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Information scientifique et intelligence
collective
Un langage documentaire universel, pour une approche
scientifique du sens de l’État guidée par une conscience
politique partagée, au service de l’intérêt général.
par Francis Beau, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication
mardi 1er
août 2023
Avant-propos
Lorsqu’on interrogeait Confucius sur la première qualité que
devait posséder un ministre, il répondait : « Bien connaître le
sens des mots ». (Maurice Druon)1
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
(Nicolas Boileau)2
… Et les mots pour le dire arrivent aisément, nous dit le poète. J’ajouterais pour
ma part : « …, à condition d’être connus avec toute la précision nécessaire à la clarté
des idées (à leur fidélité aux réalités observées) et à la pureté d’expression d’une
pensée cohérente ».
J’aime les mots. Ce sont les images de réalités observées. Ils se souviennent des
nécessités qui les ont inventées, et leur histoire dont l’étymologie rend en partie
compte leur donne une profondeur et un poids auxquels nous ne prêtons pas toujours
l’attention nécessaire. L'étymologie parfois nous aide à rencontrer ces réalités
auxquelles les mots doivent s’identifier avec précision. « Étymologie », par exemple,
nous vient du grec etumon (élément authentique d'un mot), lui-même dérivé de etumos
1
Discours sur l’état de la langue, Académie française, séance publique annuelle, 02/12/1999.
2
L’Art poétique, 1674.
2 Information scientifique et intelligence collective
(vrai). Littéralement, l'étymologie est la recherche du sens authentique des mots. Cette
recherche est souvent riche d’enseignements. Partant de ce que nous dit le
dictionnaire, on peut ainsi rechercher le sens juste des mots en s’appuyant sur leur
histoire. Dans les dictionnaires, ce sont, comme des amers portés sur les cartes
marines, des repères qui permettent de naviguer sur l’océan des idées. Comme eux,
ils doivent s'identifier avec précision aux objets conceptuels qu'ils désignent sur les
rivages de l'esprit. Sans la discipline de cet exercice d'identification rigoureux, nul ne
peut espérer arriver à bon port et atteindre les lumières de la connaissance en évitant
les écueils, dangers et autres sirènes dont sont pavées toutes les aventures de la pensée
humaine. Parmi celles-ci, l’aventure de l’intelligence collective dans notre société de
l’information hypermédiatisée, mérite toute notre attention, afin d’identifier avec
précision quelques mots utiles à son succès dans la cité.
Conscient en effet de l’immense complexité des concepts attachés au couple
information-communication dans ce « tressage inextricable »3
que les Sciences de
l’Information et de la Communication (SIC) incarnent dans toute leur diversité, j’ai
conçu ce travail comme une balade au fil des mots gravitant autour des concepts
centraux d’information, de communication et de documentation. Mon propos est
de tenter d’en préciser le sens afin de permettre la conception de systèmes
d’information documentaires adaptés à une pratique scientifique de l’intelligence
collective dans une mémoire partagée. Le caractère éminemment politique d’une
telle mémoire qui, utilisée collégialement, peut tenir lieu de véritable conscience
collective, justifie en effet pleinement que la science (informatique et sciences de
l’ingénieur bien sûr, mais aussi et surtout sciences de l’information et sciences
humaines), s’y investisse pleinement, dans l’esprit d’une conscience politique
dûment motivée par le sens de l’État.
Pour comprendre le territoire, il faut dessiner des cartes justes et pertinentes. En
assimilant le territoire à un champ scientifique ou culturel, et la carte à un système de
pensée, on peut dessiner une carte juste et pertinente de cet espace d’infocom étudié
par les SIC, permettant de naviguer dans le dédale des systèmes d’information en
s’appuyant sur des concepts dûment identifiés.
C’est donc une sorte de GLOSSAIRE insolite dont je me propose ici de dessiner les
premiers traits, conçus et présentés au fil du discours plutôt que dans un ordre
alphabétique plus conventionnel.
du GLOSSAIRE
C’est donc là le premier mot qu’il convient de contextualiser. Il nous vient du latin
glossarium, dérivé de glosa, glossa et du grec glôssa, désignant la langue et, en
grammaire, un mot rare ou dialectal. Ces deux origines nous ont donné le mot
« glose » pour désigner, selon l’Académie, « l’explication d'un mot ou de quelques
3
Sylvie Leleu-Merviel, La traque informationnelle, Volume 1. ISTE éditions, 2017.
de l’ INTELLIGENCE 3
mots obscurs d'une langue par d'autres mots de la même langue et, par extension, un
commentaire servant à l’intelligence d’un texte ».
C’est cette histoire du mot « glossaire » et en particulier cette dernière extension
de sens du mot « glose », que je retiendrai pour justifier l’utilisation qui en a été faite
pour introduire ce travail sur le vocabulaire, et contribuer ainsi à l’INTELLIGENCE des
travaux en Sciences de l’Information et de la Communication.
de l’INTELLIGENCE
La difficulté qu’il y a à cerner avec précision ce vaste concept invite à s’y atteler
d’emblée en tentant d’en simplifier à l’extrême le contenu afin de pouvoir l’aborder
sans s’y perdre. Comme de Gaulle en route vers l’Orient compliqué, nous tenterons
donc d’aborder la complexité du concept « avec des idées simples ».
L’intelligence, c’est une activité de la mémoire. Elle se manifeste dans notre
cerveau selon deux modes distincts. Une première intelligence, dite procédurale ou
algorithmique, suscite d’abord des automatismes inconscients, et une deuxième, dite
conceptuelle, engendre une pensée consciente. La seconde, l’intelligence
conceptuelle, spécifique de l’espèce humaine, qui fait appel à la pensée ou à la
réflexion c’est-à-dire à un dialogue avec soi-même porteur de raison, demeure
néanmoins tout autant que la première, « essentiellement pratique et orientée vers
l’action ». Au regard de « la complexité illimitée des objets » qu’elle perçoit, au
travers de la « situation qui nous met en relation avec eux » et de « l’intention » qui
nous anime à leur égard, nous verrons que cette « pensée est simple ».4
Au-delà de cette simplicité que nous retiendrons pour étendre ce travail de la
mémoire individuelle au développement d’une intelligence collective, c’est ce sens
que l’intelligence donne à l’action en l’orientant, qui semble le mieux caractériser sa
fonction pratique.
L’intelligence, c’est le travail de la MEMOIRE qui donne tout son sens à la décision
dans l’action.
de la MEMOIRE
La mémoire, c’est donc ce dispositif central du système cognitif dédié à la
fabrique du sens, dont le travail façonne l’intelligence en permettant l’acquisition et
l’encodage de l’information, sa rétention puis sa restitution. Elle opère tout d’abord
une transformation de nos perceptions de la réalité d’une situation, en éléments ayant
du sens au regard d’une finalité déterminée par notre intention envers cette situation.
Elle assure ensuite l’enregistrement de ces informations de manière à ce qu'elles
4
Michel Volle, Le rapport entre la pensée et ses objets, volle.com, 09/12/2017.
4 Information scientifique et intelligence collective
puissent être réutilisées plus tard autant que de besoin. Elle offre enfin la capacité de
récupération de ces informations préalablement stockées et utiles à l’action, à la
décision qui l’enclenche et à la volonté qui l’anime, en fonction d’un besoin.
La mémoire, c’est ainsi un système d’information transformant des données de
la réalité observée en connaissances utiles, puis en savoirs nécessaires à la décision,
pour faire sens et éclairer l’action. C’est le lieu de la construction du sens dans nos
cerveaux. Elle est décrite par le neurophysiologiste Alain Berthoz5
comme un
formidable « instrument de prédiction ». Considérant en effet le cerveau comme « une
machine à anticiper » secondée par l’émotion « qui prépare le corps et le cerveau aux
conséquences des actions à venir », ce spécialiste de la « physiologie de la perception
et de l'action » observe que « nous sommes des organismes orientés vers un but »6
. La
physiologie qu’il étudie, s’applique aux automatismes que la nature met en œuvre
dans la mémoire au service de l’intelligence procédurale. Mais au-delà de cette
physiologie du système nerveux, on peut raisonnablement penser que ces qualités
précieuses d’anticipation et d’orientation s’étendent aux fonctions réflexives de la dite
mémoire au service d’une intelligence conceptuelle.
La mémoire est en effet, le lieu de la mise en forme de signaux s'offrant à
l'observation, donc celui de l’expression de la théorie 7
considérée par Aristote comme
l’activité propre de l’intelligence. C’est le lieu de la mise en œuvre d’un processus
intellectuel qui s'enclenche à partir d'un besoin de savoir pour agir. Cette finalité
déterminée par une intention, est envisagée comme un problème à résoudre au moyen
de l’intelligence. Elle est ce fameux « but » observé par Alain Berthoz, vers lequel
sont « orientés » nos « organismes », ou bien encore, la cause ou la raison qui motive
le travail de l’intelligence et donne leur sens à nos perceptions de la réalité. Ce
processus englobe tout un ensemble de fonctions qui s’organisent dans la mémoire
en une sorte de continuum cognitif, pour sélectionner avec discernement les données
susceptibles de participer à la résolution du problème posé par le besoin d’agir,
engendrer les connaissances utiles à sa solution et produire in fine des savoirs
nécessaires à la décision dans l’action.
C’est dans la mémoire que l’information s’enrichit à partir de différentes sources
échelonnées dans le temps et réparties dans l’espace. C’est là qu’elle se mutualise puis
se recombine pour concevoir ou donner naissance à de nouvelles connaissances et
prendre un sens nouveau que l’inconscient ordonne et que la conscience compose et
transcrit. C’est enfin dans la mémoire, ce prodigieux système d’information équipant
tout être humain, que l’inconscient calcule et que le conscient pense les savoirs
nécessaires à l’action en leur donnant tout leur sens.
5
Alain Berthoz a été professeur honoraire au Collège de France, titulaire de la chaire de
physiologie de la perception et de l'action, de 1993 à 2010.
6
Alain Berthoz, Robotique, vie artificielle, réalité virtuelle, Interview (Propos recueillis par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin, La Revue mensuelle n° 47, 17/09/2003.
7
Du grec theorein « contempler, observer, examiner » et théôria « vision, contemplation ».
de la SCIENCE 5
C’est ainsi dans la mémoire que se construit le sens à partir d’observations
théoriques, en guidant l’information à chaque étape inconsciente ou consciente de sa
mise « en-forme » (donnée, connaissance ou savoir).
La mémoire est l’outil de la Connaissance avec un grand « C » lorsqu’elle est
collectivement ou universellement reconnue et du Savoir avec un grand « S » lorsqu’il
est universel : c’est l’outil de la SCIENCE.
de la SCIENCE
On raconte cet échange entre Laplace et Napoléon lors de la présentation de son
traité de mécanique céleste à l’empereur. « On me dit, M. Laplace, que vous avez écrit
cet immense ouvrage sur le système de l’univers, sans même mentionner son
créateur ». Ce à quoi lui répondit l’homme de science, « je n’ai pas eu besoin Sire de
faire une telle hypothèse, qui peut tout expliquer, mais ne permet pas de prédire quoi
que ce soit, et en tant que savant, je me dois de vous fournir des travaux permettant
des prédictions ».
La science n’a pas pour vocation d’expliquer tout, mais de comprendre ce qui peut
se concevoir afin de prédire pour anticiper et agir en connaissance de cause dans toute
la mesure du possible. Seule la connaissance de la cause permet d’envisager cette
fameuse relation de cause à effet consubstantielle de la raison associée à la science et
à toute démarche scientifique, mais indissociable de la conscience.
Science et CONSCIENCE sont ainsi indubitablement unies par un lien, dont
l’utilisation du préfixe dérivé du latin cum invite à considérer le caractère collectif.
de la CONSCIENCE
De la science à la conscience, l’étymologie nous suggère donc cette notion de
mise en commun qui transforme des données en connaissances dans nos mémoires
individuelles, mais nous incite aussi à étendre ce partage au vaste domaine de la
science qui est indéniablement collectif. S’il est vrai que « science sans conscience
n’est que ruine de l’âme » comme le notait jadis Rabelais, le lien qui conduit de l’une
à l’autre est sans aucun doute une affaire de sens.
De la science à la conscience, il est en effet un lien fort, unissant dans la mémoire
nos cinq sens au sens commun qui oriente l’ETHIQUE individuelle et l’action
judicieuse.
6 Documentation scientifique et intelligence politique
de l’ETHIQUE
Pour la philosophie, selon Comte-Sponville, l’éthique est « faite de
connaissances et de choix : c’est l’ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs »8
.
Chez Aristote, éthique et politique sont étroitement liées. L’éthique s’applique à
l'individu considéré comme un citoyen libre, tandis que la politique s’applique à la
cité, au législateur ou à ses administrateurs. Pour faire la synthèse de ces deux
observations, on peut indiquer que cet ensemble réfléchi et hiérarchisé doit être à
l’individu ce que la politique peut être au collectif : une conscience aigüe de
l’impérieuse nécessité de compter avec l’autre.
Compter avec les autres, c’est accepter leurs différences et leurs défauts. Leur
compréhension, qu’il ne faut pas confondre avec l’approbation de leurs implications
en particulier lorsque celles-ci semblent incompatibles avec l’intérêt général, est la
base incontournable de tout échange, de toute relation ou de toute négociation à
l’échelle collective, nationale ou internationale, qui est celle de la politique. Elle doit
être, de la même manière, une base incontournable de toute relation à l’échelle
individuelle, familiale, associative ou professionnelle, qui est celle de l’éthique.
C’est cette conscience aigüe de l’autre avec lequel on doit compter qui fait toute
la valeur de l’éthique et sa grande force, en indiquant le véritable SENS qu’il faut
donner à la science, au travail de la mémoire et donc à l’intelligence.
du SENS
Du latin sentire, sensus, « action de sentir ». Le sens, cette « puissance innée de
discernement » 9
pour Aristote, s’identifie à « l’effet produit » chez un sujet, dans sa
mémoire, « par la réception d’un signal » 10
, c’est-à-dire par la perception d’un fait.
Dans le langage courant, le mot compte en français trois principales acceptions :
entendu comme sensation ou faculté de sentir (les cinq sens, en anglais sense), il peut
l’être aussi comme une orientation, un « but » vers lequel pointer (le sens de la flèche,
en anglais direction), mais également comme signification (ce que l’on comprend, en
anglais meaning). Ce qui pourrait passer pour une polysémie fâcheuse n’est en réalité
que la traduction du processus de construction de sens qui se réalise dans la mémoire
dès qu’une première observation s’opère.
Le sens désigne à la fois le moyen de perception d’un fait, son orientation par une
intention, soit le « but » à viser, déterminé par le besoin du sujet émetteur ou récepteur
du signal émis par le fait, et son effet sur le sujet agissant (émetteur ou récepteur), soit
8
André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2001, p. 219 (entrée ÉTHIQUE).
9
Yvan Pelletier, La dialectique aristotélicienne Les principes clés des Topiques, Société
d’Études Aristotéliciennes (2e édition) Monographies Philosophia Perennis, Bibliothèque et
Archives nationales du Québec, 2007.
10
Sylvie Leleu-Merviel, op. cit..
de l’INFORMATION 7
l’éclairage qu’il apporte à son action. C’est une perception (observation - theôría)
orientée par une intention (méthode - praxis), exerçant un effet (produit - poïésis) sur
une mémoire. 11
Donner du sens à l’action, c’est donc lui fixer un but. Lorsque l’action est
l’expression d’une pensée, son sens (sa signification) est l’objectif poursuivi par celui
qui l’énonce, ou l’objectif vers lequel, cherche à tendre consciemment ou
inconsciemment celui qui la reçoit. Le sens implique une volonté, qui « peut être
explicite ou implicite, consciente ou inconsciente ». « Il n’est de sens que pour un
sujet (que pour un être capable de désirer ou de vouloir) » 12
.
Le sens suppose donc un sujet capable de volonté et un besoin de savoir ou de
faire savoir que celui-ci cherche à satisfaire. Lorsqu’elle répond à une volonté
d'exprimer une représentation mentale (une idée) à laquelle il est nécessaire d'attacher
une forme littérale permettant les échanges avec soi-même (réflexion) ou avec autrui
(dialogue), la pensée prend un sens donné par l'objet qu'elle se fixe. Au contenu
sémantique qui s'attache à la lettre, viennent se greffer un certain nombre de règles
qui font de la représentation mentale ainsi exprimée, une pensée formalisée pour être
transmise dans l'espace et dans le temps. Lorsque le besoin du récepteur rencontre
celui de l’émetteur du signal, l’entente entre les deux assure la perfection de la
transmission. C'est cette aptitude éminente à formaliser une représentation mentale
pour la transmettre grâce à la langue, qui distingue l'homme des autres espèces
animales en lui donnant la possibilité de se libérer mentalement (par la pensée) de son
ancrage physique dans l'espace et dans le temps.
