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Nouvelles territorialisations de l’art
Je me propose dans les lignes qui suivent d’examiner quelques démarches d’artistes contemporains (hormis une allusion à
Paul Klee) qui témoignent de divers moyens de vivre nos rapports au temps et à l’espace dans le monde d’aujourd’hui. Les
références faites aux penseurs (philosophes, anthropologues) permettent d’ouvrir des problématiques et ne sauraient être
considérées comme la matière des œuvres qui n’en seraient que les illustrations. Nous avons abordé le thème de la
frontière sous des aspects variés dépassant largement sa définition géographique et politique. Il convenait de montrer en
effet comment les plasticiens peuvent s’inscrire dans les dynamiques différenciées des flux, dans les nouvelles échelles
offertes à notre savoir comme à notre action sur les choses, et comment il leur revenait de construire les limites signifiantes
d’un réel en devenir par le moyen des formes sensibles ouvrant à de nouveaux récits.
Ritournelles
La définition d’un territoire n’est pas à chercher d’abord dans un geste de souveraineté mais dans l’élaboration
d’une exploration et d’une exploitation du milieu donnant naissance à une forme dans l’espace et dans le temps. Un
rythme, une esthétique. Pour reprendre Leroi-Gourhan : comme une danse par laquelle l’homme s’approprie effectivement
et symboliquement le monde. Ou, suivant Deleuze et Guattari, comme une « ritournelle » parmi d’autres « ritournelles » ;
la métaphore musicale s’appuyant sur la « territorialisation » des oiseaux que les deux auteurs prennent pour exemple.
« Peut-on nommer art cette émergence ?...L’expressif est premier par rapport au possessif, les qualités expressives, ou
matières d’expression sont forcément appropriatives, et constituent un avoir plus profond que l’être. Non pas au sens où
ces qualités appartiendraient à un sujet, mais au sens où elles dessinent un territoire qui appartiendra au sujet qui les porte
ou qui les produit. » (Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 389) L’enfant qui marche dans le noir chantonne pour se
rassurer et repousser un monde menaçant, l’homme qui trace le cercle de sa demeure sont évoqués par les deux auteurs.
Parlant de cette poussée, de cette venue au monde, ils n’ont pas de peine à trouver chez Paul Klee, dans ses propos
lumineux, matière à illustrer le geste créateur partant du « point gris », possédant toutes les qualités, silencieusement,
jusqu’à l’élaboration musicale des formes et des couleurs : une territorialisation cosmique embrassant le visible et
l’invisible. Klee offre aussi maintes réflexions sur le problème philosophique majeur d’une pensée du continu et du
discontinu et sait en tirer des formes remarquables. L’étoffe du monde se prête à être reprise, ses modules se prêtent à
être recombinés pour donner naissance à des figures multiples et joyeuses s’appuyant sur le jeu des ressemblances et des
analogies comme dans l’ancien savoir, dessinant leurs frontières sur un fond matriciel. L’art est, on le voit tout de suite,
convoqué pour parler de la territorialisation.
Bernard Pourrière dans une pièce intitulée Langages mettait récemment dans son installation un mainate
vivant, écoutant les chants (ritournelles) d’autres oiseaux provenant de cages vides. Ces chants n’avaient pas pour origine
une collecte faite par l’artiste en milieu naturel mais des captations réalisées sur le net. Chants de divers lieux n’ayant
aucun rapport entre eux. Chants déformés par les conditions de leur saisie, retravaillés par l’artiste. Dans cette installation,
ce qu’apprend le mainate, ce qu’il est censé imiter ainsi que le veut l’instinct, ce sont des chants de nulle part diffusés au
gré des mouvements imprévus des visiteurs. On ne saurait mieux illustrer les mutations d’aujourd’hui dans les processus
de territorialisation…Le travail de BP s’intéresse aussi aux hybridations, aux « contagions » entre règnes et espèces dans un
« devenir » effaçant et redessinant les « frontières » : « La robotique croise désormais les mutations du vivant précipitées
par les manipulations génétiques. » écrivait l’artiste à l’occasion de l’exposition Le corps : hybridation, disparition,
transformation, possibilisme à la Galerie Depardieu à Nice. Même propos pour l’exposition consacrée à l’animalité au
Massachussetts Museum of Contemporary Art (Mass MoCA) à North Adams (may 2005-march 2006) : Becoming Animal :
Contemporary Art in the Animal Kingdom. Le titre faisait référence à Deleuze et Guattari. La présentation rappelait la vision
des auteurs pour qui rien n’est arrêté, et aucun règne, aucune espèce ne possède des frontières infranchissables. Tout
n’est physiquement et mentalement qu’arrangements, et configurations. Le monstre est partout, dans le mouvement
permanent de l’évolution, dans les contagions de formes et de forces, (la monstruosité ne peut pas clairement être séparée
de la variation). Le devenir animal n’est pas le seul horizon. Devenir animal et devenir machine vont de pair dans notre
monde à un rythme sans cesse accéléré. « En somme, nous sommes devenus –ou devenons- post-humains » écrit
Christoph Cox dans le catalogue de l’exposition : nous sommes engagés dans « une hétérogénéité machinique, un devenir
qui opère une transgression des frontières non seulement entre les espèces, mais entre la nature et l’artifice, la science et
l’art.»
Récits
En fait tout art pose des frontières, parle de frontières et les subvertit dans le même temps. Michel de Certeau,
dans L’invention du quotidien 1. Arts de faire (Gallimard, 1990) traite particulièrement bien de la question qui nous occupe.
Comment se construit un espace humain -qu’il définit comme une aire traversée par des forces-, un « croisement de
mobiles » (quand le lieu est donné selon lui par la position des objets dans une configuration stable) ? Ce sont les
opérations des différents acteurs qui le font naître et celles-ci sont dites (on peut raconter son expérience, on peut la pré-
dire) ; le chapitre intitulé « récits d’espaces » expose comment sa recherche a su convoquer des disciplines telles que
sémantique de l’espace, psycholinguistique de la perception, sociolinguisitique des descriptions de lieux, phénoménologie
des comportements organisateurs de territoires etc. pour rendre compte de la relation étroite unissant pratique de l’espace
et pratique du récit. Et ce qui vaut pour l’individu vaut pour le groupe avec ce que le récit dans ce cas autorise ; le bornage,
l’établissement de la frontière sont fruits d’un échange de mots, de témoignages, de conduites rituelles. « Il n’est pas de
spatialité que n’organise la détermination de frontières. Dans cette organisation, le récit a un rôle décisif. Certes il décrit.
