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         ÉTAT ET REGULATION SOCIALE
 COMMENT PENSER LA COHERENCE DE L’INTERVENTION PUBLIQUE ?

               11, 12 et 13 septembre 2006
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                2 rue Vivienne – 75002 Paris




Enjeux de la néo-familialisation de l’État social



                                                    Michel CHAUVIERE
Enjeux de la néo-familialisation de l’État social
Michel CHAUVIERE – CNRS, CERSA, Paris 2



Résumé
Bien des indices convergent pour penser que nous allons dans le sens d’une néo-familialisation de
l’action publique, au cœur de l’État social, peut-être même pour sa survie. Considérant le familialisme
comme une hypertrophie de la raison familiale dans l’action publique, l’auteur examine le solide
héritage institutionnel et militant français en l’espèce, les processus socio-historiques en jeu et la
recevabilité nouvelle de la problématique néo-familialiste dans le contexte de crise de l’État social.
Abstract
A lot of indications converge to think that we go in the sense of a “neo-familialisation” of the public
action, into the heart of the social state, maybe same for his survival. If we can define the familialism
as the hypertrophy of familial reason in the public action, the author shows the strong French
institutional and militant inheritance, then he analyses the social and historical process in game and
new admissibility of the problematic “neo-familialiste” in the crisis of social state.
Mots-clés : familialisme, mouvement social, territorialisation, protection, redistribution, solidarités,
régulation


INTRODUCTION
   Le familialisme est une forme d’action publique, marquée par l’hypertrophie de la raison familiale
dans la conduite des affaires publique, ce qu’il faut comprendre bien au-delà de la gestion de la seule
sphère domestique ou des seules prestations familiales. C’est le choix, dans certaines conditions
historiques, de faire de la famille - et non pas seulement l’individu (homme, femme ou enfant) - l’unité
référentielle de politiques publiques visant aussi bien les questions de population, de protection, de
redistribution…, de la considérer comme la médiation principale entre l’État et les citoyens voire, par
extension, un modèle de société « démocratique » 1 valable pour la vie politique tout entière,
concurremment à l’individualisme citoyen.
   En France, bien des indices montrent que cette orientation gagne du terrain. La néo-familialisation
de l’action publique déploie principalement ses effets au cœur de l’État social en crise, peut-être même
pour sa survie. C’est ce que la contribution s’efforcera de montrer. Elle s’attache à décrire, dans le cas
français exclusivement, l’héritage militant, institutionnel et politique de la cause familiale, en notant
les principaux processus socio-historiques qui le traversent, pour mieux comprendre et évaluer la
dynamique de l’actuelle inflexion néo-familialiste dans l’action publique.

1. UN SOLIDE HÉRITAGE
    Au pays du code civil, code instituant la nouvelle société après la Révolution, la famille est depuis
deux siècles dans le silence du code. Non définie, son statut contraste avec les autres formes de
sociétés progressivement organisées par la loi (des SA, ou SARL aux associations 1901 ou aux GIP).
Mais cette non-définition, régulièrement reconduite et justifiée, y compris sous Vichy malgré quelques
vaines tentatives, est compensée par une institutionnalisation fort développée du champ et des
institutions du familial. Par comparaison avec nos voisins immédiats, qui connaissent un familialisme
différent, généralement plus faible et même souvent invisible2, nous avons en France le plus grand


1
  Au sens de la définition de la famille comme « plus petite unité démocratique au cœur de la société », promulguée à
l’occasion de l’année internationale de la famille (1994), à l’instigation de la France.
2
  Une comparaison avec l’Angleterre montre que la question familiale reste non détachée de la vie sociale, littéralement
consubstantielle à la société anglaise. La poor law demeure la référence principale mais il n’y a pas eu outre-Manche
d’explicitation de la politique familiale. Du moins jusqu’à l’arrivée de Tony Blair. Voir BUSSAT , CHAUVIERE (1997)


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nombre d’acteurs organisés pour la cause familiale, des institutions spécialisées (INED, CNAF,
UNAF, conférences de la famille, etc.) et une politique familiale parmi les plus explicites qui soient.
Sans oublier qu’une bonne partie du travail social (au sens large) demeure crypto-familialiste
(CHAUVIERE 2004) ni que bon nombre d’élus locaux, hantés par le familial, rivalisent d’initiatives sur
ce terrain politiquement rentable.

1.1. Les mobilisations sociales pour la famille
    Partie prenante des mobilisations sociales au tournant du XIXe siècle, le mouvement familial
français est depuis cette période démultiplié, ramifié et tojours bien présent dans différents plis de
l’action publique. Il naît au début du XXe siècle et il se compose aujourd’hui encore d’associations
d’action générale et d’associations dites d’action sectorielle ou spécialisée, les plupart étant regroupées
en fédérations et confédérations. En l’espèce, l’histoire désormais mieux connue (Talmy 1962 ;
GRMF, 1983 et suiv. ; Lenoir, 2003 ; Chauvière, 2000c ; Chauvière, 2006) permet de distinguer dès le
début du siècle plusieurs composantes, à savoir un familialisme républicain (ou natalisme) et deux
familialismes confessionnels. Soit trois processus nettement différenciés mais singulièrement
convergents autour du « fait familial », une catégorie très uniment naturalisée.
    Les problèmes de la natalité émergent, en milieu républicain, grâce notamment à l'Alliance
nationale contre la dépopulation du Dr Bertillon en 1896, qu’il faut considérer avant tout comme une
stratégie de pression politique à l’instigation d'une partie de l’élite sociale du moment. Ce sont là des
experts, première génération, plus que familles organisées ! (Thébaud, 1985). Ils sont fortement
relayés au Parlement (Becchia, 1991).
    Aux mêmes dates, la stratégie catholique de présence et de réponse sociales face à la question
ouvrière et au péril socialiste, passe par le réarmement moral les familles et la création de services ad
hoc. S’impose une figure de proue, l'Abbé Viollet, créateur d’associations pour le logement ouvrier
dès 1902 puis des œuvres du Moulin vert dans le XIVe arrondissement à Paris (Gardet, 2005). Mais il
faut aussi compter avec toutes sortes d’initiatives locales, notamment celles du patronat catholique du
Nord pendant la période 14/18, toujours fortement relayées par les jésuites, jusqu'aux associations
catholiques de chefs de familles défenseurs de l'école privée après 1905. Pour rechristianiser les
classes populaires, toutes les familles et toute la famille doivent être défendues ; l'action ne se conçoit
que globale, c'est à dire morale, éducative et sociale tout à la fois.
    S’observe aussi une mobilisation des familles nombreuses, avec la singulière Ligue populaire des
pères et mères de familles nombreuses du capitaine Simon Maire, à partir de 1908. Quoique très
marquée par l'idéologie catholique de la famille et le projet d'une moralisation de la société,
notamment contre la propagande néo-malthusienne, cette mobilisation n’en est pas moins une
innovation, ne serait-ce que dans sa forme quasi-syndicale empruntée au mouvement ouvrier naissant
qu’elle cherche évidemment à concurrencer. L’idée de vote familial couronne la stratégie pro familia
(Le Naour, 2005)
    Durant l’entre-deux-guerres, à la Fédération nationale des associations de familles nombreuses, qui
prolonge le travail du Capitaine Maire, s'oppose la Confédération générale des familles de l'Abbé
Viollet. Après 1945, ces divers courants s’incorporeront dans la Fédération des Familles de France
(aujourd'hui Familles de France)
    Une dernière vague d'associations pour l'action familiale générale apparaît à la fin des années
trente, dans le sillage des mouvements d'action catholique spécialisée3. Ainsi, à partir de la JOC, se
constituent d’abord un mouvement de foyers JOC/JOCF, puis en 1941 le Mouvement populaire des
familles (MPF). Ce mouvement est l’ancêtre commun de l’actuelle Confédération syndicale des
familles (CSF) et de la fédération Consommation, logement et cadre de vie (CLCV, ex-CSCV, sortie
du champ familial en 1975). Ces groupements partagent une conception syndicale des intérêts
familiaux populaires, impliquant un système de représentation, des services et des revendications
collectives (GRMF, 2002). Ainsi encore, à partir de la JAC et de la Corporation paysanne, se crée en

notamment le chapitre 3 : « Les intérêts familiaux comme public choice ». Pour l’Espagne voir ALBERDI, CHAUVIERE,
FROTIEE (2000).
3
  . Voir les travaux du Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux (GRMF). Siège social : 4, allée du
Ternois 59650 Villeneuve d’Ascq (1983-2006).


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                       3
1943 la Confédération nationale de la famille rurale (CNFR), aujourd’hui Familles rurales (GRMF,
1995). Les associations familiales laïques naissent les dernières, en 1967, et restent assez marginales.
    Toutes ces organisations sont à l'origine des actuelles associations et fédérations familiales,
constitutives du mouvement familial, du moins de son noyau dur, appelées à la cogestion de l’UNAF
depuis 1975. Une approche plus complète du champ familial nécessiterait de citer encore d’autres
organisations d’orientation familiale ou parentale ou simplement sociale. Cependant, pour différentes
raisons idéologiques ou stratégiques, toutes celles qui pourraient théoriquement y prétendre n’ont pas
toutes intégré le mouvement familial. Les fédérations de parents d’élèves des écoles publiques ou
privées, l’École des parents et des éducateurs fondée au début des années trente, comme la plupart des
mouvements féministes reste institutionnellement hors-familial, ce qui n’est pas vrai dans tous les pays
européens (ainsi la situation est-elle différente en Espagne, par exemple).
    Au plan politique, la revendication puis l’imposition d’une institution légitime de représentation
des « intérêts familiaux matériels et moraux », l’UNAF el les UDAF au plan départemental, qui
aboutit sur un mode monopolistique en 1942 (loi Gounot) puis se voit républicanisée en 1945, a
finalement solidement installé le mouvement familial et son Institution dans l’espace public. Dès lors,
il pèse de manière singulière sur les conditions institutionnelles de l’exercice de la démocratie sociale
(au Conseil Économique et social, par exemple) et sur tous les enjeux de la participation citoyenne. La
famille et les familles sont ainsi légitimement entrées dans la République, comme telles. Depuis lors,
la présence des familiaux est importante dans les institutions politiques, sociales, économiques
communicationnelles, quoique souvent ignorée de bon nombre de nos concitoyens.

1.2. L’invention des politiques du familial
    Le développement de politiques du familial est en France inséparable de son contexte et
spécialement des rapports difficiles depuis la Révolution de 1789 entre la République et la famille.
Sans évoquer ici toutes ces tensions, il est cependant possible d’aborder rapidement les étapes
principales de l'incorporation progressive du thème familial dans l’action publique (Chauvière, 2000c).
    Quelques dates peuvent servir de repères, sachant que derrière les événements cités, il faudrait
pouvoir dégager les rapports sociaux en jeu et reconstituer les combinaisons variables qui lient les
interventions publiques, les mouvements sociaux et les savoirs spécialisés (la démographie, par
exemple ou, plus près de nous, la vulgate psychanalytique)
    1913 : Premiers textes prenant en compte la situation des familles nombreuses (Chauvière, Bussat,
1995). Les groupements spécialisés naissants organisent la mobilisation publique des familles
nombreuses en même temps qu’ils obtiennent l'introduction de cet aspect de la question sociale sur
l’agenda du politique. L'invention du quotient familial en 1914 est à comprendre comme l'intégration
du slogan des familiaux : les « familles sont créancières de la nation ». C'est à ce titre un événement
sociologique de premier ordre. Ainsi s'impose l'idée qu’il existerait des intérêts spécifiques aux
familles (nombreuses), bien qu’adossés à la plus traditionnelle conception familiale de la société
(Commaille, Martin, 1998).
    1920 : « Chambre bleu horizon » et première politique familiale globale, comme suite au Congrès
de la natalité et de la population en 1919. C’est une innovation. Plusieurs « familiaux » se retrouvent
ministres (comme Jules-Louis Breton, socialiste, premier titulaire du ministère de la prévoyance, de
l’hygiène et de l’assistance), entraînant notamment la création d'un Conseil supérieur de la natalité,
une intempestive déclaration des droits de la famille, etc. Ils trouvent leurs principaux appuis du côté
de l'Alliance Nationale contre la dépopulation. Les purs familiaux (le plus souvent catholiques) leur
reprochent d'être trop neutres voire trop laïques.
    1932 : 11 mars, vote d'une loi sur la généralisation des allocations familiales. Cessant d'être une
initiative marginale dans l’administration publique (dans l’armée, par exemple) ou bien alors une
libéralité octroyée par une fraction du patronat catholique, elles deviennent un droit et un système
d'aide aux familles mais aussi une occasion d’intervention publique légitime dans le champ familial.
Parallèlement les mouvements familiaux sont toujours à la recherche de leur unité.
    1939 : Code de la famille et de la natalité françaises. In extremis avant l'entrée en guerre, cette
production normative veut répondre à l'urgence des problèmes de natalité dans le contexte d’ouverture
nationale du gouvernement Daladier, notamment en direction des catholiques. Le code comprend trois


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4                                        Enjeux de la néo-familialisation de l’État social

volets : les aides accordées à la famille, la protection de la famille et diverses dispositions fiscales,
toutes mesures reconnaissant pleinement le fait familial. Mais il n’y a pas encore de représentation
politique des familles, comme telles.
    De 1940 à 1942, la Révolution Nationale du Maréchal Pétain fait de Travail-Famille-Patrie plus
qu'un slogan, une opportunité de transformation des objectifs et des modalités de l’action publique
dans le domaine social, au sens large. Répondant aux souhaits des milieux familiaux
conjoncturellement rassemblés (Comités de coordination), la loi Gounot de novembre 1942, inspirée
par le corporatisme d’État, donne un statut relativement exorbitant aux associations de familles,
reconnaît un Corps familial et le dote d'un monopole de représentation publique de toutes les familles
de France. Rien de tel n’existant avant cette date, on est donc fondés à dater de 1942 la naissance, en
France, d'une représentation familiale publique.
    En 1945, le Gouvernement provisoire républicanise par ordonnance l'héritage juridique et
institutionnel de la loi Gounot, en l'allégeant d'une excessive tutelle administrative et surtout en
libéralisant l'édifice à sa base. Mais on y conserve le principe de l’unicité de la représentation
nationale et départementale et les principales missions spécifiques de l'Institution (sauf la propagande).
Ce sera l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et les Unions départementales (UDAF).
Le rôle de Robert Prigent, militant du Mouvement populaire des familles avant et pendant la guerre,
puis du MRP et finalement ministre de la Population dans le Gouvernement provisoire de la
République, est essentiel pour comprendre ce processus (CHAUVIERE, 1986).
    1946 : la réforme de la Sécurité sociale intègre une branche famille, non sans enjeux entre les
forces politiques du tripartisme (PC, socialistes et catholiques sociaux du MRP), ce qui hisse la
protection de la famille au rang de priorité nationale. S'ouvre alors ce qu'Antoine Prost a justement
appelé d’« âge d'or de la politique familiale » (1984), sans pourtant que jamais cette orientation ne se
traduise de manière trop visible dans l'écriture politico-administrative française. À l’affichage
« famille », les gouvernements d'après-guerre jusqu'à la fin des années 1970 préféreront en effet soit la
compétence « population » (aux références plus républicaines) soit le fourre-tout des « Affaires
sociales ».
    Parmi les institutions qui encadrent l'action publique en direction des familles, il faut finalement
compter avec le Haut conseil à la famille et à la population d’avant guerre, la Caisse nationale des
allocations familiales, l’Institut d'études démographiques (ex Institut d’études des problèmes humais
d’Alexis Carrel), Union nationale des associations familiales d’après guerre et, plus près de nous à
partir des années 80, l’Institut de l'enfance et de la famille (devenu CIDEF avant d’être supprimé) ainsi
que les différents secrétariats d’État et missions interministérielles. S’agissant de l’UNAF, innovation
spécifiquement française, représenter les familles et incarner légalement le Corps familial consacre un
mode généraliste de régulation de la vie sociale, à référence exclusivement familiale. Depuis plus de
60 ans, ce montage est quasi-pérenne dans le paysage institutionnel, quels que soient les Républiques
et les gouvernements quoique régulièrement controversé dans certains milieux, notamment dans les
milieux laïques (CHAUVIERE , 2002b) et féministes.

2. ENJEUX ET MODALITES DU FAMILIALISME CONTEMPORAIN

2.1. L’extension continue des objets de l’intervention
   En France, du début du XXe siècle à ce jour, l'intégration républicaine de la question familiale s’est
réalisée selon quelques figures principales devenues progressivement recevables par et pour l’action
publique. Ces cibles forment aujourd’hui encore la base des catégories administratives et juridiques les
plus usitées et il expliquent, dans le cas français, le mode de développement des politiques familiales
depuis longtemps réputées explicites (Messu, 1992 ; Pitrou, 1994 ; Antomarchi, 2000). Elles offrent
aussi, et presque paradoxalement, diverses occasions de participation citoyenne4.
   Dans cette perspective, les politiques du familial peuvent être exposées à partir de quatre plans :


4
  Ces traits nous distinguent nettement des traditions plus privatistes de certains de nos voisins, notamment les Anglais et,
dans une moindre mesure, les Allemands. Parmi les pays du Nord de l’Europe, seuls les Belges connaissent une
institutionnalisation proche de la situation française.


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                        5
quand le familial est considéré comme ressource pour la nation entraînant des stratégies de
renforcement de la productivité des familles, autrement dit le natalisme ; quand le familial est appauvri
par ses enfants mais que la famille peut être considérée comme un risque socialisable, vu la charge
d’enfants qui lui incombe, surtout quand elle est nombreuse et qu’elle vit dans la précarité (allocations
familiales et autres formes d’aides, mais aussi quotient familial fiscal) ; quand le familial devient
institutionnalisable par l’État jusqu’à considérer que chaque famille, tous comptes faits, détient une
part de citoyenneté en tant que telle (au nom au de la légitimité et de l’opposabilité de ses « intérêts
matériels et moraux ») ; quand, enfin, le familial se voit « parentalisé » par diverses politiques
publiques, en d’autres termes que la famille est traduite et en partie réduite à la fonction parentale,
comme norme de responsabilité éducative et sociale locale et élargie, mais aussi obligation de
compétence et de performance pour tout un chacun, quelle que soit son tracé familial final, légal ou
non, durable ou non (Chauvière, 2003a).
    Premier plan. La construction du familial comme ressource est inséparable de la question de la
dépopulation et de l’émergence de la science démographique, processus largement relayé dès 1896 par
l'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française. La démographie est alors
mobilisée pour la traduction des chiffres en faits sociaux et des faits sociaux en chiffres, mais
également pour la valorisation et la politisation de la cause des familles nombreuses. Avec ses
catégories, la question des enfants nés et à naître cesse progressivement d’être un problème de
confessionnal pour devenir un problème public (Chauvière, Frotiée, 1997). Sous couvert de natalité, la
question de la famille se fait ainsi progressivement « gouvernable » par la République.
    Cette inflexion portera ses fruits après les deux grandes guerres. Après 14-18, bénéficiant d’un
large soutien parlementaire, les gouvernements Millerand et suivants promulguent tout un ensemble de
mesures incitatives et répressives : interdiction de toute propagande pour la contraception et primes à
la natalité (1920), correctionnalisation de l'avortement et réduction du temps de service actif des aînés
de familles nombreuses (1923), limitation des divorces (1924), etc. En prolongement, il faut rappeler
la création en 1939 d’un Haut comité à la famille et à la population puis l’adoption du code de la
famille et de la natalité françaises préparent aussi le régime de Vichy (Chauvière, Bussat, 2000) et le
natalisme de la Libération (allocations familiales et baby boom).
    Deuxième plan. Que les enfants puisent être considérés comme source d’appauvrissement pour
leurs géniteurs/parents n’est une idée ni naturelle ni morale. Il faut surtout pour cela admettre et savoir
calculer le « coût de l’enfant » rapporté au pouvoir d’achat des ménages, mais aussi accepter de passer
de l’assistance à l’enfant à l’assistance aux familles, catégorie bien peu légitime dans la culture
républicaine. Quoique difficile, par cette voie, l’enfant cesse d’être une simple affaire privée pour
devenir un enjeu social et un facteur de risque économique, autrement dit un investissement pour ses
parents et pour la société tout entière.
    Incidemment, la présence d’enfants est également considérée comme une charge individualisable,
susceptible d’être compensée. D’abord au titre d’une solidarité appuyée sur l’impôt, spécialement
quand les enfants sont nombreux et que la famille est reconnue indigente. La loi d’assistance de 1913,
obtenue juste avant les hostilités, vise les familles en difficulté, sur un mode assistanciel, non
contributif. Loi conjoncturelle, sans aucun doute, on l’a considérée comme la dernière des lois
d’assistance avant guerre et la première loi familiale en France (Chauvière, Bussat, 1993). On peut
également la rapprocher des réductions sur les chemins de fer (1921), des facilités d’accès aux HBM
(1922), de l’invention du quotient familial (1945), et tant de d’autres instruments d’organisation de
l’assistance passant volontairement par un ciblage familial maîtrisé.
    Puis la présence d’enfants à élever et à prendre en charge change de statut. Partant d’initiatives
diverses, tant dans la fonction publique que dans le secteur privé dès la fin du XIXe siècle, l’enfant
devient progressivement un risque. Risque d’abord compensé par un sursalaire versé à la discrétion de
l’employeur, puis la mesure est légalisée, étendue, universalisée et même déconnectée du salaire. En
un mot, elle est socialisée. La date de 1932 inaugure ce cycle marqué quelques années plus tard, en
1945/46, par l’intégration des caisses de compensation patronales dans le cadre du plan français de
Sécurité Sociale. Au nom de l’enfant et par solidarité obligatoire, les allocations familiales deviennent
l’un des instruments de redistribution de pouvoir d’achat aux familles, tout en permettant une
importante offre de services et diverses formes d’action sociale, sous conditions.



