Comment les villes imaginaires des jeux vidéo peuvent-elles inspirer les réflexions sur la ville future ? Nicolas Minvielle et Olivier Wathelet (Making Tomorrow) présentent une étude exclusive réalisée pour Leonard : https://leonard.vinci.com/villes-et-jeux-video/
3. La jouabilité et les représentations des villes
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Les mondes ouverts
4. Jeux vidéo et routines urbaines
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Le jeu comme couture et non rupturede la mobilité
#1 – Le jeu s’insère dans les
routines
#2 – Le jeu modifie les routines #3 – Le jeu devient une routine
Candycrush Shooter Marvel Contest of Champions
16. Une mobilité « résistante » et qui s’adapte à l’avancement du joueur
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#1 – Une mobilité géographique #2 – Un « flow » pour accompagner le
joueur et avancer
Acrylia Caverns Detroit: Become Human
18. #2 – Offrir des outils ou suggérer
des usages
Accompagner lamobilité
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Mapstalgia
Mirror Edge
#1 – Lawmowing pour lutter
contre le brouillard du jeu
#3 –Contraindre la mobilité
par l’environnement
Battle Royal
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Dans Assassin’s Creed, la ville est conçue tel un canyon que surplombe le joueur et qu’il est amené à pratiquer sous forme de « visites-éclairs » en s’appuyant sur la verticalité de ses murs.
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Dans un monde ouvert, le joueur peut alors engager des pratiques exploratoires qui lui sont propres. Ainsi la marche va devenir une pratique décalée et extrême à l’instar du collectif 8-bit BASTARDS qui crée des vidéos de marche à pied au sein de villes de jeu vidéo pouvant atteindre une durée de 5 heures ! L’avatar progresse ainsi selon des défis ludiques tel que marcher en ligne droite, forçant ainsi à emprunter des chemins inédits dans une ville réelle où nous avons tendance à suivre les guides proposés par l’urbanisme.
La vidéo d’une heure 30 d’exploration de San Andreas de GTA
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Cet exemple masque toutefois le fait que les mobilités ne sont pas uniquement vécues comme un « temps à remplir » mais sont en réalité plus souvent des territoires à part entière avec leur propre sociabilité comme c’est le cas des mobilités des jeunes où des formes de pratiques de partage autour du jeux vidéo sont riches et importantes (Ter Minassen & Boutet 2015). La mobilité n’est donc pas nécessairement une rupture mais une couture dans l’expérience urbaine.
L’expérience de la ville est aussi renouvelée du fait qu’elle s’enrichit d’une couche d’expérience digitale. Du point de vue des usages, l’expérience de la mobilité quotidienne professionnelle est historiquement fondatrice comme en témoigne l’invention du Nintendo suite à l’observation de commuter japonais qui jouaient avec leurs calculettes électroniques pour passer le temps dans les transports (un enjeu de « passer le temps en transport » déjà au cœur des observation de sociologie de l’école de Chicago, durant les années ’30 explique Jean-Baptiste Class). Cet exemple masque toutefois le fait que les mobilités ne sont pas uniquement vécues comme un « temps à remplir » mais sont en réalité plus souvent des territoires à part entière avec leur propre sociabilité comme c’est le cas des mobilités des jeunes où des formes de pratiques de partage autour du jeux vidéo sont riches et importantes (Ter Minassen & Boutet 2015). La mobilité n’est donc pas nécessairement une rupture mais une couture dans l’expérience urbaine.
Style
O, se d »tendre en fonction du moment de la journée
qui fait que la conception de jeu géolocalisé reste encore sous exploité explique Eric Viennot. Curiositif
Jouer = prednre du temps pur soir, le soir
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Elle utilise en effet un principe de base identifié par Nicolas Jaujou, à savoir que c’est le joueur qui crée lui-même les raisons de l’échec de la ville, par les externalités qu’il génère en accroissant son projet. Sur cette base, cette mécanique de jeu permet en effet très bien de répondre aux différents enjeux suivants :
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La limite de l’approche SimCity est qu’elle fonctionne comme une simulation de scénarios, d’actions possibles et prédéterminées. Elle n’offre donc pas de capacité créative de la part des joueurs, ni la possibilité aux usagers de détourner ou de contourner les règles pour proposer des visions véritablement originales (Rufat & Ter Minassian 2012). En quelque sorte, les solutions apportées par les joueurs sont contenues dans l’algorithme de base. C’est à ce titre qu’il s’agit avant tout d’outils de démonstration et de conviction. C’est pourtant un paradigme important identifié au cœur des projets de SmartCity qui exploitent cette idée de gestion des flux via des salles de contrôle réelles (Caprotti 2018). C’est donc un impensé idéologique fort qu’il s’agirait de déconstruire dans l’avenir de ce type de projet.
