langues du centre et de l'est de l'Europe. Aussi, dès sa création en 1971, pour se démarquer des stéréotypes liés à cette dénomination attribuée de « l'extérieur », l'Union Romani Internationale (URI)7 choisit de remplacer le terme Tsigane par le terme générique Rroms. Le choix du terme s’explique par la référence au Romani dont les parlers des Kalos, des Sintis et des Roms porteraient encore aujourd'hui une trace plus ou moins importante. Il est difficile d’estimer le nombre de personnes pouvant être rattachées à cette définition extensive mais les sources s’entendent pour parler de 12 à 15 millions d’individus dans le monde, vivant en majeure partie sur le continent européen et plus particulièrement dans les pays de l’ancien bloc communiste (60 à 70 %) (Commission européenne, 2011). Le terme Rrom a donc vocation à réunir à lui seul les groupes auparavant désignés comme Tsiganes. Sous l'influence des militants du mouvement rrom international, le terme a remplacé l’usage du mot Tsigane auprès de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe. A cet égard, notons que les personnes relevant de la catégorie administrative des Gens du voyage (selon la loi française dépourvue de toute connotation ethnique) sont rattachées à cette dénomination Rrom par les instances et politiques européennes. C’est ce qui explique qu’en 2009, le Conseil de l’Europe estimait que 300 à 500 000 Rroms vivaient en France, soit à peine plus de 0,5 % de la population (Commission européenne, 2011, p.16) Une graphie différente est souvent utilisée pour distinguer les Rroms (utilisé à la place de Tsiganes et désignant l'ensemble global des groupes d'Europe occidentale ayant une origine indienne commune), des Roms (« sous-ensemble » de Tsiganes essentiellement implanté en Europe centrale et orientale). Néanmoins, cette distinction orthographique n’est pas systématique. Le terme Rom laisse alors éclater deux mots ayant chacun une signification différente, mais homographes et homophones, ce qui participe à entretenir le flou existant autour de qu’il désigne. Une unité politique et culturelle peu reconnue sur le terrain Certains chercheurs tels que le sociologue Jean-Pierre Liégeois soutiennent l'idée d'un ensemble ethno-culturel rrom/tsigane uni par une histoire et une origine indienne communes, et par une culture caractérisée par la pratique du Romani et de l'itinérance. Toutefois, la forte sédentarisation des Tsiganes de l’Est imposée par les régimes communistes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (80% des Roms sont sédentaires), la persistance de pratiques itinérantes chez les Manouches de l’ouest, l'absence d'origine indienne chez certains groupes relevant de la catégorie Rrom, l'existence d’une pluralité de variantes de Romani plus ou moins imprégnées par la langue de chaque territoire d'implantation, la pratique hétérogène du romani (si le parler quotidien des Kalos n’en conserve que des traces, il est parfois utilisé de façon dialectale dans l’est de 7 Créée à la suite du premier congrès mondial rom réuni à Londres en 1971, l’Union romani internationale possède un rôle consultatif comme représentante des Roms auprès de l’ONU et du Conseil de l’Europe. Présente dans une trentaine de pays, l’URI a installé son siège à Prague.
  • 20. 18 l’Europe), sont autant d'arguments qui laissent penser que ces caractéristiques de reconnaissance identitaire proprement rrom/tsiganes, s’il en est, se sont affaiblies au cours des générations. Différents chercheurs tels que Grégoire Cousin et Manuel Olivera analysent avec circonspection la conception d'une identité tsigane partagée de façon extensive et, à ce titre, le statut de minorité européenne revendiqué par les mouvements tels que l'URI. La mise en avant de l'identité rrom/tsigane par l'URI relèverait en effet de ce qu’ils désignent respectivement comme un « essentialisme stratégique » (Redor-fichot [dir.], 2013, p.58) et une « entreprise militante [qui] demeure toutefois assez éloignée des réalités de terrains et rencontre davantage d’échos auprès des diverses institutions que des communautés [rroms] locales » (Olivera, 2009, p.4). Si le terme Rrom est reconnu par les instances internationales, l’idée de peuple qui le sous-tend est donc souvent considérée comme le fruit d'une construction intellectuelle, héritier direct de la catégorie conceptuelle « Tsigane » et de ses limites en termes d'ensemble sociologique et culturel, pour les mêmes raisons. 3. Communauté univoque ou configuration de sociétés aux cultures et appartenances hétérogènes ? Aujourd’hui, les représentations sur les Roms comme peuple tsigane homogène La tsiganophilie et la confusion autour des termes Rroms et Rom participent à alimenter les représentations stéréotypées sur les Roms La confusion induite par l'homophonie (et l'homographie) du terme Rom et de ses significations (Rrom/Tsiganes et Rom/Roms de l'Est) peut également participer à alimenter les représentations erronées sur les Roms de l'Est dans la société française. Le traitement promotionnel et médiatique de l'exposition « La traversée » organisée autour du travail du photographe Mathieu Pernot au musée du Jeu de Paume à Paris offre un exemple de cette confusion et de ses impacts. Dans la vidéo d’une interview promotionnelle de l'exposition réalisée et montée pour les pages cultures de parismatch.com, l'artiste présente son travail (Paris Match, 2013). « "La Traversée" c'est l'idée du voyage, du déplacement, de la migration. Et les gens que je photographie sont habités par ça... depuis très longtemps pour ce qui concerne les Roms, puisque ce sont des gens qui ont toujours bougé. Même quand ils se sédentarisent ils restent nomades dans la tête. Et puis il y a des gens qui bougent pour des raisons historiques précises, c'est le cas des migrants afghans. » Une représentation tsiganologique du Rom itinérant, forcément nomade, même lorsqu'il se sédentarise s'impose dès la première phrase de l'interview où l'artiste indique que « les Roms » sont « habités [...] depuis très longtemps » par l'itinérance (« [le] voyage, [le] déplacement, [la] migration »). L'artiste prend même le soin d'apporter une distinction entre les migrants conjoncturels, tels que les Afghans, et les migrants culturels que seraient les Roms.
