Rapport de-christophe_sirugue_depute_de_saone-et-loire-1
Typologies des radicalités en Europe
1. AVERTISSEMENT : La mission de la Fondation Jean-Jaurès est de faire vivre le débat public et de
concourir ainsi à la rénovation de la pensée socialiste. Elle publie donc les analyses et les propositions
dont l’intérêt du thème, l’originalité de la problématique ou la qualité de l’argumentation contribuent à
atteindre cet objectif, sans pour autant nécessairement reprendre à son compte chacune d’entre elles.
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Typologie des
radicalités
politiques en
Europe
L
es élections des députés au Parlement européen sont l’occasion pour de nombreuses
formations cataloguées d’une manière souvent hâtive comme appartenant à « l’extrême
droite » de se présenter au suffrage des électeurs. Plusieurs facteurs liés au mode de
scrutin et à la nature de celui-ci expliquent ce fait. D’abord l’utilisation de la proportionnelle,
avec un seuil de représentation qui, quand il existe, ne peut jamais dépasser 5 %, de sorte que
de petites formations peuvent espérer obtenir un siège. Ainsi en Allemagne, sur requête de
mouvements dont les Freie Wahler et le NPD, la Cour constitutionnelle a invalidé le système
précédemment en vigueur qui établissait un seuil de représentation de 3 %. Avec le système dit
de Saint Laguë qui sera utilisé le 25 mai prochain, ces deux partis, comme les souverainistes
d’Alternative für Deutschland, peuvent espérer obtenir un élu. L’enjeu même du vote – à savoir,
au-delà de la composition du Parlement européen, l’avenir de l’Europe communautaire – est
propice à l’expression de tous les mécontentements liés au contenu et au fonctionnement du
projet et des institutions européens.
Très rares sont donc les formations, même marginales, qui étant ouvertement hostiles à l’Union
européenne ne seront pas en lice le 25 mai : seule la Liste Stronach en Autriche a fait l’impasse
sur ce scrutin, signe que malgré sa percée aux législatives de 2013 elle est déjà sur le déclin.
*Chercheur
spécialiste de l’extrême
droite, directeur de
l’Observatoire des
radicalités politiques de
la Fondation Jean-Jaurès
Jean-Yves Camus*
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Note n°8 - Fondation Jean-Jaurès / Observatoire des radicalités politiques - 23 mai 2014 - page 1
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Typologie des
radicalités politiques
en Europe
Dépasser les étiquettes
Les étiquettes de « populistes », « souverainistes », « eurosceptiques », d’« extrême droite »
ou encore la catégorie des droites radicales sont à tort utilisées comme synonymes dans les
commentaires qui s’accordent pour prévoir qui une victoire, qui un « raz-de-marée » d’une famille
politique dont les contours ne sont jamais précisément définis. C’est cette lacune que nous allons
tenter de combler. D’abord, une remarque s’impose. L’accent mis sur les perspectives électorales
des souverainistes et des eurosceptiques de droite ainsi que de « l’extrême droite » conduit à
considérer comme secondaires les scores que remporteront les eurosceptiques de gauche et
les formations, de gauche elles aussi, qui proposent non pas la sortie pure et simple de l’Union
européenne mais la réorientation complète des choix de l’actuelle majorité conservatrice/libérale.
Soit rien moins que l’ensemble des composantes du Parti socialiste européen et des partis de la
gauche alternative ou radicale, qu’elle se réclame du socialisme, du communisme ou de l’écologie
politique.
Or, au soir des résultats, c’est d’abord le rapport de forces entre les deux grandes familles
idéologiques européennes qui déterminera ce qui sera voté au Parlement ainsi que – on peut
l’espérer pour sa légitimité – le choix du prochain président de la Commission. Une projection
de la répartition des sièges au sein du prochain Parlement1
prévoit que 70 % des sièges seraient
occupés par les quatre grands groupes parlementaires actuellement existants : PPE, PSE, Libéraux
et Gauche verte/alternative. Les autres groupes en place (Conservateurs et réformistes ; Europe
de la liberté et de la démocratie) incluant des partis qui n’ont rien d’extrémiste (ODS tchèque ;
conservateurs britanniques ; Forza Italia), on peut en déduire que moins de 30 % des élus seront
rattachables aux droites eurosceptiques, nationalistes, radicales ou extrêmes. Cela constituera
une progression, mais sans doute pas un tsunami politique.
