Eglise et Art contemporain dans Osservatore Romano par Philippe Casanova
1. numéro 16, jeudi 19 avril 2012 L’OSSERVATORE ROMANO page 13
L’Eglise et l’art contemporain
Un dialogue à renouer
et à encourager
PHILIPPE CASANOVA mer cette mosaïque en un chœur
éloquent, une symphonie des arts.
our les artistes, la cité des Le cardinal Ravasi, président du
P Papes fut longtemps une terre
d’accueil, une matrice pour
l’inspiration en même temps qu’une
Conseil pontifical de la culture, as-
sisté par Mgr Iacobone, responsable
du département Art et Foi au sein
rampe de lancement. L’Eglise était du Conseil pontifical de la culture,
pour eux à la fois un interlocuteur entend écrire un autre chapitre de ce
naturel et le plus extraordinaire des dialogue, en quête d’une nouvelle
mécènes. Pendant la période ba- symbiose. Le point de départ fut la
roque notamment, la symbiose était rencontre du Saint-Père avec les ar-
totale entre le génie des uns, tistes, sous les fresques de la chapel-
(l’avant-garde d’alors), et la puissan- le Sixtine, en novembre 2009. On
ce à la fois politique et spirituelle de est passé aux exercices pratiques
l’Eglise; les chefs d’œuvres qui em- avec cette exposition qui en annonce
plissent les lieux de culte et par ex- une série d’autres et, peut-être, pour
tension les musées du monde entier la première fois, un Pavillon du Vati-
témoignent de la réussite de cette can à la prochaine Biennale de
collaboration. Venise.
Dès le milieu du XVIIIe siècle, ce Le catalogue, réalisé par la Librai-
rapport se fragilise; les œuvres susci- rie éditrice vaticane, relate la visite et
tées par le mécénat ecclésiastique l’appel aux artistes lancé par le
perdent en vigueur, en spontanéité Saint-Père lors de l’inauguration,
et en invention; la synergie qui pré- insistant sur le sens du «triptyque
valait au cours des époques précé- Vérité-Charité-Beauté» qui a donné
dentes laisse la place à la méfiance, son titre et sa thématique à l’exposi-
voire à l’indifférence. tio: «N’opposez jamais la créativité
Par la suite, les avant-gardes artis- artistique à la Vérité et à la Charité,
tiques se sont mises à l’enseigne de ne cherchez jamais la Beauté loin de
la Tabula Rasa et du rejet de l’Eglise la Vérité et de la Charité, mais avec
comme institution; tandis qu’au sein la richesse de votre génie, votre élan
de celle-ci, l’art est considéré sinon créatif, soyez avec courage à la re-
comme superflu, en tout cas certai- cherche de la Vérité et témoins de la
nement pas comme une priorité. Charité, faites resplendir la Vérité
Au cours des XIXe et XXe siècles, dans vos œuvres et faites en sorte
n’ont pas manqué les tentatives de que leur beauté suscite dans le re-
renouer le dialogue entre la foi ca- gard et dans le cœur de celui qui les
tholique et les formes et expressions admire le désir et le besoin de ren-
artistiques de notre temps. Au Vati- dre vraie l’existence, chaque existen-
ce, en l’enrichissant de ce trésor qui Laura Cretara, «L’Amor che move il sole e l’altre stelle» (2011)
can, le musée d’art contemporain Ci-dessous: Giuseppe Ducrot, «Tête de saint Jérôme» (2005)
ne passe jamais et fait de la vie un
voulu par Paul VI, témoigne de cette
chef d’œuvre et de chaque homme
prise de conscience, de la préoccu-
un extraordinaire artiste».
pation de combler un vide, de re- logiens de s’enrichir de leurs expé- jaillit l’énergie d’élans et d’audaces
Cette série d’initiatives du cardi-
trouver une relation de confiance. riences et formations respectives. Ici, nouvelles.
nal Ravasi répond à une attente dif-
L’Eglise souhaite ce dialogue avec l’art informel, le conceptuel, se si- La statue de saint Annibale di
fuse aussi bien chez les fidèles qu’au
l’art contemporain, mais doit-elle tuent dans un horizon théologique. Francia, œuvre de Giuseppe Ducrot,
ouvrir grands les battants de A l’opposé, l’historien d’art Steen installée l’année dernière dans une
ses sanctuaires aux délires Heideman, qui organise des exposi- niche du flan gauche de la basilique
des protagonistes de la tions collectives à l’occasion des Saint-Pierre (Piazza dei Protomarti-
scène artistique internatio- grands rendez-vous ecclésiaux — la ri) me semble un exemple convain-
nale? dernière aux JMJ de Madrid, la pro- cant d’une collaboration réussie en-
L’été dernier, une ex- chaine au Congrès eucharistique tre la congrégation du saint, la Fa-
position juxtaposait 60 de Dublin — souhaite des artis- brique de Saint-Pierre et un artiste
réponses par autant de tes figuratifs, sachant dessi- qui a su créer une œuvre originale,
créateurs de toutes ner et qui épousent, sinon forte et dans le même temps respec-
disciplines («Lo
tueuse de l’histoire et de la splen-
splendore della Veri-
deur architecturale qui l’accueille.
tà, la bellezza del-
L’intervention de Santiago Cala-
la Carità —
Omaggio degli trava sur l’église Saint John the Di-
artisti a Benedet- vine, à New York — malheureuse-
to XVI per il 60° di ment restée à l’état de projet — est
sacerdozio», catalo- une autre manière d’enjamber les
gue de l’exposition sempiternelles querelles des Anciens
publié par la Librairie et des Modernes, en réussissant à
éditrice vaticane). Elle être novateur sans esprit de rupture
prenait le parti de l’hé- avec la tradition. Sur les traces de
térogénéité, faisant se Borromini et Gaudi.
côtoyer des œuvres tout à Grâce au cardinal Ravasi et à ses
fait homologuées «art contem- interlocuteurs des Musées du Vati-
porain» (Kounellis, Mario Cero- can, de la Commission pour les
li) avec d’autres «fièrement antimo- biens culturels de l’Eglise, de la pré-
dernes» (Tzarkova, Guccione, Isola) fecture du palais apostolique et
et, entre ces deux extrêmes, toute sein des institutions ecclésiales; ainsi avec leur cœur, du moins de la poin- d’autres dicastères qui participent à
une gamme de propositions mitigées a-t-on pu assister, par exemple, ces te de leur pinceau, les canons de la cette entreprise autant pratique
(Rainaldi, Rupnik, Brech, Galliani). derniers mois au lancement d’un cy- piété traditionnelle. qu’intellectuelle, «l’art sacré contem-
Ce n’était pas une tâche aisée cle de rencontres et de conférences à Les prouesses des artistes du passé porain» pourrait connaître une im-
d’assembler une telle discontinuité l’université grégorienne intitulé ne doivent pas être un héritage inca- pulsion nouvelle et l’Eglise aura une
de styles, de techniques, de credos « Chiesarte » (dirigé par Yvonne zu pacitant, un astre aveuglant que l’on belle occasion de renouer avec sa vo-
esthétiques; pourtant l’installation Dohna, responsable du département ne peut regarder en face, mais au cation de découvreuse de talents et
dans l’atrium de la salle Paul VI art contemporain de l’université), contraire un formidable encourage- de mécène, le plus prolifique qui fût
réussissait avec sobriété à transfor- qui propose aux artistes et aux théo- ment, une source inépuisable d’où jamais.