Le sens, « c’est ce qui offre une direction (pour l’intelligence et pour l’action),
c’est ce qui fournit des raisons de croire et d’adhérer »13
. Dans un exposé traitant de
la société de l’information qui s’adressait à des anthropologues et à des sociologues,
le philosophe Jean-Michel Besnier nous suggère là que, tout en permettant de « diriger
l’intelligence » et son prolongement dans « l’action », le sens permet également de
donner « raison » à une « adhésion ». Celle-ci ne serait pas seulement rationnelle
parce que fondée sur une réalité calculable, mais ferait appel à une foi dans une cause
à laquelle il conviendrait de « croire ». Sans aller forcément jusqu’à
« l’insignifiance » dénoncée par l’auteur dans le titre de son exposé (« La société de
l’information ou la religion de l’insignifiance »), on peut retenir, à titre métaphorique,
cette idée de « religion ».
11
Voir à ce sujet « L’épistêmê grecque » in Francis Beau, Le renseignement au prisme des
sciences de l'information, Thèse de doctorat, Université Polytechnique Hauts-de-France
(laboratoire DeVisu), 2019, p. 214 (§ 2531).
12
André Comte-Sponville, op. cit. p. 528 (entrée SENS).
13
Jean-Michel Besnier, La société de l’information ou la religion de l’insignifiance, Revue
européenne des sciences sociales, Tome XL, 2002, N° 123, pp. 147-154, 01/06/2002.
8 Documentation scientifique et intelligence politique
La dimension spirituelle que cet appel à une certaine foi suggère, nous incite à
donner au sens, ce supplément d’âme que le SENS COMMUN permet d’apporter à nos
actions.
du SENS COMMUN
C’est lui donc, ce sens commun, qui peut apporter un supplément d’âme
« éthique », à la conduite de nos actions individuelles en « hiérarchisant nos désirs »
dans une « réflexion » fondée sur « des connaissances et des choix »14
. Chez Aristote,
le sens commun se rapporte autant à l'unité du sujet sensitif qu'à la communauté de
l'objet perçu. Thomas d'Aquin qui, comme lui, y voyait une fonction de discernement
intégratrice des cinq sens externes ou sensations, le distinguait des précédents en le
qualifiant de sens interne. Il est certes interne pour le sujet qui est individu, mais en
même temps commun au regard de l’objet qui relève du collectif.
Le sens commun, c’est ce sixième sens intégrant les signaux portés par les cinq
sens externes. C’est un nouveau signal qui porte cette sorte de jugement que l’on
nomme parfois « jugeote » et qui peut s’identifier à l’INTUITION, précédant la pensée,
ce processus analogique à l’œuvre dans le travail conceptuel de la mémoire.
de l’INTUITION
Intueri, en latin, c’est voir ou regarder.
L’intuition, c’est donc ce « sens interne » intégrateur « des cinq sens externes »
qui précède la pensée et forme le jugement. C’est la condition de toute pensée chez
Descartes, de toute connaissance chez Kant, ou l’expression d’une énergie spirituelle
chez Bergson, permettant d’accéder à la connaissance.
Dans un cadre collectif, le calcul ou les algorithmes augmentent nos capacités de
recherche, de comparaison, d’organisation et de restitution des données ou de
représentation, c’est-à-dire les perceptions directes ou sensations de l’objet commun.
Mais l’intuition collective, qui intègre ces sensations communes, va au-delà de cette
restitution de données. Saisissant une réalité sensible, c’est une observation (theôría)
déclenchée par un besoin de sens qui est commun.
À l’échelle collective, l’intuition procède de ce sens commun initiant
l’intelligence et la mise « en-forme » (information) d’une pensée réfléchie,
analogique ou conceptuelle, en intégrant les perceptions directes qui sont des
DONNEES dont le traitement peut être, quant à lui, confié à des algorithmes.
14
André Comte-Sponville, op. cit. p. 219 (entrée ÉTHIQUE).
de la DONNEE 9
de la DONNEE
On dira donc d’une information qu’elle est une donnée pour indiquer qu’elle est
une mise « en-forme » de l’observation, susceptible de participer avec discernement
ou intelligence à la solution d’un problème posé par un besoin de savoir pour agir.
Quand ce discernement est l’œuvre d’une intelligence procédurale ou
algorithmique, la donnée ainsi recueillie peut interagir dans notre mémoire de
manière automatique avec l’intelligence conceptuelle en ajoutant aux observations
directes des cinq sens, une « sensation » intégrant les précédentes auxquelles on les
assimile. Ce sixième sens ou intuition, sens commun intégrateur des cinq sens
externes à l’échelle de l’individu, échange avec les autres pour construire de nouvelles
CONNAISSANCES.
de la CONNAISSANCE
On dira d’une information qu’elle est une connaissance pour désigner l’étape
suivante du processus de résolution de ce problème cognitif posé par un besoin de
savoir pour agir, en indiquant qu’elle a donné naissance avec raison ou intelligence
à de nouvelles informations conceptuelles nécessaires à son accomplissement.
La connaissance est par nature objective, parce qu’elle est l’objet d’un processus
de collecte. Même si elle n’est envisagée ici que dans le cadre d’une mémoire
individuelle assurément subjective, la vocation collective du processus cognitif dont
elle est l’objet la prédestine au partage, pour accéder au SAVOIR.
du SAVOIR
On dira enfin d’une information qu’elle est un savoir pour désigner la solution
du problème posé par ce besoin d’agir, à laquelle les données transformées en
connaissance ont participé, apportant ainsi une réponse pertinente à la question posée
pour décider et agir avec sagacité ou intelligence.
Le savoir engage un sujet individuel (personne physique), ou un groupe
d’individus personnalisé (personne morale), dans l’action. Même si on peut parler de
Savoir avec un grand "S" sous-entendu « universel » parce qu’individuellement
partagé, c’est une information indéniablement subjective, qui se transmet d’un auteur
ou autorité émettrice à un ou plusieurs destinataires, lecteurs ou auditeurs.
10 Documentation scientifique et intelligence politique
Savoir, c’est savoir la cause, nous dit Aristote, c’est l’aboutissement d’un
processus cognitif fondé sur la raison associée à la relation de cause à effet qui permet
de formuler par inférence un jugement sur le caractère commun des objets offerts à la
connaissance. L’action déterminée par la subjectivité de ce savoir qui l’éclaire, se
trouve ainsi légitimée par l’objectivité de la RAISON qui la cause.
de la RAISON
La raison, et la pensée qui la porte, c’est le prolongement du rationnel et du calcul
qui le traite. Allant bien au-delà du simple ratio appliqué au numérique, elle relève
d’une relation de cause à effet, s’appliquant au domaine analogique de la pensée.
Synonyme de cause ou de motif que l’on retrouve en première place dans les
traductions de l’anglais reason, son sens s’étend en effet à une faculté de penser cette
relation de cause à effet caractéristique de toute activité intellectuelle ou consciente.
La raison est donc indissociable de cette notion de cause associée à l’idée
d’analogie que Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, assimile à une identité de
relation, inspirée de l’égalité de proportion mathématique (le ratio). L’analogie, selon
lui, permet ainsi de formuler par inférence, un jugement sur les objets qui s’offrent à
la connaissance, pour établir un savoir. Elle ne se situe pas à l’origine de l’action,
comme le désir qui l’enclenche et la volonté qui l’anime, mais en constitue une sorte
de légitimation qui la motive ou la cause, en en désignant l’objectif et en lui donnant
ainsi tout son sens. C’est en quelque sorte, une objectivité qui légitime la subjectivité
inhérente à toute action, et fonde le savoir.
Mais la raison, c’est aussi le logos grec, souvent traduit par le mot « discours ».
De la donnée au savoir, en passant par la connaissance, les grandes fonctions de
l’intelligence et de la raison ou du discours qui la structure, sont ainsi contenues dans
la notion d’INFORMATION.
de l’INFORMATION
Que le prisme d’observation soit celui des data, de la connaissance, du savoir,
de la communication ou encore de la stratégie, de la politique, voire de l’éthique,
l’acception du terme « information » semble comporter bien trop de facettes
différentes selon l’angle sous lequel on l’aborde. Il en résulte qu’une véritable
approche scientifique de ce « concept-caméléon » 15
, à la fois commune aux sciences
de l’ingénieur et aux sciences humaines, ne parvient pas toujours à déboucher sur des
15
« Sommes-nous condamnés à sombrer dans la polysémie d’un concept-caméléon,
changeant au gré des besoins théoriques ? » (Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille,
Quelques révisions du concept d’information. In F. Papy (dir.), Problématiques émergentes
dans les sciences de l’information, Science Publications, Hermès, 2008, pp. 25 à 56).
de l’INFORMATION 11
théories dûment identifiées, universellement reconnues et proprement applicables
dans la pratique.
L’information, c’est donc bien un processus de mise « en-forme » d’un ensemble
de données recueillies à partir de l’observation des faits, qui permet de se former une
idée ou une perception de la réalité pour interférer avec elle et éclairer la décision dans
l’action. En français, contrairement à l’anglais qui ne distingue guère le savoir de la
connaissance, les données se transforment, d’abord en connaissance tacite, objet
d’un processus cognitif (en anglais scientifique : cognition) inconscient et produit de
l’intelligence procédurale, puis éventuellement en connaissance explicite, produit
de la fonction cognitive (en anglais scientifique : cognizance) consciente ou de
l’intelligence conceptuelle. La connaissance tacite se transforme ensuite en savoir-
faire (en anglais : know-how) chez le sujet dont la mémoire accueille le processus,
tandis que la connaissance explicite se transforme quant à elle en savoir (en anglais :
knowledge, la plupart du temps indifféremment traduit en français par "connaissance"
ou "savoir") dès lors que le sujet en question engage son libre arbitre, donc sa
responsabilité en tant que sujet agissant, en se l’appropriant.
Toute numérique qu’elle soit devenue, l’information, ce « macro-concept
multidimensionnel »16
dont nous commençons à entrevoir les contours, n’en demeure
pas moins, on le voit, une affaire bien trop sérieuse pour être confiée aux seuls
algorithmes, au calcul ou à l’informatique qui les programme. C’est en effet dans la
mémoire, cette précieuse usine dédiée à la fabrique de sens, que l’information se
construit en toute intelligence.
L’information est accueillie dans la mémoire sous forme de données recueillies
par nos sens et sélectionnées puis retenues de manière d’abord inconsciente mais
ensuite consciente, par une intelligence procédurale mais aussi conceptuelle
engendrant une PENSEE consciente.
de la PENSEE
La pensée, c’est un travail de lecture de la réalité pour mieux interagir avec elle.
C’est le travail de l’intellect qui, appuyé sur la raison, permet à l’intelligence de
s’exprimer. C’est ce processus cognitif qui prolonge l’intuition dans la mémoire, en
s’appuyant sur la raison entendue dans son sens le plus large, celui du logos grec, la
parole ou le discours. C’est ainsi un processus analogique à l’œuvre dans le travail
conceptuel de la mémoire qui complète le processus numérique à l’œuvre dans son
travail d’intelligence procédurale. Elle ne permet pas de rendre entièrement compte
du réel, mais elle nous donne prise sur lui, comme une peau qui, l’enveloppant, nous
permettrait de nous en saisir ou tout au moins d’en saisir les contours ou la forme
16
Edgar Morin, La complexité humaine, Flammarion, Paris, 1994.
12 Documentation scientifique et intelligence politique
(l’idée) pour augmenter nos capacités d’interactions avec lui. Elle permet de
« ramener la complexité du visible à de l'invisible simple »17
.
« Notre pensée est essentiellement pratique, orientée vers l’action », nous
explique en effet Michel Volle. Chaque objet est acquis par nos sens au travers de la
« situation qui nous met en relation avec lui » et de « l’intention » qui nous anime à
son égard. « En regard de la complexité illimitée de l’objet, cette pensée est simple »
18
. Situation et intention sont ainsi les deux entrées d’une « grille conceptuelle »19
à
partir de laquelle s’enclenche un processus cognitif dans notre mémoire pour mettre
« en-forme » (information) une représentation de cet objet, qui soit utile à l’action et
qui aille dans le sens de notre intention (l’action souhaitée). Cette représentation est
une information qu’une première intelligence dite procédurale prend tout d’abord
en charge avec réactivité dans notre inconscient, puis qu’une deuxième forme
d’intelligence dite conceptuelle peut transformer après réflexion en pensée
consciente.
Dès lors que l’action se veut réfléchie ou collective, les données saisies doivent
être mises « en-forme » afin de pouvoir s’échanger numériquement, et nourrir ainsi
une pensée analogique permettant le partage des connaissances, puis la transmission
ou la diffusion des savoirs. En un mot, l’information, quel que soit le degré ou la
nature de sa mise « en-forme » dans la mémoire (donnée, connaissance ou savoir)
qu’elle soit numérique (calcul) ou analogique (pensée), doit pouvoir être mise en
« commun » (COMMUNICATION) afin de permettre à l’intelligence de s’exprimer.
de la COMMUNICATION
La communication est la raison d’être du continuum cognitif à l’œuvre dans la
mémoire et s’invite dès lors dans l’ensemble du processus en se mêlant étroitement à
l’information, dans ce « tressage inextricable »20
incarné par le couple information-
communication parfois résumé en « infocom », néologisme utilisé pour désigner
aussi bien la discipline scientifique que les nouvelles technologies associées au
phénomène numérique.
La communication, c’est ainsi une fonction justifiant cette mise « en-forme » de
nos perceptions (l’information). Elle se décline en échange, partage, puis
transmission ou diffusion, assemblant respectivement données, connaissances, puis
savoirs pour former une information commune.
17
Jean-Yves Pollock, À la recherche de la grammaire universelle, Entretien, Propos recueillis
par Nicolas Journet, Sciences Humaines, Hors-série (ancienne formule) N° 27 - Décembre
1999/Janvier 2000.
18
Michel Volle, op. cit..
19
Voir à ce sujet « Le concept de grille conceptuelle » in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 273
et suivantes (§ 3).
20
Sylvie Leleu-Merviel, op. cit..
du DOCUMENT 13
Cette association si étroite entre information et communication incarnée par le
néologisme infocom, c’est la fonction centrale de toute intelligence collective dont la
part analogique (connaissances, puis savoirs) prolongeant la part numérique
(données), ne peut fonctionner sans un DOCUMENT pour la porter, comme la pensée
prolongeant l’intuition ne pourrait fonctionner sans la langue pour la porter.
du DOCUMENT
Le document, c’est la véritable pièce maîtresse de tout système d’information et
de communication. Il demeure à tout jamais attaché à l’information ou à l’infocom
dont il désigne depuis toujours l’indéfectible support et l’incontournable véhicule. Les
nombreuses innovations technologiques liées à sa numérisation ne doivent pas nous
faire oublier son histoire millénaire, depuis l’antique tablette sumérienne jusqu’à la
tablette digitale contemporaine, aux côtés de tous les concepts utiles à la mise en
œuvre d’une intelligence à vocation collective, en particulier dans sa forme
conceptuelle attachée aux connaissances et aux savoirs.
Le document, c’est l’instrument assurant au profit d’une mémoire collective une
fonction sociale de transport de sens entre individus, à la fois dans l’espace et dans le
temps ou la durée. Ainsi conçue comme un système d’information documentaire,
cette mémoire collective constitue dès lors le dispositif central d’un système cognitif
commun assurant l’acquisition, la rétention, puis la restitution de l’information,
c’est-à-dire le fonctionnement d’une véritable intelligence collective. En effet,
comme son étymologie 21
semble l’indiquer, le document sert à « enseigner » ou à
instruire chacun des acteurs impliqués dans le travail d’équipe nécessaire à la mise en
œuvre d’une mémoire et d’une intelligence collectives. Enseigner, c’est transmettre
un savoir, soit une information restituée par la mémoire.