Mais toute description est plus qu’une fixation, c’est un acte culturellement créateur. » Toute action civile et militaire
d’importance reposait, par exemple, à Rome sur l’ouverture rituelle d’un champ où pouvait se développer l’action. « Le tour
ou la marche des fetiales [prêtres de Jupiter] ouvrait un espace et assurait une assise aux opérations des militaires,
diplomates ou commerçants qui se risquaient hors des frontières. » p. 183 Nous avons certes perdu ces pratiques et les
récits légitimes fondateurs. Mais « une activité narrative, même si elle est multiforme et non plus unitaire continue donc à
se développer là où il est question de frontières et de relations avec l’étranger. Eclatée et disséminée, elle ne cesse
d’effectuer des opérations de bornage » (Aujourd’hui « Une historiographie officielle –livres d’histoire, actualités
télévisées, etc. – s’efforce pourtant d’imposer à chacun la crédibilité d’un espace national », ajoute encore Michel de
Certeau soulignant ainsi la fragilité de cette limite).
Toute frontière suppose en outre le contact avec l’autre, avec l’autre rive, avec d’autres récits et d’autres
ritournelles. Et se pose naturellement la question du statut à donner à cet espace interstitiel, cet « entre » séparant les
aires appropriées. Et se pose aussi la question du passage, de la transaction (Notons que Michel de Certeau propose de
reprendre le nom de région pour toute aire transactionnelle où se répondent donc plusieurs interlocuteurs). La frontière
qui sépare, et disjoint est inévitablement liée au « pont » par lequel on s’échappe et l’on peut revenir, par lequel aussi
s’inverse le regard aiguisé par la rencontre de l’autre et par lequel on est, dès lors, prêt à voir chez soi une altérité qui
sommeille. Dans un temps tout occupé à penser la mondialisation, la question des influences réciproques des cultures revêt
une importance toute particulière avec ses enjeux économiques, politiques, religieux, philosophiques. Comment les artistes
ont-ils opéré les emprunts dont ils ont eu besoin dans leur démarche, comment ont-ils raconté ces parcours en « terre
étrangère » ? Il y a là une réflexion à mener et un chantier à poursuivre concrètement. En 1968, à la Biennale de Venise,
Michelangelo Pistoletto présente le « Manifeste de la Collaboration ». C’est à partir de là que naît le « Zoo », un groupe
ouvert qui propose un art d’échange créatif, c’est-à-dire de découverte de l’identité de « l’autre ». En 2001, il fonde la
Cittadellarte-Fondazione Pistoletto, son Université des Idées à Biella, près de Turin, dont le but est « d’inspirer et de
produire une transformation responsable de la société à travers les idées et les projets créatifs » en réunissant sa famille,
des amis, des artistes, des personnes du monde de l’art, des scientifiques, des chercheurs, des curieux et intéressés, etc.
Elargissant le cercle il crée « Love Difference » : ce « mouvement artistique pour une politique interméditerranéenne » qui
propose de faire travailler ensemble les artistes de tout le bassin méditerranéen.
Remarquable dans cette perspective est le projet de l’artiste américaine Basia Irland, A gathering of Waters ; Rio
Grande, source to see, (1995-2000). En descendant le cours du Rio Grande le long de la frontière entre Mexique et Etats-
Unis, elle mêle questions humaines et environnementales. Des échantillons d’eau du fleuve sont prélevés et transportés
passant de main en main, de communauté en communauté. Des textes les accompagnent. Les paroles s’échangent et
construisent un autre territoire.
Aire ou trajet ? Une société de l’emport
Dans une société pauvre en issues symboliques et en espaces à investir, soumise au choix d’un ordre
« disciplinaire » ou d’une délinquance marginalisée la puissance de récits ouvrant les possibles de nouveaux temps et de
nouveaux espaces n’est-elle pas à encourager ? La question de la frontière pour les artistes ne se situe-t-elle pas là dans ce
qu’on a appelé à la fin du siècle dernier le champ élargi de l’art, un colloque capable de rendre compte du nouveau monde ?
Ne faut-il pas revoir complètement notre géographie des frontières et les récits qui les fondaient ? Le tableau peint dans le
dernier livre de Paul Virilio (Le futurisme de l’instant, Stop-Eject, Galilée, 2009) met en évidence l’échelle monde des
problèmes contemporains mais aussi des changements violents de paradigmes. Les villes n’ont plus le rôle de centres
complexes qu’on leur connaissait ; se développe cette « outre-ville, vaste chaîne assurant le mouvement des hommes, des
biens, des signaux ». Un nomadisme général affecte de plus en plus tous les hommes ; « inhabitation », « émancipation
domiciliaire », dit-il. Dans ce monde, « le trajet pourrait bientôt l’emporter sur lieu. Traçabilité contre identité. Emport
contre cité, Etats-Nations. » Quel devenir pour les frontières dans un tel mouvement ? Le groupe Stalker lors de
l’exposition GNS (Palais de Tokyo, 2003), présentait «le processus d’un projet de « voyage biblique » entre le centre culturel
Kurde à Rome et le Kurdistan, en collectant des histoires personnelles d’immigrés de l’Est. Ces témoignages relevés le long
de la Via Egnatia (ancienne voie romaine traversant les Balkans) se sont inscrits peu à peu dans l’exposition. Le travail du
groupe, composé selon les projets de sept à vingt membres aux compétences diverses – architectes, vidéastes, plasticiens,
anthropologues... entraînait le spectateur dans des territoires inconnus où les concepts traditionnels changent de sens et
deviennent méconnaissables, et où des situations inédites convoquent d’autres relations, d’autres expériences, d’autres
significations. » (www. conteners.org/L-OBSERVATOIRE-NOMADE). Tout aussi pertinente, l’approche de Laura Horelli
documentant la construction d’un navire de croisière, le monde des ouvriers venus de tous pays, la première croisière de
port en port à travers le monde (Exposition Global Navigation System, Palais de Tokyo, 2003).
De nouvelles formes
Dans son livre intitulé Pour une anthropologie des mondes contemporains (Champ Flammarion 1994) Marc Augé
remarquait que notre monde « pousse à son comble l’instabilité spatiale et la multiplication des changements d’échelle ».