  • 21. 19 « On commence par des photomatons d'enfants gitans, ils ont entre 5 et 13 ans, et à la fin de l'exposition, on voit des adultes, qui regardent une caravane qui brûle. Et ces adultes, ce sont les mêmes que les enfants des photomatons. Symboliquement, cette caravane qui brûle, c'est un peu la fin du voyage. Mais en même temps, ils sont toujours là, ils sont les uns à côté des autres, comme s'ils se tenaient chaud, comme s'ils restaient ensemble. » Les paroles qui entourent la mise à feu de la caravane, déclinaison moderne de la roulotte symbolique du Tsigane nomade, viennent conforter la figure du Rom itinérant : « C'est un peu la fin du voyage ». Si le musée du Jeu de Paume précise sur la page de présentation de l'exposition qu'il s'agit de la cérémonie traditionnelle qui accompagne les funérailles d'un défunt (voir annexe 5), l'interview de Paris Match n’explique pas les raisons de cette mise à feu. Le journal Libération non plus, qui choisit pourtant d'illustrer son article du 2 mai 2014 traitant de l'exposition par la photo de la caravane qui brûle, avec cette légende : « Une image issue de la série « Le Feu », réalisée dans un camp de Roms. (Photo Mathieu Pernot) ». Pourtant, il est fort peu probable que ces photos parlent de Roms, au sens de citoyens est-européens issus du sous-ensemble tsigane balkanique. Un élément objectif nous l'indique : Mathieu Pernot précise que ces personnes qui regardent la caravane brûler sont les enfants « gitans », devenus adultes, qu'il avait placé douze ans auparavant devant l'objectif d'un photomaton. L’artiste parle donc des Rroms au sens de Tsiganes, et plus précisément des Rroms gitans. A cela s’ajoute le fait que l’habitat en caravane est plus particulièrement celui des Gens du voyage que celui des Roms de l’est, vivant en maison ou en appartement depuis plusieurs siècles dans leurs pays d’origines. La fusion des termes Rom et Rrom, leur rattachement au champ lexical du nomadisme, l’utilisation d'illustrations visuelles symboliques telles que la caravane mobilisent et confortent la représentation tsiganologique de l'itinérance associée aux Roms. « Je trouve que ce sont des gens incroyables, magnifiques. J'aime la façon dont ils se tiennent debout, dont ils nous regardent, ce qu'ils incarnent, la façon dont ils résistent à tout ce qu'il y a autour d'eux. Quand je les ai retrouvés une douzaine d'années après, quand je les ai retrouvés devant mon appareil photo, j'ai éprouvé le même vertige que quand j'étais étudiant et qu'ils étaient devant moi. Je me disais : "ils ont quand même quelque chose que les autres n'ont pas". Qu'est-ce que c'est que cette chose ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, il y avait cette présence incroyable. » Enfin, on retrouve certaines représentations du « mythe tsigane » romantique dans les paroles de l'artiste : en résistance contre les règles de la société globale, ils ont « quelque chose que les autres n'ont pas », quelque chose d'indicible, de « magnifique » qui donne au photographe une véritable sensation de « vertige » artistique et qui n’est pas sans rappeler l’émotion de Théophile Gautier face à la « tristesse mystérieuse […] de ce peuple bizarre » (voir annexe 3). Ainsi, la description de ces Rroms, ces Autres, qui « nous » regardent, mystérieux, fiers (« la façon dont ils se tiennent debout »), libres et en opposition aux règles dominantes de la société globale (« ils résistent à tout ce qu'il y a autour d'eux ») s’inscrit dans les représentations tsiganophiles du XIXe siècle : de la même manière, elle renvoie les Rroms et, du fait de l'homophonie non clarifiée, les Roms, à un groupe « à part », figure d'une altérité fascinante et mystérieuse comme l'était le Tsigane romantique.
  • 22. 20 Les Roms comme une communauté homogène De l'autre côté du spectre, on retrouve toujours des représentations anti-tsiganes fondées sur une imagerie également déclinée autour de l'altérité d'un groupe univoque qui, aujourd’hui encore, se caractériserait par son opposition aux règles et par la pratique du nomadisme. Pour l’année 2013, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) démontre qu'une très grande majorité des enquêtés (87%) considère que les Roms forment une population « à part » et fermée aux autres (seuls 4% considèrent qu’ils forment un groupe « ouvert aux autres ») (CNCDH, 2013, p. 202). L’analyse de notre corpus de presse incluant des articles et des commentaires de lecteurs confirme également que les « Roms » conservent l’imagerie associée aux « Tsiganes » et sont identifiés comme un groupe homogène. Que ce soit pour les questionner, les abonder ou les rejeter, de façon implicite ou explicite, ces représentations sont mobilisées de façon constante. Le traitement de la notion du « nomadisme » dans notre corpus offre une clé d’entrée pertinente pour démontrer la persistance de ces représentations8 et leur rattachement à l’image des Roms. En écho aux résultats de l'enquête de la CNDCH, ces extraits montrent que les Roms sont souvent considérés comme un groupe à part, ou tout au moins homogène. En témoigne par exemple le fait que le terme ou la notion de « peuple » soient fréquemment associés aux articles traitant directement des Roms. - Article n° 26; Télérama : interview de Weronika Zarachowicz à Jean-Pierre Liégeois le 08/10/2013 : « Ils n'ont rien à voir avec le nomadisme? » - Article n° 4; Journal international, 18/06/2013 : « Contrairement aux Tziganes de France qualifiés de « Gens du voyage » depuis le XIXe siècle, les Roms venus de l’Est sont pour la plupart sédentarisés depuis des siècles. » - Commentaire de FEDE le 25/09/2013 à 18:06 pour l’article n°16 : « Pourquoi veut-on penser que les Roms devraient se comporter comme tous les autres peuples sachant qu'ils ont leur mode de vie ? Ils sont des nomades et cela se sait. » - Commentaire de Courrier des lecteurs le 7/10/13 à11 h 53 pour l’article n°6 : « Ma question est : les Roms sont-ils un peuple nomade ? » En complément des extraits mobilisés ci-dessus, l'article du Nouvel Observateur daté du 25 septembre 2013 permet d’identifier en quoi, même lorsqu'il n'est pas directement traité par l'article, le nomadisme peut être implicitement rattaché au « mode de vie » rom et induire qu'il resterait une spécificité rom. Intitulé « Lyon tente de sédentariser ses Roms dans leur pays d'origine », cet article explique que la municipalité française a établi un programme de coopération avec la ville roumaine de Tinca visant « à offrir des conditions de vie décentes à une centaine de familles issues de Tinca ». En finançant la réhabilitation des infrastructures locales dans le village d'origine des populations, Lyon espère assécher les causes de l'immigration dite « Rom » sur son 8 Dans les 33 articles mobilisés, on comptabilise 21 occurrences de termes liés au champ lexical du nomadisme.