Lorsque cette mémoire est collective, conçue à l’image de nos mémoires
individuelles, la restitution de l’information après son recueil puis sa rétention,
s’effectue en réponse à un besoin exprimé au sein du collectif. On peut parler alors de
« ré-enseignement » ou de renseignement, d’où ce rapprochement entre intelligence
collective et RENSEIGNEMENT qui semble s’imposer en matière de documentation.
du RENSEIGNEMENT
Le renseignement (intelligence en anglais) n’est en réalité que l’extension au
collectif, de notre intelligence individuelle. On retrouve d’ailleurs l’idée de cette
possibilité d’extension que l’anglais nous suggère, dans le deuxième sens du mot
21
« DOCUMENT, n. m. XIIIe siècle. Emprunté du latin documentum, "exemple, modèle",
"enseignement, ce qui sert à instruire" » (Dictionnaire de l’Académie française, 9ème
édition).
14 Documentation scientifique et intelligence politique
« intelligence » qui désigne une entente entre deux ou plusieurs personnes, un accord
de pensée, une complicité ou une connivence.
Renseignement et documentation sont deux fonctions consubstantielles l’une de
l’autre : « documenter », c’est bien « renseigner, instruire », comme nous l’indique
le dictionnaire 22
. Le renseignement, c’est de l’information documentée en réponse à
un besoin. Pour le dire autrement, c’est de de l’information qui fait appel au
document pour supporter la transformation de nos perceptions de la réalité d’une
situation, en éléments ayant du sens au regard d’une finalité déterminée par notre
intention envers celle-ci, puis sa rétention et sa restitution.
Le renseignement, c’est une INTELLIGENCE COLLECTIVE, assurant au sein d’une
mémoire collective, grâce au document, une fonction sociale de transport de sens, à
la fois dans l’espace et dans le temps, au profit d’une communauté en fonction de ses
besoins.
de l’INTELLIGENCE COLLECTIVE
Une intelligence collective, c’est donc le travail d’une mémoire collective qui
peut être conçue, à l’image de nos mémoires individuelles, comme le dispositif
central d’un système cognitif commun adapté au travail d’équipe, pour façonner une
pensée pratique entièrement tournée vers l’action collective. Cette mémoire opère
une mise « en-forme » de la réalité observée qui devient ainsi une information. La
vocation collective de l’information qui est indissociable de la communication, fait
de cette mémoire adaptée à un usage collectif, un véritable système d’information.
L’intelligence collective, cette extension au collectif de notre intelligence
individuelle, n’est pas l’apanage du renseignement au sens institutionnel du mot. En
entreprise, pour stimuler la créativité, « il faut développer l’intelligence collective »,
nous dit le fondateur des studios Pixar, « en permettant à tout le monde d’échanger,
avec des forums, des débats, par tous les canaux possibles »23
. Mais tous « les
canaux » du monde ne pourront jamais satisfaire que la première étape de la
communication, qui s’applique aux échanges de données. Ils ne permettent en
réalité, à l’échelle collective, que le développement d’une intelligence procédurale ou
algorithmique.
22
Cf. (TLFi), Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL).
23
Ed Catmull, Creativity Inc. :Overcoming the Unseen Forces That Stand in the Way of True
Inspiration, Transworld Publishers, 2014.
de la MEMOIRE COLLECTIVE 15
Seule l’organisation d’une mémoire mettant en œuvre une intelligence
conceptuelle permet de développer une communication adaptée à la mise en œuvre
d’une intelligence collective. Pour s’étendre au collectif, l’intelligence conceptuelle
qui est spécifique du travail de nos mémoires individuelles, doit pouvoir compter sur
une véritable MEMOIRE COLLECTIVE qui gère également le partage des
connaissances, puis la diffusion des savoirs.
de la MEMOIRE COLLECTIVE
Une mémoire collective, c’est donc le champ d’action de l’intelligence
collective. C’est le lieu de la mise « en-forme » (information) de la réalité observée
et de sa « mise en commun » (communication), soit un système d’information
permettant le recueil et les échanges de données, l’acquisition et le partage des
connaissances, puis la production et la diffusion des savoirs, ainsi que l’élaboration
et l’expression en conscience d’une pensée commune.
La mémoire collective est ainsi l’instrument incontournable de toute pensée à
caractère scientifique. Elle permet de relier avec intelligence, données,
connaissances et savoirs, en prenant pour modèle la démarche de construction du
sens dans nos mémoires individuelles, qui est celle de l’épistêmê aristotélicienne24
.
À partir de la perception (theôría) des données du problème posé par la poursuite
d’un objectif, elle est orientée (praxis) par une intention qui engendre une
connaissance et exerce un effet (produit - poïésis) en forme de savoir sur la pensée.
L’organisation d’une mémoire collective à vocation scientifique repose sur
l’exploitation raisonnée d’une DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE.
de la DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE
Nous retiendrons donc l’expression « documentation scientifique », pour
désigner cette mémoire collective dont l’organisation repose sur une démarche
scientifique d’intelligence collective reliant ainsi donnée, connaissance et savoir
dans la notion d’information et de communication (infocom). Cette démarche
scientifique est celle de l’épistêmê aristotélicienne que l’on peut rapprocher de la
notion d’épistémè théorisée beaucoup plus tard par Michel Foucault, soit la
représentation conceptuelle d’un système organisé de données théoriques et de
connaissances pratiques menant à la production de savoirs scientifiques ou de
savoir-faire, sur lequel repose l’intelligence collective nécessaire au développement
culturel, industriel et artistique d’une société 25
.
24
Cf. « L’épistêmê grecque » in Francis Beau, 2019, op. cit., p. 214 (§ 2531).
25
Voir à ce sujet : « Le document et l’épistémè : d’Aristote à Foucault, une affaire de sens »
in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 214 et suivantes (§ 253).
16 Documentation scientifique et intelligence politique
La documentation scientifique est ainsi au cœur de cette démarche scientifique
de mise « en-forme » (information) collective de nos perceptions du monde qui nous
entoure. Elle peut ainsi être un instrument d’une grande utilité en POLITIQUE.
de la POLITIQUE
La Politique avec un grand « P », c’est « cette science de l’autorité qui fonde
l’État » autant « sur la raison et la dialectique », que sur l’éthique, « dans ce rapport
si puissant qui lie étroitement responsabilité individuelle et confiance collective »26
.
Chez Aristote, on a vu qu’éthique et politique étaient étroitement liées, l’éthique
s’appliquant à l'individu et la politique à la cité. En inversant l’analogie énoncée à
propos de la notion d’éthique, on pourrait dire que la politique doit être au collectif,
ce que « l’éthique » est à l’individu, un « ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos
désirs » collectifs, « fait de connaissances et de choix »27
, associé à une conscience
aigüe de l’impérieuse nécessité de compter avec l’autre. S’agissant de la nation
organisée en État (équivalent moderne de la cité antique), considérée comme une
personne morale une et indivisible, soit un individu libre et responsable, éthique et
politique se trouvent dès lors réunies dans une seule et même discipline que l’on
pourrait nommer « éthique politique ».
J’éviterai néanmoins d’utiliser cette expression qui désigne souvent, en
confondant éthique et morale, l’introduction, l’adoption ou la recherche d’une
certaine morale en politique, impliquant ainsi un rapprochement entre morale et
politique. En octroyant aux responsables politiques un droit à définir ce qui est bien
et ce qui est mal, ce rapprochement conduirait en effet inéluctablement à une
politisation de l’espace privé qui marque bien souvent le début de toutes les dérives
totalitaires. On préfèrera donc le mot « Politique » avec une majuscule, pour désigner
cette discipline très aristotélicienne mêlant étroitement éthique et politique, grâce à
cette intelligence collective qu’une documentation scientifique permet de mettre en
œuvre.
Une telle approche scientifique de la documentation et de l’information dont elle
est porteuse, repose sur l’organisation d’une mémoire collective profondément
éthique, au sens de Comte-Sponville cité plus haut. Celle-ci s’attache en effet à
réaliser cet effort indispensable de « com-préhension », de hiérarchisation et de mise
en perspective, des connaissances individuelles s’agrégeant pour faire sens commun.
26
Francis Beau, Le nombre et l’unité dans l’ordre républicain (6), Blog Exploitation de
l’information utile, 23 mars 2022.
27
André Comte-Sponville, op. cit. (p. 219).
de l’INTERET GENERAL 17
L’organisation d’une mémoire collective favorise ainsi la réflexion et l’esprit de
synthèse attendu de ceux qui, en charge de prendre des décisions politiques, ont à
faire des choix, dans les univers incertains qu’ils ont à affronter en permettant la
construction d’une conscience partagée. Le « lien fort » qui unit cette conscience à la
science, est une affaire de sens qui sera déterminé ici par la satisfaction de nos désirs
communs, soit l’INTERET GENERAL.
de l’INTERET GENERAL
Si on s’interroge sur le périmètre qu’il faut donner à la notion d’intérêt général,
en dépassant le cadre désormais trop étriqué de l’État-nation, qui reste malgré tout le
seul encore adapté à l’exercice de l’autorité et de la souveraineté, malgré une
globalisation du monde aussi inexorable qu’impétueuse, on peut utilement méditer
cette pensée de Montesquieu : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût
préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose
d'utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je
savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui
fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un
crime » (Pensées, n° 741).
C’est bien cette vision de l’intérêt général qui semble le mieux définir ce besoin
dont la satisfaction doit motiver toute démarche d’intelligence collective fondée sur
une documentation scientifique, pour diffuser une culture scientifique indispensable
à la civilisation et façonner ainsi une CONSCIENCE POLITIQUE partagée qui doit
orienter la politique et le gouvernement des peuples.
de la CONSCIENCE POLITIQUE
La conscience politique qu’une documentation scientifique permet de façonner,
en dotant la Politique d’une intelligence collective, sans laquelle toute « science »
politique « ne serait que ruine de l’âme », repose sur la mise en œuvre d’un langage
de raison susceptible de donner un sens commun à l’action publique. Il faut
s’interroger sur le sens qu’il convient de donner à cette intelligence qui est synonyme
de renseignement en anglais, et dont on a vu que collective, elle restituait
l’information après son acquisition puis sa rétention, en réponse à un besoin
déterminé par l’intérêt général. À quelle intention commune la soumettre pour
façonner le discernement nécessaire au recueil des données ? Quelle cause assigner à
la raison pour engendrer les connaissances utiles à la collectivité ? Quelle finalité
indiquer à notre sagacité collective pour élaborer un savoir pertinent ? Autant de
questions que suscitent l’omniprésence de ce besoin auquel le renseignement (ou
l’intelligence collective) doit sans cesse chercher à répondre. Ces questions dont la
nature scientifique ne doit pas nous échapper, sont également foncièrement
18 Documentation scientifique et intelligence politique
politiques. Les réponses à leur apporter sont susceptibles de donner tout son sens à
une information dont le caractère s’avère en effet profondément politique.
C’est en effet dans une conscience politique, que s’exerce cette démarche
scientifique de mise « en forme » (information) collective de nos perceptions de la
situation, qui caractérise l’intelligence collective. Celle-ci prend tout son sens dans
la satisfaction de l’intérêt général qui forge le SENS DE L’ÉTAT, en réponse à cette
intention commune façonnant le discernement, cette cause commune assignée à la
raison et cette finalité fixée à la sagacité collective, évoquées précédemment.
du SENS DE L’ÉTAT
Pour aborder ce sens de l’État, il est nécessaire de revenir à la notion d’intuition
définie précédemment. Dans le cadre collectif qui va nous intéresser, c’est elle qui
conditionne en effet l’élaboration d’une pensée collégiale ou collective, à partir de ce
sens commun qui peut dès lors s’assimiler à une intuition collective, et dont nous
commençons à entrevoir le caractère politique. À l’échelle individuelle, nous avons
assimilé le sens commun à l’intuition qui, formant le jugement et précédant la
pensée, peut donner ce supplément d’âme éthique à la conduite de nos actions. À
l’échelle collective, le sens de l’État c’est bien le sens qu’il convient de donner à
cette mise « en-forme » reliant, dans le concept d’information, la dimension
collective et objective des données de masse à la condition individuelle et subjective
du savoir universel, pour la satisfaction de l’intérêt général. C’est ce sens de l’État,
qui peut apporter un supplément d’âme éthique au gouvernement des peuples et à la
Politique avec un grand « P ».
Le « sens commun » dont on a vu qu’il se rapportait autant à l'unité du sujet
sensitif qu'à la communauté de l'objet perçu, mérite dès lors de s’identifier à un
véritable « sens de l’État ». Il s’inscrit en effet « dans ce rapport entre unité et
nombre, cadre incontournable de cette alliance si précieuse pour la démocratie entre
responsabilité individuelle et confiance collective qui conditionne l’autorité de l’État
et la souveraineté du peuple, comme également la solidarité nationale, mais aussi, la
mise en forme des savoirs communs »28
ou la documentation scientifique. « Il
découle ainsi d’une organisation rigoureuse de la relation délicate entre actions
individuelles et jeu collectif »29
. C’est en effet dans cette « relation de cause à effet »
« entre sujet et objet » ou entre « individu et collectif », que « les grandes fonctions
républicaines » de « souveraineté populaire », « d’autorité de l’État » et de
« solidarité nationale » expriment le sens de l’État appliqué à leurs champs respectifs,
« démocratique », « éthique » ou « politique », et « sociologique ». Cette relation se
concrétise dans le rapport entre les « conditions individuelles » faisant du simple sujet
28
Francis Beau, Sens commun, intuition collective et Valeurs républicaines, l’information au
cœur de la relation entre collectif et individu, Cercle K2, 24/11/2021.
29
Francis Beau, ibid..
de la REPUBLIQUE 19
un véritable citoyen (liberté, responsabilité et identité), et les « dimensions
collectives » des objets politiques respectifs (« sécurité », « confiance » et
« égalité »)30
sur lesquels il exerce sa citoyenneté.
C’est aussi dans cette relation de cause à effet entre sujet individuel et objet
collectif, à l’œuvre dans la relation entre savoir universel et données de masse, que
la fonction d’intelligence collective de la documentation scientifique peut exprimer
le sens de l’État appliqué au champ disciplinaire de l’infocom. L’objectif majeur de
cette discipline pourrait être ainsi d’offrir à la « Politique » ce « langage de raison
pratiqué par tous », qui donnerait un sens commun à la « phrase politique », sur le
modèle de la relation de cause à effet qui donne son sens à la phrase grammaticale,
« en lui indiquant une cause dont Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, nous a
rappelé qu’elle était au cœur du travail de la raison dans la construction du savoir »31
.
La distinction rigoureuse entre sujet individuel unique et objet collectif commun,
se révèle capitale en la matière. Ne pas distinguer le sujet de l’objet, c’est pervertir
l’action en brouillant le sens de la phrase commandée par le verbe. En politique, c’est
donc nuire à ce sens de l’État en faussant l’action dont les effets doivent être reliés à
cette « Cause souveraine » garante de l’intérêt général, qui fait la Chose publique
(respublica) ou REPUBLIQUE ».
de la REPUBLIQUE
La république ou chose publique (res publica) représentée par l’État, c’est le lieu
où se réalise cette alliance si fragile mais tellement vitale pour la démocratie, entre la
confiance collective des individus, les citoyens, sujets de la république, et la
responsabilité individuelle de tous, simples citoyens ou gouvernants. Ces derniers, qui
exercent l’autorité par délégation du peuple souverain, sont également sujets de la
république. L’État souverain leur délègue ainsi son autorité sur le collectif pour que
règne l’intérêt général. Les citoyens comme les gouvernements et les administrations
y sont à la fois sujets de l’État souverain (la république) au service de l’intérêt
général, et sujets au sens de la grammaire, personnes physiques ou morales, individus
ou groupes d’individus constitués en unités, qui portent leur action sur le collectif
objet d’intérêt général et en assument individuellement la responsabilité.
La république est une « Chose » un peu hors-sol en ce sens qu’elle n’est ni un
objet, ni un sujet. Comme le collectif, elle est dépourvue de personnalité, ce qui la
distingue d’un sujet. Elle n’est pas non plus un objet ordinaire au regard de l’action,
qui n’est objet que pour un sujet faisant l’action auquel il est soumis. L’étymologie
du mot « chose » le rattache à la cause qui, dans un latin populaire de la fin de l’empire
30
Francis Beau, "Ne pas subir" : la confusion entre sujet individuel et objet collectif,
l’exemple de la crise sanitaire, Cercle K2, 21/03/2022.
31
Francis Beau, Une nouvelle grammaire cybernétique au service de la politique, Cercle K2,
25/10/2021.