Dès lors « chacun est ou croit être en relation avec l’ensemble du monde. Aucune rhétorique intermédiaire ne protège plus
l’individu d’une confrontation avec l’ensemble informel de la planète, ou, ce qui revient au même, avec l’image vertigineuse
de sa solitude » (p. 135). Il convient d’inventer des outils nouveaux, les nouveaux dessins d’une intelligence à mi-chemin
entre économie formelle et corrélation signifiante. Des artistes semblent répondre à ce défi. Nicolas Bourriaud dans son
livre Radicant, pour une esthétique de la globalisation, tente de dire comment s’inventent aujourd’hui une nouvelle relation
à l’espace-temps de la connaissance. Les œuvres de Jason Rhoades ou de Thomas Hirschhorn « inaugurent un régime
spécifique du signe : au-delà de la sérialité pop-minimale des années 60 et des fragmentations des années 80, elles mettent
en scène un effet de masse critique visuelle à travers l’accumulation chaotique d’informations et de formes produite par
l’industrie. Ces signes se côtoient, se regroupent en nuages de données, se redivisent dans l’espace, font irruption dans la
rue » écrit l’auteur (p. 136). Derrière cet apparent désordre il y aurait une sorte de diagramme que Bourriaud nomme alors
forme trajet. Elle « embrasse l’unité d’un parcours, rend compte d’un cheminement ou duplique celui-ci… » Et l’art des
années 2000 s’intéresserait plus, de ce fait, aux connexions et aux lignes en tension qu’à l’espace lui-même ajoute-t-il.
L’image de la planète et vision monde
Autre perspective tentant de montrer comment le projet moderne aboutit à une dimension monde qui se boucle
sur un dangereux défi ; les propos de Michel Tibon-Cornillot, (La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme, in
La Planète Laboratoire, n° 3, Octobre 2008) savent pointer le rapport profond liant utopie moderne, universalisme
scientifique et vision géographique surplombante. « L’unification et la diffusion de l’image de la planète Terre dans le cadre
héliocentrique copernicien furent présentes dès l’origine des sciences modernes et proposent la vision « princeps » dans
laquelle va s’inscrire la mondialisation scientifique et technique. » Sous le signe de cette image s’opère l’invention des outils
et des objets étudiés par les sciences dans le lieu confiné du laboratoire, substituant à la complexité vivante du monde le
cadre maîtrisé des processus mathématisables. L’industrie prolongera cette anthropisation du milieu. « L’image de la
planète Terre rassemble et annonce en une seule représentation le projet ultime, celui d’une planète reconstruite. » En
même temps que se renforce cette empreinte, les phénomènes changent d’échelle pour toucher de plus en plus une
dimension monde et « la reconstruction réelle du monde se confond peu à peu avec sa destruction… » Les artistes
s’emparent eux aussi de cette vision monde au-delà des frontières politiques sur des modes différents. Ingo Günter se sert
de l’image du globe terrestre pour faire passer informations et propositions depuis 1989. Participant au groupe Ocean Earth
établi à New York, il côtoie Peter Fend dont les différents projets prennent en compte des dimensions à l’échelle des
continents conciliant préoccupations socio-économiques et écologiques. La prise en compte dans un même projet des
migrations de la faune et des voies de migrations humaines apporte un autre regard sur de vastes régions. Ces visions
mondes ne sont pas là pour simplifier dans un processus de réduction d’ingénieur mais au contraire pour travailler sur
toutes les échelles en ayant à l’esprit la richesse des interactions complexes. Ce que dit Gilles Clément très justement en
une phrase laconique en forme de prescription : « Rendre accessible les images satellites, les images microscopiques »
(Manifeste du Tiers paysage, 2004) Décrire, définir, mesurer les fonctions subtiles et nécessaires des différents milieux peut
être une tâche digne d’une approche artistique, une réponse efficace à la vision de technosciences au service d’un ordre
réducteur essentiellement économique.
Etre ensemble ; frontières et rituels
Régis Debray dénonce précisément la naïveté béate des citoyens du monde et le danger des solutions toutes
faites. Qu’est-ce que le sans-frontiérisme : un économisme… un technicisme…un absolutisme…un impérialisme, résume-t-il.
Jean-Claude Guillebaud dans Le commencement d’un monde (Seuil 2008) ne dit pas autre chose : « Le fondamentalisme
occidental au sujet des droits de l’homme joue sur une confusion volontaire entre ces derniers et le néo-libéralisme. Un
individualisme exacerbé déconstruisant toutes les solidarités au profit d’un ordre économique. » Et pour répondre à cette
unification-atomisation sans âme, les faibles et les perdants n’ont plus que la solution du repli sur des petites différences ;
« Le narcissisme des petites différences, exacerbé par la communication en temps réel, engendre des paranoïas éclair. »
(Debray) Fanatismes, tribalismes,… Il faut donc faire l’éloge de ce qui nomme, cerne, définit ; faire l’éloge des frontières
(mais pas des frontières étanches et stérilisantes, faut-il aussitôt ajouter!). Faire aussi l’éloge des rituels par lesquels
s’articulent les récits, se construisent les espaces et les lieux, s’affirment des identités toujours en devenir. «Le dispositif
rituel élargi s’applique à un espace matériel, à une durée mesurable et à des effets de divers ordres (psychologiques,
sociaux, politiques) attendus, recherchés voire élaborés. » (Debray) La construction d’une communauté passe par là.
« Dans un monde enchanté, que l’on pourrait appeler « univers de reconnaissance », l’erreur est toujours provisoire et il n’y
a pas d’inconnu : les dispositifs rituels ont pour finalité de permettre à chacun en fin de compte de s’y reconnaître. »
(Debray). A la différence de l’urgence du Stop-Eject dénoncé par Virilio, il y a là appel à la lenteur. Il faut prendre le temps
du rite : « Tout intronisation, mariage ou bar-mitsva, cérémonie de naturalisation, prestation de serment au barreau,
remise de lettre de créance, soutenance de thèse à l’université, tout cela « traîne en longueur » » (Debray) Notons qu’il
existe des rituels nouveaux sur le net et qu’une sorte de géographie virtuelle d’accueil ou d’exclusion se met en place.
Partout se renégocient des frontières. « La vie collective comme celle de tout un chacun exige une surface de séparation. »
(Debray) Si l’interactivité d’un certain nombre d’installations artistiques pose problème c’est que leurs auteurs le plus
souvent ne tiennent pas compte des protocoles rituels qui donnent statut et sens aux choses et aux êtres que nous
rencontrons. La transmission d’informations n’est pas communication, la mise en réseau n’est pas participation. Il y a là un
beau travail à mener pour interroger les protocoles, en inventer d’autres et les détourner. La relation du collectif au
territoire peut être dite plus abruptement : « Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre. » (Debray). Ou
d’une autre façon : « S’il est difficile de créer des lieux, c’est qu’il est difficile de créer des liens » (Marc Augé, Pour une
anthropologie des mondes contemporains, Flammarion, 2010).