Le véritable enjeu de ces élections est interne à la grande famille des droites européennes et
concerne le rapport de forces qui sortira des urnes entre les sensibilités conservatrice, libérale et
démocrate-chrétienne d’un côté et la sensibilité nationaliste, populiste et identitaire de l’autre,
dans la diversité de ses variantes. Chacun de ces termes doit être explicité. Par « nationalistes »,
nous entendons ceux qui considèrent l’Etat-Nation comme le seul échelon de la décision politique
1. Réalisée par www.electio2014.eu
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possédant une légitimité démocratique et représentant le peuple, alors que les droites du consensus
admettent le principe d’une souveraineté supranationale. Par « identitaires », nous désignons ces
mouvements qui réfutent, totalement ou en partie, la notion contractuelle de la citoyenneté ainsi
que le caractère positif du multiculturalisme. Considérant le peuple comme une entité organique
à laquelle l’individu se rattache par l’hérédité, la culture, l’enracinement et exceptionnellement
par l’assimilation totale, les droites identitaires ont sur l’avenir des institutions européennes des
opinions divergentes mais partagent cette spécificité (que l’on retrouve dans la Lega Nord, le
Vlaams Belang et le FPÖ) d’être favorables à une Europe des régions ou des ethnies. Enfin un
« populiste » croit en la capacité naturelle du peuple à déterminer ce qui est de son intérêt. Il en
résulte d’une part que ce peuple naturellement clairvoyant, est opposé aux élites – par nature et
intérêt dévoyées – et que la démocratie directe est préférée, comme système de gouvernement, à
la démocratie représentative. Si ces diverses caractéristiques ne sont pas établies, on peut parler
de « style populiste » mais certainement pas d’idéologie populiste.
Des conservateurs eurosceptiques aux néo-fascistes : une
dispersion des forces croissante
Ceci posé, tentons d’établir une typologie (non exhaustive) des droites qui se présentent à cette
élection et sont trop rapidement présentées comme faisant partie du grand magma eurosceptique,
populiste ou extrémiste de droite. Il en ressort que la définition de sous-familles de l’extrême
droite, comme d’ailleurs de la droite tout court, est devenue un exercice nettement plus compliqué
que lors des deux décennies écoulées.
L’éclatement des catégories classiques (libéraux, démocrates-chrétiens, conservateurs, extrême
droite nationaliste) ainsi que la mobilité des électeurs et la fin de la pilarisation des systèmes
politiques où celle-ci structurait le vote (Autriche, Pays-Bas, dans une certaine mesure Belgique)
ont produit une infinie palette de nuances que la question européenne complique encore.
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UKIP, Debout la République, Vox… Les conservateurs eurosceptiques
Ainsi la volonté de certains partis de voir leur pays quitter l’Union européenne n’est pas en
elle-même suffisante pour établir une quelconque « preuve » d’extrémisme. Les britanniques
de UKIP et les allemands d’Alternative pour l’Allemagne (AfD) sont issus respectivement du
parti conservateur et de la CDU-CSU, tout comme Debout la République (DLR) de la tradition
gaulliste. Les thèmes de la démocratie directe et de la critique des élites, de la maîtrise de
l’immigration, du renforcement de l’identité nationale, voire de la critique du multiculturalisme,
ont pu trouver un écho au sein de ces mouvements. Toutefois leur différence de nature avec la
droite extrême tient à leur histoire et à leurs propositions : réduire l’immigration de 50 % (hors
étudiants) comme le propose DLR n’équivaut pas, comme le veut le Front national, à la stopper
et à établir la priorité nationale dans notre droit, de même qu’abandonner l’euro (programme
de DLR et AfD) n’est pas synonyme de quitter l’Union européenne. Dans cette famille des
conservateurs eurosceptiques, on peut classer aussi les Luxembourgeois du Parti réformiste
d’alternative démocratique (ADR avec son slogan « Moins d’Europe, plus de Luxembourg ») ;
le nouveau parti espagnol Vox, dirigé par l’ancien élu du Partido Popular Alex Vidal-Quadras,
et le Partido da Nova Democracia, issu du PP portugais, tandis que les Grecs indépendants du
député Pannos Kamennos, exclu de Nouvelle Démocratie, constituent un cas limite entre le
national-conservatisme eurosceptique et la droite radicale.