20 Documentation scientifique et intelligence politique
romain, était le sens donné à res. Devenant publique, elle est cette Cause souveraine
élevée au rang de « Valeur » sacrée, garante de l’intérêt général. Parmi les quatre
grands types de cause que distinguait Aristote (formelle, matérielle, efficiente et
finale), la Cause dont il est question ici avec un grand « C », est bien celle qui suit la
cause efficiente et fixe une finalité, soit le but de l’action. Elle est Valeur en ce sens
que c’est elle qui motive l’action en exprimant un besoin commun notablement
désirable, avec un grand « V » parce qu’elle exprime ainsi quelque chose de sacré,
une sorte de transcendance, un point de fuite du sens vers un intérêt qui est général.
Elle est souveraine parce que c’est elle qui dirige l’action. Elle est enfin associée à la
raison, légitimant ainsi l’action exercée par le sujet sur l’objet d’intérêt général, en
lui donnant tout son sens.
La république s’appuie ainsi sur la raison, le logos grec ou le discours qui la
structure, qui est au cœur d’une révolution à l’origine de la SOCIETE DE
L’INFORMATION émergente, soumise à un véritable séisme dont l’épicentre a pris le
nom de cyberespace.
de la SOCIETE DE L’INFORMATION
L’expression « société de l’information » est issue de l’émergence à la fin du
siècle dernier d’une sorte de « paradigme informationnel »32
auquel les travaux de
Norbert Wiener sur la cybernétique ont largement participé. Considérant
l’information comme un phénomène central de la « société émergente », le discours
de l’époque a en effet servi de matrice à une conception du corps social dont cette
expression traduisait la mutation due à l’utilisation massive des technologies de
l’information et de la communication (TIC). Mais depuis le tournant du millénaire,
cette thématique a tendance à se banaliser, et l’expression est passée dans le langage
courant laissant ainsi croire à un changement de statut de ladite société qui serait
passée d’émergente à « installée ».
En toute rigueur, ce n’est pas la société de l’information qui a émergé à la fin du
siècle dernier, mais une société numérique en lien avec les développements de la
cybernétique, de l’informatique et des TIC. L’arrivée de l’informatique n’a fait que
bouleverser notre rapport à l’information qui, quant à elle, a toujours été au cœur de
l’activité humaine. L’information et ses différents supports ont en effet été de toutes
les grandes mutations civilisationnelles qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. Le
droit écrit, la monnaie, la géométrie, les grandes religions monothéistes, sont apparues
avec l’arrivée de l’écriture. Le capitalisme, la science expérimentale moderne, la
réforme luthérienne, les démocraties modernes sont nées avec l’invention de
l’imprimerie. La mondialisation actuelle enfin est née avec l’invention de
l’informatique.
32
Philippe Breton, Généalogie du paradigme informationnel. In: Revue des sciences sociales,
N°28, 2001, pp. 129-136.
de la SOCIETE DE L’INFORMATION 21
En réalité, l’expression « société de l’information » a le mérite de focaliser
l’attention sur notre accès à l’information qui est en train de faire basculer la société
dans un nouvel univers. Si l’information est l’oxygène nécessaire à toute vie sociale,
la révolution informatique qui a présidé à l’avènement de la société numérique est
encore très loin en effet d’avoir montré toute l’étendue des bouleversements cognitifs,
culturels, politiques et sociaux, voire civilisationnels liés à l’information, qu’elle
porte en germe. Le cyberespace qui est le terrain de jeu de cette nouvelle société nous
donne chaque jour un peu plus la mesure de ces bouleversements. « Dans quel espace
vivons-nous actuellement ? » s’interrogeait en 2007 le philosophe et historien des
sciences Michel Serres. « Nous avons changé d’espace » précisait-il, or « changer
d’espace » a « des répercutions culturelles considérables qui touchent à la fois le
juridique et le politique »33
.
Les discours scientifiques sur le thème de la société de l’information, le logos ou
la raison s’y référant, relèvent ainsi d’une sorte d’anthropologie politique à la fois
prospective, pour accompagner « l’homme à venir » dans la cité du futur, et historique,
pour inscrire les bouleversements attendus dans la lignée des grandes mutations
culturelles et politiques du passé. Le concept de société de l’information, bien que
l’expression soit désormais passée du discours scientifique au langage courant, est
encore très loin de refléter l’immense variété du champ des possibles en matière
d’utilisation des TIC et de ses effets sur les évolutions de nos sociétés
hyperconnectées. Les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) ont à
n’en pas douter un rôle éminent à tenir dans l’approfondissement de cette thématique
scientifique, afin de ne pas risquer un nouveau « changement dans les dispositions
fondamentales du savoir » impliquant « que l’homme s’effacerait, comme à la limite
de la mer un visage de sable »34
.
Dans la dimension collective que la « chose publique » impose en matière de
société de l’information, on a vu que la raison prolongeait l’intuition en procédant
comme elle, de ce sens commun éminemment politique qui initie la mise « en-
forme » (information) de savoirs communs dans une documentation scientifique.
Cette dernière permet l’élaboration collective d’une PENSEE COLLEGIALE et ainsi le
fonctionnement d’une véritable intelligence collective.
de la PENSEE COLLEGIALE
Notre mémoire individuelle, qui fait intervenir le calcul de manière inconsciente,
peut se limiter à cette simple intuition, sens interne on l’a vu, intégrateur des cinq
sens externes, qui précède la pensée et forme le jugement. Dans le cadre collectif qui
nous intéresse, l’intuition conditionne l’élaboration d’une pensée collégiale ou
33
Michel Serres, Les nouvelles technologies révolution culturelle et cognitive, Conférence,
Quarante ans de l’INRIA, forum « Informatique et Société », Lille, 2007.
34
Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris. 1966.
22 Documentation scientifique et intelligence politique
collective, à partir d’un sens commun éminemment politique (ou sens de l’État),
focalisé sur l’intérêt général, et guidant ainsi la mise en forme (information) de
données échangeables, de connaissances partageables, puis de savoirs
communicables.
C’est à partir de ce sens commun porteur d’une intuition collective que
s’élaborent les perceptions de la réalité avec laquelle le collectif interagit pour
élaborer une pensée collégiale. Ce ne sont au début, que des sensations des objets
observés par chacun, dont des algorithmes peuvent nous restituer des représentations
communes à partir des données discernées par le collectif pour rendre compte d’un
objet commun. Il s’agit alors d’une lecture permettant d’interagir avec le réel, soit un
travail de l’intellect par lequel nous traitons les données de l’expérience pour en
dégager une idée, une image ou une quelconque forme abstraite capable de susciter
un acte qui, bien que déclenché de manière inconsciente, se traduira consciemment
par un résultat concret.
Mais, dès lors que nous souhaitons élaborer collectivement une pensée collégiale
au sein d’un groupe constitué autour d’une intention commune, le calcul, qui façonne
inconsciemment l’intuition dans une mémoire individuelle, ne suffit plus. Il reste
utile pour traiter des « données de masse (big data) », puis peut-être pour acquérir les
« données pertinentes (smart data) » au regard de l’intention commune qui
conditionne le groupe, et enfin produire des données suffisamment « consistantes ou
substantielles (thick data) »35
pour conduire l’action, mais il ne peut suffire pour la
penser. La décision consciente qui déclenche l’action réfléchie ne peut se contenter
de la seule intelligence procédurale : elle doit impérativement passer par un travail
de la mémoire conceptuelle.
Ainsi, les perceptions directes qui sont des données dont le traitement peut être
confié à des algorithmes, ne permettront jamais à elles seules de représenter une
situation avec toutes les garanties de rigueur nécessaires à l’intervention d’une
intention commune destinée à agir en responsabilité sur la dite situation. Seule une
pensée collégiale, prolongeant le traitement des données en procédant de ce même
sens commun qui oriente en toute intelligence une intuition dès lors collective, peut
ainsi façonner l’information ou la mise en forme de connaissances partagées, puis
de savoirs communs pour consolider cette relation si délicate dans l’action entre
l’unité du sujet responsable, et la communauté de l’objet souverain « intérêt
général ».
La pensée collégiale appliquée à la politique, c’est l’aboutissement du travail
conceptuel d’une mémoire à vocation politique, c’est-à-dire d’une intelligence
collective. Elle perçoit les objets de la réalité au travers d’une « grille conceptuelle
35
Cf. « Des données au savoir, le sens en question », in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 260
et suivantes (§ 26) et, Francis Beau, Faire parler ses données :de la masse à la substance, le
sens en question, Revue COSSI, n°1-2018, Actes du colloque COSSI 2017 - Méthodes et
stratégies de gestion de l'information par les organisations : des "big data" aux "thick data",
Montréal 11-12 mai 2017.
de la PENSEE COLLEGIALE 23
déterminée par la situation qui nous met en relation avec eux et par notre intention
envers eux »36
. C’est la satisfaction de l’intérêt général qui forge le sens de l’État et
détermine entièrement notre intention envers les objets observés que la situation met
en relation avec nous. « En regard de la complexité illimitée de ces objets », ce travail
conceptuel de l’intelligence à vocation politique, soit la pensée collégiale peut être
« simple ». Grâce à l’intelligence collective qu’une véritable documentation
scientifique est capable de produire, c’est en effet dans cette démarche à la fois
scientifique et politique, que la satisfaction de l’intérêt général forge le sens de
l’État en déterminant « notre intention envers les objets » observés que « la situation
met en relation avec nous »37
.
Mais cette pensée collégiale appliquée à la politique procède d’une démarche
fonctionnant à l’inverse de la démarche scientifique : elle ne s’intéresse pas à la
recherche de la cause qui détermine l’effet observé pour l’expliquer, mais bien plutôt
à l’effet recherché en relation avec la « Cause », qui détermine l’action à entreprendre
en lui donnant sens. Elle ne s’oppose pas à la démarche scientifique, mais la complète
pour anticiper afin d’agir, autant que faire se peut, en toute connaissance de cause.
Donner du sens à l’action, on l’a vu, c’est faire intervenir une volonté. L’homme
politique est un homme d’action. L’homme d’État, c’est celui qui recherche l’effet
déterminé par cette grande « Cause » publique qui fait la République (Res publica),
élevée au rang de Valeur suprême au service de l’intérêt général.
Le fonctionnement de cette relation de cause à effet entre sujet individuel et objet
collectif, à l’œuvre dans la relation entre savoir universel et données de masse,
nécessite l’adoption d’un langage de raison pratiqué par tous, donnant ainsi un sens
commun à la phrase politique, sur le modèle de la relation de cause à effet qui donne
son sens à la phrase grammaticale. Seule une langue en effet, permet d’envisager
l’organisation d’un débat raisonné et d’une réflexion partagée, susceptible de nous
affranchir par la pensée, de cet ancrage physique spatiotemporel si paralysant pour
l’individu. Dans sa version la plus élémentaire, informatique, digitale, binaire ou
numérique, le langage permet l’expression commune d’un discernement éclairé et
d’une sagacité naturelle, dont le sens peut être entendu et accepté par chacun afin de
prétendre au statut de « sens commun » ouvrant la voie au fonctionnement
analogique de la langue et de la pensée qu'elle organise.
Pour être conçue collectivement, la pensée collégiale doit pouvoir s’appuyer sur
une documentation dont l’organisation requiert l’adoption d’un LANGAGE
DOCUMENTAIRE accessible à tous.
36
Cf. « Le concept de grille conceptuelle » in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 273 et
suivantes (§ 3 et fig. 29).
37
Michel Volle, op. cit..
24 Documentation scientifique et intelligence politique
du LANGAGE DOCUMENTAIRE
C’est un langage documentaire qui permet d’élargir l’univocité du langage
informatique à l’échelle de la collectivité et ainsi, la mise en œuvre d’une conscience
partagée. On a vu qu’à l’échelle d’une mémoire collective nécessaire à la diffusion
d’une culture scientifique indispensable à la civilisation, le sens commun devenait
sens de l’État pour orienter la politique et le gouvernement des peuples. Ce sens
commun devenu sens de l’État ouvre ainsi la voie au fonctionnement analogique
d’un langage de raison sinon parfaitement univoque, du moins cherchant à éviter tout
risque d’équivoque, à usage universel appliqué à l’organisation d’une pensée
collégiale.
Le document est à la mémoire collective, ce que le verbe est à la mémoire
individuelle : un instrument de transmission de sens. C’est donc tout naturellement
sur l’organisation d’un langage documentaire partagé par tous, que repose
nécessairement toute méthode de travail en commun en s’inspirant des processus
d’élaboration analogique de la pensée dans la mémoire.
Ce langage documentaire peut ainsi s’appuyer sur une « grammaire du sens
générative » au sens de Chomsky pour Faire « un usage infini de moyens finis » 38
,
qui « organise la transmission du sens en réponse au besoin collectif », à partir « d’une
planification collective de l’activité documentaire », déterminée par une intention
commune que la Cause publique oriente. La structure sémantique de ce langage
documentaire peut en outre « s’inspirer des grands systèmes de classification
élaborés dans le passé pour assurer la pertinence de l’information au regard du
besoin »39
.
Conclusion
Les mots sont comme des peaux sensibles enveloppant les idées que l’on se fait
des objets de la réalité, afin de pouvoir s’en saisir pour interagir avec eux dans toutes
les dimensions de l’espace et du temps, passé et futur. Portés par une langue, mis en
forme (information) et organisés par une grammaire, ils permettent en effet au verbe
(logos) d’exercer sa fonction de raison qui structure la pensée, en remontant le temps
pour resusciter le passé, ou en se projetant dans l’avenir pour concevoir des futurs
possibles. Affranchissant ainsi l'homme de son ancrage temporel qui l’emprisonne
physiquement dans le présent, les mots portés par la langue lui permettent de voyager
dans le temps en mémorisant le passé que la pensée ressuscite, et en se projetant dans
un avenir qu’elle imagine pour décider en conscience et agir. Ce sont les artisans de
la mémoire qui façonnent l’intelligence.
38
Noam Chomsky, Le Langage et la pensée, Petite bibliothèque Payot, 2006. 1967.
39
Cf. « Un langage documentaire "rationnel et normalisé" », in Francis Beau, 2019, op. cit.,
pp. 273-274 (§ 311).
Conclusion 25
Par extension, les documents, à l’image des mots qu’ils transportent, permettent
à la raison (le logos grec exprimant la fonction du verbe) de structurer une pensée
collégiale en remontant le temps pour témoigner du passé ou en anticipant l’avenir
pour planifier une activité collective. Afin d’assurer pleinement cette fonction
d’intelligence collective et d’en garantir l’accomplissement avec efficacité, ils
doivent être également portés par un langage et mis en forme puis organisés par une
grammaire. Le document qui véhicule des mots, donc de l’information, à la fois dans
le temps (mémoire) et dans l’espace (média), est l’élément clé de la mémoire
collective dont l’organisation est indispensable au fonctionnement d’une intelligence
collective, et à l’établissement d’un véritable dialogue démocratique. Guidé par la
raison, et ce sens commun éminemment politique focalisé sur l’intérêt général, un
tel dialogue est possible grâce à l’adoption d’un langage commun dédié à
l’organisation d’un espace de documentation scientifique à vocation universelle.
Toute numérique qu’elle soit devenue, l’information, est bien ce « macro-concept
multidimensionnel »40
dont on a vu qu’elle était une affaire bien trop sérieuse pour
être confiée aux seuls algorithmes, au calcul ou à l’informatique qui les programme.
L’intelligence artificielle et le langage informatique qui la sert ne pourra jamais traiter
que les parements numériques (les data) de ce « concept caméléon »41
, sans pouvoir
accéder le moins du monde à ses autres aspects (connaissance et savoir) que seule
une intelligence conceptuelle peut permettre de travailler collectivement. Le langage
documentaire, qui est analogique et sert cette intelligence collective, pour inscrire
dans la durée l’activité cognitive d’une collectivité autour d’un besoin commun qui
lui donne sens, peut s’avérer d’un usage aussi courant qu’une langue maternelle, en
s’appuyant sur une organisation logique naturelle inspirée des mécanismes sensoriels
à l’œuvre dans nos systèmes cognitifs individuels.
