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PSYCHOTHÉRAPIE
 180   Diabète  Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053  
*Professeur de thérapeutique, psychothérapeute, praticien EMDR Europe, HTSMA Président d’Ical (Institut des conduites alimentaires), président du Collège des alcoologues
Aquitains, administrateur de la Société française d’alcoologie et fondateur responsable du Diplôme universitaire de pathologie de l’oralité.
Les thérapies narratives
Introduction
Dernier en date des courants de la thérapie fami-
liale et des thérapies brèves, la thérapie narrative
est une approche de la relation d’aide qui prône le
respect et le non-jugement. Sa pratique consiste
en la transformation des récits qui constituent
notre identité grâce, entre autres, à l’externalisa-
tion du problème et à la recherche d’exceptions.
La dimension de la mise en récit avec le concept
d’identité narrative (1) est la création concep-
tuelle de Paul Ricœur (2), ayant pour but de ré-
pondre aux impasses du mode de pensée logico-
scientifique qui n’arrivent pas à rendre compte de
la spécificité humaine. Selon Nancy Huston (3),
les narrations sont ce qui différencie l’homme de
l’animal : « Nous seuls percevons notre existence
comme une trajectoire dotée de sens (signification
et direction). Un arc. Une courbe allant de la nais-
sance à la mort. Une forme qui se déploie dans le
temps avec un début, des péripéties et une fin. En
d’autres termes : un récit. »
Pr Gérard Ostermann*
Résumé
Paul Ricœur a posé la question de l’identité
comme une identité narrative. Nous décrivons
comment l’approche narrative, développée par
Michael White et David Epston, permet de donner
corps à ce concept. Les conversations thérapeu-
tiques permettent au sujet de déconstruire l’his-
toire dominante et ses conclusions identitaires
négatives pour construire une histoire alterna-
tive plus riche. Cette construction s’appuie sur
les questions externalisantes et la mise en évi-
dence des exceptions. Le sujet redevient auteur
de sa propre vie en tissant, à partir des moments
d’exception, des histoires relationnelles où ses
actions correspondent à ses intentions.
Abstract
Narrative therapy
Paul Ricoeur has developed the conception of identity based on
the narration of oneself, we will describe here how the narra-
tive approach theorized by Michael White and David Epston is
presented. Both authors translate this concept to everyday life.
Therapeutic conversations allow the subject to deconstruct
the dominant story of oneself along with its negative corollary
about identity in order to build a richer alternative story. This
construction is based on externalising questions and the hi-
ghlight of exceptions. Thus the subject reauthors one’s own life
by weaving from these exceptions relational stories in which
actions fit with intentions.
Au royaume des chiffres, toujours entendre le récit et compter sur l’être. Oscar Wilde
Les thérapies narratives
 Diabète  Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 105   1811
Identité
Narrative
Paysage de l’intentionPaysage de l’action
Paysage de la relation
FIGURE 1 - Les trois paysages de l’identité narrative (Betbeze J).
IDENTITÉ NARRATIVE
ET PAYSAGES
Lorsque nous recevons des patients,
ces derniers nous racontent des his-
toires qui le plus souvent sont répé-
titives. Ils expriment une plainte, un
désaccord entre ce qu’ils souhaitent
et ce qu’ils subissent. Ce type d’his-
toire peut être qualifié “d’histoire
pauvre”, le sujet n’arrivant pas à y
trouver une place d’auteur, se décri-
vant comme prisonnier d’une his-
toire dominante qu’il subit. Quelle
différence y a-t-il entre ce type d’his-
toire et une bonne histoire vécue par
le sujet comme participant de son
expérience de vie ?
■■ LES PAYSAGES DE L’ACTION
ET DE LA CONSCIENCE
Comme l’a enseigné Jérôme Bru-
ner (4), une histoire se construit
simultanément à partir de deux
paysages  : celui de l’action, que
l’on peut considérer comme la
“grammaire de l’histoire”, et celui
de la conscience (que savent ceux
qui sont impliqués dans les évé-
nements, que pensent-ils, que
sentent-ils  ?). Une histoire décrit
ainsi des événements reliés en sé-
quences à travers le temps autour
d’une intrigue qui donne sens au
déroulement narratif. Pour un sujet,
une bonne histoire est une histoire
qui ne se laisse pas enfermer dans
un cadre rigide, mais qui laisse de
l’espace à des modes de vie qu’il
apprécie.
■■ LE PAYSAGE
DE LA RELATION
Pour décrire avec plus de précisions
ce type d’histoire, il nous paraît utile
de rajouter un troisième paysage,
celui de la relation qui permet au
sujet de vivre l’expérience de la
reconnaissance ainsi que de per-
cevoir le lien entre ses actions et
ses intentions. Ce troisième pay-
sage est en fait le premier, comme
l’ont montré Gregory Bateson (5)
et la théorie de l’attachement de
John Bowlby. C’est à partir de la
relation que nous vivons que nous
percevons le monde et que nous
pouvons construire nos actions, et
cette relation à l’autre est aussi le
chemin de la relation à soi. Dans
toute thérapie, la relation à l’autre,
la relation au monde et la relation
à soi, sont les trois dimensions qui
permettent de rendre compte de
l’expérience du sujet. La relation à
l’autre est un espace de coopéra-
tion et de reconnaissance, celle au
monde est un espace dans lequel le
sujet agit. Quant à la relation à soi,
elle s’exprime au travers du prisme
des intentions et des valeurs (Fig 1).
