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Les stratégies post-lancement dans le
secteur des jeux vidéo
Comment amener de l’acquisition, de la rétention et de
la monétisation après la sortie d’un jeu
par Claire-Jeanne Magarshack
11177715
Sciences de la gestion
Option marketing
Projet supervisé présenté en vue de l’obtention
du grade de maîtrise ès sciences
(M. Sc.)
Décembre 2014
© Claire-Jeanne Magarshack, 2014
2
Remerciements
Un grand merci à Elliot Brindel pour son
aide avec la collecte de données.
Et à mes parents pour leur relecture
attentive et leur patience.
3
Table des matières
Introduction..................................................................................................................................... 4
Revue de littérature......................................................................................................................... 8
1. Marketing et internet............................................................................................................ 8
2. Gratuité sur internet ............................................................................................................. 9
3. Le modèle d’affaire free-to-play........................................................................................ 12
4. Acquisition, rétention et monétisation............................................................................... 14
4.1. Acquisition.................................................................................................................. 14
4.2. Rétention..................................................................................................................... 15
4.3. Monétisation............................................................................................................... 18
5. Argent réel et mondes virtuels........................................................................................... 19
6. Expérience.......................................................................................................................... 22
7. Communautés d’utilisateurs............................................................................................... 24
8. Co-création et contenu généré par les utilisateurs ............................................................. 27
Problématique et cadre conceptuel ............................................................................................... 32
Méthodologie................................................................................................................................ 33
Stratégie post-lancement : meilleures pratiques ........................................................................... 34
1. En termes d’expérience...................................................................................................... 34
1.1. Le contenu téléchargeable (Downloadable Content, DLC)........................................ 34
1.2. Le Game-to-web......................................................................................................... 39
2. En termes de gestion de la communauté............................................................................ 42
2.1. Canaux et média sociaux ............................................................................................ 42
2.2. Gestion des influenceurs............................................................................................. 43
2.3. CRM (Customer Relationship Management)............................................................. 43
3. En termes de co-création avec les joueurs ......................................................................... 45
3.1. Création de contenu.................................................................................................... 46
3.2. Partage de contenu...................................................................................................... 47
3.3. Inciter la création........................................................................................................ 49
4. Tableau récapitulatif : matrice ARM ................................................................................. 51
Modèle corrigé.............................................................................................................................. 53
Discussion et implications ............................................................................................................ 54
4
Limitations et avenues de recherche............................................................................................. 56
Bibliographie................................................................................................................................. 57
Annexes......................................................................................................................................... 64
Table des figures
Figure 1 : Jeux vidéo aux coûts de production les plus hauts depuis septembre 2013 (en millions
d’USD)………………………………………………………………………………………….....5
Figure 2 : Historique de la licence Call of Duty………………………………………………....10
Figure 3 : Revenus mondiaux du secteur du jeu vidéo en 2012 (en milliards d’USD)……….....11
Figure 4 : Vente de jeux d’ordinateur et de jeux vidéo aux États-Unis (format physique) en
milliards d’USD...…......…......…...………………………………………………………...........11
Figure 5 : Types de jeux vidéo joués au moins une fois par semaine aux États-Unis en 2013.....12
Figure 6 : Les trois piliers des stratégies de post-lancement et leurs liens avec acquisition,
rétention et monétisation………………………………………………………………………....32
Figure 7 : Valeur globale du marché vidéoludique de 2011 à 2018 par type de distribution (en
milliards d’USD)…………………………………………………………………………………35
Figure 8 : Le cercle vertueux rétention-monétisation…………………………………………....38
Figure 9 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à l’expérience de
jeu…………………………………………………………………………………………….......41
Figure 10 : Le processus de CRM………………………………………………………………44
Figure 11 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à la gestion de la
communauté…………………………………………………………………………………......45
Figure 12 : Les trois piliers de la création de contenu par les utilisateurs…………………….....46
Figure 13 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à l’UGC……..50
Figure 14 : Matrice ARM…………………………………………………………………..........51
Figure 15 : Les trois piliers des stratégies de post-lancement et leurs liens avec acquisition,
rétention et monétisation – corrigé…………………………………………………………........53
5
Introduction
Le cycle de vie des produits fait partie des stratégies critiques de gestion. Les jeux vidéo ne font
pas exception à cette règle, d’autant que leur durée de vie a tendance à augmenter. Le MMORPG
(Massively Multiplayer Online Role Playing Game) World of Warcraft a fêté ses dix ans en
2014, et le succès est toujours au rendez-vous. Le nombre d’abonnés au jeu en ligne était de 7,3
millions au quatrième trimestre 2014 (IGN). En septembre de cette même année, Activision
sortait l’une de ses plus grosses productions jamais réalisées : Destiny. Il s’avère que l’éditeur a
des ambitions similaires à ce que World of Warcraft a accompli, c’est-à-dire faire durer le jeu
pendant dix ans (Total Xbox). Cette volonté s’inscrit dans les tendances de consommation
actuelles : des joueurs de plus en plus connectés avides de mondes persistants et de jeu en
multijoueur, une nouvelle génération de consoles plus performantes à la connectivité accrue,
ainsi que des cycles de développement toujours plus longs et coûteux.
Figure 1: Jeux vidéo aux coûts de production les plus hauts depuis septembre 2013 (en millions d’USD)
6
Dans ce contexte, la gestion post-lancement, c’est-à-dire après la sortie du jeu, prend tout son
sens. Un jeu avec une durée de vie élevée est non-seulement un meilleur retour sur
investissement, mais aussi un testament à sa capacité d’attirer et retenir les joueurs. Cette
rétention est une source de valeur énorme pour la firme ; elle permet de construire une relation
forte et durable avec les joueurs et d’impacter positivement leur satisfaction et leur loyauté.
Finalement, plus les joueurs restent longtemps sur le jeu plus ils peuvent être monétisés,
apportant un flot de revenu régulier à l’entreprise.
Les jeux à modèle d’affaire free-to-play, c’est-à-dire freemium, ont été les pionniers des
stratégies post-lancement. La manière traditionnelle de vendre des jeux vidéo est très similaire à
la manière de vendre des films ; les trois-quarts des ventes sont effectuées pendant la première
semaine, et les prix sont drastiquement réduits après six à neuf mois d’exploitation dans le but de
pousser l’acquisition une dernière fois avant la sortie du prochain jeu. Le succès financier du
produit repose donc sur cette première semaine ainsi que sur les précommandes. Les jeux free-
to-play bouleversent ce paradigme. Étant gratuits, ils ne peuvent générer du revenu qu’une fois le
joueur acquis. Il est donc dans leur intérêt de le retenir le plus longtemps possible pour pouvoir le
monétiser. Pour cela, les stratégies utilisées reposent sur un certain nombre d’éléments ; les trois
qui ont été retenus pour cette étude sont l’expérience de jeu, la gestion de la communauté
d’utilisateurs et la co-création avec les joueurs.
La gestion post-lancement devient une question centrale pour tous les jeux, qu’ils soient free-to-
play ou pas. Les jeux triple A, c’est-à-dire à gros budget, commencent à adopter des stratégies de
free-to-play pour augmenter leur cycle de vie. Quelles sont alors les meilleures pratiques
d’acquisition, de rétention et de monétisation pour un produit vidéoludique, et comment tirer
profit de l’expérience de jeu, de la gestion de communauté et de la co-création avec les joueurs
pour accroître la durée de vie ? Perpétuer ce mix d’acquisition-rétention-monétisation sur le long
terme est très difficile et beaucoup d’entreprises doivent faire face à des échecs cuisants. Ce sont
là des problèmes cruciaux que les gestionnaires doivent affronter. Des mesures telles que la
création d’une expérience globale sur plusieurs canaux (jeu, site web, application mobile),
l’animation de la communauté des joueurs ou la canalisation de leur créativité pour le bénéfice
de la firme font partie des solutions. Afin de trouver plus d’éléments de réponses, une étude
7
exploratoire a été menée dans une grande entreprise d’édition de jeux vidéo. Les gestionnaires
sont confrontés au défi des évolutions des tendances de consommation des joueurs ; ils doivent
adapter leurs produits et leurs méthodes organisationnelles aux exigences du marché, et cela
passe par plus d’investissement dans les stratégies de post-lancement.
La problématique à laquelle cette recherche tente de répondre est la suivante : quelles sont les
meilleures pratiques de stratégie post-lancement en termes de capitalisation sur l’expérience de
jeu, de gestion de la communauté et de la co-création, et en quoi ces pratiques amènent-elles de
l’acquisition, de la rétention et de la monétisation ?
Cette problématique sera abordée en trois parties. En première partie, une revue de littérature
établira l’état de la recherche sur les thèmes abordés. Tout d’abord, les bouleversements
qu’internet a apporté aux pratiques du marketing et aux relations entre les firmes et leurs clients
seront explorés. Ensuite, l’impact de la culture de la gratuité sur internet sur les tendances de
consommation des produits de divertissement, y compris les jeux vidéo, sera exposé. Cela
donnera lieu à l’explication de concepts clés de cette étude : le trinôme acquisition, rétention et
monétisation, suivi de l’expérience, les communautés d’utilisateurs et la co-création. La seconde
partie présentera le cadre conceptuel et la méthodologie de cette recherche. Anxieux de
s’éduquer sur les meilleures pratiques de gestion de post-lancement, les gestionnaires de
l’entreprise hôte ont fait conduire de nombreuses études concurrentielles. Regroupant des jeux de
tous genres et horizons, ces études, véritables études de cas, ont servi de données secondaires
pour ce projet de recherche. Ces données ont été mises en forme et analysées afin de dégager les
standards de l’industrie en matière de stratégies post-lancement. Dans la dernière partie, ces
standards seront regroupés en meilleures pratiques et classés selon l’élément qu’ils permettent de
générer : de l’acquisition, de la rétention ou de la monétisation.
8
Revue de littérature
1. Marketing et internet
En facilitant la communication horizontale de consommateur à consommateur, internet a
révolutionné le marketing. Pendant des décennies, le flot d’information était unidirectionnel :
d’entreprise à client. Les contacts entre firme et consommateur passaient essentiellement par les
canaux de la firme, même s’il existait des associations de consommateur ayant un certain
pouvoir d’opposition. Toutefois, l’entreprise était la seule source d’information sur ses offres, et
pouvait très facilement la contrôler. L’arrivée d’internet a bouleversé cette donne. L’information
circule à présent entre les internautes. L’asymétrie d’information qui était de mise auparavant est
en voie de disparaitre.
Cela a bouleversé les méthodes de marketing et de communication des firmes. Dès 1996,
Hoffman et Novak remarquaient l’efficacité d’internet en tant qu’outil marketing. La recherche
de l’époque suggérait que le marketing direct par internet était un quart moins cher que par les
canaux traditionnels. Entre 1990 et 1995, Sun Microsystems innovait en mettant en ligne la
première FAQ (« Frequently Asked Questions »), économisant ainsi environ 4 millions de
dollars en processus d’information. En 1995, IBM publiait les résultats d’une étude déclarant que
les catalogues en ligne pouvait réduire jusqu’à 25% les temps de traitement des commandes et
les coûts des processus (Hoffman et Novak, 1996).
En 2013, le e-commerce en Europe représentait 363 milliards d’euros, dont 46% en services.
L’Europe recense aujourd’hui plus de 645 000 sites marchands dits « pure players », c'est-à-dire
qui n’effectuent leurs transactions qu’en ligne. Le chiffre d’affaires du e-commerce aux États-
Unis était quant à lui de 315 milliards d’euros en 2013. Le chiffre d’affaire global du e-
commerce, le nombre d’internautes y ayant recours ainsi que le panier moyen continuent
d’augmenter en 2014. Le montant moyen d’une transaction en ligne est maintenant d’environ 84
euros en France, contre 81 euros en 2013 (chiffres de la Fevad).
9
2. Gratuité sur internet
Internet facilite la communication de plusieurs à plusieurs. Le progrès technologique et l’arrivée
du Web 2.0 ont aussi permis la création et le partage de contenu entre les internautes. Alimentée
entre autres par la montée du piratage, une culture de la gratuité a vu le jour sur la toile. Les
industries culturelles telles que le film et de la musique ont été heurtées de plein fouet par ces
pratiques.
En 2011, un article paru dans le UCLA Journal of Law and Technology s’intéresse au problème
du téléchargement illégal de musique. La FIIP (Fédération Internationale de l’Industrie
Phonographique) publiait un rapport en 2010 signalant le déclin des ventes mondiales de
musique de 30% entre 2004 et 2009. D’après cette étude, 95% de la musique téléchargée sur
internet est piratée. Même si le contenu créé par l’industrie de la musique est chéri et désiré par
beaucoup, les consommateurs continueront de ne pas payer pour du contenu qu’ils peuvent
obtenir gratuitement. C’est là le cœur du problème. La forme intangible d’une œuvre digitale, le
manque de conviction morale uniforme sur le téléchargement (rarement perçu comme étant
« mal ») et l’idée que la musique est une ressource communale devant être partagée pour le bien
public, alimentent la culture de la gratuité sur le net (Rostami, 2011).
La musique n’est pas la plus durement touchée par ces pratiques. L’industrie du film, dont les
produits sont plus à usage unique, a beaucoup de mal à être compétitive face à du contenu gratuit
(Smith et Telang, 2009). Quantifier avec exactitude l’impact du piratage sur l’industrie
cinématographique en termes de pertes de revenus et d’emplois est très difficile à cause de la
nature illégale du phénomène. La communauté scientifique tente de trouver une solution depuis
plusieurs années. En 2006, l’industrie publiait un rapport basé sur une étude par l’Institute for
Policy Innovation, un groupe de réflexion basé au Texas, affirmant que le piratage de films
coûtait à l’économie américaine un total de 20,5 milliards de dollars par an. C’est cette étude qui
servit ensuite de socle pour l’écriture du Stop Online Piracy Act, ou SOPA. Sa méthodologie fut
challengée de nombreuses fois, et il est maintenant certain que les chiffres sont trop élevés et ne
reflètent pas la réalité (The Wall Street Journal). Cependant, le débat ne fait que justifier
l’ampleur de l’impact du piratage sur l’industrie cinématographique.
10
Internet a tendance à placer le contenu digital gratuit sur un
piédestal. La gratuité sur internet a progressé avec l’accessibilité
grandissante au net, et avec la facilité croissante de partager du
contenu. Tous les produits digitaux sont touchés, y compris les
jeux vidéo. Le contexte de l’industrie des jeux vidéo a beaucoup
changé en quelques années. Le jeu vidéo est aujourd’hui la
première industrie culturelle du monde, ainsi que la plus
rentable. Aux Etats Unis, les revenus du secteur en 2012
s’élevaient à environ 14,8 milliards de dollars, contre 10,8
milliards pour le cinéma et 7,1 milliards pour l’industrie
musicale. Le jeu Call of Duty : Black Ops 2 a rapporté 370
millions d’euros lors de sa première journée d’exploitation. C’est
le premier produit de divertissement, tous secteurs confondus, à
dépasser le milliard de dollars de recettes en quinze jours, battant
de deux jours le record établi par le film Avatar. Avec quatorze
jeux depuis 2003, le volume total des ventes de la licence Call of
Duty s’élève à 10 milliards de dollars et surpasse les recettes des
licences Harry Potter et Star Wars.
La dématérialisation galopante des jeux vidéo en font un contenu digital très attractif, adapté aux
tendances de consommation. Durant la GDC (Game Developer Conference) 2013, des analystes
de NPD, iResearch et Digi-Capital ont présenté les performances du secteur. Les ventes de jeux
digitaux et de contenu téléchargeable augmentent à un rythme de 33% par an aux États-Unis et
en Europe. Les dépenses de jeux en Chine, pratiquement entièrement digitaux, pourraient
augmenter selon les prévisions de plus de 10% annuellement pendant les trois prochaines années.
Il est également prévu que l’Asie soit le plus gros marché mondial de jeux en ligne d’ici 2016.
Les États-Unis, l’Angleterre, la France et l’Allemagne représentent à eux-seuls 10 milliards de
dollars en ventes de jeux digitaux en 2012. Aux États-Unis, le contenu digital représente
maintenant 49% des dépenses totales en jeux vidéo, par rapport à 28% en 2010 (chiffres de
gamesindustry.biz).
Figure 2: Historique de la licence Call of Duty
11
Pour la première fois en 2012, les revenus de jeux physiques aux États-Unis étaient inférieurs
aux revenus combinés d’autres formats (cf. Figure 1).
Figure 3: Revenus mondiaux du secteur du jeu vidéo en 2012 (en milliards d’USD)
Figure 4: Ventes de jeux d’ordinateur et de jeux vidéo aux États-Unis (format physique) en milliards d’USD
12
3. Le modèle d’affaire free-to-play
La croissance des revenus des formats dématérialisés est alimentée par un modèle d’affaire très
populaire dans les jeux digitaux, car adapté à la culture de la gratuité sur internet : le free-to-play.
Un free-to-play est un jeu vidéo digital freemium : le joueur a accès à la majeure partie du
contenu sans payer, et le jeu est monétisé en vendant du contenu virtuel contre de l’argent réel.
Ce modèle d’affaire a entraîné une véritable redéfinition du marché. Maintenant, les joueurs sont
libres d’essayer une multitude de jeux sans dépenser le moindre sou. Cela constitue une rupture
par rapport à ce qui était la norme auparavant : des jeux seulement disponibles après achat ou par
abonnement. Une grande variété de jeux est désormais accessible sans aucun coût de transaction
et on assiste à un changement dans le comportement des joueurs, qui essayent de plus en plus de
jeux en même temps.
Figure 5: Types de jeux vidéo joués au moins une fois par semaine aux États-Unis en 2013
Le phénomène du free-to-play s’est abattu rapidement et brutalement sur le secteur du jeu vidéo,
à tel point que de nombreux éditeurs ont dû opérer un changement de modèle d’affaire en cours
13
de route. Des entreprises inexpérimentées ont dû soudainement faire face au défi de
la monétisation. Changer de gratuit à gratuit et payant pour tout produit ou service représente un
challenge pour les gestionnaires, en particulier lorsque les consommateurs ont de nombreuses
alternatives. Dans un sens général, les fournisseurs de contenu qui se déplacent de la gratuité
vers des contenus payants prennent deux décisions stratégiques: la décision des restrictions
d’usage et la détermination du prix. La décision au niveau de la restriction est la mesure dans
laquelle un contenu auparavant gratuit devient payant pour les utilisateurs (c'est-à-dire, la plupart
du contenu demeure gratuit, à l'exception de quelques sélections). Souvent, une partie
suffisamment conséquente du contenu reste gratuit, résultant en une combinaison d'utilisateurs
gratuits et payants (Pauwels et Weiss 2008). Tel est le cas dans les jeux free-to-play, et c’est là
l’un des défis de ce modèle : la vaste majorité des utilisateurs de paie rien, et la monétisation ne
repose que sur une petite partie des joueurs. Ainsi, la courbe de revenu d’un jeu freemium
ressemble typiquement à une courbe de la longue-traîne. Si pour une raison quelconque le jeu
venait à perdre ces utilisateurs payants, sa survie serait en danger.
L’étude de Pauwels et Weiss donne des pistes sur les meilleures pratiques permettant d’opérer la
transition de modèle gratuit à gratuit et payant (freemium) dans les meilleures conditions. Tout
d’abord, l’entreprise doit déjà avoir un produit exemplaire avec une proposition de valeur forte,
et une base d’utilisateurs nombreux et loyaux. À l’issue de la transition, les utilisateurs payants
doivent compenser les coûts engendrés par les utilisateurs gratuits, et ce malgré la culture de la
gratuité sur internet expliquée précédemment. Pour arriver à cet équilibre, plusieurs facteurs
entrent en jeu durant la transition. Premièrement, les actions marketing. L’entreprise de doit pas
être conservatrice en investissements marketing au moment de cette transition. Il est essentiel
que les utilisateurs soient tenus au courant des tenants et aboutissants de ce changement (raison,
prix, calendrier, etc). Ces actions peuvent prendre la forme d’envois d’infolettres, de campagnes
de publicité AdWords, utilisation de réseaux d’affiliés, etc. Dans le cas étudié par Pauwels et
Weiss, l’entreprise avec la transition la plus réussie avait envoyé un total de 30 infolettres
différentes à ses clients. Le second facteur ayant un impact majeur sur le succès de la transition
gratuit-payant est le timing. En effet, la base d’utilisateurs du produit en question doit avoir
plafonné. C’est là le meilleur moment pour passer à un freemium.
