Presentation by Ramón Peña-Casas, Researcher, European Social Observatory (OSE) on the occasion of the EESC hearing on European minimum income and poverty indicators (Brussels, 28 May 2013)
Similaire à Avancer vers des standards sociaux européens – quelles bases légales et financières pour un instrument européen en matière de revenu minimum garanti
Discurso del eurodiputado Pablo Zalba en la Asamblea Nacional Francesapablozalba
Similaire à Avancer vers des standards sociaux européens – quelles bases légales et financières pour un instrument européen en matière de revenu minimum garanti (20)
Implementation of disability provisions in the structural funds - The case of...
Avancer vers des standards sociaux européens – quelles bases légales et financières pour un instrument européen en matière de revenu minimum garanti
1. 1
"European minimum income and poverty indicators"
Audition Publique au Comité Économique et Social Européen – 28 Mai 2013
“Avancer vers des standards sociaux européens – quelles bases légales et financières pour
un instrument européen en matière de revenu minimum garanti"
RamónPeña-Casas / Observatoire social européen – OSE
___________________________________________________________________________
Cette brève intervention a un caractère sans doute plus spéculatif/hypothétique que les
autres. La question centrale de mon intervention concerne en effet les possibilités
d’introduction d’un « instrument » européen en matière de revenu minimum garanti (RMG),
et plus particulièrement les bases juridiques d’un tel instrument, ainsi que les possibilités de
financement de celui-ci. Il s’agit donc de questions très ouvertes à débats et interprétations
dans le cadre complexe de la dimension sociale des politiques et de l’intégration
européenne. Dans le temps très bref qui m’est imparti, je vais principalement me contenter
d’effleurer un certain nombre de points qui entrent en considération pour l’introduction
d’un instrument européen en matière de RMG. Je vous prie de m’en excuser par avance.
Avant d’entrer un peu plus en détail dans les questions des bases légales et financières d’un
tel instrument il me semble nécessaire de d’abord mettre en contexte les éléments sous-
tendant l’introduction d’un instrument européen.
L’introduction d’un instrument européen, quelle que soit sa forme, est structurée par trois
considérations importantes : cet instrument doit être « opportun» dans le cadre européen, il
doit aussi apparaître comme étant un complément nécessaire/utile aux politiques
nationales, et enfin il doit être réalisable, compte-tenu de la complexité du contexte
européen, tant aux plans légal que politique.
A. Cadre d’opportunité pour un instrument européen
Il convient tout d’abord de souligner que la question du RMG s’inscrit dans un cadre plus
large qui est celui de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, et notamment des
bases juridiques (faibles) de celle-ci dans le contexte européen.
Le cadre d’opportunité pour l’introduction d’un instrument européen sur le RMG repose
avant tout sur trois aspects :
Il doit concerner un sujet reconnu, qui fait déjà partie du discours/rhétorique
européenne et ayant donc déjà reçu un certain degré de consensus ;
Il doit avoir une légitimité avérée tant au niveau UE que national ;
Il doit concerner une pratique/dispositif déjà répandu parmi les États membres
(EMS).
2. 2
Sur le premier aspect, il est relativement clair que la question du RMG pour assurer une
protection adéquate du revenu est un sujet reconnu au niveau européen, surtout depuis le
début des années 90. Je dis relativement clair car la question du RMG a néanmoins connu
une visibilité assez erratique. Si un certain nombre de textes européens y réfèrent
explicitement1
, elle est par exemple peu présente dans le cadre d’Europe 2020 et de la Plate-
forme européenne de lutte contre la pauvreté, mais plus visible dans le paquet
Investissement social. Par ailleurs, il existe un manque de consensus et de volonté politique
des EMS, comme le montre la faiblesse des engagements en matière de lutte contre la
pauvreté de la plupart de ceux-ci dans le cadre d’Europe 2020. Le Conseil européen n’a pour
ainsi dire jamais fait de référence explicite aux RMG, et a à plusieurs reprises rappelé la
prédominance du principe de subsidiarité en matière de lutte contre la pauvreté.
Sur le second aspect, celui de la légitimité avérée, l’accès à la protection sociale et à l’aide
sociale est reconnu comme un droit social fondamental, affirmé tant aux niveaux
international (Nations Unies, Recommandation Socle commun de protection sociale OIT,
Conseil de l’Europe (Charte sociale révisée )) qu’européen (Charte des droits sociaux
fondamentaux) et nationaux (constitutions).