  • 23. 21 territoire. Toutes les informations contenues dans l'article indiquent que la migration des « Roms » de Tinca est portée par des motivations économiques et en aucun cas par un mode de vie itinérant.9 Pourtant, l'article s'appuie nettement sur la représentation tsigane du nomadisme. A trois reprises, il explique que ce projet de coopération a pour objectif de « sédentariser » les Roms de Tinca : une fois dans le titre, une fois dans le corps de texte10 et une fois en légende de la photographie qui l'illustre11 . Cette dernière montre un groupe de personnes, dont quelques enfants, poussant des chariots remplis de valises et longeant le bas-côté d'une route fréquentée par les voitures. Devant eux, un panneau d'entrée de ville nous permet de comprendre qu'ils arrivent à Lyon. Le parti pris d'illustration renforce cette représentation du « Rom » itinérant, de « bandes » tsiganes qui se déplacent en famille de ville en ville. La persistance des représentations tsiganologiques (particulièrement concernant le nomadisme) associées aux Roms nous amène à constater que ceux-ci sont très largement perçus comme un groupe lié par des pratiques et une culture homogènes, et par une psychologie collective univoque. Au regard des critères d'appartenance généralement invoqués par le sens commun, il n'existe pas « une » communauté rom Les travaux de l'ethnologue Martin Olivera que nous mobiliserons tout particulièrement dans l'analyse ci-après démontrent que les Roms de Roumanie ne forment pas un groupe homogène sur le plan ethnique, que ce soit au regard de l’approche primordialiste ou de l’approche circonstancialiste de l'ethnie. Selon l'approche primordialiste, les critères d'appartenance à une ethnie renvoient à la communauté de langue, de religion, de traditions et de territoire (actuel ou d'origine). Sur le plan international, cette approche sert de socle aux mouvements militants rroms qui, en déclarant l'existence d'un territoire d’origine commune (l'Inde), d'un drapeau, d'un hymne et d'une journée annuelle (le 8 avril), s'appuient résolument sur cette conception de l'appartenance. Elle sert également de cadre à la reconnaissance et à l’élaboration juridique de la minorité Rom par la Constitution roumaine. Dans sa contribution à l’ouvrage « Rom, Tsiganes et Gens du voyage », Grégoire Cousin met en évidence le faible ralliement des intéressés à cette catégorie administrative dont l'appartenance accorde des droits politiques et des droits linguistiques. Aux raisons souvent invoquées pour expliquer cette sous déclaration (crainte des discriminations, honte de la tsiganité), Grégoire Cousin s’appuie sur les travaux de l’ethnologue Martin Olivera pour en avancer une autre : 9 Propos de Hubert Julien-Laferrière, Vice-président du Grand Lyon, cités dans l’article : « A Tinca, comme dans de nombreux squats à Lyon, j'ai discuté avec les Roms qui m'ont affirmé que s'ils avaient les moyens de vivre plus décemment chez eux en Roumanie, ils auraient beaucoup moins de raisons de venir séjourner régulièrement en région lyonnaise ». 10 « Lyon s'efforce depuis deux ans de sédentariser dans la petite ville de Tinca, en Roumanie, des familles de Roms installées dans des campements dans l'agglomération lyonnaise pour tenter d'enrayer leur arrivée massive sur son territoire. » 11 « Des familles de Roms après leur évacuation d'un squat à Lyon. Le Grand Lyon s'efforce depuis deux ans de sédentariser dans la petite ville de Tinca, en Roumanie, des familles de Roms installées dans des campements dans l'agglomération lyonnaise pour tenter d'enrayer leur arrivée massive sur son territoire. Cette opération de coopération décentralisée, unique en France, vise à offrir des conditions de vie décentes à une centaine de familles originaires de cette ville. »
  • 24. 22 le désintérêt des populations qui ne se reconnaissent pas dans les critères d'appartenance assignés à cette catégorie standardisée et primordialiste supposés correspondre à « la » communauté et à l'identité de tous les Roms de Roumanie. Conjugués aux entretiens informels que nous avons eus avec trois traducteurs roumains du Secours catholique et de Médecins du Monde, les travaux académiques de Martin Olivera sur l'Histoire des régions roumaines et la société des Roms Gabori (Olivera, 2009) démontrent que certaines coutumes apparentes (danses folkloriques, gastronomie, mode vestimentaire) parfois considérées comme des particularité roms sont en fait des spécificités traditionnelles locales dont la pratique est tombée en désuétude dans les classes sociales (roms et non-roms) plus urbaines et non défavorisées. De plus, si elles peuvent sembler homogènes aux yeux de l’étranger, les pratiques culturelles locales de Roumanie sont particulièrement diversifiées. La Roumanie est un pays récent où les identités régionales ont été forgées en dehors du creuset commun d’un Etat multiséculaire, comme c’est le cas pour la France12 . Ainsi imprégné par les événements des histoires locales propres à chaque territoire depuis le XIVe siècle, l’ensemble rom de Roumanie est donc particulièrement diversifié. Cette mosaïque de spécificités culturelles est également démontrée dans les travaux du sociologue Olivier Peyroux : « En effet, entre Roms de Serbie et de Bulgarie, bien que ces pays soient voisins, la langue, la