14
À ce sujet, la recherche enseigne que le contexte est essentiel dans le choix du modèle d’affaire.
Quand la croissance des utilisateurs d’un produit digital est forte et organique, un financement
par la publicité est la meilleure réponse, celle qui mènera aux meilleurs résultats et la meilleure
satisfaction. À partir du moment où cette croissance a plafonné, le modèle le plus adapté devient
le freemium (Pauwels et Weiss 2008).
4. Acquisition, rétention et monétisation
Comme pour tous les produits freemium, les défis posés par les jeux free-to-play sont
l’acquisition d’utilisateurs, payante ou organique, la rétention et la monétisation. D’ailleurs, les
gestionnaires appellent souvent ces trois éléments « la trinité », tant ils sont déterminants dans le
succès ou l’échec du produit.
4.1. Acquisition
L’acquisition d’utilisateurs, ou de consommateurs, est un sujet de marketing critique dans tous
les secteurs. Pendant longtemps, la recherche a approché la question sous l’angle de la
satisfaction client et la de valeur perçue de la qualité de service, afin de comprendre la façon dont
les jugements sont formés. La satisfaction est définie comme l’évaluation globale de la
performance d’une offre par un client (Johnson et Fornell 1991). Cette satisfaction globale a un
fort effet positif sur les intentions de loyauté du client à travers un large éventail de catégories de
produits et services (Fornell 1992, Fornell et al. 1996). Puisque l’évaluation globale se construit
sur la durée, la satisfaction est typiquement un médiateur des effets de la qualité des produits et
services et de l’équité des prix sur la loyauté (Bolton et Lemon 1999, Fornell et al. 1996). Elle
contient également une composante affective importante, engendrée par l’usage répété du produit
ou service (Oliver 1999). Dans un contexte de service, la satisfaction globale est similaire à
l’évaluation de la qualité de service. Comparé à des mesures de performances basées sur une
seule transaction, l’évaluation globale a de meilleures chances d’influencer les bons
comportements de consommateurs, tels que le bouche-à-oreille positif et le rachat (Boulding et
al. 1993).
15
Au fil des années, l’attention des chercheurs s’est déplacée pour se concentrer sur le retour sur
investissements de la qualité de service et de la satisfaction. Ce courant a donné naissance à
plusieurs modèles conceptuels et études empiriques tentant de quantifier l’impact économique de
ces deux variables sur revenus et profitabilité. Par exemple, la chaîne satisfaction-profit
(Anderson et Mittal 2002), ou encore la chaine service-profit (Heskette et al. 1994, Kamakura et
al. 2002). Un de ces modèles établit le lien de cause à effet qui relie l’acquisition à l’un de ses
antécédents les plus forts : le bouche-à-oreille. Wangenheim et Bayón effectuent deux études
empiriques, l’une dans un contexte B2B et l’autre B2C. Dans les deux cas, ils établissent le lien
entre satisfaction client et le bouche-à-oreille, ainsi que le lien entre bouche à oreille et
l’acquisition de nouveaux clients. Cette étude a permis de rajouter le bouche à oreille comme
antécédent à l’acquisition, aux côtés de la qualité et de la satisfaction (Wangenheim et Bayón
2007).
4.2. Rétention
Les chercheurs en marketing et gestionnaires comprennent bien l’importance cruciale de la
satisfaction et de la loyauté sur la profitabilité (Fornell et al. 1996, Mittal et Kamakura 2001). En
effet, des clients loyaux et satisfaits sont moins sensibles aux prix, et sont plus prompts à
pardonner les erreurs si celles-ci sont justifiées (Homburg, Hoyer et Koschate 2005). La loyauté
est souvent interprétée comme de la rétention réelle, pilier des pratiques de CRM (« Customer
Relationship Management »).
La recherche identifie trois principaux antécédents à la rétention : la satisfaction, l’engagement
ainsi que des déclencheurs situationnels et réactionnels. L’efficacité des stratégies de CRM varie
considérablement selon lequel de ces facteurs actionne la rétention. Si la satisfaction client est le
principal inducteur de rétention, l’entreprise devrait améliorer sa qualité de produit ou proposer
de meilleurs prix. Si l’engagement est la dimension la plus importante, l’entreprise devrait soit
développer des relations plus directes avec ses clients, soit mettre en place des barrières au
changement de fournisseur. Par exemple, certains opérateurs téléphoniques rendent la rupture de
16
contrat très complexe pour le client, de manière à décourager les départs. Et encore, ces
stratégies peuvent dépendre des conditions de déclenchement auxquelles le consommateur est
confronté lors de la prise de décision (Gustafsson, Johnson et Roos 2005). La rétention optimale
est un sujet complexe pour les gestionnaires, et la détermination de la bonne stratégie se fait
souvent au cas-par-cas.
Le concept de satisfaction client a été expliqué précédemment. Le second antécédent à la
rétention identifié par la recherche est l’engagement dans la relation firme-client (Bendapudi et
Berry 1997, Morgan et Hunt 1994). S’inspirant de la littérature en recherche organisationnelle
(Meyer et Allen 1997), les chercheurs en marketing ont défini l’engagement de plusieurs
manières : le désir de maintenir une relation (Moorman, Deshpandé et Zaltman 1993, Morgan et
Hunt 1994), la promesse de la continuité de la relation entre les parties (Dwyer, Schurr et Oh
1987), un sacrifice ou un sacrifice potentiel en cas de fin de la relation (Anderson et Weitz
1992), et l’absence d’offres compétitives (Gundlach, Achrol et Mentzer 1995). Ces sources
diverses se complètent pour créer de « l’adhérence », qui assure la loyauté des clients à une
marque, même quand la satisfaction est basse. L’engagement possède plusieurs dimensions.
L’engagement affectif capture véritablement la confiance et la réciprocité dans la relation.
L’engagement calculateur en revanche, illustre la compétitivité de l’offre de la firme par rapport
à ses concurrents (Gustafsson, Johnson et Roos, 2005).
Le troisième antécédent est plus nébuleux : il s’agit des déclencheurs situationnels et réactionnels
auxquels le consommateur est soumis au moment de former son jugement. De manière générale,
un déclencheur est un facteur ou un événement qui change la nature d’une relation (Roos,
Edvardsson et Gustafsson 2004). Les déclencheurs situationnels altèrent le jugement d’une offre
par un client selon des événements affectant le cours de sa vie à ce moment. Par exemple, des
bouleversements familiaux, un changement de situation professionnelle, etc. D’une certaine
manière, le produit ne reflète plus les besoins du client. Les déclencheurs réactionnels sont des
incidents critiques de détérioration des performances perçues. Quand quelque chose d’inattendu
advient, comme un bris, ou un défaut de qualité exceptionnel avant, pendant ou après achat et
pendant la consommation, cela redirige l’attention du consommateur vers l’évaluation plus
attentive du présent, ce qui peut amorcer le processus de transfert vers un concurrent. Par
17
exemple, Bolton (1998) découvre que les échecs de service non déclarés ont un effet négatif
important sur la rétention.
Ce sont là les trois antécédents principaux à la rétention. Une étude publiée en 2005 dans le
Journal of Marketing apporte des clarifications sur les interactions entre ces trois variables dans
un contexte de services d’opérateur téléphonique. Ces découvertes sont notoires car applicables à
de nombreux secteurs. Ainsi, la satisfaction client mesurée en tant que mesure globale de la
performance de service, est un bon prédicteur de la rétention. Une autre découverte est l’effet de
l’engagement calculateur, qui a un impact positif significatif sur la rétention. Enfin, l’étude met
en lumière les effets inédits de la rétention (ou du désengagement) passée sur la rétention future.
Ainsi, la satisfaction a plus d’influence sur les clients enclins à rester chez le même fournisseur
(Gustafsson, Johnson et Roos, 2005).
Ces découvertes ont plusieurs implications pour les stratégies de CRM, couramment déployées
par les entreprises pour renforcer la rétention. Les gestionnaires devraient inclure à la fois les
évaluations globales de performance (la satisfaction client) et de la viabilité des offres
concurrentes (l’engagement calculateur) dans les sondages périodiques effectués pour prévoir la
rétention. Alors que la satisfaction client est communément incluse dans ces sondages,
l’engagement calculateur en est souvent absent. Mesurer l’engagement calculateur des clients
aide à capturer l’élément compétitif, décisif dans la détermination de la rétention. Les actions
entreprises par les gestionnaires en CRM dépendent du facteur ayant le plus d’influence sur le
désengagement. Si la satisfaction est le facteur principal, l’effort devrait se concentrer sur
l’amélioration de la satisfaction, que les concurrents fassent de même ou pas. Par contraste, si
l’engagement calculateur est le facteur principal, l’emphase devrait être sur le renforcement des
aspects de la proposition de valeur qui sont uniques à la firme. En d’autres termes, l’engagement
calculateur force les gestionnaires à penser au-delà de l’amélioration de la satisfaction seule et à
mieux réfléchir à leur avantage compétitif.
Dernier argument d’importance pour les gestionnaires : le besoin de contrôler l’hétérogénéité
dans la relation satisfaction-rétention. L’étude offre une solution assez simple : inclure le
désengagement passé dans l’analyse. Cela permet aux gestionnaires de comprendre les effets de
18
la satisfaction et de l’engagement sur la rétention, au-delà des différences de propension
intrinsèque à changer de fournisseur. Non seulement certains clients sont naturellement
prédisposés à quitter leur fournisseur de service, mais d’autres sont aussi plus sensibles aux
changements de satisfaction. En identifiant quels clients ont une propension à rester et répondre
aux efforts de renforcement de la satisfaction, les gestionnaires peuvent augmenter leur retour sur
investissement (Gustafsson, Johnson et Roos, 2005).
Cette étude a été réalisée dans un contexte de services de télécommunication. Avec la
dématérialisation, les jeux vidéo sont aujourd’hui plus proches du service que du produit
tangible. On est donc en mesure de supposer raisonnablement que ces résultats sont aussi
valables pour le secteur vidéoludique, même si les études manquent encore à ce sujet.
4.3. Monétisation
Historiquement, l’étude de la monétisation au sens large est associée à l’étude de l’argent et des
échanges. Les échanges incluant de l’argent son dits « monétisés ». Le sujet a été étudié au
moins depuis Aristote (Mielke 2000). Dans cette étude en revanche, la monétisation fait
référence à la génération de revenus par un produit digital freemium, en l’occurrence un jeu
vidéo free-to-play. Comme expliqué auparavant, ces jeux proposent au joueur des biens virtuels
contre des sommes incrémentales d’argent réel. C’est le système des microtransactions.
Les microtransactions ont le vent en poupe. PlaySpan, une entreprise de solutions de
monétisation pour produits digitaux, publiait un rapport sur la consommation de biens virtuels en
2012. L’étude montre que les américains ont acheté pour plus de 2,3 milliards de dollars de biens
virtuels en 2011. Cela fait environ 64 dollars dépensés par joueur au cours de cette année.
Globalement, deux fois plus de personnes achetaient des biens virtuels en 2012 qu’en 2009, en
dépensant 28% de plus qu’auparavant (Business Wire). Tout indique que cette tendance continue
de s’affirmer aujourd’hui. La monétisation était un sujet vivement discuté pendant les GDC
(Game Developers Conference) 2013 et 2014, (Digital Rivers Monetization Conference).
19
Alors que les stratégies d’acquisition-rétention-monétisation de jeux et produits de
divertissement digitaux ont toute l’attention de la communauté des gestionnaires, la littérature de
gestion commence tout juste à s’intéresser au sujet. Ces questions sont pourtant critiques pour les
firmes, toujours plus nombreuses dans une industrie dont la croissance ne montre que peu de
signes de fatigue. Récemment, même des jeux vidéos dits « AAA », c'est-à-dire à très gros
budget (l’équivalant des blockbusters hollywoodiens, vendus de manière similaire) commencent
à introduire des mécanismes de microtransactions dans leur gameplay. Ainsi, le dernier jeu de la
licence à succès Assassin’s Creed propose des objets virtuels contre de l’argent réel. C’est une
première ; jusque-là les microtransactions étaient l’apanage des jeux free-to-play à petit budget.
Cette tendance souligne le potentiel de ce modèle d’affaire.
5. Argent réel et mondes virtuels
Le principal défi du modèle d’affaire des microtransactions dans les jeux vidéos est l’échange
d’argent bien réel contre des objets virtuels, objets qui n’existent que dans le jeu. Ces objets ont
nécessairement une durée de vie très limitée, que ce soit par design ou parce qu’ils dépendent de
la durée de vie du jeu, et une utilité cantonnée à un univers virtuel. Ce concept a piqué l’intérêt
de la communauté scientifique, et la recherche a produit un certain nombre de travaux sur le
sujet.
Comme vu précédemment, des actifs de jeu tels que des personnages, des devises virtuelles ou
des objets sont de plus en plus échangés pour de l'argent réel. Cette pratique a vu le jour au début
des années 2000, au lancement des premiers jeux de rôles massivement multijoueurs, tels que
Dark Age of Camelot ou Everquest. Une économie parallèle s’est développée, où les joueurs
vendaient et achetaient des actifs de jeu pour de l’argent réel en dehors des règles du jeu. Les
opérateurs de jeu ont réagi de diverses manières à cette tendance: certains ont essayé de limiter le
commerce, tandis que d'autres l'ont encouragé. La littérature propose d’ailleurs une classification
des structures de marché associant l'ensemble des stratégies à la disposition de l'opérateur de jeu
pour faire face à l'argent réel en échange d'actifs virtuel (Ledhonvirta, 2008).
20
Par la suite, dans certains jeux en ligne, le commerce de l'argent réel («Real Money Trade ») fut
intégré dans la conception. Sulake, l'exploitant du populaire MMOG (Massively Multiplayer
Online Game) Habbo Hôtel, interdit ainsi aux joueurs de négocier entre eux, mais leur vend des
objets virtuels contre de l’argent réel. MindArk, opérateur du jeu virtuel Entropia, cherche à
intégrer l'économie virtuelle avec l'économie réelle en garantissant un taux de change fixe de dix
dollars Project Entropia pour un dollar réel. Récemment, Electronic Arts et Sony Online
Entertainment ont suivi ce modèle : EA offre des éléments et attributs avatar à vendre, tandis que
SOE fournit un marché sécuritaire pour les transactions de joueur à joueur.
Les chercheurs en psychologie se sont penchés sur la question de la motivation à l’achat de biens
virtuels contre de l’argent réel. Ainsi, les scientifiques Guo et Barnes proposent un modèle
conceptuel du comportement d’achat des joueurs dans un contexte de monde virtuel. Testé
empiriquement, ce modèle identifie la personnalisation et la réalisation comme étant deux
grandes motivations des joueurs à l’achat de biens virtuels (Guo et Barnes 2007). La
personnalisation représente le désir de personnaliser son expérience de jeu afin de la rendre
unique. Des objets qui y correspondent sont par exemple des vêtements et accessoires pour
l’avatar du joueur. La réalisation capture le progrès dans le jeu et la performance du joueur. Des
articles rendant le personnage plus fort ou plus rapide apportent une réponse à ce besoin.
La recherche récente apporte des ajustements à ce modèle. Une étude effectuée en 2012
découvre ainsi que la personnalisation est un antécédent plus puissant à la satisfaction des
joueurs et à la valeur perçue des objets virtuels à long terme. L’explication avancée est que les
objets purement cosmétiques n’impactent pas l’équilibrage du jeu, contrairement aux objets qui
confèrent des bonus aux joueurs. Les jeux n’employant pas ces derniers ont à terme une
meilleure stabilité entre les joueurs, dont les performances en jeu ne dépendent plus que du
mérite, et non pas de la quantité d’objets achetés (Byoungsoo 2012). À noter que cette étude a
été effectuée dans un contexte de jeu en ligne persistant, proposant un gameplay coopératif et
compétitif.
MacInnes (2004; 2005) a étudié le commerce de l’argent réel (« Real Money Trade » ou RMT)
du point de vue de l'opérateur de jeu. Cette perspective a un intérêt pratique, mais peu de choses
21
ont été écrites jusqu'à présent. MacInnes décrit les défis que constituent les marchés secondaires,
c'est-à-dire opérés par les joueurs en dehors des règles du jeu, pour les modèles d'affaires actuels.
Son conseil est de s'ajuster et de s'adapter à cet environnement changeant. En revanche, Bartle
(2004) conseille aux opérateurs de s'opposer activement à ce modèle d’affaires RMT. Il identifie
un grand nombre d’écueils avec le commerce d'actifs virtuels, tels que la distorsion de l’équilibre
de jeu. Il conclut que le RMT est mauvais pour les affaires de l'opérateur.
Les années semblent avoir donné tort à Bartle. Le RMT est maintenant implanté dans une
multitude de jeux, et représente l’un des segments les plus profitables du marché. La différence
est que maintenant, le jeu lui-même se présente comme le fournisseur principal de contenu,
court-circuitant les transactions entre joueurs. Il est intéressant d’ailleurs d’étudier de commerce
virtuel, en apparence très restrictif, sous une perspective économique classique. Le pouvoir des
éditeurs devient évident dans ces économies virtuelles, sur la valeur et la perception de valeur
des biens. Si ceux-ci modifient les règles du jeu, le prix des objets virtuels en sera inévitablement
affecté. Par exemple, la modification de la quantité d’un objet donné dans le jeu, ou en d’autres
termes l’altération de l’offre, aura des conséquences sur la valeur de cet objet. Cela confère à la
firme un contrôle absolu sur l’économie virtuelle de son jeu (Hildebrand et Majchrzak, 2014).
La flexibilité du RMT semble avoir trouvé écho avec les comportements des consommateurs, qui
plébiscitent la possibilité de mettre la somme d’argent qu’ils veulent dans un jeu, au lieu de
payer un prix fixe. En revanche, trouver le mix parfait acquisition-rétention-monétisation pour un
jeu possédant des mécaniques de free-to-play tient toujours de la gageure, et de nombreuses
firmes s’y cassent les dents. Les success-stories incroyables de quelques start-ups telles que
Kabam ou Supercell éclipsent les innombrables autres ayant dû déposer le bilan faute de revenus
suffisants. Cette problématique se complexifie encore quand on y rajoute des variables telles que
l’expérience de jeu, les communautés d’utilisateurs ainsi que la co-création de contenu.
22
6. Expérience
L’expérience de jeu est déterminante dans la rétention des joueurs ainsi que la monétisation. Elle
fait partie intégrante de la proposition de valeur du jeu. Plus encore, la proposition de valeur
toute entière d’un service tel qu’un jeu vidéo repose sur le design d’une expérience (Bitner,
Ostrom et Morgan, 2008).
De manière générale, une expérience peut être définie par une sensation forte et/ou agréable, ou
l’apprentissage d’une connaissance. Il s’agit d’un événement mémorable et/ou transformationnel.
Elle est également holistique ; elle commence avant l’événement et continue après qu’il ait pris
fin (Schmitt 1999). Lemke, Clark et Wilson définissent l’expérience client comme la réponse
subjective du consommateur à une rencontre holistique, directe et indirecte avec la firme
(Lemke, Clark et Wilson, 2011). La question de l’expérience est cruciale pour les services ; il
existe même un courant de pensée selon lequel tout est service, et chaque produit est le vecteur
d’une expérience (« Service Dominant Logic », Vargo et Lusch 2004).
La littérature de marketing des services est riche sur l’expérience. L’expérience est une source de
différenciation et de valeur, que ce soit pour un produit ou un service. Grâce à l’expérience, un
consommateur développe un attachement émotionnel envers la firme, ce qui en fait un fort
antécédent à la satisfaction et à la loyauté. L’expérience est plus large que le service, et est même
le résultat d’une co-création entre le client et la firme. En effet, le client va tirer une valeur bien
subjective et personnelle de son expérience globale avec une entreprise. Cette valeur varie selon
les personnes et dépend de leurs objectifs personnels. C’est le concept de « value-in-use », ou
valeur d’usage (Macdonald et al. 2009)
La recherche en comportement du consommateur a produit des études sur les expériences client
sur internet, et notamment celles capables d’induire un état mental optimal, le « flow ».