Dans le contexte de « révolution culturelle et cognitive » dont l’électronique et le
numérique ne sont que des marqueurs technologiques à effet sur l’ensemble du spectre
scientifique, il semble indispensable que les Sciences Humaines et Sociales (SHS),
et en particulier les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC)
investissent sans réserve cette hypermédiatisation de l’information qui en résulte,
afin de permettre la conception de systèmes d’information adaptés à la pratique
scientifique de l’intelligence collective dont ce glossaire tente de préciser les grands
concepts. La sagesse scientifique d’une telle conscience éminemment politique
s’avère en effet, crise après crise, toujours plus utile afin d’éviter le recours
systématique en politique à un principe de précaution par essence ascientifique car
infalsifiable ou irréfutable. Poussé aux limites d’une logique absurde consistant à
maximiser les calculs de risque afin de justifier une intervention massive qui, après
coup, en réduira l’impact, ce dévoiement politique d’une science limitée aux chiffres
conduit inévitablement à en faire trop pour annuler la possibilité même de penser
qu’on peut faire autrement.
40
Edgar Morin, op. cit..
41
Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille, op. cit..

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  • 1. Information scientifique et intelligence collective Un langage documentaire universel, pour une approche scientifique du sens de l’État guidée par une conscience politique partagée, au service de l’intérêt général. par Francis Beau, docteur en Sciences de l’Information et de la Communication mardi 1er août 2023 Avant-propos Lorsqu’on interrogeait Confucius sur la première qualité que devait posséder un ministre, il répondait : « Bien connaître le sens des mots ». (Maurice Druon)1 Avant donc que d'écrire, apprenez à penser. Selon que notre idée est plus ou moins obscure, L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, Et les mots pour le dire arrivent aisément. (Nicolas Boileau)2 … Et les mots pour le dire arrivent aisément, nous dit le poète. J’ajouterais pour ma part : « …, à condition d’être connus avec toute la précision nécessaire à la clarté des idées (à leur fidélité aux réalités observées) et à la pureté d’expression d’une pensée cohérente ». J’aime les mots. Ce sont les images de réalités observées. Ils se souviennent des nécessités qui les ont inventées, et leur histoire dont l’étymologie rend en partie compte leur donne une profondeur et un poids auxquels nous ne prêtons pas toujours l’attention nécessaire. L'étymologie parfois nous aide à rencontrer ces réalités auxquelles les mots doivent s’identifier avec précision. « Étymologie », par exemple, nous vient du grec etumon (élément authentique d'un mot), lui-même dérivé de etumos 1 Discours sur l’état de la langue, Académie française, séance publique annuelle, 02/12/1999. 2 L’Art poétique, 1674.
  • 2. 2 Information scientifique et intelligence collective (vrai). Littéralement, l'étymologie est la recherche du sens authentique des mots. Cette recherche est souvent riche d’enseignements. Partant de ce que nous dit le dictionnaire, on peut ainsi rechercher le sens juste des mots en s’appuyant sur leur histoire. Dans les dictionnaires, ce sont, comme des amers portés sur les cartes marines, des repères qui permettent de naviguer sur l’océan des idées. Comme eux, ils doivent s'identifier avec précision aux objets conceptuels qu'ils désignent sur les rivages de l'esprit. Sans la discipline de cet exercice d'identification rigoureux, nul ne peut espérer arriver à bon port et atteindre les lumières de la connaissance en évitant les écueils, dangers et autres sirènes dont sont pavées toutes les aventures de la pensée humaine. Parmi celles-ci, l’aventure de l’intelligence collective dans notre société de l’information hypermédiatisée, mérite toute notre attention, afin d’identifier avec précision quelques mots utiles à son succès dans la cité. Conscient en effet de l’immense complexité des concepts attachés au couple information-communication dans ce « tressage inextricable »3 que les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) incarnent dans toute leur diversité, j’ai conçu ce travail comme une balade au fil des mots gravitant autour des concepts centraux d’information, de communication et de documentation. Mon propos est de tenter d’en préciser le sens afin de permettre la conception de systèmes d’information documentaires adaptés à une pratique scientifique de l’intelligence collective dans une mémoire partagée. Le caractère éminemment politique d’une telle mémoire qui, utilisée collégialement, peut tenir lieu de véritable conscience collective, justifie en effet pleinement que la science (informatique et sciences de l’ingénieur bien sûr, mais aussi et surtout sciences de l’information et sciences humaines), s’y investisse pleinement, dans l’esprit d’une conscience politique dûment motivée par le sens de l’État. Pour comprendre le territoire, il faut dessiner des cartes justes et pertinentes. En assimilant le territoire à un champ scientifique ou culturel, et la carte à un système de pensée, on peut dessiner une carte juste et pertinente de cet espace d’infocom étudié par les SIC, permettant de naviguer dans le dédale des systèmes d’information en s’appuyant sur des concepts dûment identifiés. C’est donc une sorte de GLOSSAIRE insolite dont je me propose ici de dessiner les premiers traits, conçus et présentés au fil du discours plutôt que dans un ordre alphabétique plus conventionnel. du GLOSSAIRE C’est donc là le premier mot qu’il convient de contextualiser. Il nous vient du latin glossarium, dérivé de glosa, glossa et du grec glôssa, désignant la langue et, en grammaire, un mot rare ou dialectal. Ces deux origines nous ont donné le mot « glose » pour désigner, selon l’Académie, « l’explication d'un mot ou de quelques 3 Sylvie Leleu-Merviel, La traque informationnelle, Volume 1. ISTE éditions, 2017.
  • 3. de l’ INTELLIGENCE 3 mots obscurs d'une langue par d'autres mots de la même langue et, par extension, un commentaire servant à l’intelligence d’un texte ». C’est cette histoire du mot « glossaire » et en particulier cette dernière extension de sens du mot « glose », que je retiendrai pour justifier l’utilisation qui en a été faite pour introduire ce travail sur le vocabulaire, et contribuer ainsi à l’INTELLIGENCE des travaux en Sciences de l’Information et de la Communication. de l’INTELLIGENCE La difficulté qu’il y a à cerner avec précision ce vaste concept invite à s’y atteler d’emblée en tentant d’en simplifier à l’extrême le contenu afin de pouvoir l’aborder sans s’y perdre. Comme de Gaulle en route vers l’Orient compliqué, nous tenterons donc d’aborder la complexité du concept « avec des idées simples ». L’intelligence, c’est une activité de la mémoire. Elle se manifeste dans notre cerveau selon deux modes distincts. Une première intelligence, dite procédurale ou algorithmique, suscite d’abord des automatismes inconscients, et une deuxième, dite conceptuelle, engendre une pensée consciente. La seconde, l’intelligence conceptuelle, spécifique de l’espèce humaine, qui fait appel à la pensée ou à la réflexion c’est-à-dire à un dialogue avec soi-même porteur de raison, demeure néanmoins tout autant que la première, « essentiellement pratique et orientée vers l’action ». Au regard de « la complexité illimitée des objets » qu’elle perçoit, au travers de la « situation qui nous met en relation avec eux » et de « l’intention » qui nous anime à leur égard, nous verrons que cette « pensée est simple ».4 Au-delà de cette simplicité que nous retiendrons pour étendre ce travail de la mémoire individuelle au développement d’une intelligence collective, c’est ce sens que l’intelligence donne à l’action en l’orientant, qui semble le mieux caractériser sa fonction pratique. L’intelligence, c’est le travail de la MEMOIRE qui donne tout son sens à la décision dans l’action. de la MEMOIRE La mémoire, c’est donc ce dispositif central du système cognitif dédié à la fabrique du sens, dont le travail façonne l’intelligence en permettant l’acquisition et l’encodage de l’information, sa rétention puis sa restitution. Elle opère tout d’abord une transformation de nos perceptions de la réalité d’une situation, en éléments ayant du sens au regard d’une finalité déterminée par notre intention envers cette situation. Elle assure ensuite l’enregistrement de ces informations de manière à ce qu'elles 4 Michel Volle, Le rapport entre la pensée et ses objets, volle.com, 09/12/2017.
  • 4. 4 Information scientifique et intelligence collective puissent être réutilisées plus tard autant que de besoin. Elle offre enfin la capacité de récupération de ces informations préalablement stockées et utiles à l’action, à la décision qui l’enclenche et à la volonté qui l’anime, en fonction d’un besoin. La mémoire, c’est ainsi un système d’information transformant des données de la réalité observée en connaissances utiles, puis en savoirs nécessaires à la décision, pour faire sens et éclairer l’action. C’est le lieu de la construction du sens dans nos cerveaux. Elle est décrite par le neurophysiologiste Alain Berthoz5 comme un formidable « instrument de prédiction ». Considérant en effet le cerveau comme « une machine à anticiper » secondée par l’émotion « qui prépare le corps et le cerveau aux conséquences des actions à venir », ce spécialiste de la « physiologie de la perception et de l'action » observe que « nous sommes des organismes orientés vers un but »6 . La physiologie qu’il étudie, s’applique aux automatismes que la nature met en œuvre dans la mémoire au service de l’intelligence procédurale. Mais au-delà de cette physiologie du système nerveux, on peut raisonnablement penser que ces qualités précieuses d’anticipation et d’orientation s’étendent aux fonctions réflexives de la dite mémoire au service d’une intelligence conceptuelle. La mémoire est en effet, le lieu de la mise en forme de signaux s'offrant à l'observation, donc celui de l’expression de la théorie 7 considérée par Aristote comme l’activité propre de l’intelligence. C’est le lieu de la mise en œuvre d’un processus intellectuel qui s'enclenche à partir d'un besoin de savoir pour agir. Cette finalité déterminée par une intention, est envisagée comme un problème à résoudre au moyen de l’intelligence. Elle est ce fameux « but » observé par Alain Berthoz, vers lequel sont « orientés » nos « organismes », ou bien encore, la cause ou la raison qui motive le travail de l’intelligence et donne leur sens à nos perceptions de la réalité. Ce processus englobe tout un ensemble de fonctions qui s’organisent dans la mémoire en une sorte de continuum cognitif, pour sélectionner avec discernement les données susceptibles de participer à la résolution du problème posé par le besoin d’agir, engendrer les connaissances utiles à sa solution et produire in fine des savoirs nécessaires à la décision dans l’action. C’est dans la mémoire que l’information s’enrichit à partir de différentes sources échelonnées dans le temps et réparties dans l’espace. C’est là qu’elle se mutualise puis se recombine pour concevoir ou donner naissance à de nouvelles connaissances et prendre un sens nouveau que l’inconscient ordonne et que la conscience compose et transcrit. C’est enfin dans la mémoire, ce prodigieux système d’information équipant tout être humain, que l’inconscient calcule et que le conscient pense les savoirs nécessaires à l’action en leur donnant tout leur sens. 5 Alain Berthoz a été professeur honoraire au Collège de France, titulaire de la chaire de physiologie de la perception et de l'action, de 1993 à 2010. 6 Alain Berthoz, Robotique, vie artificielle, réalité virtuelle, Interview (Propos recueillis par Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin, La Revue mensuelle n° 47, 17/09/2003. 7 Du grec theorein « contempler, observer, examiner » et théôria « vision, contemplation ».
  • 5. de la SCIENCE 5 C’est ainsi dans la mémoire que se construit le sens à partir d’observations théoriques, en guidant l’information à chaque étape inconsciente ou consciente de sa mise « en-forme » (donnée, connaissance ou savoir). La mémoire est l’outil de la Connaissance avec un grand « C » lorsqu’elle est collectivement ou universellement reconnue et du Savoir avec un grand « S » lorsqu’il est universel : c’est l’outil de la SCIENCE. de la SCIENCE On raconte cet échange entre Laplace et Napoléon lors de la présentation de son traité de mécanique céleste à l’empereur. « On me dit, M. Laplace, que vous avez écrit cet immense ouvrage sur le système de l’univers, sans même mentionner son créateur ». Ce à quoi lui répondit l’homme de science, « je n’ai pas eu besoin Sire de faire une telle hypothèse, qui peut tout expliquer, mais ne permet pas de prédire quoi que ce soit, et en tant que savant, je me dois de vous fournir des travaux permettant des prédictions ». La science n’a pas pour vocation d’expliquer tout, mais de comprendre ce qui peut se concevoir afin de prédire pour anticiper et agir en connaissance de cause dans toute la mesure du possible. Seule la connaissance de la cause permet d’envisager cette fameuse relation de cause à effet consubstantielle de la raison associée à la science et à toute démarche scientifique, mais indissociable de la conscience. Science et CONSCIENCE sont ainsi indubitablement unies par un lien, dont l’utilisation du préfixe dérivé du latin cum invite à considérer le caractère collectif. de la CONSCIENCE De la science à la conscience, l’étymologie nous suggère donc cette notion de mise en commun qui transforme des données en connaissances dans nos mémoires individuelles, mais nous incite aussi à étendre ce partage au vaste domaine de la science qui est indéniablement collectif. S’il est vrai que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » comme le notait jadis Rabelais, le lien qui conduit de l’une à l’autre est sans aucun doute une affaire de sens. De la science à la conscience, il est en effet un lien fort, unissant dans la mémoire nos cinq sens au sens commun qui oriente l’ETHIQUE individuelle et l’action judicieuse.
  • 6. 6 Documentation scientifique et intelligence politique de l’ETHIQUE Pour la philosophie, selon Comte-Sponville, l’éthique est « faite de connaissances et de choix : c’est l’ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs »8 . Chez Aristote, éthique et politique sont étroitement liées. L’éthique s’applique à l'individu considéré comme un citoyen libre, tandis que la politique s’applique à la cité, au législateur ou à ses administrateurs. Pour faire la synthèse de ces deux observations, on peut indiquer que cet ensemble réfléchi et hiérarchisé doit être à l’individu ce que la politique peut être au collectif : une conscience aigüe de l’impérieuse nécessité de compter avec l’autre. Compter avec les autres, c’est accepter leurs différences et leurs défauts. Leur compréhension, qu’il ne faut pas confondre avec l’approbation de leurs implications en particulier lorsque celles-ci semblent incompatibles avec l’intérêt général, est la base incontournable de tout échange, de toute relation ou de toute négociation à l’échelle collective, nationale ou internationale, qui est celle de la politique. Elle doit être, de la même manière, une base incontournable de toute relation à l’échelle individuelle, familiale, associative ou professionnelle, qui est celle de l’éthique. C’est cette conscience aigüe de l’autre avec lequel on doit compter qui fait toute la valeur de l’éthique et sa grande force, en indiquant le véritable SENS qu’il faut donner à la science, au travail de la mémoire et donc à l’intelligence. du SENS Du latin sentire, sensus, « action de sentir ». Le sens, cette « puissance innée de discernement » 9 pour Aristote, s’identifie à « l’effet produit » chez un sujet, dans sa mémoire, « par la réception d’un signal » 10 , c’est-à-dire par la perception d’un fait. Dans le langage courant, le mot compte en français trois principales acceptions : entendu comme sensation ou faculté de sentir (les cinq sens, en anglais sense), il peut l’être aussi comme une orientation, un « but » vers lequel pointer (le sens de la flèche, en anglais direction), mais également comme signification (ce que l’on comprend, en anglais meaning). Ce qui pourrait passer pour une polysémie fâcheuse n’est en réalité que la traduction du processus de construction de sens qui se réalise dans la mémoire dès qu’une première observation s’opère. Le sens désigne à la fois le moyen de perception d’un fait, son orientation par une intention, soit le « but » à viser, déterminé par le besoin du sujet émetteur ou récepteur du signal émis par le fait, et son effet sur le sujet agissant (émetteur ou récepteur), soit 8 André Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique, PUF, 2001, p. 219 (entrée ÉTHIQUE). 9 Yvan Pelletier, La dialectique aristotélicienne Les principes clés des Topiques, Société d’Études Aristotéliciennes (2e édition) Monographies Philosophia Perennis, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2007. 10 Sylvie Leleu-Merviel, op. cit..