religion, la façon de s'habiller ainsi que les règles internes au groupe diffèrent. [...] [L]es mêmes remarques seront valables entre des groupes roms provenant d'un même pays ou d'une même région. » (Peyroux, 2013, p. 80). Les pratiques culturelles observées dans les sociétés roms ne seraient donc pas tsiganes par essence ou consécutives à la déclinaison hétérogène d’une culture tsigane univoque et originelle. Elles constitueraient à la fois le reflet et les réminiscences de spécificités éminemment locales, régionales ou nationales. « Nous, les Roms », à distinguer des « autres Roms » Selon l’optique circonstancialiste, les identités collectives ne sont pas des objets mais des constructions, autrement dit des sociétés qui s'élaborent à travers les contacts qu'elles entretiennent les unes avec les autres. Comme le rappelle Martin Olivera (Olivera, 2009), selon les sociologues et ethnologues d'approche circonstancialiste, le « groupe ethnique » se définit par une conscience d'appartenance (Max Weber) construite à travers les interactions avec l'Autre, lesquelles participent à élaborer et affirmer des « frontières ethniques » communes (Frederick Barth). Enfin, selon Edmund Leach, une société se caractérise par l'usage d'un « Nous ». Martin Olivera démontre que s'il existe un « Nous, les Roms », nombre d'entre eux considèrent comme aussi évidentes les différences les séparant des Gadjés13 que celles qui les distinguent des 12 Les trois « pays » qui composent la Roumanie moderne, c’est-à-dire la Valachie, la Moldavie et Transylvanie, ont connu des histoires et des trajectoires autonomes depuis le Moyen-âge. Si les deux premières s’émancipent de la suzeraineté ottomane pour s’unir en 1859, la Transylvanie restera sous domination austro-hongroise jusqu’en 1918. On comprend dès lors que la Roumanie d’aujourd’hui est formée de régions aux identités culturelles et historiques non seulement complexes mais aussi puissantes et diversifiées. 13 Ici masculin pluriel de gadjo. Terme romani utilisé pour désigner les non-roms.
  • 25. 23 « autres Tsiganes ». La construction de leur identité ne définit pas une simple distinction entre « Nous, les Roms » et « Les Autres ». Plus complexe, elle s'articule autour d'une distinction entre « Nous, les Roms », « Les Autres non-Roms » et « Les Autres Roms ». Le « Nous » servira alors à se distinguer des Gadjés tout autant que des autres Roms n'étant pas identifiés comme faisant partie du même sous-ensemble. Ainsi, s'il y a bien une distinction entre le « Nous » des Roms et le « Nous » des Gadjés, un Rom s'estimera plus proche d'un Gadjé de sa région que d’un Rom venant d'une autre province. Il n'est pas rare que des discours tenus par des Roms sur les « autres Roms » (vivant dans une province ou un village non fréquentés par le locuteur) expriment les même préjugés et stéréotypes négatifs que ceux des Gadjés à l'égard des Tsiganes : « [...] [D]iscourant sur les « autres Roms », [les Roms] manipulent généralement les mêmes catégories vagues, et souvent fantasmées que leurs voisins gadjés. » (Olivera, 2009) Olivier Peyroux va dans le même sens : « Toute personne qui a rencontré des Roms est souvent étonnée de la volonté de ces derniers de chercher à tout prix à se différencier des autres Roms en les accusant de tous les maux. » (Peyroux, 2013, p. 81) Conclusion de section Le Groupe Rom est un ensemble ethno-culturel élaboré « de l’intérieur », la dénomination par l’endonyme en témoigne, mais il est délicat de le considérer comme une communauté transnationale, unie autour d’une pratique culturelle univoque et d’une conscience d’appartenance collective à « la » communauté rom. Les Roms de Roumanie forment un ensemble hétérogène dont les individus rattachent d’abord leur sentiment d’appartenance et leurs pratiques culturelles à leur territoire. Pourtant, au sens ethno-culturel, les Roms sont souvent considérés comme un groupe uniforme et homogène qui formerait « une » communauté. A ce présupposé se conjugue l’idée que cette communauté serait déterminée par une culture tsigane homogène et liante, ce que contestent différents chercheurs tels que Martin Olivera, Leonardo Piasere ou Olivier Peyroux, du fait de la nature conceptuelle et polythétique de l’ensemble tsigane. D'autres chercheurs tels que sociologue Jean-Pierre Liégeois considèrent qu’il est faux d’affirmer l’existence d’une « culture tsigane unifiée dans son contenu », mais reconnaissent « une configuration tsigane » au niveau culturel. Celle-ci se caractériserait par la pratique passée ou actuelle de l'itinérance, par la pratique actuelle ou mémorielle du romani et par les discriminations partagées. Cette configuration rrom est défendue par des associations au niveau politique telles que La voix des Roms ou l'URI qui, tout en revendiquant des droits et la fierté rrom, s'appuient sur la diversité de l'ensemble tsigane. La réalité d’une identité rrom extensive telle que reconstruite par l'URI et reconnue par l'Union européenne semble néanmoins affaiblie par le caractère conceptuel et polythétique de la catégorie tsigane. En tout état de cause, il apparaît au moins inexact d’envisager le sous-ensemble rom comme un groupe au mode de vie et à la psychologie collective spécifiques, eux-mêmes induits par une culture Rrom/Tsigane originelle et univoque.