L’identité narrative de chacun se
construit donc au travers d’his-
toires qui rendent compte des mo-
ments forts de sa vie, à partir d’un
tissage entre ces trois paysages.
LES PÈRES FONDATEURS
DE L’APPROCHE
NARRATIVE
La thérapie narrative est issue
des travaux de Michael White et
David Epston (6) datant des an-
nées 1980-90 :
Michael White exerçait à Adé-
laïde (Australie), ville où il fonda
en 1983 le Dulwich Centre, qu’il
dirigea jusqu’en 2007 avant de
fonder un nouveau centre, le Nar-
rative Practices Adelaide. Disparu
trop tôt (à 60 ans en 2008), White
est certainement l’homme le
plus connu et le plus représenta-
tif de ce mouvement. Travailleur
social en Australie du Sud, formé à
l’école de Palo Alto (avec Gregory
Bateson), il a animé de nombreux
séminaires à travers le monde
(Amérique du Nord, du Sud, cen-
trale, Asie, Afrique, Scandinavie,
Grande-Bretagne). Il a fourni aux
thérapeutes les éléments leur
permettant d’organiser leur tra-
vail de façon structurée (7).
David Epston, a quant à lui une
formation à l’hypnose Erickson-
nienne. Il a accompagné Michael
White tout au long de l’élabora-
tion de cette pratique et poursuit
l’activité à Auckland (Nouvelle-Zé-
lande). Il est notament à l’origine
de lettres adressées aux patients
après les séances pour en renfor-
cer l’impact (8).
Ces deux auteurs, créateurs de la
thérapie narrative, se sont inté-
PSYCHOTHÉRAPIE
 182   Diabète  Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053  
ressés à l’apport de la philosophie
française, que ce soit Paul Ricœur
ou la philosophie critique (Michel
Foucault, Jacques Derrida…).
L’œuvre de Michael White connaît
un grand développement en
France grâce à Julien Betbeze
(9), psychiatre des hôpitaux, chef
du Service d’accueil familial thé-
rapeutique de Loire Atlantique,
membre de l’AREPTA (Institut Mil-
ton Erickson de Nantes) et de la
Fabrique Narrative, créée à Bor-
deaux par Pierre Blanc-Sahnoun
en 2009.
QUELQUES POSTULATS
DES PRATIQUES
NARRATIVES :
Nous commencerons par aborder
quelques notions fondamentales
qui composent le modèle et le
sous-tendent :
• L’identité narrative est une iden-
tité relationnelle.
• «  Le problème est le problème  ;
la personne est la personne  ». La
personne n’est pas le problème.
Le problème doit être séparé de
la personne. Il n’est pas le reflet
exact de son identité.
• Personne ne désire ni ne choi-
sit d’avoir des problèmes  : le
problème apparaît comme une
contrainte.
• Le contexte de vie de la per-
sonne, son entourage, contribue
de façon significative à la vie du
problème, même involontaire-
ment.
• Chacun peut redevenir l’auteur
de ses histoires de vie.
• Quand une personne vient voir
un spécialiste, elle a déjà tenté
des tas de choses pour diminuer
l’influence du problème sur sa vie
et sur ses relations.
• «  En général, les problèmes en-
traînent les gens à formuler des
conclusions minces sur leur vie
et sur leurs relations. La plupart
du temps, ces conclusions les ont
conduits à considérer qu’ils étaient
déficients, ce qui leur complique
l’accès à leurs savoirs, leurs com-
pétences, leurs talents et leurs apti-
tudes. » (10)
• Il y a toujours des moments dans
la vie des personnes où elles ont
échappé à l’influence du problème.
• Le praticien a la responsabilité
d’établir un contexte de curiosités
de respect et de transparence.
• Un des points forts les plus
importants de l’approche narra-
tive est de savoir guider la per-
sonne dans la recherche et la
reconnexion avec ses ressources
cachées, celles qui n’ont pas été
prises en compte au regard de
leur histoire “dominante”. La rela-
tion thérapeutique est fondée sur
la collaboration.
CONVERSATIONS
THÉRAPEUTIQUES
(LES CARTES
NARRATIVES DE
MICHAEL WHITE)
On ne peut pas éteindre le
noir, mais on peut allumer la
lumière de l’attention.
