1. Lire en Vendée
n° 21
juin 2010 - décembre 2010
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Échos Musées
expositions,
nouveau musée des enfants
les lettres de Chaissac
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 1
2. Éditorial de Noirmoutier et de Montaigu (et René Moniot-Beau-
mont pour Noirmoutier). Yves Viollier, Gilles Bély et
Jean de Raigniac participent avec assiduité aux jurys des
La Société des écrivains de prix littéraires décernés à Montaigu, Grasla et bien sûr
Vendée s’efforce toujours de rem- au prix des écrivains de Vendée qui a couronné en 2009
plir sa mission en faveur des lettres deux auteurs de talent avec l’écrivain chevronné Yves
vendéennes et de l’encouragement Bulteau, pour Les chants de la lune noire et le premier
à la lecture et à l’écriture. L’année roman d’Anne Tallec, Le Maître et le Violoncelle.
2009 a été une année féconde Bertrand Illegems s’est aussi particulièrement distin-
dans les diverses activités dans gué en 2009 en recevant à Nantes le prix du Lion’s Club
lesquelles nos adhérents se sont des audio-lecteurs et en lançant une petite maison d’édi-
engagés. Les salons du livre sont nombreux en Vendée et tion, Les Chantuseries, qui a publié comme premier
les écrivains vendéens y participent en rangs serrés, que ce livre un recueil de nouvelles policières imaginées par les
soit individuellement comme à Saint-Gervais, Aizenay, 14 membres de son atelier d’écriture. Joël Bonnemaison
Fontenay-le-Comte, Luçon, Saint-Gilles-Croix-de-Vie, a réédité avec succès son festival de théâtre en novembre
Maulévrier, La Meilleraie-Tillay, Noirmoutier et autres à La Tranche-sur-Mer.
ou sous la bannière des Écrivains de Vendée comme à
Montaigu et à Grasla. Revenons à notre revue Lire en Vendée. Notre dernier
numéro a bénéficié d’apports nombreux et exceptionnels
Quatre auteurs, Jean-Claude Lumet, Gilles Bély, qui lui ont donné une aura particulière. Il nous montre
Claude Mercier et Jean de Raigniac se sont envolés pour aussi à l’évidence que c’est le niveau auquel il faut se
participer au Salon international du Livre de Québec en maintenir pour que la revue et notre association tiennent
avril et ont dignement représenté la Vendée, la Région et la place que nous nous sommes assignée. Cela suppose la
la France ; ils y ont noué des contacts avec l’association mobilisation de tous nos membres pour la préparation
Québec-France, le consulat de France, diverses person- des articles, la recherche, la participation et la mise en
nalités et les écrivains québécois venus en 2008 à Grasla. valeur des événements littéraires et la diffusion d’une re-
Ces échanges, également sous la houlette de l’association vue suffisamment étoffée pour nous valoir une attention
Vendée-Gaspésie, se sont poursuivis avec l’envoi de deux et un intérêt croissants de nos lecteurs, libraires et parte-
autres auteurs vendéens, François Bossis et Bernard Bru- naires. En 2009 nous avons pu rendre compte et faire la
nelière, en juillet en Gaspésie pour les festivités liées à critique de plus de 100 nouvelles publications de Ven-
la commémoration du 475ème anniversaire de l’arrivée déens ou sur la Vendée. C’est dire à la fois l’importance
de Jacques Cartier en cette région. Ils continuent encore de la tâche à accomplir et peut-être déjà l’importance de
avec à nouveau l’accueil d’écrivains gaspésiens à Noir- notre contribution à l’épanouissement de la littérature
moutier en juin 2010. vendéenne.
Claude Mercier a été au salon de Grasla un conteur Tout cela est possible aussi grâce à la bienveillance
chaleureusement fêté pour une nouvelle animation de ce active de ces partenaires et sponsors publics et privés, la
salon consacrée à ceux qui savent aussi dire les histoires ; Région des Pays de la Loire, le Département de la Ven-
Christophe Prat et Eveline Thomer ont convaincu Wil- dée, le Crédit Mutuel Océan, l’Imprimerie Offset’5 et les
frid Montassier et Yves Viollier de lancer un appel à Amis de l’Historial de la Vendée avec lesquels nous réu-
l’écriture pour donner naissance en 2010 à un nouveau nissons nos moyens pour augmenter la portée de notre
recueil de nouveaux contes sur la Vendée. revue. Enfin, la rédaction et la mise en page sont mainte-
nant assurées par nos membres bénévoles avec pour effet
Deux nouvelles associations se sont créées en 2009 immédiat d’augmenter notre réactivité et notre implica-
pour perpétuer la mémoire des œuvres et de la vie de tion dans cette parution.
deux auteurs importants, avec les amis de Jean Huguet Les auteurs nous envoient leurs livres, nous en ache-
et ceux de René Bazin. Notre société participe et soutient tons directement aussi et constituons ainsi une biblio-
les premiers élans de ces associations de la même façon thèque que nous souhaitons pérenniser et fixer en un
qu’elle met tout en œuvre pour aider la Maison des écri- même lieu accessible à tous. Des contacts sont en cours
vains de la mer en lui réservant les pages nécessaires au qui pourraient permettre à notre société de disposer bien-
compte-rendu de ses activités et à l’annonce des publi- tôt d’un tel local. Dernière satisfaction : nos adhérents
cations des auteurs marins dans sa revue Lire en Vendée. sont plus nombreux, avec donc des possibilités d’action
plus fournies, un renouvellement de nos membres et,
René Moniot-Beaumont, Yves Viollier et Jean de Rai- financièrement, de nouvelles cotisations qui participent
gniac participent régulièrement aux émissions littéraires aussi à la bonne santé de notre société d’écrivains.
de RCF Vendée et de nombreux auteurs y sont reçus 2009 aura donc été un bon cru pour et grâce à nos
comme les récipiendaires des prix, et dernièrement Eve- écrivains, nos adhérents, nos lecteurs et nos partenaires ; ils
line Thomer et Roland Mornet. peuvent se féliciter de l’action entreprise et, bien sûr, se
Rappelons aussi la participation active d’Yves Viol- mobiliser plus encore pour les années à venir.
lier et de Michel Chamard à l’organisation des salons Jean de Raigniac
2 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
3. appel à candidature
Prix
des écrivains de Vendée
Les écrivains vendéens ou les écrivains écrivant sur
la Vendée désireux de poser leur candidature, pour un
ouvrage paru en 2010, sont priés de se manifester au-
près de notre association, à notre adresse à La Ferrière
(voir en dernière page de cette revue).
sommaire
2 Éditorial
3 Assemblée générale des écrivains de Vendée
4 Roger Martineau
Assemblée générale
5 Le roman de la Vendée
Notre assemblée générale s’est tenue à Montaigu à 6 Charles-Édouard Gallet, poète
la veille du Printemps du livre le jeudi 8 avril.
Nous étions une trentaine, accueillis à la Mairie par 7 Fiers d’être paysans 5
Alexandre Durand, responsable du patrimoine, pour
une visite à pied des richesses de cette cité médiévale, 8 Horizons d’Ouest, association disparue
puis au Parc des Rochettes à la Maison des associations
par le maire, Antoine Chéreau. 9 Les salons
Nous les remercions vivement pour la qualité de
leur réception et de la bienveillance des propos qu’ils y
15 « Échos-Musées » Historial
ont tenus quant à une collaboration accrue avec notre
association pour le Printemps du Livre.
16 Les lettres de Chaissac
Notre assemblée s’est ensuite déroulée en ville,
avec lecture du rapport moral, texte repris supra, du
22 le Musée des enfants, expositions à l’Historial,
rapport financier saluant l’équilibre maintenu malgré
ancienne peinture du Puy du Fou
la valorisation et la multiplication des actions entre-
prises. Les nouveaux membres ont été également écou-
26 Nos sélections
tés et... adoptés.
Rendez-vous était pris pour les salons à suivre,
notre déjeuner estival, et la remise des Prix des écri- 27 La page Offset’5
vains de Vendée en décembre, avec la sortie de notre
prochain numéro de Lire en Vendée. 37 Autres parutions
39 Les écrivains de la mer
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 3
4. Deuil conviction, à la renaissance de la commune selon ton
expression. La commune compte de nombreuses réali-
sations qui ont ta marque.
