Introduction à la pensée de Keynes : Le long terme, c'est maintenant

Université de Mons Giuseppe Pagano -Service de Finances publiques et fiscalité
Mons & Charleroi
Forum financier Charleroi, 5 juin 2019
Europe, 2019

1. Les fées, Eton, Cambridge et Lydia
5. Règle et sanctions vs discrétion et respect des peuples
3. Le long terme,... c’est maintenant !
6. Du carré magique à l’hexagone
7. Tous les animaux étaient égaux, mais certains...
8. Libérer les investissements publics
2. Keynes, le libéralisme actif et le marxisme
4. La Théorie générale pour les (pas si) nuls (que ça)
9. Du Bancor à un mécanisme européen de solidarité
Conclusion : JMK, un économiste différent, un
économiste citoyen

Un exercice académique...
... légèrement hétérodoxe
Ce n’est pas ce que Keynes dirait s’il était encore vivant...
C’est ce (qui ressemble le plus à ce) que Keynes a dit et
écrit.

Libéralisme social : soutient W. Beveridge
Imaginons un village dont les habitants vivent dans des conditions
d'indigence et de détresse; un conservateur dirait : ‘C'est une
situation très navrante, mais malheureusement on ne peut rien
faire’; un libéral, lui, dirait : ‘On doit faire quelque chose’. C'est
pour ça que je suis libéral. (P. 34; R. Harrod (1951), P. 192)
eynes et le libéralisme actif (ou interventionniste)
Soutient le vote des femmes
Soutient la liberté sexuelle
Libéralisme interventionniste : l’Etat est, parfois,... la
solution (lui vaudra d’être rejeté par les libéraux
“conservateurs” : Hayek, Friedman)

eynes et le libéralisme actif (ou interventionniste)
“Pacifiste (?), objecteur de conscience (?) ” (... mais
pas naïf !)
Respect des peuples. S’oppose aux sanctions démesurées
contre l’Allemagne prévues par le Traité de Versailles :
The Economic Consequences of the Peace (1919)

Keynes et le marxisme
Dans une lettre à G. B. Shaw, le 2 décembre 1934, il écrivait à
propos de Das Kapital :
C'est ennuyeux, suranné et le débat académique n'est pas du tout
adapté à l'objet [...]. Quelle que soit la valeur sociologique du
Capital, je suis persuadé que sa valeur économique contemporaine
(mis à part quelques passages épisodiques où l'on retrouve des
idées intéressantes, mais non constructives) est nulle. (P. 42)

[...] je crois être en train d’écrire un livre de théorie économique
qui, dans une large mesure, révolutionnera [...] la façon dont le
monde pense les problèmes économiques [...]. Il y aura un grand
changement et, en particulier, les fondements ricardiens du
marxisme seront renversés. [...].
Lettre à G. B. Shaw, le 1er janvier 1935. (P. 9).
Principe d’efficacité : les systèmes inefficaces (l’économie
de marché en 1930, l’URSS en 1989,...) sont en danger
A Short View of Russia (1925)
Le sens de l’urgence : sortir de la crise rapidement
End this Depression Now; P. Krugman (2012)

La nouvelle économie mondiale crée un divorce inédit entre
l’attente qu’elle fait naître et la réalité qu’elle fait advenir.
D. Cohen, La mondialisation et ses ennemis, P. 17

Le long terme est un guide trompeur pour les affaires courantes. À
long terme, nous sommes tous morts. Les économistes se fixent une
tâche trop aisée, et peu utile s'ils peuvent seulement nous dire que
lorsque l'orage sera passé, l'océan sera à nouveau plat. (P. 44. J.
M. Keynes, A Tract on Monetary Reform (1923), P. 80)
Keynes s’oppose surtout à l’inertie et au “long-termisme de
l’inaction”, cherchant par là à empêcher l’enracinement des
problèmes dans la durée. L’expérience indique, par exemple en
matière d’emploi et de chômage, que les problèmes ne se résolvent
pas seuls, et que le retour spontané au plein emploi peut prendre
très longtemps, parfois plusieurs décennies. P. 44.