■■ LA CARTE N’EST PAS
LE TERRITOIRE
Chaque personne possède sa
propre carte ou sa propre percep-
tion de la réalité et réagit en fonc-
tion de celle-ci. Aucune carte indi-
viduelle n’est plus vraie ou plus
réelle qu’une autre. Les cartes les
plus pertinentes sont celles qui
offrent le plus grand nombre de
choix et non pas celles qui sont les
plus réelles ou les plus justes.
Dans certaines situations, il est
très difficile pour le thérapeute
de mettre en évidence, dans les
histoires du sujet, des moments
où ce dernier prend des initiatives
en relation avec ses valeurs pré-
férées. Il en est ainsi lorsque la
vie de l’intéressé s’est organisée
autour d’un problème chronique
(comme l’obésité et les troubles
des conduites alimentaires) qui
modèle certains comportements
et favorise le développement
d’histoires centrées sur un senti-
ment d’incompétence.
Sur quel terrain se fait le ques-
tionnement  ? D’où vient-il  ? Les
questions viennent de la vie et
elles ont pour objectif de créer une
différence, une ouverture à une
autre appréciation ou une autre
explication de la différence dans
le but d’arrêter que “ça tourne en
rond”. Pour construire leurs inter-
ventions, les praticiens en narra-
tif vont s’appuyer sur des cartes
qui se présentent comme autant
de «  métaphores des divers écha-
faudages qu’il est possible de bâtir
au cours de la conversation afin de
fournir un appui à la progression du
patient… Les cartes narratives n’ont
pas vocation à être utilisées comme
des protocoles ou des méthodes de
travail à respecter à la lettre » (11).
Les questions sont toujours cen-
trées sur le processus relationnel.
Il est possible de diviser ces cartes
du questionnement thérapeutique
en deux grands groupes.
■■ LES CARTES PERMETTANT
DE DÉCONSTRUIRE LES
REPRÉSENTATIONS
Il s’agit de “la carte d’externa-
lisation du problème”, “la carte
du contexte et du discours” et “la
carte de l’absent implicite”. Elles
maintiennent les patients dans
une dissociation.
Le questionnement thérapeutique
a, dans un premier temps, pour
Les thérapies narratives
 Diabète  Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 105   1831
but de déconstruire les soubas-
sements de l’histoire dominante
qui soutient la plainte, pour faire
émerger des moments uniques
(en termes d’actions, de valeurs
ou de relations) qui donnent vie à
des histoires jusque-là négligées.
Les patients qui consultent sont en
général convaincus que les pro-
blèmes auxquels ils sont confron-
tés sont en rapport étroit avec leur
propre structure de personna-
lité – leur caractère, leur identité,
leur désir ou leur non-désir – avec
celle des autres, ou encore avec la
nature des relations qu’ils entre-
tiennent avec ces derniers. Leur
manière même de parler traduit
cette conviction que le problème
est inhérent à leur personne : « Je
suis obèse ; je suis boulimique ; je
suis anorexique ; je suis déprimé ».
L’emploi du verbe “être” exprime
bien leur conviction d’avoir intégré
un état qui les définit désormais
en leur totalité  ; ils ne sont plus
hommes ou femmes, doués ou
stupides, mais “obèses”, “bouli-
miques”, “anorexiques”…
 Le questionnement externa-
lisant
Michael White a développé un
point de vue situé radicalement à
l’opposé de celui qui vient d’être
décrit et a conçu un mode de
questionnement particulier, dit
questionnement externalisant. Il
permet à toute personne enfer-
mée dans une détermination iden-
titaire négative de retrouver accès
à des possibilités jusque-là dé-
laissées ou même non formulées.
L’externalisation du problème va
être au cœur même de la mise en
œuvre des pratiques narratives.
Le thérapeute va ainsi aider le
patient à nommer précisément le
problème afin qu’il parvienne à lui
attribuer une identité propre ayant
place d’événement extérieur qui
l’en dissocie et lui fasse retrouver
alors son “être-une-personne” en
sa singularité.
Ainsi, dès qu’une émotion désa-
gréable ou un sentiment pénible
apparaît (anxiété, tristesse, co-
lère, culpabilité, honte…), il est
souhaitable de formuler des ques-
tions de manière externalisée, de
façon à créer un espace de liber-
té : « Depuis quand l’anxiété est-elle
rentrée dans votre vie  ? Que vous
amène à faire la colère ? Comment
la tristesse a-t-elle essayé de vous
convaincre de rester seul avec vous-
même ? Qu’est-ce que la dépression
a envie que vous croyiez sur vos ca-
pacités ? Comment la culpabilité s’y
prend-elle pour vous convaincre de
ne prendre aucune initiative ? »
■■ LES CARTES PERMETTANT
D’EXPLORER DE NOUVEAUX
PAYSAGES
Il s’agit ici de “la carte de l’excep-
tion”, “la carte du remembering”,
“la carte de l’intention” et “la
valeur et la carte du témoin exté-
rieur”… Elles vont favoriser le tra-
vail de réassociation.