(Hoffman et Novak, 1996). Des données empiriques permettent d’affirmer que l’état de flow
permet d’attirer les consommateurs, réduire la sensibilité au prix, et influencer positivement les
attitudes et les comportements ultérieurs (Novak, Hoffman et Yung 2000). La littérature définit
le flow comme un état de motivation optimal. Cet état est atteint lorsque les défis posés par
23
l’environnement et les compétences de l’individu sont en équilibre et au-dessus d’un seuil
critique. L’équilibre entre les compétences et les défis se reflète dans un modèle de flow à quatre
canaux qui identifie quatre états d’esprit : l’ennui, l’apathie, l’anxiété et l’état optimal, le flow
(Mathwick et Rigdon, 2004).
L'expérience en ligne crée une source identifiable de valeur qui est positivement associée au
web. La perception du jeu est très sensible aux changements de l'équilibre entre le défi de
navigation et les compétences de recherche sur Internet, et cet effet est influencé par la
participation du produit. Le flow est particulièrement pertinent dans un contexte de jeu vidéo. En
effet, l’objectif premier des mécaniques de jeu est d’induire cet état optimal afin de happer le
joueur, de lui faire perdre la notion du temps quand il joue, et l’inciter à revenir. Le jeu perçu
constitue l’essence même de la proposition de valeur d’un jeu. C’est là-dessus que repose la
qualité de l’expérience de jeu pour tous jeux confondus. C’est également un facteur critique de
rétention ; un joueur en état de flow perd la notion du temps, et est plus susceptible de rester plus
longtemps dans le jeu. Il a même été prouvé que le flow induit par les jeux vidéo renforce les
processus de mémorisation et améliore les capacités d’apprentissage (Lai et al. 2013).
Certains gestionnaires avancent même l’argument qu’aujourd’hui, il est plus pertinent de
considérer un jeu comme une expérience utilisateur dans le design de la stratégie marketing et
commerciale. Dans cette optique, la firme doit continuer de supporter le jeu après sa sortie afin
d’entretenir, et d’optimiser cette expérience. En 2009, la revue managériale Advertising Age
publiait un article soutenant cet argument. En effet, les manières de délivrer du contenu
vidéoludique n’ont cessé de se diversifier : contenu téléchargeable, packs d’expansion, jeu en
ligne et sur mobile, et la liste est encore longue. Cela offre aux consommateurs une combinaison
irrésistible de choix, de commodité et de prix bas, afin que tous puissent trouver satisfaction.
L’article cite le directeur d’une firme de consultation spécialisée dans les services
technologiques ; d’après lui, le secteur des jeux vidéo est en train de devenir une industrie basée
sur les relations entre les joueurs et les fournisseurs de contenu. Les jeux deviennent des
services, et ces relations perdurent après la sortie du titre par les mises à jour et le dialogue entre
les développeurs et la communauté. Les formats de jeux n’ont cessé de se diversifier ; de la
grosse production à 60 dollars au free-to-play, il existe une multitude de façons de consommer
24
un jeu. Les méthodes marketing des compagnies s’adaptent en fonction de ces changements.
Malgré la complexification des processus, cette tendance permet aux firmes de se rapprocher de
leur audience et d’approfondir la relation avec les joueurs (Snyder, 2009).
7. Communautés d’utilisateurs
Le rôle des communautés d’utilisateurs prend une place de plus en plus importante dans le
secteur des jeux vidéo. Internet 2.0 a donné les outils aux joueurs pour se retrouver en ligne,
partager sur leurs jeux préférés et renforcer le sentiment de communauté. Des plateformes en
ligne telles que Youtube ou Twitch deviennent des lieux privilégiés où les joueurs créent le
dialogue autour du jeu. Les développeurs et éditeurs mettent en ligne des forums dédiés à tel ou
tel jeu pour entamer la conversation avec leurs fans. Dans le marketing moderne il est primordial
de comprendre les « brand communities » car ce sont les acteurs de ces brand communities qui
sont à l’origine du processus de co-création notamment dans le domaine des jeux vidéo.
La brand community, ou communauté de marque, ne peut se définir comme une simple relation
des membres à la marque ou à un service, mais véritablement comme un rapport par la marque.
Les membres ont certes un lien très fort à la marque en tant que membre de la communauté mais
ils développent avant tout un lien très fort entre eux. Les membres de cette communauté ont
l’impression de se connaître bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés. Bender (1978) théorise
cette pensée par le concept de « we-ness ». Les membres d’une communauté de marque ne se
définissent pas seulement par rapport à la marque elle-même mais par opposition à un style de
vie. Cette adhésion à une communauté de marque permet de signifier une différence par rapport
à un mode de vie. L’unité de la communauté de marque est d’autant plus forte que l’ennemi est
détesté. Les rites et traditions au sein d’une communauté de marque sont un facteur de la vitalité
de celle-ci. Ces rites et traditions permettent de donner un sens à cette communauté et sont un
outil de transmission de cette culture. Une hiérarchie implicite et explicite se forme au sein d’une
communauté de marque. Différents marqueurs permettent de distinguer les « true believers » des
personnes plus opportunistes vis-à-vis de la marque. Ainsi les « true believers » vont avoir une
25
connaissance plus approfondie de l’histoire de la marque, c’est un véritable capital culturel qui
démontre une réelle expertise, un engagement plus profond au sein de la communauté.
L’appartenance à une communauté de marque a trois fonctions principales : (i) elle confère aux
membres une position plus importante du fait de la dimension collective de la brand community
et des nouvelles formes de communication, (ii) elle constitue une source d’informations pour les
membres et (iii) fournit un bénéfice social. Les concepts de communauté de marque et
communauté virtuelle se chevauchent, mais ne sont pas synonymes. Les communautés de
marque sont souvent soutenues par internet, mais le concept est plus large et inclut toutes les
personnes se sentant connectées à la marque, en ligne ou hors-ligne. Par contraste, les
communautés virtuelles n’existent par définition que dans le monde virtuel.
Une communauté de marque est constituée d’un ensemble d’individus. Il est intéressant de
connaître les motivations qui poussent les individus à rejoindre une communauté de marque et
ainsi à s’engager dans une certaine relation à celle-ci. La « passion brand » des consommateurs
pour une marque se traduit par des connaissances et compétences spécifiques (Füller 2007). Par
conséquent une marque a un intérêt particulier à intégrer ses consommateurs dans le processus
d’innovation. Cependant les membres d’une communauté de marque, bien qu’ils aient acquis de
nombreuses expériences et connaissances de la marque, ne sont pas forcément enclins à partager
leurs informations avec la marque et les autres utilisateurs. C’est en effet leur intérêt pour
l’innovation et leur personnalité plus « créative » qui provoquent un engagement. La personnalité
des consommateurs est un facteur considérable dans leur volonté de s’engager dans le processus
d’innovation. Ainsi les gens « extravertis » et « ouverts » qui ont des connaissances plus
profondes, une passion plus ancrée, ont de la sorte une volonté plus importante de participer au
processus de création.
Les membres d’une communauté de marque veulent obtenir des informations sur les produits et
services de celles-ci. Les plateformes de discussion sont pour eux un moyen d’accès qui leur
permet de répondre de manière efficace à cette attente. En effet, les membres énumèrent leurs
expériences avec le produit ou service et permettent ainsi de réduire l’incertitude de leurs
contemporains vis-à-vis de ce produit. De même, la communauté de marque est un terrain
26
d’expression des membres. Les consommateurs à travers la communauté de marque peuvent
exprimer leurs implications vis-à-vis du produit et ainsi démontrer l’intensité de leur engagement
vis-à-vis du produit (Lim 2003); il ne s’agit pas seulement d’expliquer le simple acte d’achat
mais de prolonger véritablement leur expérience relative aux produits. De plus, et c’est très
intéressant dans le cadre des jeux vidéo, certains produits peuvent être préférablement
consommés collectivement (Marmolo 1999). Ainsi les créateurs de la licence FIFA ont intégré
un mode de jeux qui permet de créer une ligue avec ses amis afin de pouvoir jouer en ligne avec
eux. C’est aussi le cas des guildes dans les MMOG (Massively Multiplayer Online Games) ou
MMORPG ("Massively Multiplayer Online Role Playing Games"). On définit par guilde, une
association pérenne de joueurs réunis par un intérêt commun sous la même bannière. Les joueurs
s’entraident mutuellement au sein de cette guilde et l’appartenance à celle-ci permet d’obtenir
des nouvelles ressources, bonus, etc. Un exemple de ce système de guilde est le MMORPG
Guild Wars 2. Les joueurs intégrant une guilde bénéficient de bonus tels que l’accès à un hall de
guilde, une progression accélérée ainsi que la possibilité d’organiser des événements comme des
fêtes de guilde. La communauté de marque devient alors un endroit de rencontre qui permet cette
consommation collective et plus seulement individuelle. Les MMORPG sont d’ailleurs un milieu
tout particulièrement propice à la formation de communautés de marques soudées. En effet, la
littérature suggère que les communautés de jeux de rôle en ligne transcendent les formes
habituelles de communautés de marque. Leurs caractéristiques les affilient même à des
communautés tribales de marque, au sens anthropologique du terme. C’est là une forme unique
de relation marque-consommateur qui agit comme un antécédent à l’achat de biens virtuels, au
recrutement de joueurs et au bouche-à-oreille (Badrinarayanan et al. 2013).
Enfin une motivation courante à l’intégration d’une communauté de marque est la préoccupation
du membre d’incarner un symbole, sens inhérent à la marque (Aaker 1996). Par l’appartenance à
une communauté le membre se voit irrémédiablement assigner les attributs de la marque;
attributs qui deviennent inhérents à sa personnalité et à la perception que les gens ont de cette
personne. Ces différentes motivations ont pour conséquence des relations différentes (customer-
company relationship, customer-product relationship, customer-customer relationship, customer-
brand relationship) des membres à la communauté de marque (McAlexander 2002). Dans le
cadre des jeux vidéo par exemple, un membre va souhaiter avoir une consommation conjointe et
27
va donc développer des relations plus profondes avec les autres membres qu’avec la marque elle-
même, à l’inverse du consommateur qui rejoint une communauté car il veut prolonger son
expérience avec le produit.
Le développement des communautés de marque, rendu notamment possible par l’essor des
nouveaux moyens de communication, a assurément fait évoluer le paradigme traditionnel
consommateur-marque vers un paradigme consommateur-marque-consommateur. Une
communauté de marque forte peut entraîner un engagement plus fort vis-à-vis de la marque,
augmenter la loyauté des consommateurs vis-à-vis de celle-ci et ainsi permettre la rétention des
consommateurs pour la marque. La communauté de marques est avant tout un marqueur de
relations entre individus au travers des bénéfices du produit. Au-delà de la simple transformation
économique (économie basée sur la production à des économies de consommation) on assiste à
une véritable transformation culturelle. En effet les consommateurs ne sont pas seulement
impliqués dans la création de valeur mais aussi dans la création de sens (Lanier 2007).
8. Co-création et contenu généré par les utilisateurs
Les firmes impliquent de plus en plus les communautés de marque dans le développement du
jeu, en demandant du feedback à différents stades de développement. C’est le principe des
phases beta ou du « early access » ; les développeurs rendent un jeu accessible aux joueurs avant
sa sortie officielle afin de recueillir leurs avis et améliorer la qualité du produit fini. Le jeu est
ainsi co-créé par la firme et ses clients, les joueurs.
La coproduction est définie dans la littérature comme un processus dans lequel le producteur et
le consommateur travaillent conjointement pour fabriquer un produit. Ce principe de
coproduction est semblable à celui de la personnalisation, c'est-à-dire que le producteur permet
au consommateur de choisir un ensemble d’options dans un choix prédéfini antérieurement par le
producteur. La co-création se définit quant à elle par le processus dans lequel les consommateurs
prennent un produit, conçu par autrui, et modifient ou étendent sa forme, ses sens ou ses usages
de façon différente de celle prescrite par le producteur. Une nouvelle forme de co-création
28
apparaît : il s’agit non-seulement d’une co-création de valeurs comme défini auparavant mais
aussi d’une co-création de sens « co-creation of meanings » c'est-à-dire que le consommateur
modifie le produit afin de restructurer des symboles sous-jacents au produit initial. Ceci est
illustré dans les jeux vidéo par les musées Minecraft. Le jeu Minecraft est un jeu « bac-à-sable »
dans lequel les joueurs doivent survivre dans un environnement hostile, créer des objets et
matériaux grâce au système d’artisanat et construire des structures. Cette formule simple laisse la
place à des possibilités infinies et les seules limites sont celles de l’imagination des utilisateurs.
Certains joueurs ont construit des musées où ils exposent leurs créations, et invitent d’autres
joueurs à les visiter. Minecraft n’est alors plus seulement un jeu, mais aussi une plateforme de
visite virtuelle.
Plus précisément, la co-création est une forme de stratégie marketing, qui met l’accent sur la
génération et la création continue de valeur, à la fois pour l’entreprise et le consommateur. Par
exemple, le studio Amplitude Studios a enrichi son jeu de stratégie Endless Space à l’aide de sa
communauté de joueurs. Ainsi selon son cofondateur Romain de Waubert, les développeurs ont
volontairement laissé des trous dans leur planning afin de « s’assurer que des éléments auront été
amenés par la communauté, seront développés pour et avec la communauté, sur lesquels
Amplitude Studios n’a pas de contrôle » (Polygon). Les marchés sont donc vus comme des
forums où les firmes et consommateurs actifs partagent leurs ressources afin de créer de la valeur
à travers de nouvelles formes d’interactions. La co-création diffère du paradigme traditionnel de
la firme active et du consommateur généralement passif ; la valeur co-créée se présente sous la
forme d’expériences personnalisées et uniques pour le consommateur (la valeur d’usage).
L’entreprise quant à elle bénéficie d’un revenu et d’un apprentissage continu, qui se traduisent
par des performances accrues sur le marché (loyauté, relations fortes avec les consommateurs,
recommandations favorables). Aujourd’hui, les consommateurs ne se contentent plus de prendre
des décisions binaires (oui ou non) sur l’offre d’une entreprise. En effet, la valeur est de plus en
plus co-créée par la firme et le consommateur plutôt qu’uniquement par la firme. Cependant, la
co-création ne désigne pas seulement une tendance à créer des produits conjointement. Ce
phénomène décrit également un éloignement du consommateur achetant des produits et services
dans le cadre de transactions, vers un consommateur effectuant des achats qui font partie d’une
expérience globale (Prahalad 2000). Les consommateurs recherchent également la liberté de
29
pouvoir choisir comment interagir avec l’entreprise à travers une gamme d’expériences. En
d’autres termes, ils veulent interagir et effectuer des transactions dans leur propre style et
langage, qui n’est pas forcement celui de la firme. Les jeux vidéo en ligne illustrent très bien ce
phénomène. Les développeurs cherchent en effet à monétiser leurs productions sans briser
l’immersion du joueur dans l’expérience de jeu ; un exemple est l’intégration des mécanismes de
transaction dans l’histoire de l’univers du jeu (le « lore »).
Les consommateurs ont aujourd'hui plus de choix de produits et de services que jamais.
Cependant, l’insatisfaction est toujours présente. Les entreprises investissent de plus en plus pour
étendre leur offre, mais sont de moins en moins capables de se différencier entre elles.
Croissance et création de valeur sont devenues les thèmes dominants pour les gestionnaires. Le
sens de la notion de valeur et le processus de création de valeur sont en train de passer d'une
optique du produit et de l'entreprise à une optique centrée sur les expériences de consommation
personnalisées. Les consommateurs sont de plus en plus informés, connectés et actifs. Ils
deviennent des co-créateurs de valeur avec l'entreprise (Prahalad 2004). Des interactions de
haute qualité, qui permettent à un consommateur individuel de co-créer des expériences uniques
avec l’entreprise, sont essentielles pour développer de nouvelles sources d’avantage
concurrentiel. L’interaction devient alors le lieu de la création de valeur ; elle peut être n’importe
où dans le système, pas seulement au point de vente ou au service à la clientèle. On peut de
nouveau citer l’exemple de Minecraft, dont la majorité du contenu est créée par les utilisateurs.
Les développeurs se sont contentés de concevoir un outil, et de le mettre à la disposition des
joueurs ; c’est la rencontre entre cet outil et la créativité des joueurs qui constitue la proposition
de valeur du jeu. Par contre, la co-création requiert des ajustements à la fois de la part des
managers et des consommateurs. Par exemple, la reconnaissance que les interactions doivent être
fondées sur la facilité d’accès et la transparence. Pour les entreprises, cela demande des
investissements technologiques mais également des changements dans leurs pratiques
managériales. Les consommateurs quant à eux ont besoin de reconnaître que la co-création est à
double sens, et qu’ils doivent assumer leur part de risque.
Comment le paradigme de co-création s’applique-t-il en univers virtuel, le medium le plus
couramment utilisé par les jeux vidéo en ligne? Ces mondes générés par les utilisateurs sont de
30
véritables moteurs de création ; ils permettent d’expérimenter, menant à un rythme d’innovation
effréné. Les outils mis à disposition par l’entreprise encouragent les joueurs à créer tout ce qu’ils
peuvent imaginer de manière itérative et interactive, tout en invitant d’autres joueurs à participer
au processus de création (Kohler, 2011). Ces activités ont pris de l’amplitude et de la visibilité au
cours des années, et alors que les limites entre monde réel et virtuel deviennent plus floues que
jamais, les joueurs pourraient très bien utiliser leur créativité pour concevoir des produits ayant
un potentiel dans la vie réelle. Les systèmes de co-création en univers virtuel capitalisent sur les
interactions en temps réel permises par ce medium et entretiennent la collaboration joueur-joueur
et joueur-entreprise. Le défi de la co-création en monde virtuel n’est pas tant la conception de
l’infrastructure technologique, que la création d’une expérience pour les participants. Par
conséquent, les firmes réfléchissent à comment trouver et attirer des personnes qualifiées, quels
événements organiser pendant le projet de co-création, et comment fonder une communauté
basée sur l’entre-aide. Afin d’inclure les joueurs dans le design des expériences, les entreprises
lançant des initiatives de co-création créent un contexte plutôt qu’un contenu. Le succès de la
collaboration avec les consommateurs dans ce contexte dépendra de la capacité de l’entreprise à
rassembler les participants, les retenir et les encourager à contribuer. Pour y parvenir, la
reconnaissance et la notoriété sociale au sein de la communauté sont des facteurs clé. La
littérature propose un parallèle entre la théorie du capital culturel de Pierre Bourdieu et la co-
création pour expliquer les processus sociaux à l’œuvre sur les plateformes de création de
contenu par les utilisateurs (Levina et al. 2014). Pour reprendre l’exemple du jeu Endless Space,
sa communauté en ligne est passée de 0 à 65000 membres dans la communauté grâce à ce
système de co-création inédit. Le fait pour les consommateurs de « se sentir écoutés » a un
impact fondamental pour eux-mêmes, mais aussi pour l’entreprise car la loyauté de sa base de
joueurs ne peut que s’améliorer.
L’arrivée d’internet a bouleversé les méthodes de marketing des firmes. Le World Wide Web est
devenu une composante fondamentale à la fois des stratégies d’entreprise et des habitudes de
consommation. En facilitant la communication de plusieurs à plusieurs et le partage de contenu,
internet favorise la culture de la gratuité sur la toile. Ces changements dans la façon de
consommer du contenu ont un impact brutal sur les industries du divertissement, dont les
produits deviennent de plus en plus dématérialisés : la musique, les films et les jeux vidéo. La
31
réponse du jeu vidéo à cette tendance est la montée d’un nouveau modèle d’affaire, les
microtransactions et le free-to-play. Ce modèle comporte ses défis propres. Tout d’abord
comment convaincre les joueurs d’acheter pour de l’argent réel du contenu virtuel, dont
l’existence et l’utilité sont cantonnés au sein des limites du jeu. La recherche nous enseigne que
le besoin du joueur de personnaliser son expérience de jeu est une puissante motivation à l’achat
d’objets virtuels. Ensuite, les jeux à microtransactions sont confrontés aux challenges que tout
service doit relever pour assurer son existence sur le long-terme : l’acquisition, la rétention et la
monétisation. Pour les services en général, la recherche en gestion est riche en bonnes pratiques
pour favoriser ces trois éléments. Les jeux vidéo se rapprochant de plus en plus du service, on
peut supposer que ces découvertes y ont une valeur certaine, mais aucune étude empirique ne le
confirme pour l’instant.