Puis à l’heure de ta retraite, c’est le retour aux ra-
cines. Tu nous surprends encore, lorsque tu te pas-
sionnes pour l’histoire de notre marais et que tu te
lances dans l’écriture et la publication de plusieurs ou-
vrages. Tu passes de longs moments à lire, à faire des
recherches aux Archives à La Rochelle ou à La Roche-
sur-Yon, à rédiger dans ton bureau, dont les murs se
couvrent de livres, de documents, de photos sur le ma-
Roger Martineau, rais. Tu aimais y accueillir tes hôtes. Te voilà auteur-
passager singulier sur la terre, mon père éditeur, ce sont d’abord les trois tomes de Villages de
France au Marais Poitevin.
Enfant de Vix, tu es né en juin 1918 pour un long
passage sur la terre de plus de 91 ans d’une vie bien En 1990, tu es récompensé par le prix Audubon
remplie. Ton enfance au Pont aux Chèvres a été celle de la société des écrivains de la Vendée,
d’un enfant de paysans attachés à la terre des marais. dont tu deviens membre avec fierté
Quand débute la Seconde Guerre Mondiale, tu as
20 ans. A peine engagé, tu es fait prisonnier de guerre
à Rennes, le 23 juin 1940. Embarqué en Allemagne
en janvier 1941, tu vis la tragédie du Stalag XI B à Fal- Suivent les publi-
lingsböstel. En 1942, un conseil de guerre décide de te cations de l’Histoire
transférer au camp de Celle, où tu es désigné pour un des Marais Poitevins,
commando de désamorçage des bombes à Hanovre. de La Rochelle à Niort,
Puis tu es envoyé dans plusieurs camps. Tu dois fa- de Vix-Vendée, le pa-
rouchement te battre pour tenir, résister pour survivre. trimoine au cours des
Tu puises durant ces années noires une force détermi- âges. Les Mémoires de
nante pour ta vie. Tu es enfin libéré par les armées des Guerre, de l’Allemagne
Alliés au camp de Grafentona, le 2 mars 1945. à l’Afrique du Nord re-
La guerre et les nazis t’ont volé ta jeunesse... et tracent ton itinéraire.
comme bien d’autres, tu as du enfouir ces terribles an- Tu avais en prépara-
nées au fond de ton âme et de ta mémoire. Ce n’est tion bien d’autres pro-
que bien plus tard, que tu as pu évoquer pour nous, jets dont une biogra-
avec une forte émotion, cette époque traumatisante. phie intitulée Passage
sur la Terre et un Gaston Chaissac. Car c’est aussi à ce
Soldat avant la guerre, tu poursuis après dans cette moment que tu redécouvres avec intérêt l’œuvre de
voie. C’est aussi après la guerre que tu rencontres et ton presque voisin Gaston Chaissac, dont tu as perçu
épouse Marcelle Bobineau. Vous aurez quatre enfants. l’originalité plasticienne et la profonde humanité
Ta carrière militaire est marquée par de nombreux
déplacements et aussi des séparations avec ta famille. Généreux, tu t’es souvent mis à Vix à la disposition
Il y a d’abord Idar Oberstein en Allemagne, puis le d’autrui, en ouvrant ton bureau à ceux qui cherchaient
retour à Bordeaux, l’expédition en Indochine avec son un conseil, un soutien, à la fois comme un écrivain
lot d’émotions fortes. Après une nouvelle étape en Al- public et un avocat des causes difficiles. Tu te sentais
lemagne à Coblence, un temps en Tunisie et un bref proche des défavorisés, de ceux que la société oublie ;
passage en Algérie... tu décides de changer de cap et les injustices te révoltaient.
de revenir au pays après tant d’années au service de Les années s’empilent, mais à la fin du mois d’août
l’armée. Tu as été récompensé par de nombreuses dis- 2008, la maladie enlève ta mobilité. Et, avec Maman,
tinctions militaires. tu dois quitter votre maison, la Roseraie, la mort dans
l’âme. Puis les problèmes de santé s’enchaînent.
En 1959, tu décides de prendre un portefeuille
d’agent d’assurances, tu t’installes à Vix et à Fontenay Nous garderons de toi le souvenir d’un passionné.
et ensuite à Rennes. Tu travailles beaucoup. Ce métier « Ton passage sur cette terre» est une histoire peu ba-
te plait et tu réussis bien. nale et hors norme, qui a côtoyé de près la grande his-
Maire de Vix en 1965, et à nouveau en 1971, toire du 20ème siècle.
tu contribues avec beaucoup d’enthousiasme et de Françoise Chérel
4 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
5. Le Roman de la Vendée faits que la majorité des Vendéens
découvriront dans ce livre.
Emporté par le lyrisme et le
Gilbert Prouteau style flamboyant de l’auteur, on est
Geste Éditions, 296 p., 20 € plus fier encore, si c’est encore pos-
sible, d’être Vendéen. C’est le livre
La Chase Gallery de la Vendée qu’il faut lire, vous le ferez sans
peine, pour pouvoir bien parler de
Il faut se méfier des a priori et tourner sept fois votre Vendée, le livre à offrir. Il remplit à lui seul la
la langue dans sa bouche si l’on ne veut pas tomber mission que s’est assignée en littérature la Société
dans la gueule du loup. Je m’en suis rendu compte des Écrivains de Vendée : faire connaître, faire aimer
récemment à mes dépens. notre département.
J’avais ainsi un a priori contre Gilbert Prouteau. Les lecteurs avisés reconnaîtront les facéties de
Il avait réussi à me dresser contre la peinture de Jean l’auteur avec, par exemple, la reprise de sa réhabi-
Chevolleau ; la véhémence de son discours lors de litation de Gilles de Rais, farce monumentale qu’il
la présentation de l’œuvre de son ami à Fontenay- avait su monter avec des comparses de haute volée
le-Comte m’avait désorienté. Résultat, je n’avais été et dont, assure Philippe Gilbert, il s’amuse encore !
conquis ce soir-là par aucun de nos deux héros. Il n’y avait que lui pour reprendre la tentative
J’avais pu ensuite réviser mon jugement sur Jean de réhabilitation publiée en 1921 à la Bibliothèque
et sur sa peinture qu’il avait eu la gentillesse d’expo- des curieux par Ludovigo Hernandez et pour cla-
ser chez nous à Bonnefonds. mer encore, avec la mauvaise foi la plus naturelle du
Pour Monsieur Prouteau, je n’ai pas eu l’honneur monde, que Charles VII avait réhabilité Gilles de
de le revoir très souvent, même chez mon com- Rais à Montauban, un an après sa mort.
père André Hubert Hérault lorsqu’il publiait, il y a Gilbert Prouteau, Dieu merci, est assez icono-
quelques années, un recueil de ses poèmes ; j’avais claste pour ne pas se soucier du jugement du vul-
seulement, anonymement, réalisé la mise en page gaire ni s’arrêter à des détails. Lui seul peut, dès la
des vers qui lui avaient été confiés. première page de son livre, faire de Mélusine de
Cela s’était gâté lorsque j’avais réalisé une étude Lusignan une comtesse de Thouars, seigneurie qui
sur la famille du Puy du Fou ; il m’avait semblé que n’a jamais été qu’une vicomté promue beaucoup
Monsieur Prouteau avait adopté un peu trop faci- plus tard en duché pour les La Trémoïlle, et qui n’a
lement la thèse faisant descendre cette famille de jamais appartenu ni aux Lusignan ni aux Chabot,
l’illustre lignée des vicomtes de Thouars détenteurs famille de Mélusine.
du Bas-Poitou pendant tout le Moyen-Âge : j’avais
ajouté : en écorchant quelques noms et en en décalant l’Histoire reste belle, plus belle encore
quelques autres.