Grâce aux questions posées par
le thérapeute, un certain nombre
d’expériences vécues, que l’his-
toire dominante n’intègre pas
complètement, va pouvoir être mis
en évidence. Ce sont des moments
où le patient se sent capable, où il
prend des initiatives et où il arrive
à réaliser des actions qui sont pour
lui significatives. Michael White a
appelé ces expériences en contra-
diction avec l’histoire dominante
“des moments d’exception”. En
permettant au sujet de reprendre
contact avec des moments d’ex-
ceptions, le thérapeute va par ses
questions développer des conver-
sations qui, en tissant à travers le
temps entre les trois paysages de
l’identité, font découvrir au sujet
les clefs de sa propre vie. Ces
moments d’exception décrivent
des situations dans lesquelles le
sujet se sent vivant, réassocié,
c’est-à-dire des moments à partir
desquels il pourra faire de nou-
veaux choix dans sa vie. Et lorsque
le sujet, en réponse aux questions
du thérapeute, s’interroge, réflé-
chit et raconte des histoires, il ne
sait pas encore, de même que le
thérapeute, où celles-ci vont le
mener. Il s’agit d’un voyage qui
va amener le sujet du connu et
du familier vers l’inconnu et le
possible. Chaque voyage façonne
une histoire à multiniveaux dans
laquelle les patients deviennent
créateurs de sens. Peu à peu,
une nouvelle histoire de vie va se
dessiner, mettant en lumière une
identité plus satisfaisante pour le
sujet. C’est à partir de là que vont
devoir intervenir les membres de
son entourage : « on ne change pas
seul son identité  », la façon dont
les autres nous perçoivent contri-
buant largement à la construction
de celle-ci. Ce sera la fonction
des “conversations de regroupe-
ments” (remembering) qui donne-
ront aux patients la possibilité de
remanier la liste des membres de
son “club de vie” (les personnes
importantes pour lui).
 Exemples de questions :
« Pouvez-vous me parler de la façon
dont cette personne a contribué
à votre existence ? Que vous a ap-
porté cette personne ? Que faisiez-
vous lorsque vous étiez avec elle ?
Comment cela se passait-il  ? Où  ?
Quand ? Que cette personne vous a-
t-elle invité à partager ? À quoi vous
a-t-elle invité à prendre part  ? En
quoi votre vie a-t-elle été influencée
par cette personne ? etc. »
Pour faciliter le dialogue, le thé-
PSYCHOTHÉRAPIE
 184   Diabète  Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053  
1.Betbeze J, Ostermann G. L’identité narrative. La lettre du Psychiatre 2015 ; 5 : 126-32.
2.Ricoeur P. Les paradoxes de l’identité. L’information psychiatrique 1996 ; 3 : 201-6.
3.Huston N. L’espèce fabulatrice. Arles : Acte sud, 2008.
4.Bruner J. Culture et modes de pensée, l’esprit humain dans ses œuvres. Paris : Retz, 2000.
5.Wittezaele JJ. L’Homme Relationnel. Paris : Seuil, 2003.
6.White M, Epston D. Les moyens narratifs au service de la thérapie. Bruxelles : Satas, 2003.
7.White M. Cartes des pratiques narratives. Bruxelles : Satas, 2009.
8.Epston D. Catching up. Adelaide : Dulwich Centre Publication, 1998.
9.Betbeze J. La thérapie narrative de Michael White. In : Thérapies brèves : principes et outils pratiques. Paris : Elsevier
Masson, 2013.
10.Morgan A. Qu’est-ce que l’approche narrative ? Paris : InterÉditions, 2015.
11.Blanc-Sahnoun P, Dameron B. Comprendre et pratiquer l’approche narrative, concepts fondamentaux et cas expliqués.
Avec un texte inédit de Michael White. Paris : InterÉditions, 2009.
Bibliographie
rapeute questionne à partir d’une
position décentrée et influente.
Cette notion “décentrée” signi-
fie que le thérapeute accorde la
priorité aux connaissances et
aux compétences des personnes,
celles-ci ayant un rôle d’auteur
principal. L’influence du praticien
vise à soutenir le processus créa-
tif par le biais d’un échafaudage de
questions qui explore de nouveaux
territoires, sur lesquels le sujet va
pouvoir s’interroger.
CONCLUSION
Par le nouveau regard qu’elle
propose sur les apports entre les
problématiques psychologiques
et de l’identité, la thérapie narra-
tive, profondément humaniste par
son aspect collaboratif, apporte un
souffle nouveau dans le champ des
psychothérapies. Pour faciliter à ce
moment-là le dialogue, le théra-
peute questionne à partir d’une po-
sition décentrée et influente. Cette
notion “décentrée” signifie que le
thérapeute accorde la priorité aux
connaissances et aux compétences
de la personne qui s’exprime. L’in-
fluence du praticien vise ainsi à
soutenir le processus créatif par la
mise en jeu d’un questionnement à
la découverte de territoires incon-
nus, à la recherche des clés d’une
nouvelle histoire à écrire, une his-
toire qui reconnecte la personne
avec ses profondes aspirations, ses
valeurs et ses rêves, une histoire
qui libère au lieu d’enfermer. n
✖✖ L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec
Larena Santé.