Aujourd’hui, les microtransactions sont un modèle tellement profitable que même les
productions à très gros budget commencent à les mettre en œuvre. Les gestionnaires y voient un
moyen d’augmenter la durée de vie de leur produit, et d’avoir un meilleur retour sur
investissement. Les stratégies dites « post-lancement », c'est-à-dire qui concernent les opérations
après la sortie du jeu, deviennent de plus en plus étoffées et complexes. Malheureusement,
l’histoire a montré que perpétuer le mix acquisition-rétention-monétisation (dit « la trinité ») sur
le long terme est extrêmement difficile, et la qualité seule du produit ne suffit plus à son succès.
Dans l’environnement ultra-concurrentiel de nos jours, développeurs et éditeurs de jeux vidéo
doivent fournir des efforts constants de développement et de marketing pour garder l’attention du
joueur, y compris après la sortie du jeu. Ces efforts incluent la capitalisation sur l’expérience de
jeu, l’animation des communautés d’utilisateurs, et la gestion du contenu créé par les joueurs les
plus motivés.
32
Problématique et cadre conceptuel
Cette étude se concentre sur la question de recherche suivante : quelles sont les meilleures
pratiques de stratégie post-lancement en termes de capitalisation sur l’expérience de jeu, de
gestion de la communauté et de la co-création, et en quoi ces pratiques amènent-elles de
l’acquisition, de la rétention et de la monétisation ?
Ces idées sont organisées dans le modèle suivant :
Figure 6: Les trois piliers des stratégies post-lancement et leurs liens avec acquisition, rétention et monétisation
Les trois piliers des stratégies de post-lancement, telles que présentées dans cette étude, sont
l’expérience de jeu, la gestion de communauté et la co-création. Le postulat sur lequel cette
recherche se base est que les tactiques ayant recours à ces trois éléments amènent chacune à leur
manière de l’acquisition, de la rétention, et de la monétisation. C’est cette supposition qui est
explorée ici.
33
Méthodologie
Afin de déterminer ces meilleures pratiques, une approche qualitative sera utilisée. Une étude de
terrain a été effectuée au sein d’une grande entreprise de développement et d’édition de jeux
vidéo. Cette firme est confrontée à la problématique de la gestion du post-lancement de ses titres,
et a encore beaucoup à apprendre. Dans le but de s’éduquer sur les meilleures pratiques de post-
lancement, les gestionnaires ont conduit des études concurrentielles pour évaluer les stratégies
des concurrents, et déterminer si elles sont à émuler ou pas. Véritables études de cas, ce sont ces
documents qui ont été utilisés comme données secondaires dans cette recherche.
Différents jeux ont servi de sujet pour ces études concurrentielles, triple-A et free-to-play.
Chaque jeu sélectionné utilise des stratégies s’appuyant sur un ou plusieurs des trois éléments du
modèle : expérience de jeu, gestion de la communauté ou co-création. Ces stratégies ont été
présentées et analysées afin de déterminer quelles pratiques permettent d’amener de
l’acquisition, de la rétention et de la monétisation.
Les jeux choisis pour les études de cas sont les dix suivants (certains jeux sont cités plusieurs
fois car ils combinent les types de stratégies) :
 Stratégies basées sur l’expérience : GTA V, Borderlands 2, Call of Duty : Ghosts, Forza
Motorsport 5, Titanfall et Destiny.
 Stratégies basées sur la gestion de communauté : Hearthstone, Call of Duty Ghosts,
Battlefield 4, Titanfall, GTA V.
 Stratégies basées sur la co-création : Team Fortress 2 et Steam Workshop, Little Big
Planet, Minecraft.
Toutes les données présentes dans les études de cas utilisées appartiennent au domaine public.
Les chiffres obtenus grâce à des outils internes à l’entreprise hôte ont été retirés, ainsi que les
conclusions tirées par les gestionnaires, qui orienteront les stratégies futures de la firme. Les
études complètes sont en annexe.
34
Stratégie post-lancement : meilleures pratiques
1. En termes d’expérience
1.1. Le contenu téléchargeable (Downloadable Content, DLC)
1.1.1. Définition
Le contenu téléchargeable, couramment appelé par son acronyme anglais « DLC », est du
contenu additionnel pour un jeu vidéo. Il est distribué digitalement soit par l’éditeur officiel soit
par des fournisseurs de contenu tiers. Les contenus téléchargeables prennent une multitude de
formes, allant de changements esthétiques à de nouveaux arcs narratifs. Les DLC sont un moyen
de proposer de nouveaux modes de jeux, objets, niveaux, défis et d’autres éléments venant
compléter un jeu déjà sorti. Leurs prix varient énormément selon le contenu proposé, allant de
quelques dollars à 15 – 20 dollars l’unité, voire plus de 30 dollars pour les plus travaillés. Ils
peuvent aussi être distribués gratuitement.
Les DLCs sont la plus ancienne et la plus couramment utilisée des stratégies post-lancement. Ils
permettent d’étendre et d’élaborer l’expérience de jeu. Les DLC peuvent être déployés de très
nombreuses manières différentes, et ainsi devenir assez complexes à gérer. De mauvaises
stratégies de DLC ont abouti par le passé à des contenus de basse qualité vendus à des prix trop
élevés, entraînant la colère des joueurs. Depuis, les DLC sont souvent vus comme une tentative
mal dissimulée de rentrée d’argent facile de la part des éditeurs. D’ailleurs, la difficulté
principale des stratégies de DLC est de convaincre les joueurs de continuer de dépenser leur
argent pour un jeu qu’ils ont déjà acheté. Cependant, il est intéressant de noter que malgré ces
obstacles, la vente de DLC est en croissance régulière depuis quelques années.
35
Figure 7: Valeur globale du marché vidéoludique de 2011 à 2018, par type de distribution (en milliards d'USD)
1.1.2. Gestion du calendrier
Une stratégie de contenu téléchargeable consiste toujours en la sortie de plusieurs DLC à des
intervalles variables. La gestion du calendrier et du timing de la publication des contenus est une
partie critique de la stratégie.
La cohérence et la régularité sont deux éléments clés d’une bonne gestion des contenus
téléchargeables, surtout s’ils sont payants. En effet, ils doivent être annoncés, dévoilés et publiés
de façon cadencée. Cela permet de générer de l’attente et de l’anticipation parmi les joueurs, qui
ont une idée de combien de temps ils doivent attendre avant de voir du nouveau contenu arriver,
et de ne pas les prendre par surprise. En outre, la régularité des annonces, de la promotion et des
sorties permet de simplifier les processus internes, et d’optimiser l’organisation des opérations de
l’éditeur. Finalement, cela donne un calendrier clair des sorties aux joueurs et renforce la
perception de cohérence de la stratégie.
Voici un exemple de planning des sorties de DLC régulier et cohérent :
36
 Annonce du nombre de DLC prévus pour le cycle de vie du jeu au moment de l’ouverture
des précommandes
 Lancement du jeu
 Délai de trois mois
 Sortie du premier DLC, promotion effectuée 7 jours avant
 Délai de trois mois
 Sortie du deuxième DLC, promotion effectuée 7 jours avant
 Etc.
A noter que les délais donnés ici sont un exemple, et varient selon les contenus. Il n’y a pas de
meilleure pratique pour cela, ces décisions sont à prendre au cas-par-cas. Ainsi, plus le contenu
téléchargeable est conséquent, plus il convient de laisser un intervalle long avant sa sortie.
1.1.3. Impact
Comme vu plus haut, la communauté des joueurs doit être au courant de la sortie prochaine de
DLCs. Cependant, bien qu’il faille être clair sur le contenu des DLC, ceux-ci doivent tout de
même réserver une part de surprise, surtout pour les DLC narratifs. Il vaut mieux éviter de
dévoiler absolument tout pendant la promotion par souci de clarté.
A ce sujet, certains éditeurs publient parfois des DLC dits « surprise », c'est-à-dire sans annonce
préalable, et une publicité éclair quelques jours avant la sortie. Ces DLC sont bien accueillis, à la
condition très importante qu’ils soient gratuits. Souvent de petite taille, ils font office de cadeau
ou de bonus offert par l’éditeur aux joueurs. Par conséquent, ces contenus augmentent la
satisfaction de la communauté des joueurs. Par contre, un éditeur devrait éviter d’offrir ces DLC
sur un coup de tête ; ils doivent faire partie de la stratégie globale de post-lancement, décidée
avant même la sortie du jeu. En effet, la préparation et l’anticipation sont deux éléments clés
d’une bonne stratégie de DLC.
37
1.1.4. Promotion par bande annonce
La bande annonce est une forme de promotion très couramment utilisée pour promouvoir un
contenu et faire monter l’excitation parmi les joueurs. Les études concurrentielles indiquent que
les bandes d’annonce ayant le plus de succès, c'est-à-dire récoltant le plus de commentaires
positifs et de « Likes » sur les réseaux sociaux, sont celles pour les gros contenus téléchargeables
comportant des arcs narratifs. Il vaut donc mieux concentrer les investissements sur celles-ci, car
leur qualité aura beaucoup d’impact auprès des joueurs. Le timing joue également un rôle non
négligeable : les bandes d’annonce avec le plus d’incidence sont celles du premier DLC, et celles
publiées sept jours avant la sortie du contenu. Il convient donc de soigner particulièrement la
première bande annonce publiée après la sortie du jeu. Un autre facteur important dans le succès
d’une bande annonce est son originalité, et cela même si les contenus promus se ressemblent
beaucoup. Ainsi, même si la stratégie consiste en de nombreux petits contenus téléchargeables
très similaires, chaque bande annonce ne doit pas raconter la même histoire. Cela peut tuer
l’attente des joueurs sur le long terme. Il est même préférable dans ce cas-là de ne pas publier de
bande annonce du tout, et d’utiliser d’autres outils promotionnels.
1.1.5. Monétisation
L’expérience de jeu est un facteur à la fois direct et indirect de monétisation. En effet, elle génère
directement du revenu par la vente des contenus téléchargeables, et indirectement en apportant
de la rétention.
Pour monétiser les DLCs le plus efficacement possible, il convient de donner le plus d’options
d’achats possibles aux joueurs et ne pas les contraindre à une méthode et un prix unique. Pour
cela, les jeux ont recours au « Season Pass ». C’est l’option d’acheter tout le contenu additionnel
prévu pour le jeu en une seule fois, en bénéficiant au passage d’une réduction avantageuse sur le
prix des DLC. Le Season Pass peut-être acheté à tout moment, y compris avant la sortie du jeu
s’il est inclus avec des éditions spéciales. Il constitue un élément décisif de la stratégie post-
lancement, car il garantit un public pour les DLC et par conséquent l’extension du cycle de vie
38
du jeu. Les joueurs achetant le Season Pass sont de plus en plus traités comme des clients
privilégiés par les firmes. Cela entraîne l’augmentation de la valeur de celui-ci, par l’ajout de
récompenses et de services exclusifs. Par exemple, l’offre aux possesseurs du Season Pass
d’objets virtuels exclusifs, ou encore la priorité dans les queues de serveur pour des parties en
mode multijoueur. Les jeux free-to-play peuvent même aller plus loin dans cette logique, en
proposant des combinaisons d’argent réel et virtuel pour acheter du contenu. Par exemple, ils
peuvent proposer un Season Pass pour de l’argent réel, tout en donnant la possibilité d’acheter
les contenus téléchargeables à l’unité pour de l’argent virtuel. Cela donne une vaste liberté aux
joueurs pour choisir le prix et le contenu qui leur convient le mieux.
En étant source de rétention, l’expérience de jeu permet de générer de la monétisation :
Figure 8: Le cercle vertueux rétention-monétisation
Finalement, une bonne stratégie de DLC s’appuie sur quatre piliers :
 Avoir un calendrier clair des promotions et sorties et le respecter
 Créer l’attente et l’excitation à l’approche des sorties, en faire des événements
 Promouvoir les DLC comme des jeux à part entière
 Utiliser le Season Pass et la monnaie virtuelle pour monétiser le contenu tout en offrant
toute une gamme d’options d’achat
39
Les entreprises ayant eu le plus de succès avec leurs DLC sont celles qui ont réussi à combiner la
régularité des sorties, une communication claire à l’aide de plans média et de bandes d’annonces,
et de contenus variés par leur taille et par leurs prix proposant toute une gamme d’expériences
différentes. Ainsi, Gearbox a été plébiscité par les joueurs pour le jeu Borderlands 2, et sa
stratégie mélangeant les DLC narratifs de grande qualité et des packs plus petits proposant de
nouveaux objets et modes de jeu, sortis régulièrement pendant les deux ans suivant le lancement
du jeu.
1.2. Le Game-to-web
Le game-to-web est une pratique récente consistant à étendre l’expérience de jeu au-delà des
frontières du jeu lui-même. Par des canaux tels que des applications web ou mobiles, le joueur
peut se plonger dans l’univers du jeu sans avoir à le lancer. Les outils de game-to-web proposent
des services tels que des statistiques de progression, la personnalisation de son avatar, la
consultation du profil d’autres joueurs, des modes de jeux spécifiques, etc. Les « companion
apps » offrent notamment des fonctionnalités uniques profitant de l’écran tactile et de la mobilité
des tablettes et smartphones. La finalité du game-to-web est que l’expérience de jeu accompagne
le joueur partout, y compris à des endroits et moments auxquels les consoles n’ont pas accès : les
transports, le bureau, l’université, etc. L’objectif est de créer un écosystème autour du jeu à
travers une combinaison de plusieurs canaux et appareils : le jeu lui-même sur console ou PC, un
mode de jeu spécifique sur smartphone adapté à l’écran tactile, des statistiques et classements de
joueur sur un site internet. Ainsi, le game-to-web peut également favoriser la compétition entre
joueurs pour les jeux qui s’y prêtent.
Le game-to-web s’adresse à tous les profils de joueurs, et cherche à canaliser la communauté sur
les plateformes propres à l’éditeur. Cela permet un meilleur contrôle de l’expérience de jeu, ainsi
que la collecte de données précieuses pour l’amélioration des services. Finalement, le game-to-
web constitue l’une des réponses des éditeurs à la tendance des jeux à se rapprocher des services.
40
Grâce à l’étude des pratiques concurrentielles, des tendances ont pu être identifiées. Ainsi, les
procédés suivants sont à la base de ce qui constitue une bonne expérience de game-to-web,
source de valeur ajoutée pour la firme et le joueur :
 Le flux des actualités reliées au jeu.
 Les classements des joueurs. Que ce soit dans un jeu solo ou multijoueur, les joueurs
tendent à montrer un vif intérêt envers les classements selon les modes de jeu. Cela
motive également les joueurs les plus assidus, et assouvit leur besoin de reconnaissance
par la communauté.
 Les statistiques individuelles des joueurs : avatar, temps total passé dans le jeu et selon
les modes de jeu, armes et objets préférés et toutes sortes d’autres indicateurs propres au
jeu.
 La centralisation des articles, photos et vidéos liés au jeu, ainsi que la possibilité de
partager son propre contenu.
 Fonctionnalités sociales : liste d’amis, membres de guilde ou d’équipe, chat public et
message privé.
 Pages dédiées à la gestion de son équipe ou de sa guilde pour les jeux en bénéficiant.
Toutes ces fonctionnalités peuvent être portées sur mobile à travers la companion app. En outre,
celle-ci devrait proposer :
 Des modes de jeux exclusifs adaptés au smartphone et à la tablette.
 Un accès simplifié à la boutique pour les jeux à microtransactions.
 La personnalisation de son personnage, de ses armes armes et véhicules.
L’une des grandes forces de la companion app est qu’elle capture le joueur à des moments
auxquels les consoles et ordinateurs n’ont pas accès. En cela, elle permet d’améliorer la
rétention. Par ailleurs, une bonne pratique est d’inclure des incitations à l’adoption des canaux de
game-to-web. Tous les joueurs n’ont pas forcément le réflexe de se connecter au site officiel ou
de télécharger l’application. Pour les encourager, de nombreux éditeurs introduisent des
récompenses, telles que des objets virtuels, des titres et accomplissement, qui ne peuvent
41
s’obtenir qu’à travers l’utilisation du game-to-web. Ce n’est rien de moins que la gamification
des réseaux périphériques au jeu, une chose à laquelle les joueurs sont particulièrement réceptifs.
Le game-to-web peut prendre des formes multiples. Par contre, les études concurrentielles
permettent de remarquer une grande tendance : le game-to-web se rapproche beaucoup d’un
réseau social traditionnel, à la différence majeure qu’il est centré sur le jeu. C’est une réponse
aux habitudes de consommation des internautes de plus en plus connectés, notamment sur les
réseaux sociaux. Plutôt que d’aller partager du contenu et engager des conversations
potentiellement enrichissantes pour la firme sur des plateformes extérieures, l’éditeur leur fournit
un lieu dédié à ces activités, sur lequel il exerce un contrôle de l’expérience.
Figure 9: Tableau récapitulatif des tactiques de gestion post-lancement ayant recours à l'expérience de jeu
Contenu téléchargeable Game-to-web
 Annoncer, promouvoir et sortir les
DLC régulièrement pour ne pas prendre
les joueurs par surprise et créer une
attente
 Varier le contenu et le prix des DLC
 Si DLCs surprises il y a, ceux-ci
doivent être gratuits
 Utiliser les bandes d’annonce pour les
DLC les plus importants, et
particulièrement soigner la première
bande annonce publiée
 Monétiser en utilisant à la fois le
Season Pass et la monnaie virtuelle
pour offrir le plus d’options possibles
aux joueurs
 Multiplier les canaux et les appareils :
applications web et mobile avec une
companion app
 Fonctionnalités exclusives au game-to-
web : consultation et comparaison des
profiles des joueurs, modes de jeux
adaptés au mobile
 Rajouter le flux web-to-game : les
modifications apportées à sont avatar et
les bonus gagnés sur le jeu mobile se
retrouvent en jeu
 Faciliter l’accès à la boutique
 Construire les fonctionnalités sociales
nécessaires pour faire du game-to-web
un réseau social centré sur le jeu
42
2. En termes de gestion de la communauté
2.1. Canaux et média sociaux
Les consommateurs d’aujourd’hui ont plus de pouvoir que jamais sur les entreprises, grâce à
internet et aux média sociaux. C’est particulièrement vrai pour les joueurs de jeux vidéo, qui
constituent une population très à l’aise avec la technologie. Les communautés de joueur peuvent
faire et défaire le succès d’un jeu. Aujourd’hui, elles constituent un pilier des stratégies post-
lancement.
Il convient pour un éditeur de canaliser sa communauté, et de multiplier les points de contacts.
Pour y parvenir, tous les média sociaux sont mis à profit :
 Facebook, Twitter, Youtube et Tumblr sont les réseaux les plus grands publics ; ils
permettent de toucher une immense audience et d’augmenter la portée des messages.
 Les réseaux propres au jeu : site et forum officiels, le blog des développeurs, le réseau
social dédié dans le cadre du game-to-web. Ces canaux permettent d’engager une
conversation plus profonde et durable avec le cœur de la communauté, et sont le lieu où
les joueurs se rassemblent pour discuter, partager et débattre sur leur jeu.
 Reddit ; ce réseau social reste utilisé de manière occasionnelle, mais de nombreux
développeurs et éditeurs y ont recours car il est très fréquenté par les joueurs. Le format
de Reddit fait immédiatement ressortir les sujets jugés importants par la communauté, ce
qui en fait une excellente plateforme de questions-réponses.
 Twitch ; le site de streaming en direct est devenu la chaîne de télévision des jeux vidéo.
La diffusion de vidéos, ainsi que la possibilité de les commenter en direct, permettent une
instantanéité des échanges que peu de plateformes peuvent égaler. Twitch est là où les
joueurs se trouvent, et les fournisseurs de contenu se doivent d’aller à leur rencontre. De
plus en plus de jeux ont ainsi leur propre chaîne Twitch. En outre, chez certains
développeurs, les gestionnaires de communauté repèrent les twitcheurs les plus influents
43
et les mettent en valeur sur leurs propres canaux. Cela permet de construire une relation
solide avec les influenceurs, et avec la communauté en général.