  • 26. 24 Section II Les « Roms », le nom d’une forme de pauvreté spécifique Nous analyserons en quoi le terme Rom ou Roms migrants, entouré de guillemets, désigne également une forme spécifique de pauvreté et non une appartenance ethno-culturelle. Nous nous efforcerons ensuite de confronter cette représentation aux ressorts de la migration Rom de Roumanie et de les mettre en perspective avec le contexte socio-économique et migratoire roumain, ce qui nous permettra de constater que le « Rom » ou le « Rom » migrant est un objet construit, et non un sujet réel. Nous étudierons ensuite les enjeux rattachés à l’usage de cet objet construit. 1. Les Roms en Roumanie : Un groupe hétérogène dont la mobilité est dictée par des raisons économiques Retour sur le contexte économique et migratoire roumain Un contexte économique roumain dégradé... L'étude du contexte roumain depuis 1989 permet de distinguer trois périodes dans l'histoire récente de la Roumanie : 1) la période de transition du régime communiste vers l'économie de marché (1990 à 2000) où la dégradation de la situation économique a paupérisé une grande partie de la population roumaine et particulièrement les couches peu qualifiées : fragile, non qualifié, l'ensemble des « sous-prolétaires » voit ses opportunités sur le marché du travail se réduire de façon drastique et sera plus rapidement et plus intensément appauvri et marginalisé que les autres par la période de transition ; 2) une période de croissance rapide (2000-2008) qui a fait reculer la pauvreté de façon significative ; 3) la période actuelle post-crise économique et financière où l'on constate la persistance d'un niveau de pauvreté particulièrement élevé et supérieur à la moyenne européenne (PNUD, 2013). ...qui continue de motiver des mouvements importants de migrations économiques En réponse aux difficultés générées par le contexte économique, la population roumaine opte dès les années 1990 pour la migration à l'étranger. La persistance d'un faible niveau de vie pendant toute la décennie continuera de motiver des migrations dont le caractère avant tout économique se traduit notamment par le fait que « depuis 2002, 10 % de la valeur des investissements faits en Roumanie viendraient de revenus rapatriés ». (Vasilcu et Séchet, 2012) Cette réponse migratoire à une situation économique dégradée continue d'être massive (en 2012, l'OCDE place la Roumanie parmi les trois premiers pays d’émigration au monde, avec la Chine et la Pologne et touche 10 % de la population nationale (OCDE, 2012).
  • 27. 25 A cet égard, notons que, loin d'être majoritaire au sein de la population migrante, la part des Roms est identique à celle qui est la leur dans la population nationale (Precupetu, 2013), ce qui remet en cause les craintes « d'invasion » parfois convoquées dans le discours public (infra p. 37). Les spécificités de la stratégie migratoire roumaine Dès 1990, une part importante de la population roumaine s’inscrit dans une migration économique et circulatoire faite de va-et-vient à l'étranger. Cette migration pendulaire est, selon la sociologue Mihaela Nedelcu, une spécificité qu'elle qualifie « [d]’installation dans la mobilité » (Nedelcu, 2002). Contrairement aux migrants extra-européens, du fait de la proximité géographique et de l’ouverture progressive des frontières avec les autres pays d’Europe, les Roumains migrants adoptent plus facilement une stratégie de migration pendulaire qui leur permet de rester en lien avec le pays d'origine y compris lorsqu'ils sont en situation précaire ou clandestine. Migrations de la minorité rom de Roumanie au regard des caractéristiques nationales La situation actuelle des Roms en situation de pauvreté est indissociable de l'impact social global opéré par la période de transition sur les couches populaires peu qualifiées en Roumanie Selon Stanculescu et al. (cités in Precupetu, 2013), les gagnants de la transition économique se trouvent parmi les individus jeunes, issus de milieu urbain, ayant suivi des études supérieures et disposant d’une formation adaptée aux activités de l’économie de marché. Les grands perdants de la transition sont les enfants, les Roms, les personnes avec un faible niveau d’éducation, les personnes sans emploi ou travaillant dans l’économie informelle, plus exposées à la pauvreté. La période de transition a donc semé les graines de nouvelles opportunités pour certaines catégories de la population, tout en réduisant drastiquement celles des groupes qui étaient déjà les plus vulnérables à la veille de la Révolution. Sous le régime communiste, les travailleurs occupant un emploi dans les fermes ou les usines d'Etat sont faiblement qualifiés et mal rémunérés. La fragilité et la vulnérabilité socio-économiques de ceux que la Nomenklatura désigne alors comme le « sous-prolétariat » sont compensées par le contrôle des prix et par la stabilité des revenus, puisque ces emplois sont maintenus de façon volontariste par les pouvoirs publics. Or, ces mêmes emplois ne résistent pas à la logique de marché imposée par le changement de régime et disparaissent massivement au moment de la période de transition. Fragile, non qualifié, l'ensemble des « sous-prolétaires » voit ses opportunités sur le marché du travail se réduire de façon drastique et sera plus rapidement et plus intensément appauvri et marginalisé que les autres. Suite aux vastes programmes d’assimilation engagés par le pouvoir roumain au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (sédentarisation, scolarisation, accès aux soins, logements et travail salarial), de nombreux Roms sont encouragés à s’installer en ville. Ceux qui choisissent le milieu urbain laissent derrière eux les activités artisanales traditionnelles et rurales, et occupent des postes d’ouvriers non qualifiés dans les usines d’Etat ou rejoignent les services de nettoyage des rues et du ramassage des ordures. Ceux qui restent dans les campagnes gardent un emploi agricole,