  • 7. de l’INFORMATION 7 l’éclairage qu’il apporte à son action. C’est une perception (observation - theôría) orientée par une intention (méthode - praxis), exerçant un effet (produit - poïésis) sur une mémoire. 11 Donner du sens à l’action, c’est donc lui fixer un but. Lorsque l’action est l’expression d’une pensée, son sens (sa signification) est l’objectif poursuivi par celui qui l’énonce, ou l’objectif vers lequel, cherche à tendre consciemment ou inconsciemment celui qui la reçoit. Le sens implique une volonté, qui « peut être explicite ou implicite, consciente ou inconsciente ». « Il n’est de sens que pour un sujet (que pour un être capable de désirer ou de vouloir) » 12 . Le sens suppose donc un sujet capable de volonté et un besoin de savoir ou de faire savoir que celui-ci cherche à satisfaire. Lorsqu’elle répond à une volonté d'exprimer une représentation mentale (une idée) à laquelle il est nécessaire d'attacher une forme littérale permettant les échanges avec soi-même (réflexion) ou avec autrui (dialogue), la pensée prend un sens donné par l'objet qu'elle se fixe. Au contenu sémantique qui s'attache à la lettre, viennent se greffer un certain nombre de règles qui font de la représentation mentale ainsi exprimée, une pensée formalisée pour être transmise dans l'espace et dans le temps. Lorsque le besoin du récepteur rencontre celui de l’émetteur du signal, l’entente entre les deux assure la perfection de la transmission. C'est cette aptitude éminente à formaliser une représentation mentale pour la transmettre grâce à la langue, qui distingue l'homme des autres espèces animales en lui donnant la possibilité de se libérer mentalement (par la pensée) de son ancrage physique dans l'espace et dans le temps. Le sens, « c’est ce qui offre une direction (pour l’intelligence et pour l’action), c’est ce qui fournit des raisons de croire et d’adhérer »13 . Dans un exposé traitant de la société de l’information qui s’adressait à des anthropologues et à des sociologues, le philosophe Jean-Michel Besnier nous suggère là que, tout en permettant de « diriger l’intelligence » et son prolongement dans « l’action », le sens permet également de donner « raison » à une « adhésion ». Celle-ci ne serait pas seulement rationnelle parce que fondée sur une réalité calculable, mais ferait appel à une foi dans une cause à laquelle il conviendrait de « croire ». Sans aller forcément jusqu’à « l’insignifiance » dénoncée par l’auteur dans le titre de son exposé (« La société de l’information ou la religion de l’insignifiance »), on peut retenir, à titre métaphorique, cette idée de « religion ». 11 Voir à ce sujet « L’épistêmê grecque » in Francis Beau, Le renseignement au prisme des sciences de l'information, Thèse de doctorat, Université Polytechnique Hauts-de-France (laboratoire DeVisu), 2019, p. 214 (§ 2531). 12 André Comte-Sponville, op. cit. p. 528 (entrée SENS). 13 Jean-Michel Besnier, La société de l’information ou la religion de l’insignifiance, Revue européenne des sciences sociales, Tome XL, 2002, N° 123, pp. 147-154, 01/06/2002.
  • 8. 8 Documentation scientifique et intelligence politique La dimension spirituelle que cet appel à une certaine foi suggère, nous incite à donner au sens, ce supplément d’âme que le SENS COMMUN permet d’apporter à nos actions. du SENS COMMUN C’est lui donc, ce sens commun, qui peut apporter un supplément d’âme « éthique », à la conduite de nos actions individuelles en « hiérarchisant nos désirs » dans une « réflexion » fondée sur « des connaissances et des choix »14 . Chez Aristote, le sens commun se rapporte autant à l'unité du sujet sensitif qu'à la communauté de l'objet perçu. Thomas d'Aquin qui, comme lui, y voyait une fonction de discernement intégratrice des cinq sens externes ou sensations, le distinguait des précédents en le qualifiant de sens interne. Il est certes interne pour le sujet qui est individu, mais en même temps commun au regard de l’objet qui relève du collectif. Le sens commun, c’est ce sixième sens intégrant les signaux portés par les cinq sens externes. C’est un nouveau signal qui porte cette sorte de jugement que l’on nomme parfois « jugeote » et qui peut s’identifier à l’INTUITION, précédant la pensée, ce processus analogique à l’œuvre dans le travail conceptuel de la mémoire. de l’INTUITION Intueri, en latin, c’est voir ou regarder. L’intuition, c’est donc ce « sens interne » intégrateur « des cinq sens externes » qui précède la pensée et forme le jugement. C’est la condition de toute pensée chez Descartes, de toute connaissance chez Kant, ou l’expression d’une énergie spirituelle chez Bergson, permettant d’accéder à la connaissance. Dans un cadre collectif, le calcul ou les algorithmes augmentent nos capacités de recherche, de comparaison, d’organisation et de restitution des données ou de représentation, c’est-à-dire les perceptions directes ou sensations de l’objet commun. Mais l’intuition collective, qui intègre ces sensations communes, va au-delà de cette restitution de données. Saisissant une réalité sensible, c’est une observation (theôría) déclenchée par un besoin de sens qui est commun. À l’échelle collective, l’intuition procède de ce sens commun initiant l’intelligence et la mise « en-forme » (information) d’une pensée réfléchie, analogique ou conceptuelle, en intégrant les perceptions directes qui sont des DONNEES dont le traitement peut être, quant à lui, confié à des algorithmes. 14 André Comte-Sponville, op. cit. p. 219 (entrée ÉTHIQUE).
  • 9. de la DONNEE 9 de la DONNEE On dira donc d’une information qu’elle est une donnée pour indiquer qu’elle est une mise « en-forme » de l’observation, susceptible de participer avec discernement ou intelligence à la solution d’un problème posé par un besoin de savoir pour agir. Quand ce discernement est l’œuvre d’une intelligence procédurale ou algorithmique, la donnée ainsi recueillie peut interagir dans notre mémoire de manière automatique avec l’intelligence conceptuelle en ajoutant aux observations directes des cinq sens, une « sensation » intégrant les précédentes auxquelles on les assimile. Ce sixième sens ou intuition, sens commun intégrateur des cinq sens externes à l’échelle de l’individu, échange avec les autres pour construire de nouvelles CONNAISSANCES. de la CONNAISSANCE On dira d’une information qu’elle est une connaissance pour désigner l’étape suivante du processus de résolution de ce problème cognitif posé par un besoin de savoir pour agir, en indiquant qu’elle a donné naissance avec raison ou intelligence à de nouvelles informations conceptuelles nécessaires à son accomplissement. La connaissance est par nature objective, parce qu’elle est l’objet d’un processus de collecte. Même si elle n’est envisagée ici que dans le cadre d’une mémoire individuelle assurément subjective, la vocation collective du processus cognitif dont elle est l’objet la prédestine au partage, pour accéder au SAVOIR. du SAVOIR On dira enfin d’une information qu’elle est un savoir pour désigner la solution du problème posé par ce besoin d’agir, à laquelle les données transformées en connaissance ont participé, apportant ainsi une réponse pertinente à la question posée pour décider et agir avec sagacité ou intelligence. Le savoir engage un sujet individuel (personne physique), ou un groupe d’individus personnalisé (personne morale), dans l’action. Même si on peut parler de Savoir avec un grand "S" sous-entendu « universel » parce qu’individuellement partagé, c’est une information indéniablement subjective, qui se transmet d’un auteur ou autorité émettrice à un ou plusieurs destinataires, lecteurs ou auditeurs.
  • 10. 10 Documentation scientifique et intelligence politique Savoir, c’est savoir la cause, nous dit Aristote, c’est l’aboutissement d’un processus cognitif fondé sur la raison associée à la relation de cause à effet qui permet de formuler par inférence un jugement sur le caractère commun des objets offerts à la connaissance. L’action déterminée par la subjectivité de ce savoir qui l’éclaire, se trouve ainsi légitimée par l’objectivité de la RAISON qui la cause. de la RAISON La raison, et la pensée qui la porte, c’est le prolongement du rationnel et du calcul qui le traite. Allant bien au-delà du simple ratio appliqué au numérique, elle relève d’une relation de cause à effet, s’appliquant au domaine analogique de la pensée. Synonyme de cause ou de motif que l’on retrouve en première place dans les traductions de l’anglais reason, son sens s’étend en effet à une faculté de penser cette relation de cause à effet caractéristique de toute activité intellectuelle ou consciente. La raison est donc indissociable de cette notion de cause associée à l’idée d’analogie que Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, assimile à une identité de relation, inspirée de l’égalité de proportion mathématique (le ratio). L’analogie, selon lui, permet ainsi de formuler par inférence, un jugement sur les objets qui s’offrent à la connaissance, pour établir un savoir. Elle ne se situe pas à l’origine de l’action, comme le désir qui l’enclenche et la volonté qui l’anime, mais en constitue une sorte de légitimation qui la motive ou la cause, en en désignant l’objectif et en lui donnant ainsi tout son sens. C’est en quelque sorte, une objectivité qui légitime la subjectivité inhérente à toute action, et fonde le savoir. Mais la raison, c’est aussi le logos grec, souvent traduit par le mot « discours ». De la donnée au savoir, en passant par la connaissance, les grandes fonctions de l’intelligence et de la raison ou du discours qui la structure, sont ainsi contenues dans la notion d’INFORMATION. de l’INFORMATION Que le prisme d’observation soit celui des data, de la connaissance, du savoir, de la communication ou encore de la stratégie, de la politique, voire de l’éthique, l’acception du terme « information » semble comporter bien trop de facettes différentes selon l’angle sous lequel on l’aborde. Il en résulte qu’une véritable approche scientifique de ce « concept-caméléon » 15 , à la fois commune aux sciences de l’ingénieur et aux sciences humaines, ne parvient pas toujours à déboucher sur des 15 « Sommes-nous condamnés à sombrer dans la polysémie d’un concept-caméléon, changeant au gré des besoins théoriques ? » (Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille, Quelques révisions du concept d’information. In F. Papy (dir.), Problématiques émergentes dans les sciences de l’information, Science Publications, Hermès, 2008, pp. 25 à 56).
  • 11. de l’INFORMATION 11 théories dûment identifiées, universellement reconnues et proprement applicables dans la pratique. L’information, c’est donc bien un processus de mise « en-forme » d’un ensemble de données recueillies à partir de l’observation des faits, qui permet de se former une idée ou une perception de la réalité pour interférer avec elle et éclairer la décision dans l’action. En français, contrairement à l’anglais qui ne distingue guère le savoir de la connaissance, les données se transforment, d’abord en connaissance tacite, objet d’un processus cognitif (en anglais scientifique : cognition) inconscient et produit de l’intelligence procédurale, puis éventuellement en connaissance explicite, produit de la fonction cognitive (en anglais scientifique : cognizance) consciente ou de l’intelligence conceptuelle. La connaissance tacite se transforme ensuite en savoir- faire (en anglais : know-how) chez le sujet dont la mémoire accueille le processus, tandis que la connaissance explicite se transforme quant à elle en savoir (en anglais : knowledge, la plupart du temps indifféremment traduit en français par "connaissance" ou "savoir") dès lors que le sujet en question engage son libre arbitre, donc sa responsabilité en tant que sujet agissant, en se l’appropriant. Toute numérique qu’elle soit devenue, l’information, ce « macro-concept multidimensionnel »16 dont nous commençons à entrevoir les contours, n’en demeure pas moins, on le voit, une affaire bien trop sérieuse pour être confiée aux seuls algorithmes, au calcul ou à l’informatique qui les programme. C’est en effet dans la mémoire, cette précieuse usine dédiée à la fabrique de sens, que l’information se construit en toute intelligence. L’information est accueillie dans la mémoire sous forme de données recueillies par nos sens et sélectionnées puis retenues de manière d’abord inconsciente mais ensuite consciente, par une intelligence procédurale mais aussi conceptuelle engendrant une PENSEE consciente. de la PENSEE La pensée, c’est un travail de lecture de la réalité pour mieux interagir avec elle. C’est le travail de l’intellect qui, appuyé sur la raison, permet à l’intelligence de s’exprimer. C’est ce processus cognitif qui prolonge l’intuition dans la mémoire, en s’appuyant sur la raison entendue dans son sens le plus large, celui du logos grec, la parole ou le discours. C’est ainsi un processus analogique à l’œuvre dans le travail conceptuel de la mémoire qui complète le processus numérique à l’œuvre dans son travail d’intelligence procédurale. Elle ne permet pas de rendre entièrement compte du réel, mais elle nous donne prise sur lui, comme une peau qui, l’enveloppant, nous permettrait de nous en saisir ou tout au moins d’en saisir les contours ou la forme 16 Edgar Morin, La complexité humaine, Flammarion, Paris, 1994.
  • 12. 12 Documentation scientifique et intelligence politique (l’idée) pour augmenter nos capacités d’interactions avec lui. Elle permet de « ramener la complexité du visible à de l'invisible simple »17 . « Notre pensée est essentiellement pratique, orientée vers l’action », nous explique en effet Michel Volle. Chaque objet est acquis par nos sens au travers de la « situation qui nous met en relation avec lui » et de « l’intention » qui nous anime à son égard. « En regard de la complexité illimitée de l’objet, cette pensée est simple » 18 . Situation et intention sont ainsi les deux entrées d’une « grille conceptuelle »19 à partir de laquelle s’enclenche un processus cognitif dans notre mémoire pour mettre « en-forme » (information) une représentation de cet objet, qui soit utile à l’action et qui aille dans le sens de notre intention (l’action souhaitée). Cette représentation est une information qu’une première intelligence dite procédurale prend tout d’abord en charge avec réactivité dans notre inconscient, puis qu’une deuxième forme d’intelligence dite conceptuelle peut transformer après réflexion en pensée consciente. Dès lors que l’action se veut réfléchie ou collective, les données saisies doivent être mises « en-forme » afin de pouvoir s’échanger numériquement, et nourrir ainsi une pensée analogique permettant le partage des connaissances, puis la transmission ou la diffusion des savoirs. En un mot, l’information, quel que soit le degré ou la nature de sa mise « en-forme » dans la mémoire (donnée, connaissance ou savoir) qu’elle soit numérique (calcul) ou analogique (pensée), doit pouvoir être mise en « commun » (COMMUNICATION) afin de permettre à l’intelligence de s’exprimer. de la COMMUNICATION La communication est la raison d’être du continuum cognitif à l’œuvre dans la mémoire et s’invite dès lors dans l’ensemble du processus en se mêlant étroitement à l’information, dans ce « tressage inextricable »20 incarné par le couple information- communication parfois résumé en « infocom », néologisme utilisé pour désigner aussi bien la discipline scientifique que les nouvelles technologies associées au phénomène numérique. La communication, c’est ainsi une fonction justifiant cette mise « en-forme » de nos perceptions (l’information). Elle se décline en échange, partage, puis transmission ou diffusion, assemblant respectivement données, connaissances, puis savoirs pour former une information commune. 17 Jean-Yves Pollock, À la recherche de la grammaire universelle, Entretien, Propos recueillis par Nicolas Journet, Sciences Humaines, Hors-série (ancienne formule) N° 27 - Décembre 1999/Janvier 2000. 18 Michel Volle, op. cit.. 19 Voir à ce sujet « Le concept de grille conceptuelle » in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 273 et suivantes (§ 3). 20 Sylvie Leleu-Merviel, op. cit..
  • 13. du DOCUMENT 13 Cette association si étroite entre information et communication incarnée par le néologisme infocom, c’est la fonction centrale de toute intelligence collective dont la part analogique (connaissances, puis savoirs) prolongeant la part numérique (données), ne peut fonctionner sans un DOCUMENT pour la porter, comme la pensée prolongeant l’intuition ne pourrait fonctionner sans la langue pour la porter. du DOCUMENT Le document, c’est la véritable pièce maîtresse de tout système d’information et de communication. Il demeure à tout jamais attaché à l’information ou à l’infocom dont il désigne depuis toujours l’indéfectible support et l’incontournable véhicule. Les nombreuses innovations technologiques liées à sa numérisation ne doivent pas nous faire oublier son histoire millénaire, depuis l’antique tablette sumérienne jusqu’à la tablette digitale contemporaine, aux côtés de tous les concepts utiles à la mise en œuvre d’une intelligence à vocation collective, en particulier dans sa forme conceptuelle attachée aux connaissances et aux savoirs. Le document, c’est l’instrument assurant au profit d’une mémoire collective une fonction sociale de transport de sens entre individus, à la fois dans l’espace et dans le temps ou la durée. Ainsi conçue comme un système d’information documentaire, cette mémoire collective constitue dès lors le dispositif central d’un système cognitif commun assurant l’acquisition, la rétention, puis la restitution de l’information, c’est-à-dire le fonctionnement d’une véritable intelligence collective. En effet, comme son étymologie 21 semble l’indiquer, le document sert à « enseigner » ou à instruire chacun des acteurs impliqués dans le travail d’équipe nécessaire à la mise en œuvre d’une mémoire et d’une intelligence collectives. Enseigner, c’est transmettre un savoir, soit une information restituée par la mémoire. Lorsque cette mémoire est collective, conçue à l’image de nos mémoires individuelles, la restitution de l’information après son recueil puis sa rétention, s’effectue en réponse à un besoin exprimé au sein du collectif. On peut parler alors de « ré-enseignement » ou de renseignement, d’où ce rapprochement entre intelligence collective et RENSEIGNEMENT qui semble s’imposer en matière de documentation. du RENSEIGNEMENT Le renseignement (intelligence en anglais) n’est en réalité que l’extension au collectif, de notre intelligence individuelle. On retrouve d’ailleurs l’idée de cette possibilité d’extension que l’anglais nous suggère, dans le deuxième sens du mot 21 « DOCUMENT, n. m. XIIIe siècle. Emprunté du latin documentum, "exemple, modèle", "enseignement, ce qui sert à instruire" » (Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition).