Pour Gilles de Rais et la pseudo lettre de réhabili-
M. Prouteau enjolive, transforme, se joue, séduit. tation de Charles VII, le livre de Jacques Heers publié
De « belles infidèle », en 1994 donne l’explication, que Gilbert Prouteau
aurait dit mon professeur de latin ne peut pas ne pas avoir lue : une procédure entamée
par le roi à la suite d’une tentative d’appel de l’ac-
A priori, le dernier livre de Monsieur Prouteau cusé. La déclaration de l’innocence du maréchal y
se présente comme un énième livre à la gloire de la est certes proclamée, mais par le requérant, que cite
Vendée et je m’étonnais qu’on se commette encore le roi dans sa lettre patente. La procédure s’arrêtera
à un si vil exercice. Je n’avais pas prêté attention à là et Charles VII fera justice en confisquant à son
l’avertissement au lecteur de Philippe Gilbert ni à la tour les biens des Rais au duc de Bretagne pour les
préface de Jean Delannoy qui situent ce dernier mes- rendre à la fille de Gilles.
sage de l’auteur. J’apprenais aussi l’existence d’une Où est le problème ? L’Histoire reste belle. Cela a
association des amis de Gilbert Prouteau, associa- un autre mérite : nous apprendre à nous méfier des
tion que la Société des Évrivains de Vendée salue a priori. Il est légitime de se poser la question sur
modestement, comme elle l’a fait dans notre précé- les motivations réelles du procès de Gilles et sur la
dent numéro pour les amis de Jean Huguet et ceux validité des pièces, mêmes officielles.
de René Bazin. Il faut donc lire Le Roman de la Vendée, mais sans
Or donc, le livre s’ouvre sur une première mettre votre main à couper si un détracteur conteste
approche chronologique, suivie de l’évocation des quelque détail que vous y auriez puisé. Renvoyez ce
personnages qui font la Vendée. Le choix des dates grincheux à la taille du nez de Cléopâtre ; ne muselez
et des hommes est révélateur des goûts et des juge- pas votre plaisir, continuez à voir la face du monde
ments de l’auteur. Il est très précieux ; il y a en fait avec la faconde de Gilbert Prouteau.
beaucoup à apprendre sur des personnages et des J. R.
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 5
6. Mémoire Très souvent la modestie des auteurs réserve
leur création à un public très confidentiel. Tel est le
cas d’un poète du pays de Monts, disparu en 1911,
Charles-Edouard Gallet qui, avec talent, savait expri-
mer ses observations de la vie, de la nature. La mort
Charles-Édouard Gallet, poète l’a empêché de voir ses poésies publiées, mais un de
oublié ses amis, Charles Grelier, prêtre de Challans, a réalisé
son désir. Ainsi parut en 1913 une modeste brochure,
Essais Poétiques, qui connut au moins trois éditions.
Qui, à un moment ou un autre, n’a exprimé ses Dans Le Myosotis, cité en tête, l’auteur, en 56 vers,
sentiments en utilisant la forme poétique ? nous conte l’aventure amoureuse de Marie et Henri.
Henri, pour plaire à son amour, va cueillir cette fleur
bleue mais tombe à l’eau. Marie en voulant recueillir
le bouquet de son aimé tombe à son tour et se noie.
Charles-Edouard Gallet est né en 1832 à Beau-
voir-sur-Mer. Après des études au séminaire des Sables
d’Olonne, puis aux Couëts, près de Nantes, il entra
dans l’administration des Douanes, où il fit toute sa
carrière. II occupa plusieurs postes dans la région mon-
toise avec le titre de Receveur, à La Barre de Monts de
1856 à 1872, puis à Bouin, à Beauvoir-sur-Mer et à
Saint-Nazaire. Contrôleur à l’Entrepôt de Saint-Na-
zaire en 1893 jusqu’à sa retraite en février 1899, il y
décéda le 7 avril 1911.
Quand il était en poste à La Barre-de-Monts, il
s’intéressa en particulier à l’histoire du marais du nord-
ouest vendéen, sans oublier une activité littéraire, avec
les prémices d’un roman et l’écriture de poèmes. Il fut
membre de nombreuses associations culturelles régio-
nales.
Charles Grelier, par fidélité, fit éditer ses poèmes
écrits dans un fort volume relié, dont de nombreuses
pages étaient restées vierges. Le succès de cette bro-
chure de poèmes de 102 pages fut incontestable,
Qui de nous à vingt ans n’a placé sur son cœur puisque nous avons entre les mains la 3° édition, pu-
Et couvert de baisers cette charmante fleur bliée deux ans après la mort de Charles Gallet.
D’un pâle bleu de ciel, aux feuilles d’un vert sombre Cette édition porte la liste des souscripteurs qui
Qui, sur le bord de l’eau, s’épanouit dans l’ombre, sont au nombre de 143, avec la présence de 32 Ven-
Et se laisse bercer à chaque mouvement déens, de 13 Nantais, et la rédaction de 10 revues,
De l’onde qui se ride au caprice du vent ? sans négliger 17 religieux. L’ouvrage, qui contient 50
Cette modeste fleur, en nous disant tout bas : pièces, est préfacé par Lucien Lécureux, archiviste pa-
«Pensez à moi toujours et ne m’oubliez pas.» léographe, agrégé de lettres. De ce texte nous avons
extrait ces lignes : On peut leur (aux poésies) promettre
Le nom de cette fleur dans la langue allemande de nombreux lecteurs, car elles possèdent les meilleures
Lui vient d’une bien triste et touchante légende. qualités pour plaire.
Charmé de ce récit plein de simplicité Ce ne sont point, comme dit l’autre, de grands vers
De la traduire en vers je me suis efforcé. pompeux, mais d’aimables causeries d’un honnête homme
qui a de l’esprit, la rime facile et le style juste.
Et un peu plus loin, on lit sous sa plume : cet écri-
vain resté si français d’esprit et de style, malgré ses exal-
Beaucoup de maisons d’édition doivent se résigner ; la tations romantiques, le spirituel « amateur » a gagné
production littéraire réserve une bien modeste place à d’écrire toujours dans un style simple et sobre.
la poésie. Dans une librairie, le rayon poésie, s’il existe, On trouve parmi ces poèmes, Un Ouragan du 28
est toujours bien effacé. Et pourtant, à un moment ou décembre 1859, vraie chronique d’un désastre écono-
un autre, quelle qu’en soit la forme de l’expression, mique au marais vendéen du nord-ouest.
qui n’a exprimé ses sentiments en utilisant la forme Un poète vendéen du XIXème siècle à redécouvrir.
poétique ?
Guy Perraudeau
6 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
7. Fiers d’être paysans
la JAC en Vendée
Roger Albert
et Gilles Bély
Centre Vendéen de Reherches
Historiques, 368 p., 23 €
On les a appelés « les communistes blancs » Fête des jeunes à Saint-Fulgent (1964)
Ils chantaient :
« Nos sacrifices construiront un monde plus Le livre de Roger Albert et Gilles Bély insiste avec
beau. Nous referons chrétiens nos frères » raison sur le formidable enthousiasme et la foi en l’ave-
nir de ces jeunes de la JAC. « Fiers, purs, joyeux et
Ils vivaient dans un monde verrouillé aux struc- conquérants », c’était leur devise. Alors qu’aujourd’hui
tures sociales d’ancien régime. Les traumatismes de on parle des « champs de la colère », on est impres-
la Révolution les avaient placés sous la dépendance sionné par l’élan chrétien positif de ces hommes et de
des curés et des propriétaires. Roger Albert et Gilles ces femmes du XXème siècle, leur solidarité inventive
Bély ont rassemblé une somme impressionnante de joyeuse, leur esprit d’initiative, leur audace, leur enga-
témoignages auprès des principaux acteurs de la JAC gement. Pour reprendre une formule de Michel Deba-
et de la JACF. Mais ils ne se contentent pas de nous tisse, l’un de leurs grands compagnons de route : de la
les communiquer pour écrire l’histoire de ce grand solitude à l’espoir.
mouvement d’action catholique, qui a été, les témoins
le disent, leur université populaire. Ils les mettent en
perspective et nous donnent à lire la révolution silen- Il se lit comme un roman de la Vendée !
cieuse de la Vendée pendant la deuxième moitié du
XXème siècle, ce qu’on continue d’appeler son « miracle ».