NPD, British National Party, Aube dorée… Les partis néo-fascistes,
néo-nazis et racialistes
Commençons par le plus simple et le plus clair : les partis néo-fascistes, néo-nazis et racialistes.
Les 22 et 23 mars 2014 à Kirchheim en Allemagne, certains se sont retrouvés lors d’une conférence
intitulée « Vision Europa ». Outre l’organisateur, le NPD, y ont participé le British National Party
(BNP ; un eurodéputé), Aube dorée (Grèce), le Parti tchèque des travailleurs pour la justice sociale
(DSSS) et des groupuscules ne se présentant pas aux européennes (Svenskarnas parti de Suède ;
PNOS suisse ; les néo-fascistes italiens de Casa Pound ; quant aux Ukrainiens du parti Svoboda et
du groupe paramilitaire Pravyi Sektor, ils se sont vus refuser leur visa). On peut rattacher à cette
famille les Bulgares de Ataka, les chypriotes de ELAM (Front national du peuple, liste menée
par Mario Vassiliou) qui sont une déclinaison locale et panhellénique de Aube dorée et aussi le
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Parti du peuple-Notre Slovaquie, dont le dirigeant Marian Kotleba est depuis 2013 gouverneur
de la région de Banka Bystrica.
À l’exception de la Grèce et dans une mesure bien moindre de la Bulgarie, les extrêmes droites
radicales constituent un phénomène en voie de marginalisation. Voire présentent des candidatures
de témoignage dont le résultat sera inférieur à 1 % des voix : au Portugal avec le Parti national
rénovateur et en Espagne avec les différents groupes phalangistes nationaux-syndicalistes
(Phalange de la JONS ; la Falange-España en marcha), post-franquistes (Democracia Nacional),
carliste-traditionaliste catholique (Impulso social) ou nationaliste-révolutionnaire (Mouvement
social républicain). Pour ces groupes marginaux, les élections européennes sont une manière de
se compter et de gagner en visibilité.
Front national, FPÖ, Vlaams Belang… Les partis de l’Alliance
européenne pour la liberté
C’est précisément du passéisme, des références incapacitantes à l’extrême droite historique, du
racisme biologique et de l’antisémitisme que veulent se démarquer, dans un souci de normalisation,
les formations rassemblées au sein de l’Alliance européenne pour la liberté (AEL) dont le Front
national français fait partie. Les membres de l’AEL – FN français, FPÖ autrichien, Vlaams
Belang flamand, Démocrates suédois et PVV de Geert Wilders – forment l’ossature du futur
groupe parlementaire qui sera constitué au sein du nouveau Parlement. Surmédiatisé et sur-
interprété, l’enjeu de la création d’un groupe doit être ramené à sa proportion réelle : celle d’un
moyen d’obtenir les avantages matériels et financiers qui poussent, à chaque législature, les
partis nationaux-populistes à s’unir d’abord, quitte à se séparer ensuite. Et ce pour une raison
simple : la faible cohésion idéologique des partis nationalistes, évidemment moins homogène
que les libéraux, les chrétiens-démocrates, les sociaux-démocrates et la gauche alternative, qui
ont l’internationalisme ou du moins le supranationalisme inscrits dans leur ADN même. Le
futur groupe devra en outre, pour exister, répondre au critère de présence d’élus provenant de
sept pays membres. Ceci implique d’une part la présence en son sein de la Ligue du Nord et/
ou de Fratelli d’Italia, qui ont une position totalement différente sur le projet européen, ethniste
pour les premiers, nationaliste italien et unitariste pour les autres. Pour achever de compliquer
le scénario, le FN devra y accrocher au moins un élu d’un autre pays, probablement l’ancien
président lituanien Rolandas Paksas. Or si le parti Ordre et Justice qu’il représente aujourd’hui
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est incontestablement national-conservateur, Paksas est avant tout un caméléon politique, tour
à tour affilié au parti ex-communiste, puis à une formation chrétienne conservatrice et enfin à
un parti libéral.