Sur le troisième point, celui de la préexistence, il suffit de se rappeler que 25 des 27 EMS de
l’UE ont déjà des dispositifs nationaux de RMG pour la population adulte en âge et capacité
de travailler.
B. Nécessité d’un instrument européen ?
Est-il souhaitable d’introduire un instrument européen en matière de RMG ?
Il est certain que les dispositifs de RMG, en tant que derniers filets de la protection sociale,
jouent un rôle fondamental dans la lutte contre la (grande) pauvreté, même s’ils ne suffisent
pas à eux-seuls à la réduire et/ou la prévenir, car ils ne sont que l’un des éléments d’une
stratégie de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale qui est par nature
multidimensionnelle. Ils sont aussi un droit social fondamental des citoyens européens.
Les analyses convergent pour montrer que la pauvreté va croissant en Europe, et que les
dispositifs existants de RMG, indépendamment de leurs générosités et accessibilités
respectives, ne suffisent pas pour endiguer cette tendance. Les interventions précédentes
ont bien souligné tant la diversité des systèmes de RMG existant en Europe (en termes de
générosité, organisation, activation, conditionnalité,…) que les enjeux et défis communs
1
Recommandation de 1992 sur des critères communs en matière de ressources suffisantes et d’assistance
sociale dans les systèmes de protection sociale
Recommandation de 1992 sur la convergence des objectifs et politiques de protection sociale
Recommandation de 2008 sur l’inclusion sociale active et ses trois piliers (revenu adéquat, activation, services
de qualité)
Résolution du Parlement européen 2010 sur le rôle du revenu minimum dans la lutte pauvreté
3. 3
importants auxquels ils sont confrontés, notamment leur inadéquation et la non-acquisition
(croissante ?) des droits d’une part, et la pression croissante sur les systèmes dans un
contexte de crise économique et d’austérité budgétaire renforcée d’autre part. Dans ce
contexte, la plupart des études s’accordent sur le fait que l’introduction d’un instrument
européen de soutien aux RMGs nationaux serait nécessaire. Elle permettrait d’assurer la
pérennité voire d’améliorerles systèmes,notamment en termes d’accès et d’adéquation des
revenus. Ce serait aussi un geste fort en termes de solidarité européenne, dans une période
où celle-ci se trouve de plus en plus questionnée.
Les analyses divergent cependant sur la nature d’un tel instrument européen, certains
plaidant pour un instrument légalement contraignant (directive cadre) et d’autres pour un
instrument non contraignant (recommandation, RMG dans MOC pauvreté voire une MOC
séparée sur RMG).
Ceci m’amène au dernier point de ce bref survol, qui concerne la faisabilité d’un instrument
européen en matière de RMG.
C. Quelles possibilités pour un instrument européen ?
La première question qui se pose est celle de la nature contraignante ou non d’un tel
instrument européen.
Si un instrument légalement contraignant semble souhaitable pour certains, notamment
face au manque de volonté politique de certains EMS, les marges d’introduction d’un tel
instrument apparaissentnéanmoinslimitées en l’état actuel. L’introduction d’un instrument
contraignant relatif à un dispositif de protection sociale tel que le RMG se heurte en effet à
la subsidiarité qui est de règle dans ce domaine.
Cela renvoie d’ailleurs à une question plus large qui est celle de la robustesse de la base
juridique européenne en matière de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.
TFUE : Lutte contre la pauvreté est un objectif européen
Article 153 du TFUE (ex article 137) : quelles possibilités ? Contradictoire :
o lutte PES est exclue des domaines pour lesquels il est possible d’introduire
des prescriptions minimales contraignantes (153.2B).
o L’article 153.2.A exclut explicitement l’harmonisation des dispositions
législatives et réglementaires des EMS.
o Cependant l’intégration des personnes exclues du marché du travail (153.2.H)
peut faire l’objet de telles prescriptions (153.2.B) ; mais ne couvrequ’une
partie de la population concernée.
Clause sociale horizontale : ne concerne que les actions des institutions européennes
Initiative Citoyenne : que va donner l’IC sur le basic income ?
Charte des droits sociaux fondamentaux : contraignante ou pas ?