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    Troisième plan. Eu égard aux services rendus, le principe familial connaît alors les honneurs de la
République, en prolongement du traitement imaginé par le régime de Vichy. Avec la loi Gounot de
décembre 1942, qui crée un statut exorbitant pour les associations de familles, les familles de France
sont reconnues comme un unique véritable Corps constitué. Puis, ce principe est reconduit,
républicanisé et aménagé par ordonnance à la Libération, donnant naissance à l’UNAF et aux UDAF
(mars 1945). Les familles organisées sont ainsi considérées comme dépositaires d'une part de
citoyenneté et deviennent légalement représentables dans de nombreuses instances et institutions, en
d’autres termes elles s’incorporent à l’action publique5.
    Depuis la fin du XIXe siècle, la revendication ancienne du vote familial, c'est-à-dire de droits
politiques pour les chefs de famille, portait déjà en elle de telles ambitions. Bon nombre de congrès
natalistes et/ou familiaux réclamaient depuis les années 20 que « le chef de famille ait aussi droit à la
représentation par priorité dans les organismes [...] où se discutent des intérêts qui, de près ou de loin,
touchent à la famille ». Mais en vain, sous la Troisième République. Si, sous Vichy, la Famille (au
singulier de majesté, cette fois) est valorisée, c’est corrélativement à une double condamnation de
l’individualisme, au nom de l’idéologie des « groupes naturels » et des rôles féminins et masculins
(Muel-Dreyfus, 1996), et de l’affaiblissement du sentiment religieux du fait de la République laïque.
Mais cette intégration vaut aussi comme renforcement sans précédent de la socialisation de la vie
privée par l’État, dans l’attente de nombreux bienfaits d’ordre social et sécuritaire (Chauvière, 1998b).
    C’est donc, dans ces conditions, qu’au cours des années 40 se trouve légitimée la notion
d’« intérêts matériels et moraux des familles », assortie de prérogatives non négligeables, le dispositif
étant, qui plus est, financée sur fonds publics dès 1953. Il s’agit de : représenter officiellement les
familles auprès des pouvoirs publics ; donner un avis aux pouvoirs publics sur les questions d'ordre
familial ; gérer des services d'intérêt familial, comme plus tard, la tutelle aux prestations familiales,
etc. Le débat est continu depuis plus d’un demi-siècle sur le bien fondé et la légitimité d’un tel
système, mais aucun gouvernement n’a eu jusqu’à ce jour la volonté politique d’y renoncer. Tous l’ont
plutôt conforté.
    Quatrième plan. La mobilisation parentaliste a, elle aussi, plus d’histoire qu’il n’y paraît. Dès le
début du XXe siècle, dans la ligne des enseignements pontificaux, les milieux catholiques montrent
une volonté de réarmement moral de toutes les familles, indistinctement et si possible par elles-
mêmes. Dans les centres de préparation au mariage (chrétien) de l’abbé Jean Viollet, on est sur le
même terrain (Gardet, 2005). Plus près de nous, l’École des parents, fondée par Mme Vérine dans les
années 30, constitue une offre individualisée et spécialisée de formation et de soutien à destination des
hommes et des femmes dans leur responsabilité de parent.
    Dans le mouvement actuel se croisent en réalité plusieurs processus. La réforme du droit de la
famille des années 70 a consacré l’autorité parentale contre la puissance paternelle du Code civil. Dans
la conception actuelle du divorce, la norme impose que rien ne doit faire obstacle à la coresponsabilité
des parents, la médiation familiale pouvant éventuellement leur venir en aide. Du rapport Bianco-
Lamy sur L’Aide à l’enfance demain (1980) à la loi dite de « rénovation de l’action sociale et médico-
sociale » de janvier 2002, les droits des usagers sont valorisés, or ce sont souvent des droits familiaux,
combinant projet et responsabilité parentale. D’un exemple à l’autre, le parent se présente désormais
comme une figure moderne et acceptable du familial, nouvelle cible des politiques publiques et, le cas
échéant, vecteur de la juridicisation du social. Pour ne pas attenter aux libertés individuelles et
publiques, telles que nous les concevons encore, alors que la famille n’était pas et n’est toujours pas
une personne morale, le « soutien à la parentalité » se fait tout en propositions, en évitant d’être trop
prescriptif.
    L’histoire nous montre aussi que les points d’appui du familialisme sont anciens, nombreux et plus
diversifiés qu’on ne l’imagine souvent. Au plan philosophique, il a incarné, et sans doute continue-t-il
de le faire, une réactivité, plus ou moins totalisante, contre les excès de l’individualisme républicain.

5
 Le statut exorbitant des associations de familles, issu de la loi Gounot, permet de considérer les unions comme réalisant une
super-personnalité civile des familles organisées, dont le bénéfice est élargi et imposé par la loi à toutes les familles de
France. C’est à ce titre, que depuis la fin des années 40, les familiaux participent notamment à la gestion paritaire des caisses
d’allocations familiales. Les droits des usagers trouvent une partie de leurs origines dans cette citoyenneté à base
exclusivement familiale (Chauvière, 1997).


    Colloque État et régulation sociale                     CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                                       7
Les travaux de quelques juristes sont décisifs à ce sujet (Maurice Hauriou, Emmanuel Gounot…)
(Millard, 1997). Au plan social, il porte des initiatives proches du mutuellisme, de l’économie sociale
et de la protection sociale. Certaines annoncent effectivement le syndicalisme des parents d’élèves, des
consommateurs et plus largement celui des usagers (Chauvière, 1997) ; de même, il est très proche des
thèses d’origine catholique sur la subsidiarité, cette machine de guerre contre la République, de
l’autonomie sociale locale ou de voisinage, réactivée et même légitimée depuis la décentralisation et
les politiques de la ville, aux risques du communautarisme.
    Tous ces plans évolutifs marquent l’impossible suture de la question familiale, y compris derrière
la rhétorique contemporaine des solidarités familiales (Chauvière, Messu, 2003). Malgré cela ou à
cause de cela, les grandes associations qui militent pour la famille ou la défense des « intérêts
matériels et moraux » des familles continuent de réclamer envers et contre tout une politique globale.

2.2. Le renforcement de l’encadrement institutionnel
   Pour parvenir à ses fins, l’engagement familialiste est consolidé par un encadrement institutionnel
conséquent, maniant habilement expertise et gestion, et qui tend à faire système : les « codes de la
famille », l’INED (Rosental, 2003), la CNAF6, l’UNAF et son solide groupe au Conseil économique et
sociale, sans oublier les ministères, secrétariats d’État et délégations interministérielles dédiés à la
famille surtout depuis 1981, l’ex-IDEF - ex-CIDEF, des enseignements universitaires ou para-
universitaires spécialisés ou non – comme l’Institut des sciences de la famille à Lyon, les sciences de
la « suppléance familiale » à Paris X, ou encore, tout récemment, l’université des familles à l’UNAF
(expérience semi-virtuelle en cours) et la reconnaissance tout aussi récente des métiers de la médiation
familiale, etc.
   Examinons plus à fond deux aspects de cet inventaire : la codification et le système UNAF/UDAF.
2.2.1. La place de la codification
    Nous disposons en France d’une codification affichant de manière volontariste la dimension
familiale de l’action publique, en complément de la protection de la famille, valeur explicite dans la
Constitution de la République. C’était au début le code de la famille et de la natalité françaises en
1939 (Chauvière, Bussat, 2000), puis cela devient le code de la famille et de l’aide sociale en 1956 et,
enfin, depuis 2001, le code de l’action sociale et des familles. Mais c’est sans exclusive et sans
homogénéisation. Outre le code civil, de nombreuses compétences ayant trait à la famille et au familial
existent également dans le code pénal, dans le code de la Sécurité sociale, dans le code des impôts,
dans le code de l’éducation, etc.
    Le code de la famille et de la natalité françaises de 1939.est sans doute le seul authentique code de
la famille que le pays ait jamais conçu Dans un contexte dominé par les accords de Munich et peu
avant l'entrée en guerre, ce texte a l'ambition de répondre à l'urgence des problèmes de natalité. Inspiré
par Alfred Sauvy, expert s’il en est, il marque la victoire des natalistes de l'Alliance nationale, que
couronne l'éphémère ministère de la Famille de 1939, confié pour quelques semaines au sénateur
Georges Pernot. Comme en 1913, il est porté par une ouverture politique des radicaux-socialistes en
direction des catholiques. Finalement, c’est ce code qui fait entrer la famille, en tant que fait social et
comme catégorie du droit public pour la gestion des problèmes de population, dans l'univers politico-
administratif français. Le Gouvernement de Vichy en héritera et le fera fructifier à sa manière
(Chauvière, Bussat, 2000). Malgré son titre : code de la famille et de l’aide sociale, le texte de 1956 est
beaucoup moins familial (sauf intégration de l’ordonnance de création de l’UNAF de 1945 et mesures
dispersées non intégrables dans le code de la Sécurité sociale ou dans celui de la Santé publique).
    À la fin des années 1990, un débat peu public traversait le petit monde fermé des codificateurs : il
s’agissait de déterminer si le prochain code, à droit constant, devait s’appeler code de l’action sociale

6
  Parmi les institutions familiales, le réseau de caisses d’allocations familiales et la CNAF occupent une place des plus
originales. Géré d’une manière qui reste formellement paritaire, il est chargé de collecter et de redistribuer les efforts de
solidarité obligatoire entre familles avec enfants, familles sans enfants et non-familles (cotisation patronale). Ces caisses ont
très tôt développé une forte action sociale complémentaire, puis se sont vues progressivement chargées par l’État de certaines
allocations extra-familiales, souvent non-contributives (allocations logement, AAH, RMI, etc.). La place de la question
familiale dans la célébration du 60e anniversaire de la Sécurité sociale (quand le Comité d’histoire de la Sécurité sociale
regrette d’avoir fait l’impasse sur le champ familial et les politiques familiales et cherche à corriger le tir).


    Colloque État et régulation sociale                     CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
8                                      Enjeux de la néo-familialisation de l’État social

ou bien conserver sa référence princeps à la famille. Finalement, le pluriel est devenu officiel dans le
code de l’action sociale et des familles de janvier 2001, à l’initiative semble-t-il de Ségolène Royal,
alors ministre de la Famille. Conversion philosophique, reconnaissance du pluralisme ou habileté
politique, trahissant l’embarras de la puissance publique ? Il est difficile de trancher. Quoi qu’il en
soit, promue par les sciences sociales dans les années 70-80, la vision plurielle de la famille est
effectivement passée dans la sphère publique, quoique, il est vrai, sans beaucoup d’efforts de
conceptualisation.
2.2.2. Le système UNAF/UDAF
    Au centre névralgique de cette mobilisation sociale, on trouve donc l’Union nationale des
associations familiales et les unions départementales. Ce ne sont pas de simples fédérations de
mouvements, comme le sont d’autres unions dans le secteur social. Il s’agit avant tout, depuis
l’ordonnance de 1945, républicanisant la loi Gounot de 1942, d’une forme hybride mi-institution, mi-
conglomérat, mais empruntant au syndicalisme professionnel la définition de la représentativité.
Depuis, l’institution a traversé sans encombre majeur les Trente glorieuses, bénéficiant même d’une
importante réforme en 1975, consacrant notamment la cogestions les huit, devenus sept, principaux
mouvements familiaux dits d’action générale (Chauvière, 2000).
    D’aucuns, en interne, ont parfois qualifié cette construction de « Parlement des familles », mais
c’est une métaphore abusive. Au demeurant, cette arborescence complexe est bien enracinée dans les
géographies locales. Même si l’UNAF ne représente que des mouvements et non pas directement des
familles (il n’y a pas de vote direct ou même indirect de toutes les familles !), vu leur diversité
philosophique, les mouvements représentés à l’UNAF constituent néanmoins un assez bon échantillon
des sensibilités pro-familia en France7. Ce n’est donc pas un simple lobby, porteur d’intérêts
particuliers, même si à l’occasion ses méthodes sont celles du lobbying. Comment le problématiser ?
    Dans ces organisations, des femmes et des hommes militent ensemble pour défendre les intérêts
matériels et moraux des membres de leurs familles en tant que telles et, pour une minorité seulement,
de la Famille comme principe d’organisation sociale. Ils le font, en toute légitimité, malgré ou peut-
être pour contourner l’absence de personnalité juridique de la famille, et en tout cas sont présents dans
de nombreux lieux de démocratie sociale (dans la cogestion des caisses d’allocations familiales, par
exemple, où ils représentent les usagers, mais aussi dans les offices HLM, dans le domaine de la
consommation etc., et surtout au Conseil économique et social). Comme dans toute organisation
conséquente, les uns militent et les autres se contentent d’adhérer, contre un service local ou pour une
action limitée dans le temps. Mais l’offre de services y est globalement importante et toute cette forme
de mobilisation relève indubitablement de la citoyenneté active. Dans un monde associatif confronté à
des grandes interrogations quant à son recrutement, au militantisme ou à ses rapports avec les pouvoirs
publics, le secteur familial donne plutôt l’image d’une implantation locale plutôt solide, assez capable
de se renouveler et bien reconnu dans le jeu central et décentralisé contemporain (Sassier, 2006).
    Pour expliquer cette exception française, on peut mobiliser plusieurs hypothèses. La question
familiale naîtrait pour partie d’une réaction à la laïcisation de la société tout entière après la
Révolution française et aux débuts de la Troisième République. Cette réaction serait d’abord captée et
théorisée par les traditionalistes et contre-révolutionnaires, puis de manière décisive par l’Église
catholique, dans le cadre de sa doctrine sociale face à la question ouvrière (Rerum Novarum, 1891). La
famille deviendrait alors un élément stratégique, très articulé avec la question du salariat, tant du côté
patronal que du côté ouvrier. Pour ce qui le concerne spécifiquement, le natalisme républicain, quant à
lui, aurait permis un assez large consensus politique après et avant les principales guerres mondiales,
notamment pour soutenir la comparaison avec l’Allemagne (Messu, 1992). Enfin, la question familiale
pourrait encore être renvoyée à la question générale des corps intermédiaires, interdits puis contrôlés
jusqu’à la loi de liberté contractuelle de juillet 1901 (Chauvière, 1998a). Quoi qu’il en soit, il paraît
acquis que la politique familiale française est inséparable au début du XXe siècle du compromis

7
  Il y a cependant de notables exceptions, comme les mouvements de parents d’élèves, les mouvements féministes déjà cités,
mais aussi certains mouvements de consommateurs ou d’usagers pourtant à base familiale ou encore certains groupements
confessionnels minoritaires (musulmans, juifs…). À l’inverse, certains groupements de parents divorcés ou de parents
homosexuels (tels que l’APGL) cherchent à asseoir leur légitimité en sollicitant en vain leur entrée à l’UNAF, c’est-à-dire
leur reconnaissance comme authentique mouvement familial.


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                         9
durable passé entre la social-démocratie, radicale puis socialiste, et le christianisme social, doctrine qui
sera plus tard incarné par le MRP et irriguera autant la droite que la gauche gouvernementales.
    Parmi ces institutions, la plus originale et aujourd’hui encore sans équivalent chez nos voisins
européens, c’est donc le système UNAF/UDAF. Quoi qu’étant à base associative, le « corps familial »
a des prérogatives qui lui confèrent une capacité juridique hors du commun. Il donne des avis autorisés
aux pouvoirs publics sur les questions d’ordre familial, conformément aux dits « intérêts matériels et
moraux des familles » ; il représente officiellement et sans concurrence légale l’ensemble des familles
auprès des pouvoirs publics, nationaux, territoriaux et dans de très nombreuses instances (comme s’il y
avait un « intérêt général familial ») ; il gère également tout service d’intérêt familial confié par l’État
(ainsi les tutelles) et exerce enfin la partie civile dans certaines conditions.
    Par le moyen de cette institution, les familles de France, qui ne le savent pas forcément, acquièrent
donc une capacité collective d'être acteur, une sorte de super personnalité morale. Ce qui reste
évidemment discutable et discuté. L’unité de toutes les familles de France est une fiction et d’aucuns
n’hésitent pas à réduire l’UNAF aux seules familles actives dans les mouvements les plus connus. Et
puis de quelle sorte de conquête sociale s’agit-il ? Soixante ans après, peut-on encore faire, à l’instar
de Robert Prigent en 1945, le parallèle avec le droit syndical de 1884 ? Ou n’est-ce là qu’une habile
concession de l'État central, pour cause de reconstruction, de baby boom et aujourd’hui de lutte contre
la précarité ?
    Selon Philppe Vallat et Jérôme Minonzio (2006) : « En tant que forme de représentation unifiée du
champ familial et désignée par l'État, l'UNAF se coule presque parfaitement dans le modèle néo-
corporatiste, dans la mesure où celui-ci désigne une forme de construction des intérêts sociaux
opposée au pluralisme. Le néo-corporatisme peut être caractérisé par trois éléments : une
représentation monopolistique des intérêts alors que le pluralisme sous-entend une compétition entre
des organisations concurrentes ; le rapport avec la puissance publique repose sur une interrelation qui
contribue à une légitimation réciproque qui renforce l'État et le groupe d'intérêt (par opposition, dans
le modèle pluraliste des groupes d’intérêt parfaitement autonomes tentent d’exercer un lobbying sur
l’État) ; enfin, une forme d’organisation interne très bureaucratisée, institutionnalisée et
hiérarchisée »..

3. RECEVABILITE ET ECONOMIE DU NEO-FAMILIALISTE
    Si la présence des familiaux compte dans les institutions politiques, sociales, économiques
communicationnelles, il faut maintenant essayer de comprendre la place nouvelle du néo-familialisme
institutionnel dans la cadre de l’État social en difficultés. Les inflexions les plus remarquables ne
concernent pas que la problématisation de la question sociale (c’est-à-dire la place de la famille, ou
mieux du familial, dans le diagnostic social), elles se repèrent également dans diverses initiatives
militantes, institutionnelles et de régulation, qui servent de réponse à la question sociale. Les exemples
ne manquent pas : Famille rurale est très active dans le développement les territoires et bien avant la
décentralisation, Familles de France veille avec beaucoup d’autres sur les questions éthiques, comme
par exemple à propos du PACS, du moins avant son adoption, la Confédération syndicale des familles
(CSF) travaille depuis longtemps sur le front du logement (CHAUVIERE , DURIEZ, 1995), de la
consommation et du cadre de vie, pendant que l’Union des familles laïques est co-fondatrice de
ATTAC, etc.
    Trois domaines paraissent particulièrement éclairants : les Conférence de la famille depuis 1983,
l’affaire de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales en 1997-1998 et le débat
toujours en cours sur la protection de l’enfance.