Miracle, le mot est juste. Portés par une foi pro- Des portraits de quelques jacistes emblématiques
fonde, ils découvraient avec les jeunes prêtres issus de illustrent la dernière partie de Fiers d’être paysans : Au-
leurs rangs et encouragés par leur évêque, une forme guste Grit, Marcel Briffaud, Joseph Gaborit, Berna-
de « théologie de la libération » bien exprimée par l’une dette Martineau… Ce livre est passionnant parce qu’il
des leurs : J’ai découvert Jésus-Christ… je ne connaissais n’est pas seulement un document historique puisé aux
que Dieu. Ils ont mis en œuvre leur idéal évangélique. sources mêmes, d’une variété et d’une richesse inouïes
Et leur bel élan humaniste, social, solidaire, a ébranlé –il se lit comme un roman de la Vendée ! Il nous pose
leur univers conservateur et l’a amené à trouver des des questions sur l’état de la Vendée aujourd’hui, ses
solutions nouvelles à ses difficultés réussites, ses difficultés, sa foi. Mine de rien, il trace
Ils ont découvert la force du syndicat, ont inven- des perspectives et nous interroge : Est-ce que notre
té les CUMA, les GAEC et autres coopératives. Ils société individua-
se faisaient un devoir d’agir sans jalousie ni haine de liste et désespérée
classe. Cela n’a pas été sans conflits avec les anciens. Ils ne devrait pas se
contestaient l’autorité et les pratiques des patriarches. ressourcer à la foi
Ils refusaient la salle commune, voulaient amener l’eau exaltante en l’avenir
courante, imposer l’ensilage. « Votre premier champ de ses aînés ?
d’action et d’apostolat, c’est votre famille. » Ils ont été Il y a eu Le ma-
les « pèlerins du changement ». laise paysan de Jean
En agissant ainsi, ces jeunes Vendéens et Ven- Yole. Il y a main-
déennes trouvaient une fierté, non pas un orgueil, tenant, dans un
la fierté d’une tâche accomplie au service de leur fa- tout autre registre,
mille et de toute la population. Ils se sont voulus Fiers d’être paysans
exemplaires. Souvent, ils l’ont été. Ils n’étaient plus les de Roger Albert
« péquenots » incultes, retirés de l’école à douze ans. Ils et Gilles Bély. Ce
apprenaient à parler dans leurs réunions et leurs fêtes. livre de témoins est
Certains ont eu, et ont encore, des responsabilités au porteur d’une géné-
plus haut niveau. Au bout du compte, ils ont décou- reuse espérance.
vert une idée neuve : le droit au bonheur. Auguste Grit et Michel Debatisse Yves Viollier
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 7
8. Horizons d’Ouest
perspectives que le président Félix Gaillard avait l’inten-
tion de soutenir et sa tragique disparition nous a privé
d’un appui essentiel. En effet, quelques mois plus tard,
la loi sur les conseils régionaux était votée et entrait en
En 2007, les Recherches Vendéennes ont publié un dos- vigueur le 1er Juillet 1973. Horizons d’Ouest était un
sier sur Jean Rivière. Lire en Vendée en a fait mention groupe de réflexion destiné à orienter la rédaction de la
dans son numéro 17. Évoquons l’engagement de l’écri- législation. Le texte définitif qui avait été adopté ne cor-
vain dans une association aujourd’hui bien oubliée. respondait pas à nos souhaits. L’association n’avait plus
Jean Rivière s’est toujours intéressé au devenir de la de raison d’être et sa dissolution s’est faite très naturel-
Vendée et, peu après avoir reçu le Grand Prix catholique lement. Trente ans plus tard, les infrastructures souhai-
de littérature, il a rejoint une association régionale qui tées alors ont été réalisées, du moins en Vendée, mais les
s’était créée en 1969 : Horizons d’Ouest. Celle-ci avait fait actions communes sont encore à organiser.
sienne une phrase de Jean Yole : Une région ne se délimite Horizons d’Ouest a été l’occasion de réunir des
pas, elle s’enfante ! bonnes volontés et de se faire rencontrer des personnali-
C’est l’époque où la régionalisation occupait les tés d’exception parmi lesquelles Jean Rivière a été une des
esprits. Les élites locales ont vu dans la création d’une plus intéressantes. Ses interventions ont été fidèles à son
nouvelle organisation territoriale l’occasion de revita- image, discrètes mais toujours pertinentes.
liser nos régions dans la perspective européenne. L’idée
première d’Horizons d’Ouest provient de l’équipe de la Michel Dillange
Revue du Bas-Poitou et des Provinces de l’Ouest et, en par-
ticulier, de Louis Chaigne. Mais ce dernier considérait
que c’était à la jeune génération de prendre l’initiative de
se lancer dans cette aventure. C’est donc son fils Louis-
Marie qui en prit la présidence, le secrétariat général
étant assuré par son cousin, l’architecte Léon Chaigne.
Ses statuts définissaient ses ambitions : regrouper les Poésies Nomades :
responsables civiques ou culturels, sociaux ou écono- quatrième saison
miques -et leurs familles- ayant des attaches avec les pays
d’Ouest (Pays nantais, Maine, Anjou, Vendée, Poitou,
Charentes), organiser des rencontres, débats et confé- Imaginées en 2007 par Rolande Haugmard et Gérard Glameau,
rences, colloques et séminaires, manifestations cultu- avec Jean-Pierre Majzer, porter la poésie vers de nouveaux
relles et de propagande en faveur des richesses régionales, publics dans un environnement original.
contribuer à la formation de l’unité régionale afin de pré-
parer la régionalisation... 5 soirées à 20 h 30, gratuites, en 2010 :
Le comité de patronage comportait, parmi les nom- - Lundi 21 juin : Aizenay, La Liberté
- Lundi 19 juillet : plage du Boisvinet, à Saint-Gilles-
breuses personnalités, les présidents des conseils géné-
Croix-de-Vie, La Nuit
raux de Loire-Atlantique, Vienne et Deux-Sèvres, les - Lundi 26 juillet : lac du Jaunay, La Chapelle Her-
maires de Nantes et d’Angers, le docteur Merle et Michel mier, Le Vent
Sy, président des Angevins de Paris. Les Vendéens étaient - Lundi 2 août : plage du Boisvinet, à Saint-Gilles-
nombreux. Citons parmi eux Paul Caillaud, maire de La Croix-de-Vie, L’Aventure
Roche-sur-Yon, Pierre Epron, maire de l’Orbrie, André - Lundi 23 août : soirée de clôture, la Conserverie à
Forens, conseiller général, André Burgaud, président Saint-Gilles-Croix-de-Vie, La Musique
des Vendéens de Paris, Louis Chevalier, Alain du Fon-
tenioux, la Maréchale de Lattre de Tassigny, Maurice Sur accompagnement
Leroux, compositeur, Henri Rochereau, ancien ministre musical, évocation de poètes
et Pierre-Henri Simon. majeurs, intervention de
Pendant trois ans, le bureau s’est réuni théorique- poètes régionaux. Claude
Cailleau, Monik Guibert,
ment le premier lundi de chaque mois. il a organisé une
Chantal Massé, Sylvie Brous-
douzaine de réunions publiques à Paris (avec le préfet saud-Bonnafi, Yves Moulet,
Maurice Doublet et Marcel Gabilly, rédacteur en chef du Jocelyne Le Mellec, Gil-
Figaro), à Nantes, à Fontenay-le-Comte en particulier. bert Belsoeur, Roger Driez,
C’est dans cette dernière ville qu’a été défini le désir de Gérard Glameau et Rolande
voir se développer une grande région de l’Ouest Atlan- Haugmard, de spectateurs et
tique où il existe une communauté de problèmes : Sans des plus jeunes.
remettre radicalement en cause les délimitations actuelles, le
vœu a été émis d’instituer une coordination interrégionale Ouvertes à tous, renseignements :
entre la Bretagne, les Pays de Loire et le Poitou-Charentes. 02 51 34 71 15/ gglameau@wanadoo.fr
Cette position a été défendue dans un bulletin, paru en 06 07 50 60 13/ r.haugmard@orange.fr
octobre 1972. La solution proposée correspondait aux
8 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
9. Salons Montaigu,
nous y étions !
Montaigu, ce n’est pas pour les gueux,
rien que du beau monde, pas des bouseux,
plein les poches, plein les yeux...
...mais le beau linge est content de prendre des
odeurs de violette dans les herbes du square et la foule
ne renâcle pas à remplir les allées et les sacs. Le Prin-
temps du livre fait toujours recette à Montaigu.
Les écrivains vendéens s’étaient mis en dimanche
pour l’occasion ; ils n’ont pas eu peur de s’asseoir à la
table. Gants blancs et service à la page pour tous les
convives venus présenter leurs produits les plus frais
sur le carreau.