4. 4
La plupart des analyses juridiques convergent donc pour souligner la faiblesse d’une telle
base pour introduire des instruments contraignants en matière de lutte contre la pauvreté et
l’exclusion sociale. La voie non contraignante apparaît donc comme la plus probable à court
et moyen terme.
Une seconde question se pose alors. Sur quoi pourrait porter un instrument européen non
contraignant ?
Il apparaît d’abord nécessaire d’établir une distinction entre les divers domaines relatifs au
RMG qui pourraient faire l’objet d’un instrument non contraignant dans un premier temps.
C.1. Hypothèse 1 : un instrument/initiative sur l’accès au RMG ou l’amélioration du take-up
Le domaine de l’accès au RMG(et donc de sa conditionnalité), ainsi que celui corollaire de la
non acquisition des droits au RMG, se prête plus facilement à la définition de principes
communs, qui à terme peuvent aboutir àune harmonisation relative autour de standards
communs, à condition qu’il y ait une volonté politique pour cela.
La question de l’accès aux RMG dispose d’une base juridique plus forte. En tant que droit
social fondamental, l’accès à la protection sociale, et donc au RMG, est opposable en justice
et doit respecter la législation européenne et nationale existante en matière de non-
discrimination pour tous les citoyens/résidents. De même, il existe une base juridique plus
étayée en ce qui concerne l’accès des migrants à la protection sociale dans l’EM où ils
résident, base juridique fondée notamment sur le respect de la liberté de circulation des
personnes dans le cadre du marché unique. Les mêmes principes juridiques d’égalité de
traitement et de non-discrimination pourraient selon certains être également invoqués en ce
qui concerne la non-acquisition des droits.
Certains auteurs suggèrent aussi que les pratiques d’activation des bénéficiaires du RMG
pourraient elles aussi faire l’objet de définition de principes communs, notamment en ce qui
concerne les droits et devoirs liés à l’acquisition du RMG. Sur ce dernier point, il faut
cependant souligner que les RMG sont le dernier filet de la protection sociale, et que dès lors
l’activation - et donc l’éventuelle sanction en cas de non-respect des obligations d’activation
- doit être considérée avec prudence, car il n’y a plus aucun dispositif de protection au-delà
des RMGs.
Un tel instrument européen, portant sur l’accès au RMG, l’amélioration du take-up et/ou la
qualité de l’activation, pourrait être incorporé dans le cadre de processus existants, comme
la Plate-forme européenne de lutte contre la pauvreté et la MOC inclusion sociale, afin
d’encourager la coopération et la convergence des EMS vers des objectifs communs.
Certains suggèrent même d’ailleurs de créer une MOC spécifique sur le RMG.
En termes financiers un instrument européen d’une telle nature pourrait s’intégrer sans
peine dans le cadre des dispositifs existants permettant à l’UE de financer des initiatives liées
5. 5
à la mise en évidence et l’échange de bonnes pratiques, la promotion d’expériences
novatrices et l’expérimentation sociale (FSE, Progress, Programme pour le changement
social et l’innovation sociale,…). Des « expérimentations sociales » pourraient ainsi être
menées, par exemple sur l’introduction d’un dispositif de RMG dans les EMS qui n’en
disposent pas encore, ou sur des procédures d’acquisition automatique des droits pour
améliorer le take-up.
C.2. Hypothèse 2 : un instrument/initiative sur le caractère adéquat
Le domaine de l’adéquation du RMG est par contre nettement plus délicat à mettre en
œuvre au travers d’un instrument européen au vu des dispositions légales des traités. Par
exemple l’article 153.2.A du TFUE exclut explicitement l’harmonisation des dispositions
législatives et réglementaires des EMS en matière de protection sociale.Tout au plus semble-
t-il possible en l’état actuel de fixer de manière souple/molle des objectifs généraux vers
lesquels encourager les EMS à converger. Dans les rares cas où la question de l’adéquation
du RMG est mentionnée au niveau européen elle est généralement tout de suite assortie
d’une référence à la prévalence de la subsidiarité en la matière.