Mots-clés
Conversation thérapeutique, Coopéra-
tion, Dissociation, Exception, Histoire
alternative, Histoire dominante, Iden-
tité narrative, Réassociation
Keywords
Therapeutic conversation, Cooperation,
Dissociation, Exception, Alternative
story, Dominant story, Identity lands-
cape, Reassociation

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Ostermann les-therapies-narratives

  • 1. PSYCHOTHÉRAPIE  180   Diabète Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053   *Professeur de thérapeutique, psychothérapeute, praticien EMDR Europe, HTSMA Président d’Ical (Institut des conduites alimentaires), président du Collège des alcoologues Aquitains, administrateur de la Société française d’alcoologie et fondateur responsable du Diplôme universitaire de pathologie de l’oralité. Les thérapies narratives Introduction Dernier en date des courants de la thérapie fami- liale et des thérapies brèves, la thérapie narrative est une approche de la relation d’aide qui prône le respect et le non-jugement. Sa pratique consiste en la transformation des récits qui constituent notre identité grâce, entre autres, à l’externalisa- tion du problème et à la recherche d’exceptions. La dimension de la mise en récit avec le concept d’identité narrative (1) est la création concep- tuelle de Paul Ricœur (2), ayant pour but de ré- pondre aux impasses du mode de pensée logico- scientifique qui n’arrivent pas à rendre compte de la spécificité humaine. Selon Nancy Huston (3), les narrations sont ce qui différencie l’homme de l’animal : « Nous seuls percevons notre existence comme une trajectoire dotée de sens (signification et direction). Un arc. Une courbe allant de la nais- sance à la mort. Une forme qui se déploie dans le temps avec un début, des péripéties et une fin. En d’autres termes : un récit. » Pr Gérard Ostermann* Résumé Paul Ricœur a posé la question de l’identité comme une identité narrative. Nous décrivons comment l’approche narrative, développée par Michael White et David Epston, permet de donner corps à ce concept. Les conversations thérapeu- tiques permettent au sujet de déconstruire l’his- toire dominante et ses conclusions identitaires négatives pour construire une histoire alterna- tive plus riche. Cette construction s’appuie sur les questions externalisantes et la mise en évi- dence des exceptions. Le sujet redevient auteur de sa propre vie en tissant, à partir des moments d’exception, des histoires relationnelles où ses actions correspondent à ses intentions. Abstract Narrative therapy Paul Ricoeur has developed the conception of identity based on the narration of oneself, we will describe here how the narra- tive approach theorized by Michael White and David Epston is presented. Both authors translate this concept to everyday life. Therapeutic conversations allow the subject to deconstruct the dominant story of oneself along with its negative corollary about identity in order to build a richer alternative story. This construction is based on externalising questions and the hi- ghlight of exceptions. Thus the subject reauthors one’s own life by weaving from these exceptions relational stories in which actions fit with intentions. Au royaume des chiffres, toujours entendre le récit et compter sur l’être. Oscar Wilde
  • 2. Les thérapies narratives  Diabète Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 105   1811 Identité Narrative Paysage de l’intentionPaysage de l’action Paysage de la relation FIGURE 1 - Les trois paysages de l’identité narrative (Betbeze J). IDENTITÉ NARRATIVE ET PAYSAGES Lorsque nous recevons des patients, ces derniers nous racontent des his- toires qui le plus souvent sont répé- titives. Ils expriment une plainte, un désaccord entre ce qu’ils souhaitent et ce qu’ils subissent. Ce type d’his- toire peut être qualifié “d’histoire pauvre”, le sujet n’arrivant pas à y trouver une place d’auteur, se décri- vant comme prisonnier d’une his- toire dominante qu’il subit. Quelle différence y a-t-il entre ce type d’his- toire et une bonne histoire vécue par le sujet comme participant de son expérience de vie ? ■■ LES PAYSAGES DE L’ACTION ET DE LA CONSCIENCE Comme l’a enseigné Jérôme Bru- ner (4), une histoire se construit simultanément à partir de deux paysages  : celui de l’action, que l’on peut considérer comme la “grammaire de l’histoire”, et celui de la conscience (que savent ceux qui sont impliqués dans les évé- nements, que pensent-ils, que sentent-ils  ?). Une histoire décrit ainsi des événements reliés en sé- quences à travers le temps autour d’une intrigue qui donne sens au déroulement narratif. Pour un sujet, une bonne histoire est une histoire qui ne se laisse pas enfermer dans un cadre rigide, mais qui laisse de l’espace à des modes de vie qu’il apprécie. ■■ LE PAYSAGE DE LA RELATION Pour décrire avec plus de précisions ce type