2.2. Gestion des influenceurs
Cela est vrai non-seulement pour Twitch mais également pour les autres canaux. De manière
générale, il est une bonne pratique de valoriser les influenceurs de la communauté, en postant
leur contenu sur les canaux officiels du jeu ; leur légitimité s’en trouve ainsi renforcée. En outre,
ces influenceurs constituent des interlocuteurs privilégiés pour s’adresser à la communauté toute
entière. Étant eux-mêmes fans et joueurs, les messages qu’ils reprennent et diffusent n’ont que
plus de portée. Ils font partie de la communauté de joueurs, et ces derniers s’identifient bien plus
facilement à eux qu’aux gestionnaires de communauté employés par les firmes. Cela contribue à
animer et renforcer la relation entre les joueurs et la marque du jeu.
2.3. CRM (Customer Relationship Management)
À propos de la relation, il est important d’aborder le sujet du CRM. Il s’agit d’un outil essentiel
de rétention et d’un point de contact avec la communauté, notamment par le biais des infolettres.
Les processus de CRM doivent être mis en place avant même la sortie du jeu, pendant son
développement, car ils ont un rôle crucial à jouer pendant toute sa durée de vie.
Tout d’abord les données : le jeu doit avoir en place dès sa sortie des structures de collectes qui
permettront ensuite la construction de bases de données précieuses sur les comportements des
joueurs. Le game-to-web présente en outre l’avantage d’étendre la collecte de données à tout
l’écosystème autour du jeu : réseau social dédié au jeu, companion app, etc. Cela permet d’en
apprendre plus sur l’usage de ces canaux, mais également sur les comportements d’achat pour les
jeux à microtransactions.
La finalité de ces bases de données est d’être analysées afin de créer des catégories de joueurs
homogènes en termes de comportement. Les infolettres sont ensuite taillées selon ces catégories :
44
encouragements, récompenses, félicitations, réductions sur un objet très acheté par cette
catégorie, rappel si le joueur ne s’est pas connecté depuis longtemps, etc. Le but est de chercher à
atteindre le degré de personnalisation des infolettres le plus important possible car les joueurs y
seront plus réceptifs. En effet, l’infolettre permet une communication très individuelle avec le
consommateur, par opposition aux canaux partagés avec le reste de la communauté.
Figure 10: Le processus de CRM
Tous ces canaux servent un objectif général : bâtir une relation solide avec les consommateurs du
jeu, afin d’augmenter l’engagement et la rétention. En effet, la qualité de la relation a un solide
impact sur la pérennité d’un service, y compris un jeu vidéo. Cette relation fonctionne dans les
deux sens : d’éditeur à joueurs et de joueurs à éditeur. Plus précisément, les firmes interagissent
avec leur communauté de joueurs pour faire passer un message, les garder informés sur le jeu, les
divertir et les récompenser de leur soutien. De manière générale, il s’agit de leur donner des
outils pour être actifs en tant que communauté, et créer de la valeur autour du jeu. Dans le sens
inverse, les joueurs interagissent avec la firme en étant actifs au sein de la communauté, c'est-à-
dire en commentant, en publiant leurs retours sur le jeu, en partageant du contenu, voire en
créant leur propre contenu.
1. Données
• Mettre en place des outils de collecte de données sur tous les canaux
du jeu.
2. Analyse
• Grâce aux bases de données constituées, créer des catégories
homogènes en termes de comportement.
3. Contact
personnalisé
• Personnaliser les infolettres selon les catégories.
45
Figure 11 : Tableau récapitulatif des tactiques de gestion post-lancement ayant recours à la gestion de la communauté
Canaux et réseaux sociaux Gestion des influenceurs CRM
 Multiplier les points de
contact en utilisant le
plus de canaux
possible
 Adapter sa
communication au
format des différents
réseaux sociaux. Par
exemple, utiliser les
pages Facebook
localisées pour
s’adresser aux
communautés de
joueurs dans leur
langue
 Repérer les membres
très suivis par le reste
de la communauté
 Republier leur contenu
sur les canaux officiels
du jeu pour augmenter
leur visibilité, et
signaler qu’ils ont
l’appui de la firme
 Les inviter pour des
entretiens, des séances
de questions-réponses
et de jeu avec les
développeurs afin de
renforcer la relation
avec eux, et à travers
eux avec toute la
communauté
 Utiliser tous les canaux
du jeu pour collecter
des données sur les
comportements des
joueurs
 Catégoriser les joueurs
en fonction de leur
comportement
 Construire des
infolettres
personnalisées, non-
seulement au niveau
du contenu mais aussi
du timing de leur envoi
 Profiter des infolettres
pour augmenter la
visibilité de la
boutique
3. En termes de co-création avec les joueurs
Pour des raisons pratiques, la co-création a été prise au sens le plus strict du terme, c'est-à-dire le
contenu généré par les joueurs dans le cadre d’un jeu précis et pour ce jeu uniquement. Ce type
de contenu est couramment appelé par son acronyme anglais, UGC (User-Generated Content).
La gestion de l’UGC en post-lancement s’articule autour de trois grands piliers :
46
Figure 12: Les trois piliers de la création de contenu par les utilisateurs
3.1. Création de contenu
Tout d’abord, tous les jeux ne sont pas adaptés à la création de contenu par les joueurs. L’univers
du jeu doit être propice à l’appropriation, que ce soit par sa simplicité, son humour ou encore sa
patte graphique particulière. Il est important que le jeu ait une identité visuelle forte et facilement
reproductible. Les développeurs doivent donner le ton de l’atmosphère, tout en laissant certaines
zones d’ombres qui invitent les joueurs à l’interprétation. En d’autres termes, un jeu propice à
l’UGC est une base sur laquelle les joueurs peuvent construire tout au long du cycle de vie.
Pour obtenir du contenu en quantité et en qualité, la firme se doit d’aider les joueurs à créer, de
quelque manière que ce soit. Pour cela, elle peut mettre à leur disposition des tutoriels, foires aux
questions et vidéos explicatives, voire inciter la communauté à mettre en ligne ses propres
guides.
En ce qui concerne l’outil de création même, cela varie d’un jeu à l’autre. Certains éditeurs
proposent sur leur site des logiciels d’animation ou de modélisation 3D tiers en téléchargement
gratuit, voire donnent l’accès au moteur graphique du jeu, si celui-ci est suffisamment simple.
Des modes de jeu spécifiques sont ensuite mis à la disposition des joueurs pour tester leurs
créations dans le jeu. D’autres firmes décident d’intégrer l’outil de création dans le gameplay
47
même du jeu. La création de contenu devient alors une activité de jeu parmi d’autres. C’est le cas
par exemples des éditeurs de cartes présents dans certains jeux de stratégie, ou des éditeurs de
niveaux dans des jeux de plateforme. Ces outils offrent moins de liberté dans la création, car
soumis à des contraintes de jouabilité (par exemple, ils doivent être adaptés à une manette pour
un jeu console). Par contre, ils permettent une plus grande fidélité à l’univers et à l’atmosphère
du jeu et sont plus accessibles. La création d’actifs graphiques sur des logiciels tiers, quant à elle,
offre plus de latitude artistique mais n’aiguille pas forcément le joueur vers le style visuel du jeu.
En outre, ces logiciels sont complexes et beaucoup moins accessibles au grand public.
Il n’y a pas de meilleure pratique ici, la méthode de création la plus appropriée dépend du type
de jeu, du type de création désiré par les développeurs (des objets, des niveaux, des armes, des
cartes…) et de la plateforme du jeu. Par exemple, un jeu console doit intégrer son outil de
création au sein même du jeu, et l’adapter pour une manette. Un jeu PC en revanche, peut se
permettre de complexifier ses outils de créations grâce à la flexibilité de la plateforme. Il est
cependant important de garder à l’esprit que quels que soient la plateforme et l’outil de création,
faire en sorte que les joueurs génèrent du contenu en quantité et qualité suffisante pour être utile
au processus de développement est difficile. Des processus d’UGC trop accessibles aboutiront à
des contenus simplistes et de basse qualité, alors que trop de complexité réduira drastiquement la
population de joueurs-créateurs. Il convient d’effectuer un arbitrage entre accessibilité et
complexité. Enfin, n’oublions pas que créer du contenu demande des efforts et du travail. Les
joueurs-créateurs seront toujours en minorité par rapport aux joueurs-consommateurs.
3.2. Partage de contenu
Une fois le contenu créé, les joueurs doivent pouvoir le partager avec le reste de la communauté.
Le meilleur moyen pour cela est de leur donner une plateforme web de partage et d’interactions
sociales. Il est essentiel que cette plateforme soit entièrement contrôlée par la firme, et qu’elle
soit prête au moment de la sortie du jeu. Si tel n’est pas le cas, le danger est que la communauté
crée ses propres sites de partage de contenu ; ceux-ci échapperaient alors au contrôle de l’éditeur.
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  • 1. Les stratégies post-lancement dans le secteur des jeux vidéo Comment amener de l’acquisition, de la rétention et de la monétisation après la sortie d’un jeu par Claire-Jeanne Magarshack 11177715 Sciences de la gestion Option marketing Projet supervisé présenté en vue de l’obtention du grade de maîtrise ès sciences (M. Sc.) Décembre 2014 © Claire-Jeanne Magarshack, 2014
  • 2. 2 Remerciements Un grand merci à Elliot Brindel pour son aide avec la collecte de données. Et à mes parents pour leur relecture attentive et leur patience.
  • 3. 3 Table des matières Introduction..................................................................................................................................... 4 Revue de littérature......................................................................................................................... 8 1. Marketing et internet............................................................................................................ 8 2. Gratuité sur internet ............................................................................................................. 9 3. Le modèle d’affaire free-to-play........................................................................................ 12 4. Acquisition, rétention et monétisation............................................................................... 14 4.1. Acquisition.................................................................................................................. 14 4.2. Rétention..................................................................................................................... 15 4.3. Monétisation............................................................................................................... 18 5. Argent réel et mondes virtuels........................................................................................... 19 6. Expérience.......................................................................................................................... 22 7. Communautés d’utilisateurs............................................................................................... 24 8. Co-création et contenu généré par les utilisateurs ............................................................. 27 Problématique et cadre conceptuel ............................................................................................... 32 Méthodologie................................................................................................................................ 33 Stratégie post-lancement : meilleures pratiques ........................................................................... 34 1. En termes d’expérience...................................................................................................... 34 1.1. Le contenu téléchargeable (Downloadable Content, DLC)........................................ 34 1.2. Le Game-to-web......................................................................................................... 39 2. En termes de gestion de la communauté............................................................................ 42 2.1. Canaux et média sociaux ............................................................................................ 42 2.2. Gestion des influenceurs............................................................................................. 43 2.3. CRM (Customer Relationship Management)............................................................. 43 3. En termes de co-création avec les joueurs ......................................................................... 45 3.1. Création de contenu.................................................................................................... 46 3.2. Partage de contenu...................................................................................................... 47 3.3. Inciter la création........................................................................................................ 49 4. Tableau récapitulatif : matrice ARM ................................................................................. 51 Modèle corrigé.............................................................................................................................. 53 Discussion et implications ............................................................................................................ 54
  • 4. 4 Limitations et avenues de recherche............................................................................................. 56 Bibliographie................................................................................................................................. 57 Annexes......................................................................................................................................... 64 Table des figures Figure 1 : Jeux vidéo aux coûts de production les plus hauts depuis septembre 2013 (en millions d’USD)………………………………………………………………………………………….....5 Figure 2 : Historique de la licence Call of Duty………………………………………………....10 Figure 3 : Revenus mondiaux du secteur du jeu vidéo en 2012 (en milliards d’USD)……….....11 Figure 4 : Vente de jeux d’ordinateur et de jeux vidéo aux États-Unis (format physique) en milliards d’USD...…......…......…...………………………………………………………...........11 Figure 5 : Types de jeux vidéo joués au moins une fois par semaine aux États-Unis en 2013.....12 Figure 6 : Les trois piliers des stratégies de post-lancement et leurs liens avec acquisition, rétention et monétisation………………………………………………………………………....32 Figure 7 : Valeur globale du marché vidéoludique de 2011 à 2018 par type de distribution (en milliards d’USD)…………………………………………………………………………………35 Figure 8 : Le cercle vertueux rétention-monétisation…………………………………………....38 Figure 9 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à l’expérience de jeu…………………………………………………………………………………………….......41 Figure 10 : Le processus de CRM………………………………………………………………44 Figure 11 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à la gestion de la communauté…………………………………………………………………………………......45 Figure 12 : Les trois piliers de la création de contenu par les utilisateurs…………………….....46 Figure 13 : Tableau récapitulatif des stratégies de post-lancement ayant recours à l’UGC……..50 Figure 14 : Matrice ARM…………………………………………………………………..........51 Figure 15 : Les trois piliers des stratégies de post-lancement et leurs liens avec acquisition, rétention et monétisation – corrigé…………………………………………………………........53
  • 5. 5 Introduction Le cycle de vie des produits fait partie des stratégies critiques de gestion. Les jeux vidéo ne font pas exception à cette règle, d’autant que leur durée de vie a tendance à augmenter. Le MMORPG (Massively Multiplayer Online Role Playing Game) World of Warcraft a fêté ses dix ans en 2014, et le succès est toujours au rendez-vous. Le nombre d’abonnés au jeu en ligne était de 7,3 millions au quatrième trimestre 2014 (IGN). En septembre de cette même année, Activision sortait l’une de ses plus grosses productions jamais réalisées : Destiny. Il s’avère que l’éditeur a des ambitions similaires à ce que World of Warcraft a accompli, c’est-à-dire faire durer le jeu pendant dix ans (Total Xbox). Cette volonté s’inscrit dans les tendances de consommation actuelles : des joueurs de plus en plus connectés avides de mondes persistants et de jeu en multijoueur, une nouvelle génération de consoles plus performantes à la connectivité accrue, ainsi que des cycles de développement toujours plus longs et coûteux. Figure 1: Jeux vidéo aux coûts de production les plus hauts depuis septembre 2013 (en millions d’USD)
  • 6. 6 Dans ce contexte, la gestion post-lancement, c’est-à-dire après la sortie du jeu, prend tout son sens. Un jeu avec une durée de vie élevée est non-seulement un meilleur retour sur investissement, mais aussi un testament à sa capacité d’attirer et retenir les joueurs. Cette rétention est une source de valeur énorme pour la firme ; elle permet de construire une relation forte et durable avec les joueurs et d’impacter positivement leur satisfaction et leur loyauté. Finalement, plus les joueurs restent longtemps sur le jeu plus ils peuvent être monétisés, apportant un flot de revenu régulier à l’entreprise. Les jeux à modèle d’affaire free-to-play, c’est-à-dire freemium, ont été les pionniers des stratégies post-lancement. La manière traditionnelle de vendre des jeux vidéo est très similaire à la manière de vendre des films ; les trois-quarts des ventes sont effectuées pendant la première semaine, et les prix sont drastiquement réduits après six à neuf mois d’exploitation dans le but de pousser l’acquisition une dernière fois avant la sortie du prochain jeu. Le succès financier du produit repose donc sur cette première semaine ainsi que sur les précommandes. Les jeux free- to-play bouleversent ce paradigme. Étant gratuits, ils ne peuvent générer du revenu qu’une fois le joueur acquis. Il est donc dans leur intérêt de le retenir le plus longtemps possible pour pouvoir le monétiser. Pour cela, les stratégies utilisées reposent sur un certain nombre d’éléments ; les trois qui ont été retenus pour cette étude sont l’expérience de jeu, la gestion de la communauté d’utilisateurs et la co-création avec les joueurs. La gestion post-lancement devient une question centrale pour tous les jeux, qu’ils soient free-to- play ou pas. Les jeux triple A, c’est-à-dire à gros budget, commencent à adopter des stratégies de free-to-play pour augmenter leur cycle de vie. Quelles sont alors les meilleures pratiques d’acquisition, de rétention et de monétisation pour un produit vidéoludique, et comment tirer profit de l’expérience de jeu, de la gestion de communauté et de la co-création avec les joueurs pour accroître la durée de vie ? Perpétuer ce mix d’acquisition-rétention-monétisation sur le long terme est très difficile et beaucoup d’entreprises doivent faire face à des échecs cuisants. Ce sont là des problèmes cruciaux que les gestionnaires doivent affronter. Des mesures telles que la création d’une expérience globale sur plusieurs canaux (jeu, site web, application mobile), l’animation de la communauté des joueurs ou la canalisation de leur créativité pour le bénéfice de la firme font partie des solutions. Afin de trouver plus d’éléments de réponses, une étude
  • 7. 7 exploratoire a été menée dans une grande entreprise d’édition de jeux vidéo. Les gestionnaires sont confrontés au défi des évolutions des tendances de consommation des joueurs ; ils doivent adapter leurs produits et leurs méthodes organisationnelles aux exigences du marché, et cela passe par plus d’investissement dans les stratégies de post-lancement. La problématique à laquelle cette recherche tente de répondre est la suivante : quelles sont les meilleures pratiques de stratégie post-lancement en termes de capitalisation sur l’expérience de jeu, de gestion de la communauté et de la co-création, et en quoi ces pratiques amènent-elles de l’acquisition, de la rétention et de la monétisation ? Cette problématique sera abordée en trois parties. En première partie, une revue de littérature établira l’état de la recherche sur les thèmes abordés. Tout d’abord, les bouleversements qu’internet a apporté aux pratiques du marketing et aux relations entre les firmes et leurs clients seront explorés. Ensuite, l’impact de la culture de la gratuité sur internet sur les tendances de consommation des produits de divertissement, y compris les jeux vidéo, sera exposé. Cela donnera lieu à l’explication de concepts clés de cette étude : le trinôme acquisition, rétention et monétisation, suivi de l’expérience, les communautés d’utilisateurs et la co-création. La seconde partie présentera le cadre conceptuel et la méthodologie de cette recherche. Anxieux de s’éduquer sur les meilleures pratiques de gestion de post-lancement, les gestionnaires de l’entreprise hôte ont fait conduire de nombreuses études concurrentielles. Regroupant des jeux de tous genres et horizons, ces études, véritables études de cas, ont servi de données secondaires pour ce projet de recherche. Ces données ont été mises en forme et analysées afin de dégager les standards de l’industrie en matière de stratégies post-lancement. Dans la dernière partie, ces standards seront regroupés en meilleures pratiques et classés selon l’élément qu’ils permettent de générer : de l’acquisition, de la rétention ou de la monétisation.
  • 8. 8 Revue de littérature 1. Marketing et internet En facilitant la communication horizontale de consommateur à consommateur, internet a révolutionné le marketing. Pendant des décennies, le flot d’information était unidirectionnel : d’entreprise à client. Les contacts entre firme et consommateur passaient essentiellement par les canaux de la firme, même s’il existait des associations de consommateur ayant un certain pouvoir d’opposition. Toutefois, l’entreprise était la seule source d’information sur ses offres, et pouvait très facilement la contrôler. L’arrivée d’internet a bouleversé cette donne. L’information circule à présent entre les internautes. L’asymétrie d’information qui était de mise auparavant est en voie de disparaitre. Cela a bouleversé les méthodes de marketing et de communication des firmes. Dès 1996, Hoffman et Novak remarquaient l’efficacité d’internet en tant qu’outil marketing. La recherche de l’époque suggérait que le marketing direct par internet était un quart moins cher que par les canaux traditionnels. Entre 1990 et 1995, Sun Microsystems innovait en mettant en ligne la première FAQ (« Frequently Asked Questions »), économisant ainsi environ 4 millions de dollars en processus d’information. En 1995, IBM publiait les résultats d’une étude déclarant que les catalogues en ligne pouvait réduire jusqu’à 25% les temps de traitement des commandes et les coûts des processus (Hoffman et Novak, 1996). En 2013, le e-commerce en Europe représentait 363 milliards d’euros, dont 46% en services. L’Europe recense aujourd’hui plus de 645 000 sites marchands dits « pure players », c'est-à-dire qui n’effectuent leurs transactions qu’en ligne. Le chiffre d’affaires du e-commerce aux États- Unis était quant à lui de 315 milliards d’euros en 2013. Le chiffre d’affaire global du e- commerce, le nombre d’internautes y ayant recours ainsi que le panier moyen continuent d’augmenter en 2014. Le montant moyen d’une transaction en ligne est maintenant d’environ 84 euros en France, contre 81 euros en 2013 (chiffres de la Fevad).