Chinatown / Boston
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Spîderman
qui permettent de faire un bilan, d’identifier une zone à explorer et sont le point de départ de missions. Ultimate Spider Man offre des possibilités extrêmement détaillées à cet égard, comme par exemple la liste ordonnancée de futurs crimes, mais qui impliquent de “sortir” de l’action.
qui accompagnent l’action et donnent des informations en temps réel sur l’état de la ville. Elles peuvent éventuellement guider, à la façon d’un GPS, en traçant le parcours du jour (ex. GTA) au risque que le suivi du jeu devienne un suivi de carte au détriment de l’expérience de la ville elle-même (Schweizer 2009). L’UX des cartes de jeux vidéo pourrait constituer un sujet de recherche en soi tant il existe des variantes propres à enrichir tout travail de réalité augmentée, oscillant entre saturation ou solutions élégantes pour représenter des informations complexes
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GTA
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On peut chercher à comprendre quels sont les repères que le joueur utilise pour prendre place dans la ville et ainsi espérer mieux comprendre comment aider les usagers/joueurs à générer une expérience utile des différents stimulis urbains. Et ainsi tester des hypothèses sur les meilleures façons d’aider à l’appropriation d’une ville (en lien avec les primo-arrivants résidentiels, les jeunes qui acquièrent de l’autonomie dans leurs parcours ou encore les touristes et visiteurs occasionnels). Le jeu vidéo permet ainsi d’aider un nouvel arrivant à découvrir une ville ou à la partager (Jensen 2018, rapportant l’anecdote d’un écrivain, Seth Rogen, utilisant le jeu True Crime : Street of LA pour expliquer sa nouvelle ville à un partenaire de travail).
On sait en effet que les joueurs sont très sensibles aux détails de l’environnement pour « lire » et comprendre la ville. Ainsi, dans les derniers épisodes de la franchise GTA, explique Nicolas Jaujou, l’intensité de la verdure entre les dalles de trottoirs témoigne de la sociologie du quartier. Un détail qui n’a pas échappé aux joueurs et qui leur permet de comprendre et de s’approprier l’univers qu’ils visitent.
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C’est le concept de la génération procédurale qui permet de concevoir des univers “from scratch”. Les explorations actuelles sont au stade de la recherche académique à l’instar du projet Angelina de l’anglais Michael Cook de l’Université de Falmouth* . Angelina est un acronyme de “A Novel Game-Evolving Labrat I have Named ANGELINA”. Le jeu est ainsi élaboré qu’on nourrit l’IA qui décide ensuite, en allant chercher en ligne des associations, de créer des univers de jeu spécifiques. Si l'initiative est séduisante, le résultat final n'est pas toujours à la hau- teur. Dans des premiers tests de l'intelligence artificielle menés sur un corpus de 100 jeux générés aléatoirement, seulement 3 étaient parfaitement jouables, montrant que le chemin est long pour que la machine remplace les gamedesigners. Bien que les résultats de ces 3 jeux soient assez dérangeants - les associations faites sont “bizarres” pour un être humain - Michael Cook pense arriver à terme à ce que l’on joue à son jeu - non pas à cause d’Angelina comme c'est le cas aujourd'hui - mais pour le résultat du travail d’Angelina.