A la vérité, ce système paraît apte à rester pendant un temps
considérable dans un état d'activité chroniquement inférieur à la
normale, sans qu'il y ait de tendance marquée à la reprise ou à
l'effondrement complet.
J. M. Keynes, General Theory (1936), P. 249.
The Classical view is [...] that full employment does, indeed, not
always exist, but always tends to be established.
A. C. Pigou, Employment and Equilibrium (1941), P. 78

1920
1921
1922
1923
1924
1925
1926
1927
1928
1929
1930
1931
1932
1933
1934
1935
1936
1937
1938
1939
1940
0
2
4
6
8
10
12
14
16
18
20
22
24
TAUX DE CHOMAGE AU ROYAUME-UNI (%)

40 ans de politique néo-classique
20 ans de monnaie “unique” (31 décembre 1999)
27 ans de marché intérieur unique (1992) : libre
circulation, au sein de l’Union, de biens, des
services, des personnes et des capitaux
Large ouverture mondiale :
- ...
- Ceta,
- (TTIP)
22 ans de pacte de stabilité et de croissance (17 juin
1997)

29,4 29,4
30
30,5
30,3 30,3
30,6
30,5
30,7
31
30,8
30,7
30,5
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
26
27
28
29
30
31
9,7
8,9
8,3
8,6
9,1
9,3
9,1
8,4
7,5 7,6
9,6
10,2 10,2
11,4
12
11,6
10,9
10
9,1
8,2
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
6
7
8
9
10
11
12
Taux de chômage
2018 :
13 386 000
Coefficient de Gini
1,23
0,88
2,52
1,03
0,42
0,56
1,9
1995-2018 2000-2018 1995-2000 2000-2005 2005-2010 2010-2015 2015-2018
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
Tx de croissance PIB /
Hab.

Pour une société, un moment donné est toujours le long terme d’un
passé plus ou moins lointain et le court terme d’un passé moins
lointain... Par rapport au traité de Maastricht, 2019 constitue, pour
la société européenne, 27 ans après sa signature, incontestablement,
le long terme. (P. 299.)
Le long terme,... c’est maintenant !
A défaut d’une définition précise, le long terme ressemble à
l’horizon : plus on tente de s’en approcher, plus il s’éloigne... (P.
86)
L’argument du long terme est devenu inaudible ... et les
systèmes inefficaces sont en danger...

L'idée d'abandonner la gestion discrétionnaire et d'opter pour des
règles établies et imposées lui [à Keynes]était totalement
étrangère.[...], il avait une foi absolue en la capacité des hommes
à calculer les effets de leurs actions et à agir de bonne foi. [...] il
était plus un utilitariste d'action qu'un utilitariste de règle.
S. Brittan, Can Democracy Manage an Economy ? (1977), P. 42
Actuellement, la plupart des aspects - mais pas tous - de la
politique européenne sont manifestement [...] akeynésiens.
(P. 221)

Logique de la politique européenne
Base : traité de Maastricht (7 février 1992) + ...
Donc préparé dans le courant des années 1980.
On applique (?) des règles convenues à l’avance et
bétonnées dans les traités, qui sont censées être
“bonnes” en toutes circosntances
2 questions :
1. Les règles sont-elles appliquées ?
2. Que fait-on s’il faut quand même y déroger ?
3. Qu’en est-il des sanctions ?

Les règles sont-elles appliquées ?
Déficits publics # 3 % 1995 et 2017 (Union européenne)
Nombre d’observations : 510 “années-Etats”
Règle respectée : 315 fois = 62,8 %.
Règle non respectée en moyenne des taux : 12 Etats (sur 28)
Transgression de la règle par la Belgique : 8 fois sur 23
Transgression de la règle par l’Allemagne : 9 fois sur 23
Transgression de la règle par l’Italie : 10 fois sur 23
Transgresion de la règle par la France: 16 fois sur 23
Pays ayant toujours respecté la règle : 2 (Lux : 23 et Est : 14)
Nombre d’années de respect par la Grèce : 2 sur 23
Déficit $10 % : 11
Déficit le plus élevé : 32,1 % (Irlande 2010)
Zone Euro : sur 280 cas, la règle observée 172 fois = 61,4 %.
Pour 10 Etats, elle n’est pas respectée, en moyenne des taux.
(Pp. 130 sq)

