Le champ des inégalités entre les sexes et du genre illustre la nécessité d’une approche réflexive de la connaissance : que veut-on en faire ? A quoi vont servir les résultats ? Finalement la question explicite ou sous-jacente est celle de l’acceptation ou non de cette forme d’inégalités et de leur possible justification. La controverse se pose en ces termes, c’est-à-dire autour des « propositions métaphysiques » pour reprendre la formule de l'économiste Joan Robinson. L’intention est donc inhérente à la recherche et souhaitable, elle est le moteur des controverses et de la production de connaissances qui les alimentent, ce qui in fine conduit à des argumentations scientifiques.
2. 1. Quel est le rôle de l’économiste et quelle place pour
les femmes?
2. La rationalité : un concept sexué et alors?
3. L’économie et la pensée féministe
4. L’économie féministe n’est pas l’économie du féministe
La science économique est-elle sexiste ?
3. Où la femme, au point de vue économique,
est-elle mieux placée, au foyer de la famille ou
dans l’atelier ?
Séance du 5 juin 1884 de la société d’économie
politique
Jules Simon Frédéric PassyLéon Say Emile Cheysson
4. Au terme d’un débat argumenté, un consensus
émerge et Jules Simon de conclure ….
A tous égards, et sans contestation possible,
la vraie place de la femme est au foyer,
c’est-à-dire dans la famille. C'est là qu'elle a
toute sa valeur, qu'elle est tout ce qu'elle doit
être et qu'elle donne tout ce qu'elle doit
donner.
Source : Séance du 5 juin 1884, p.333
5. Des femmes économistes …
Julie Daubié
(1824-1874)
Jane Marcet
(1769-1858)
Jane Marcet
→ elle publie Conversations on Political
Economy en 1816 : diffuser les travaux et la
pensée de Smith, Ricardo, Malthus
Harriet Taylor
(1807-1858)
Harriet Taylor
→ elle publie en 1851 : The
Enfranchisement of Women et
contribue au travail de JS Mill
Julie Daubié
→ elle publie La femme pauvre au XIX
en 1866 et nombreux article dans La
revue des économistes
Millicent Fawcett
→ elle publie en 1918 dans la
revue The Economic Journal,
Equal Pay for Equal Work,
Millicent Fawcett
(1847-1929)
6. ..mais évincées des sociétés savantes
Emile Levasseur
(1828-1911)
À la mort de Julie Daubié, Emile Levasseur écrit dans la
rubrique nécrologique du Journal des économistes (1875):
J'ai à vous faire part de la mort récente d'une femme qui aurait
assurément mérité d'être au nombre des membres de la Société
d'économie politique, si les statuts de la Société autorisaient l'admission des
femmes. Mademoiselle Daubié avait voué sa vie aux études économiques, et tout
particulièrement à la question du sort des femmes dans les sociétés modernes.
Il salue son travail sur les conditions de vie des femmes pauvres mais
ajoute :
Elle allait beaucoup trop loin, quand elle attribuait « le profond malaise de la société moderne à la «
condition inférieure qui est faite à la fille du peuple ».
La mesure manque souvent dans les jugements portés par mademoiselle Daubié; mais ce qui ne
manque jamais, c'est la générosité du sentiment, et, si elle se laisse emporter trop loin, c'est par excès
d'ardeur pour le bien
7. L’économie classique → approche normative (De la richesse des Nations, Smith,
1776)
Paradigme néoclassique → la science des choix avec une rationalité appliquée à
tout type de décisions individuelles (Becker, 1981)
L’institutionnalisme des origines → comprendre l’évolution des institutions de la
société capitaliste (Commons, 1930)
Le néo-institutionnalisme → science qui étudie les institutions sociales qui
soutiennent le système économique (Coase, 1977)
→ Economics is what economists do (Jacob Viner)
Qu’est-ce que la science économique et à
quoi servent les économistes?