  • 9. 9 2. Gratuité sur internet Internet facilite la communication de plusieurs à plusieurs. Le progrès technologique et l’arrivée du Web 2.0 ont aussi permis la création et le partage de contenu entre les internautes. Alimentée entre autres par la montée du piratage, une culture de la gratuité a vu le jour sur la toile. Les industries culturelles telles que le film et de la musique ont été heurtées de plein fouet par ces pratiques. En 2011, un article paru dans le UCLA Journal of Law and Technology s’intéresse au problème du téléchargement illégal de musique. La FIIP (Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique) publiait un rapport en 2010 signalant le déclin des ventes mondiales de musique de 30% entre 2004 et 2009. D’après cette étude, 95% de la musique téléchargée sur internet est piratée. Même si le contenu créé par l’industrie de la musique est chéri et désiré par beaucoup, les consommateurs continueront de ne pas payer pour du contenu qu’ils peuvent obtenir gratuitement. C’est là le cœur du problème. La forme intangible d’une œuvre digitale, le manque de conviction morale uniforme sur le téléchargement (rarement perçu comme étant « mal ») et l’idée que la musique est une ressource communale devant être partagée pour le bien public, alimentent la culture de la gratuité sur le net (Rostami, 2011). La musique n’est pas la plus durement touchée par ces pratiques. L’industrie du film, dont les produits sont plus à usage unique, a beaucoup de mal à être compétitive face à du contenu gratuit (Smith et Telang, 2009). Quantifier avec exactitude l’impact du piratage sur l’industrie cinématographique en termes de pertes de revenus et d’emplois est très difficile à cause de la nature illégale du phénomène. La communauté scientifique tente de trouver une solution depuis plusieurs années. En 2006, l’industrie publiait un rapport basé sur une étude par l’Institute for Policy Innovation, un groupe de réflexion basé au Texas, affirmant que le piratage de films coûtait à l’économie américaine un total de 20,5 milliards de dollars par an. C’est cette étude qui servit ensuite de socle pour l’écriture du Stop Online Piracy Act, ou SOPA. Sa méthodologie fut challengée de nombreuses fois, et il est maintenant certain que les chiffres sont trop élevés et ne reflètent pas la réalité (The Wall Street Journal). Cependant, le débat ne fait que justifier l’ampleur de l’impact du piratage sur l’industrie cinématographique.
  • 10. 10 Internet a tendance à placer le contenu digital gratuit sur un piédestal. La gratuité sur internet a progressé avec l’accessibilité grandissante au net, et avec la facilité croissante de partager du contenu. Tous les produits digitaux sont touchés, y compris les jeux vidéo. Le contexte de l’industrie des jeux vidéo a beaucoup changé en quelques années. Le jeu vidéo est aujourd’hui la première industrie culturelle du monde, ainsi que la plus rentable. Aux Etats Unis, les revenus du secteur en 2012 s’élevaient à environ 14,8 milliards de dollars, contre 10,8 milliards pour le cinéma et 7,1 milliards pour l’industrie musicale. Le jeu Call of Duty : Black Ops 2 a rapporté 370 millions d’euros lors de sa première journée d’exploitation. C’est le premier produit de divertissement, tous secteurs confondus, à dépasser le milliard de dollars de recettes en quinze jours, battant de deux jours le record établi par le film Avatar. Avec quatorze jeux depuis 2003, le volume total des ventes de la licence Call of Duty s’élève à 10 milliards de dollars et surpasse les recettes des licences Harry Potter et Star Wars. La dématérialisation galopante des jeux vidéo en font un contenu digital très attractif, adapté aux tendances de consommation. Durant la GDC (Game Developer Conference) 2013, des analystes de NPD, iResearch et Digi-Capital ont présenté les performances du secteur. Les ventes de jeux digitaux et de contenu téléchargeable augmentent à un rythme de 33% par an aux États-Unis et en Europe. Les dépenses de jeux en Chine, pratiquement entièrement digitaux, pourraient augmenter selon les prévisions de plus de 10% annuellement pendant les trois prochaines années. Il est également prévu que l’Asie soit le plus gros marché mondial de jeux en ligne d’ici 2016. Les États-Unis, l’Angleterre, la France et l’Allemagne représentent à eux-seuls 10 milliards de dollars en ventes de jeux digitaux en 2012. Aux États-Unis, le contenu digital représente maintenant 49% des dépenses totales en jeux vidéo, par rapport à 28% en 2010 (chiffres de gamesindustry.biz). Figure 2: Historique de la licence Call of Duty
  • 11. 11 Pour la première fois en 2012, les revenus de jeux physiques aux États-Unis étaient inférieurs aux revenus combinés d’autres formats (cf. Figure 1). Figure 3: Revenus mondiaux du secteur du jeu vidéo en 2012 (en milliards d’USD) Figure 4: Ventes de jeux d’ordinateur et de jeux vidéo aux États-Unis (format physique) en milliards d’USD
  • 12. 12 3. Le modèle d’affaire free-to-play La croissance des revenus des formats dématérialisés est alimentée par un modèle d’affaire très populaire dans les jeux digitaux, car adapté à la culture de la gratuité sur internet : le free-to-play. Un free-to-play est un jeu vidéo digital freemium : le joueur a accès à la majeure partie du contenu sans payer, et le jeu est monétisé en vendant du contenu virtuel contre de l’argent réel. Ce modèle d’affaire a entraîné une véritable redéfinition du marché. Maintenant, les joueurs sont libres d’essayer une multitude de jeux sans dépenser le moindre sou. Cela constitue une rupture par rapport à ce qui était la norme auparavant : des jeux seulement disponibles après achat ou par abonnement. Une grande variété de jeux est désormais accessible sans aucun coût de transaction et on assiste à un changement dans le comportement des joueurs, qui essayent de plus en plus de jeux en même temps. Figure 5: Types de jeux vidéo joués au moins une fois par semaine aux États-Unis en 2013 Le phénomène du free-to-play s’est abattu rapidement et brutalement sur le secteur du jeu vidéo, à tel point que de nombreux éditeurs ont dû opérer un changement de modèle d’affaire en cours
  • 13. 13 de route. Des entreprises inexpérimentées ont dû soudainement faire face au défi de la monétisation. Changer de gratuit à gratuit et payant pour tout produit ou service représente un challenge pour les gestionnaires, en particulier lorsque les consommateurs ont de nombreuses alternatives. Dans un sens général, les fournisseurs de contenu qui se déplacent de la gratuité vers des contenus payants prennent deux décisions stratégiques: la décision des restrictions d’usage et la détermination du prix. La décision au niveau de la restriction est la mesure dans laquelle un contenu auparavant gratuit devient payant pour les utilisateurs (c'est-à-dire, la plupart du contenu demeure gratuit, à l'exception de quelques sélections). Souvent, une partie suffisamment conséquente du contenu reste gratuit, résultant en une combinaison d'utilisateurs gratuits et payants (Pauwels et Weiss 2008). Tel est le cas dans les jeux free-to-play, et c’est là l’un des défis de ce modèle : la vaste majorité des utilisateurs de paie rien, et la monétisation ne repose que sur une petite partie des joueurs. Ainsi, la courbe de revenu d’un jeu freemium ressemble typiquement à une courbe de la longue-traîne. Si pour une raison quelconque le jeu venait à perdre ces utilisateurs payants, sa survie serait en danger. L’étude de Pauwels et Weiss donne des pistes sur les meilleures pratiques permettant d’opérer la transition de modèle gratuit à gratuit et payant (freemium) dans les meilleures conditions. Tout d’abord, l’entreprise doit déjà avoir un produit exemplaire avec une proposition de valeur forte, et une base d’utilisateurs nombreux et loyaux. À l’issue de la transition, les utilisateurs payants doivent compenser les coûts engendrés par les utilisateurs gratuits, et ce malgré la culture de la gratuité sur internet expliquée précédemment. Pour arriver à cet équilibre, plusieurs facteurs entrent en jeu durant la transition. Premièrement, les actions marketing. L’entreprise de doit pas être conservatrice en investissements marketing au moment de cette transition. Il est essentiel que les utilisateurs soient tenus au courant des tenants et aboutissants de ce changement (raison, prix, calendrier, etc). Ces actions peuvent prendre la forme d’envois d’infolettres, de campagnes de publicité AdWords, utilisation de réseaux d’affiliés, etc. Dans le cas étudié par Pauwels et Weiss, l’entreprise avec la transition la plus réussie avait envoyé un total de 30 infolettres différentes à ses clients. Le second facteur ayant un impact majeur sur le succès de la transition gratuit-payant est le timing. En effet, la base d’utilisateurs du produit en question doit avoir plafonné. C’est là le meilleur moment pour passer à un freemium.
  • 14. 14 À ce sujet, la recherche enseigne que le contexte est essentiel dans le choix du modèle d’affaire. Quand la croissance des utilisateurs d’un produit digital est forte et organique, un financement par la publicité est la meilleure réponse, celle qui mènera aux meilleurs résultats et la meilleure satisfaction. À partir du moment où cette croissance a plafonné, le modèle le plus adapté devient le freemium (Pauwels et Weiss 2008). 4. Acquisition, rétention et monétisation Comme pour tous les produits freemium, les défis posés par les jeux free-to-play sont l’acquisition d’utilisateurs, payante ou organique, la rétention et la monétisation. D’ailleurs, les gestionnaires appellent souvent ces trois éléments « la trinité », tant ils sont déterminants dans le succès ou l’échec du produit. 4.1. Acquisition L’acquisition d’utilisateurs, ou de consommateurs, est un sujet de marketing critique dans tous les secteurs. Pendant longtemps, la recherche a approché la question sous l’angle de la satisfaction client et la de valeur perçue de la qualité de service, afin de comprendre la façon dont les jugements sont formés. La satisfaction est définie comme l’évaluation globale de la performance d’une offre par un client (Johnson et Fornell 1991). Cette satisfaction globale a un fort effet positif sur les intentions de loyauté du client à travers un large éventail de catégories de produits et services (Fornell 1992, Fornell et al. 1996). Puisque l’évaluation globale se construit sur la durée, la satisfaction est typiquement un médiateur des effets de la qualité des produits et services et de l’équité des prix sur la loyauté (Bolton et Lemon 1999, Fornell et al. 1996). Elle contient également une composante affective importante, engendrée par l’usage répété du produit ou service (Oliver 1999). Dans un contexte de service, la satisfaction globale est similaire à l’évaluation de la qualité de service. Comparé à des mesures de performances basées sur une seule transaction, l’évaluation globale a de meilleures chances d’influencer les bons comportements de consommateurs, tels que le bouche-à-oreille positif et le rachat (Boulding et al. 1993).
  • 15. 15 Au fil des années, l’attention des chercheurs s’est déplacée pour se concentrer sur le retour sur investissements de la qualité de service et de la satisfaction. Ce courant a donné naissance à plusieurs modèles conceptuels et études empiriques tentant de quantifier l’impact économique de ces deux variables sur revenus et profitabilité. Par exemple, la chaîne satisfaction-profit (Anderson et Mittal 2002), ou encore la chaine service-profit (Heskette et al. 1994, Kamakura et al. 2002). Un de ces modèles établit le lien de cause à effet qui relie l’acquisition à l’un de ses antécédents les plus forts : le bouche-à-oreille. Wangenheim et Bayón effectuent deux études empiriques, l’une dans un contexte B2B et l’autre B2C. Dans les deux cas, ils établissent le lien entre satisfaction client et le bouche-à-oreille, ainsi que le lien entre bouche à oreille et l’acquisition de nouveaux clients. Cette étude a permis de rajouter le bouche à oreille comme antécédent à l’acquisition, aux côtés de la qualité et de la satisfaction (Wangenheim et Bayón 2007). 4.2. Rétention Les chercheurs en marketing et gestionnaires comprennent bien l’importance cruciale de la satisfaction et de la loyauté sur la profitabilité (Fornell et al. 1996, Mittal et Kamakura 2001). En effet, des clients loyaux et satisfaits sont moins sensibles aux prix, et sont plus prompts à pardonner les erreurs si celles-ci sont justifiées (Homburg, Hoyer et Koschate 2005). La loyauté est souvent interprétée comme de la rétention réelle, pilier des pratiques de CRM (« Customer Relationship Management »). La recherche identifie trois principaux antécédents à la rétention : la satisfaction, l’engagement ainsi que des déclencheurs situationnels et réactionnels. L’efficacité des stratégies de CRM varie considérablement selon lequel de ces facteurs actionne la rétention. Si la satisfaction client est le principal inducteur de rétention, l’entreprise devrait améliorer sa qualité de produit ou proposer de meilleurs prix. Si l’engagement est la dimension la plus importante, l’entreprise devrait soit développer des relations plus directes avec ses clients, soit mettre en place des barrières au changement de fournisseur. Par exemple, certains opérateurs téléphoniques rendent la rupture de
  • 16. 16 contrat très complexe pour le client, de manière à décourager les départs. Et encore, ces stratégies peuvent dépendre des conditions de déclenchement auxquelles le consommateur est confronté lors de la prise de décision (Gustafsson, Johnson et Roos 2005). La rétention optimale est un sujet complexe pour les gestionnaires, et la détermination de la bonne stratégie se fait souvent au cas-par-cas. Le concept de satisfaction client a été expliqué précédemment. Le second antécédent à la rétention identifié par la recherche est l’engagement dans la relation firme-client (Bendapudi et Berry 1997, Morgan et Hunt 1994). S’inspirant de la littérature en recherche organisationnelle (Meyer et Allen 1997), les chercheurs en marketing ont défini l’engagement de plusieurs manières : le désir de maintenir une relation (Moorman, Deshpandé et Zaltman 1993, Morgan et Hunt 1994), la promesse de la continuité de la relation entre les parties (Dwyer, Schurr et Oh 1987), un sacrifice ou un sacrifice potentiel en cas de fin de la relation (Anderson et Weitz 1992), et l’absence d’offres compétitives (Gundlach, Achrol et Mentzer 1995). Ces sources diverses se complètent pour créer de « l’adhérence », qui assure la loyauté des clients à une marque, même quand la satisfaction est basse. L’engagement possède plusieurs dimensions. L’engagement affectif capture véritablement la confiance et la réciprocité dans la relation. L’engagement calculateur en revanche, illustre la compétitivité de l’offre de la firme par rapport à ses concurrents (Gustafsson, Johnson et Roos, 2005). Le troisième antécédent est plus nébuleux : il s’agit des déclencheurs situationnels et réactionnels auxquels le consommateur est soumis au moment de former son jugement. De manière générale, un déclencheur est un facteur ou un événement qui change la nature d’une relation (Roos, Edvardsson et Gustafsson 2004). Les déclencheurs situationnels altèrent le jugement d’une offre par un client selon des événements affectant le cours de sa vie à ce moment. Par exemple, des bouleversements familiaux, un changement de situation professionnelle, etc. D’une certaine manière, le produit ne reflète plus les besoins du client. Les déclencheurs réactionnels sont des incidents critiques de détérioration des performances perçues. Quand quelque chose d’inattendu advient, comme un bris, ou un défaut de qualité exceptionnel avant, pendant ou après achat et pendant la consommation, cela redirige l’attention du consommateur vers l’évaluation plus attentive du présent, ce qui peut amorcer le processus de transfert vers un concurrent. Par
  • 17. 17 exemple, Bolton (1998) découvre que les échecs de service non déclarés ont un effet négatif important sur la rétention. Ce sont là les trois antécédents principaux à la rétention. Une étude publiée en 2005 dans le Journal of Marketing apporte des clarifications sur les interactions entre ces trois variables dans un contexte de services d’opérateur téléphonique. Ces découvertes sont notoires car applicables à de nombreux secteurs. Ainsi, la satisfaction client mesurée en tant que mesure globale de la performance de service, est un bon prédicteur de la rétention. Une autre découverte est l’effet de l’engagement calculateur, qui a un impact positif significatif sur la rétention. Enfin, l’étude met en lumière les effets inédits de la rétention (ou du désengagement) passée sur la rétention future. Ainsi, la satisfaction a plus d’influence sur les clients enclins à rester chez le même fournisseur (Gustafsson, Johnson et Roos, 2005). Ces découvertes ont plusieurs implications pour les stratégies de CRM, couramment déployées par les entreprises pour renforcer la rétention. Les gestionnaires devraient inclure à la fois les évaluations globales de performance (la satisfaction client) et de la viabilité des offres concurrentes (l’engagement calculateur) dans les sondages périodiques effectués pour prévoir la rétention. Alors que la satisfaction client est communément incluse dans ces sondages, l’engagement calculateur en est souvent absent. Mesurer l’engagement calculateur des clients aide à capturer l’élément compétitif, décisif dans la détermination de la rétention. Les actions entreprises par les gestionnaires en CRM dépendent du facteur ayant le plus d’influence sur le désengagement. Si la satisfaction est le facteur principal, l’effort devrait se concentrer sur l’amélioration de la satisfaction, que les concurrents fassent de même ou pas. Par contraste, si l’engagement calculateur est le facteur principal, l’emphase devrait être sur le renforcement des aspects de la proposition de valeur qui sont uniques à la firme. En d’autres termes, l’engagement calculateur force les gestionnaires à penser au-delà de l’amélioration de la satisfaction seule et à mieux réfléchir à leur avantage compétitif. Dernier argument d’importance pour les gestionnaires : le besoin de contrôler l’hétérogénéité dans la relation satisfaction-rétention. L’étude offre une solution assez simple : inclure le désengagement passé dans l’analyse. Cela permet aux gestionnaires de comprendre les effets de
  • 18. 18 la satisfaction et de l’engagement sur la rétention, au-delà des différences de propension intrinsèque à changer de fournisseur. Non seulement certains clients sont naturellement prédisposés à quitter leur fournisseur de service, mais d’autres sont aussi plus sensibles aux changements de satisfaction. En identifiant quels clients ont une propension à rester et répondre aux efforts de renforcement de la satisfaction, les gestionnaires peuvent augmenter leur retour sur investissement (Gustafsson, Johnson et Roos, 2005). Cette étude a été réalisée dans un contexte de services de télécommunication. Avec la dématérialisation, les jeux vidéo sont aujourd’hui plus proches du service que du produit tangible. On est donc en mesure de supposer raisonnablement que ces résultats sont aussi valables pour le secteur vidéoludique, même si les études manquent encore à ce sujet. 4.3. Monétisation Historiquement, l’étude de la monétisation au sens large est associée à l’étude de l’argent et des échanges. Les échanges incluant de l’argent son dits « monétisés ». Le sujet a été étudié au moins depuis Aristote (Mielke 2000). Dans cette étude en revanche, la monétisation fait référence à la génération de revenus par un produit digital freemium, en l’occurrence un jeu vidéo free-to-play. Comme expliqué auparavant, ces jeux proposent au joueur des biens virtuels contre des sommes incrémentales d’argent réel. C’est le système des microtransactions. Les microtransactions ont le vent en poupe. PlaySpan, une entreprise de solutions de monétisation pour produits digitaux, publiait un rapport sur la consommation de biens virtuels en 2012. L’étude montre que les américains ont acheté pour plus de 2,3 milliards de dollars de biens virtuels en 2011. Cela fait environ 64 dollars dépensés par joueur au cours de cette année. Globalement, deux fois plus de personnes achetaient des biens virtuels en 2012 qu’en 2009, en dépensant 28% de plus qu’auparavant (Business Wire). Tout indique que cette tendance continue de s’affirmer aujourd’hui. La monétisation était un sujet vivement discuté pendant les GDC (Game Developers Conference) 2013 et 2014, (Digital Rivers Monetization Conference).