Les règles sont-elles toujours appliquées ?
Le Traité de Rome interdit les aides d’Etat.
Communiqué de presse de la Commission européenne du 6 juin
2012,
Afin d'assurer la continuité de services financiers essentiels pour les
citoyens et les entreprises, les États ont été contraints d'injecter des
fonds publics dans les banques et de leur accorder des garanties
pour un montant sans précédent: entre octobre 2008 et octobre
2011, la Commission européenne a approuvé environ 4 500
milliards d'euros d'aides d'État en faveur des établissements
financiers, ce qui équivaut à 37 % du PIB de l'UE

Quid s’il faut quand même y déroger ?
[Aux Etats-Unis], rien ne semble avoir été négligé pour
sortir au plus vite de la crise. La réaction de l’Europe est
bien différente. Elle est apparue comme un géant
prisonnier de ses règles et de ses procédures. Des
négociations délicates avec la Commission ont dû être
engagées pour obtenir l’autorisation de subventionner les
secteurs frappés par la crise, la réponse budgétaire a été
encadrée par le pacte de stabilité, [...].
D. Cohen (2004), P. 216

Qu’en est-il des sanctions ?
Keynes a toujours été opposé à l’idée des sanctionner les
Etats.Thème majeur de The Economic Consequences of the
Peace (1919) et de la critique du Traité de Versailles.
Ne devons-nous pas chercher quelque chose de mieux [que
les sanctions], penser que la propsérité et le bonheur d’un
Etat créent le bonheur et la propsérité des autres, que la
solidarité des hommes n’est pas une fiction, et que les
nations doivent toujours traiter les autres nations comme
leurs semblables ? P. 52. J. M. Keynes : The Economic
Consequences of the Peace, P. 251.
Keynes exploded : “you cannot treat a great nation as if it
were a bankrupt company.” (10 novembre 1945) R.
Skidelsky (2003), P. 812.

Qu’en est-il des sanctions ?
Puisqu’elles n’ont jamais été appliquées, ...
si on les supprimait ?...
Ou si on décidait officiellement de ne pas les appliquer
pendant uncertain temps ?.
A ce jour, aucune procédure de sanction pour déficit
excessif n’a abouti. En particulier, en 2003,le Conseil a
refusé de sanctionner la France et l’Allemagne, malgré la
proposition de la Commission,et... la Cour européenne de
Justice lui a donné raison ! (P. 286)

Logique “keynésienne” élargie
4 | 6 objectifs : “hexagone magique”
- croissance
- plein emploi,
- stabilité des prix,
- équilibre extérieur
- réduction des inégalités
- sauvegarde de l’environnement
2 (+) instruments
- politique monétaire
- politique budgétaire
- politique de change
- ...
. Kaldor (1908
1986)

5. Règle ou discrétion ?
Dans Animal Farm, [...]que George
Orwell écrivit en 1944, tous les animaux
sont égaux, mais certains sont plus
égaux que les autres... P. 304

Logique “keynésienne” élargie
4 | 6 objectifs : “hexagone magique”
2 (+) instruments
Tous les
objectifs
sont égaux
(a priori)
L’importance relative des objectifs,
le choix et l’ampleur de
mobilisation des instruments se fait
de façon “éclairée” en fonction des
circonstances auxquelles
l’économie se trouve réellement
confrontée.

Logique de la politique européenne
Le traité ne mentionne pas l’objectif de plein emploi
Le traité ne mentionne pas la réduction des inégalités et
l’Union n’a pas d’objectif de réduction des inégalités
(seulement de la pauvreté)
Le budget cesse d’être un instrument et devient un objectif
Un objectif prioritaire : stabilité des prix (2 %), mission
de la BCE indépendante : L’objectif principal du Système
européen de banques centrales [...] est de maintenir la
stabilité des prix (Art 127 § 1 du traité)

Mario Draghi : quantitative easing... 22 janvier 2015
Logique de la politique européenne : nuances...
Sans préjudice de la stabilité des prix, la BCE apporte son soutien
aux politiques économiques générales de la Communauté
européenne (Art 127 § 1 du traité)
(La BCE applique une “certaine” règle de Taylor)

Keynes était favorable à une politique budgétaire de
relance, mais majoritairement (ou même uniquement) via
les investissements. Il s’opposait en cela à son
collaborateur James Meade (1907 - 1995 , PNE en 1977)
Il a longtemps demandé une distinction, au sein du budget
du Royaume, entre “current budget” et “capital budget”.
Transformer la règle des “3 %” en
0 % pour les opérations courantes
“liberté totale” pour les opérations en capital
Correspond à la vieille “règle d’or” (et au bon sens).