À nouveau, les processus souples de coopération politique pourraient éventuellement servir
de cadre pour introduire la question de l’adéquation des RMG dans le cadre européen de
lutte contre la pauvreté. Un objectif général de convergence à terme du montant du RMG
avec le(s) seuil(s) de pauvreté pourrait ainsi être introduit dans le cadre de la plate-forme
européenne et/ou de la MOC inclusion sociale. Encore faut-il dégager un consensus des EMS
sur ce point. Un premier point délicat sur lequel il faudra établir un consensus concerne le
critère d’adéquation qui sera retenu. Des pratiques nationales différentes coexistent en
Europe, et le consensus relatif qui subsistait autour du seuil relatif de pauvreté comme
critère central est devenu bien fragile. Les textes européens et internationaux se sont
d’ailleurs toujours bien gardés de spécifier le critère d’adéquation à utiliser, au nom de la
subsidiarité. La résolution du PE est une exception (courageuse) à cet égard puisqu’elle se
réfère explicitement au seuil de 60% comme objectif d’adéquation à atteindre.
Même si un tel objectif et consensus pouvaient être dégagés à court ou moyen terme, un
grand nombre d’obstacles se dressent encore sur la voie vers un instrument européen en
matière de RMG.
Tout d’abord, se pose la question du financement d’une telle remise à niveau des dispositifs
existants, et de l’introduction de nouveaux dispositifs dans les pays qui n’en disposent pas.
Le montant du RMG n’atteint le seuil de pauvreté de 60% du revenu médian dans aucun
des EMS qui ont de tels dispositifs. Les écarts sont mêmes parfois considérables pour
certains EMS, dont le niveau du RMG est plus proche du seuil de 40%.
Différentes études ont tenté par des moyens différents de quantifier les sommes nécessaires
pour combler l’écart entre RMG et seuil(s) de pauvreté. Bien que les méthodologies soient
6. 6
peu comparables, ces études pointent deux éléments-clés en termes de financement et de
solidarité :
l’effort financier à fournir par les EMS pour combler l’écart est réparti de manière
très inégale entre les EMS ;
les sommes à mobiliser peuvent être plus ou moins considérables selon la distance
par rapport au seuil de pauvreté relative, autrement dit l’effort sera plus grand pour
les plus pauvres des EMS.2
Étant donné le déséquilibre entre EMS et l’ampleur relative de l’effort financier à fournir, un
instrument financier européen de solidarité apparait comme une nécessité pour appuyer
une telle convergence. Néanmoins, un tel instrument viendrait en complément d’efforts
financiers nationaux (co-financement), dont la perspective paraît optimiste dans le contexte
actuel de crise et d’austérité budgétaire. La solidarité européenne doit venir renforcer et
appuyer la solidarité nationale entre classes de revenus.
Le montant de l’effort financier à fournir pour augmenter le niveau des RMG actuels au seuil
de 60% varie selon les études mais certains ordres de grandeur nous permettent d’avoir une
approximation, certes grossière, des sommes en jeu.
Commençons par rappeler que selon les dernières données disponibles (ESSPROS 2010), les
dépenses en matière de systèmes de RMG(sous condition de ressources) s’élèvent en
moyenne pour l’UE-27 à 0,23% du PIB européen3
, ce qui correspond à un montant
approximatif de 27,8 milliards d’euros. Il s’agit donc d’un montant conséquent, mais
relativement mineur dans l’ensemble du budget des EMS, ainsi que dans celui des
dépenses de protection sociale,en comparaison des autres dépenses de protection sociale
(pensions, santé,..)4
.
Supposonsmaintenant que, afin de converger vers le seuil de 60%,les niveaux actuels de
RMG soient augmentés d’un tiers, ce qui dans la plupart des pays suffirait à excéder
largement le seuil de pauvreté de 60%.Il s’agit donc d’une hypothèse très optimiste. Un tel
investissement représenterait une somme supplémentaire de 9,3 milliards d’euros (0,07%
PIB EU).Au total, les dépenses des EMS s’élèveraient donc à 37,1 milliards d’euros (0,3% du
PIB EU)5
.
Bien sûr il s’agit là d’une estimation très grossière qui demande à être affinée, mais elle
permet d’avoir une idée des ordres de grandeur en jeu.