On mesure ainsi la fragilité du futur regroupement dont Marine Le Pen souhaite être la figure
de proue. La présidente du FN est en plus dans une situation de double contrainte : d’une part
elle refuse toute alliance avec les formations radicales, d’autre part certains partis eurosceptiques
et/ou conservateurs nationalistes, jugeant que le passé frontiste « marque » irrémédiablement
cette formation, excluent de collaborer avec elle.
Dansk Folkeparti, Vrais Finnois, La Destra… Les partis proches
des Conservateurs et réformistes et de l’Europe de la liberté et de
la démocratie
Dans ce vaste espace entre l’Alliance européenne pour la liberté et la droite conservatrice, on
trouve de tout : les nationalistes anti-européens du Dansk Folkeparti (Danemark) ; les Vrais
Finnois (Finlande), plus critiques envers l’Eurozone qu’envers l’Union européenne proprement
dite et partisans d’une plus grande présence de l’État dans les domaines économiques et sociaux ;
les Italiens de La Destra, qui réussissent à concilier hommage au fasciste Giorgio Almirante et
appel à une « politique européenne économique, fiscale, étrangère et de défense commune » ; les
Belges francophones du Parti Populaire et ceux, ultralibéraux et anti-immigration, de La Droite ;
les nationalistes russophobes lettons de Tēvzemei un Brīvībai/LNNK et les ultra-nationalistes
croates du HSP-Ante Starcevic (Rusa Tomasic), les catholiques intégraux polonais de Solidarna
Polska et du Congrès de la Nouvelle Droite (KNP)... et bien d’autres listes encore. Toutes ces
formations ont fait le choix de s’arrimer soit au groupe des Conservateurs et réformistes européens
(celui des conservateurs britanniques) soit au groupe eurosceptique Europe de la liberté et de la
démocratie, où siège Philippe de Villiers. Ce qui est une preuve supplémentaire de la dispersion
croissante des forces de droite au détriment du PPE.
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La défense des valeurs de la société chrétienne : Force Vie, Christen
Unie…
On oublie d’ailleurs pratiquement toujours d’évoquer la participation à ce scrutin des petites
formations vouées prioritairement à la défense des valeurs traditionnelles de la société chrétienne,
en particulier la famille, la différence des genres et la vie allant de la conception à la mort naturelle.
Elles seront particulièrement nombreuses à concourir le 25 mai prochain. Force Vie, menée par
Christine Boutin, vient immédiatement à l’esprit. Il faut également mentionner la liste commune
des deux partis calvinistes néerlandais, Christen Unie et Staatkundig Gereformeerde Partij (SGP),
disposant déjà de deux sièges ; les Portugais de Pro Vida ; les Catholic Democrats irlandais menés
par Nora Bennis, les Allemands du Partei Bibeltreuer Christen. Il est d’ailleurs particulièrement
nouveau et méconnu que se soit constitué, avec certaines des formations susmentionnées, un
European Christian Political Movement (ECPM), qui a le statut de parti européen et peut espérer
compter sur quelques élus dans la nouvelle législature.
Ovnis politiques et droites radicales postmodernes
De ce panorama on retiendra trois enseignements. Le premier est que les vocables d’extrême
droite et d’eurosceptique deviennent des catégories trompeuses qui doivent être déconstruites
et remplacées par une cartographie plus fine, sauf à mal cibler les réponses que la gauche doit
apporter aux programmes des partis ici mentionnés et à s’arrêter à une condamnation morale de
moins en moins efficace en plus d’être intellectuellement biaisée. Le second est que le schéma
antérieur d’une droite européenne « mainstream » hégémonique électoralement et divisée entre
libéraux, d’une part, conservateurs et démocrates-chrétiens, d’autre part, est obsolète : la droite,
davantage encore que la gauche, a éclaté sur les questions de la souveraineté et de l’identité,
laissant un champ à des ovnis politiques trans-idéologiques (le mouvement Cinque Stelle de
Beppe Grillo) et aux droites radicales postmodernes qui combinent nationalisme, contestation
du mondialisme davantage encore que de la mondialisation, apologie de la démocratie directe et
anti-multiculturalisme. Enfin l’extrême droite traditionnelle devient un épiphénomène, y compris
en Europe orientale : ni le Parti national slovaque ni a fortiori Romania Mare ne sont assurés
de siéger dans le nouveau Parlement, la Ligue des familles polonaises étant morte depuis déjà
quelques années.
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