L’art avance tout comme Montaigne en sa recherche par « sauts et gambades ». Rien de plus provoquant pour les
artistes que de traiter des frontières. Simon Starling en somme pourrait bien dans ses parcours imprévus à la logique
infaillible tracer des routes indifférentes aux bornes du bon sens ; l’histoire et la géographie –qui sont les terreaux où se
forment lisières et frontières- y sont convoqués mais mis au service de calambours pleins de sens. Rescued Rhododendrons
(2000) en offre un exemple. Dans le cadre d’une commande publique, des artistes sont invités à proposer des projets de
sculpture sur une lande de bruyère en Ecosse. Apprenant que les rhododendrons qui poussaient sur cette lande allaient
être détruits afin qu’ils ne nuisent pas à l’écosystème, Simon Starling entreprend de sauver les rhododendrons, considérés
là-bas comme de la mauvaise herbe, et de les rapporter sur leurs terres d’origine, dans le sud de l’Espagne. (Les
rhododendrons avaient en effet été importés d’Espagne en Ecosse en 1763, par un botaniste suédois, à l’époque où
l’horticulture prenait naissance et était associée à l’idéologie de la colonisation – exhibition des plantes exotiques). Starling
décide donc de renverser le processus en transportant des rhododendrons, dans sa Volvo (voiture suédoise), du nord de
l’Ecosse au sud de l’Espagne. Ici les symboles franchissent allègrement les siècles et les frontières nationales.
Huang Yongping est un artiste chinois de l’après Révolution Culturelle. Il reçoit brusquement l’héritage de la
modernité occidentale et l’influence de l’art contemporain. Sa réflexion va le porter à récuser la problématique d’un
dialogue entre culture asiatique et culture occidentale. Revenant aux sources chinoises anciennes il aborde la question en
rejetant tout dualisme réducteur. Il invente une stratégie de l’ouverture, de la chance au sens du non agir de la tradition,
wu wei. Lorsqu’on lui propose une exposition à Shenzhen (zone économique spéciale depuis 1979), il prend prétexte d’un
incident frontalier grave intervenu peu avant entre l’Amérique et la Chine pour proposer une pièce de grande dimension.
Un avion espion EP-3 américain a été récemment intercepté au dessus du territoire chinois et forcé d’atterrir. Après âpres
négociations, l’équipage américain est autorisé à repartir dans son pays et l’avion, découpé en 8 tronçons est embarqué
dans deux énormes avions cargos pour être restitué à l’Oncle Sam.
Dans le cadre de la manifestation intitulée « Transplantation », l’œuvre de HYP prend la forme d’un tronçon d’une
vingtaine de mètres, morceau du fuselage et queue de l’appareil. Il lui donne le nom de projet Chauve-Souris. Sur la zone
frontière de Shenzhen où s’implante la nouvelle frontière économique de la Chine, l’artiste veut déposer une sorte de
monument signe de la puissance américaine et signe de la mondialisation. Mais il n’y a là que la queue et les chinois disent
volontiers pour une question non entièrement résolue qu’on en a laissé la queue ! Le symbole ambigu de la chauve-souris
repris d’un blason de l’avion américain évoque la puissance nocturne mais aussi pour la Chine la prospérité, la longévité…
Mais les deux curateurs français et chinois font bientôt savoir que l’exposition de sa pièce est indésirable ; nous sommes
juste au lendemain du 11 septembre 2001 et des pressions d’origine inconnue à ce jour aboutissent à l’interdiction. Censure
sans traces écrites…L’œuvre sera elle-même découpée en tronçons ( ! ) et « transplantée » dans un site paysagé (sic).
Cette censure n’empêche pas HYP de recevoir l’invitation d’exposer à nouveau son oeuvre en Chine pour la
Triennale de Gangzhou. Mais trop difficile à récupérer Chauve Souris I sera remplacée par Chauve Souris II composé par un
morceau du fuselage et l’aile gauche de l’appareil. Le nom de l’œuvre est Boomrang. Mais le 16 novembre, 2 jours avant
l’ouverture de l’exposition, la pièce est découpée en 4 morceaux par les autorités et enlevée de la manifestation. Le nom de
HYP est effacé du catalogue. Français, américains et chinois se sont mis d’accord là-dessus.
Cette deuxième censure n’arrête pas le parcours du projet et, de ce fait, fait partie pour l’auteur de sa démarche.
En 2003 une entreprise chinoise finance une exposition d’art contemporain à Pékin. Le slogan de l’entreprise affirme
fièrement ; « Quand tout le monde tourne à droite, tourner à gauche ! ». Mais l’artiste décide de proposer Chauve Souris
III ; l’aile droite de l’avion espion. L’œuvre est achevée le 29 décembre. Le même jour un message venant de l’entreprise
signifie à l’artiste que « pour des raisons de sécurité » l’œuvre ne pourra pas être exposée.
En 2005 HYP pourra donc exposer Chauve Souris IV aux Etats-Unis ; un cockpit semblable à l’original est récupéré
et un fuselage sommairement construit abrite alors des documents rapportant l’histoire de ce projet. D’autres expositions
utiliseront tout ou partie de ce matériel y compris une exposition en Chine réalisée par surprise (voir à ce sujet ; Shiyan Li,
Le vide dans l’art du XXème siècle : Occident / Extrème-Orient, Presses Universitaires de Provence, à paraître fin 2013). On
trouvera difficilement meilleur exemple de ce qui peut se jouer entre les jeux cachés des intérêts politiques des nations et
la stratégie d’effacement et de rebond d’un artiste refusant et dans sa philosophie et dans sa pratique les dialectiques
communes fondées sur des oppositions dualistes réductrices.
Par-delà nature et culture
De nouvelles frontières se dessinent donc réinterrogeant notre nature et mais aussi notre rapport à la nature. Il
n’y a pas là seulement réflexion de l’anthropologue examinant comment certains peuples vivent une continuité vivante
dans leur milieu là où l’homme occidental a instauré une séparation radicale d’avec une nature objectivée (Philippe
Descola). C’est très concrètement la géographie des espaces naturels protégés, les lois qui régissent les usages du sol, la
définition des espaces maritimes ou du continent antarctique qui sont concernés ; comment l’homme doit-il recoudre le
milieu humain à l’étoffe de la nature. Exemplaire là-dessus le travail d’esprit très scientifique des artistes Hélène et Newton
Harrison dans un travail comme Casting a Green Net : Can It Be We are Seeing a Dragon (1998). Le projet devait étudier la
manière de relier les dernières zones de nature dans une région très humanisée du centre de l’Angleterre et établir un
rapport durable avec les espaces anthropisés : « We began to look for an eco-cultural cycle that would replace or restore
the soils…In essence a new feedback system at great scale seemed call for… ». La même ambition de restaurer des ponts
entre milieux et époques différentes anime la démarche d’un Alan Sonfist qui se veut un visual archeologist mêlant la
mémoire des sites naturels aux reliques culturelles des temps passés. De son côté, Mark Dion offrait avec Tate Thames Dig
(1999) une belle illustration de la confusion des temps et des lieux en rassemblant dans les vitrines de la Tate Gallery les
objets recueillis dans une fouille menée sur la rive du fleuve ; ossements des bêtes et des hommes, poteries antiques,
objets de toute époque, téléphones portables… Le fleuve offrait ces « vanités » où se rassemblaient nature et culture sans
plus de partage.