  • 19. 19 Alors que les stratégies d’acquisition-rétention-monétisation de jeux et produits de divertissement digitaux ont toute l’attention de la communauté des gestionnaires, la littérature de gestion commence tout juste à s’intéresser au sujet. Ces questions sont pourtant critiques pour les firmes, toujours plus nombreuses dans une industrie dont la croissance ne montre que peu de signes de fatigue. Récemment, même des jeux vidéos dits « AAA », c'est-à-dire à très gros budget (l’équivalant des blockbusters hollywoodiens, vendus de manière similaire) commencent à introduire des mécanismes de microtransactions dans leur gameplay. Ainsi, le dernier jeu de la licence à succès Assassin’s Creed propose des objets virtuels contre de l’argent réel. C’est une première ; jusque-là les microtransactions étaient l’apanage des jeux free-to-play à petit budget. Cette tendance souligne le potentiel de ce modèle d’affaire. 5. Argent réel et mondes virtuels Le principal défi du modèle d’affaire des microtransactions dans les jeux vidéos est l’échange d’argent bien réel contre des objets virtuels, objets qui n’existent que dans le jeu. Ces objets ont nécessairement une durée de vie très limitée, que ce soit par design ou parce qu’ils dépendent de la durée de vie du jeu, et une utilité cantonnée à un univers virtuel. Ce concept a piqué l’intérêt de la communauté scientifique, et la recherche a produit un certain nombre de travaux sur le sujet. Comme vu précédemment, des actifs de jeu tels que des personnages, des devises virtuelles ou des objets sont de plus en plus échangés pour de l'argent réel. Cette pratique a vu le jour au début des années 2000, au lancement des premiers jeux de rôles massivement multijoueurs, tels que Dark Age of Camelot ou Everquest. Une économie parallèle s’est développée, où les joueurs vendaient et achetaient des actifs de jeu pour de l’argent réel en dehors des règles du jeu. Les opérateurs de jeu ont réagi de diverses manières à cette tendance: certains ont essayé de limiter le commerce, tandis que d'autres l'ont encouragé. La littérature propose d’ailleurs une classification des structures de marché associant l'ensemble des stratégies à la disposition de l'opérateur de jeu pour faire face à l'argent réel en échange d'actifs virtuel (Ledhonvirta, 2008).
  • 20. 20 Par la suite, dans certains jeux en ligne, le commerce de l'argent réel («Real Money Trade ») fut intégré dans la conception. Sulake, l'exploitant du populaire MMOG (Massively Multiplayer Online Game) Habbo Hôtel, interdit ainsi aux joueurs de négocier entre eux, mais leur vend des objets virtuels contre de l’argent réel. MindArk, opérateur du jeu virtuel Entropia, cherche à intégrer l'économie virtuelle avec l'économie réelle en garantissant un taux de change fixe de dix dollars Project Entropia pour un dollar réel. Récemment, Electronic Arts et Sony Online Entertainment ont suivi ce modèle : EA offre des éléments et attributs avatar à vendre, tandis que SOE fournit un marché sécuritaire pour les transactions de joueur à joueur. Les chercheurs en psychologie se sont penchés sur la question de la motivation à l’achat de biens virtuels contre de l’argent réel. Ainsi, les scientifiques Guo et Barnes proposent un modèle conceptuel du comportement d’achat des joueurs dans un contexte de monde virtuel. Testé empiriquement, ce modèle identifie la personnalisation et la réalisation comme étant deux grandes motivations des joueurs à l’achat de biens virtuels (Guo et Barnes 2007). La personnalisation représente le désir de personnaliser son expérience de jeu afin de la rendre unique. Des objets qui y correspondent sont par exemple des vêtements et accessoires pour l’avatar du joueur. La réalisation capture le progrès dans le jeu et la performance du joueur. Des articles rendant le personnage plus fort ou plus rapide apportent une réponse à ce besoin. La recherche récente apporte des ajustements à ce modèle. Une étude effectuée en 2012 découvre ainsi que la personnalisation est un antécédent plus puissant à la satisfaction des joueurs et à la valeur perçue des objets virtuels à long terme. L’explication avancée est que les objets purement cosmétiques n’impactent pas l’équilibrage du jeu, contrairement aux objets qui confèrent des bonus aux joueurs. Les jeux n’employant pas ces derniers ont à terme une meilleure stabilité entre les joueurs, dont les performances en jeu ne dépendent plus que du mérite, et non pas de la quantité d’objets achetés (Byoungsoo 2012). À noter que cette étude a été effectuée dans un contexte de jeu en ligne persistant, proposant un gameplay coopératif et compétitif. MacInnes (2004; 2005) a étudié le commerce de l’argent réel (« Real Money Trade » ou RMT) du point de vue de l'opérateur de jeu. Cette perspective a un intérêt pratique, mais peu de choses
  • 21. 21 ont été écrites jusqu'à présent. MacInnes décrit les défis que constituent les marchés secondaires, c'est-à-dire opérés par les joueurs en dehors des règles du jeu, pour les modèles d'affaires actuels. Son conseil est de s'ajuster et de s'adapter à cet environnement changeant. En revanche, Bartle (2004) conseille aux opérateurs de s'opposer activement à ce modèle d’affaires RMT. Il identifie un grand nombre d’écueils avec le commerce d'actifs virtuels, tels que la distorsion de l’équilibre de jeu. Il conclut que le RMT est mauvais pour les affaires de l'opérateur. Les années semblent avoir donné tort à Bartle. Le RMT est maintenant implanté dans une multitude de jeux, et représente l’un des segments les plus profitables du marché. La différence est que maintenant, le jeu lui-même se présente comme le fournisseur principal de contenu, court-circuitant les transactions entre joueurs. Il est intéressant d’ailleurs d’étudier de commerce virtuel, en apparence très restrictif, sous une perspective économique classique. Le pouvoir des éditeurs devient évident dans ces économies virtuelles, sur la valeur et la perception de valeur des biens. Si ceux-ci modifient les règles du jeu, le prix des objets virtuels en sera inévitablement affecté. Par exemple, la modification de la quantité d’un objet donné dans le jeu, ou en d’autres termes l’altération de l’offre, aura des conséquences sur la valeur de cet objet. Cela confère à la firme un contrôle absolu sur l’économie virtuelle de son jeu (Hildebrand et Majchrzak, 2014). La flexibilité du RMT semble avoir trouvé écho avec les comportements des consommateurs, qui plébiscitent la possibilité de mettre la somme d’argent qu’ils veulent dans un jeu, au lieu de payer un prix fixe. En revanche, trouver le mix parfait acquisition-rétention-monétisation pour un jeu possédant des mécaniques de free-to-play tient toujours de la gageure, et de nombreuses firmes s’y cassent les dents. Les success-stories incroyables de quelques start-ups telles que Kabam ou Supercell éclipsent les innombrables autres ayant dû déposer le bilan faute de revenus suffisants. Cette problématique se complexifie encore quand on y rajoute des variables telles que l’expérience de jeu, les communautés d’utilisateurs ainsi que la co-création de contenu.
  • 22. 22 6. Expérience L’expérience de jeu est déterminante dans la rétention des joueurs ainsi que la monétisation. Elle fait partie intégrante de la proposition de valeur du jeu. Plus encore, la proposition de valeur toute entière d’un service tel qu’un jeu vidéo repose sur le design d’une expérience (Bitner, Ostrom et Morgan, 2008). De manière générale, une expérience peut être définie par une sensation forte et/ou agréable, ou l’apprentissage d’une connaissance. Il s’agit d’un événement mémorable et/ou transformationnel. Elle est également holistique ; elle commence avant l’événement et continue après qu’il ait pris fin (Schmitt 1999). Lemke, Clark et Wilson définissent l’expérience client comme la réponse subjective du consommateur à une rencontre holistique, directe et indirecte avec la firme (Lemke, Clark et Wilson, 2011). La question de l’expérience est cruciale pour les services ; il existe même un courant de pensée selon lequel tout est service, et chaque produit est le vecteur d’une expérience (« Service Dominant Logic », Vargo et Lusch 2004). La littérature de marketing des services est riche sur l’expérience. L’expérience est une source de différenciation et de valeur, que ce soit pour un produit ou un service. Grâce à l’expérience, un consommateur développe un attachement émotionnel envers la firme, ce qui en fait un fort antécédent à la satisfaction et à la loyauté. L’expérience est plus large que le service, et est même le résultat d’une co-création entre le client et la firme. En effet, le client va tirer une valeur bien subjective et personnelle de son expérience globale avec une entreprise. Cette valeur varie selon les personnes et dépend de leurs objectifs personnels. C’est le concept de « value-in-use », ou valeur d’usage (Macdonald et al. 2009) La recherche en comportement du consommateur a produit des études sur les expériences client sur internet, et notamment celles capables d’induire un état mental optimal, le « flow ». (Hoffman et Novak, 1996). Des données empiriques permettent d’affirmer que l’état de flow permet d’attirer les consommateurs, réduire la sensibilité au prix, et influencer positivement les attitudes et les comportements ultérieurs (Novak, Hoffman et Yung 2000). La littérature définit le flow comme un état de motivation optimal. Cet état est atteint lorsque les défis posés par
  • 23. 23 l’environnement et les compétences de l’individu sont en équilibre et au-dessus d’un seuil critique. L’équilibre entre les compétences et les défis se reflète dans un modèle de flow à quatre canaux qui identifie quatre états d’esprit : l’ennui, l’apathie, l’anxiété et l’état optimal, le flow (Mathwick et Rigdon, 2004). L'expérience en ligne crée une source identifiable de valeur qui est positivement associée au web. La perception du jeu est très sensible aux changements de l'équilibre entre le défi de navigation et les compétences de recherche sur Internet, et cet effet est influencé par la participation du produit. Le flow est particulièrement pertinent dans un contexte de jeu vidéo. En effet, l’objectif premier des mécaniques de jeu est d’induire cet état optimal afin de happer le joueur, de lui faire perdre la notion du temps quand il joue, et l’inciter à revenir. Le jeu perçu constitue l’essence même de la proposition de valeur d’un jeu. C’est là-dessus que repose la qualité de l’expérience de jeu pour tous jeux confondus. C’est également un facteur critique de rétention ; un joueur en état de flow perd la notion du temps, et est plus susceptible de rester plus longtemps dans le jeu. Il a même été prouvé que le flow induit par les jeux vidéo renforce les processus de mémorisation et améliore les capacités d’apprentissage (Lai et al. 2013). Certains gestionnaires avancent même l’argument qu’aujourd’hui, il est plus pertinent de considérer un jeu comme une expérience utilisateur dans le design de la stratégie marketing et commerciale. Dans cette optique, la firme doit continuer de supporter le jeu après sa sortie afin d’entretenir, et d’optimiser cette expérience. En 2009, la revue managériale Advertising Age publiait un article soutenant cet argument. En effet, les manières de délivrer du contenu vidéoludique n’ont cessé de se diversifier : contenu téléchargeable, packs d’expansion, jeu en ligne et sur mobile, et la liste est encore longue. Cela offre aux consommateurs une combinaison irrésistible de choix, de commodité et de prix bas, afin que tous puissent trouver satisfaction. L’article cite le directeur d’une firme de consultation spécialisée dans les services technologiques ; d’après lui, le secteur des jeux vidéo est en train de devenir une industrie basée sur les relations entre les joueurs et les fournisseurs de contenu. Les jeux deviennent des services, et ces relations perdurent après la sortie du titre par les mises à jour et le dialogue entre les développeurs et la communauté. Les formats de jeux n’ont cessé de se diversifier ; de la grosse production à 60 dollars au free-to-play, il existe une multitude de façons de consommer
  • 24. 24 un jeu. Les méthodes marketing des compagnies s’adaptent en fonction de ces changements. Malgré la complexification des processus, cette tendance permet aux firmes de se rapprocher de leur audience et d’approfondir la relation avec les joueurs (Snyder, 2009). 7. Communautés d’utilisateurs Le rôle des communautés d’utilisateurs prend une place de plus en plus importante dans le secteur des jeux vidéo. Internet 2.0 a donné les outils aux joueurs pour se retrouver en ligne, partager sur leurs jeux préférés et renforcer le sentiment de communauté. Des plateformes en ligne telles que Youtube ou Twitch deviennent des lieux privilégiés où les joueurs créent le dialogue autour du jeu. Les développeurs et éditeurs mettent en ligne des forums dédiés à tel ou tel jeu pour entamer la conversation avec leurs fans. Dans le marketing moderne il est primordial de comprendre les « brand communities » car ce sont les acteurs de ces brand communities qui sont à l’origine du processus de co-création notamment dans le domaine des jeux vidéo. La brand community, ou communauté de marque, ne peut se définir comme une simple relation des membres à la marque ou à un service, mais véritablement comme un rapport par la marque. Les membres ont certes un lien très fort à la marque en tant que membre de la communauté mais ils développent avant tout un lien très fort entre eux. Les membres de cette communauté ont l’impression de se connaître bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés. Bender (1978) théorise cette pensée par le concept de « we-ness ». Les membres d’une communauté de marque ne se définissent pas seulement par rapport à la marque elle-même mais par opposition à un style de vie. Cette adhésion à une communauté de marque permet de signifier une différence par rapport à un mode de vie. L’unité de la communauté de marque est d’autant plus forte que l’ennemi est détesté. Les rites et traditions au sein d’une communauté de marque sont un facteur de la vitalité de celle-ci. Ces rites et traditions permettent de donner un sens à cette communauté et sont un outil de transmission de cette culture. Une hiérarchie implicite et explicite se forme au sein d’une communauté de marque. Différents marqueurs permettent de distinguer les « true believers » des personnes plus opportunistes vis-à-vis de la marque. Ainsi les « true believers » vont avoir une
  • 25. 25 connaissance plus approfondie de l’histoire de la marque, c’est un véritable capital culturel qui démontre une réelle expertise, un engagement plus profond au sein de la communauté. L’appartenance à une communauté de marque a trois fonctions principales : (i) elle confère aux membres une position plus importante du fait de la dimension collective de la brand community et des nouvelles formes de communication, (ii) elle constitue une source d’informations pour les membres et (iii) fournit un bénéfice social. Les concepts de communauté de marque et communauté virtuelle se chevauchent, mais ne sont pas synonymes. Les communautés de marque sont souvent soutenues par internet, mais le concept est plus large et inclut toutes les personnes se sentant connectées à la marque, en ligne ou hors-ligne. Par contraste, les communautés virtuelles n’existent par définition que dans le monde virtuel. Une communauté de marque est constituée d’un ensemble d’individus. Il est intéressant de connaître les motivations qui poussent les individus à rejoindre une communauté de marque et ainsi à s’engager dans une certaine relation à celle-ci. La « passion brand » des consommateurs pour une marque se traduit par des connaissances et compétences spécifiques (Füller 2007). Par conséquent une marque a un intérêt particulier à intégrer ses consommateurs dans le processus d’innovation. Cependant les membres d’une communauté de marque, bien qu’ils aient acquis de nombreuses expériences et connaissances de la marque, ne sont pas forcément enclins à partager leurs informations avec la marque et les autres utilisateurs. C’est en effet leur intérêt pour l’innovation et leur personnalité plus « créative » qui provoquent un engagement. La personnalité des consommateurs est un facteur considérable dans leur volonté de s’engager dans le processus d’innovation. Ainsi les gens « extravertis » et « ouverts » qui ont des connaissances plus profondes, une passion plus ancrée, ont de la sorte une volonté plus importante de participer au processus de création. Les membres d’une communauté de marque veulent obtenir des informations sur les produits et services de celles-ci. Les plateformes de discussion sont pour eux un moyen d’accès qui leur permet de répondre de manière efficace à cette attente. En effet, les membres énumèrent leurs expériences avec le produit ou service et permettent ainsi de réduire l’incertitude de leurs contemporains vis-à-vis de ce produit. De même, la communauté de marque est un terrain
  • 26. 26 d’expression des membres. Les consommateurs à travers la communauté de marque peuvent exprimer leurs implications vis-à-vis du produit et ainsi démontrer l’intensité de leur engagement vis-à-vis du produit (Lim 2003); il ne s’agit pas seulement d’expliquer le simple acte d’achat mais de prolonger véritablement leur expérience relative aux produits. De plus, et c’est très intéressant dans le cadre des jeux vidéo, certains produits peuvent être préférablement consommés collectivement (Marmolo 1999). Ainsi les créateurs de la licence FIFA ont intégré un mode de jeux qui permet de créer une ligue avec ses amis afin de pouvoir jouer en ligne avec eux. C’est aussi le cas des guildes dans les MMOG (Massively Multiplayer Online Games) ou MMORPG ("Massively Multiplayer Online Role Playing Games"). On définit par guilde, une association pérenne de joueurs réunis par un intérêt commun sous la même bannière. Les joueurs s’entraident mutuellement au sein de cette guilde et l’appartenance à celle-ci permet d’obtenir des nouvelles ressources, bonus, etc. Un exemple de ce système de guilde est le MMORPG Guild Wars 2. Les joueurs intégrant une guilde bénéficient de bonus tels que l’accès à un hall de guilde, une progression accélérée ainsi que la possibilité d’organiser des événements comme des fêtes de guilde. La communauté de marque devient alors un endroit de rencontre qui permet cette consommation collective et plus seulement individuelle. Les MMORPG sont d’ailleurs un milieu tout particulièrement propice à la formation de communautés de marques soudées. En effet, la littérature suggère que les communautés de jeux de rôle en ligne transcendent les formes habituelles de communautés de marque. Leurs caractéristiques les affilient même à des communautés tribales de marque, au sens anthropologique du terme. C’est là une forme unique de relation marque-consommateur qui agit comme un antécédent à l’achat de biens virtuels, au recrutement de joueurs et au bouche-à-oreille (Badrinarayanan et al. 2013). Enfin une motivation courante à l’intégration d’une communauté de marque est la préoccupation du membre d’incarner un symbole, sens inhérent à la marque (Aaker 1996). Par l’appartenance à une communauté le membre se voit irrémédiablement assigner les attributs de la marque; attributs qui deviennent inhérents à sa personnalité et à la perception que les gens ont de cette personne. Ces différentes motivations ont pour conséquence des relations différentes (customer- company relationship, customer-product relationship, customer-customer relationship, customer- brand relationship) des membres à la communauté de marque (McAlexander 2002). Dans le cadre des jeux vidéo par exemple, un membre va souhaiter avoir une consommation conjointe et
  • 27. 27 va donc développer des relations plus profondes avec les autres membres qu’avec la marque elle- même, à l’inverse du consommateur qui rejoint une communauté car il veut prolonger son expérience avec le produit. Le développement des communautés de marque, rendu notamment possible par l’essor des nouveaux moyens de communication, a assurément fait évoluer le paradigme traditionnel consommateur-marque vers un paradigme consommateur-marque-consommateur. Une communauté de marque forte peut entraîner un engagement plus fort vis-à-vis de la marque, augmenter la loyauté des consommateurs vis-à-vis de celle-ci et ainsi permettre la rétention des consommateurs pour la marque. La communauté de marques est avant tout un marqueur de relations entre individus au travers des bénéfices du produit. Au-delà de la simple transformation économique (économie basée sur la production à des économies de consommation) on assiste à une véritable transformation culturelle. En effet les consommateurs ne sont pas seulement impliqués dans la création de valeur mais aussi dans la création de sens (Lanier 2007). 8. Co-création et contenu généré par les utilisateurs Les firmes impliquent de plus en plus les communautés de marque dans le développement du jeu, en demandant du feedback à différents stades de développement. C’est le principe des phases beta ou du « early access » ; les développeurs rendent un jeu accessible aux joueurs avant sa sortie officielle afin de recueillir leurs avis et améliorer la qualité du produit fini. Le jeu est ainsi co-créé par la firme et ses clients, les joueurs. La coproduction est définie dans la littérature comme un processus dans lequel le producteur et le consommateur travaillent conjointement pour fabriquer un produit. Ce principe de coproduction est semblable à celui de la personnalisation, c'est-à-dire que le producteur permet au consommateur de choisir un ensemble d’options dans un choix prédéfini antérieurement par le producteur. La co-création se définit quant à elle par le processus dans lequel les consommateurs prennent un produit, conçu par autrui, et modifient ou étendent sa forme, ses sens ou ses usages de façon différente de celle prescrite par le producteur. Une nouvelle forme de co-création