Ils avaient une tribune officielle, comme l’an passé,
entre le pesage et le rond des courses, s’étaient distri-
bués les rôles pour ne rien perdre du spectacle, faire
bonne figure pour la galerie. Les habitudes se pren-
nent, la place se joue à coudes serrés.
D’autres s’étaient disséminés dans d’autres écuries,
et frimaient tout autant. Chacun sa casaque, l’essentiel
est de participer, de coller au train sinon d’être dans
les prix.
Il en étaient encore d’autres venus en solo, sélec-
tionnés par de menus éditeurs locaux habilités.
Les derniers s’étaient fondus dans la foule, tour-
naient sans relâche.
Finalement, tous étaient dans la course, vantaient
leur salade, se pavanaient gaiement.
Parade réussie ! La fête a battu son plein pendant les
trois jours ; les boxes n’ont pas désempli.
C’est la magie de cette ronde effrénée où chacun se
doit de tenir sa place sans démériter. Certains auteurs
n’écrivent certainement que pour cela, pouvoir encore
dire en crânant : Montaigu, j’y étais !
Nous reviendrons, Messieurs, reprendrons la plume
la toque et la casaque, quand vous remettrez le couvert.
J. R.
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 9
10. Le prix Ouest La peine du menuisier
Marie Le Gall (Phébus)
La légende de nos pères La quête du père commande
Sorj Chalandon (Grasset) aussi l’intrigue de ce premier
roman - très remarqué par le
En 2008, Sorj Chalandon jury - de Marie Le Gall. L’his-
(prix Médicis 2006 pour Une toire se passe en Bretagne, du
promesse) nous a donné un côté de Brest, dans les années
superbe roman sur la dupli- cinquante. C’est le récit très
cité : Mon traître, une intri- sombre d’une relation impossible entre une adoles-
gue douloureuse autour de la cente et son père, toujours silencieux qui travaille à
tragédie irlandaise. Il récidive l’arsenal de Brest. Les ombres de la mort tissent la toile
sur le même thème avec La de fond du roman, comme les visages des défunts qui
légende nos pères mais, cette tapissent les murs de la maison de famille.
fois, cela se passe en France
dans l’univers de la Résistance.
Il fait peut-être mieux encore Le fils du terre-neuvas
en nous plongeant dans une Yves Jacob (Presses de
histoire de héros qui n’a d’héroïque que le nom. Beu- la Cité)
zaboc (c’est son nom) a entretenu sa fille dans le culte
de ses exploits. Elle va s’adresser à un écrivain public Écrivain confirmé, chantre
pour qu’il rédige la « légende » de son père. Et, peu de la mer et de la Bretagne, Yves
à peu, au fil de l’enquête, le rédacteur va s’apercevoir Jacob compose un roman certes
qu’il n’y a rien à raconter puisqu’il ne s’est rien passé… très classique, mais dont l’inté-
Ce qui est fort dans le roman de Sorj Chalandon c’est rêt ne se départit pas. Pour trois
que, malgré tout, on s’attache à son héros menteur et, raisons essentielles. La descrip-
même, on l’aime. On se demande si, dès le départ, tion du métier pénible et dange-
les dés n’étaient pas pipés, si sa fille ne savait pas que reux des marins qui vont pêcher
son père lui avait menti ! C’est écrit dans une langue la morue sur les bancs de Terre-Neuve. L’époque, au
sèche, sobre, qui n’empêche pas l’émotion. Un excel- début de la Seconde guerre mondiale avec les sous-
lent roman de journaliste qui a bien mérité le Prix marins allemands qui rodent dans l’Atlantique. L’in-
Ouest 2010. trigue enfin, qui mêle un naufrage dramatique et les
Yves Viollier amours compliquées de la belle Angélique et du fils du
terre-neuvas.
Ils étaient dans la sélection du Prix
Ouest Sur le bord de l’inaperçu
Michel Guillou (Gallimard)
L’article de la mort
S’il y avait à Montaigu un
Étienne de Montety
prix de l’insolite, le livre de
(Gallimard)
Michel Guillou l’aurait obtenu.
Ce n’est pas un roman à pro-
Ce premier roman d’Étienne
prement parler, mais une suite
de Montety, directeur du Figaro
de petits tableaux censés nous
littéraire, a été le concurrent
apprendre les mœurs très parti-
le plus sérieux du livre de Sorj
culières des Baldéens qui habi-
Chalandon. Il emmène aussi à
tent un pays aux frontières inexistantes. Il faut accepter
la découverte d’un destin équi-
d’entrer dans ce monde invraisemblable, abracada-
voque, celui de Charles-Élie Sirmont, un homme poli-
brant, au-delà de toute réalité, qui secrète finalement
tique à la mode, connu pour ses opérations humani-
un art de vivre et une certaine sagesse. Dérangeant et
taires très médiatisées. Avec des clins d’œil appuyés aux
très étonnant, mais une immense virtuosité dans les
milieux du pouvoir et de la presse parisienne, Étienne
jeux de mots et de l’esprit.
de Montéty se passionne – et nous passionne – pour
ce personnage ambigu dont un journaliste, Moreira,
Gilles Bély
est chargé d’écrire par avance la notice nécrologique...
10 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
11. Intervention Quelle littérature vous intéresse ?
Jean-Jacques Brot, Toutes ! J’ai toujours plusieurs livres sur ma table
de chevet. Proust, peut-être, est mon favori. La phrase
préfet de la Vendée, proustienne est pour moi le summum. Tout me plaît
amoureux fou des livres chez Proust, l’auteur français par excellence, son ana-
lyse, sa concision, sa cruauté, son humour caustique.
L’événement méritait d’être marqué d’une J’ai eu la chance, en Eure et Loir, de fréquenter la mai-
pierre blanche : pour la première fois, son de tante Léonie où Proust passait ses vacances. J’y
un préfet était présent ai accompagné un juge de la cour suprême des Etats-
Unis qui avait fait spécialement le déplacement. Nos
à l’inauguration du Printemps du Livre
compatriotes ignorent l’importance des littératures
À la tribune, il a tenu un discours remarqué
qui véhiculent les pensées humanistes universelles
et enthousiaste en faveur de la manifestation qui sont les nôtres. J’aime Chateaubriand, De Gaulle.
et de la lecture Ce qui me fascine chez De Gaulle, c’est qu’il est pro-
Nous sommes allés le rencontrer fondément politique, militaire, écrivain.
Quelle a été votre impression, Jean-Jacques Brot, à la Quelle place pour la littérature vendéenne ?
découverte du Printemps du Livre ?
Je vois une vie littéraire que j’ai envie de décou-
J’en avais déjà entendu parler par mon oncle, vrir. Je sens un foisonnement, n’en suis qu’aux pré-
Claude Michelet, qui a été président d’honneur du misses. La tragédie que nous venons de vivre suscite
salon, il y a trois ans. Je connaissais son excellente aussi une curiosité professionnelle. Les zones noires
réputation. J’ai apprécié d’y trouver tous les genres ont été construites à partir des sources historiques
dans l’ambiance bon enfant d’une authentique mani- des archives de la Vendée. Nous avons, par exemple,
festation populaire qui contribue à la culture auprès trouvé une lettre d’un dénommé Fèvre sur le cordon
du plus grand nombre. J’ai déambulé au milieu d’une dunaire de la Belle Henriette au XIXéme siècle. Clemen-
foule nombreuse qui venait faire son marché. J’y ai ceau m’intéresse. J’attaque sa biographie par Duro-
rencontré des auteurs heureux : Eric Zemmour, alors selle. Je découvre l’esthète japonisant, l’ami de Monet
sous les feux de l’actualité ; Christian Signol, un très et l’écrivain. Notre première visite a été, le 27 février,
proche voisin de notre maison du Lot, dont nous à la maison de Clemenceau à Saint-Vincent-sur-Jard.
sommes des lecteurs assidus ; Jean Raspail, qui m’a fait Le contraste a été saisissant entre ce moment de pro-
l’honneur de me nommer consultant aux affaires poli- fonde culture française et la tragédie qui nous atten-
tiques de son gouvernement de Patagonie dont je garde dait, tout près, quelques heures plus tard.
le drapeau sur mon bureau ; des auteurs et des édi-
teurs régionaux… J’aime cette ambiance des salons du Écrivez-vous, vous-même ?
livre. Ma femme est briviste. Elle est une habituée de
la foire de Brive. Nous croyons beaucoup à la diffusion Je regrette de ne pas avoir écrit. On est à l’époque
de la culture par le livre. Et j’ai le regret que la DRAC du téléphone et de l’Internet. J’ai eu la chance de servir
n’ait pas accompagné la manifestation de Montaigu. à l’étranger et sur de nombreux territoires de la métro-
J’espère convaincre le préfet de région et la DRAC, pole. J’aurais dû tenir un journal de bord. Je m’oblige à
compte tenu des auteurs et de la fréquentation, de envoyer chaque jour des cartes postales qui me forcent
changer d’attitude à l’avenir… à composer. Mon voisin du Lot écrit. Il est éleveur.