3.1. Signification des Conférences annuelles de la famille
   Depuis 1983, les Conférences annuelles de la famille (sorte de «Matignon de la famille») sont un
moment de concertation officielle entre les acteurs de la politique familiale. Elles sont à comprendre
tout à la fois comme dispositif d’interface démocratique entre représentants des associations et
syndicats, des institutions et les pouvoirs publics, et « scène » où ces derniers ont pris l’habitude
d’annoncer officiellement les priorités de la politique familiale pour l’année à venir et de prendre




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certains engagements. Quelle signification revêt cette innovation institutionnelle ?8
    Il faut d’abord distinguer deux séries de Conférences de la famille. Le principe est fixé dès 1982 à
la demande de l’UNAF par le Gouvernement de Pierre Mauroy. Ne regroupant alors que le
mouvement familial, ce premier type d’assemblée peu suivi de décisions politiques concrètes s’est
étiolé au fil des années jusqu’à s’arrêter en 1991.
    Les Conférences de la famille sont ensuite inscrites dans la loi du 25 juillet 1994 (Plan famille)9,
mais ne sont réellement remises en place qu’en 1996, après le débat public concernant la fiscalisation
des allocations familiales prévue dans le plan Juppé. Elles se tiennent depuis cette date à Matignon
sous la présidence du Premier ministre et sont limitées à 60 personnes. Elles innovent en mettant
également autour de la table les ministres concernés, l’ensemble des organisations syndicales et
d’employeurs, ainsi que des représentants du Parlement et des collectivités territoriales et des
personnes qualifiées. Très arrimées dans les premiers temps à l’évolution du système des prestations
familiales, elles se déploient d’une manière plus globale vers les différents champs de l’action sociale
et de l’évolution du droit de la famille. La méthode est devenue plus systématique, avec notamment
des rapports d’experts à chaque rendez-vous annuel. La conférence n’est pas formellement
décisionnelle. Mais bon nombre de mesures annoncées se retrouvent dans des textes postérieurs (loi de
financement de la Sécurité sociale, loi de finances).

                                  Les Conférences de la famille entre 1996 et 2006
     1996 - Le Gouvernement renonce (surseoit) à la fiscalisation des allocations familiales et charge Mme
Gisserot, de la Cour des comptes, d’une mission de concertation et de réflexion.
     1997 - Il s'agit surtout « d'insister sur le volet non-monétaire de la politique familiale » et de renforcer les
missions de la politique familiale, en s'appuyant largement sur les travaux de la mission Gisserot (1996).
     1998 - Outre des mesures concernant les prestations familiales (rétablissement du principe d’universalité) et
une re-dynamisation de la politique familiale (réforme de l’allocation de rentrée scolaire, recul des limites d’âge
pour être enfant à charge…), la Conférence crée une Délégation interministérielle à la famille et valorise le
thème du soutien à la parentalité.
     1999 - Qualifié de « conférence transitoire », ce rendez-vous est caractérisé par l'annonce de mesures
financières concrètes mais modestes visant les jeunes, la petite enfance, les parents.
     2000 : Après la nomination d'un ministre délégué à la Famille et à l'Enfance et le retour à l'excédent de la
branche Famille, la Conférence de la famille consolide les thèmes de la conciliation vie de famille/vie de travail
et du soutien à la parentalité, tout en cherchant à s'appuyer sur un réseau de partage des savoirs et des
connaissances. Création du Fonds d’investissement pour l’enfance.
     2001 - Mesures financières (Lieux d'accueil parents-enfants, prolongement de l'ARS, petite enfance,
allocation d'éducation spéciale enfants handicapés, congé paternité) et trois axes : l'autorité parentale et congé
paternité ; autonomie des jeunes adultes, familles à revenus modestes.
     2002 - annulée.
     2003 - Mise en place de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), plan crèches, démarrage des Points
Infos familles (rationaliser l'offre de services aux familles sur le territoire et hausser le niveau moyen
d'information des familles), professionnalisation des assistantes maternelles et création d'un diplôme de
médiateur familial.
     2004 - Conférence dédiée aux adolescents : valorisation des jobs de vacances, prévention des
comportements à risque, accès aux activités culturelles et réseaux de jeunes médiateurs de l'Internet, mais sans
annonces financières importantes.
     2005 – Veut renforcer le modèle français de libre choix des familles (nouveau congé parental, vraie carte
des « familles nombreuses » généraliste, chèque emploi service universel) et les accompagner dans leur usage
des nouvelles technologies (navigation des enfants sur le Net, label « famille »)
     2006 - Ciblée sur la solidarité entre les générations et en particulier sur des mesures de soutien aux « aidants


8
  À défaut de travaux critiques sur cette nouvelle forme de démocratie consultative, il est possible d’approcher cette question
en parcourant et comparant deux textes à paraître dans CHAUVIERE (2006) : un texte inédit de Hubert Brin, président de
l’UNAF, et l’autre, la reprise partielle d’un article de Philippe Steck (CNAF) déjà publié dans Droit social en 2002.
9
  La loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à la famille précise dans son article 41 que « Le Gouvernement organise chaque
année une conférence nationale de la famille à laquelle il convie le mouvement familial et les organismes qualifiés ».


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                       11
familiaux ».
    À l’UNAF, tête du pont officielle du mouvement familial, l’appréciation n’est guère distanciée,
presque triomphaliste. Les Conférences annuelles de la famille apparaissent sans détour comme un
succès pour le « corps familial », une réussite pour les familles : « Cette Conférence, précise Hubert
Brin, a comme premier effet de mettre la politique familiale au centre du débat public et, en étant
inscrite dans le calendrier gouvernemental, sa médiatisation permet une plus grande visibilité de
l’action de l’UNAF et du Mouvement familial. […] Pour les familles elles-mêmes, elle aboutit année
après année à des améliorations qui, au total, sont particulièrement significatives dans un contexte
macro-économique marqué par les conditions d’entrée dans la zone euro, avec un cadrage budgétaire
qui laissait clairement entendre de la part du Gouvernement français que les dépenses « familles »
devraient être contenues et contraintes. » (Brin, 2006).
    L’Institution familiale considère donc que le bilan financier et les acquis des Conférences de la
famille sont loin d’être négligeables, même si les moyens financiers ne lui semblent pas avoir toujours
été à la hauteur. En outre, les Conférences de la famille lui semblent à considérer comme le reflet des
politiques familiales qu'elles accompagnent et qu'elles animent, et le révélateur des influences qui
s'exercent et des jeux stratégiques qui les entourent.
    Les prestations financières demeurent la clé de voûte du dispositif d'intervention publique auprès
des familles. Cependant, les Conférences de la famille ont vu leur champ d'intervention s'élargir
(environnement médiatique de l'enfant, e-administration, développement durable, sciences de la vie,
systèmes de santé, éducation aux médias, etc.), ce dont se félicite l’UNAF. Vu ses impacts politico-
médiatiques, entre obligations et opportunités, elle considère même cette rencontre annuelle comme
une forme de co-construction des politiques publiques et, dans ce sens, valorise tout à la fois les
travaux préparatoires concertés et le partenariat dans les mises en œuvre.
    Si certains analystes n’y voient que promotion de la politique gouvernementale et pure
communication, l’UNAF considère au contraire que ce « grand oral » annuel garde toute son
importance au plan des mesures concrètes comme au plan symbolique. Sans oublier qu’il s’inscrit
dans l’exercice de la démocratie sociale et du partage des savoirs.
    Pour Philippe Steck (2002), les caractéristiques des Conférences de la famille jusqu’à cette date
sont au nombre de cinq : « La construction d’une consultation et d’une négociation régulière assises
sur une solide préparation technique et des liens avec les partenaires familiaux et sociaux ; une
évolution de la vision de l’institution familiale (pluralisme et pragmatisme) ; un élargissement du
champ de préoccupation dominant, des mécaniques redistributives (prestations familiales, fiscalité)
vers l’action sociale et le droit civil de la famille, avec quelques thématiques dominantes : la
conciliation vie familiale/vie professionnelle, le logement, l’autorité parentale partagée, la refonte du
droit civil de la famille ; le traitement des lignes dominantes de la politique familiale de l’année et au-
delà et un début de synergie entre la conférence et la convention d’objectifs et de gestion liant la
CNAF et l’État ». La CNAF se voit en effet, parfois un an avant la Conférence de la famille,
commander divers chiffrages pour des mesures envisagées. Ce qui conduit à penser que certaines
négociations sont entamées bien avant la Conférence.
    Si, en 1995, rien n’est intervenu de marquant, précise-t-il, les conférences de la famille de 1996,
1997 et 1998 furent des temps forts pour la politique familiale. Il distingue d’ailleurs deux périodes :
entre 1996 à 1998, c’est « le temps politique de sortie de crise » et après 1999, on entre dans le
« temps de construction et de déploiement de politiques nouvelles, du moins leur ébauche ». Chaque
année, la Conférence de la famille constitue donc l’occasion pour les pouvoirs publics de rencontrer
les associations familiales et les partenaires sociaux, de mettre la politique en perspective, et sinon de
décider et de trancher, à tout le moins de faire émerger des dossiers clés. Elle trace le chemin, donne
l’épure de la politique familiale.
    Le représentant de la CNAF relève aussi certains sujets non traités : le rôle de la TVA dans la
politique familiale, l’évolution de la base mensuelle de calcul des allocations familiales, les familles
nombreuses qu’il voit délaissées du champ de la politique familiale pratiquement depuis la fin du
septennat de Valéry Giscard d’Estaing, les avantages familiaux de retraite qu’il juge erratiques. Avant
de se demander si la politique familiale se fait réellement dans la « pluriannualité » des conférences de
la famille ou si elle se décide ailleurs. Il fait remarquer notamment que la modulation en fonction du


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revenu du montant de l’allocation de garde d’enfant à domicile – qui fit couler beaucoup d’encre – n’a
pas été abordée à la Conférence de la famille 1998, que la création du Pacte civil de solidarité, objet de
controverses s’il en est, est resté lui aussi en dehors des Conférences de la famille, de même que la
plupart des retouches au droit civil de la famille.
   Pour autant, il ne pense pas que les conférences soient un leurre, ne serait-ce que parce qu’elles
incarnent le moment de la globalisation des expertises, points de vue, négociations et décisions
concernant la famille. C’est en cela un temps fort de démocratie sociale. Le constat final est le même
que celui d’Hubert Brin. Tous les deux font aussi remarquer qu’elles ont bien traversé les changements
de majorité politique !

3.2. L’impossible réforme des allocations familiales10
    Le 19 juin 1997, le Premier ministre socialiste annonçait haut et fort la mise sous conditions de
ressources des allocations familiales, ainsi qu’une modulation de l’allocation de garde d’enfants à
domicile11 (AGED). Bon nombre de médias et d’observateurs, dans l’élite administrative et parmi les
spécialistes, s’appuyant sur une opinion publique réputée favorable à plus 63%, ont alors vu dans le
choix de la sélectivité des prestations la victoire du principe d’équité sur le couple égalité-
universalité12. C’était sans compter avec le lobbying familial, de l’UNAF à la CNAF, à droite mais
aussi à gauche, y compris dans les rangs du Parti socialiste. Si bien que moins d’un an plus tard, lors
de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, le même gouvernement rétablissait l’universalité de
ces prestations, choisissant plutôt d’abaisser le plafond du quotient familial, en matière fiscale13. Cette
révision était alors présentée comme une manière d’atteindre le même objectif de justice sociale, mais
selon d’autres modalités techniques. En réalité, loin d’être un simple changement technique, cette
réorientation révèle le poids du familialisme politique dans l’action publique, une difficulté récurrente,
quant aux valeurs et modalités de la solidarité dans le domaine du familial et aussi les risques
encourus par les réformateurs d’accentuer un processus de différenciation sociale déjà bien engagé, en
prétendant le réduire.
    Dans les mois qui ont suivi l’annonce du Premier ministre, le débat public a connu deux temps
forts. D’abord sur un mode assez vif dans les première semaines, puis de manière plus étouffée au
moment de la loi de financement de la Sécurité sociale en octobre de la même année, où la décision de
juin n’apparaît déjà plus qu’à « titre transitoire ».
    Pour l’Union nationale des associations familiales (UNAF), dont le président en exercice (Hubert
Brin) est connu pour ses convictions socialistes, l’argument majeur est alors assez simple : la politique
familiale n’est pas une politique sociale, mais une politique de solidarité destinée à compenser le coût
de l’enfant ; le Premier ministre fait l’impasse sur les familles dans le pacte républicain ; on se trompe
d’analyse et cette réforme n’est donc pas négociable ; pour atteindre les objectifs sociaux visés, il faut
avant tout engager une vraie réforme fiscale… Quant aux syndicats confédéraux, dans leur diversité,
ils ont d’abord rapidement fait connaître leur opposition résolue tant aux conditions de la décision qu’à
la mesure elle-même. Puis, malgré quelques surenchères verbales sur les plafonds ou le montant
desdites allocations, les différentes centrales n’ont pas tardé à redevenir les cogérants responsables de
la protection sociale, chacune à sa manière. La CFTC, qui veille spécialement sur le patrimoine et
l’avenir de la CNAF, est apparue dans le débat tout à la fois la plus ferme sur les principes 14 et la plus
ouverte au débat et à des solutions alternatives, comme par exemple la fiscalisation sous certaines
conditions. La droite parlementaire, oubliant que, quelques mois plus tôt, elle défendait des idées bien


10
   Ce thème est plus largement développé dans Chauvière (1999a)
11
   L’AGED allège les charges sociales pour l’employé(e) de maison qui garde les enfants d’un couple qui travaille, c’est aussi
indirectement une mesure en faveur de l’emploi. La modulation envisagée conduit à une diminution de moitié du montant de
cette allocation.
12
   Avec l’équité, elle leur paraissait enfin réorientée en direction des plus démunis et en leur nom, au contraire de l’approche
volontariste à la française, qui par universalisme s’était toujours refusé à faire une sélection économique pour l’octroi de ces
allocations de base.
13
   Le plafond passe de 16 380 F à 11 000 F par demi part. Ainsi les familles avec deux enfants ne seront mises à contribution
qu’au dessus d’un revenu net de 38 600 F/mois et de 43 700 F/mois pour trois enfants.
14
   Voir, parmi d’autres, l’entretien avec Alain Deleu, président de la CFTC, dans France-Soir du 25 juin 1997.


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                                13
proches, a d’abord tactiquement soutenu les revendications des familiaux, avant de perdre son recours
devant le Conseil constitutionnel, puis d’aller vers d’autres engagements. Au sein de la gauche
plurielle, les députés de la majorité ont curieusement mis quelques jours avant de soutenir clairement
le gouvernement et des voix isolées, notamment au PC ou au MDC mais aussi au sein du PS15, se sont
élevées pour marquer leur différence et surtout poser des questions, c’est-à-dire intervenir sur un mode
mineur. Face à ce front hétérogène, le gouvernement a d’abord maintenu son cap, tout en attendant la
prochaine Conférence de la famille en juin 1998 pour en « rediscuter avec les partenaires sociaux ».
Entre temps, il devait confier à quatre experts le soin d’étudier les différentes facettes de la question
familiale aujourd’hui, en préparation de ce rendez-vous. Finalement, si durant quelques semaines le
débat a pu donner l’impression d’être vif, il est retombé assez rapidement.
    Un débat public de ce type montre d’abord certaines difficultés liées à son objet. La matière
familiale reste embarrassante et la plupart des acteurs, qu’ils appartiennent à la société civile ou à la
classe politique, ont d’évidentes difficultés à maîtriser l’ensemble des référentiels en jeu. Resurgissent
en permanence les effets pervers de multiples présupposés ou d’implicites mal élucidés. La politique
familiale n’est pas un « objet politique en quête de politique »16, mais au contraire un espace
d’échanges politiques sans objet bien circonscrit. La sécularisation de la question familiale est loin
d’être acquise.
    Il révèle aussi, de la part des autorités politiques, une relative méconnaissance des acteurs sociaux
concernés. Les mouvements familiaux porteurs d’intérêts tout à la fois particuliers et globaux (à défaut
d’incarner l’intérêt général) s’y voient délégitimés et avec eux une certaine forme de démocratie
sociale, au profit d’experts économiques et sociétaux sélectionnés. Cependant, plusieurs enjeux
principaux se dégagent de ces premiers échanges politiques. Avant tout l’opposition de l’équité et de
l’égalité, parfois transformée en opposition de la politique sociale et de la politique familiale, parfois
en opposition de la solidarité par redistribution verticale et de la solidarité par redistribution
horizontale ; mais aussi, plus refoulé, l’enjeu de définition et d’ancrage des allocations familiales
universelles, hors plafonnement. Qu’est-ce qui légitime chez bon nombre d’acteurs une telle
conviction : est-ce encore la famille ou est-ce au contraire seulement l’enfant et ses droits ? En réalité,
nous savons bien que c’est l’enfant, mais l’enfant dans sa famille et c’est précisément cette articulation
qui fait problème.
    C’est pourquoi, quelques organisations de familles, notamment les plus laïques, ont alors préféré
l’opposabilité du droit de l’enfant à l’argument de justice sociale. Dans leurs écrits, cette orientation
doit s’inscrire dans la même logique que le droit de tout enfant à l’instruction ou à la protection. C’est
le potentiel et la qualité du développement de chaque enfant qui seraient à défendre, quels que soient
par ailleurs les effets natalistes très controversés, ou redistributifs assez faibles, qui peuvent être
avancés. Affaire d’universalité de l’accueil de l’enfant, qu’ils ne veulent pas voir régresser au nom
d’une correction modeste de la redistribution. L’égalité de tous les enfants devrait donc l’emporter sur
le principe d’équité sociale entre les familles.
    Pour mémoire, la première base de l’universalité des allocations familiales paraît être le patriotisme
(Le Bras, 1991). Dans l’effort de guerre, tous les enfants sont égaux mais les créances ne sont pas
égales quand on a de nombreux enfants ou qu’on en a moins (et a fortiori pour les célibataires, réduits
au seul sacrifice d’eux-mêmes). En outre, au tournant du siècle, ce patriotisme est inséparable du mode
de production économique. Dans le secteur public d’abord, puis dans les entreprises les plus
clairvoyantes, la main d’œuvre chargée de famille est plus stable et plus facile à contrôler. Le
sursalaire familial peut même être lu comme vecteur de la salarisation ouvrière (Friot, 1998). On y a
vu aussi la nécessité d’une rationalisation réglementaire et comptable (Montes, 1994). Patriotisme ou
participation à l’effort de production, dans les deux cas, la compensation par une prestation en espèces
des charges familiales est porteuse d’enjeux sociaux externes et la loi de généralisation en 1932 n’est
pas tout à fait la victoire des mouvements familiaux qu’on pourrait imaginer.
    Par la suite, l’extension des allocations familiales, puis leur progressive déconnexion du salariat


15
     Ainsi Marie-Noëlle Lienneman, « Une menace pour la cohésion nationale », Libération, 18 septembre 1997.
16
  Selon la formule de Jacques Commaille lors du colloque du Parti socialiste « Quelle politique familiale pour demain ? » à
Paris, le 7 juin 1998. Vair aussi Commaille, Martin (1998)