Pierre Paliard
Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, mars 2011
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Ritournelles

  • 1. Nouvelles territorialisations de l’art Je me propose dans les lignes qui suivent d’examiner quelques démarches d’artistes contemporains (hormis une allusion à Paul Klee) qui témoignent de divers moyens de vivre nos rapports au temps et à l’espace dans le monde d’aujourd’hui. Les références faites aux penseurs (philosophes, anthropologues) permettent d’ouvrir des problématiques et ne sauraient être considérées comme la matière des œuvres qui n’en seraient que les illustrations. Nous avons abordé le thème de la frontière sous des aspects variés dépassant largement sa définition géographique et politique. Il convenait de montrer en effet comment les plasticiens peuvent s’inscrire dans les dynamiques différenciées des flux, dans les nouvelles échelles offertes à notre savoir comme à notre action sur les choses, et comment il leur revenait de construire les limites signifiantes d’un réel en devenir par le moyen des formes sensibles ouvrant à de nouveaux récits. Ritournelles La définition d’un territoire n’est pas à chercher d’abord dans un geste de souveraineté mais dans l’élaboration d’une exploration et d’une exploitation du milieu donnant naissance à une forme dans l’espace et dans le temps. Un rythme, une esthétique. Pour reprendre Leroi-Gourhan : comme une danse par laquelle l’homme s’approprie effectivement et symboliquement le monde. Ou, suivant Deleuze et Guattari, comme une « ritournelle » parmi d’autres « ritournelles » ; la métaphore musicale s’appuyant sur la « territorialisation » des oiseaux que les deux auteurs prennent pour exemple. « Peut-on nommer art cette émergence ?...L’expressif est premier par rapport au possessif, les qualités expressives, ou matières d’expression sont forcément appropriatives, et constituent un avoir plus profond que l’être. Non pas au sens où ces qualités appartiendraient à un sujet, mais au sens où elles dessinent un territoire qui appartiendra au sujet qui les porte ou qui les produit. » (Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p. 389) L’enfant qui marche dans le noir chantonne pour se rassurer et repousser un monde menaçant, l’homme qui trace le cercle de sa demeure sont évoqués par les deux auteurs. Parlant de cette poussée, de cette venue au monde, ils n’ont pas de peine à trouver chez Paul Klee, dans ses propos lumineux, matière à illustrer le geste créateur partant du « point gris », possédant toutes les qualités, silencieusement, jusqu’à l’élaboration musicale des formes et des couleurs : une territorialisation cosmique embrassant le visible et l’invisible. Klee offre aussi maintes réflexions sur le problème philosophique majeur d’une pensée du continu et du discontinu et sait en tirer des formes remarquables. L’étoffe du monde se prête à être reprise, ses modules se prêtent à être recombinés pour donner naissance à des figures multiples et joyeuses s’appuyant sur le jeu des ressemblances et des analogies comme dans l’ancien savoir, dessinant leurs frontières sur un fond matriciel. L’art est, on le voit tout de suite, convoqué pour parler de la territorialisation. Bernard Pourrière dans une pièce intitulée Langages mettait récemment dans son installation un mainate vivant, écoutant les chants (ritournelles) d’autres oiseaux provenant de cages vides. Ces chants n’avaient pas pour origine une collecte faite par l’artiste en milieu naturel mais des captations réalisées sur le net. Chants de divers lieux n’ayant aucun rapport entre eux. Chants déformés par les conditions de leur saisie, retravaillés par l’artiste. Dans cette installation, ce qu’apprend le mainate, ce qu’il est censé imiter ainsi que le veut l’instinct, ce sont des chants de nulle part diffusés au gré des mouvements imprévus des visiteurs. On ne saurait mieux illustrer les mutations d’aujourd’hui dans les processus de territorialisation…Le travail de BP s’intéresse aussi aux hybridations, aux « contagions » entre règnes et espèces dans un « devenir » effaçant et redessinant les « frontières » : « La robotique croise désormais les mutations du vivant précipitées par les manipulations génétiques. » écrivait l’artiste à l’occasion de l’exposition Le corps : hybridation, disparition, transformation, possibilisme à la Galerie Depardieu à Nice. Même propos pour l’exposition consacrée à l’animalité au Massachussetts Museum of Contemporary Art (Mass MoCA) à North Adams (may 2005-march 2006) : Becoming Animal : Contemporary Art in the Animal Kingdom. Le titre faisait référence à Deleuze et Guattari. La présentation rappelait la vision des auteurs pour qui rien n’est arrêté, et aucun règne, aucune espèce ne possède des frontières infranchissables. Tout n’est physiquement et mentalement qu’arrangements, et configurations. Le monstre est partout, dans le mouvement permanent de l’évolution, dans les contagions de formes et de forces, (la monstruosité ne peut pas clairement être séparée de la variation). Le devenir animal n’est pas le seul horizon. Devenir animal et devenir machine vont de pair dans notre monde à un rythme sans cesse accéléré. « En somme, nous sommes devenus –ou devenons- post-humains » écrit
  • 2. Christoph Cox dans le catalogue de l’exposition : nous sommes engagés dans « une hétérogénéité machinique, un devenir qui opère une transgression des frontières non seulement entre les espèces, mais entre la nature et l’artifice, la science et l’art.» Récits En fait tout art pose des frontières, parle de frontières et les subvertit dans le même temps. Michel de Certeau, dans L’invention du quotidien 1. Arts de faire (Gallimard, 1990) traite particulièrement bien de la question qui nous occupe. Comment se construit un espace humain -qu’il définit comme une aire traversée par des forces-, un « croisement de mobiles » (quand le lieu est donné selon lui par la position des objets dans une configuration stable) ? Ce sont les opérations des différents acteurs qui le font naître et celles-ci sont dites (on peut raconter son expérience, on peut la pré- dire) ; le chapitre intitulé « récits d’espaces » expose comment sa recherche a su convoquer des disciplines telles que sémantique de l’espace, psycholinguistique de la perception, sociolinguisitique des descriptions de lieux, phénoménologie des comportements organisateurs de territoires etc. pour rendre compte de la relation étroite unissant pratique de l’espace et pratique du récit. Et ce qui vaut pour l’individu vaut pour le groupe avec ce que le récit dans ce cas autorise ; le bornage, l’établissement de la frontière sont fruits d’un échange de mots, de témoignages, de conduites rituelles. « Il n’est pas de spatialité que n’organise la détermination de frontières. Dans cette organisation, le récit a un rôle décisif. Certes il décrit. Mais toute description est plus qu’une fixation, c’est un acte culturellement