Nous échangeons une correspondance régulière. Il ne
Quelle place accordez-vous à la lecture ? fait pas une faute d’orthographe. Cela fait partie des
caractéristiques d’une vieille civilisation. J’aurais dû
La première. Le livre est la clé de mon épanouis- vous parler de ma passion pour les biographies histo-
sement, mon bonheur et ma vie professionnelle. Pas riques, L’Histoire de France de Bainville, mes tocades
un jour sans une demi-heure ou une heure de lecture. pour Sissi impératrice, la reine Elizabeth, les littéra-
D’origine très modeste, la lecture a été pour moi un tures des pays où nous avons voyagé…
moyen très important de formation personnelle. Elle
m’a apporté ce substrat culturel indispensable pour Nous sommes restés longtemps autour de la table
me mettre au niveau de mes condisciples. Je le disais à de verre de la préfecture à évoquer nos plaisirs com-
mon épouse en quittant Montaigu : j’aurais aimé aussi muns de lecture, Baudelaire, Les lettres persanes…
être professeur de Lettres. Peut-être ai-je une vocation à dire combien est difficile l’art d’écrire. Nous nous
ratée de littéraire. Le goût des livres m’a rapproché de sommes donné rendez-vous au salon du Livre de mer
ma femme qui est d’une famille d’écrivains : Claude de Noirmoutier. Jean-Jacques Brot y sera.
Michelet, Xavier Pattier, le frère de ma femme, sa mère
aussi qui avait rempli sa salle à manger de livres. Propos recueillis par Yves Viollier
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 11
13. Noirmoutier Saint-Gervais
11, 12, 13
La mare aux canards à la Bernuzière
juin 2010
Le beau temps
Bon vent au 4ème salon n’a pas chassé la
du livre de mer qui s’ouvre bonne humeur et
à Noirmoutier le jour de la Saint-Gervais a
mise à flots de ce dernier réuni, avec une
numéro. chaleur accrue elle
Tout semble avoir été aussi, un nombre
fait pour pérenniser sa réussite ; nous en rendrons croissant d’au-
compte dans notre prochaine édition. teurs, de lecteurs et
Saluons les trois auteurs venus spécialement de d’acheteurs.
Gaspésie à cette occasion et réservons leur le meilleur Les fidèles ont
accueil. L’association Amitié Vendée-Gaspésie s’est accueilli les nou-
particulièrement investie dans les échanges littéraires. veaux ; les absents
Elle a facilité la venue d’auteurs gaspésiens au Salon ont eu tort, comme
du Livre de Grasla et, en 2009, des missions d’auteurs toujours ; la verve
vendéens au Salon du Livre de Québec et en Gaspésie. de Claude n’a pas
tari et dans une cour dédiée cette année au canard du
Amitié Vendée-Gaspésie invite cette année trois au- marais, des plumes de toutes sortes volaient dans tous
teurs de la Belle Province à Noirmoutier. les sens, ébouriffées, joyeuses.
Jean-Marie Fallu est historien et rédacteur en chef Cancanaient et nasillaient gaiement les volatiles, à
de la revue Magazine Gaspésie qui paraît depuis 47 ans. l’affût les chasseurs d’images et de bons mots.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, comme La Gas- Ils ont vu Claude Mercier décerner le prix du
pésie, Le Québec et la guerre (1860-1954), Le Saguenay Héron Cendré aux revues trimestrielles et annuelles de
et le lac Saint-Jean. deux sociétés d’Histoire et de Patrimoine méritantes,
Josée Kaltenbach est la coordinatrice de la manifes- celles de Noirmoutier et de Challans.
tation Livres en fête en Gaspésie qui réunit le quart des Claude Mercier, qui a récemment mis le dernier
100 000 habitants de la région. Elle a écrit Les plages point à sa célèbre revue mensuelle La fin de la rabinaïe,
et les grèves de Gaspésie, un livre devenu classique qui sait le mérite nécessaire à de telles entreprises et c’était
présente dans le détail les 600 km du grand tour de la un bonheur de voir la surprise et la joie des lauréats.
péninsule gaspésienne. C’était donc la 17ème version de ce salon qui abrite
Damien Grelon, auteur et réalisateur de films, est de ses ailes généreuses des auteurs à découvrir ou à
un spécialiste des mammifères marins qui croisent retrouver ; les visiteurs n’ont pas manqué le rendez-
dans l’estuaire du Saint-Laurent et sur les rivages de la vous, la chine a été fructueuse, loin des cancans de la
Gaspésie. G. B. grande ville. J. R.
Jard-sur-Mer,1er mai 2010
Une réussite pour
cette deuxième édi-
tion du salon de Jard
sur Mer ! Il y eu de
belles rencontres car
il y avait pléthore
de visiteurs heureux
de rencontrer trente-cinq écrivains de Vendée sur
leur promenade face à une mer sage, ce samedi 1er
mai. Le soleil était au rendez-vous, le public aussi.
A noter l’accueil convivial des organisateurs de la mai- L’Épine, 6 et 7 août 2010
rie de Jard et l’originalité pour les auteurs de profiter
du spectacle de la marée au gré des heures entre les Autre salon littéraire à Noirmoutier, Eveline Tho-
«vagues» des promeneurs. Eveline Thomer mer nous en rendra compte dans le prochain numéro.
Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010 13
14. Le Centre Bienvenue
de Ressources du Livre à la revue Administration
La Société
Encourager des écrivains de Vendée
la filière livre a ses fidèles,
et promouvoir elle accueille volontiers
la lecture aussi de nouveaux membres
écrivains ou correspondants
qui souhaitent suivre
Vaste programme nos diverses activités
que s’est assignée la et nous aider
Région avec la création de leurs comptétences
de ce nouvel organisme.
C’est aussi le but que Les Écrivains de Vendée sont
nous poursuivons en heureux d’accueillir comme corres-
Vendéee et nous nous pondant Jean-Claude VACHER,
réjouissons d’avoir ainsi directeur et éditorialiste de la revue
un recours supplémen- Administration. Ancien Préfet de
taire à la Région. la Vendée (2002 à 2005), Jean-
En complément de la Claude Vacher habite maintenant
revue Encres de Loire, ce La Roche-sur-Yon.
pôle d’acteurs pour le livre Cette revue est la revue de l’Administration terri-
se fera l’écho de la vie du toriale de l’État. Elle consacre chacun de ses numéros
livre en Pays de la Loire. trimestriels à la présentation des objectifs, des réalisa-
Tout en proposant des tions, des difficultés aussi, qui font le quotidien des
ressources, des services, administrations dans leurs relations avec les élus, les
des outils d’analyse et de chefs d’entreprises, les associations, le public, etc…
conseil, il mènera une C’est ainsi que les derniers numéros de 2010 sont
action de valorisation des consacrés successivement à :
publications et des actions Immigration-Intégration, Recherche-Développement,
ligériennes. Pôles de compétitivité,
Il disposera également d’un centre de documentation. Développement durable : où en sommes-nous ?
J. R. Le tourisme : nouvelles habitudes, tous domaines
dans lesquels interviennent des administrations
Hôtel des Ursulines, 14 avenue François Mitterand, publiques. J. R.