Pour relancer l’économie européenne, avec un plan
coordonné par l’Union
Parce que les infrastructures publiques (autoroutes, rails,
canaux, écoles,...) en ont besoin
2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3
3,5
4
ZE Bel
Investissements publics en % du PIB

S’oppose à l’adage (allemand) “un euro (de dette) est un
euro”.
Permet d’exploiter les taux d’intérêts historiquement très
faibles :
0.36 % pour les OLO Etat belge à 10 ans
ou négatifs
-0.198 % pour le Bund 10 ans;
- 0.28 % pour les OLO 5 ans

Accords de Bretton Woods
Keynes dirige la délégation britannique : “Plan Keynes”
H.D. White dirige la délégation améircaine : “Plan White”
signés le 22 juillet 1944, Séance inaugurale à Savannah, 18
mars 1946)

Keynes propose une monnaie mondiale : le Bancor (pas
unique) + une “Clearing Union”
Echanges internationaux payés en Bancor via la CU
Les pays déficitaires reçoient automatiquement des prêts
en Bancor
Les pays éxcédentaires... doivent verser une partie de leurs
excédents en bancor
Eviter d’écraser la demande dans les pays déficitaires
Les Américains préfèreront... le dollar !

“l’étalon dollar or” : parités fixes mais ajustables (voir
Indian Currency and Finance, 1913). Tiendra jusqu’en
1973, (8 janvier 1976, accord dit de la Jamaïque)
Création de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International
Pour Keynes, le FMI remplace la Clearing Union

La Zone Euro n’a pas de“Clearing Union”
“Chocs asymétriques”, les pays les plus durement touchés
doivent procéder à une “dévaluation intérieure” qui revient
à comprimé la demande... qui baisse pour les autres pays
aussi !
D’où l’idée d’un mécanisme de “solidarité” qui atténuerait
le choc, comme l’aurait fait la Clearing Union, pour les
pays déficitaires et... la baisse de la demande pour les
autres

= 0.13199 %
P. 224
2017

B. Maris, “Oncle Bernard” (1946, 7 janvier 2015), Keynes ou
l’économiste citoyen (1999)
économiste citoyen
Les économistes ne font pas la civilisation, mais il leur revient de
la rendre possible...
J. M. Keynes discours de 1945, cité par R. Harrod (1951), P.
194.

Ce que Keynes nous apportait, c’était l'enthousiasme d'un
nouveau départ [...]. Finalement, Keynes nous donna espoir.
L'espoir que la prospérité pouvait être retrouvée et maintenue sans
recours aux prisons, aux exécutions et aux interrogatoires
bestiaux… [...], beaucoup d'entre nous eurent le sentiment qu'en
suivant Keynes, [... on]pouvait sauver le monde. (Pourquoi pas
l’Europe ?)
L. Tarshis (étudiant de Keynes en 1935), cité par R. Skidelsky
(1992), P. 574
économiste citoyen

JMK, un économiste différent, un économiste citoyen
5 idées
1. Inscrire dans les traités, à égalité d’importance, les 6 objectifs
de l’hexagone : stabilité des prix, plein emploi, croissance
économique, équilibre extérieur, réduction des inégalités, réduction
des gaz à effet de serre
2. Remplacer le critère de 3 % par l’équilibre strict (hors crises)
des opérations courantes
3. Supprimer (suspendre) les procédures de sanctions et de
délation; les remplacer par une discussion annuelle entre nations
qui se respectent mutuellement
4. Créer un mécanisme (limité) de solidarité au sein de la Zone
Euro
5. Maintenir une politique monétaire qui tient compte des
circonstances

Merci pour votre attention.
Contrairement aux cendres, les idées ne se dispersent pas
facilement, et celles de Keynes perdureront aussi longtemps que le
monde en aura besoin...
R. Skidelsky (2003), P. 853.
La crise des subprimes a rappelé à qui voulait l’oublier la
puissance du raisonnement keynésien.
D. Cohen, La prospérité du vice, P. 285

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