créateur. » Toute action civile et militaire d’importance reposait, par exemple, à Rome sur l’ouverture rituelle d’un champ où pouvait se développer l’action. « Le tour ou la marche des fetiales [prêtres de Jupiter] ouvrait un espace et assurait une assise aux opérations des militaires, diplomates ou commerçants qui se risquaient hors des frontières. » p. 183 Nous avons certes perdu ces pratiques et les récits légitimes fondateurs. Mais « une activité narrative, même si elle est multiforme et non plus unitaire continue donc à se développer là où il est question de frontières et de relations avec l’étranger. Eclatée et disséminée, elle ne cesse d’effectuer des opérations de bornage » (Aujourd’hui « Une historiographie officielle –livres d’histoire, actualités télévisées, etc. – s’efforce pourtant d’imposer à chacun la crédibilité d’un espace national », ajoute encore Michel de Certeau soulignant ainsi la fragilité de cette limite). Toute frontière suppose en outre le contact avec l’autre, avec l’autre rive, avec d’autres récits et d’autres ritournelles. Et se pose naturellement la question du statut à donner à cet espace interstitiel, cet « entre » séparant les aires appropriées. Et se pose aussi la question du passage, de la transaction (Notons que Michel de Certeau propose de reprendre le nom de région pour toute aire transactionnelle où se répondent donc plusieurs interlocuteurs). La frontière qui sépare, et disjoint est inévitablement liée au « pont » par lequel on s’échappe et l’on peut revenir, par lequel aussi s’inverse le regard aiguisé par la rencontre de l’autre et par lequel on est, dès lors, prêt à voir chez soi une altérité qui sommeille. Dans un temps tout occupé à penser la mondialisation, la question des influences réciproques des cultures revêt une importance toute particulière avec ses enjeux économiques, politiques, religieux, philosophiques. Comment les artistes ont-ils opéré les emprunts dont ils ont eu besoin dans leur démarche, comment ont-ils raconté ces parcours en « terre étrangère » ? Il y a là une réflexion à mener et un chantier à poursuivre concrètement. En 1968, à la Biennale de Venise, Michelangelo Pistoletto présente le « Manifeste de la Collaboration ». C’est à partir de là que naît le « Zoo », un groupe ouvert qui propose un art d’échange créatif, c’est-à-dire de découverte de l’identité de « l’autre ». En 2001, il fonde la Cittadellarte-Fondazione Pistoletto, son Université des Idées à Biella, près de Turin, dont le but est « d’inspirer et de produire une transformation responsable de la société à travers les idées et les projets créatifs » en réunissant sa famille, des amis, des artistes, des personnes du monde de l’art, des scientifiques, des chercheurs, des curieux et intéressés, etc. Elargissant le cercle il crée « Love Difference » : ce « mouvement artistique pour une politique interméditerranéenne » qui propose de faire travailler ensemble les artistes de tout le bassin méditerranéen. Remarquable dans cette perspective est le projet de l’artiste américaine Basia Irland, A gathering of Waters ; Rio Grande, source to see, (1995-2000). En descendant le cours du Rio Grande le long de la frontière entre Mexique et Etats- Unis, elle mêle questions humaines et environnementales. Des échantillons d’eau du fleuve sont prélevés et transportés passant de main en main, de communauté en communauté. Des textes les accompagnent. Les paroles s’échangent et construisent un autre territoire. Aire ou trajet ? Une société de l’emport
  • 3. Dans une société pauvre en issues symboliques et en espaces à investir, soumise au choix d’un ordre « disciplinaire » ou d’une délinquance marginalisée la puissance de récits ouvrant les possibles de nouveaux temps et de nouveaux espaces n’est-elle pas à encourager ? La question de la frontière pour les artistes ne se situe-t-elle pas là dans ce qu’on a appelé à la fin du siècle dernier le champ élargi de l’art, un colloque capable de rendre compte du nouveau monde ? Ne faut-il pas revoir complètement notre géographie des frontières et les récits qui les fondaient ? Le tableau peint dans le dernier livre de Paul Virilio (Le futurisme de l’instant, Stop-Eject, Galilée, 2009) met en évidence l’échelle monde des problèmes contemporains mais aussi des changements violents de paradigmes. Les villes n’ont plus le rôle de centres complexes qu’on leur connaissait ; se développe cette « outre-ville, vaste chaîne assurant le mouvement des hommes, des biens, des signaux ». Un nomadisme général affecte de plus en plus tous les hommes ; « inhabitation », « émancipation domiciliaire », dit-il. Dans ce monde, « le trajet pourrait bientôt l’emporter sur lieu. Traçabilité contre identité. Emport contre cité, Etats-Nations. » Quel devenir pour les frontières dans un tel mouvement ? Le groupe Stalker lors de l’exposition GNS (Palais de Tokyo, 2003), présentait «le processus d’un projet de « voyage biblique » entre le centre culturel Kurde à Rome et le Kurdistan, en collectant des histoires personnelles d’immigrés de l’Est. Ces témoignages relevés le long de la Via Egnatia (ancienne voie romaine traversant les Balkans) se sont inscrits peu à peu dans l’exposition. Le travail du groupe, composé selon les projets de sept à vingt membres aux compétences diverses – architectes, vidéastes, plasticiens, anthropologues... entraînait le spectateur dans des territoires inconnus où les concepts traditionnels changent de sens et deviennent méconnaissables, et où des situations inédites convoquent d’autres relations, d’autres expériences, d’autres significations. » (www. conteners.org/L-OBSERVATOIRE-NOMADE). Tout aussi pertinente, l’approche de Laura Horelli documentant la construction d’un navire de croisière, le monde des ouvriers venus de tous pays, la première croisière de port en port à travers le monde (Exposition Global Navigation System, Palais de Tokyo, 2003). De nouvelles formes Dans son livre intitulé Pour une anthropologie des mondes contemporains (Champ Flammarion 1994) Marc Augé remarquait que notre monde « pousse à son comble l’instabilité spatiale et la multiplication des changements d’échelle ». Dès lors « chacun est ou croit être en relation avec l’ensemble du monde. Aucune rhétorique intermédiaire ne protège plus l’individu d’une confrontation avec l’ensemble informel de la planète, ou, ce qui revient au même, avec l’image vertigineuse de sa solitude » (p. 135). Il convient d’inventer des outils nouveaux, les nouveaux dessins d’une intelligence à mi-chemin entre économie formelle et corrélation signifiante. Des artistes semblent répondre à ce défi. Nicolas Bourriaud dans son livre Radicant, pour une esthétique de la globalisation, tente de dire comment s’inventent aujourd’hui une nouvelle relation à l’espace-temps de la connaissance. Les œuvres de Jason Rhoades ou de Thomas Hirschhorn « inaugurent un régime spécifique du signe : au-delà de la sérialité pop-minimale des