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Le jeu Mad University développé par l’université d’Alicante vise ainsi à immerger des joueurs dans un MMORPG pour que l’IA puisse apprendre avec des bases de données évolutives et non standardisées contraire- ment à la pratique normale. L’idée sous-jacente est que lorsque l’on confronte une IA à des agents qui sont réellement intelligents, son apprentissage devrait être largement amélioré. Le jeu modélise un hôpital psychiatrique dans lequel les joueurs essaient d’être le plus malade possible tandis que les IA (docteurs, infirmiers...) essaient de les sauver. Le traitement se traduit par des interactions entre un joueur et une IA au travers plus spécifiquement le fait de jouer à des jeux. Si le joueur gagne, il devient alors de plus en plus malade et l’IA apprend petit à petit quels sont les traitements qui marchent ou pas. Les IA ne connaissent pas les résultats des traitements qu’elles donnent. Elles doivent donc s’adapter à chaque fois et ainsi apprendre.
Un projet du MIT, Restaurant Game, adopte une approche similaire : il s’agit pour le joueur d’aller au restaurant et d’interagir avec un serveur. Ce dernier est un PNJ mais ses actions sont liées à un apprentissage complexe. En l’occurrence, le concepteur du jeu a demandé à des mil- liers de personnes de jouer le serveur pendant qu’une IA observait les comportements et apprenait. Le résultat - en continuelle évolution - est l’agrégation de milliers de données comportementales et permet au serveur de réagir intelligemment à quasiment toutes les interactions possibles.
Cette stratégie est d’ores et déjà employée par l’armée américaine dans ses procédures de recrutement pour sélectionner les profils les plus capables (Pearson 2015).
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L’accompagnement de la mobilité est un enjeu-clé du level design c’est- à-dire de la manière dont le jeu est conçu pour permettre des interactions. Dans les cas les plus simples, les développeurs offrent une carte du jeu complète qui permet aux joueurs de se déplacer de manière certaine. Dans d’autres cas, le “brouillard” du jeu impose de découvrir chaque lieu afin de voir ce qui s’y trouve. Les joueurs adoptent alors des techniques spécifiques pour s’y retrouver lorsque le jeu n’offre pas de cartes. L’une d’entre elles est le “lawnmowing” : le fait de dessiner soi-même l’environnement du jeu en le découvrant de manière systé- matique et en dessinant les lieux ainsi découverts*.
De nombreux jeux offrent aussi la possibilité d’utiliser des informa- tions permettant de positionner dans l’environnement un certain nombre d’éléments-clés pour le jeu. On retrouve ainsi des flèches qui permettent d’obtenir la géolocalisation des autres joueurs ou des formes spécifiques aux enjeux du jeu.
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Ce type de ville connait un succès important dans les jeux vidéo pour leur capacité à générer un environnement “physique” qui soit une source de jeu. Éviter une zone radioactive, se bala- der au travers de bâtiments abimés et ouverts, se cacher derrière une voiture retournée,... sont autant d’interactions virtuelles qui complexifient le jeu et le rendent plus attirant. La dimension esthétique joue aussi un rôle important. Une des raisons du succès de Fallout 3 résiderait ainsi dans la capacité du jeu à immerger les joueurs au sein de la ville de Washington après une apocalypse. Le fait d’avoir pré- servé la structure de la ville permet au jeu de souligner une grandeur passée et l’impact de la catastrophe. De ce point de vue, de nombreux jeux jouent la carte du réalisme. The Last of Us présente Boston comme une ville où la nature a repris ses droits, les bâtiments sont extrêmement abimés, la verdure sort au travers de la route. Cette représentation est perçue comme extrêmement plausible avec des plantes très vivaces qui poussent partout.
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A l’inverse des villes déliquescentes, les villes futuristes ou “totales” présentent des visions quasi-parfaites. Tout y est propre, aligné et fonctionne parfaitement. Les enjeux de narration se situent alors à un autre niveau, notamment politique. C’est le cas de Mirror’s Edge par exemple où le joueur fait évoluer un “runner”, autrement dit un livreur, en le faisant passer par les toits pour éviter la surveillance généralisée. Ce qui nous est offert ici est l’alternative à une apocalypse climatique : un monde clinique, propre, aseptisé où le contrôle est partout. On ne peut alors s’échapper qu’en adoptant une mobilité extrême.