8. L’homo oeconomicus a-t-il un sexe?
Dans le paradigme néo-classique, l’homme est
rationnel et égoïste et la femme est altruiste
The most valuable of all capital is that invested in Human beings; and
of that capital the most precious part is the result of the care and
influence of the mother, so long as she retains her tender and
unselfish instincts, and has not been hardenend by the strain and
stress on unfeminine work »
(Principles of Economics)
→ pas de biais de genre?
Alfred Marshall
→ Aux 19e
et 20e
siècle, l’économie (la branche dominante de
l’économie), se pare de l’illusion de neutralité dû à l’influence
du positivisme
9. Since the biological natures of men and women differ, the assumption that the time of men and women are perfect
substitutes even at a rate different from unity is not realistic. Indeed, their times are complements in sexual
enjoyment, the production of children, and possibly other commodities produced by the household.
Complementarity implies that households with men and women are more efficient than households with only one
sex…, p.39
In this manner investments in children with « normal » orientations reinforce their biology, and they become
specialized to the usual sexual division of labor
Becker, 1981, A Treatise on Family
Le modèle prédit que la spécialisation sexuée du couple
est plus efficace
Gary Becker
Le modèle familial de Becker est-il neutre?
10. En tant qu’économistes et praticiennes des
sciences sociales, nous voulons garder et
améliorer l’analyse économique en
débarrassant la discipline des biais créés
par la centralité des préoccupations
distinctement masculines. Les féministes
soulèvent des questions non pas parce que
l’économie est trop objective mais parce
qu’elle ne l’est pas assez. Trop
d’hypothèses et d’idéaux méthodologiques
ont été exemptés d’un examen critique parce
que les communautés existantes des
économistes les ont perçus comme
universels et impartiaux .
M. A. Ferber et J. A. Nelson
Ce que dit l’économie féministe
11. Metaphysical propositions also provide a quarry from which
hypotheses can be drawn. They do not belong to the realm of
science and yet without them we would not know what it is that
we want to know
– A l’aune de quels principes les économistes
réfléchissent-ils?
– Quelles questions posent-ils?
– Que faire des réponses apportées?
L’économie : une science sociale qui repose
sur des principes métaphysiques
Joan Robinson
12. Assumer les principes métaphysiques
En se revendiquant du féminisme,
l’économiste énonce à l’aune de quels
principes métaphysiques produire des
connaissances :
→ L’égalité des hommes et des femmes
et le constat/la mesure des inégalités qui
est contraire au principe de justice
Le modèle de Becker ou les principes d’économie politiques de Marshall
sont essentialistes, ils ne s’en revendiquent pas et se pensent sans
engagement
Si la neutralité est impossible, la transparence est primordiale
13. L’économie féministe n’est pas l’économie du
féminisme
A proper reckoning
Feminist economics deserves recognition as a
distinct branch of the discipline
L’économie féministe est reconnue
comme une branche de la discipline :
• une revue académique Feminist
Economics
• elle regroupe un large éventail
d’écoles de pensée
• la classification par différentes entrées
des publications en économie du
Journal of Economic Literature, inclut
désormais une section Feminist
Economics (code B54)
14. Faut-il un business case pour l’égalité ?
L’égalité promue au nom de la performance économique ou de
l’efficacité ?
Croissance économique et
participation des femmes au
marché du travail / éducation des
femmes
Lehman Brothers ou Lehman
sisters ?
l’argument néo-essentialiste →
l’inclusion des femmes dans les
lieux de pouvoir au nom de la
différence des sexes
15. La fin et les moyens…
Dans une perspective féministe, l’égalité est une fin en soi,
elle est un principe de justice et constitue un objectif à
atteindre quel qu’en soi le prix.
L’égalité est politique le rôle de l’économiste est d’évaluer
l’efficacité des politiques publiques à réduire les inégalités
entre les sexes
Faire de l’égalité un moyen au service de la performance
économique → Le nouvel esprit du néolibéralisme → faire
de l’égalité un moyen et non pas une fin