      Colloque État et régulation sociale                   CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
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vont encore brouiller davantage les représentations sociales courantes des finalités de cette mesure et
le sens plus ou moins familial de son universalité. De 1938 à 1946, et malgré la limitation technique à
l’enfant de rang deux et plus, les allocations familiales deviennent l’élément essentiel d’un droit
créance des familles avec enfants, c’est-à-dire de l’idéal familial réalisé. Cette orientation est validée
par le code de la famille et de la natalité françaises de 1939 et amplifiée sous Vichy (couplé avec
l’idéal féminin, Muel-Dreyfus, 1996)1993. Elle est soutenue par la totalité des acteurs du champ
familial et plus spécialement par les organisations familiales ouvrières, qui le rejoignent au tournant
des années 40 (GRMF, 1985). D’où la complexité de l’idée de compensation universelle des charges
familiales, dès avant guerre.
    Dans la période d’installation de la Sécurité sociale, en relais de la politique de reconstruction après
la deuxième guerre mondiale, le statut social des allocations familiales franchit une nouvelle étape, qui
les finalise plus encore au seul bénéfice de l’enfant. La séparation d’avec le travail et donc des
ressources des parents, s’accentue au point qu’on a pu écrire que les allocations étaient devenues une
véritable pension alimentaire que l’allocataire reçoit et administre pour le compte de l’enfant. Selon un
arrêt du 14 janvier 1946 : « Les allocations familiales sont versées dans l’intérêt de la famille pour les
enfants à celui des parents ou à la personne, salariée ou non, qui en a la garde ». On est déjà très loin
du sursalaire patronal des origines et économiquement la branche famille fait alors 40% des dépenses
de la Sécurité sociale et 30% du revenu des ménages concernés.
    C’est dans ces conditions, semble-t-il, qu’un principe d’universalité quelque peu mythique se
consolide, que traduit la formule simpliste et inexacte : « un enfant, une allocation », quand bien même
le premier enfant en reste-t-il exclu. C’est en effet l’enfant qui sort gagnant du baby boom familial de
l’après-guerre, au détriment de la politique globale de la famille que réclament déjà les mouvements
familiaux 17. Soutenue par un compromis 18 au sein du tripartisme d’après-guerre (PC, SFIO et surtout
MRP), la philosophie de l’enfant en 1945 en fait d’abord un investissement productif collectif et un
citoyen en devenir. Cet enfant-là, n’est donc pas d’abord un risque pour le revenu de ses parents et,
malgré les apparences, les allocations familiales ne relèvent pas d’une logique d’assurance 19.
D’ailleurs, les familles ne cotisent pas.
    Finalement, les prestations familiales constituent une ressource parentale tout en étant pré-affectées
au bénéfice des mineurs de la famille. C’est l’enfant, comme enfant, et lui seul qui véritablement leur
donne un sens philosophique et, dans la conjoncture actuelle, elle nourrit d’universalisme l’idéologie
familialiste. Et elle est capable de faire reculer tactiquement un gouvernement

3.3. Sur le front de la parentalisation de la protection de l’enfance
   Depuis la décentralisation, dans de nombreux exemples, la recherche d'un partenariat croissant
avec le secteur privé, les associations et les collectivités locales réescompte les ressources du champ
familial, d’autant plus facilement qu’il est assez bien organisé au plan territorial (Sassier, 2006). Le
renforcement de la contractualisation trouve les « familiaux » en première ligne et contribue à les
légitimer. Malgré ses ambiguïtés et apories, le débat sur les solidarités familiales face à la crise sociale
(spécialement à l’initiative de la CNAF) montre tout à la fois la réalité des pratiques de solidarité non
rémunérées intra-familiales et les limites du recours massif à des telles orientations, même présentées
comme étant les plus vertueuses (Chauvière, Messu, 2003). De même, la valorisation des solidarités
familiales et le rappel normatif aux devoirs d’éducation des parents viennent-ils aujourd’hui à point
nommé pour répondre magiquement aux difficultés de l’école et de la protection de l’enfance, pendant
que l’imputation familiale de la délinquance juvénile, question on ne peut plus récurrente, retrouve

17
  Ils n’obtiendront en réalité que la reconduction du corps familial représentatif de Vichy par l’ordonnance de 1945 instituant
l’UNAF (Chauvière, 1986).
18
  Au demeurant, c’est bien ce compromis qui, au travers du paritarisme de « gestion par les intéressés », selon les termes
mêmes de l’ordonnance de 1945 instituant la Sécurité sociale (Duclos, 1996 ; Duclos, Mériaux, 1997), assure en partie la
forte légitimité des CAF et de leur union nationale, ainsi que l’extension de leur champ d’activité à l’action sociale, jusqu’au
RMI (Ancelin, 1997).
19
  Il est vrai, a contrario, que très rapidement les pouvoirs publics et les caisses vont être amenés à réduire progressivement la
portée des grands principes d’universalité et d’égalité au profit d’une gestion inégalitaire mais réputée plus juste de diverses
aides destinées aux familles, par introduction progressive de critères de ressources (allocation logement, allocations de rentre
scolaire, complément familial, API etc.).


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                       15
actuellement une place importante dans le débat public (dépistage précoce des la crèche, mesures de
suspension des allocations familiales…). Si bien que pour certains observateurs le problème peut se
formuler ainsi : faut-il protéger l’enfant ou soutenir sa famille ? (Becquemin, 2006). La question est
d’ailleurs attisée par le cas des enfants pauvres plus souvent placés (position d’ATD Quart Monde) et
elle pèse sur le débat sur les fondements et les orientations de la protection de l’enfance désormais
territorialisée au niveau départemental (décentralisation de l’ASE et effets de l’acte II).
    Pour expliquer cette situation, il faut d’abord rappeler que la professionnalisation de la protection
de l’enfance s’est historiquement construite dans un rapport très ambivalent avec la question familiale.
Après la Révolution et sur fond de « dette sacrée », dans le dispositif d’assistance publique, l’État se
substitue clairement aux familles inexistantes ou défaillantes. La loi de 1811 consacre la séparation
entre les enfants et les autres catégories d’assistés et distingue entre enfants trouvés, enfants
abandonnés proprement dits et orphelins pauvres. Elle conforte l’organisation départementale. Elle
moralise l’abandon avec les fameux tours, censés garantir l’anonymat - ils seront supprimés en 1861.
Pour tous ces enfants, le placement familial, de préférence à la campagne, continue de s’imposer.
L’approche reste très manichéenne.
    Avec la Troisième République, et sur fond de question sociale ouvrière, de nouvelles modalités
d’action apparaissent. C’est dans ce contexte qu’en complément de l’œuvre scolaire de 1882, se
déploie une intense activité législative et réglementaire visant la protection de l'enfance, au sens large,
et le traitement de la délinquance juvénile, en particulier. Ce sont successivement les textes suivants :
en 1889, sur la protection de l’enfance moralement abandonnée et la déchéance de la puissance
paternelle (obligation scolaire et protection marquent des paliers importants dans le déclin du droit de
puissance paternelle) ; en 1898, sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et
attentats commis sur ou par des enfants ; 1904, sur l’assistance à l’enfance ; en 1906, contre la
prostitution des mineurs ; en 1909, sur les classes de perfectionnement ; en 1912, sur le tribunal pour
enfant, l’enquête sociale et la liberté surveillée etc. Rétrospectivement, on peut penser que les mêmes
ambiguïtés traversent toutes ces initiatives, au reste difficilement mises en œuvre. Mais elles font tout
de même système depuis un siècle.
    L’unité de cette législation tient à un nouvel accord cognitif et normatif. Les sciences de l’homme
et de la société commencent à fournir des schémas d’intelligibilité et de gestion des enfances
inassimilables (du QI à la psychologie de l’enfant), ce qui constitue alors un progrès considérable.
C’est là un palier cognitif tout à fait essentiel. L’opération fait considérer que les enfants
inassimilables (en l’espèce beaucoup d’indisciplinés scolaires et autres chenapans, caractériels et
bientôt prédélinquants), tout comme les enfants trouvés ou assistés, sont en vérité des enfants
moralement abandonnés, en d’autres termes des enfants mal éduqués, des enfants en danger ou en
risque de danger qu’il faut éloigner des lieux de contamination, spécialement en famille et dans les
quartiers populaires. Cependant, la rééducation est encore à inventer. Il faudra notamment que l’action
s’émancipe de l’obligation de déchéance à l’égard du mauvais père. Ce qui sera en partie acquis en
1935, puis achevé en 1958. Mais l’abandon de cette nécessité juridique ne restaurera pas tout à fait
l’autorité des parents. En définitive, le système devient triangulaire (parents, juge, experts et
associations) et, par voie de conséquence, de plus en plus difficile à réguler. (Lavenac, 2002 ;
Chauvière, 2002a ; Becquemin, 2006).
     Du point de vue normatif, retenons finalement, en négatif, l’écart du familial autant que du
scolaire et, en positif, une intégration sociale productive complémentaire de l’école de la République,
mais le plus souvent hors d’elle. La protection de l’enfance ne s’organise pas dans le champ scolaire.
Il faut agir dans l’intérêt des enfants, car le risque est grand pour eux tout autant que pour la société.
C’est une fenêtre d’opportunité pour divers groupes sociaux médiateurs, des philanthropes
modernistes, des élites du droit pénal ou civil, de la psychiatrie, de la magistrature, diverses
organisations catholiques etc. Mais pas en tout cas pour les familles organisées en mouvements
familiaux, qui défendent plutôt le principe d’assistance pour les familles nombreuses, les allocations
familiales pour toutes et autres avantages, craignant trop d’intrusions dans la petite « souveraineté
familiale », trop de « police des familles ». Cependant, quelques années plus tard, l’École des parents
et des éducateurs voit le jour en 1930, une institution originale qui s’inscrit dans la mouvance
familialiste mais fait aussi le pont avec les savoirs cliniques.



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16                                       Enjeux de la néo-familialisation de l’État social

    Il faut dire que bon nombre des textes concernant la protection, en consacrant le critère encore
bien théorique de l'intérêt de l'enfant, s’inscrivent dans une logique beaucoup plus individualiste que
familialiste. D’autant que ce critère de l'intérêt de l'enfant marque ainsi un changement de paradigme,
tant pour la régulation des difficultés au sein de la famille, avec ou sans son accord, que dans la
société. Il est en cela un des vecteurs de la professionnalisation. C’est dans ces conditions que
s’inventent l’assistance éducative et les éducateurs. Cependant, concrètement, les rapports entre
prévention de l’enfance et champ familial ne sont pas aussi simples. Les « familiaux » ne sont eux-
mêmes pas exempts de volontés normalisatrices. Après la guerre, les UDAF reçoivent, par exemple, la
charge de près de 75% des mesures de tutelle aux prestations sociales, administratives en 1941 puis
judiciarisées en 1946. Un sorte de « police interne des familles » (Chauvière, 1999b ; Chauvière,
2000a).


     Conclusion : bilan et limites de la néo-familialisation
     Avec cette même grille d’analyse, d’autres domaines devraient encore être abordés : la balance
pauvreté personnelle et pauvreté familiale (à propos du RMI comme droit individuel ou comme droit
familial, en rappelant ce que signifie l’obligation alimentaire et le fait qu’il ne s’agit que d’une
allocation différentielle en appelant à d’autres solidarités plus familiales ; ou encore, en matière de
logement, à propos d’un rapport du Haut comité population et famille qui hésitent à développer un
raisonnement trop ouvertement familialiste) ; les relations liées et déliées de la famille et de la
jeunesse (entre le rapport Charvet au CGP : « Jeunesse, devoir d’avenir » et la conversion des
approches de la jeunesse en approches de l’adolescence, problématique plus familialiste, s’il en est
lors de la Conférence de la famille de 2004) ; les liens entre famille et immigration (comment faire le
départ entre main d’œuvre, regroupement familial, natalité et intégration) ; le thème on ne peut plus
européen de la conciliation vie de famille/vie de travail également soutenu lors des Conférences de la
famille, bien qu’il concerne pour large part le report des investissements féminins sur les régulations
intra-familiales ; l’invention de la médiation familiale comme profession à part entière, avec diplôme
d’État, comme consolidation du familial et accroissement du ciblage des situations sociales
problématiques ; le projet de familiarisation (sic) de la CSG (information parue dans la presse, début
octobre 2005), l’extension de la solvabilité familiale couplée à l’identité civile familiale, via la carte de
familles nombreuses 20 qui vient tout juste d’être relookée, avec introduction symbolique d’une
Marianne, et surtout revalorisée (suite à la Conférence de la famille de 2005), etc.
     Ces derniers exemples montrent que le repli familialiste est bien à l’ordre du jour, sous une forme
solidariste et/ou parentaliste ou par simple économie politique, et cela, en tout cas, quasi
indépendamment de la réalité des pratiques familiales privées aujourd'hui, celle qui se mesure en
statistiques de la nuptialité ou de la divortialité ou en termes de recomposition des alliances ou encore
en considérant la démultiplication libérale des formes concrètes du « faire famille ». En d’autres
termes, le familialisme n’est pas effondré quand bien même ses bases sociales se sont-elles
visiblement transformées, si l’on suit l’analyse de Rémi Lenoir (2003). Il est plutôt devenu
omniprésent et banalisé dans un État social mal en point et critiqué de toutes parts. Cette nouvelle
place, congruente avec les problématiques contemporaines du local, de la proximité, de la personne ou
du domicile, jouit conjoncturellement d’une légitimité sans pareil, inimaginable par ceux-là mêmes qui
avaient tant voulu la mobilisation familiale au début du siècle dernier.
    Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Dans sa conception même, depuis les origines, cette
philosophie politique - au demeurant assez peu élaborée - est tout à la fois intégriste en valeur et assez
flexible en actes par réalisme, pourvu qu’une certaine gestalt familiale soit sauvegardée (Chauvière,
2003b). Ce qui demeure sans aucun doute le cas aujourd’hui encore, malgré les alarmes sociologiques
ou médiatiques. Finalement, le familial n’est pas un progressisme, c’est plutôt un humanisme
conservateur qui a été capable, souvent à reculons, de digérer bien des évolutions, de s’adapter pour


20
  Faisant suite à l’obtention de certaines réductions sur les chemins de fer durant la guerre 14/18, la carte de familles
nombreuses est instaurée en 1921, après le premier congrès de la natalité, après les loi répressives contre l’avortement et
contre la propagande anticonceptionnelle et au même moment que la premières auto-déclaration des droits de la famille.


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Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                       17
survivre. Il en fut ainsi il y a un quart de siècle de la législation libéralisant l’avortement. Il en sera
certainement ainsi demain pour la reconnaissance familiale de l’homoparentalité, par quelques moyens
qu’on s’y prenne. Ce d’autant qu’il est légaliste, toujours par conservatisme.
    Restent enfin quelques difficultés et non des moindres : La question de l’école, droit de l’enfant
citoyen opposable ou droit de la famille (c’est-à-dire service potentiellement marchandisable, comme
aujourd’hui ces entreprises de « consolidation scolaire » qui fleurissent) ; le côte à côte historique du
familialisme et du féminisme, avec des convergences et des divergences sur le statut de la personne,
du contrat, voire sur celui de l’enfant né ou à naître ; l’hétérosexualisme fondateur du familialisme
historique (Chauvière, 2000b) et la question homosexuelle (PACS, mariage, adoption). Une nouvelle
page.

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FRIOT Bernard (1997), Puissances du salariat. Emploi et protection sociale à la française, Paris, La
   Dispute.
GARDET Mathias, (2004), Jean Viollet et l’apostolat laïc. Les œuvres du Moulin-Vert (1902-1956),
      Paris, Beauchesne (précédé de Souvenirs et impressions d’apostolat (1901-1945). Mémoires
      inédits de Jean Viollet)


     Colloque État et régulation sociale           CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
Enjeux de la néo-familialisation de l’État social                      19
GISSEROT Hélène (1996), Pour une politique globale de la famille, Rapport au comité de pilotage de
      la Conférence de la famille.
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GRMF éd. (1985), L’action familiale ouvrière et la politique de Vichy, Les Cahiers du GRMF, n°3 (dir.
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GRMF éd. (1995), De la corporation paysanne aux Associations familiales rurales. 1940-1945, Les
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    CEDIAS, n°3, juillet-septembre, pp. 57-65.
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LE NAOUR Jean-Yves (2005), La Famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel,
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MILLARD Éric (1997), Familles et droit public. Recherches sur la construction d’un objet juridique,
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    familiaux et des politiques familiales : rôle et spécificités de l’Union Nationale des Associations
    familiales (UNAF) », in Michel Chauvière (coord.), Les mouvements familiaux et leur Institution
    en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700
    pages, à paraître.
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PITROU Agnès, (1994), Les politiques familiales. Approches sociologiques, Paris, Syros.
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S ASSIER M on iqu e (2 0 06), « U NAF, UDAF et décentralisation », in Michel Chauvière (coord.),
                         00 6),
    Les mouvements familiaux et leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris,
    Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700 pages, à paraître.
STECK Philippe (2002), « Les conférences de la famille et l’évolution de la politique familiale », in
    Droit Social, n°6, juin, repris in Michel Chauvière (coord.) (2006), Les mouvements familiaux et
    leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité
    sociale, 700 pages, à paraître.
TALMY Robert (1962), Histoire du mouvement familial (1896-1939), Paris, UNCAF, 2 tomes, Préface
    du Dr Montsaingeon.
THEBAUD Françoise (1985), « Le mouvement nataliste dans l'entre-deux-guerres. l'Alliance nationale
    pour l’accroissement de la population française », Revue d'Histoire moderne et contemporaine,
    avril-juin, tome XXXII.




   Colloque État et régulation sociale              CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006