  • 28. 26 notamment dans les fermes d’Etat. Le processus de sédentarisation des Roms voulu par la politique d’assimilation du régime communiste s’accompagne ainsi pour nombre d'entre eux à leur rattachement au « sous-prolétariat », c'est-à-dire non pas à une catégorie ethnique mais à une catégorie sociale plus vaste qui subira de plein fouet les effets de la transition économique. Les Roumains roms aujourd’hui, un groupe hétérogène néanmoins plus impacté par la pauvreté et les marqueurs d’exclusion dans leur pays d’origine Selon les études14 concernant la situation socio-économique actuelle des Roms de Roumanie une grande majorité d’entre eux suit une scolarité jusqu'à 15 ans au moins, est alphabétisée, dispose d'une activité professionnelle et occupe un emploi salarié. Un examen approfondi de ces enquêtes démontre que toutes les sociétés roms ne connaissent pas les mêmes difficultés, ni dans les mêmes proportions. Certains chercheurs tels que Martin Olivera appellent par ailleurs à nuancer les résultats de ces études, au motif que leur méthodologie introduit généralement un biais statistique en excluant de leurs échantillons de population (supposés représentatifs des Roms) de nombreux groupes de « Roms invisibles »15, probablement mieux insérés dans la vie locale16. Il n'en demeure pas moins que les résultats statistiques de ces études indiquent que les Roms sont surreprésentés dans les catégories fortement défavorisées. Aujourd'hui, beaucoup restent particulièrement touchés par des marqueurs d'exclusion sociale tels que le taux de déscolarisation (35 % d'individus déscolarisés avant l'âge de 15 ans, soit 6 fois plus que la moyenne nationale), le taux d’analphabétisme (25 % d'individus analphabètes, soit 10 fois plus que la moyenne nationale), le taux d'emploi (28% d'individus au chômage, soit 2,5 fois plus que la moyenne nationale), le taux d'emploi salarié (33 % des Roms sont salariés, soit 2 fois moins que la moyenne nationale). En 2009, 31,4 % des Roms étaient en situation de pauvreté absolue, contre 4,4 % de la moyenne nationale. Ce niveau particulièrement élevé a néanmoins suivi la tendance nationale observée au cours des années 2000 en termes de baisse de la pauvreté sévère, puisque 76,8 % des Roms vivaient en situation de pauvreté absolue en 2003.17 Migration pendulaire et économique Plusieurs caractéristiques ressortent des migrations roumaines depuis 1990 : ce sont des migrations économiques, souvent pendulaires et polarisées. Jusqu’au 31 décembre 2013, l’ensemble des citoyens roumains (et bulgares) a été freiné dans son accès à l’emploi dans les autres pays membres, du fait de l’application des mesures transitoires depuis 2007 réduisant leur 14 Voir notamment l’étude « GINI Country Reports », et l’enquête « Pro-Romi » sur la « Pauvreté des communautés roms de Roumanie » menée en 2005 par l’Agence nationale pour les Roms» et citée par Martin Olivera dans « Les Roms comme « minorité ethnique » ? Un questionnement roumain », 2009. 15 Ces Roms « invisibles » qui ne s'auto déclarent pas et que rien ne distinguent socialement d'un voisin « roumain » socialement intégré. 16 Voir à ce sujet la démonstration de Martin Olivera dans « Critique de la « question Rom », 2009. 17 Voir note 16.
  • 29. 27 accès à l'emploi, et donc leur droit au séjour (soumis à la possession de « ressources suffisantes » et d'une couverture maladie) dans les autres pays membres18 . Pour Marushiakova et Popov, les motivations qui amènent les Roms de l'Est à rejoindre l'Europe occidentale sont avant tout économiques. De fait, il semble que la situation actuelle des Roumains roms en situation de pauvreté est indissociable de l'impact social global opéré par la période de transition en Roumanie. Dans le fonds (motivations économiques), dans la forme (déplacements pendulaires, polarisés, accès à l'emploi rendu difficile par les mesures de transitions jusqu'en 2014) et au niveau quantitatif (proportion identique à leur part dans la population nationale), la situation migratoire des Roms de Roumanie s'appuie sur les fondamentaux de la dynamique migratoire roumaine actuelle. L’étude de l’exemple roumain démontre que sur le plan socio-économique, il est erroné de considérer que les Roms forment une communauté univoque et monolithe. En tant que sujet réel, Rom désigne un groupe ethno-culturel hétérogène dont les individus qui s’y rattachent vivent une situation socio-économique elle aussi hétérogène, laquelle, bien que plus fréquemment marquée par les indicateurs de pauvreté, ne saurait pourtant s'y réduire. Sur le plan socio-économique, l'équation systématique Rom = pauvre apparait comme une généralisation erronée. De même, si l’immigration rom de Roumanie est loin d’être massive, elle s’inscrit dans une stratégie migratoire similaire à la stratégie nationale et a été particulièrement impactée, quoique de façon hétérogène, par la période de transition vers l’économie de marché. 2. De qui parle-t-on quand on parle des « Roms »? Pour l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), le terme Rom désigne : « des groupes ou des familles Roms, issus principalement de Roumanie et, dans une moindre mesure, de Bulgarie […] installées en France, de façon plus ou moins durable, dans des conditions précaires, qu’il s’agisse de campements illicites ou de squats » (Inspections générales, 2012, p. 5). Nous avons cherché à compléter cette définition à partir des entretiens informels menés lors de l’observation participante avec les personnes rencontrées au cours des tournées de rue menées avec le Groupe Rom du Secours catholique de Paris, ainsi qu’en sollicitant les intervenants, professionnels et bénévoles, d’actions ou de dispositifs expressément à dédiés à un public dit « Rom ». Voici une sélection représentative des réponses recueillies suite à cette question : « Quelles sont les caractéristiques du public accueilli ou rencontré dans le cadre de votre action ? » : 18 Prévue par le traité d'adhésion du 25 avril 2005, et notamment par l'article 20 du protocole sur les conditions et modalités de cette adhésion, cette période limitait la libre circulation et l'accès à l'emploi pour les travailleurs roumains et bulgares dans les pays de l'Union, et ne pouvait excéder une durée de 7 ans à compter de 2007 (soit jusqu'au 31 décembre 2013). Le principe d'une période transitoire n'est pas exceptionnel, il a existé bien avant 2007. Au moment de leur adhésion, l'Espagne et le Portugal (1986) ainsi que huit pays de l'est de l'Europe tels que la Pologne (2004) s'étaient vus imposer une période transitoire restreignant l'accès de leurs ressortissants aux marchés du travail des autres pays membres.