2
Sans parler du coût d’introduction d’un nouveau système de RMG dans les pays qui n’en ont pas (GR et IT)
3
ESSPROS : dépenses de protection sociale pour la fonction exclusion sociale concernant les systèmes
périodiques de soutien au revenu (sous conditions de revenus) en 2010
4
Environ 1,5% du total des dépenses de protection sociale pour UE-27
5
A noter qu’une telle hypothèse suppose que le niveau d’acquisition du droit au RMG reste inchangé. Selon les
rares données disponibles en matière de non take-up des allocations sociales, il est raisonnable de penser que
près de la moitié des bénéficiaires potentiels ne font pas la demande de leur droit. Par conséquent, un taux
d’acquisition optimal, qui est aussi un objectif à atteindre, signifierait un quasi-doublement de ces sommes.
7. 7
Elle montre néanmoins qu’un instrument de solidarité européen, si il est nécessaire et
légitime au regard de la lutte contre la pauvreté croissante dans l’UE, ne peut suffire à lui
seul pour augmenter le niveau du RMG existants au seuil de pauvreté de 60%.Si cet effort de
solidarité de 9,3 milliards d’euros devait n’être supporté que par le niveau européen, il
représenterait 6,1% du budget total de l’UE en 2013. Si l’on considère les Fonds structurels,
qui sont les principaux outils de la solidarité européenne au travers d’un co-financement EU-
EMS, cette somme représenterait environ 8% du total du Fonds social européen (FSE).
Il faut bien sûr aussi tenir compte du fait que l’introduction d’un tel changement, et donc
son financement, serait graduel et progressif afin de tenir compte des situations
différentes des EMS. On ne peut augmenter d’un coup de baguette magique le niveau du
RMG dans les EMS, car cela demande aussi de prendre en considération la relation avec
d’autres minimas, dont les salaires. L’introduction ne peut donc qu’être progressive et se
faire dans le cadre de concertation nationale pour la formation des pactes sociaux, y
compris le dialogue social. Il s’agit donc d’un processus lent et complexe. Cela ne veut pas
dire pour autant qu’il ne faut pas le lancer ! L’UE s’est donné l’année 2020 comme horizon
pour sa Stratégie Europe 2020, cela pourrait aussi constituer l’horizon auquel les RMGs
devraient avoir atteint le seuil de 60% du revenu médian.
Le montant d’un fonds européen devrait selon cette estimation grossière évoluer aux
alentours de 9,3 milliards d’euros. Si cet effort peut apparaître relativement modeste au
regard du PIB de l’UE (0,07%), il n’en représente pas moins une charge plus ou moins lourde
et inégalement répartie selon les EMS, les EMS les plus pauvres étant ceux qui devraient
investir le plus. Les EMS, et particulièrement les plus pauvres, doivent donc trouver la
volonté politique de dégager de telles sommes dans le contexte actuel de croissance
économique (très) faible et d’austérité budgétaire contrainte. La lutte contre la pauvreté
(financière) relève d’abord d’une meilleure redistribution des richesses en vue de réduire les
inégalités sociales. Il s’agit donc d’abord d’une question de solidarité nationale. Soutenir et
augmenter le niveau des RMGspermettraient aussi aux EMS de remplir leurs engagements
de réduction de la pauvreté pris dans le cadre de la Stratégie Europe 2020.
Un soutien européen en la matière ne pourrait qu’encourager les EMS dans cette voie, qui
est souhaitable et légitime. Comme la charge financière de la hausse des RMGs (ou de leur
introduction là où ils n’existent pas) est inégalement répartie entre les EMS, et que la lutte
contre la pauvreté répond à un objectif européen, il s’agit dès lors aussi d’une question de
solidarité européenne. Inutile de préciser aussi que sur le plan politique il s’agirait d’un acte
fort de solidarité européenne à un moment où celle-ci est de plus en plus remise en cause
et en question par les EMS et surtout par les citoyens européens.
La référence au caractère adéquat du revenu est encore un sujet difficile au niveau
européen, surtout lorsqu’il s’agit de financer des instruments de solidarité. Rappelons-nous
pourtant que par exemple la vocation affirmée de la Politique agricole commune était aussi
lors de sa création au début des années 60 de soutenir le revenu des agriculteurs afin qu’ils
8. 8
gardent un niveau de vie décent face aux aléas du marché mondial. Rappelons aussi que le
Conseil européen et les diverses institutions européennes s’accordent sur le rôle important
qu’ont joué les systèmes de protection sociale, et notamment les plus « généreux » d’entre
eux, en tant qu’amortisseurs sociaux des effets des crises économiques qui secouent
actuellement l’Europe. Les RMGs sont le dernier filet de la protection sociale, et à ce titre ils
ont grandement contribué à amortir les pires effets de la crise, même s’ils restent encore
insuffisants pour éliminer la pauvreté.