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  • 1. Équipe Matisse Colloque International ÉTAT ET REGULATION SOCIALE COMMENT PENSER LA COHERENCE DE L’INTERVENTION PUBLIQUE ? 11, 12 et 13 septembre 2006 Institut National d’Histoire de l’Art 2 rue Vivienne – 75002 Paris Enjeux de la néo-familialisation de l’État social Michel CHAUVIERE
  • 2. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social Michel CHAUVIERE – CNRS, CERSA, Paris 2 Résumé Bien des indices convergent pour penser que nous allons dans le sens d’une néo-familialisation de l’action publique, au cœur de l’État social, peut-être même pour sa survie. Considérant le familialisme comme une hypertrophie de la raison familiale dans l’action publique, l’auteur examine le solide héritage institutionnel et militant français en l’espèce, les processus socio-historiques en jeu et la recevabilité nouvelle de la problématique néo-familialiste dans le contexte de crise de l’État social. Abstract A lot of indications converge to think that we go in the sense of a “neo-familialisation” of the public action, into the heart of the social state, maybe same for his survival. If we can define the familialism as the hypertrophy of familial reason in the public action, the author shows the strong French institutional and militant inheritance, then he analyses the social and historical process in game and new admissibility of the problematic “neo-familialiste” in the crisis of social state. Mots-clés : familialisme, mouvement social, territorialisation, protection, redistribution, solidarités, régulation INTRODUCTION Le familialisme est une forme d’action publique, marquée par l’hypertrophie de la raison familiale dans la conduite des affaires publique, ce qu’il faut comprendre bien au-delà de la gestion de la seule sphère domestique ou des seules prestations familiales. C’est le choix, dans certaines conditions historiques, de faire de la famille - et non pas seulement l’individu (homme, femme ou enfant) - l’unité référentielle de politiques publiques visant aussi bien les questions de population, de protection, de redistribution…, de la considérer comme la médiation principale entre l’État et les citoyens voire, par extension, un modèle de société « démocratique » 1 valable pour la vie politique tout entière, concurremment à l’individualisme citoyen. En France, bien des indices montrent que cette orientation gagne du terrain. La néo-familialisation de l’action publique déploie principalement ses effets au cœur de l’État social en crise, peut-être même pour sa survie. C’est ce que la contribution s’efforcera de montrer. Elle s’attache à décrire, dans le cas français exclusivement, l’héritage militant, institutionnel et politique de la cause familiale, en notant les principaux processus socio-historiques qui le traversent, pour mieux comprendre et évaluer la dynamique de l’actuelle inflexion néo-familialiste dans l’action publique. 1. UN SOLIDE HÉRITAGE Au pays du code civil, code instituant la nouvelle société après la Révolution, la famille est depuis deux siècles dans le silence du code. Non définie, son statut contraste avec les autres formes de sociétés progressivement organisées par la loi (des SA, ou SARL aux associations 1901 ou aux GIP). Mais cette non-définition, régulièrement reconduite et justifiée, y compris sous Vichy malgré quelques vaines tentatives, est compensée par une institutionnalisation fort développée du champ et des institutions du familial. Par comparaison avec nos voisins immédiats, qui connaissent un familialisme différent, généralement plus faible et même souvent invisible2, nous avons en France le plus grand 1 Au sens de la définition de la famille comme « plus petite unité démocratique au cœur de la société », promulguée à l’occasion de l’année internationale de la famille (1994), à l’instigation de la France. 2 Une comparaison avec l’Angleterre montre que la question familiale reste non détachée de la vie sociale, littéralement consubstantielle à la société anglaise. La poor law demeure la référence principale mais il n’y a pas eu outre-Manche d’explicitation de la politique familiale. Du moins jusqu’à l’arrivée de Tony Blair. Voir BUSSAT , CHAUVIERE (1997) Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 3. 2 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social nombre d’acteurs organisés pour la cause familiale, des institutions spécialisées (INED, CNAF, UNAF, conférences de la famille, etc.) et une politique familiale parmi les plus explicites qui soient. Sans oublier qu’une bonne partie du travail social (au sens large) demeure crypto-familialiste (CHAUVIERE 2004) ni que bon nombre d’élus locaux, hantés par le familial, rivalisent d’initiatives sur ce terrain politiquement rentable. 1.1. Les mobilisations sociales pour la famille Partie prenante des mobilisations sociales au tournant du XIXe siècle, le mouvement familial français est depuis cette période démultiplié, ramifié et tojours bien présent dans différents plis de l’action publique. Il naît au début du XXe siècle et il se compose aujourd’hui encore d’associations d’action générale et d’associations dites d’action sectorielle ou spécialisée, les plupart étant regroupées en fédérations et confédérations. En l’espèce, l’histoire désormais mieux connue (Talmy 1962 ; GRMF, 1983 et suiv. ; Lenoir, 2003 ; Chauvière, 2000c ; Chauvière, 2006) permet de distinguer dès le début du siècle plusieurs composantes, à savoir un familialisme républicain (ou natalisme) et deux familialismes confessionnels. Soit trois processus nettement différenciés mais singulièrement convergents autour du « fait familial », une catégorie très uniment naturalisée. Les problèmes de la natalité émergent, en milieu républicain, grâce notamment à l'Alliance nationale contre la dépopulation du Dr Bertillon en 1896, qu’il faut considérer avant tout comme une stratégie de pression politique à l’instigation d'une partie de l’élite sociale du moment. Ce sont là des experts, première génération, plus que familles organisées ! (Thébaud, 1985). Ils sont fortement relayés au Parlement (Becchia, 1991). Aux mêmes dates, la stratégie catholique de présence et de réponse sociales face à la question ouvrière et au péril socialiste, passe par le réarmement moral les familles et la création de services ad hoc. S’impose une figure de proue, l'Abbé Viollet, créateur d’associations pour le logement ouvrier dès 1902 puis des œuvres du Moulin vert dans le XIVe arrondissement à Paris (Gardet, 2005). Mais il faut aussi compter avec toutes sortes d’initiatives locales, notamment celles du patronat catholique du Nord pendant la période 14/18, toujours fortement relayées par les jésuites, jusqu'aux associations catholiques de chefs de familles défenseurs de l'école privée après 1905. Pour rechristianiser les classes populaires, toutes les familles et toute la famille doivent être défendues ; l'action ne se conçoit que globale, c'est à dire morale, éducative et sociale tout à la fois. S’observe aussi une mobilisation des familles nombreuses, avec la singulière Ligue populaire des pères et mères de familles nombreuses du capitaine Simon Maire, à partir de 1908. Quoique très marquée par l'idéologie catholique de la famille et le projet d'une moralisation de la société, notamment contre la propagande néo-malthusienne, cette mobilisation n’en est pas moins une innovation, ne serait-ce que dans sa forme quasi-syndicale empruntée au mouvement ouvrier naissant qu’elle cherche évidemment à concurrencer. L’idée de vote familial couronne la stratégie pro familia (Le Naour, 2005) Durant l’entre-deux-guerres, à la Fédération nationale des associations de familles nombreuses, qui prolonge le travail du Capitaine Maire, s'oppose la Confédération générale des familles de l'Abbé Viollet. Après 1945, ces divers courants s’incorporeront dans la Fédération des Familles de France (aujourd'hui Familles de France) Une dernière vague d'associations pour l'action familiale générale apparaît à la fin des années trente, dans le sillage des mouvements d'action catholique spécialisée3. Ainsi, à partir de la JOC, se constituent d’abord un mouvement de foyers JOC/JOCF, puis en 1941 le Mouvement populaire des familles (MPF). Ce mouvement est l’ancêtre commun de l’actuelle Confédération syndicale des familles (CSF) et de la fédération Consommation, logement et cadre de vie (CLCV, ex-CSCV, sortie du champ familial en 1975). Ces groupements partagent une conception syndicale des intérêts familiaux populaires, impliquant un système de représentation, des services et des revendications collectives (GRMF, 2002). Ainsi encore, à partir de la JAC et de la Corporation paysanne, se crée en notamment le chapitre 3 : « Les intérêts familiaux comme public choice ». Pour l’Espagne voir ALBERDI, CHAUVIERE, FROTIEE (2000). 3 . Voir les travaux du Groupement pour la recherche sur les mouvements familiaux (GRMF). Siège social : 4, allée du Ternois 59650 Villeneuve d’Ascq (1983-2006). Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 4. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 3 1943 la Confédération nationale de la famille rurale (CNFR), aujourd’hui Familles rurales (GRMF, 1995). Les associations familiales laïques naissent les dernières, en 1967, et restent assez marginales. Toutes ces organisations sont à l'origine des actuelles associations et fédérations familiales, constitutives du mouvement familial, du moins de son noyau dur, appelées à la cogestion de l’UNAF depuis 1975. Une approche plus complète du champ familial nécessiterait de citer encore d’autres organisations d’orientation familiale ou parentale ou simplement sociale. Cependant, pour différentes raisons idéologiques ou stratégiques, toutes celles qui pourraient théoriquement y prétendre n’ont pas toutes intégré le mouvement familial. Les fédérations de parents d’élèves des écoles publiques ou privées, l’École des parents et des éducateurs fondée au début des années trente, comme la plupart des mouvements féministes reste institutionnellement hors-familial, ce qui n’est pas vrai dans tous les pays européens (ainsi la situation est-elle différente en Espagne, par exemple). Au plan politique, la revendication puis l’imposition d’une institution légitime de représentation des « intérêts familiaux matériels et moraux », l’UNAF el les UDAF au plan départemental, qui aboutit sur un mode monopolistique en 1942 (loi Gounot) puis se voit républicanisée en 1945, a finalement solidement installé le mouvement familial et son Institution dans l’espace public. Dès lors, il pèse de manière singulière sur les conditions institutionnelles de l’exercice de la démocratie sociale (au Conseil Économique et social, par exemple) et sur tous les enjeux de la participation citoyenne. La famille et les familles sont ainsi légitimement entrées dans la République, comme telles. Depuis lors, la présence des familiaux est importante dans les institutions politiques, sociales, économiques communicationnelles, quoique souvent ignorée de bon nombre de nos concitoyens. 1.2. L’invention des politiques du familial Le développement de politiques du familial est en France inséparable de son contexte et spécialement des rapports difficiles depuis la Révolution de 1789 entre la République et la famille. Sans évoquer ici toutes ces tensions, il est cependant possible d’aborder rapidement les étapes principales de l'incorporation progressive du thème familial dans l’action publique (Chauvière, 2000c). Quelques dates peuvent servir de repères, sachant que derrière les événements cités, il faudrait pouvoir dégager les rapports sociaux en jeu et reconstituer les combinaisons variables qui lient les interventions publiques, les mouvements sociaux et les savoirs spécialisés (la démographie, par exemple ou, plus près de nous, la vulgate psychanalytique) 1913 : Premiers textes prenant en compte la situation des familles nombreuses (Chauvière, Bussat, 1995). Les groupements spécialisés naissants organisent la mobilisation publique des familles nombreuses en même temps qu’ils obtiennent l'introduction de cet aspect de la question sociale sur l’agenda du politique. L'invention du quotient familial en 1914 est à comprendre comme l'intégration du slogan des familiaux : les « familles sont créancières de la nation ». C'est à ce titre un événement sociologique de premier ordre. Ainsi s'impose l'idée qu’il existerait des intérêts spécifiques aux familles (nombreuses), bien qu’adossés à la plus traditionnelle conception familiale de la société (Commaille, Martin, 1998). 1920 : « Chambre bleu horizon » et première politique familiale globale, comme suite au Congrès de la natalité et de la population en 1919. C’est une innovation. Plusieurs « familiaux » se retrouvent ministres (comme Jules-Louis Breton, socialiste, premier titulaire du ministère de la prévoyance, de l’hygiène et de l’assistance), entraînant notamment la création d'un Conseil supérieur de la natalité, une intempestive déclaration des droits de la famille, etc. Ils trouvent leurs principaux appuis du côté de l'Alliance Nationale contre la dépopulation. Les purs familiaux (le plus souvent catholiques) leur reprochent d'être trop neutres voire trop laïques. 1932 : 11 mars, vote d'une loi sur la généralisation des allocations familiales. Cessant d'être une initiative marginale dans l’administration publique (dans l’armée, par exemple) ou bien alors une libéralité octroyée par une fraction du patronat catholique, elles deviennent un droit et un système d'aide aux familles mais aussi une occasion d’intervention publique légitime dans le champ familial. Parallèlement les mouvements familiaux sont toujours à la recherche de leur unité. 1939 : Code de la famille et de la natalité françaises. In extremis avant l'entrée en guerre, cette production normative veut répondre à l'urgence des problèmes de natalité dans le contexte d’ouverture nationale du gouvernement Daladier, notamment en direction des catholiques. Le code comprend trois Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 5. 4 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social volets : les aides accordées à la famille, la protection de la famille et diverses dispositions fiscales, toutes mesures reconnaissant pleinement le fait familial. Mais il n’y a pas encore de représentation politique des familles, comme telles. De 1940 à 1942, la Révolution Nationale du Maréchal Pétain fait de Travail-Famille-Patrie plus qu'un slogan, une opportunité de transformation des objectifs et des modalités de l’action publique dans le domaine social, au sens large. Répondant aux souhaits des milieux familiaux conjoncturellement rassemblés (Comités de coordination), la loi Gounot de novembre 1942, inspirée par le corporatisme d’État, donne un statut relativement exorbitant aux associations de familles, reconnaît un Corps familial et le dote d'un monopole de représentation publique de toutes les familles de France. Rien de tel n’existant avant cette date, on est donc fondés à dater de 1942 la naissance, en France, d'une représentation familiale publique. En 1945, le Gouvernement provisoire républicanise par ordonnance l'héritage juridique et institutionnel de la loi Gounot, en l'allégeant d'une excessive tutelle administrative et surtout en libéralisant l'édifice à sa base. Mais on y conserve le principe de l’unicité de la représentation nationale et départementale et les principales missions spécifiques de l'Institution (sauf la propagande). Ce sera l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et les Unions départementales (UDAF). Le rôle de Robert Prigent, militant du Mouvement populaire des familles avant et pendant la guerre, puis du MRP et finalement ministre de la Population dans le Gouvernement provisoire de la République, est essentiel pour comprendre ce processus (CHAUVIERE, 1986). 1946 : la réforme de la Sécurité sociale intègre une branche famille, non sans enjeux entre les forces politiques du tripartisme (PC, socialistes et catholiques sociaux du MRP), ce qui hisse la protection de la famille au rang de priorité nationale. S'ouvre alors ce qu'Antoine Prost a justement appelé d’« âge d'or de la politique familiale » (1984), sans pourtant que jamais cette orientation ne se traduise de manière trop visible dans l'écriture politico-administrative française. À l’affichage « famille », les gouvernements d'après-guerre jusqu'à la fin des années 1970 préféreront en effet soit la compétence « population » (aux références plus républicaines) soit le fourre-tout des « Affaires sociales ». Parmi les institutions qui encadrent l'action publique en direction des familles, il faut finalement compter avec le Haut conseil à la famille et à la population d’avant guerre, la Caisse nationale des allocations familiales, l’Institut d'études démographiques (ex Institut d’études des problèmes humais d’Alexis Carrel), Union nationale des associations familiales d’après guerre et, plus près de nous à partir des années 80, l’Institut de l'enfance et de la famille (devenu CIDEF avant d’être supprimé) ainsi que les différents secrétariats d’État et missions interministérielles. S’agissant de l’UNAF, innovation spécifiquement française, représenter les familles et incarner légalement le Corps familial consacre un mode généraliste de régulation de la vie sociale, à référence exclusivement familiale. Depuis plus de 60 ans, ce montage est quasi-pérenne dans le paysage institutionnel, quels que soient les Républiques et les gouvernements quoique régulièrement controversé dans certains milieux, notamment dans les milieux laïques (CHAUVIERE , 2002b) et féministes. 2. ENJEUX ET MODALITES DU FAMILIALISME CONTEMPORAIN 2.1. L’extension continue des objets de l’intervention En France, du début du XXe siècle à ce jour, l'intégration républicaine de la question familiale s’est réalisée selon quelques figures principales devenues progressivement recevables par et pour l’action publique. Ces cibles forment aujourd’hui encore la base des catégories administratives et juridiques les plus usitées et il expliquent, dans le cas français, le mode de développement des politiques familiales depuis longtemps réputées explicites (Messu, 1992 ; Pitrou, 1994 ; Antomarchi, 2000). Elles offrent aussi, et presque paradoxalement, diverses occasions de participation citoyenne4. Dans cette perspective, les politiques du familial peuvent être exposées à partir de quatre plans : 4 Ces traits nous distinguent nettement des traditions plus privatistes de certains de nos voisins, notamment les Anglais et, dans une moindre mesure, les Allemands. Parmi les pays du Nord de l’Europe, seuls les Belges connaissent une institutionnalisation proche de la situation française. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 6. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 5 quand le familial est considéré comme ressource pour la nation entraînant des stratégies de renforcement de la productivité des familles, autrement dit le natalisme ; quand le familial est appauvri par ses enfants mais que la famille peut être considérée comme un risque socialisable, vu la charge d’enfants qui lui incombe, surtout quand elle est nombreuse et qu’elle vit dans la précarité (allocations familiales et autres formes d’aides, mais aussi quotient familial fiscal) ; quand le familial devient institutionnalisable par l’État jusqu’à considérer que chaque famille, tous comptes faits, détient une part de citoyenneté en tant que telle (au nom au de la légitimité et de l’opposabilité de ses « intérêts matériels et moraux ») ; quand, enfin, le familial se voit « parentalisé » par diverses politiques publiques, en d’autres termes que la famille est traduite et en partie réduite à la fonction parentale, comme norme de responsabilité éducative et sociale locale et élargie, mais aussi obligation de compétence et de performance pour tout un chacun, quelle que soit son tracé familial final, légal ou non, durable ou non (Chauvière, 2003a). Premier plan. La construction du familial comme ressource est inséparable de la question de la dépopulation et de l’émergence de la science démographique, processus largement relayé dès 1896 par l'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française. La démographie est alors mobilisée pour la traduction des chiffres en faits sociaux et des faits sociaux en chiffres, mais également pour la valorisation et la politisation de la cause des familles nombreuses. Avec ses catégories, la question des enfants nés et à naître cesse progressivement d’être un problème de confessionnal pour devenir un problème public (Chauvière, Frotiée, 1997). Sous couvert de natalité, la question de la famille se fait ainsi progressivement « gouvernable » par la République. Cette inflexion portera ses fruits après les deux grandes guerres. Après 14-18, bénéficiant d’un large soutien parlementaire, les gouvernements Millerand et suivants promulguent tout un ensemble de mesures incitatives et répressives : interdiction de toute propagande pour la contraception et primes à la natalité (1920), correctionnalisation de l'avortement et réduction du temps de service actif des aînés de familles nombreuses (1923), limitation des divorces (1924), etc. En prolongement, il faut rappeler la création en 1939 d’un Haut comité à la famille et à la population puis l’adoption du code de la famille et de la natalité françaises préparent aussi le régime de Vichy (Chauvière, Bussat, 2000) et le natalisme de la Libération (allocations familiales et baby boom). Deuxième plan. Que les enfants puisent être considérés comme source d’appauvrissement pour leurs géniteurs/parents n’est une idée ni naturelle ni morale. Il faut surtout pour cela admettre et savoir calculer le « coût de l’enfant » rapporté au pouvoir d’achat des ménages, mais aussi accepter de passer de l’assistance à l’enfant à l’assistance aux familles, catégorie bien peu légitime dans la culture républicaine. Quoique difficile, par cette voie, l’enfant cesse d’être une simple affaire privée pour devenir un enjeu social et un facteur de risque économique, autrement dit un investissement pour ses parents et pour la société tout entière. Incidemment, la présence d’enfants est également considérée comme une charge individualisable, susceptible d’être compensée. D’abord au titre d’une solidarité appuyée sur l’impôt, spécialement quand les enfants sont nombreux et que la famille est reconnue indigente. La loi d’assistance de 1913, obtenue juste avant les hostilités, vise les familles en difficulté, sur un mode assistanciel, non contributif. Loi conjoncturelle, sans aucun doute, on l’a considérée comme la dernière des lois d’assistance avant guerre et la première loi familiale en France (Chauvière, Bussat, 1993). On peut également la rapprocher des réductions sur les chemins de fer (1921), des facilités d’accès aux HBM (1922), de l’invention du quotient familial (1945), et tant de d’autres instruments d’organisation de l’assistance passant volontairement par un ciblage familial maîtrisé. Puis la présence d’enfants à élever et à prendre en charge change de statut. Partant d’initiatives diverses, tant dans la fonction publique que dans le secteur privé dès la fin du XIXe siècle, l’enfant devient progressivement un risque. Risque d’abord compensé par un sursalaire versé à la discrétion de l’employeur, puis la mesure est légalisée, étendue, universalisée et même déconnectée du salaire. En un mot, elle est socialisée. La date de 1932 inaugure ce cycle marqué quelques années plus tard, en 1945/46, par l’intégration des caisses de compensation patronales dans le cadre du plan français de Sécurité Sociale. Au nom de l’enfant et par solidarité obligatoire, les allocations familiales deviennent l’un des instruments de redistribution de pouvoir d’achat aux familles, tout en permettant une importante offre de services et diverses formes d’action sociale, sous conditions. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 7. 6 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social Troisième plan. Eu égard aux services rendus, le principe familial connaît alors les honneurs de la République, en prolongement du traitement imaginé par le régime de Vichy. Avec la loi Gounot de décembre 1942, qui crée un statut exorbitant pour les associations de familles, les familles de France sont reconnues comme un unique véritable Corps constitué. Puis, ce principe est reconduit, républicanisé et aménagé par ordonnance à la Libération, donnant naissance à l’UNAF et aux UDAF (mars 1945). Les familles organisées sont ainsi considérées comme dépositaires d'une part de citoyenneté et deviennent légalement représentables dans de nombreuses instances et institutions, en d’autres termes elles s’incorporent à l’action publique5. Depuis la fin du XIXe siècle, la revendication ancienne du vote familial, c'est-à-dire de droits politiques pour les chefs de famille, portait déjà en elle de telles ambitions. Bon nombre de congrès natalistes et/ou familiaux réclamaient depuis les années 20 que « le chef de famille ait aussi droit à la représentation par priorité dans les organismes [...] où se discutent des intérêts qui, de près ou de loin, touchent à la famille ». Mais en vain, sous la Troisième République. Si, sous Vichy, la Famille (au singulier de majesté, cette fois) est valorisée, c’est corrélativement à une double condamnation de l’individualisme, au nom de l’idéologie des « groupes naturels » et des rôles féminins et masculins (Muel-Dreyfus, 1996), et de l’affaiblissement du sentiment religieux du fait de la République laïque. Mais cette intégration vaut aussi comme renforcement sans précédent de la socialisation de la vie privée par l’État, dans l’attente de nombreux bienfaits d’ordre social et sécuritaire (Chauvière, 1998b). C’est donc, dans ces conditions, qu’au cours des années 40 se trouve légitimée la notion d’« intérêts matériels et moraux des familles », assortie de prérogatives non négligeables, le dispositif étant, qui plus est, financée sur fonds publics dès 1953. Il s’agit de : représenter officiellement les familles auprès des pouvoirs publics ; donner un avis aux pouvoirs publics sur les questions d'ordre familial ; gérer des services d'intérêt familial, comme plus tard, la tutelle aux prestations familiales, etc. Le débat est continu depuis plus d’un demi-siècle sur le bien fondé et la légitimité d’un tel système, mais aucun gouvernement n’a eu jusqu’à ce jour la volonté politique d’y renoncer. Tous l’ont plutôt conforté. Quatrième plan. La mobilisation parentaliste a, elle aussi, plus d’histoire qu’il n’y paraît. Dès le début du XXe siècle, dans la ligne des enseignements pontificaux, les milieux catholiques montrent une volonté de réarmement moral de toutes les familles, indistinctement et si possible par elles- mêmes. Dans les centres de préparation au mariage (chrétien) de l’abbé Jean Viollet, on est sur le même terrain (Gardet, 2005). Plus près de nous, l’École des parents, fondée par Mme Vérine dans les années 30, constitue une offre individualisée et spécialisée de formation et de soutien à destination des hommes et des femmes dans leur responsabilité de parent. Dans le mouvement actuel se croisent en réalité plusieurs processus. La réforme du droit de la famille des années 70 a consacré l’autorité parentale contre la puissance paternelle du Code civil. Dans la conception actuelle du divorce, la norme impose que rien ne doit faire obstacle à la coresponsabilité des parents, la médiation familiale pouvant éventuellement leur venir en aide. Du rapport Bianco- Lamy sur L’Aide à l’enfance demain (1980) à la loi dite de « rénovation de l’action sociale et médico- sociale » de janvier 2002, les droits des usagers sont valorisés, or ce sont souvent des droits familiaux, combinant projet et responsabilité parentale. D’un exemple à l’autre, le parent se présente désormais comme une figure moderne et acceptable du familial, nouvelle cible des politiques publiques et, le cas échéant, vecteur de la juridicisation du social. Pour ne pas attenter aux libertés individuelles et publiques, telles que nous les concevons encore, alors que la famille n’était pas et n’est toujours pas une personne morale, le « soutien à la parentalité » se fait tout en propositions, en évitant d’être trop prescriptif. L’histoire nous montre aussi que les points d’appui du familialisme sont anciens, nombreux et plus diversifiés qu’on ne l’imagine souvent. Au plan philosophique, il a incarné, et sans doute continue-t-il de le faire, une réactivité, plus ou moins totalisante, contre les excès de l’individualisme républicain. 5 Le statut exorbitant des associations de familles, issu de la loi Gounot, permet de considérer les unions comme réalisant une super-personnalité civile des familles organisées, dont le bénéfice est élargi et imposé par la loi à toutes les familles de France. C’est à ce titre, que depuis la fin des années 40, les familiaux participent notamment à la gestion paritaire des caisses d’allocations familiales. Les droits des usagers trouvent une partie de leurs origines dans cette citoyenneté à base exclusivement familiale (Chauvière, 1997). Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 8. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 7 Les travaux de quelques juristes sont décisifs à ce sujet (Maurice Hauriou, Emmanuel Gounot…) (Millard, 1997). Au plan social, il porte des initiatives proches du mutuellisme, de l’économie sociale et de la protection sociale. Certaines annoncent effectivement le syndicalisme des parents d’élèves, des consommateurs et plus largement celui des usagers (Chauvière, 1997) ; de même, il est très proche des thèses d’origine catholique sur la subsidiarité, cette machine de guerre contre la République, de l’autonomie sociale locale ou de voisinage, réactivée et même légitimée depuis la décentralisation et les politiques de la ville, aux risques du communautarisme. Tous ces plans évolutifs marquent l’impossible suture de la question familiale, y compris derrière la rhétorique contemporaine des solidarités familiales (Chauvière, Messu, 2003). Malgré cela ou à cause de cela, les grandes associations qui militent pour la famille ou la défense des « intérêts matériels et moraux » des familles continuent de réclamer envers et contre tout une politique globale. 2.2. Le renforcement de l’encadrement institutionnel Pour parvenir à ses fins, l’engagement familialiste est consolidé par un encadrement institutionnel conséquent, maniant habilement expertise et gestion, et qui tend à faire système : les « codes de la famille », l’INED (Rosental, 2003), la CNAF6, l’UNAF et son solide groupe au Conseil économique et sociale, sans oublier les ministères, secrétariats d’État et délégations interministérielles dédiés à la famille surtout depuis 1981, l’ex-IDEF - ex-CIDEF, des enseignements universitaires ou para- universitaires spécialisés ou non – comme l’Institut des sciences de la famille à Lyon, les sciences de la « suppléance familiale » à Paris X, ou encore, tout récemment, l’université des familles à l’UNAF (expérience semi-virtuelle en cours) et la reconnaissance tout aussi récente des métiers de la médiation familiale, etc. Examinons plus à fond deux aspects de cet inventaire : la codification et le système UNAF/UDAF. 2.2.1. La place de la codification Nous disposons en France d’une codification affichant de manière volontariste la dimension familiale de l’action publique, en complément de la protection de la famille, valeur explicite dans la Constitution de la République. C’était au début le code de la famille et de la natalité françaises en 1939 (Chauvière, Bussat, 2000), puis cela devient le code de la famille et de l’aide sociale en 1956 et, enfin, depuis 2001, le code de l’action sociale et des familles. Mais c’est sans exclusive et sans homogénéisation. Outre le code civil, de nombreuses compétences ayant trait à la famille et au familial existent également dans le code pénal, dans le code de la Sécurité sociale, dans le code des impôts, dans le code de l’éducation, etc. Le code de la famille et de la natalité françaises de 1939.est sans doute le seul authentique code de la famille que le pays ait jamais conçu Dans un contexte dominé par les accords de Munich et peu avant l'entrée en guerre, ce texte a l'ambition de répondre à l'urgence des problèmes de natalité. Inspiré par Alfred Sauvy, expert s’il en est, il marque la victoire des natalistes de l'Alliance nationale, que couronne l'éphémère ministère de la Famille de 1939, confié pour quelques semaines au sénateur Georges Pernot. Comme en 1913, il est porté par une ouverture politique des radicaux-socialistes en direction des catholiques. Finalement, c’est ce code qui fait entrer la famille, en tant que fait social et comme catégorie du droit public pour la gestion des problèmes de population, dans l'univers politico- administratif français. Le Gouvernement de Vichy en héritera et le fera fructifier à sa manière (Chauvière, Bussat, 2000). Malgré son titre : code de la famille et de l’aide sociale, le texte de 1956 est beaucoup moins familial (sauf intégration de l’ordonnance de création de l’UNAF de 1945 et mesures dispersées non intégrables dans le code de la Sécurité sociale ou dans celui de la Santé publique). À la fin des années 1990, un débat peu public traversait le petit monde fermé des codificateurs : il s’agissait de déterminer si le prochain code, à droit constant, devait s’appeler code de l’action sociale 6 Parmi les institutions familiales, le réseau de caisses d’allocations familiales et la CNAF occupent une place des plus originales. Géré d’une manière qui reste formellement paritaire, il est chargé de collecter et de redistribuer les efforts de solidarité obligatoire entre familles avec enfants, familles sans enfants et non-familles (cotisation patronale). Ces caisses ont très tôt développé une forte action sociale complémentaire, puis se sont vues progressivement chargées par l’État de certaines allocations extra-familiales, souvent non-contributives (allocations logement, AAH, RMI, etc.). La place de la question familiale dans la célébration du 60e anniversaire de la Sécurité sociale (quand le Comité d’histoire de la Sécurité sociale regrette d’avoir fait l’impasse sur le champ familial et les politiques familiales et cherche à corriger le tir). Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 9. 8 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social ou bien conserver sa référence princeps à la famille. Finalement, le pluriel est devenu officiel dans le code de l’action sociale et des familles de janvier 2001, à l’initiative semble-t-il de Ségolène Royal, alors ministre de la Famille. Conversion philosophique, reconnaissance du pluralisme ou habileté politique, trahissant l’embarras de la puissance publique ? Il est difficile de trancher. Quoi qu’il en soit, promue par les sciences sociales dans les années 70-80, la vision plurielle de la famille est effectivement passée dans la sphère publique, quoique, il est vrai, sans beaucoup d’efforts de conceptualisation. 2.2.2. Le système UNAF/UDAF Au centre névralgique de cette mobilisation sociale, on trouve donc l’Union nationale des associations familiales et les unions départementales. Ce ne sont pas de simples fédérations de mouvements, comme le sont d’autres unions dans le secteur social. Il s’agit avant tout, depuis l’ordonnance de 1945, républicanisant la loi Gounot de 1942, d’une forme hybride mi-institution, mi- conglomérat, mais empruntant au syndicalisme professionnel la définition de la représentativité. Depuis, l’institution a traversé sans encombre majeur les Trente glorieuses, bénéficiant même d’une importante réforme en 1975, consacrant notamment la cogestions les huit, devenus sept, principaux mouvements familiaux dits d’action générale (Chauvière, 2000). D’aucuns, en interne, ont parfois qualifié cette construction de « Parlement des familles », mais c’est une métaphore abusive. Au demeurant, cette arborescence complexe est bien enracinée dans les géographies locales. Même si l’UNAF ne représente que des mouvements et non pas directement des familles (il n’y a pas de vote direct ou même indirect de toutes les familles !), vu leur diversité philosophique, les mouvements représentés à l’UNAF constituent néanmoins un assez bon échantillon des sensibilités pro-familia en France7. Ce n’est donc pas un simple lobby, porteur d’intérêts particuliers, même si à l’occasion ses méthodes sont celles du lobbying. Comment le problématiser ? Dans ces organisations, des femmes et des hommes militent ensemble pour défendre les intérêts matériels et moraux des membres de leurs familles en tant que telles et, pour une minorité seulement, de la Famille comme principe d’organisation sociale. Ils le font, en toute légitimité, malgré ou peut- être pour contourner l’absence de personnalité juridique de la famille, et en tout cas sont présents dans de nombreux lieux de démocratie sociale (dans la cogestion des caisses d’allocations familiales, par exemple, où ils représentent les usagers, mais aussi dans les offices HLM, dans le domaine de la consommation etc., et surtout au Conseil économique et social). Comme dans toute organisation conséquente, les uns militent et les autres se contentent d’adhérer, contre un service local ou pour une action limitée dans le temps. Mais l’offre de services y est globalement importante et toute cette forme de mobilisation relève indubitablement de la citoyenneté active. Dans un monde associatif confronté à des grandes interrogations quant à son recrutement, au militantisme ou à ses rapports avec les pouvoirs publics, le secteur familial donne plutôt l’image d’une implantation locale plutôt solide, assez capable de se renouveler et bien reconnu dans le jeu central et décentralisé contemporain (Sassier, 2006). Pour expliquer cette exception française, on peut mobiliser plusieurs hypothèses. La question familiale naîtrait pour partie d’une réaction à la laïcisation de la société tout entière après la Révolution française et aux débuts de la Troisième République. Cette réaction serait d’abord captée et théorisée par les traditionalistes et contre-révolutionnaires, puis de manière décisive par l’Église catholique, dans le cadre de sa doctrine sociale face à la question ouvrière (Rerum Novarum, 1891). La famille deviendrait alors un élément stratégique, très articulé avec la question du salariat, tant du côté patronal que du côté ouvrier. Pour ce qui le concerne spécifiquement, le natalisme républicain, quant à lui, aurait permis un assez large consensus politique après et avant les principales guerres mondiales, notamment pour soutenir la comparaison avec l’Allemagne (Messu, 1992). Enfin, la question familiale pourrait encore être renvoyée à la question générale des corps intermédiaires, interdits puis contrôlés jusqu’à la loi de liberté contractuelle de juillet 1901 (Chauvière, 1998a). Quoi qu’il en soit, il paraît acquis que la politique familiale française est inséparable au début du XXe siècle du compromis 7 Il y a cependant de notables exceptions, comme les mouvements de parents d’élèves, les mouvements féministes déjà cités, mais aussi certains mouvements de consommateurs ou d’usagers pourtant à base familiale ou encore certains groupements confessionnels minoritaires (musulmans, juifs…). À l’inverse, certains groupements de parents divorcés ou de parents homosexuels (tels que l’APGL) cherchent à asseoir leur légitimité en sollicitant en vain leur entrée à l’UNAF, c’est-à-dire leur reconnaissance comme authentique mouvement familial. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 10. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 9 durable passé entre la social-démocratie, radicale puis socialiste, et le christianisme social, doctrine qui sera plus tard incarné par le MRP et irriguera autant la droite que la gauche gouvernementales. Parmi ces institutions, la plus originale et aujourd’hui encore sans équivalent chez nos voisins européens, c’est donc le système UNAF/UDAF. Quoi qu’étant à base associative, le « corps familial » a des prérogatives qui lui confèrent une capacité juridique hors du commun. Il donne des avis autorisés aux pouvoirs publics sur les questions d’ordre familial, conformément aux dits « intérêts matériels et moraux des familles » ; il représente officiellement et sans concurrence légale l’ensemble des familles auprès des pouvoirs publics, nationaux, territoriaux et dans de très nombreuses instances (comme s’il y avait un « intérêt général familial ») ; il gère également tout service d’intérêt familial confié par l’État (ainsi les tutelles) et exerce enfin la partie civile dans certaines conditions. Par le moyen de cette institution, les familles de France, qui ne le savent pas forcément, acquièrent donc une capacité collective d'être acteur, une sorte de super personnalité morale. Ce qui reste évidemment discutable et discuté. L’unité de toutes les familles de France est une fiction et d’aucuns n’hésitent pas à réduire l’UNAF aux seules familles actives dans les mouvements les plus connus. Et puis de quelle sorte de conquête sociale s’agit-il ? Soixante ans après, peut-on encore faire, à l’instar de Robert Prigent en 1945, le parallèle avec le droit syndical de 1884 ? Ou n’est-ce là qu’une habile concession de l'État central, pour cause de reconstruction, de baby boom et aujourd’hui de lutte contre la précarité ? Selon Philppe Vallat et Jérôme Minonzio (2006) : « En tant que forme de représentation unifiée du champ familial et désignée par l'État, l'UNAF se coule presque parfaitement dans le modèle néo- corporatiste, dans la mesure où celui-ci désigne une forme de construction des intérêts sociaux opposée au pluralisme. Le néo-corporatisme peut être caractérisé par trois éléments : une représentation monopolistique des intérêts alors que le pluralisme sous-entend une compétition entre des organisations concurrentes ; le rapport avec la puissance publique repose sur une interrelation qui contribue à une légitimation réciproque qui renforce l'État et le groupe d'intérêt (par opposition, dans le modèle pluraliste des groupes d’intérêt parfaitement autonomes tentent d’exercer un lobbying sur l’État) ; enfin, une forme d’organisation interne très bureaucratisée, institutionnalisée et hiérarchisée ».. 3. RECEVABILITE ET ECONOMIE DU NEO-FAMILIALISTE Si la présence des familiaux compte dans les institutions politiques, sociales, économiques communicationnelles, il faut maintenant essayer de comprendre la place nouvelle du néo-familialisme institutionnel dans la cadre de l’État social en difficultés. Les inflexions les plus remarquables ne concernent pas que la problématisation de la question sociale (c’est-à-dire la place de la famille, ou mieux du familial, dans le diagnostic social), elles se repèrent également dans diverses initiatives militantes, institutionnelles et de régulation, qui servent de réponse à la question sociale. Les exemples ne manquent pas : Famille rurale est très active dans le développement les territoires et bien avant la décentralisation, Familles de France veille avec beaucoup d’autres sur les questions éthiques, comme par exemple à propos du PACS, du moins avant son adoption, la Confédération syndicale des familles (CSF) travaille depuis longtemps sur le front du logement (CHAUVIERE , DURIEZ, 1995), de la consommation et du cadre de vie, pendant que l’Union des familles laïques est co-fondatrice de ATTAC, etc. Trois domaines paraissent particulièrement éclairants : les Conférence de la famille depuis 1983, l’affaire de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales en 1997-1998 et le débat toujours en cours sur la protection de l’enfance. 3.1. Signification des Conférences annuelles de la famille Depuis 1983, les Conférences annuelles de la famille (sorte de «Matignon de la famille») sont un moment de concertation officielle entre les acteurs de la politique familiale. Elles sont à comprendre tout à la fois comme dispositif d’interface démocratique entre représentants des associations et syndicats, des institutions et les pouvoirs publics, et « scène » où ces derniers ont pris l’habitude d’annoncer officiellement les priorités de la politique familiale pour l’année à venir et de prendre Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 11. 10 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social certains engagements. Quelle signification revêt cette innovation institutionnelle ?8 Il faut d’abord distinguer deux séries de Conférences de la famille. Le principe est fixé dès 1982 à la demande de l’UNAF par le Gouvernement de Pierre Mauroy. Ne regroupant alors que le mouvement familial, ce premier type d’assemblée peu suivi de décisions politiques concrètes s’est étiolé au fil des années jusqu’à s’arrêter en 1991. Les Conférences de la famille sont ensuite inscrites dans la loi du 25 juillet 1994 (Plan famille)9, mais ne sont réellement remises en place qu’en 1996, après le débat public concernant la fiscalisation des allocations familiales prévue dans le plan Juppé. Elles se tiennent depuis cette date à Matignon sous la présidence du Premier ministre et sont limitées à 60 personnes. Elles innovent en mettant également autour de la table les ministres concernés, l’ensemble des organisations syndicales et d’employeurs, ainsi que des représentants du Parlement et des collectivités territoriales et des personnes qualifiées. Très arrimées dans les premiers temps à l’évolution du système des prestations familiales, elles se déploient d’une manière plus globale vers les différents champs de l’action sociale et de l’évolution du droit de la famille. La méthode est devenue plus systématique, avec notamment des rapports d’experts à chaque rendez-vous annuel. La conférence n’est pas formellement décisionnelle. Mais bon nombre de mesures annoncées se retrouvent dans des textes postérieurs (loi de financement de la Sécurité sociale, loi de finances). Les Conférences de la famille entre 1996 et 2006 1996 - Le Gouvernement renonce (surseoit) à la fiscalisation des allocations familiales et charge Mme Gisserot, de la Cour des comptes, d’une mission de concertation et de réflexion. 