  • 30. 28 « Familles roms, couchant dehors. Ils sont tous SDF, ils sont soit dans la rue soit dans des bidonvilles. »19 « Globalement, c’est des familles. C’est une grosse caractéristique, avec généralement des parents jeunes. Même les moins jeunes, quand ils te disent le nombre d’enfants qu’ils ont, tu te rends compte que le premier enfant est arrivé tôt ; entre 15 et 20 ans. »20 « Il s’agit en majorité de populations venant de l’Europe de l’Est, de Roumanie et de Bulgarie. Certains qui revendiquent leur identité rom, certains qui revendiquent le contraire, c’est-à-dire de ne pas être Rom, mais qui pour des raisons de traduction… certains qui ne revendiquent rien de tout ça. […] Il y a beaucoup de familles, quelques personnes isolées. Au niveau des lieux de vie, ça peut être des gens en campements ou en squats, des gens qui vivent dans la rue ou dans leur voiture, des gens qui vivent en appartement, soit des gens qui louent à des marchands de sommeil. Le problème c’est que ce sont des gens qui ont souvent des revenus au noir, alors même quand ils pourraient se payer un appartement, ils ne peuvent pas signer un contrat de bail. »21 Les caractéristiques mises en avant par ces restitutions forment autant d’éléments de définition du terme Rom, ici mobilisé pour désigner un migrant originaire d’Europe de l’est, installé en famille en habitat le plus souvent précaire, vivant de ressources issues du travail non déclaré, et dont l’identité rom au sens ethno-culturel n’est objectivement ni certaine, ni nécessaire pour que l’individu concerné soit désigné comme « Rom ». La définition du terme Rom s’inscrit ici dans un registre exclusivement socio-économique, éloigné des considérations anthropologiques et historiques étudiées en première section. Nous formons ici l’hypothèse que la population désignée par les intervenants sociaux répond à la même définition que celle mobilisée par le discours public lorsqu’il parle des « Roms ». Pour vérifier cette hypothèse, nous confronterons les caractéristiques identifiées à l’analyse de notre corpus. Une migration familiale venue de l’Est Tout d’abord, les « Roms » sont entendus comme des migrants venus de l’Est. Pour l’Observatoire des inégalités, « les groupes mis en cause [lorsque l’on parle des Roms] - expulsables car étrangers en situation irrégulière - sont environ 20 000, originaires de Roumanie, de Bulgarie et d’autres pays d’Europe de l’Est. [… ]. En préambule de son rapport d’activité 2012, Romeurope22 précise : « Dans ce rapport, le terme « Rom » n’est pas employé dans son sens générique mais en référence au groupe présent dans les Balkans et en Europe centrale, dont une partie a émigré plus ou moins récemment dans les pays d’Europe de l’Ouest. ». 19 Entretien : Jacques G., bénévole au Secours catholique (Groupe Rom et Equipe Accueil de rue). 11 juin 2014 20 Entretien : Silvia E, bénévole au Groupe Rom du Secours catholique de Paris. 19 mai 2014 21 Entretien : Louise M., assistante sociale pour la « Mission Rom » d’ALAR, une association d’insertion par le logement ; 21 juin 2014 22 Collectif National Droits de l’Homme Romeurope. Collectif créé en 2001 pour l’accès aux droits fondamentaux des Roms. Nous traiterons de la création et du positionnement politique de ce collectif de façon plus approfondie au pp.68-71
  • 31. 29 L’étude du corpus de presse confirme lui aussi à la fois l’idée de migration et de mobilité en famille comme élément caractéristique des « Roms » : tout d’abord, les termes Roumanie et Bulgarie apparaissent respectivement 61 et 31 fois, tandis, que l’on retrouve 47 occurrences de famille.23 L’aspect familial de la migration dite « Rom » est donc sa caractéristique principale. Elle diffère en cela de la stratégie migratoire classique (homme seul, encore jeune, venu travailler pour gagner de l'argent dont il enverra une partie à la famille restée au pays)24 . Il serait erroné d’interpréter ces mouvements comme des manifestations de la nature nomade des Roms. Leurs migrations et aller-venues entre l’Europe de l’Ouest et le pays d'origine s'inscrivent dans un schéma caractéristique de la stratégie migratoire roumaine, circulatoire et économique depuis 1990. Qu'elle soit effectuée par des Roms ou des non-Roms, cette migration roumaine pendulaire (« installée dans la mobilité » du fait de la proximité géographique permettant des aller-retours au pays, comme l’explique Alexandra Nacu) n'a donc rien à voir avec d'éventuelles pratiques nomades. Les entretiens menés avec les personnes rencontrées dans le cadre des activités du Groupe Rom confirment par ailleurs ces résultats de recherches. Mariana, 26 ans, explique qu’en Roumanie, elle vit avec son mari et ses quatre enfants dans une petite maison où résident aussi 6 adultes et plusieurs enfants, tous membres de sa famille élargie. Tous les adultes fabriquent à leur compte des briques qu’ils revendent à des grossistes ou à des particuliers. Mariana nous explique comment elle récupère sa matière première, combien de briques sont fabriquées par heure en moyenne, le nombre d’heures de travail par personne, le temps de séchage pour chaque brique, le tarif de vente à l’unité qui n’est pas le même pour les grossistes que pour les particuliers, le nombre de briques vendues en un mois… après de savants calculs, l’un de nous conclut que cela génère, au mieux, un chiffre d’affaire d’un peu moins de 1 000 € par mois, ce que Mariana approuve en précisant que la somme est répartie entre les différents adultes de la famille. Ces revenus ne permettent pas de construire une maison individuelle pour elle, son mari et ses enfants. Le départ pour la France a été envisagé comme une opportunité pour gagner un peu plus d’argent avant d’aller construire leur maison dans la ville de Buzau. Assise dans une rue du quartier Saint Germain avec ses enfants chaque fois que nous la voyons, Mariana pratique une mendicité passive, tandis que son mari travaille sur des chantiers de construction non déclarés dans le Val d’Oise. Ils prévoient d’avoir gagné suffisamment d’argent en janvier pour rentrer en Roumanie et construire la maison. Claudia, 34 ans, ne semble pas avoir de projet aussi élaboré. Elle explique qu’elle est là parce qu’en Roumanie « il n’y a pas d’argent ». Florin, 32 ans, explique lui aussi qu’il est là pour trouver du travail. La vie avec Ana, sa compagne, et son bébé au domicile de ses parents est trop difficile à supporter, ils sont trop nombreux à vivre sous le même toit. Il veut pouvoir s’installer avec sa famille dans une maison ou un appartement à eux seuls. D’autre part, la vie est chère, il est trop 23 Prenons cet extrait du journal Le Monde pour exemple (article n° 11 du corpus) : « Moins nombreuses qu'avant, ces familles d'origine bulgare ou roumaine restent concentrées en Essonne […] et surtout en Seine-Saint-Denis. Un rapport interministériel avait comptabilisé fin 2012 près de 7 500 des migrants roms dans ce seul département, sur un total de 11 700 en Ile-de-France. » 24 Séminaire de Toulouse du CNDH-Romeurope, 17 et 18 mai 2014