  • 14. 14 Documentation scientifique et intelligence politique « intelligence » qui désigne une entente entre deux ou plusieurs personnes, un accord de pensée, une complicité ou une connivence. Renseignement et documentation sont deux fonctions consubstantielles l’une de l’autre : « documenter », c’est bien « renseigner, instruire », comme nous l’indique le dictionnaire 22 . Le renseignement, c’est de l’information documentée en réponse à un besoin. Pour le dire autrement, c’est de de l’information qui fait appel au document pour supporter la transformation de nos perceptions de la réalité d’une situation, en éléments ayant du sens au regard d’une finalité déterminée par notre intention envers celle-ci, puis sa rétention et sa restitution. Le renseignement, c’est une INTELLIGENCE COLLECTIVE, assurant au sein d’une mémoire collective, grâce au document, une fonction sociale de transport de sens, à la fois dans l’espace et dans le temps, au profit d’une communauté en fonction de ses besoins. de l’INTELLIGENCE COLLECTIVE Une intelligence collective, c’est donc le travail d’une mémoire collective qui peut être conçue, à l’image de nos mémoires individuelles, comme le dispositif central d’un système cognitif commun adapté au travail d’équipe, pour façonner une pensée pratique entièrement tournée vers l’action collective. Cette mémoire opère une mise « en-forme » de la réalité observée qui devient ainsi une information. La vocation collective de l’information qui est indissociable de la communication, fait de cette mémoire adaptée à un usage collectif, un véritable système d’information. L’intelligence collective, cette extension au collectif de notre intelligence individuelle, n’est pas l’apanage du renseignement au sens institutionnel du mot. En entreprise, pour stimuler la créativité, « il faut développer l’intelligence collective », nous dit le fondateur des studios Pixar, « en permettant à tout le monde d’échanger, avec des forums, des débats, par tous les canaux possibles »23 . Mais tous « les canaux » du monde ne pourront jamais satisfaire que la première étape de la communication, qui s’applique aux échanges de données. Ils ne permettent en réalité, à l’échelle collective, que le développement d’une intelligence procédurale ou algorithmique. 22 Cf. (TLFi), Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL). 23 Ed Catmull, Creativity Inc. :Overcoming the Unseen Forces That Stand in the Way of True Inspiration, Transworld Publishers, 2014.
  • 15. de la MEMOIRE COLLECTIVE 15 Seule l’organisation d’une mémoire mettant en œuvre une intelligence conceptuelle permet de développer une communication adaptée à la mise en œuvre d’une intelligence collective. Pour s’étendre au collectif, l’intelligence conceptuelle qui est spécifique du travail de nos mémoires individuelles, doit pouvoir compter sur une véritable MEMOIRE COLLECTIVE qui gère également le partage des connaissances, puis la diffusion des savoirs. de la MEMOIRE COLLECTIVE Une mémoire collective, c’est donc le champ d’action de l’intelligence collective. C’est le lieu de la mise « en-forme » (information) de la réalité observée et de sa « mise en commun » (communication), soit un système d’information permettant le recueil et les échanges de données, l’acquisition et le partage des connaissances, puis la production et la diffusion des savoirs, ainsi que l’élaboration et l’expression en conscience d’une pensée commune. La mémoire collective est ainsi l’instrument incontournable de toute pensée à caractère scientifique. Elle permet de relier avec intelligence, données, connaissances et savoirs, en prenant pour modèle la démarche de construction du sens dans nos mémoires individuelles, qui est celle de l’épistêmê aristotélicienne24 . À partir de la perception (theôría) des données du problème posé par la poursuite d’un objectif, elle est orientée (praxis) par une intention qui engendre une connaissance et exerce un effet (produit - poïésis) en forme de savoir sur la pensée. L’organisation d’une mémoire collective à vocation scientifique repose sur l’exploitation raisonnée d’une DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE. de la DOCUMENTATION SCIENTIFIQUE Nous retiendrons donc l’expression « documentation scientifique », pour désigner cette mémoire collective dont l’organisation repose sur une démarche scientifique d’intelligence collective reliant ainsi donnée, connaissance et savoir dans la notion d’information et de communication (infocom). Cette démarche scientifique est celle de l’épistêmê aristotélicienne que l’on peut rapprocher de la notion d’épistémè théorisée beaucoup plus tard par Michel Foucault, soit la représentation conceptuelle d’un système organisé de données théoriques et de connaissances pratiques menant à la production de savoirs scientifiques ou de savoir-faire, sur lequel repose l’intelligence collective nécessaire au développement culturel, industriel et artistique d’une société 25 . 24 Cf. « L’épistêmê grecque » in Francis Beau, 2019, op. cit., p. 214 (§ 2531). 25 Voir à ce sujet : « Le document et l’épistémè : d’Aristote à Foucault, une affaire de sens » in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 214 et suivantes (§ 253).
  • 16. 16 Documentation scientifique et intelligence politique La documentation scientifique est ainsi au cœur de cette démarche scientifique de mise « en-forme » (information) collective de nos perceptions du monde qui nous entoure. Elle peut ainsi être un instrument d’une grande utilité en POLITIQUE. de la POLITIQUE La Politique avec un grand « P », c’est « cette science de l’autorité qui fonde l’État » autant « sur la raison et la dialectique », que sur l’éthique, « dans ce rapport si puissant qui lie étroitement responsabilité individuelle et confiance collective »26 . Chez Aristote, on a vu qu’éthique et politique étaient étroitement liées, l’éthique s’appliquant à l'individu et la politique à la cité. En inversant l’analogie énoncée à propos de la notion d’éthique, on pourrait dire que la politique doit être au collectif, ce que « l’éthique » est à l’individu, un « ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs » collectifs, « fait de connaissances et de choix »27 , associé à une conscience aigüe de l’impérieuse nécessité de compter avec l’autre. S’agissant de la nation organisée en État (équivalent moderne de la cité antique), considérée comme une personne morale une et indivisible, soit un individu libre et responsable, éthique et politique se trouvent dès lors réunies dans une seule et même discipline que l’on pourrait nommer « éthique politique ». J’éviterai néanmoins d’utiliser cette expression qui désigne souvent, en confondant éthique et morale, l’introduction, l’adoption ou la recherche d’une certaine morale en politique, impliquant ainsi un rapprochement entre morale et politique. En octroyant aux responsables politiques un droit à définir ce qui est bien et ce qui est mal, ce rapprochement conduirait en effet inéluctablement à une politisation de l’espace privé qui marque bien souvent le début de toutes les dérives totalitaires. On préfèrera donc le mot « Politique » avec une majuscule, pour désigner cette discipline très aristotélicienne mêlant étroitement éthique et politique, grâce à cette intelligence collective qu’une documentation scientifique permet de mettre en œuvre. Une telle approche scientifique de la documentation et de l’information dont elle est porteuse, repose sur l’organisation d’une mémoire collective profondément éthique, au sens de Comte-Sponville cité plus haut. Celle-ci s’attache en effet à réaliser cet effort indispensable de « com-préhension », de hiérarchisation et de mise en perspective, des connaissances individuelles s’agrégeant pour faire sens commun. 26 Francis Beau, Le nombre et l’unité dans l’ordre républicain (6), Blog Exploitation de l’information utile, 23 mars 2022. 27 André Comte-Sponville, op. cit. (p. 219).
  • 17. de l’INTERET GENERAL 17 L’organisation d’une mémoire collective favorise ainsi la réflexion et l’esprit de synthèse attendu de ceux qui, en charge de prendre des décisions politiques, ont à faire des choix, dans les univers incertains qu’ils ont à affronter en permettant la construction d’une conscience partagée. Le « lien fort » qui unit cette conscience à la science, est une affaire de sens qui sera déterminé ici par la satisfaction de nos désirs communs, soit l’INTERET GENERAL. de l’INTERET GENERAL Si on s’interroge sur le périmètre qu’il faut donner à la notion d’intérêt général, en dépassant le cadre désormais trop étriqué de l’État-nation, qui reste malgré tout le seul encore adapté à l’exercice de l’autorité et de la souveraineté, malgré une globalisation du monde aussi inexorable qu’impétueuse, on peut utilement méditer cette pensée de Montesquieu : « Si je savais quelque chose qui me fût utile et qui fût préjudiciable à ma famille, je la rejetterais de mon esprit. Si je savais quelque chose d'utile à ma famille et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier. Si je savais quelque chose utile à ma patrie et qui fût préjudiciable à l'Europe, ou bien qui fût utile à l'Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderais comme un crime » (Pensées, n° 741). C’est bien cette vision de l’intérêt général qui semble le mieux définir ce besoin dont la satisfaction doit motiver toute démarche d’intelligence collective fondée sur une documentation scientifique, pour diffuser une culture scientifique indispensable à la civilisation et façonner ainsi une CONSCIENCE POLITIQUE partagée qui doit orienter la politique et le gouvernement des peuples. de la CONSCIENCE POLITIQUE La conscience politique qu’une documentation scientifique permet de façonner, en dotant la Politique d’une intelligence collective, sans laquelle toute « science » politique « ne serait que ruine de l’âme », repose sur la mise en œuvre d’un langage de raison susceptible de donner un sens commun à l’action publique. Il faut s’interroger sur le sens qu’il convient de donner à cette intelligence qui est synonyme de renseignement en anglais, et dont on a vu que collective, elle restituait l’information après son acquisition puis sa rétention, en réponse à un besoin déterminé par l’intérêt général. À quelle intention commune la soumettre pour façonner le discernement nécessaire au recueil des données ? Quelle cause assigner à la raison pour engendrer les connaissances utiles à la collectivité ? Quelle finalité indiquer à notre sagacité collective pour élaborer un savoir pertinent ? Autant de questions que suscitent l’omniprésence de ce besoin auquel le renseignement (ou l’intelligence collective) doit sans cesse chercher à répondre. Ces questions dont la nature scientifique ne doit pas nous échapper, sont également foncièrement
  • 18. 18 Documentation scientifique et intelligence politique politiques. Les réponses à leur apporter sont susceptibles de donner tout son sens à une information dont le caractère s’avère en effet profondément politique. C’est en effet dans une conscience politique, que s’exerce cette démarche scientifique de mise « en forme » (information) collective de nos perceptions de la situation, qui caractérise l’intelligence collective. Celle-ci prend tout son sens dans la satisfaction de l’intérêt général qui forge le SENS DE L’ÉTAT, en réponse à cette intention commune façonnant le discernement, cette cause commune assignée à la raison et cette finalité fixée à la sagacité collective, évoquées précédemment. du SENS DE L’ÉTAT Pour aborder ce sens de l’État, il est nécessaire de revenir à la notion d’intuition définie précédemment. Dans le cadre collectif qui va nous intéresser, c’est elle qui conditionne en effet l’élaboration d’une pensée collégiale ou collective, à partir de ce sens commun qui peut dès lors s’assimiler à une intuition collective, et dont nous commençons à entrevoir le caractère politique. À l’échelle individuelle, nous avons assimilé le sens commun à l’intuition qui, formant le jugement et précédant la pensée, peut donner ce supplément d’âme éthique à la conduite de nos actions. À l’échelle collective, le sens de l’État c’est bien le sens qu’il convient de donner à cette mise « en-forme » reliant, dans le concept d’information, la dimension collective et objective des données de masse à la condition individuelle et subjective du savoir universel, pour la satisfaction de l’intérêt général. C’est ce sens de l’État, qui peut apporter un supplément d’âme éthique au gouvernement des peuples et à la Politique avec un grand « P ». Le « sens commun » dont on a vu qu’il se rapportait autant à l'unité du sujet sensitif qu'à la communauté de l'objet perçu, mérite dès lors de s’identifier à un véritable « sens de l’État ». Il s’inscrit en effet « dans ce rapport entre unité et nombre, cadre incontournable de cette alliance si précieuse pour la démocratie entre responsabilité individuelle et confiance collective qui conditionne l’autorité de l’État et la souveraineté du peuple, comme également la solidarité nationale, mais aussi, la mise en forme des savoirs communs »28 ou la documentation scientifique. « Il découle ainsi d’une organisation rigoureuse de la relation délicate entre actions individuelles et jeu collectif »29 . C’est en effet dans cette « relation de cause à effet » « entre sujet et objet » ou entre « individu et collectif », que « les grandes fonctions républicaines » de « souveraineté populaire », « d’autorité de l’État » et de « solidarité nationale » expriment le sens de l’État appliqué à leurs champs respectifs, « démocratique », « éthique » ou « politique », et « sociologique ». Cette relation se concrétise dans le rapport entre les « conditions individuelles » faisant du simple sujet 28 Francis Beau, Sens commun, intuition collective et Valeurs républicaines, l’information au cœur de la relation entre collectif et individu, Cercle K2, 24/11/2021. 29 Francis Beau, ibid..
  • 19. de la REPUBLIQUE 19 un véritable citoyen (liberté, responsabilité et identité), et les « dimensions collectives » des objets politiques respectifs (« sécurité », « confiance » et « égalité »)30 sur lesquels il exerce sa citoyenneté. C’est aussi dans cette relation de cause à effet entre sujet individuel et objet collectif, à l’œuvre dans la relation entre savoir universel et données de masse, que la fonction d’intelligence collective de la documentation scientifique peut exprimer le sens de l’État appliqué au champ disciplinaire de l’infocom. L’objectif majeur de cette discipline pourrait être ainsi d’offrir à la « Politique » ce « langage de raison pratiqué par tous », qui donnerait un sens commun à la « phrase politique », sur le modèle de la relation de cause à effet qui donne son sens à la phrase grammaticale, « en lui indiquant une cause dont Thomas d’Aquin, à la suite d’Aristote, nous a rappelé qu’elle était au cœur du travail de la raison dans la construction du savoir »31 . La distinction rigoureuse entre sujet individuel unique et objet collectif commun, se révèle capitale en la matière. Ne pas distinguer le sujet de l’objet, c’est pervertir l’action en brouillant le sens de la phrase commandée par le verbe. En politique, c’est donc nuire à ce sens de l’État en faussant l’action dont les effets doivent être reliés à cette « Cause souveraine » garante de l’intérêt général, qui fait la Chose publique (respublica) ou REPUBLIQUE ». de la REPUBLIQUE La république ou chose publique (res publica) représentée par l’État, c’est le lieu où se réalise cette alliance si fragile mais tellement vitale pour la démocratie, entre la confiance collective des individus, les citoyens, sujets de la république, et la responsabilité individuelle de tous, simples citoyens ou gouvernants. Ces derniers, qui exercent l’autorité par délégation du peuple souverain, sont également sujets de la république. L’État souverain leur délègue ainsi son autorité sur le collectif pour que règne l’intérêt général. Les citoyens comme les gouvernements et les administrations y sont à la fois sujets de l’État souverain (la république) au service de l’intérêt général, et sujets au sens de la grammaire, personnes physiques ou morales, individus ou groupes d’individus constitués en unités, qui portent leur action sur le collectif objet d’intérêt général et en assument individuellement la responsabilité. La république est une « Chose » un peu hors-sol en ce sens qu’elle n’est ni un objet, ni un sujet. Comme le collectif, elle est dépourvue de personnalité, ce qui la distingue d’un sujet. Elle n’est pas non plus un objet ordinaire au regard de l’action, qui n’est objet que pour un sujet faisant l’action auquel il est soumis. L’étymologie du mot « chose » le rattache à la cause qui, dans un latin populaire de la fin de l’empire 30 Francis Beau, "Ne pas subir" : la confusion entre sujet individuel et objet collectif, l’exemple de la crise sanitaire, Cercle K2, 21/03/2022. 31 Francis Beau, Une nouvelle grammaire cybernétique au service de la politique, Cercle K2, 25/10/2021.
