L’Incubateur de Services Numériques existe, en tant que Mission de la DINSIC, depuis septembre 2015. Il décline par le design numérique simple et fondé sur la confiance, notre objectif commun de modernisation de l’action publique. Cela se traduit par la quête d’un premier usager satisfait plutôt que d’un consensus général ou d’une information parfaite. Cette méthode induit des changements profonds et soulève des questions tout aussi nombreuses que légitimes, qui sont au coeur de nos apprentissages.
Le lien entre concepteurs·trices, faiseurs·euses et usagers a pendant longtemps été celui de la subordination. Aujourd’hui, les usagers deviennent des faiseurs·euses et les faiseurs·euses concepteurs·trices des services numériques. Dans ce monde à l’envers, qu’en est-il de la création et de l’amélioration des services publics ? L’Incubateur de Services Numériques en profite pour mettre l’agilité au profit de la modernisation de l’action publique, et apprendre ce faisant.
3. Le lien entre concepteurs·trices, faiseurs·euses et usagers a pendant
longtemps été celui de la subordination.
Contexte : I
4. Aujourd’hui, les usagers deviennent des faiseurs·euses et les
faiseurs·euses concepteurs·trices des services numériques.
Contexte : II
5. Dans ce monde à l’envers, qu’en est-il de la création et de
l’amélioration des services publics ?
Contexte : III
6. L’Incubateur de Services Numériques en profite pour mettre l’agilité au
profit de la modernisation de l’action publique, et apprendre ce faisant.
Qu’est-ce ?
17. Méthode : V
...tout en respectant l’hétéronomie de l’« ownership » du service
18.
19. « Digital technology enabled the customisation of process to culture
rather than forcing culture to be responsive to management dictates
and “the one best method.” The critical point is that adoption and
implementation of new methodologies needs to be based in, and grow
from, the existing culture, and typically fails when it is merely imposed
from above without such cultural considerations. » D. Cavallo
L’essor du design industriel a permis de développer une attitude d’observation et d’empathie envers l’utilisateur final des produits, ce qui a permis d’améliorer énormément leur qualité. Mais, un produit de manufacture, une fois sorti de l’usine, n’est plus modifiable. L’usager n’est donc pris en considération que dans la phase de conception.
La dématérialisation, dans le sens de la privation de substance physique de quelque chose, rend possible l’évolution continue de services numériques, tout au long de leur cycle de vie. La maîtrise d’outils de collaboration et de déploiement rapide permet, à coût marginal, de prendre en compte l’usager tout au long de la construction et de l’amélioration d’un service. L’usager devient donc co-constructeur des services publics.
Qui est plus, la satisfaction de l’usager est le but ultime de la création du service, et la meilleure manière d’atteindre cet objectif est de l’y inclure précocement et de façon pérenne.
Un exemple est Mes Aides, qui permet aux usagers d’évaluer ses droits à 22 aides sociales, en moins de 6 minutes. En développant Ludwig, un outil de testing collaboratif, l’équipe a empowered les usagers et les experts métier à proposer des corrections aux simulations, facilitant ainsi le dialogue avec l’équipe.
La construction et amélioration de services publics par phases réponde au besoin de coordination entre agent·e·s avec des profils divers et issu·e·s des administrations différentes. Or, le numérique permet de diminuer dramatiquement le temps de production de la valeur, ce qui rend les activités de coordination —qui ne génèrent pas de la valeur à l’usager final— à la limite inutiles.
La création des équipes ad hoc, qui réunissent et co-localisent l’intrapreneur·e, les développeurs·euses, les designers, et même les usagers précoces, permet d’unifier toutes les phases classiques de construction d’un service (conception, design, développement, industrialisation et maintenance) dans une seule : l’itération.
Une itération est un cycle complet de construction d’un service, de sa conception à sa mise en production, dans un temps infime, qui varie entre quelques heures et quelques semaines en fonction de la maturité de l’équipe et de son autonomie. Ces cycles se répètent jusqu’à ce que l’équipe ad hoc ait fini sa mission : découvrir la viabilité du service.
Ce faisant, les activités d’architecture, de reporting et de définition d’un cahier de charges deviennent moins nécessaires, car le design et le périmètre du service émergent au fur et à mesure des itérations.
Un exemple est Étudiant entrepreneur, qui permet de faciliter l'accès au statut étudiant entrepreneur et à ses bénéfices. Grâce à la réalisation continue des prototypes, des interviews et des tests utilisateurs, l’équipe —constituée d’un développeur prestataire, une coach de l’Incubateur et une intrapreneure de l’administration porteuse— a su construire un service qui réponde aux besoins aussi bien des usagers que des agents.