1997 - Il s'agit surtout « d'insister sur le volet non-monétaire de la politique familiale » et de renforcer les missions de la politique familiale, en s'appuyant largement sur les travaux de la mission Gisserot (1996). 1998 - Outre des mesures concernant les prestations familiales (rétablissement du principe d’universalité) et une re-dynamisation de la politique familiale (réforme de l’allocation de rentrée scolaire, recul des limites d’âge pour être enfant à charge…), la Conférence crée une Délégation interministérielle à la famille et valorise le thème du soutien à la parentalité. 1999 - Qualifié de « conférence transitoire », ce rendez-vous est caractérisé par l'annonce de mesures financières concrètes mais modestes visant les jeunes, la petite enfance, les parents. 2000 : Après la nomination d'un ministre délégué à la Famille et à l'Enfance et le retour à l'excédent de la branche Famille, la Conférence de la famille consolide les thèmes de la conciliation vie de famille/vie de travail et du soutien à la parentalité, tout en cherchant à s'appuyer sur un réseau de partage des savoirs et des connaissances. Création du Fonds d’investissement pour l’enfance. 2001 - Mesures financières (Lieux d'accueil parents-enfants, prolongement de l'ARS, petite enfance, allocation d'éducation spéciale enfants handicapés, congé paternité) et trois axes : l'autorité parentale et congé paternité ; autonomie des jeunes adultes, familles à revenus modestes. 2002 - annulée. 2003 - Mise en place de la prestation d'accueil du jeune enfant (PAJE), plan crèches, démarrage des Points Infos familles (rationaliser l'offre de services aux familles sur le territoire et hausser le niveau moyen d'information des familles), professionnalisation des assistantes maternelles et création d'un diplôme de médiateur familial. 2004 - Conférence dédiée aux adolescents : valorisation des jobs de vacances, prévention des comportements à risque, accès aux activités culturelles et réseaux de jeunes médiateurs de l'Internet, mais sans annonces financières importantes. 2005 – Veut renforcer le modèle français de libre choix des familles (nouveau congé parental, vraie carte des « familles nombreuses » généraliste, chèque emploi service universel) et les accompagner dans leur usage des nouvelles technologies (navigation des enfants sur le Net, label « famille ») 2006 - Ciblée sur la solidarité entre les générations et en particulier sur des mesures de soutien aux « aidants 8 À défaut de travaux critiques sur cette nouvelle forme de démocratie consultative, il est possible d’approcher cette question en parcourant et comparant deux textes à paraître dans CHAUVIERE (2006) : un texte inédit de Hubert Brin, président de l’UNAF, et l’autre, la reprise partielle d’un article de Philippe Steck (CNAF) déjà publié dans Droit social en 2002. 9 La loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à la famille précise dans son article 41 que « Le Gouvernement organise chaque année une conférence nationale de la famille à laquelle il convie le mouvement familial et les organismes qualifiés ». Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 12. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 11 familiaux ». À l’UNAF, tête du pont officielle du mouvement familial, l’appréciation n’est guère distanciée, presque triomphaliste. Les Conférences annuelles de la famille apparaissent sans détour comme un succès pour le « corps familial », une réussite pour les familles : « Cette Conférence, précise Hubert Brin, a comme premier effet de mettre la politique familiale au centre du débat public et, en étant inscrite dans le calendrier gouvernemental, sa médiatisation permet une plus grande visibilité de l’action de l’UNAF et du Mouvement familial. […] Pour les familles elles-mêmes, elle aboutit année après année à des améliorations qui, au total, sont particulièrement significatives dans un contexte macro-économique marqué par les conditions d’entrée dans la zone euro, avec un cadrage budgétaire qui laissait clairement entendre de la part du Gouvernement français que les dépenses « familles » devraient être contenues et contraintes. » (Brin, 2006). L’Institution familiale considère donc que le bilan financier et les acquis des Conférences de la famille sont loin d’être négligeables, même si les moyens financiers ne lui semblent pas avoir toujours été à la hauteur. En outre, les Conférences de la famille lui semblent à considérer comme le reflet des politiques familiales qu'elles accompagnent et qu'elles animent, et le révélateur des influences qui s'exercent et des jeux stratégiques qui les entourent. Les prestations financières demeurent la clé de voûte du dispositif d'intervention publique auprès des familles. Cependant, les Conférences de la famille ont vu leur champ d'intervention s'élargir (environnement médiatique de l'enfant, e-administration, développement durable, sciences de la vie, systèmes de santé, éducation aux médias, etc.), ce dont se félicite l’UNAF. Vu ses impacts politico- médiatiques, entre obligations et opportunités, elle considère même cette rencontre annuelle comme une forme de co-construction des politiques publiques et, dans ce sens, valorise tout à la fois les travaux préparatoires concertés et le partenariat dans les mises en œuvre. Si certains analystes n’y voient que promotion de la politique gouvernementale et pure communication, l’UNAF considère au contraire que ce « grand oral » annuel garde toute son importance au plan des mesures concrètes comme au plan symbolique. Sans oublier qu’il s’inscrit dans l’exercice de la démocratie sociale et du partage des savoirs. Pour Philippe Steck (2002), les caractéristiques des Conférences de la famille jusqu’à cette date sont au nombre de cinq : « La construction d’une consultation et d’une négociation régulière assises sur une solide préparation technique et des liens avec les partenaires familiaux et sociaux ; une évolution de la vision de l’institution familiale (pluralisme et pragmatisme) ; un élargissement du champ de préoccupation dominant, des mécaniques redistributives (prestations familiales, fiscalité) vers l’action sociale et le droit civil de la famille, avec quelques thématiques dominantes : la conciliation vie familiale/vie professionnelle, le logement, l’autorité parentale partagée, la refonte du droit civil de la famille ; le traitement des lignes dominantes de la politique familiale de l’année et au- delà et un début de synergie entre la conférence et la convention d’objectifs et de gestion liant la CNAF et l’État ». La CNAF se voit en effet, parfois un an avant la Conférence de la famille, commander divers chiffrages pour des mesures envisagées. Ce qui conduit à penser que certaines négociations sont entamées bien avant la Conférence. Si, en 1995, rien n’est intervenu de marquant, précise-t-il, les conférences de la famille de 1996, 1997 et 1998 furent des temps forts pour la politique familiale. Il distingue d’ailleurs deux périodes : entre 1996 à 1998, c’est « le temps politique de sortie de crise » et après 1999, on entre dans le « temps de construction et de déploiement de politiques nouvelles, du moins leur ébauche ». Chaque année, la Conférence de la famille constitue donc l’occasion pour les pouvoirs publics de rencontrer les associations familiales et les partenaires sociaux, de mettre la politique en perspective, et sinon de décider et de trancher, à tout le moins de faire émerger des dossiers clés. Elle trace le chemin, donne l’épure de la politique familiale. Le représentant de la CNAF relève aussi certains sujets non traités : le rôle de la TVA dans la politique familiale, l’évolution de la base mensuelle de calcul des allocations familiales, les familles nombreuses qu’il voit délaissées du champ de la politique familiale pratiquement depuis la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing, les avantages familiaux de retraite qu’il juge erratiques. Avant de se demander si la politique familiale se fait réellement dans la « pluriannualité » des conférences de la famille ou si elle se décide ailleurs. Il fait remarquer notamment que la modulation en fonction du Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 13. 12 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social revenu du montant de l’allocation de garde d’enfant à domicile – qui fit couler beaucoup d’encre – n’a pas été abordée à la Conférence de la famille 1998, que la création du Pacte civil de solidarité, objet de controverses s’il en est, est resté lui aussi en dehors des Conférences de la famille, de même que la plupart des retouches au droit civil de la famille. Pour autant, il ne pense pas que les conférences soient un leurre, ne serait-ce que parce qu’elles incarnent le moment de la globalisation des expertises, points de vue, négociations et décisions concernant la famille. C’est en cela un temps fort de démocratie sociale. Le constat final est le même que celui d’Hubert Brin. Tous les deux font aussi remarquer qu’elles ont bien traversé les changements de majorité politique ! 3.2. L’impossible réforme des allocations familiales10 Le 19 juin 1997, le Premier ministre socialiste annonçait haut et fort la mise sous conditions de ressources des allocations familiales, ainsi qu’une modulation de l’allocation de garde d’enfants à domicile11 (AGED). Bon nombre de médias et d’observateurs, dans l’élite administrative et parmi les spécialistes, s’appuyant sur une opinion publique réputée favorable à plus 63%, ont alors vu dans le choix de la sélectivité des prestations la victoire du principe d’équité sur le couple égalité- universalité12. C’était sans compter avec le lobbying familial, de l’UNAF à la CNAF, à droite mais aussi à gauche, y compris dans les rangs du Parti socialiste. Si bien que moins d’un an plus tard, lors de la Conférence de la famille du 12 juin 1998, le même gouvernement rétablissait l’universalité de ces prestations, choisissant plutôt d’abaisser le plafond du quotient familial, en matière fiscale13. Cette révision était alors présentée comme une manière d’atteindre le même objectif de justice sociale, mais selon d’autres modalités techniques. En réalité, loin d’être un simple changement technique, cette réorientation révèle le poids du familialisme politique dans l’action publique, une difficulté récurrente, quant aux valeurs et modalités de la solidarité dans le domaine du familial et aussi les risques encourus par les réformateurs d’accentuer un processus de différenciation sociale déjà bien engagé, en prétendant le réduire. Dans les mois qui ont suivi l’annonce du Premier ministre, le débat public a connu deux temps forts. D’abord sur un mode assez vif dans les première semaines, puis de manière plus étouffée au moment de la loi de financement de la Sécurité sociale en octobre de la même année, où la décision de juin n’apparaît déjà plus qu’à « titre transitoire ». Pour l’Union nationale des associations familiales (UNAF), dont le président en exercice (Hubert Brin) est connu pour ses convictions socialistes, l’argument majeur est alors assez simple : la politique familiale n’est pas une politique sociale, mais une politique de solidarité destinée à compenser le coût de l’enfant ; le Premier ministre fait l’impasse sur les familles dans le pacte républicain ; on se trompe d’analyse et cette réforme n’est donc pas négociable ; pour atteindre les objectifs sociaux visés, il faut avant tout engager une vraie réforme fiscale… Quant aux syndicats confédéraux, dans leur diversité, ils ont d’abord rapidement fait connaître leur opposition résolue tant aux conditions de la décision qu’à la mesure elle-même. Puis, malgré quelques surenchères verbales sur les plafonds ou le montant desdites allocations, les différentes centrales n’ont pas tardé à redevenir les cogérants responsables de la protection sociale, chacune à sa manière. La CFTC, qui veille spécialement sur le patrimoine et l’avenir de la CNAF, est apparue dans le débat tout à la fois la plus ferme sur les principes 14 et la plus ouverte au débat et à des solutions alternatives, comme par exemple la fiscalisation sous certaines conditions. La droite parlementaire, oubliant que, quelques mois plus tôt, elle défendait des idées bien 10 Ce thème est plus largement développé dans Chauvière (1999a) 11 L’AGED allège les charges sociales pour l’employé(e) de maison qui garde les enfants d’un couple qui travaille, c’est aussi indirectement une mesure en faveur de l’emploi. La modulation envisagée conduit à une diminution de moitié du montant de cette allocation. 12 Avec l’équité, elle leur paraissait enfin réorientée en direction des plus démunis et en leur nom, au contraire de l’approche volontariste à la française, qui par universalisme s’était toujours refusé à faire une sélection économique pour l’octroi de ces allocations de base. 13 Le plafond passe de 16 380 F à 11 000 F par demi part. Ainsi les familles avec deux enfants ne seront mises à contribution qu’au dessus d’un revenu net de 38 600 F/mois et de 43 700 F/mois pour trois enfants. 14 Voir, parmi d’autres, l’entretien avec Alain Deleu, président de la CFTC, dans France-Soir du 25 juin 1997. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 14. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 13 proches, a d’abord tactiquement soutenu les revendications des familiaux, avant de perdre son recours devant le Conseil constitutionnel, puis d’aller vers d’autres engagements. Au sein de la gauche plurielle, les députés de la majorité ont curieusement mis quelques jours avant de soutenir clairement le gouvernement et des voix isolées, notamment au PC ou au MDC mais aussi au sein du PS15, se sont élevées pour marquer leur différence et surtout poser des questions, c’est-à-dire intervenir sur un mode mineur. Face à ce front hétérogène, le gouvernement a d’abord maintenu son cap, tout en attendant la prochaine Conférence de la famille en juin 1998 pour en « rediscuter avec les partenaires sociaux ». Entre temps, il devait confier à quatre experts le soin d’étudier les différentes facettes de la question familiale aujourd’hui, en préparation de ce rendez-vous. Finalement, si durant quelques semaines le débat a pu donner l’impression d’être vif, il est retombé assez rapidement. Un débat public de ce type montre d’abord certaines difficultés liées à son objet. La matière familiale reste embarrassante et la plupart des acteurs, qu’ils appartiennent à la société civile ou à la classe politique, ont d’évidentes difficultés à maîtriser l’ensemble des référentiels en jeu. Resurgissent en permanence les effets pervers de multiples présupposés ou d’implicites mal élucidés. La politique familiale n’est pas un « objet politique en quête de politique »16, mais au contraire un espace d’échanges politiques sans objet bien circonscrit. La sécularisation de la question familiale est loin d’être acquise. Il révèle aussi, de la part des autorités politiques, une relative méconnaissance des acteurs sociaux concernés. Les mouvements familiaux porteurs d’intérêts tout à la fois particuliers et globaux (à défaut d’incarner l’intérêt général) s’y voient délégitimés et avec eux une certaine forme de démocratie sociale, au profit d’experts économiques et sociétaux sélectionnés. Cependant, plusieurs enjeux principaux se dégagent de ces premiers échanges politiques. Avant tout l’opposition de l’équité et de l’égalité, parfois transformée en opposition de la politique sociale et de la politique familiale, parfois en opposition de la solidarité par redistribution verticale et de la solidarité par redistribution horizontale ; mais aussi, plus refoulé, l’enjeu de définition et d’ancrage des allocations familiales universelles, hors plafonnement. Qu’est-ce qui légitime chez bon nombre d’acteurs une telle conviction : est-ce encore la famille ou est-ce au contraire seulement l’enfant et ses droits ? En réalité, nous savons bien que c’est l’enfant, mais l’enfant dans sa famille et c’est précisément cette articulation qui fait problème. C’est pourquoi, quelques organisations de familles, notamment les plus laïques, ont alors préféré l’opposabilité du droit de l’enfant à l’argument de justice sociale. Dans leurs écrits, cette orientation doit s’inscrire dans la même logique que le droit de tout enfant à l’instruction ou à la protection. C’est le potentiel et la qualité du développement de chaque enfant qui seraient à défendre, quels que soient par ailleurs les effets natalistes très controversés, ou redistributifs assez faibles, qui peuvent être avancés. Affaire d’universalité de l’accueil de l’enfant, qu’ils ne veulent pas voir régresser au nom d’une correction modeste de la redistribution. L’égalité de tous les enfants devrait donc l’emporter sur le principe d’équité sociale entre les familles. Pour mémoire, la première base de l’universalité des allocations familiales paraît être le patriotisme (Le Bras, 1991). Dans l’effort de guerre, tous les enfants sont égaux mais les créances ne sont pas égales quand on a de nombreux enfants ou qu’on en a moins (et a fortiori pour les célibataires, réduits au seul sacrifice d’eux-mêmes). En outre, au tournant du siècle, ce patriotisme est inséparable du mode de production économique. Dans le secteur public d’abord, puis dans les entreprises les plus clairvoyantes, la main d’œuvre chargée de famille est plus stable et plus facile à contrôler. Le sursalaire familial peut même être lu comme vecteur de la salarisation ouvrière (Friot, 1998). On y a vu aussi la nécessité d’une rationalisation réglementaire et comptable (Montes, 1994). Patriotisme ou participation à l’effort de production, dans les deux cas, la compensation par une prestation en espèces des charges familiales est porteuse d’enjeux sociaux externes et la loi de généralisation en 1932 n’est pas tout à fait la victoire des mouvements familiaux qu’on pourrait imaginer. Par la suite, l’extension des allocations familiales, puis leur progressive déconnexion du salariat 15 Ainsi Marie-Noëlle Lienneman, « Une menace pour la cohésion nationale », Libération, 18 septembre 1997. 16 Selon la formule de Jacques Commaille lors du colloque du Parti socialiste « Quelle politique familiale pour demain ? » à Paris, le 7 juin 1998. Vair aussi Commaille, Martin (1998) Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 15. 14 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social vont encore brouiller davantage les représentations sociales courantes des finalités de cette mesure et le sens plus ou moins familial de son universalité. De 1938 à 1946, et malgré la limitation technique à l’enfant de rang deux et plus, les allocations familiales deviennent l’élément essentiel d’un droit créance des familles avec enfants, c’est-à-dire de l’idéal familial réalisé. Cette orientation est validée par le code de la famille et de la natalité françaises de 1939 et amplifiée sous Vichy (couplé avec l’idéal féminin, Muel-Dreyfus, 1996)1993. Elle est soutenue par la totalité des acteurs du champ familial et plus spécialement par les organisations familiales ouvrières, qui le rejoignent au tournant des années 40 (GRMF, 1985). D’où la complexité de l’idée de compensation universelle des charges familiales, dès avant guerre. Dans la période d’installation de la Sécurité sociale, en relais de la politique de reconstruction après la deuxième guerre mondiale, le statut social des allocations familiales franchit une nouvelle étape, qui les finalise plus encore au seul bénéfice de l’enfant. La séparation d’avec le travail et donc des ressources des parents, s’accentue au point qu’on a pu écrire que les allocations étaient devenues une véritable pension alimentaire que l’allocataire reçoit et administre pour le compte de l’enfant. Selon un arrêt du 14 janvier 1946 : « Les allocations familiales sont versées dans l’intérêt de la famille pour les enfants à celui des parents ou à la personne, salariée ou non, qui en a la garde ». On est déjà très loin du sursalaire patronal des origines et économiquement la branche famille fait alors 40% des dépenses de la Sécurité sociale et 30% du revenu des ménages concernés. C’est dans ces conditions, semble-t-il, qu’un principe d’universalité quelque peu mythique se consolide, que traduit la formule simpliste et inexacte : « un enfant, une allocation », quand bien même le premier enfant en reste-t-il exclu. C’est en effet l’enfant qui sort gagnant du baby boom familial de l’après-guerre, au détriment de la politique globale de la famille que réclament déjà les mouvements familiaux 17. Soutenue par un compromis 18 au sein du tripartisme d’après-guerre (PC, SFIO et surtout MRP), la philosophie de l’enfant en 1945 en fait d’abord un investissement productif collectif et un citoyen en devenir. Cet enfant-là, n’est donc pas d’abord un risque pour le revenu de ses parents et, malgré les apparences, les allocations familiales ne relèvent pas d’une logique d’assurance 19. D’ailleurs, les familles ne cotisent pas. Finalement, les prestations familiales constituent une ressource parentale tout en étant pré-affectées au bénéfice des mineurs de la famille. C’est l’enfant, comme enfant, et lui seul qui véritablement leur donne un sens philosophique et, dans la conjoncture actuelle, elle nourrit d’universalisme l’idéologie familialiste. Et elle est capable de faire reculer tactiquement un gouvernement 3.3. Sur le front de la parentalisation de la protection de l’enfance Depuis la décentralisation, dans de nombreux exemples, la recherche d'un partenariat croissant avec le secteur privé, les associations et les collectivités locales réescompte les ressources du champ familial, d’autant plus facilement qu’il est assez bien organisé au plan territorial (Sassier, 2006). Le renforcement de la contractualisation trouve les « familiaux » en première ligne et contribue à les légitimer. Malgré ses ambiguïtés et apories, le débat sur les solidarités familiales face à la crise sociale (spécialement à l’initiative de la CNAF) montre tout à la fois la réalité des pratiques de solidarité non rémunérées intra-familiales et les limites du recours massif à des telles orientations, même présentées comme étant les plus vertueuses (Chauvière, Messu, 2003). De même, la valorisation des solidarités familiales et le rappel normatif aux devoirs d’éducation des parents viennent-ils aujourd’hui à point nommé pour répondre magiquement aux difficultés de l’école et de la protection de l’enfance, pendant que l’imputation familiale de la délinquance juvénile, question on ne peut plus récurrente, retrouve 17 Ils n’obtiendront en réalité que la reconduction du corps familial représentatif de Vichy par l’ordonnance de 1945 instituant l’UNAF (Chauvière, 1986). 