d’histoire, il nous paraît utile de rajouter un troisième paysage, celui de la relation qui permet au sujet de vivre l’expérience de la reconnaissance ainsi que de per- cevoir le lien entre ses actions et ses intentions. Ce troisième pay- sage est en fait le premier, comme l’ont montré Gregory Bateson (5) et la théorie de l’attachement de John Bowlby. C’est à partir de la relation que nous vivons que nous percevons le monde et que nous pouvons construire nos actions, et cette relation à l’autre est aussi le chemin de la relation à soi. Dans toute thérapie, la relation à l’autre, la relation au monde et la relation à soi, sont les trois dimensions qui permettent de rendre compte de l’expérience du sujet. La relation à l’autre est un espace de coopéra- tion et de reconnaissance, celle au monde est un espace dans lequel le sujet agit. Quant à la relation à soi, elle s’exprime au travers du prisme des intentions et des valeurs (Fig 1). L’identité narrative de chacun se construit donc au travers d’his- toires qui rendent compte des mo- ments forts de sa vie, à partir d’un tissage entre ces trois paysages. LES PÈRES FONDATEURS DE L’APPROCHE NARRATIVE La thérapie narrative est issue des travaux de Michael White et David Epston (6) datant des an- nées 1980-90 : Michael White exerçait à Adé- laïde (Australie), ville où il fonda en 1983 le Dulwich Centre, qu’il dirigea jusqu’en 2007 avant de fonder un nouveau centre, le Nar- rative Practices Adelaide. Disparu trop tôt (à 60 ans en 2008), White est certainement l’homme le plus connu et le plus représenta- tif de ce mouvement. Travailleur social en Australie du Sud, formé à l’école de Palo Alto (avec Gregory Bateson), il a animé de nombreux séminaires à travers le monde (Amérique du Nord, du Sud, cen- trale, Asie, Afrique, Scandinavie, Grande-Bretagne). Il a fourni aux thérapeutes les éléments leur permettant d’organiser leur tra- vail de façon structurée (7). David Epston, a quant à lui une formation à l’hypnose Erickson- nienne. Il a accompagné Michael White tout au long de l’élabora- tion de cette pratique et poursuit l’activité à Auckland (Nouvelle-Zé- lande). Il est notament à l’origine de lettres adressées aux patients après les séances pour en renfor- cer l’impact (8). Ces deux auteurs, créateurs de la thérapie narrative, se sont inté-
  • 3. PSYCHOTHÉRAPIE  182   Diabète Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053   ressés à l’apport de la philosophie française, que ce soit Paul Ricœur ou la philosophie critique (Michel Foucault, Jacques Derrida…). L’œuvre de Michael White connaît un grand développement en France grâce à Julien Betbeze (9), psychiatre des hôpitaux, chef du Service d’accueil familial thé- rapeutique de Loire Atlantique, membre de l’AREPTA (Institut Mil- ton Erickson de Nantes) et de la Fabrique Narrative, créée à Bor- deaux par Pierre Blanc-Sahnoun en 2009. QUELQUES POSTULATS DES PRATIQUES NARRATIVES : Nous commencerons par aborder quelques notions fondamentales qui composent le modèle et le sous-tendent : • L’identité narrative est une iden- tité relationnelle. • «  Le problème est le problème  ; la personne est la personne  ». La personne n’est pas le problème. Le problème doit être séparé de la personne. Il n’est pas le reflet exact de son identité. • Personne ne désire ni ne choi- sit d’avoir des problèmes  : le problème apparaît comme une contrainte. • Le contexte de vie de la per- sonne, son entourage, contribue de façon significative à la vie du problème, même involontaire- ment. • Chacun peut redevenir l’auteur de ses histoires de vie. • Quand une personne vient voir un spécialiste, elle a déjà tenté des tas de choses pour diminuer l’influence du problème sur sa vie et sur ses relations. • «  En général, les problèmes en- traînent les gens à formuler des conclusions minces sur leur vie et sur leurs relations. La plupart du temps, ces conclusions les ont conduits à considérer qu’ils étaient déficients, ce qui leur complique l’accès à leurs savoirs, leurs com- pétences, leurs talents et leurs apti- tudes. » (10) • Il y a toujours des moments dans la vie des personnes où elles ont échappé à l’influence du problème. • Le praticien a la responsabilité d’établir un contexte de curiosités de respect et de transparence. • Un des points forts les plus importants de l’approche narra- tive est de savoir guider la per- sonne dans la recherche et la reconnexion avec ses ressources cachées, celles qui n’ont pas été prises en compte au regard de leur histoire “dominante”. La rela- tion thérapeutique est fondée sur la collaboration. CONVERSATIONS THÉRAPEUTIQUES (LES CARTES NARRATIVES DE MICHAEL WHITE) On ne peut pas éteindre le noir, mais on peut allumer la lumière de l’attention. ■■ LA CARTE N’EST PAS LE TERRITOIRE Chaque personne possède sa propre carte ou sa propre percep- tion de la