72000 Le Mans. 02 28 20 60 78 - crl@paysdelaloire.fr
Concours de nouvelles :
Livre Jeunesse à Luçon L’enfant et la mer
L’Association des amis de Jean Huguet nous commu-
nique :
À vos plumes, racontez un souvenir, une histoire vécue,
La 12ème Semaine du un rêve ou imaginez ! Seule règle : l’enfant et la mer sont les
livre jeunesse à Lu- acteurs principaux.
çon s’est déroulé en Date limite d’envoi de vos nouvelles : 31 janvier 2011.
mars dernier. Invitée
La maison chaumoise,
d’honneur, Clothilde 12 rue du moulin
Bernos.Invités, Chris- 85100 Les Sables d’Olonne
tophe Alline, Davide
Cali, Luce Guilbaud, Tel : 02 51 95 24 83
Couriel :
Jean-Louis Le Craver, amisdejeanhuguet@gmail com
Brigitte Luciani, Alan Site internet : amisdejeanhuguet
Mets, Pef...
14 Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
15. Échos-Musées
Les amis de l’Historial de la Vendée
Les musées conservent et exposent les Lettres Vendéennes
Les lettres
de Chaissac
L’espace culturel René Cassin de
Fontenay-le-Comte a consacré en
mars-avril une petite exposition très
documentée aux lettres de Gaston
Chaissac dont on célèbre cette année
le 100ème anniversaire de la naissance.
C’est l’occasion pour nous de ressortir
le catalogue de l’exposition Chaissac réalisée en juin 1991 à
l’hôtel du Département par la Conservation Départemen-
tale des Musées de Vendée.
Rappelons que le musée de l’abbaye Sainte-Croix des
Sables d’Olonne possède un fonds important d’œuvres du
peintre (qu’il présente le 12 juin 2010 une nouvelle exposi-
tion dédiée aux correspondances de Chaissac) et que la ville
de Sainte-Florence-de-l’Oie a également dédié un espace à
Gaston Chaissac. Le Musée de Fontenay-le-Comte possède
lui aussi au moins un Chaissac, nous l’avons retrouvé dans le
nouveau livre de Robert Aujard.
Chaissac écrivain ? Il écrivait des lettres chaque jour, avec
LES AMIS DE L’HISTORIAL DE LA VENDÉE la même fantaisie que pour sa peinture ou pour ses sculp-
Historial de la Vendée, tures ; ses lettres étaient souvent aussi d’ordre pictural, nous
Allée Paul Bazin le découvrirons dans ce numéro.
85170 Chaissac a également publié plusieurs ouvrages et main-
Les Lucs-sur-Boulogne tenant les études, recherches et expositions sur Chaissac se
Bulletin d’adhésion multiplient dans le monde entier.
année 2010 N’oublions pas l’exposition consacrée aux pompiers de
10 €/personne Vendée et le nouvel aménagement du Musée des Enfants
à adresser aux amis de l’Historial aux Lucs, à l’Historial, ni les deux expositions en préparation pour
2010, Madagascar et l’Agriculture.
M. Mme Mlle J. R.
NOM : Permanence le mercredi
Prénom : à l’Historial,
Adresse :
tél :02 51 47 61 77
Code postal Ville
www.ami-historial-vendee.com
Tél : E-mail : e-mail :
conservation-musée@vendee.fr
16. Gaston Chaissac, artiste pas eu moins solitaire que lui qui savait échanger avec
tous ceux qui peignaient, créaient, écrivaient, agissaient
épistolier… vendéen en Vendée et partout ailleurs ! Qui lui rendaient visite !
Dubuffet lui avait offert un harmonium et il en jouait
pour réveiller ses amis de passage dans sa petite maison
Il ne veut pas qu’on dise qu’il est écrivain d’école du village.
mais il l’est et peut-être davantage que peintre, Gaston Chaissac sans la Vendée ne serait pas Gaston
comme beaucoup de peintres d’ailleurs... Chaissac. L’imagine-t-on à Paris dans les cercles de l’in-
telligentsia ? Peut-être y aurait-il brillé par sa vivacité et
...écrivait Gaston Chaissac à propos l’originalité de son imagination. Il lui aurait manqué ce
d’André Marchand. En parlant de son substrat qui a nourri son œuvre, ces faits divers qu’il rele-
confrère, il parle aussi de lui-même, comme vait dans la presse ou dans le quotidien de son village :
il en avait l’habitude. D’ailleurs n’écrivait-il Cher ami, las de vivre Léon Brochet vient de se suicider à
pas dans une de ses lettres : J’aurais davantage Mareuil sur Lay par pendaison. Le journal d’aujourd’hui
d’ambition en ce qui concerne la littérature et 16-6-60 en parle en sept lignes page 4 au-dessus de la
j’éprouve bien davantage le besoin de m’expri- réclame pour la bombe néocide contre les moustiques et les
mer dans le langage écrit. Mais on dit que je mouches. Le sablais J-C. Poiraud serait un espoir du vélo. A
suis mieux doué comme peintre. Voire. Sans 76 ans Marguerite Bouton a été assassinée par son concubin.
doute notre siècle fait-il un meilleur sort à Ils avaient bu tous les deux. Dans l’ensemble tout cela est
son œuvre plastique. Mais pour peu qu’on plutôt triste.
s’intéresse à quelques-unes de ses lettres, on De ce fatras, Chaissac a fait une œuvre poétique sin-
s’aperçoit très vite qu’elles participent de gulière, reconnue. Il avait 41 ans lorsque les éditions
la même démarche poétique : transcender Gallimard ont publié, en 1951, un recueil de correspon-
l’infime ; distordre le réel le plus humble dances intitulé « Hippobosque au bocage ». Depuis sa
et au gré de sa fantaisie lui accorder de la mort, on ne cesse de rechercher et de retrouver des lettres
noblesse ; parler avec la même langue aux de Gaston Chaissac qu’on se communique comme des
gens de peu et aux gens d’importance ; se trésors. Par ses relations épistolaires, il a trouvé le moyen
jouer du langage en usant jusqu’à l’absurde de renouveler un genre littéraire à sa mesure, unique,
de tous les calembours et les barbarismes… grinçant, souriant, surréaliste, une chronique extraordi-
Gaston Chaissac est l’auteur d’une cor- naire de la Vendée en ce temps-là.
respondance considérable dont on ne fera Y. V.
jamais l’inventaire. Il écrivait aussi bien à
Jean Paulhan, Jean Dubuffet, Pierre Bou-
jut, Michel Ragon, qu’à Monseigneur
Cazaux, Léopold Marboeuf ou des voi-
sins et voisines de son village de Sainte-
Florence-de-l’Oie. Il n’écrivait pas pour
écrire. Il avait conscience d’entreprendre
une œuvre littéraire. Si j’étais riche, écrit-il
à Pierre Boujut, j’aimerais construire des
monuments commémorant les plus infimes
événements. Mais riche, ma tournure d’esprit
me donnerait sans doute de tout autres désirs.
Quoi qu’il en soit, je supplée comme je peux à
l’absence de monuments grandioses pour don-
ner des chances à d’infimes événements de ne
pas tomber dans l’oubli. On a alors envie de
dire : heureusement que Gaston Chaissac
n’a pas été riche !
À ce sujet, il serait peut-être utile de revi-
siter la légende d’un Chaissac tourmenté
et moqué au pays de la calotte vinassouse.
Bien sûr, il passait chez lui pour un « origi-
nal » comme on disait de ceux qui n’étaient
pas dans la norme. Mais intelligent, malin,
il savait en jouer pour se construire un
personnage singulier. Il a eu des amis dans Carton de l’exposition ouverte du 13 juin au 7 novembre 2010
le clergé comme l’abbé Coutand. Il n’y a au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix aux Sables d’Olonne
16 Lire en Vendée - Échos-Musées -Lire en Vendée - juin 2010 - décembre 2010
17. Annie, sa fille,
se souvient et raconte
Gaston Chaissac, l’épistolier
Gaston Chaissac, dont le
talent aujourd’hui mondiale-
ment connu, est longtemps
resté ignoré, ne rêvait pas d’être
peintre. Il voulait être jour-
naliste. D’où cette frénésie
d’écrire, principalement à ses Dans sa maison au bord de la Vieille Autise, Annie Chaissac
pairs : 36 000 lettres, éparpillées ouvre les précieux cahiers où dorment quelques-unes des 36 000
tous azimuts. Annie Chaissac, sa fille, en a rassemblé lettres écrites par son père.
une petite partie.