années 60 et des fragmentations des années 80, elles mettent en scène un effet de masse critique visuelle à travers l’accumulation chaotique d’informations et de formes produite par l’industrie. Ces signes se côtoient, se regroupent en nuages de données, se redivisent dans l’espace, font irruption dans la rue » écrit l’auteur (p. 136). Derrière cet apparent désordre il y aurait une sorte de diagramme que Bourriaud nomme alors forme trajet. Elle « embrasse l’unité d’un parcours, rend compte d’un cheminement ou duplique celui-ci… » Et l’art des années 2000 s’intéresserait plus, de ce fait, aux connexions et aux lignes en tension qu’à l’espace lui-même ajoute-t-il. L’image de la planète et vision monde Autre perspective tentant de montrer comment le projet moderne aboutit à une dimension monde qui se boucle sur un dangereux défi ; les propos de Michel Tibon-Cornillot, (La planète-laboratoire ou la phase terminale du nihilisme, in La Planète Laboratoire, n° 3, Octobre 2008) savent pointer le rapport profond liant utopie moderne, universalisme scientifique et vision géographique surplombante. « L’unification et la diffusion de l’image de la planète Terre dans le cadre héliocentrique copernicien furent présentes dès l’origine des sciences modernes et proposent la vision « princeps » dans laquelle va s’inscrire la mondialisation scientifique et technique. » Sous le signe de cette image s’opère l’invention des outils et des objets étudiés par les sciences dans le lieu confiné du laboratoire, substituant à la complexité vivante du monde le cadre maîtrisé des processus mathématisables. L’industrie prolongera cette anthropisation du milieu. « L’image de la planète Terre rassemble et annonce en une seule représentation le projet ultime, celui d’une planète reconstruite. » En même temps que se renforce cette empreinte, les phénomènes changent d’échelle pour toucher de plus en plus une dimension monde et « la reconstruction réelle du monde se confond peu à peu avec sa destruction… » Les artistes s’emparent eux aussi de cette vision monde au-delà des frontières politiques sur des modes différents. Ingo Günter se sert de l’image du globe terrestre pour faire passer informations et propositions depuis 1989. Participant au groupe Ocean Earth établi à New York, il côtoie Peter Fend dont les différents projets prennent en compte des dimensions à l’échelle des
  • 4. continents conciliant préoccupations socio-économiques et écologiques. La prise en compte dans un même projet des migrations de la faune et des voies de migrations humaines apporte un autre regard sur de vastes régions. Ces visions mondes ne sont pas là pour simplifier dans un processus de réduction d’ingénieur mais au contraire pour travailler sur toutes les échelles en ayant à l’esprit la richesse des interactions complexes. Ce que dit Gilles Clément très justement en une phrase laconique en forme de prescription : « Rendre accessible les images satellites, les images microscopiques » (Manifeste du Tiers paysage, 2004) Décrire, définir, mesurer les fonctions subtiles et nécessaires des différents milieux peut être une tâche digne d’une approche artistique, une réponse efficace à la vision de technosciences au service d’un ordre réducteur essentiellement économique. Etre ensemble ; frontières et rituels Régis Debray dénonce précisément la naïveté béate des citoyens du monde et le danger des solutions toutes faites. Qu’est-ce que le sans-frontiérisme : un économisme… un technicisme…un absolutisme…un impérialisme, résume-t-il. Jean-Claude Guillebaud dans Le commencement d’un monde (Seuil 2008) ne dit pas autre chose : « Le fondamentalisme occidental au sujet des droits de l’homme joue sur une confusion volontaire entre ces derniers et le néo-libéralisme. Un individualisme exacerbé déconstruisant toutes les solidarités au profit d’un ordre économique. » Et pour répondre à cette unification-atomisation sans âme, les faibles et les perdants n’ont plus que la solution du repli sur des petites différences ; « Le narcissisme des petites différences, exacerbé par la communication en temps réel, engendre des paranoïas éclair. » (Debray) Fanatismes, tribalismes,… Il faut donc faire l’éloge de ce qui nomme, cerne, définit ; faire l’éloge des frontières (mais pas des frontières étanches et stérilisantes, faut-il aussitôt ajouter!). Faire aussi l’éloge des rituels par lesquels s’articulent les récits, se construisent les espaces et les lieux, s’affirment des identités toujours en devenir. «Le dispositif rituel élargi s’applique à un espace matériel, à une durée mesurable et à des effets de divers ordres (psychologiques, sociaux, politiques) attendus, recherchés voire élaborés. » (Debray) La construction d’une communauté passe par là. « Dans un monde enchanté, que l’on pourrait appeler « univers de reconnaissance », l’erreur est toujours provisoire et il n’y a pas d’inconnu : les dispositifs rituels ont pour finalité de permettre à chacun en fin de compte de s’y reconnaître. » (Debray). A la différence de l’urgence du Stop-Eject dénoncé par Virilio, il y a là appel à la lenteur. Il faut prendre le temps du rite : « Tout intronisation, mariage ou bar-mitsva, cérémonie de naturalisation, prestation de serment au barreau, remise de lettre de créance, soutenance de thèse à l’université, tout cela « traîne en longueur » » (Debray) Notons qu’il existe des rituels nouveaux sur le net et qu’une sorte de géographie virtuelle d’accueil ou d’exclusion se met en place. Partout se renégocient des frontières. « La vie collective comme celle de tout un chacun exige une surface de séparation. » (Debray) Si l’interactivité d’un certain nombre d’installations artistiques pose problème c’est que leurs auteurs le plus souvent ne tiennent pas compte des protocoles rituels qui donnent statut et sens aux choses et aux êtres que nous rencontrons. La transmission d’informations n’est pas communication, la mise en réseau n’est pas participation. Il y a là un beau travail à mener pour interroger les protocoles, en inventer d’autres et les détourner. La relation du collectif au territoire peut être dite plus abruptement : « Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre. » (Debray). Ou d’une autre façon : « S’il est difficile de créer des lieux, c’est qu’il est difficile de créer des liens » (Marc Augé, Pour une anthropologie des mondes contemporains, Flammarion, 2010). L’art avance tout comme Montaigne en sa recherche par « sauts et gambades ». Rien de plus provoquant pour les artistes que de traiter des frontières. Simon Starling en somme pourrait bien dans ses parcours imprévus à la logique infaillible tracer des routes indifférentes aux bornes du bon sens ; l’histoire et la géographie –qui sont les terreaux où se forment lisières et frontières- y sont convoqués mais mis au service de calambours pleins de sens. Rescued Rhododendrons (2000) en offre un exemple. Dans le cadre d’une commande publique, des