18 Au demeurant, c’est bien ce compromis qui, au travers du paritarisme de « gestion par les intéressés », selon les termes mêmes de l’ordonnance de 1945 instituant la Sécurité sociale (Duclos, 1996 ; Duclos, Mériaux, 1997), assure en partie la forte légitimité des CAF et de leur union nationale, ainsi que l’extension de leur champ d’activité à l’action sociale, jusqu’au RMI (Ancelin, 1997). 19 Il est vrai, a contrario, que très rapidement les pouvoirs publics et les caisses vont être amenés à réduire progressivement la portée des grands principes d’universalité et d’égalité au profit d’une gestion inégalitaire mais réputée plus juste de diverses aides destinées aux familles, par introduction progressive de critères de ressources (allocation logement, allocations de rentre scolaire, complément familial, API etc.). Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 16. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 15 actuellement une place importante dans le débat public (dépistage précoce des la crèche, mesures de suspension des allocations familiales…). Si bien que pour certains observateurs le problème peut se formuler ainsi : faut-il protéger l’enfant ou soutenir sa famille ? (Becquemin, 2006). La question est d’ailleurs attisée par le cas des enfants pauvres plus souvent placés (position d’ATD Quart Monde) et elle pèse sur le débat sur les fondements et les orientations de la protection de l’enfance désormais territorialisée au niveau départemental (décentralisation de l’ASE et effets de l’acte II). Pour expliquer cette situation, il faut d’abord rappeler que la professionnalisation de la protection de l’enfance s’est historiquement construite dans un rapport très ambivalent avec la question familiale. Après la Révolution et sur fond de « dette sacrée », dans le dispositif d’assistance publique, l’État se substitue clairement aux familles inexistantes ou défaillantes. La loi de 1811 consacre la séparation entre les enfants et les autres catégories d’assistés et distingue entre enfants trouvés, enfants abandonnés proprement dits et orphelins pauvres. Elle conforte l’organisation départementale. Elle moralise l’abandon avec les fameux tours, censés garantir l’anonymat - ils seront supprimés en 1861. Pour tous ces enfants, le placement familial, de préférence à la campagne, continue de s’imposer. L’approche reste très manichéenne. Avec la Troisième République, et sur fond de question sociale ouvrière, de nouvelles modalités d’action apparaissent. C’est dans ce contexte qu’en complément de l’œuvre scolaire de 1882, se déploie une intense activité législative et réglementaire visant la protection de l'enfance, au sens large, et le traitement de la délinquance juvénile, en particulier. Ce sont successivement les textes suivants : en 1889, sur la protection de l’enfance moralement abandonnée et la déchéance de la puissance paternelle (obligation scolaire et protection marquent des paliers importants dans le déclin du droit de puissance paternelle) ; en 1898, sur la répression des violences, voies de fait, actes de cruauté et attentats commis sur ou par des enfants ; 1904, sur l’assistance à l’enfance ; en 1906, contre la prostitution des mineurs ; en 1909, sur les classes de perfectionnement ; en 1912, sur le tribunal pour enfant, l’enquête sociale et la liberté surveillée etc. Rétrospectivement, on peut penser que les mêmes ambiguïtés traversent toutes ces initiatives, au reste difficilement mises en œuvre. Mais elles font tout de même système depuis un siècle. L’unité de cette législation tient à un nouvel accord cognitif et normatif. Les sciences de l’homme et de la société commencent à fournir des schémas d’intelligibilité et de gestion des enfances inassimilables (du QI à la psychologie de l’enfant), ce qui constitue alors un progrès considérable. C’est là un palier cognitif tout à fait essentiel. L’opération fait considérer que les enfants inassimilables (en l’espèce beaucoup d’indisciplinés scolaires et autres chenapans, caractériels et bientôt prédélinquants), tout comme les enfants trouvés ou assistés, sont en vérité des enfants moralement abandonnés, en d’autres termes des enfants mal éduqués, des enfants en danger ou en risque de danger qu’il faut éloigner des lieux de contamination, spécialement en famille et dans les quartiers populaires. Cependant, la rééducation est encore à inventer. Il faudra notamment que l’action s’émancipe de l’obligation de déchéance à l’égard du mauvais père. Ce qui sera en partie acquis en 1935, puis achevé en 1958. Mais l’abandon de cette nécessité juridique ne restaurera pas tout à fait l’autorité des parents. En définitive, le système devient triangulaire (parents, juge, experts et associations) et, par voie de conséquence, de plus en plus difficile à réguler. (Lavenac, 2002 ; Chauvière, 2002a ; Becquemin, 2006). Du point de vue normatif, retenons finalement, en négatif, l’écart du familial autant que du scolaire et, en positif, une intégration sociale productive complémentaire de l’école de la République, mais le plus souvent hors d’elle. La protection de l’enfance ne s’organise pas dans le champ scolaire. Il faut agir dans l’intérêt des enfants, car le risque est grand pour eux tout autant que pour la société. C’est une fenêtre d’opportunité pour divers groupes sociaux médiateurs, des philanthropes modernistes, des élites du droit pénal ou civil, de la psychiatrie, de la magistrature, diverses organisations catholiques etc. Mais pas en tout cas pour les familles organisées en mouvements familiaux, qui défendent plutôt le principe d’assistance pour les familles nombreuses, les allocations familiales pour toutes et autres avantages, craignant trop d’intrusions dans la petite « souveraineté familiale », trop de « police des familles ». Cependant, quelques années plus tard, l’École des parents et des éducateurs voit le jour en 1930, une institution originale qui s’inscrit dans la mouvance familialiste mais fait aussi le pont avec les savoirs cliniques. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 17. 16 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social Il faut dire que bon nombre des textes concernant la protection, en consacrant le critère encore bien théorique de l'intérêt de l'enfant, s’inscrivent dans une logique beaucoup plus individualiste que familialiste. D’autant que ce critère de l'intérêt de l'enfant marque ainsi un changement de paradigme, tant pour la régulation des difficultés au sein de la famille, avec ou sans son accord, que dans la société. Il est en cela un des vecteurs de la professionnalisation. C’est dans ces conditions que s’inventent l’assistance éducative et les éducateurs. Cependant, concrètement, les rapports entre prévention de l’enfance et champ familial ne sont pas aussi simples. Les « familiaux » ne sont eux- mêmes pas exempts de volontés normalisatrices. Après la guerre, les UDAF reçoivent, par exemple, la charge de près de 75% des mesures de tutelle aux prestations sociales, administratives en 1941 puis judiciarisées en 1946. Un sorte de « police interne des familles » (Chauvière, 1999b ; Chauvière, 2000a). Conclusion : bilan et limites de la néo-familialisation Avec cette même grille d’analyse, d’autres domaines devraient encore être abordés : la balance pauvreté personnelle et pauvreté familiale (à propos du RMI comme droit individuel ou comme droit familial, en rappelant ce que signifie l’obligation alimentaire et le fait qu’il ne s’agit que d’une allocation différentielle en appelant à d’autres solidarités plus familiales ; ou encore, en matière de logement, à propos d’un rapport du Haut comité population et famille qui hésitent à développer un raisonnement trop ouvertement familialiste) ; les relations liées et déliées de la famille et de la jeunesse (entre le rapport Charvet au CGP : « Jeunesse, devoir d’avenir » et la conversion des approches de la jeunesse en approches de l’adolescence, problématique plus familialiste, s’il en est lors de la Conférence de la famille de 2004) ; les liens entre famille et immigration (comment faire le départ entre main d’œuvre, regroupement familial, natalité et intégration) ; le thème on ne peut plus européen de la conciliation vie de famille/vie de travail également soutenu lors des Conférences de la famille, bien qu’il concerne pour large part le report des investissements féminins sur les régulations intra-familiales ; l’invention de la médiation familiale comme profession à part entière, avec diplôme d’État, comme consolidation du familial et accroissement du ciblage des situations sociales problématiques ; le projet de familiarisation (sic) de la CSG (information parue dans la presse, début octobre 2005), l’extension de la solvabilité familiale couplée à l’identité civile familiale, via la carte de familles nombreuses 20 qui vient tout juste d’être relookée, avec introduction symbolique d’une Marianne, et surtout revalorisée (suite à la Conférence de la famille de 2005), etc. Ces derniers exemples montrent que le repli familialiste est bien à l’ordre du jour, sous une forme solidariste et/ou parentaliste ou par simple économie politique, et cela, en tout cas, quasi indépendamment de la réalité des pratiques familiales privées aujourd'hui, celle qui se mesure en statistiques de la nuptialité ou de la divortialité ou en termes de recomposition des alliances ou encore en considérant la démultiplication libérale des formes concrètes du « faire famille ». En d’autres termes, le familialisme n’est pas effondré quand bien même ses bases sociales se sont-elles visiblement transformées, si l’on suit l’analyse de Rémi Lenoir (2003). Il est plutôt devenu omniprésent et banalisé dans un État social mal en point et critiqué de toutes parts. Cette nouvelle place, congruente avec les problématiques contemporaines du local, de la proximité, de la personne ou du domicile, jouit conjoncturellement d’une légitimité sans pareil, inimaginable par ceux-là mêmes qui avaient tant voulu la mobilisation familiale au début du siècle dernier. Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Dans sa conception même, depuis les origines, cette philosophie politique - au demeurant assez peu élaborée - est tout à la fois intégriste en valeur et assez flexible en actes par réalisme, pourvu qu’une certaine gestalt familiale soit sauvegardée (Chauvière, 2003b). Ce qui demeure sans aucun doute le cas aujourd’hui encore, malgré les alarmes sociologiques ou médiatiques. Finalement, le familial n’est pas un progressisme, c’est plutôt un humanisme conservateur qui a été capable, souvent à reculons, de digérer bien des évolutions, de s’adapter pour 20 Faisant suite à l’obtention de certaines réductions sur les chemins de fer durant la guerre 14/18, la carte de familles nombreuses est instaurée en 1921, après le premier congrès de la natalité, après les loi répressives contre l’avortement et contre la propagande anticonceptionnelle et au même moment que la premières auto-déclaration des droits de la famille. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 18. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 17 survivre. Il en fut ainsi il y a un quart de siècle de la législation libéralisant l’avortement. Il en sera certainement ainsi demain pour la reconnaissance familiale de l’homoparentalité, par quelques moyens qu’on s’y prenne. Ce d’autant qu’il est légaliste, toujours par conservatisme. Restent enfin quelques difficultés et non des moindres : La question de l’école, droit de l’enfant citoyen opposable ou droit de la famille (c’est-à-dire service potentiellement marchandisable, comme aujourd’hui ces entreprises de « consolidation scolaire » qui fleurissent) ; le côte à côte historique du familialisme et du féminisme, avec des convergences et des divergences sur le statut de la personne, du contrat, voire sur celui de l’enfant né ou à naître ; l’hétérosexualisme fondateur du familialisme historique (Chauvière, 2000b) et la question homosexuelle (PACS, mariage, adoption). Une nouvelle page. BIBLIOGRAPHIE ALBERDI Inès, CHAUVIERE Michel, FROTIEE Brigitte (2000), Les politiques du familial en France et en Espagne. Comparaison de quelques catégories d’action publique. Étude exploratoire, GAPP, contrat CNRS-Europe, 72 pages, inédit. ANCELIN Jacqueline (1997), L’action sociale familiale et les caisses d’allocations familiales. Un siècle d’histoire, Paris, Association pour l’étude de l’histoire de la Sécurité sociale. ANTOMARCHI Véronique (2000), Politique et famille sous la IIIe République. 1870-1914, Paris, L’Harmattan. BECCHIA Alain (1991), « Les milieux parlementaires et la dépopulation de 1900 à 1914 », Cahiers internationaux de sociologie, vol. XCI. BECQUEMIN Michèle (2006), Protection de l’enfance : des institutions en quête de légitimité. L’Œuvre Grancher et l’association Olga Spitzer. XIXe - XXe siècle, Thèse de sociologie, EHESS. BRIN Hubert (2006), « Conférence de la famille : une réussite de l’UNAF pour les familles », in Michel Chauvière (coord.), Les mouvements familiaux et leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700 pages, à paraître. BUSSAT Virginie (2003), Les « familiaux » : genèse d’un groupe d’acteurs en 1913 et consolidation institutionnelle sous la Quatrième République, Thèse de sociologie, Université Paris 1-Sorbonne. . BUSSAT Virginie, CHAUVIERE Michel (1997), Les intérêts familiaux à l’épreuve d’une comparaison France-Angleterre. Étude sur une catégorie d’action publique, GAPP/CNRS, Rapport pour la CNAF, 185 pages, inédit. En partie repris dans « Approches comparées du champ familial Les réseaux de défense des intérêts familiaux en France et en Angleterre », Recherches et Prévisions, CNAF, n°52, juin 1998. CHAUVIERE Michel, BUSSAT Virginie (1995), « L’assistance républicaine et la famille. Les enjeux de la loi de 1913 en faveur des familles nombreuses », Grenoble, Colloque CERAT, Un siècle d’assistance républicaine, inédit. CHAUVIERE Michel (1986), « Le baptême républicain de l'Union nationale des associations familiales », Les Cahiers de l'animation, INEP, n°57/58, décembre. CHAUVIERE Michel (1997), « Champ familial. Des usagers aux rapports sociaux d’usage », in Philippe Warin (dir.), Quelle modernisation pour les services publics ? Les usagers au cœur des réformes, Paris, La Découverte, pp. 221-242. CHAUVIERE Michel (1998a), « Corps, institutions et stratégies intermédiaires », Informations sociales, n° 66, 2-98, pp. 48-61. CHAUVIERE Michel (1998b), « Le commissariat général à la famille sous Vichy. Légitimation et organisation publique/privée du champ familial », in Martine Kaluszynski, Sophie Wahnish (dir.), L’État contre la politique ? Les expressions historiques de l’étatisation, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, pp 321-339. CHAUVIERE Michel (1999a), « Équité, mon beau souci. Retour sur quelques enjeux de la réforme des allocations familiales », Sociétés et Représentations, CREDHESS, septembre, pp. 184-204 (Hors- série : Protection sociale : quelle réforme ?). Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 19. 18 Enjeux de la néo-familialisation de l’État social CHAUVIERE Michel (1999b), « Une violence discrète : le mauvais usage des allocations familiales », Vaucresson, Le temps de l’Histoire, n° 2, mai, pp. 143-158 (colloque “ 1898/1998 - 100 ans de répression des violences à enfants ”, CNFEPJJ/Paris 1, 1998). CHAUVIERE Michel (2000a), « La tutelle ou les solidarités familiales à l’épreuve de la norme », in Monique Sassier, Thierry Fossier, Henry Noguès, Gérard Brovelli (dir.), L’avenir des tutelles. Analyse, fondements et prospectives, Paris, Dunod, UNAF, pp. 25-36. CHAUVIERE Michel (2000b), « Le familialisme face à l’homoparentalité », in Martine Gross (dir.), Homoparentalités : état des lieux. Parenté et différence des sexes, Paris, ESF/APGL, pp. 95-108, deuxième édition revue et augmentée, Martine Gross (dir.), Homoparentalités : état des lieu, Ramonville St-Agne, érès éditions, 2005, pp. 135-149 (préface de Jacques Commaille). CHAUVIERE Michel (2000c), « Mobilisations familiales et intérêts familiaux », in Michel Chauvière, Monique Sassier et al. (dir.), Les implicites de la politique familiale, Approches historiques, juridiques et politiques, Paris, Dunod, pp.75-86. CHAUVIERE Michel (2002a), « De la famille à la parentalité. Simple ajustement ou redéfinition normative ? », in Bernard Vossier (dir.), La parentalité en questions. Problématiques et pratiques professionnelles, Andesi/ESF, pp. 55-67. CHAUVIERE Michel (2002b), « Pourquoi la question de la famille est-elle si difficile à penser dans l’expérience républicaine ? », Le Fil à plomb, GLMU, septembre, pp. 6-12 (Colloque au Sénat, Vers de nouvelles solidarités). CHAUVIERE Michel (2003a), « Quatre cibles pour le familial, dans une perspective historique », Informations sociales, n°108 (Le ciblage en question(s), dir. Michel Borgetto), pp. 38-47. CHAUVIERE Michel (2003b), « Savoirs associatifs dans la familialisation du social : les mouvements familiaux », in Yves Lochard & Maud Simonet-Cusset (coord.), L’expert associatif, le savant et le politique, Paris, éditions Syllepse (coll. Le Présent Avenir), pp. 27-37 (colloque du GRASS/CNRS, CEDIAS-Musée social, Savoirs associatifs et construction des politiques sociales. Usages et enjeux de l’expertise associative, juin 2001 - Centenaire de la loi de 1901). CHAUVIERE Michel (2004), Le Travail social dans l’action publique. Sociologie d’une qualification controversée, Paris, Dunod. CHAUVIERE Michel, BUSSAT Virginie (2000),, « Instituer un périmètre pour le familial. Le "Code" de 1939 », in Chauvière M., Bussat V., Famille et codification : le périmètre du familial dans la production des normes, Paris, Mission de Recherche Droit et Justice, La Documentation française, 208 pages CHAUVIERE Michel, DURIEZ Bruno (1995), « Droit au logement contre droit de propriété. Les squatters dans la crise du logement », in Annales de la recherche urbaine, n°66. CHAUVIERE Michel, FROTIEE Brigitte (1997), « De la démographie à la politique. Quand le nombre sert d’argument », Informations sociales, n°58, pp.68-81. CHAUVIERE Michel, MESSU Michel (2003), « Les apories de la solidarité familiale. Contribution à la sociologie des configurations de justice entre les familles et l’État, dans le cas français », Sociologie du travail, volume 45, n°3, décembre. COMMAILLE Jacques, MARTIN Claude (1998), Les enjeux politiques de la famille, Paris, Bayard, 199 pages. DUCLOS Laurent (1996), Paritarisme des conseils d’administration des caisses d’allocations familiales. La médiation des instances de représentation dans la production des services publics, GIP Mutations industrielles, rapport de recherche pour la CNAF, 118 pages. DUCLOS Laurent, MERIAUX Olivier (1997), « Pour une économie du paritarisme », La revue de l’IRES, n°24, printemps-été, pp.43-60. FRIOT Bernard (1997), Puissances du salariat. Emploi et protection sociale à la française, Paris, La Dispute. GARDET Mathias, (2004), Jean Viollet et l’apostolat laïc. Les œuvres du Moulin-Vert (1902-1956), Paris, Beauchesne (précédé de Souvenirs et impressions d’apostolat (1901-1945). Mémoires inédits de Jean Viollet) Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006
  • 20. Enjeux de la néo-familialisation de l’État social 19 GISSEROT Hélène (1996), Pour une politique globale de la famille, Rapport au comité de pilotage de la Conférence de la famille. GRMF éd. (1983), Les mouvements familiaux populaires et ruraux. Naissance, développement, mutations, 1939-1955, Les Cahiers du GRMF, n° 1, (dir. Michel Chauvière et Bruno Duriez). GRMF éd. (1985), L’action familiale ouvrière et la politique de Vichy, Les Cahiers du GRMF, n°3 (dir. Michel Chauvière). GRMF éd. (1995), De la corporation paysanne aux Associations familiales rurales. 1940-1945, Les Cahiers du GRMF/Familles rurales, n° 8 (dir. Yves Ruellan). GRMF éd. (2002), La solidarité en actes. Services collectifs et expression des usagers dans le Mouvement populaire des familles. 1940-1955, Les Cahiers du GRMF, n° 11 (dir. Bruno Duriez, Jean Nizey, Michel Chauvière). LAVENAC Françoise (2002), « Les paradoxes d’une politique de soutien à la parentalité », Vie sociale, CEDIAS, n°3, juillet-septembre, pp. 57-65. LE BRAS Hervé (1991), Marianne et les lapins. L’obsession démographique, Paris, Olivier Orban. LE NAOUR Jean-Yves (2005), La Famille doit voter. Le suffrage familial contre le vote individuel, Paris, Hachette Littératures. LENOIR Rémi (2003), Généalogie de la morale familiale, Paris, Seuil. MESSU Michel (1992), Les politiques familiales. Du natalisme à la solidarité, Paris, Les éditions ouvrières. MILLARD Éric (1997), Familles et droit public. Recherches sur la construction d’un objet juridique, Paris, LGDJ. MINONZIO Jérôme, VALLAT Jean-Philippe (2006), « Évolution de la représentation des intérêts familiaux et des politiques familiales : rôle et spécificités de l’Union Nationale des Associations familiales (UNAF) », in Michel Chauvière (coord.), Les mouvements familiaux et leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700 pages, à paraître. MONTES Jean-François, « La nécessité d’une première réglementation en allocations familiales », Recherches et Prévisions, n°37, septembre 1994. MUEL-DREYFUS Francine (1996), Vichy et l’éternel féminin, Paris, Seuil. PITROU Agnès, (1994), Les politiques familiales. Approches sociologiques, Paris, Syros. PROST Antoine (1984), « La politique familiale en France de 1938 à 1981 », Le Mouvement social, 129. ROSENTAL Paul-André (2003), L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations (1930-1960), Paris, Odile Jacob. S ASSIER M on iqu e (2 0 06), « U NAF, UDAF et décentralisation », in Michel Chauvière (coord.), 00 6), Les mouvements familiaux et leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700 pages, à paraître. STECK Philippe (2002), « Les conférences de la famille et l’évolution de la politique familiale », in Droit Social, n°6, juin, repris in Michel Chauvière (coord.) (2006), Les mouvements familiaux et leur Institution en France. Anthologie historique et sociale, Paris, Comité d’histoire de la Sécurité sociale, 700 pages, à paraître. TALMY Robert (1962), Histoire du mouvement familial (1896-1939), Paris, UNCAF, 2 tomes, Préface du Dr Montsaingeon. THEBAUD Françoise (1985), « Le mouvement nataliste dans l'entre-deux-guerres. l'Alliance nationale pour l’accroissement de la population française », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, avril-juin, tome XXXII. Colloque État et régulation sociale CES-Matisse Paris, 11-13 septembre 2006