L’ensemble de cette œuvre littéraire appelle
aujourd’hui une étude qui serait passionnante.
des bouts de carton, des feuilles de papier de toutes les
Au bord de la Vieille Autise, la maison d’Annie couleurs et de tous les formats. Et sur tous les sujets.
Chaissac abrite des trésors - des écrits, des dessins, des Sur l’art et les idées bien sûr, mais aussi sur ses rapports
objets de son père, Gaston Chaissac - mais surtout avec le monde et avec les gens.
une immense piété filiale. On hésite à écrire « piété »
puisque l’artiste, né dans une famille traditionaliste du Ces lettres n’ont pas toutes, loin de là, obtenu des
Morvan, a beaucoup souffert de cette religion perver- réponses. Mais 400 destinataires au moins ont été
tie et ne lui a pas ménagé sa rancœur. Mais c’est pour- recensés. Sitôt la guerre, grâce à un ami journaliste,
tant de cela qu’il s’agit... René Bonnenfant, « Ouest-France » publiera d’assez
Artiste pour nombreuses lettres. Au total, avoue Annie Chaissac, la
artistes correspondance de mon père demeure largement une
friche qu’il faudrait explorer et déchiffrer complète-
Mon père vou- ment.
lait être journa- Comme la Semeuse de Larousse...
liste, raconte-t-elle.
Écrire, témoigner, Reste évidemment une question. Pourquoi, alors
c’était pour lui qu’il était enfin reconnu et qu’il aurait pu exploiter
vital, primordial. son immense talent de peintre, Gaston Chaissac a-t-il
En 1937, alors qu’il autant sacrifié à la correspondance et à l’écriture? Peut-
séjourne à Paris être parce que l’écriture était chez lui consubstantielle
chez son frère, il au dessin. Tout chez lui se chevauche, tout lui était sti-
rencontre Otto mulation, explique sa fille. La forme et le mot étaient
Freundlich et Jeanne Kosnick, un couple d’artistes des objets de séduction qu’il ne séparait pas.
allemands bannis par le nazisme, qui pressentent son
talent particulier et lui font découvrir le monde des Chaissac a grandi dans le monde de l’artisanat,
arts et de la culture. Raymond Queneau, Jean Paulhan parmi ces cordonniers et ces marchands de tissu
sont séduits par la fraîcheur et la pureté de ses dessins. morvandiaux qui s’en allaient l’hiver sur les routes
Quelques années plus tard, Dubuffet, Marcel Arland pour gagner de quoi subsister. Il n’ignorait rien des
remarquent Chaissac. Des dessins et des portraits, il ficelles de la publicité. Friand du succès, mais méfiant
passe aux objets bricolés, aux totems, aux collages. envers lui parce qu’il en redoutait les servitudes et les
contraintes, militant jamais encarté, Chaissac aurait-il
Chaissac l’épistolier se met alors à écrire aux artistes trouvé dans l’écriture la fin de sa quête et de son besoin
et aux intellectuels. Ceux qu’il côtoie, ceux dont il de reconnaissance? A l’image de la célèbre Semeuse du
relève les noms dans les catalogues et les revues cultu- dictionnaire Larousse qu’il affectionnait tant, l’écriture
relles, foisonnantes dans l’immédiat après-guerre. A aurait-elle été le moyen de déverrouiller sa pensée et de
partir de 1956 et jusqu’en 1962 – il meurt, amer et la communiquer à un monde, si souvent hostile à sa
épuisé, en 1964 – il écrit quatre ou cinq lettres par personnalité, un monde qu’il redoutait et fuyait?
jour. Sur les supports les plus variés, des enveloppes, G. B.
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18. Gaston Chaissac
et la Vendée
Né le 10 août 1910 à Avallon, au sein d’une famille
pauvre, Gaston Chaissac, après une enfance perturbée
par une santé précaire, les problèmes financiers per-
manents de ses parents et leur divorce, tarde à trouver
un équilibre de vie et de ressources. De 16 à 32 ans, il
pérégrine de Villapourçon, dans le Morvan où sa soeur
est postière, jusqu’à Saint Rémy de Provence, via Paris
et alentours où la maladie le contraint à séjourner en
hospice (Nanterre), sanatorium (Asnières) et centre de
rééducation (Clairvivre, en Dordogne). Au cours de ces
années, il effectue de nombreuses rencontres dont deux
s’avèrent prépondérantes. À Paris, en 1937, il croise le
chemin d’un artiste engagé, d’origine allemande, Otto
Freundlich, avec lequel il acquiert rapidement une
formation artistique qui lui permet de découvrir les
notions fondamentales et une sorte d’éthique de l’art.
À Noël 1940, lors d’une exposition de travaux
des pensionnaires, il rencontre Camille Guibert, une
jeune institutrice vendéenne soignée dans un sanato-
rium proche de Clairvivre. Gaston Chaissac reçoit la
foudre dans le coeur. C’est juré, dès qu’elle sera guérie,
il l’épousera. Il tient parole et, en novembre 1942, il
vient retrouver Camille à Vix, son village natal, et ils
se marient.
Le jeune couple demeure à Vix pendant un an,
attendant la nomination de Camille à un poste d’ins-
titutrice. La famille Guibert n’apprécie pas vraiment le
mari que leur fille a choisi : Mon beau-père ne tarda nous ne recevons que de bien faibles échos de ce qu’on peint
pas à me dire que sa fille était trop bien pour moi, écrit dans les cités prestigieuses. Quant à la vie moins intellec-
Chaissac. Les autres habitants de la commune ne l’ap- tuelle et plus saine qui est la nôtre, elle favorise l’éclosion
précient pas davantage. Au village, j’étais un fou, un con, de nos créations.
un cul, c’est-à-dire un malappris et ceux qui achetaient ma En 1947, une exposition lui est personnellement
peinture étaient encore plus fous que moi... Selon Camille dédiée à la galerie Arc-en-ciel, à Paris. Les rares ventes
Chaissac, seule la naissance de leur fille Annie provoque couvrent à peine les frais. Mais le point positif en est la
chez Gaston un accès de joie et de bonheur. rencontre avec Dubuffet dont l’amitié n’était jusqu’alors
En septembre 1943, les Chaissac s’installent à Bou- qu’épistolaire. Suite à ses déceptions parisiennes, Chais-
logne, dans le bocage, où Camille vient d’être nommée. sac décide d’exposer chez lui, dans son atelier, en Ven-
Gaston s’occupe de sa fille, de son jardin et de l’entre- dée. Pour avoir le plus grand nombre possible de visi-
tien de la maison. Pour améliorer les finances familiales, teurs, il opte d’effectuer sa seconde expo le jour de la
il effectue des boulots de complément, sans pour autant kermesse des écoles libres. J’avais donc fixé le jour de
abandonner la peinture, autant que sa santé chétive et cette kermesse mon vernissage et comme de bien entendu
ses possibilités d’achat de fournitures le lui permettent. personne n’est venu. Ou plutôt si : j’étais mal fichu et j’étais
Grâce à Jeanne Kosnick-Kloss, veuve d’Otto Freun- monté me reposer, soudain j’entends du bruit qui me fait
dlich mort en déportation, Chaissac expose à Paris fin que quelqu’un vient tout de même et m’étant précipité à
1943. Les années suivantes, il participe aux Indépen- la fenêtre je n’eus que le temps de voir se sauver un chien
dants, puis aux Surindépendants. Chaque exposition qui emportait dans sa gueule un pain d’épices que nous
engendre des rencontres avec des artistes, des écrivains, consommions en minces tranches pour le prolonger.
des journalistes. Comme il se déplace peu, Chaissac À la demande de Dubuffet, en 1948, Mademoi-
noue ses contacts et ses amitiés par une correspondance selle Marot, directrice de la galerie Michel Columb à
abondante. Il considère son oeuvre épistolaire comme Nantes, prend en dépôt permanent des oeuvres de Gas-
aussi importante que ses tableaux. Elle rompt son isole- ton Chaissac qui, fin septembre, déménage à Sainte-
ment. Dans nos campagnes désertes, rien n’interrompt la Florence-de-l’Oie où Camille vient d’être nommée. La
méditation si nécessaire avant toute création artistique, et population locale, dominée par un curé sectaire et fana-
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