  • 32. 30 peu allé à l’école pour avoir un emploi qualifié et les travaux agricoles que sa femme et lui peuvent faire en Roumanie ne rapportent pas assez d’argent pour faire face au quotidien et s’installer. Ces différents récits et projets de vie confirment les travaux de recherche qui démontrent la nature économique des motivations migratoires dites « Roms », et plus globalement roumaines. Lieu de vie : « campement », grande précarité et regroupement La deuxième caractéristique importante rattachée aux populations dites « Rom » renvoie à des conditions d’habitat très précaires. Pour l’Observatoire des inégalités, « ces populations ont en commun de vivre souvent dans des conditions très difficiles (sites pollués, absence d’électricité et d’eau courante, etc.) [Observatoire des inégalités, 2013] ». Ainsi, l’habitat dit « rom » est un habitat de fortune installé dans les zones de relégation, en marge des villes, dans des squats ou sur des terrains inoccupés, ce qui contribue à la visibilité des pratiques de ces migrants et, par là, à l’émergence de la « Question Rom »25 . Notons que pour l’IGAS et pour l’Observatoire de la pauvreté, le nombre de « Roms » désigne le nombre d’habitants en bidonvilles, et réciproquement. L'étude du corpus nous montre par ailleurs que sur les 33 articles de presse mobilisés, on retrouve 64 occurrences des termes camp, campement ou bidonville, et une douzaine liée au champ lexical de la pauvreté (pauvre, misère, etc.). Pour parler des lieux de vie des « Roms », le discours public optera en effet plus volontiers pour le terme camp ou campement, l'usage de bidonville apparaissant presque marginal. Une recherche d'occurrences associées au terme Rom sur le moteur de recherche Google permet de s'en rendre compte. Pour ne pas biaiser les résultats du fait de la polysémie d'un terme (camp, par exemple) qui pourrait faire ressortir plus d'occurrences que celles concernant réellement notre champ lexical, nous avons associé le terme Aulnay-sous-Bois26. Ainsi, les formules de recherche testées ont eu pour résultat : - campement+roms+"Aulnay-sous-bois" : 34 900 résultats - camp+roms+"Aulnay-sous-bois" : 33 330 résultats - bidonville+roms+"Aulnay-sous-bois" : 6 160 résultats Le terme Bidonville apparaît 5 fois moins que les termes camp et campement. Ces résultats peuvent être confirmés par d'autres combinaisons à trois termes, mais c'est véritablement la combinaison des deux premiers mots qui démontre à quel point la terminologie semble consacrée : dans cette configuration, le terme Bidonville apparait 657 fois moins que le terme campement, ce qui démontre sa prévalence. - campement+roms : 47 900 000 résultats - camp+roms : 548 000 résultats - bidonville+roms : 72 900 résultats 25 Voir à ce sujet les travaux d’Olivier Legros 26 Au moment de la recherche, l'évacuation du bidonville d'Aulnay-sous-Bois (29 juillet 2014) vient de se dérouler et bénéficie d'une relative couverture médiatique.
  • 33. 31 Une simple lecture des définitions des entrées camp, campement et bidonville dans le dictionnaire permet d'identifier le contenu réel et symbolique de ces termes, puis de le mettre en regard de la situation des familles dites « Roms » (les définitions des termes analysés ci-après sont consultables dans leur intégralité en annexe 6). Alors que la définition du terme Bidonville semble en faire le signifiant le plus fidèle pour illustrer et décrire la réalité de ces familles (« habitations de fortune », « construites à la périphérie de certaines grandes villes », « population sans ressources, difficile à intégrer »), il est le moins utilisé des trois. L'usage répété, voire consacré, des termes campement et camp mobilise alors un champ lexical qui n’est ici plus celui de la grande pauvreté marginalisée mais celui du nomadisme (« Action de camper », « campement de bohémiens, de nomades, d'une tribu, de tsiganes »), du camping (« groupe de campeurs ») ou de l’action militaire (« Terrain généralement clos et fortifié », « des troupes s'installent », « pour se loger, s'entraîner ou se défendre ») : autrement dit, à un type d’abri temporaire mais volontairement choisi ou dangereux. Enfin, parce qu'ils rassemblent des individus, parfois nombreux, dans une promiscuité importante, ces lieux de vie peuvent donner l'apparence d'une organisation collective communautaire et liée par l'entraide. Alexandra Nacu et Milena Guest démontrent en quoi, à cette vie collective, se superpose une dynamique fortement individualiste dont il convient de tenir compte au risque de tomber dans « le trompe l'œil de la communauté ». Ce trompe-l'œil est par exemple alimenté par certains migrants qui s'auto-désignent « chefs de terrain ». Les chercheuses y voient des « personne[s] dont la fonction oscille entre l’exploitation de la pauvreté et l’organisation de ces rassemblements de fortune » mais en aucun cas des représentants communautaires. C'est pourtant le statut que, dans le souci d'avoir un nombre d’interlocuteurs limité, certaines associations leur accordent (Nacu, 2010). La biffe et la mendicité Suite à l'élargissement de l'Union européenne à la Roumanie et la Bulgarie, les citoyens provenant de ces pays bénéficient comme l’ensemble des ressortissants européens de la libre circulation mais leur accès à l’emploi et donc leur droit au séjour est resté limité par l’application de mesures transitoires jusqu’au 31 décembre 2013. La période de transition maintenue par la France entre 2007 et le 31 décembre 2013 a indéniablement constitué un frein pour l'accès à l'emploi des citoyens roumains et bulgares qui voyaient toute activité salariée soumise à l'obtention d'une autorisation de travail, laquelle était délivrée aux mêmes conditions que celles s'appliquant aux étrangers non européens. Alors que l'on observe un niveau de français et de qualification relativement bas chez les habitants de bidonvilles, les contraintes administratives et financières qui entouraient toute embauche potentielle n'en faisaient pas des candidats particulièrement « attractifs » pour les employeurs.