Le risque le plus important pour un service public numérique est d’être construit quand personne n’a vraiment besoin de celui-ci. Pour rendre les choses encore plus compliquées, on pourrait certainement affirmer que le comportement humain est plus proche de l'aléatoire que du rationnel. Dans ces conditions, peut-être que le choix économique le plus efficace pour réduire ce risque est de construire le service, pour paradoxal que cela puisse paraître.
En construisant un service de façon itérative, en contact permanent avec l’usager, nous investissons une fraction infinitésimale du coût de construction d’un service avec la méthode par phases, et en même temps nous découvrons si ce que nous supposons être un besoin de l’usager en est vraiment un. Qui est plus, nous dévoilons en même temps, et avec très peu d’investissement, les risques techniques, d’usage et administratifs les plus importants liés à la viabilité du service.
Si un investissement de 6 mois et de 200 000 € nous permet de déterminer l’impraticabilité d’un service avec une estimation initiale de 3 ans et de 2 000 000 €, cela se traduit dans 2,5 ans 1 800 000 € en termes de ressources ré-affectables à d’autres efforts de modernisation au profit des usagers (et des agents).
Un exemple est Pix, qui permet de mesurer, de développer et de valoriser les compétences numériques. Ils ont démontré la viabilité du service, tout en le co-construisant avec les usagers. Le Ministère de l’Éducation nationale a décidé donc d’investir davantage pour en renforcer la croissance.
Il n’existe pas de contre-exemple : à ce jour, aucun service n’a été abandonné à cause de son impraticabilité démontrée. Nous reconnaissons donc qu’il nous faut davantage d’expérience pour transmettre aux administrations l’idée que l’échec, d’un point de vue de portfolio et dans un périmètre d’expérimentation réduit et maîtrisé, est en effet une réussite.
Le deuxième risque important pour un service public numérique est que l’équipe ne soit pas suffisamment autonome pour mener au but sa mission. L’autonomie de l’équipe repose sur la présence d’un intrapreneur, le fait d’être libre de toute contrainte et de pouvoir définir ses propres indicateurs de réussite.
L’intrapreneur doit un innovateur, un agent déterminé à résoudre un irritant pour les usagers. Celui capable de prendre le risque de se lancer dans la résolution d’un problème précis avec abnégation. Si l’intrapreneur n’en est pas un, l'équipe risque de basculer dans le « business as usual » administratif.
L’équipe doit de préférence être colocalisée, avoir libre choix des technologies, suffisamment de marges de manoeuvre, un financement assuré par l’administration pour la durée de la mission et être libre de tout engagement administratif-politique qui ne répond pas à l’objectif de sa mission : la recherche du chemin le plus court pour mettre dans le mains des premiers usagers un outil qui leur soit utile avec des résultats tangibles, réglant des problèmes réels et mesurables.
Un exemple est La Bonne Boîte, qui permet de trouver les entreprises qui vont recruter près de chez soi. Un intrapreneur opiniâtre et un problème bien identifié : chômage élevé dans un territoire post-industriel dans le nord de la France. Il savait qu’il avait des sociétés qui recrutaient, et s’est décidé à rendre visible le marché caché de l’emploi.
Un autre exemple est Plante & Moi, qui permet d’augmenter la présence de la nature en ville. Une étudiante avec un problème bien identifié et une administration (le Ministère de l'Environnement) que lui offre un CDD et l’autonomie pour construire le service. Et ça marche très bien.
Le fatum final d’un service construit avec la méthode de la mission Incubateur est d’être finalement intégré ou réintégré dans l’administration porteuse. Cela implique d’en même temps assurer l’autonomie de l’équipe et respecter l’hétéronomie de l’« ownership » du service—celui-ci appartenant aussi bien aux usagers qu’à l’administration ; et relève la question quintessentielle : si l’« ownership » du service repose largement dans le processus qui lui a donnée vie, c’est-à-dire, l’application de la méthode, comment assure-t-on une passation qui continue à faire vivre le service ?
La stratégie actuelle de passation d’un service est d'accompagner les administrations pour en faire une transition graduelle en trois temps : premièrement, passer la gouvernance du service ; deuxièmement, transmettre la méthode et ses principes ; et, finalement, enraciner la culture. Or, à ce jour, aucune passation n’a abouti avec succès ces trois étapes.
Que faire ? Nous n’avons pas une réponse catégorique, mais un indice très clair : il faut réussir à construire avec les administrations ; arriver à prendre en compte leur culture existante tout au long de la consolidation et de la passation d’un service public numérique, sans pour autant compromettre l’autonomie essentielle à la réussite de sa construction.
L’exemple le plus encourageant est celui de la création d’un Incubateur de Services Numériques interne à Pôle Emploi. Après le succès de La Bonne boîte et de La Bonne formation, ils ont lancé 2 nouveaux services en 2016, et 4 supplémentaires verront le jour en 2017. Ces services sont développés dans une logique de construire avec, et leur Incubateur adapte quelques éléments méthode à leur réalité concrète.