  • 20. 20 Documentation scientifique et intelligence politique romain, était le sens donné à res. Devenant publique, elle est cette Cause souveraine élevée au rang de « Valeur » sacrée, garante de l’intérêt général. Parmi les quatre grands types de cause que distinguait Aristote (formelle, matérielle, efficiente et finale), la Cause dont il est question ici avec un grand « C », est bien celle qui suit la cause efficiente et fixe une finalité, soit le but de l’action. Elle est Valeur en ce sens que c’est elle qui motive l’action en exprimant un besoin commun notablement désirable, avec un grand « V » parce qu’elle exprime ainsi quelque chose de sacré, une sorte de transcendance, un point de fuite du sens vers un intérêt qui est général. Elle est souveraine parce que c’est elle qui dirige l’action. Elle est enfin associée à la raison, légitimant ainsi l’action exercée par le sujet sur l’objet d’intérêt général, en lui donnant tout son sens. La république s’appuie ainsi sur la raison, le logos grec ou le discours qui la structure, qui est au cœur d’une révolution à l’origine de la SOCIETE DE L’INFORMATION émergente, soumise à un véritable séisme dont l’épicentre a pris le nom de cyberespace. de la SOCIETE DE L’INFORMATION L’expression « société de l’information » est issue de l’émergence à la fin du siècle dernier d’une sorte de « paradigme informationnel »32 auquel les travaux de Norbert Wiener sur la cybernétique ont largement participé. Considérant l’information comme un phénomène central de la « société émergente », le discours de l’époque a en effet servi de matrice à une conception du corps social dont cette expression traduisait la mutation due à l’utilisation massive des technologies de l’information et de la communication (TIC). Mais depuis le tournant du millénaire, cette thématique a tendance à se banaliser, et l’expression est passée dans le langage courant laissant ainsi croire à un changement de statut de ladite société qui serait passée d’émergente à « installée ». En toute rigueur, ce n’est pas la société de l’information qui a émergé à la fin du siècle dernier, mais une société numérique en lien avec les développements de la cybernétique, de l’informatique et des TIC. L’arrivée de l’informatique n’a fait que bouleverser notre rapport à l’information qui, quant à elle, a toujours été au cœur de l’activité humaine. L’information et ses différents supports ont en effet été de toutes les grandes mutations civilisationnelles qui ont émaillé l’histoire de l’humanité. Le droit écrit, la monnaie, la géométrie, les grandes religions monothéistes, sont apparues avec l’arrivée de l’écriture. Le capitalisme, la science expérimentale moderne, la réforme luthérienne, les démocraties modernes sont nées avec l’invention de l’imprimerie. La mondialisation actuelle enfin est née avec l’invention de l’informatique. 32 Philippe Breton, Généalogie du paradigme informationnel. In: Revue des sciences sociales, N°28, 2001, pp. 129-136.
  • 21. de la SOCIETE DE L’INFORMATION 21 En réalité, l’expression « société de l’information » a le mérite de focaliser l’attention sur notre accès à l’information qui est en train de faire basculer la société dans un nouvel univers. Si l’information est l’oxygène nécessaire à toute vie sociale, la révolution informatique qui a présidé à l’avènement de la société numérique est encore très loin en effet d’avoir montré toute l’étendue des bouleversements cognitifs, culturels, politiques et sociaux, voire civilisationnels liés à l’information, qu’elle porte en germe. Le cyberespace qui est le terrain de jeu de cette nouvelle société nous donne chaque jour un peu plus la mesure de ces bouleversements. « Dans quel espace vivons-nous actuellement ? » s’interrogeait en 2007 le philosophe et historien des sciences Michel Serres. « Nous avons changé d’espace » précisait-il, or « changer d’espace » a « des répercutions culturelles considérables qui touchent à la fois le juridique et le politique »33 . Les discours scientifiques sur le thème de la société de l’information, le logos ou la raison s’y référant, relèvent ainsi d’une sorte d’anthropologie politique à la fois prospective, pour accompagner « l’homme à venir » dans la cité du futur, et historique, pour inscrire les bouleversements attendus dans la lignée des grandes mutations culturelles et politiques du passé. Le concept de société de l’information, bien que l’expression soit désormais passée du discours scientifique au langage courant, est encore très loin de refléter l’immense variété du champ des possibles en matière d’utilisation des TIC et de ses effets sur les évolutions de nos sociétés hyperconnectées. Les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) ont à n’en pas douter un rôle éminent à tenir dans l’approfondissement de cette thématique scientifique, afin de ne pas risquer un nouveau « changement dans les dispositions fondamentales du savoir » impliquant « que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable »34 . Dans la dimension collective que la « chose publique » impose en matière de société de l’information, on a vu que la raison prolongeait l’intuition en procédant comme elle, de ce sens commun éminemment politique qui initie la mise « en- forme » (information) de savoirs communs dans une documentation scientifique. Cette dernière permet l’élaboration collective d’une PENSEE COLLEGIALE et ainsi le fonctionnement d’une véritable intelligence collective. de la PENSEE COLLEGIALE Notre mémoire individuelle, qui fait intervenir le calcul de manière inconsciente, peut se limiter à cette simple intuition, sens interne on l’a vu, intégrateur des cinq sens externes, qui précède la pensée et forme le jugement. Dans le cadre collectif qui nous intéresse, l’intuition conditionne l’élaboration d’une pensée collégiale ou 33 Michel Serres, Les nouvelles technologies révolution culturelle et cognitive, Conférence, Quarante ans de l’INRIA, forum « Informatique et Société », Lille, 2007. 34 Michel Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris. 1966.
  • 22. 22 Documentation scientifique et intelligence politique collective, à partir d’un sens commun éminemment politique (ou sens de l’État), focalisé sur l’intérêt général, et guidant ainsi la mise en forme (information) de données échangeables, de connaissances partageables, puis de savoirs communicables. C’est à partir de ce sens commun porteur d’une intuition collective que s’élaborent les perceptions de la réalité avec laquelle le collectif interagit pour élaborer une pensée collégiale. Ce ne sont au début, que des sensations des objets observés par chacun, dont des algorithmes peuvent nous restituer des représentations communes à partir des données discernées par le collectif pour rendre compte d’un objet commun. Il s’agit alors d’une lecture permettant d’interagir avec le réel, soit un travail de l’intellect par lequel nous traitons les données de l’expérience pour en dégager une idée, une image ou une quelconque forme abstraite capable de susciter un acte qui, bien que déclenché de manière inconsciente, se traduira consciemment par un résultat concret. Mais, dès lors que nous souhaitons élaborer collectivement une pensée collégiale au sein d’un groupe constitué autour d’une intention commune, le calcul, qui façonne inconsciemment l’intuition dans une mémoire individuelle, ne suffit plus. Il reste utile pour traiter des « données de masse (big data) », puis peut-être pour acquérir les « données pertinentes (smart data) » au regard de l’intention commune qui conditionne le groupe, et enfin produire des données suffisamment « consistantes ou substantielles (thick data) »35 pour conduire l’action, mais il ne peut suffire pour la penser. La décision consciente qui déclenche l’action réfléchie ne peut se contenter de la seule intelligence procédurale : elle doit impérativement passer par un travail de la mémoire conceptuelle. Ainsi, les perceptions directes qui sont des données dont le traitement peut être confié à des algorithmes, ne permettront jamais à elles seules de représenter une situation avec toutes les garanties de rigueur nécessaires à l’intervention d’une intention commune destinée à agir en responsabilité sur la dite situation. Seule une pensée collégiale, prolongeant le traitement des données en procédant de ce même sens commun qui oriente en toute intelligence une intuition dès lors collective, peut ainsi façonner l’information ou la mise en forme de connaissances partagées, puis de savoirs communs pour consolider cette relation si délicate dans l’action entre l’unité du sujet responsable, et la communauté de l’objet souverain « intérêt général ». La pensée collégiale appliquée à la politique, c’est l’aboutissement du travail conceptuel d’une mémoire à vocation politique, c’est-à-dire d’une intelligence collective. Elle perçoit les objets de la réalité au travers d’une « grille conceptuelle 35 Cf. « Des données au savoir, le sens en question », in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 260 et suivantes (§ 26) et, Francis Beau, Faire parler ses données :de la masse à la substance, le sens en question, Revue COSSI, n°1-2018, Actes du colloque COSSI 2017 - Méthodes et stratégies de gestion de l'information par les organisations : des "big data" aux "thick data", Montréal 11-12 mai 2017.
  • 23. de la PENSEE COLLEGIALE 23 déterminée par la situation qui nous met en relation avec eux et par notre intention envers eux »36 . C’est la satisfaction de l’intérêt général qui forge le sens de l’État et détermine entièrement notre intention envers les objets observés que la situation met en relation avec nous. « En regard de la complexité illimitée de ces objets », ce travail conceptuel de l’intelligence à vocation politique, soit la pensée collégiale peut être « simple ». Grâce à l’intelligence collective qu’une véritable documentation scientifique est capable de produire, c’est en effet dans cette démarche à la fois scientifique et politique, que la satisfaction de l’intérêt général forge le sens de l’État en déterminant « notre intention envers les objets » observés que « la situation met en relation avec nous »37 . Mais cette pensée collégiale appliquée à la politique procède d’une démarche fonctionnant à l’inverse de la démarche scientifique : elle ne s’intéresse pas à la recherche de la cause qui détermine l’effet observé pour l’expliquer, mais bien plutôt à l’effet recherché en relation avec la « Cause », qui détermine l’action à entreprendre en lui donnant sens. Elle ne s’oppose pas à la démarche scientifique, mais la complète pour anticiper afin d’agir, autant que faire se peut, en toute connaissance de cause. Donner du sens à l’action, on l’a vu, c’est faire intervenir une volonté. L’homme politique est un homme d’action. L’homme d’État, c’est celui qui recherche l’effet déterminé par cette grande « Cause » publique qui fait la République (Res publica), élevée au rang de Valeur suprême au service de l’intérêt général. Le fonctionnement de cette relation de cause à effet entre sujet individuel et objet collectif, à l’œuvre dans la relation entre savoir universel et données de masse, nécessite l’adoption d’un langage de raison pratiqué par tous, donnant ainsi un sens commun à la phrase politique, sur le modèle de la relation de cause à effet qui donne son sens à la phrase grammaticale. Seule une langue en effet, permet d’envisager l’organisation d’un débat raisonné et d’une réflexion partagée, susceptible de nous affranchir par la pensée, de cet ancrage physique spatiotemporel si paralysant pour l’individu. Dans sa version la plus élémentaire, informatique, digitale, binaire ou numérique, le langage permet l’expression commune d’un discernement éclairé et d’une sagacité naturelle, dont le sens peut être entendu et accepté par chacun afin de prétendre au statut de « sens commun » ouvrant la voie au fonctionnement analogique de la langue et de la pensée qu'elle organise. Pour être conçue collectivement, la pensée collégiale doit pouvoir s’appuyer sur une documentation dont l’organisation requiert l’adoption d’un LANGAGE DOCUMENTAIRE accessible à tous. 36 Cf. « Le concept de grille conceptuelle » in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 273 et suivantes (§ 3 et fig. 29). 37 Michel Volle, op. cit..
  • 24. 24 Documentation scientifique et intelligence politique du LANGAGE DOCUMENTAIRE C’est un langage documentaire qui permet d’élargir l’univocité du langage informatique à l’échelle de la collectivité et ainsi, la mise en œuvre d’une conscience partagée. On a vu qu’à l’échelle d’une mémoire collective nécessaire à la diffusion d’une culture scientifique indispensable à la civilisation, le sens commun devenait sens de l’État pour orienter la politique et le gouvernement des peuples. Ce sens commun devenu sens de l’État ouvre ainsi la voie au fonctionnement analogique d’un langage de raison sinon parfaitement univoque, du moins cherchant à éviter tout risque d’équivoque, à usage universel appliqué à l’organisation d’une pensée collégiale. Le document est à la mémoire collective, ce que le verbe est à la mémoire individuelle : un instrument de transmission de sens. C’est donc tout naturellement sur l’organisation d’un langage documentaire partagé par tous, que repose nécessairement toute méthode de travail en commun en s’inspirant des processus d’élaboration analogique de la pensée dans la mémoire. Ce langage documentaire peut ainsi s’appuyer sur une « grammaire du sens générative » au sens de Chomsky pour Faire « un usage infini de moyens finis » 38 , qui « organise la transmission du sens en réponse au besoin collectif », à partir « d’une planification collective de l’activité documentaire », déterminée par une intention commune que la Cause publique oriente. La structure sémantique de ce langage documentaire peut en outre « s’inspirer des grands systèmes de classification élaborés dans le passé pour assurer la pertinence de l’information au regard du besoin »39 . Conclusion Les mots sont comme des peaux sensibles enveloppant les idées que l’on se fait des objets de la réalité, afin de pouvoir s’en saisir pour interagir avec eux dans toutes les dimensions de l’espace et du temps, passé et futur. Portés par une langue, mis en forme (information) et organisés par une grammaire, ils permettent en effet au verbe (logos) d’exercer sa fonction de raison qui structure la pensée, en remontant le temps pour resusciter le passé, ou en se projetant dans l’avenir pour concevoir des futurs possibles. Affranchissant ainsi l'homme de son ancrage temporel qui l’emprisonne physiquement dans le présent, les mots portés par la langue lui permettent de voyager dans le temps en mémorisant le passé que la pensée ressuscite, et en se projetant dans un avenir qu’elle imagine pour décider en conscience et agir. Ce sont les artisans de la mémoire qui façonnent l’intelligence. 38 Noam Chomsky, Le Langage et la pensée, Petite bibliothèque Payot, 2006. 1967. 39 Cf. « Un langage documentaire "rationnel et normalisé" », in Francis Beau, 2019, op. cit., pp. 273-274 (§ 311).
  • 25. Conclusion 25 Par extension, les documents, à l’image des mots qu’ils transportent, permettent à la raison (le logos grec exprimant la fonction du verbe) de structurer une pensée collégiale en remontant le temps pour témoigner du passé ou en anticipant l’avenir pour planifier une activité collective. Afin d’assurer pleinement cette fonction d’intelligence collective et d’en garantir l’accomplissement avec efficacité, ils doivent être également portés par un langage et mis en forme puis organisés par une grammaire. Le document qui véhicule des mots, donc de l’information, à la fois dans le temps (mémoire) et dans l’espace (média), est l’élément clé de la mémoire collective dont l’organisation est indispensable au fonctionnement d’une intelligence collective, et à l’établissement d’un véritable dialogue démocratique. Guidé par la raison, et ce sens commun éminemment politique focalisé sur l’intérêt général, un tel dialogue est possible grâce à l’adoption d’un langage commun dédié à l’organisation d’un espace de documentation scientifique à vocation universelle. Toute numérique qu’elle soit devenue, l’information, est bien ce « macro-concept multidimensionnel »40 dont on a vu qu’elle était une affaire bien trop sérieuse pour être confiée aux seuls algorithmes, au calcul ou à l’informatique qui les programme. L’intelligence artificielle et le langage informatique qui la sert ne pourra jamais traiter que les parements numériques (les data) de ce « concept caméléon »41 , sans pouvoir accéder le moins du monde à ses autres aspects (connaissance et savoir) que seule une intelligence conceptuelle peut permettre de travailler collectivement. Le langage documentaire, qui est analogique et sert cette intelligence collective, pour inscrire dans la durée l’activité cognitive d’une collectivité autour d’un besoin commun qui lui donne sens, peut s’avérer d’un usage aussi courant qu’une langue maternelle, en s’appuyant sur une organisation logique naturelle inspirée des mécanismes sensoriels à l’œuvre dans nos systèmes cognitifs individuels. Dans le contexte de « révolution culturelle et cognitive » dont l’électronique et le numérique ne sont que des marqueurs technologiques à effet sur l’ensemble du spectre scientifique, il semble indispensable que les Sciences Humaines et Sociales (SHS), et en particulier les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) investissent sans réserve cette hypermédiatisation de l’information qui en résulte, afin de permettre la conception de systèmes d’information adaptés à la pratique scientifique de l’intelligence collective dont ce glossaire tente de préciser les grands concepts. La sagesse scientifique d’une telle conscience éminemment politique s’avère en effet, crise après crise, toujours plus utile afin d’éviter le recours systématique en politique à un principe de précaution par essence ascientifique car infalsifiable ou irréfutable. Poussé aux limites d’une logique absurde consistant à maximiser les calculs de risque afin de justifier une intervention massive qui, après coup, en réduira l’impact, ce dévoiement politique d’une science limitée aux chiffres conduit inévitablement à en faire trop pour annuler la possibilité même de penser qu’on peut faire autrement. 40 Edgar Morin, op. cit.. 41 Sylvie Leleu-Merviel et Philippe Useille, op. cit..