artistes sont invités à proposer des projets de sculpture sur une lande de bruyère en Ecosse. Apprenant que les rhododendrons qui poussaient sur cette lande allaient être détruits afin qu’ils ne nuisent pas à l’écosystème, Simon Starling entreprend de sauver les rhododendrons, considérés là-bas comme de la mauvaise herbe, et de les rapporter sur leurs terres d’origine, dans le sud de l’Espagne. (Les rhododendrons avaient en effet été importés d’Espagne en Ecosse en 1763, par un botaniste suédois, à l’époque où l’horticulture prenait naissance et était associée à l’idéologie de la colonisation – exhibition des plantes exotiques). Starling décide donc de renverser le processus en transportant des rhododendrons, dans sa Volvo (voiture suédoise), du nord de l’Ecosse au sud de l’Espagne. Ici les symboles franchissent allègrement les siècles et les frontières nationales. Huang Yongping est un artiste chinois de l’après Révolution Culturelle. Il reçoit brusquement l’héritage de la modernité occidentale et l’influence de l’art contemporain. Sa réflexion va le porter à récuser la problématique d’un dialogue entre culture asiatique et culture occidentale. Revenant aux sources chinoises anciennes il aborde la question en rejetant tout dualisme réducteur. Il invente une stratégie de l’ouverture, de la chance au sens du non agir de la tradition, wu wei. Lorsqu’on lui propose une exposition à Shenzhen (zone économique spéciale depuis 1979), il prend prétexte d’un
  • 5. incident frontalier grave intervenu peu avant entre l’Amérique et la Chine pour proposer une pièce de grande dimension. Un avion espion EP-3 américain a été récemment intercepté au dessus du territoire chinois et forcé d’atterrir. Après âpres négociations, l’équipage américain est autorisé à repartir dans son pays et l’avion, découpé en 8 tronçons est embarqué dans deux énormes avions cargos pour être restitué à l’Oncle Sam. Dans le cadre de la manifestation intitulée « Transplantation », l’œuvre de HYP prend la forme d’un tronçon d’une vingtaine de mètres, morceau du fuselage et queue de l’appareil. Il lui donne le nom de projet Chauve-Souris. Sur la zone frontière de Shenzhen où s’implante la nouvelle frontière économique de la Chine, l’artiste veut déposer une sorte de monument signe de la puissance américaine et signe de la mondialisation. Mais il n’y a là que la queue et les chinois disent volontiers pour une question non entièrement résolue qu’on en a laissé la queue ! Le symbole ambigu de la chauve-souris repris d’un blason de l’avion américain évoque la puissance nocturne mais aussi pour la Chine la prospérité, la longévité… Mais les deux curateurs français et chinois font bientôt savoir que l’exposition de sa pièce est indésirable ; nous sommes juste au lendemain du 11 septembre 2001 et des pressions d’origine inconnue à ce jour aboutissent à l’interdiction. Censure sans traces écrites…L’œuvre sera elle-même découpée en tronçons ( ! ) et « transplantée » dans un site paysagé (sic). Cette censure n’empêche pas HYP de recevoir l’invitation d’exposer à nouveau son oeuvre en Chine pour la Triennale de Gangzhou. Mais trop difficile à récupérer Chauve Souris I sera remplacée par Chauve Souris II composé par un morceau du fuselage et l’aile gauche de l’appareil. Le nom de l’œuvre est Boomrang. Mais le 16 novembre, 2 jours avant l’ouverture de l’exposition, la pièce est découpée en 4 morceaux par les autorités et enlevée de la manifestation. Le nom de HYP est effacé du catalogue. Français, américains et chinois se sont mis d’accord là-dessus. Cette deuxième censure n’arrête pas le parcours du projet et, de ce fait, fait partie pour l’auteur de sa démarche. En 2003 une entreprise chinoise finance une exposition d’art contemporain à Pékin. Le slogan de l’entreprise affirme fièrement ; « Quand tout le monde tourne à droite, tourner à gauche ! ». Mais l’artiste décide de proposer Chauve Souris III ; l’aile droite de l’avion espion. L’œuvre est achevée le 29 décembre. Le même jour un message venant de l’entreprise signifie à l’artiste que « pour des raisons de sécurité » l’œuvre ne pourra pas être exposée. En 2005 HYP pourra donc exposer Chauve Souris IV aux Etats-Unis ; un cockpit semblable à l’original est récupéré et un fuselage sommairement construit abrite alors des documents rapportant l’histoire de ce projet. D’autres expositions utiliseront tout ou partie de ce matériel y compris une exposition en Chine réalisée par surprise (voir à ce sujet ; Shiyan Li, Le vide dans l’art du XXème siècle : Occident / Extrème-Orient, Presses Universitaires de Provence, à paraître fin 2013). On trouvera difficilement meilleur exemple de ce qui peut se jouer entre les jeux cachés des intérêts politiques des nations et la stratégie d’effacement et de rebond d’un artiste refusant et dans sa philosophie et dans sa pratique les dialectiques communes fondées sur des oppositions dualistes réductrices. Par-delà nature et culture De nouvelles frontières se dessinent donc réinterrogeant notre nature et mais aussi notre rapport à la nature. Il n’y a pas là seulement réflexion de l’anthropologue examinant comment certains peuples vivent une continuité vivante dans leur milieu là où l’homme occidental a instauré une séparation radicale d’avec une nature objectivée (Philippe Descola). C’est très concrètement la géographie des espaces naturels protégés, les lois qui régissent les usages du sol, la définition des espaces maritimes ou du continent antarctique qui sont concernés ; comment l’homme doit-il recoudre le milieu humain à l’étoffe de la nature. Exemplaire là-dessus le travail d’esprit très scientifique des artistes Hélène et Newton Harrison dans un travail comme Casting a Green Net : Can It Be We are Seeing a Dragon (1998). Le projet devait étudier la manière de relier les dernières zones de nature dans une région très humanisée du centre de l’Angleterre et établir un rapport durable avec les espaces anthropisés : « We began to look for an eco-cultural cycle that would replace or restore the soils…In essence a new feedback system at great scale seemed call for… ». La même ambition de restaurer des ponts entre milieux et époques différentes anime la démarche d’un Alan Sonfist qui se veut un visual archeologist mêlant la mémoire des sites naturels aux reliques culturelles des temps passés. De son côté, Mark Dion offrait avec Tate Thames Dig (1999) une belle illustration de la confusion des temps et des lieux en rassemblant dans les vitrines de la Tate Gallery les objets recueillis dans une fouille menée sur la rive du fleuve ; ossements des bêtes et des hommes, poteries antiques, objets de toute époque, téléphones portables… Le fleuve offrait ces « vanités » où se rassemblaient nature et culture sans plus de partage.
  • 6. Pierre Paliard Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, mars 2011
  • 7. Pierre Paliard Ecole Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, mars 2011