Pour conclure, je reviendrais brièvement sur la question des instruments financiers qu’il
serait possible de mobiliser au niveau européen pour soutenir la hausse des RMGs.
L’utilisation de Fonds structurels existants (FSE) ?
o Le FSE n’a pas vocation ni surtout autorité à se substituer et à financer
directement des dispositifs nationaux de protection sociale. Néanmoins,
certaines des ressources existantes pourraient être utilisées pour avancer
dans la voie d’un RMG plus adéquat, par exemple en finançant des
expérimentations sociales sur la hausse du RMG existant vers le seuil de
pauvreté de 60% du revenu médian équivalent (Progress, Programme pour le
changement social et l’innovation sociale,…). De même le FSE peut être
mobilisé pour financer des projets pour une activation sociale et de qualité
des allocataires d’un RMG.
o Le soutien et l’amélioration du revenu des citoyens européens les plus
pauvres devrait être inclus parmi les objectifs du FSE en matière de cohésion
sociale, car le plus grand facteur de cohésion sociale reste la réduction des
inégalités sociales, y compris en termes de revenus. L’UE s’est engagée dans
le cadre de la nouvelle programmation budgétaire à consacrer 20% du budget
du FSE à la lutte contre la pauvreté. J’ai mentionné plus tôt que l’effort
financier total à fournir représenterait approximativement 8% du FSE actuel.
Ce n’est donc pas un objectif impossible à atteindre.
o Certains avancent la nécessité de conditionner à des objectifs sociaux
l’ensemble des Fonds structurels, afin d’ « encourager fortement » les EMS à
poursuivre des objectifs sociaux et non seulement économiques. La question
du RMG, et de son caractère adéquat, pourrait faire partie de ces objectifs
sociaux à mettre en œuvre.
La création d’un Fonds spécifique de soutien aux RMG ?
o Les débats houleux autour du futur budget européen, et notamment du
financement du Fonds d’aide aux plus démunis, permettent de douter du fait
qu’il y ait une volonté politique de mobiliser au niveau européen un nouveau
Fonds européen.Cela ne veut à nouveau pas dire pour autant qu’il ne faut pas
s’engager dans cette voie, il s’agit avant tout d’une question de volonté
politique. Si l’on considère par exemple une introduction progressive à
l’horizon 2020 d’un rattrapage du niveau actuel des RMGs avec le seuil de
9. 9
pauvreté de 60% du revenu médian, même en supposant que les EMS ne
fassent rien et laissent l’entièreté de la charge de la hausse au niveau
européen - ce qui paraît difficilement envisageable - il s’agirait de mobiliser
une petite dizaine de milliards d’euros de manière progressive d’ici 2020 en
supposant que le taux d’acquisition ne change pas, le double si il est optimal.
Cela ne semble pas irréaliste !
L’introduction d’un instrument européen en matière de RMG apparaît donc comme une
question complexe, qui demande de dépasser un certain nombre d’obstacles importants. Le
premier, et non des moindres, est le manque de volonté politique à l’heure actuelle, tant aux
niveaux européen que nationaux, notamment dans le contexte de la crise économique, des
(très) faibles perspectives de croissanceéconomique à moyen terme ainsi que de l’austérité
budgétaire contrainte. Cependant, ce n’est pas parce que le parcours est difficile et semé
d’embûches qu’il ne faut pas s’y engager au nom de la solidarité et de la citoyenneté
européenne et de la lutte contre la pauvreté, qui reste un état de fait inadmissible dans
l’Europe actuelle, et dont la disparition est inscrite dans les objectifs de l’UE ! L’UE et ses
EMS se sont montrés capables de mobiliser rapidement des sommes autrement plus
importantes lorsqu’il s’est agi de sauver les banques, et les citoyens européens ne
manqueront pas de le rappeler, notamment lors des prochaines élections. Un geste fort de
solidarité européenne, notamment à l’égard des plus démunis, ne pourrait qu’être un
contre-signal positif dans ce contexte.