réalité et réagit en fonc- tion de celle-ci. Aucune carte indi- viduelle n’est plus vraie ou plus réelle qu’une autre. Les cartes les plus pertinentes sont celles qui offrent le plus grand nombre de choix et non pas celles qui sont les plus réelles ou les plus justes. Dans certaines situations, il est très difficile pour le thérapeute de mettre en évidence, dans les histoires du sujet, des moments où ce dernier prend des initiatives en relation avec ses valeurs pré- férées. Il en est ainsi lorsque la vie de l’intéressé s’est organisée autour d’un problème chronique (comme l’obésité et les troubles des conduites alimentaires) qui modèle certains comportements et favorise le développement d’histoires centrées sur un senti- ment d’incompétence. Sur quel terrain se fait le ques- tionnement  ? D’où vient-il  ? Les questions viennent de la vie et elles ont pour objectif de créer une différence, une ouverture à une autre appréciation ou une autre explication de la différence dans le but d’arrêter que “ça tourne en rond”. Pour construire leurs inter- ventions, les praticiens en narra- tif vont s’appuyer sur des cartes qui se présentent comme autant de «  métaphores des divers écha- faudages qu’il est possible de bâtir au cours de la conversation afin de fournir un appui à la progression du patient… Les cartes narratives n’ont pas vocation à être utilisées comme des protocoles ou des méthodes de travail à respecter à la lettre » (11). Les questions sont toujours cen- trées sur le processus relationnel. Il est possible de diviser ces cartes du questionnement thérapeutique en deux grands groupes. ■■ LES CARTES PERMETTANT DE DÉCONSTRUIRE LES REPRÉSENTATIONS Il s’agit de “la carte d’externa- lisation du problème”, “la carte du contexte et du discours” et “la carte de l’absent implicite”. Elles maintiennent les patients dans une dissociation. Le questionnement thérapeutique a, dans un premier temps, pour
  • 4. Les thérapies narratives  Diabète Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 105   1831 but de déconstruire les soubas- sements de l’histoire dominante qui soutient la plainte, pour faire émerger des moments uniques (en termes d’actions, de valeurs ou de relations) qui donnent vie à des histoires jusque-là négligées. Les patients qui consultent sont en général convaincus que les pro- blèmes auxquels ils sont confron- tés sont en rapport étroit avec leur propre structure de personna- lité – leur caractère, leur identité, leur désir ou leur non-désir – avec celle des autres, ou encore avec la nature des relations qu’ils entre- tiennent avec ces derniers. Leur manière même de parler traduit cette conviction que le problème est inhérent à leur personne : « Je suis obèse ; je suis boulimique ; je suis anorexique ; je suis déprimé ». L’emploi du verbe “être” exprime bien leur conviction d’avoir intégré un état qui les définit désormais en leur totalité  ; ils ne sont plus hommes ou femmes, doués ou stupides, mais “obèses”, “bouli- miques”, “anorexiques”… Le questionnement externa- lisant Michael White a développé un point de vue situé radicalement à l’opposé de celui qui vient d’être décrit et a conçu un mode de questionnement particulier, dit questionnement externalisant. Il permet à toute personne enfer- mée dans une détermination iden- titaire négative de retrouver accès à des possibilités jusque-là dé- laissées ou même non formulées. L’externalisation du problème va être au cœur même de la mise en œuvre des pratiques narratives. Le thérapeute va ainsi aider le patient à nommer précisément le problème afin qu’il parvienne à lui attribuer une identité propre ayant place d’événement extérieur qui l’en dissocie et lui fasse retrouver alors son “être-une-personne” en sa singularité. Ainsi, dès qu’une émotion désa- gréable ou un sentiment pénible apparaît (anxiété, tristesse, co- lère, culpabilité, honte…), il est souhaitable de formuler des ques- tions de manière externalisée, de façon à créer un espace de liber- té : « Depuis quand l’anxiété est-elle rentrée dans votre vie  ? Que vous amène à faire la colère ? Comment la tristesse a-t-elle essayé de vous convaincre de rester seul avec vous- même ? Qu’est-ce que la dépression a envie que vous croyiez sur vos ca- pacités ? Comment la culpabilité s’y prend-elle pour vous convaincre de ne prendre aucune initiative ? » ■■ LES CARTES PERMETTANT D’EXPLORER DE NOUVEAUX PAYSAGES Il s’agit ici de “la carte de l’excep- tion”, “la carte du remembering”, “la carte de l’intention” et “la valeur et la carte du témoin exté- rieur”… Elles vont favoriser le tra- vail de réassociation. Grâce aux questions posées par le thérapeute, un certain nombre d’expériences vécues, que l’his- toire dominante n’intègre pas complètement, va pouvoir être mis en évidence. Ce sont des moments où le patient se sent capable, où il prend des initiatives