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Civilization 6
De nombreux jeux, dont la série Civilization permettent de simuler les conséquences de tel ou tel choix et ceci dans le même scénario. Cette capacité à évaluer les conséquences est un enjeu-clé pour toutes les discussions visant à imaginer notre futur. Les auteures soulignent que ces choix se font dans des univers principalement tournés vers la croissance et l’obtention d’une forte empreinte géographique … a contrario des logiques actuelles de baisse de l’empreinte carbone par exemple. Ces types de jeux sont donc de bonnes bases pour essayer de définir quelles pourraient être des métriques de croissance faible ou de décroissance tout en préservant l’intérêt du jeu. La dernière version du jeu Civilization (N°6), sortie après l’écriture de l’article, met d’ailleurs en place des systèmes de pénalisation - lorsque l’on croit trop vite - et va jusqu’à proposer des réunions internationales sur le climat pour essayer de limiter les impacts dans le monde virtuel. Ce qui parfois n’amène qu’à la reproduction de comportements prédateurs existants dans la vraie vie : des joueurs ne tiennent pas leurs promesses par exemple.
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Les enjeux de narration se situent alors à un autre niveau, notamment politique. C’est le cas de Mirror’s Edge par exemple où le joueur fait évoluer un « runner », autrement dit un livreur
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Eco video game
Ce type d’approches, que l’on retrouve dans un jeu tel que Warcraft, ne permet pas de penser réellement à long terme. Certains jeux adoptent l’option inverse en mettant en place un système fragile dans lequel les joueurs doivent négocier en permanence afin de préserver la croissance tout en empêchant que le monde ne disparaisse à cause de la surexploitation de ses ressources. C’est le cas de Eco par exemple qui est une parfaite représentation de la tragédie des communs dont la complexité désempare certains joueurs. Voir le thread de certains joueurs sur Reddit : https://www.reddit.com/r/EcoGlobalSurvival/
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Or, en analysant l’exemple de Fate of the world, qui permet des simulations environnementales, on se rend compte qu’à peine la moitié des joueurs présents sur la plateforme Steam ont complété le premier tutoriel. Pour Abraham, une des principales raisons réside dans le manque de plaisir que le jeu offre. En outre, certains projets de jeu vidéo devant susciter des comportements altruistes se sont avérés des échecs cuisants. Les animaux introduits dans Ultima Online ont tous été tués en moins de 24 heurs par négligence ou plaisir de les voir disparaître, explique Pierre William Fragonese.
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la thèse de l’auteur reste intéressante : plutôt que de tenter d’immerger le joueur dans les enjeux climatiques en lui faisant manipuler des éléments de l’environnement, il vaut mieux lui montrer directement qu’un futur préférable existe.
C’est le cas par exemple d’Arma III, jeu de tir tactique qui ne traite pas de climat mais se joue dans un environnement post-pétrole : on y trouve des panneaux solaires, des fermes solaires et toute la panoplie des énergies renouvelables. Pour l’auteur, l’enjeu-clé du jeu vidéo devient alors, non pas de tenter de persuader le joueur, mais, au travers de ce qu’il appelle la « soumission à l’esthétique », de présenter des futurs préférables. Ceci devrait permettre selon lui d’instaurer un « engagement informel » car il n’attaque pas directement des croyances ou pratiques qui peuvent être en conflit avec les enjeux climatiques.
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Fornite climate squad
Elle décida alors de créer une équipe spécifique de joueurs qui ne parleraient que d’enjeux climatiques durant les combats. Ni le medium, ni le jeu n’ont été construits pour cet usage que l’on pourrait penser totalement inapproprié mais la démarche est extrêmement intéressante : 60% des joueurs de Fornite ont entre 18 et 24 ans et sont une cible-clé pour les messages liés au climat. Par ailleurs, le fait d’avoir une pratique partagée permet de plus facilement créer des liens avec les joueurs. Ceci implique pour autant un réel engagement de la part des chercheurs qui ne peuvent se permettre de perdre trop rapidement car la durée de survie dans le jeu est tout simplement corrélée avec l’audience disponible. Leur première victoire a d’ailleurs eu plus de 7.000 vues sur Youtube.