et où il arrive à réaliser des actions qui sont pour lui significatives. Michael White a appelé ces expériences en contra- diction avec l’histoire dominante “des moments d’exception”. En permettant au sujet de reprendre contact avec des moments d’ex- ceptions, le thérapeute va par ses questions développer des conver- sations qui, en tissant à travers le temps entre les trois paysages de l’identité, font découvrir au sujet les clefs de sa propre vie. Ces moments d’exception décrivent des situations dans lesquelles le sujet se sent vivant, réassocié, c’est-à-dire des moments à partir desquels il pourra faire de nou- veaux choix dans sa vie. Et lorsque le sujet, en réponse aux questions du thérapeute, s’interroge, réflé- chit et raconte des histoires, il ne sait pas encore, de même que le thérapeute, où celles-ci vont le mener. Il s’agit d’un voyage qui va amener le sujet du connu et du familier vers l’inconnu et le possible. Chaque voyage façonne une histoire à multiniveaux dans laquelle les patients deviennent créateurs de sens. Peu à peu, une nouvelle histoire de vie va se dessiner, mettant en lumière une identité plus satisfaisante pour le sujet. C’est à partir de là que vont devoir intervenir les membres de son entourage : « on ne change pas seul son identité  », la façon dont les autres nous perçoivent contri- buant largement à la construction de celle-ci. Ce sera la fonction des “conversations de regroupe- ments” (remembering) qui donne- ront aux patients la possibilité de remanier la liste des membres de son “club de vie” (les personnes importantes pour lui). Exemples de questions : « Pouvez-vous me parler de la façon dont cette personne a contribué à votre existence ? Que vous a ap- porté cette personne ? Que faisiez- vous lorsque vous étiez avec elle ? Comment cela se passait-il  ? Où  ? Quand ? Que cette personne vous a- t-elle invité à partager ? À quoi vous a-t-elle invité à prendre part  ? En quoi votre vie a-t-elle été influencée par cette personne ? etc. » Pour faciliter le dialogue, le thé-
  • 5. PSYCHOTHÉRAPIE  184   Diabète Obésité • février 2017 • vol. 12 • numéro 1053   1.Betbeze J, Ostermann G. L’identité narrative. La lettre du Psychiatre 2015 ; 5 : 126-32. 2.Ricoeur P. Les paradoxes de l’identité. L’information psychiatrique 1996 ; 3 : 201-6. 3.Huston N. L’espèce fabulatrice. Arles : Acte sud, 2008. 4.Bruner J. Culture et modes de pensée, l’esprit humain dans ses œuvres. Paris : Retz, 2000. 5.Wittezaele JJ. L’Homme Relationnel. Paris : Seuil, 2003. 6.White M, Epston D. Les moyens narratifs au service de la thérapie. Bruxelles : Satas, 2003. 7.White M. Cartes des pratiques narratives. Bruxelles : Satas, 2009. 8.Epston D. Catching up. Adelaide : Dulwich Centre Publication, 1998. 9.Betbeze J. La thérapie narrative de Michael White. In : Thérapies brèves : principes et outils pratiques. Paris : Elsevier Masson, 2013. 10.Morgan A. Qu’est-ce que l’approche narrative ? Paris : InterÉditions, 2015. 11.Blanc-Sahnoun P, Dameron B. Comprendre et pratiquer l’approche narrative, concepts fondamentaux et cas expliqués. Avec un texte inédit de Michael White. Paris : InterÉditions, 2009. Bibliographie rapeute questionne à partir d’une position décentrée et influente. Cette notion “décentrée” signi- fie que le thérapeute accorde la priorité aux connaissances et aux compétences des personnes, celles-ci ayant un rôle d’auteur principal. L’influence du praticien vise à soutenir le processus créa- tif par le biais d’un échafaudage de questions qui explore de nouveaux territoires, sur lesquels le sujet va pouvoir s’interroger. CONCLUSION Par le nouveau regard qu’elle propose sur les apports entre les problématiques psychologiques et de l’identité, la thérapie narra- tive, profondément humaniste par son aspect collaboratif, apporte un souffle nouveau dans le champ des psychothérapies. Pour faciliter à ce moment-là le dialogue, le théra- peute questionne à partir d’une po- sition décentrée et influente. Cette notion “décentrée” signifie que le thérapeute accorde la priorité aux connaissances et aux compétences de la personne qui s’exprime. L’in- fluence du praticien vise ainsi à soutenir le processus créatif par la mise en jeu d’un questionnement à la découverte de territoires incon- nus, à la recherche des clés d’une nouvelle histoire à écrire, une his- toire qui reconnecte la personne avec ses profondes aspirations, ses valeurs et ses rêves, une histoire qui libère au lieu d’enfermer. n ✖✖ L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Larena Santé. Mots-clés Conversation thérapeutique, Coopéra- tion, Dissociation, Exception, Histoire alternative, Histoire dominante, Iden- tité narrative, Réassociation Keywords Therapeutic conversation, Cooperation, Dissociation, Exception, Alternative story, Dominant story, Identity lands- cape, Reassociation