  • 28. 28 apparaît : il s’agit non-seulement d’une co-création de valeurs comme défini auparavant mais aussi d’une co-création de sens « co-creation of meanings » c'est-à-dire que le consommateur modifie le produit afin de restructurer des symboles sous-jacents au produit initial. Ceci est illustré dans les jeux vidéo par les musées Minecraft. Le jeu Minecraft est un jeu « bac-à-sable » dans lequel les joueurs doivent survivre dans un environnement hostile, créer des objets et matériaux grâce au système d’artisanat et construire des structures. Cette formule simple laisse la place à des possibilités infinies et les seules limites sont celles de l’imagination des utilisateurs. Certains joueurs ont construit des musées où ils exposent leurs créations, et invitent d’autres joueurs à les visiter. Minecraft n’est alors plus seulement un jeu, mais aussi une plateforme de visite virtuelle. Plus précisément, la co-création est une forme de stratégie marketing, qui met l’accent sur la génération et la création continue de valeur, à la fois pour l’entreprise et le consommateur. Par exemple, le studio Amplitude Studios a enrichi son jeu de stratégie Endless Space à l’aide de sa communauté de joueurs. Ainsi selon son cofondateur Romain de Waubert, les développeurs ont volontairement laissé des trous dans leur planning afin de « s’assurer que des éléments auront été amenés par la communauté, seront développés pour et avec la communauté, sur lesquels Amplitude Studios n’a pas de contrôle » (Polygon). Les marchés sont donc vus comme des forums où les firmes et consommateurs actifs partagent leurs ressources afin de créer de la valeur à travers de nouvelles formes d’interactions. La co-création diffère du paradigme traditionnel de la firme active et du consommateur généralement passif ; la valeur co-créée se présente sous la forme d’expériences personnalisées et uniques pour le consommateur (la valeur d’usage). L’entreprise quant à elle bénéficie d’un revenu et d’un apprentissage continu, qui se traduisent par des performances accrues sur le marché (loyauté, relations fortes avec les consommateurs, recommandations favorables). Aujourd’hui, les consommateurs ne se contentent plus de prendre des décisions binaires (oui ou non) sur l’offre d’une entreprise. En effet, la valeur est de plus en plus co-créée par la firme et le consommateur plutôt qu’uniquement par la firme. Cependant, la co-création ne désigne pas seulement une tendance à créer des produits conjointement. Ce phénomène décrit également un éloignement du consommateur achetant des produits et services dans le cadre de transactions, vers un consommateur effectuant des achats qui font partie d’une expérience globale (Prahalad 2000). Les consommateurs recherchent également la liberté de
  • 29. 29 pouvoir choisir comment interagir avec l’entreprise à travers une gamme d’expériences. En d’autres termes, ils veulent interagir et effectuer des transactions dans leur propre style et langage, qui n’est pas forcement celui de la firme. Les jeux vidéo en ligne illustrent très bien ce phénomène. Les développeurs cherchent en effet à monétiser leurs productions sans briser l’immersion du joueur dans l’expérience de jeu ; un exemple est l’intégration des mécanismes de transaction dans l’histoire de l’univers du jeu (le « lore »). Les consommateurs ont aujourd'hui plus de choix de produits et de services que jamais. Cependant, l’insatisfaction est toujours présente. Les entreprises investissent de plus en plus pour étendre leur offre, mais sont de moins en moins capables de se différencier entre elles. Croissance et création de valeur sont devenues les thèmes dominants pour les gestionnaires. Le sens de la notion de valeur et le processus de création de valeur sont en train de passer d'une optique du produit et de l'entreprise à une optique centrée sur les expériences de consommation personnalisées. Les consommateurs sont de plus en plus informés, connectés et actifs. Ils deviennent des co-créateurs de valeur avec l'entreprise (Prahalad 2004). Des interactions de haute qualité, qui permettent à un consommateur individuel de co-créer des expériences uniques avec l’entreprise, sont essentielles pour développer de nouvelles sources d’avantage concurrentiel. L’interaction devient alors le lieu de la création de valeur ; elle peut être n’importe où dans le système, pas seulement au point de vente ou au service à la clientèle. On peut de nouveau citer l’exemple de Minecraft, dont la majorité du contenu est créée par les utilisateurs. Les développeurs se sont contentés de concevoir un outil, et de le mettre à la disposition des joueurs ; c’est la rencontre entre cet outil et la créativité des joueurs qui constitue la proposition de valeur du jeu. Par contre, la co-création requiert des ajustements à la fois de la part des managers et des consommateurs. Par exemple, la reconnaissance que les interactions doivent être fondées sur la facilité d’accès et la transparence. Pour les entreprises, cela demande des investissements technologiques mais également des changements dans leurs pratiques managériales. Les consommateurs quant à eux ont besoin de reconnaître que la co-création est à double sens, et qu’ils doivent assumer leur part de risque. Comment le paradigme de co-création s’applique-t-il en univers virtuel, le medium le plus couramment utilisé par les jeux vidéo en ligne? Ces mondes générés par les utilisateurs sont de
  • 30. 30 véritables moteurs de création ; ils permettent d’expérimenter, menant à un rythme d’innovation effréné. Les outils mis à disposition par l’entreprise encouragent les joueurs à créer tout ce qu’ils peuvent imaginer de manière itérative et interactive, tout en invitant d’autres joueurs à participer au processus de création (Kohler, 2011). Ces activités ont pris de l’amplitude et de la visibilité au cours des années, et alors que les limites entre monde réel et virtuel deviennent plus floues que jamais, les joueurs pourraient très bien utiliser leur créativité pour concevoir des produits ayant un potentiel dans la vie réelle. Les systèmes de co-création en univers virtuel capitalisent sur les interactions en temps réel permises par ce medium et entretiennent la collaboration joueur-joueur et joueur-entreprise. Le défi de la co-création en monde virtuel n’est pas tant la conception de l’infrastructure technologique, que la création d’une expérience pour les participants. Par conséquent, les firmes réfléchissent à comment trouver et attirer des personnes qualifiées, quels événements organiser pendant le projet de co-création, et comment fonder une communauté basée sur l’entre-aide. Afin d’inclure les joueurs dans le design des expériences, les entreprises lançant des initiatives de co-création créent un contexte plutôt qu’un contenu. Le succès de la collaboration avec les consommateurs dans ce contexte dépendra de la capacité de l’entreprise à rassembler les participants, les retenir et les encourager à contribuer. Pour y parvenir, la reconnaissance et la notoriété sociale au sein de la communauté sont des facteurs clé. La littérature propose un parallèle entre la théorie du capital culturel de Pierre Bourdieu et la co- création pour expliquer les processus sociaux à l’œuvre sur les plateformes de création de contenu par les utilisateurs (Levina et al. 2014). Pour reprendre l’exemple du jeu Endless Space, sa communauté en ligne est passée de 0 à 65000 membres dans la communauté grâce à ce système de co-création inédit. Le fait pour les consommateurs de « se sentir écoutés » a un impact fondamental pour eux-mêmes, mais aussi pour l’entreprise car la loyauté de sa base de joueurs ne peut que s’améliorer. L’arrivée d’internet a bouleversé les méthodes de marketing des firmes. Le World Wide Web est devenu une composante fondamentale à la fois des stratégies d’entreprise et des habitudes de consommation. En facilitant la communication de plusieurs à plusieurs et le partage de contenu, internet favorise la culture de la gratuité sur la toile. Ces changements dans la façon de consommer du contenu ont un impact brutal sur les industries du divertissement, dont les produits deviennent de plus en plus dématérialisés : la musique, les films et les jeux vidéo. La
  • 31. 31 réponse du jeu vidéo à cette tendance est la montée d’un nouveau modèle d’affaire, les microtransactions et le free-to-play. Ce modèle comporte ses défis propres. Tout d’abord comment convaincre les joueurs d’acheter pour de l’argent réel du contenu virtuel, dont l’existence et l’utilité sont cantonnés au sein des limites du jeu. La recherche nous enseigne que le besoin du joueur de personnaliser son expérience de jeu est une puissante motivation à l’achat d’objets virtuels. Ensuite, les jeux à microtransactions sont confrontés aux challenges que tout service doit relever pour assurer son existence sur le long-terme : l’acquisition, la rétention et la monétisation. Pour les services en général, la recherche en gestion est riche en bonnes pratiques pour favoriser ces trois éléments. Les jeux vidéo se rapprochant de plus en plus du service, on peut supposer que ces découvertes y ont une valeur certaine, mais aucune étude empirique ne le confirme pour l’instant. Aujourd’hui, les microtransactions sont un modèle tellement profitable que même les productions à très gros budget commencent à les mettre en œuvre. Les gestionnaires y voient un moyen d’augmenter la durée de vie de leur produit, et d’avoir un meilleur retour sur investissement. Les stratégies dites « post-lancement », c'est-à-dire qui concernent les opérations après la sortie du jeu, deviennent de plus en plus étoffées et complexes. Malheureusement, l’histoire a montré que perpétuer le mix acquisition-rétention-monétisation (dit « la trinité ») sur le long terme est extrêmement difficile, et la qualité seule du produit ne suffit plus à son succès. Dans l’environnement ultra-concurrentiel de nos jours, développeurs et éditeurs de jeux vidéo doivent fournir des efforts constants de développement et de marketing pour garder l’attention du joueur, y compris après la sortie du jeu. Ces efforts incluent la capitalisation sur l’expérience de jeu, l’animation des communautés d’utilisateurs, et la gestion du contenu créé par les joueurs les plus motivés.
  • 32. 32 Problématique et cadre conceptuel Cette étude se concentre sur la question de recherche suivante : quelles sont les meilleures pratiques de stratégie post-lancement en termes de capitalisation sur l’expérience de jeu, de gestion de la communauté et de la co-création, et en quoi ces pratiques amènent-elles de l’acquisition, de la rétention et de la monétisation ? Ces idées sont organisées dans le modèle suivant : Figure 6: Les trois piliers des stratégies post-lancement et leurs liens avec acquisition, rétention et monétisation Les trois piliers des stratégies de post-lancement, telles que présentées dans cette étude, sont l’expérience de jeu, la gestion de communauté et la co-création. Le postulat sur lequel cette recherche se base est que les tactiques ayant recours à ces trois éléments amènent chacune à leur manière de l’acquisition, de la rétention, et de la monétisation. C’est cette supposition qui est explorée ici.
  • 33. 33 Méthodologie Afin de déterminer ces meilleures pratiques, une approche qualitative sera utilisée. Une étude de terrain a été effectuée au sein d’une grande entreprise de développement et d’édition de jeux vidéo. Cette firme est confrontée à la problématique de la gestion du post-lancement de ses titres, et a encore beaucoup à apprendre. Dans le but de s’éduquer sur les meilleures pratiques de post- lancement, les gestionnaires ont conduit des études concurrentielles pour évaluer les stratégies des concurrents, et déterminer si elles sont à émuler ou pas. Véritables études de cas, ce sont ces documents qui ont été utilisés comme données secondaires dans cette recherche. Différents jeux ont servi de sujet pour ces études concurrentielles, triple-A et free-to-play. Chaque jeu sélectionné utilise des stratégies s’appuyant sur un ou plusieurs des trois éléments du modèle : expérience de jeu, gestion de la communauté ou co-création. Ces stratégies ont été présentées et analysées afin de déterminer quelles pratiques permettent d’amener de l’acquisition, de la rétention et de la monétisation. Les jeux choisis pour les études de cas sont les dix suivants (certains jeux sont cités plusieurs fois car ils combinent les types de stratégies) :  Stratégies basées sur l’expérience : GTA V, Borderlands 2, Call of Duty : Ghosts, Forza Motorsport 5, Titanfall et Destiny.  Stratégies basées sur la gestion de communauté : Hearthstone, Call of Duty Ghosts, Battlefield 4, Titanfall, GTA V.  Stratégies basées sur la co-création : Team Fortress 2 et Steam Workshop, Little Big Planet, Minecraft. Toutes les données présentes dans les études de cas utilisées appartiennent au domaine public. Les chiffres obtenus grâce à des outils internes à l’entreprise hôte ont été retirés, ainsi que les conclusions tirées par les gestionnaires, qui orienteront les stratégies futures de la firme. Les études complètes sont en annexe.
  • 34. 34 Stratégie post-lancement : meilleures pratiques 1. En termes d’expérience 1.1. Le contenu téléchargeable (Downloadable Content, DLC) 1.1.1. Définition Le contenu téléchargeable, couramment appelé par son acronyme anglais « DLC », est du contenu additionnel pour un jeu vidéo. Il est distribué digitalement soit par l’éditeur officiel soit par des fournisseurs de contenu tiers. Les contenus téléchargeables prennent une multitude de formes, allant de changements esthétiques à de nouveaux arcs narratifs. Les DLC sont un moyen de proposer de nouveaux modes de jeux, objets, niveaux, défis et d’autres éléments venant compléter un jeu déjà sorti. Leurs prix varient énormément selon le contenu proposé, allant de quelques dollars à 15 – 20 dollars l’unité, voire plus de 30 dollars pour les plus travaillés. Ils peuvent aussi être distribués gratuitement. Les DLCs sont la plus ancienne et la plus couramment utilisée des stratégies post-lancement. Ils permettent d’étendre et d’élaborer l’expérience de jeu. Les DLC peuvent être déployés de très nombreuses manières différentes, et ainsi devenir assez complexes à gérer. De mauvaises stratégies de DLC ont abouti par le passé à des contenus de basse qualité vendus à des prix trop élevés, entraînant la colère des joueurs. Depuis, les DLC sont souvent vus comme une tentative mal dissimulée de rentrée d’argent facile de la part des éditeurs. D’ailleurs, la difficulté principale des stratégies de DLC est de convaincre les joueurs de continuer de dépenser leur argent pour un jeu qu’ils ont déjà acheté. Cependant, il est intéressant de noter que malgré ces obstacles, la vente de DLC est en croissance régulière depuis quelques années.
  • 35. 35 Figure 7: Valeur globale du marché vidéoludique de 2011 à 2018, par type de distribution (en milliards d'USD) 1.1.2. Gestion du calendrier Une stratégie de contenu téléchargeable consiste toujours en la sortie de plusieurs DLC à des intervalles variables. La gestion du calendrier et du timing de la publication des contenus est une partie critique de la stratégie. La cohérence et la régularité sont deux éléments clés d’une bonne gestion des contenus téléchargeables, surtout s’ils sont payants. En effet, ils doivent être annoncés, dévoilés et publiés de façon cadencée. Cela permet de générer de l’attente et de l’anticipation parmi les joueurs, qui ont une idée de combien de temps ils doivent attendre avant de voir du nouveau contenu arriver, et de ne pas les prendre par surprise. En outre, la régularité des annonces, de la promotion et des sorties permet de simplifier les processus internes, et d’optimiser l’organisation des opérations de l’éditeur. Finalement, cela donne un calendrier clair des sorties aux joueurs et renforce la perception de cohérence de la stratégie. Voici un exemple de planning des sorties de DLC régulier et cohérent :
  • 36. 36  Annonce du nombre de DLC prévus pour le cycle de vie du jeu au moment de l’ouverture des précommandes  Lancement du jeu  Délai de trois mois  Sortie du premier DLC, promotion effectuée 7 jours avant  Délai de trois mois  Sortie du deuxième DLC, promotion effectuée 7 jours avant  Etc. A noter que les délais donnés ici sont un exemple, et varient selon les contenus. Il n’y a pas de meilleure pratique pour cela, ces décisions sont à prendre au cas-par-cas. Ainsi, plus le contenu téléchargeable est conséquent, plus il convient de laisser un intervalle long avant sa sortie. 1.1.3. Impact Comme vu plus haut, la communauté des joueurs doit être au courant de la sortie prochaine de DLCs. Cependant, bien qu’il faille être clair sur le contenu des DLC, ceux-ci doivent tout de même réserver une part de surprise, surtout pour les DLC narratifs. Il vaut mieux éviter de dévoiler absolument tout pendant la promotion par souci de clarté. A ce sujet, certains éditeurs publient parfois des DLC dits « surprise », c'est-à-dire sans annonce préalable, et une publicité éclair quelques jours avant la sortie. Ces DLC sont bien accueillis, à la condition très importante qu’ils soient gratuits. Souvent de petite taille, ils font office de cadeau ou de bonus offert par l’éditeur aux joueurs. Par conséquent, ces contenus augmentent la satisfaction de la communauté des joueurs. Par contre, un éditeur devrait éviter d’offrir ces DLC sur un coup de tête ; ils doivent faire partie de la stratégie globale de post-lancement, décidée avant même la sortie du jeu. En effet, la préparation et l’anticipation sont deux éléments clés d’une bonne stratégie de DLC.
  • 37. 37 1.1.4. Promotion par bande annonce La bande annonce est une forme de promotion très couramment utilisée pour promouvoir un contenu et faire monter l’excitation parmi les joueurs. Les études concurrentielles indiquent que les bandes d’annonce ayant le plus de succès, c'est-à-dire récoltant le plus de commentaires positifs et de « Likes » sur les réseaux sociaux, sont celles pour les gros contenus téléchargeables comportant des arcs narratifs. Il vaut donc mieux concentrer les investissements sur celles-ci, car leur qualité aura beaucoup d’impact auprès des joueurs. Le timing joue également un rôle non négligeable : les bandes d’annonce avec le plus d’incidence sont celles du premier DLC, et celles publiées sept jours avant la sortie du contenu. Il convient donc de soigner particulièrement la première bande annonce publiée après la sortie du jeu. Un autre facteur important dans le succès d’une bande annonce est son originalité, et cela même si les contenus promus se ressemblent beaucoup. Ainsi, même si la stratégie consiste en de nombreux petits contenus téléchargeables très similaires, chaque bande annonce ne doit pas raconter la même histoire. Cela peut tuer l’attente des joueurs sur le long terme. Il est même préférable dans ce cas-là de ne pas publier de bande annonce du tout, et d’utiliser d’autres outils promotionnels. 1.1.5. Monétisation L’expérience de jeu est un facteur à la fois direct et indirect de monétisation. En effet, elle génère directement du revenu par la vente des contenus téléchargeables, et indirectement en apportant de la rétention. Pour monétiser les DLCs le plus efficacement possible, il convient de donner le plus d’options d’achats possibles aux joueurs et ne pas les contraindre à une méthode et un prix unique. Pour cela, les jeux ont recours au « Season Pass ». C’est l’option d’acheter tout le contenu additionnel prévu pour le jeu en une seule fois, en bénéficiant au passage d’une réduction avantageuse sur le prix des DLC. Le Season Pass peut-être acheté à tout moment, y compris avant la sortie du jeu s’il est inclus avec des éditions spéciales. Il constitue un élément décisif de la stratégie post- lancement, car il garantit un public pour les DLC et par conséquent l’extension du cycle de vie
  • 38. 38 du jeu. Les joueurs achetant le Season Pass sont de plus en plus traités comme des clients privilégiés par les firmes. Cela entraîne l’augmentation de la valeur de celui-ci, par l’ajout de récompenses et de services exclusifs. Par exemple, l’offre aux possesseurs du Season Pass d’objets virtuels exclusifs, ou encore la priorité dans les queues de serveur pour des parties en mode multijoueur. Les jeux free-to-play peuvent même aller plus loin dans cette logique, en proposant des combinaisons d’argent réel et virtuel pour acheter du contenu. Par exemple, ils peuvent proposer un Season Pass pour de l’argent réel, tout en donnant la possibilité d’acheter les contenus téléchargeables à l’unité pour de l’argent virtuel. Cela donne une vaste liberté aux joueurs pour choisir le prix et le contenu qui leur convient le mieux. En étant source de rétention, l’expérience de jeu permet de générer de la monétisation : Figure 8: Le cercle vertueux rétention-monétisation Finalement, une bonne stratégie de DLC s’appuie sur quatre piliers :  Avoir un calendrier clair des promotions et sorties et le respecter  Créer l’attente et l’excitation à l’approche des sorties, en faire des événements  Promouvoir les DLC comme des jeux à part entière  Utiliser le Season Pass et la monnaie virtuelle pour monétiser le contenu tout en offrant toute une gamme d’options d’achat
  • 39. 39 Les entreprises ayant eu le plus de succès avec leurs DLC sont celles qui ont réussi à combiner la régularité des sorties, une communication claire à l’aide de plans média et de bandes d’annonces, et de contenus variés par leur taille et par leurs prix proposant toute une gamme d’expériences différentes. Ainsi, Gearbox a été plébiscité par les joueurs pour le jeu Borderlands 2, et sa stratégie mélangeant les DLC narratifs de grande qualité et des packs plus petits proposant de nouveaux objets et modes de jeu, sortis régulièrement pendant les deux ans suivant le lancement du jeu. 1.2. Le Game-to-web Le game-to-web est une pratique récente consistant à étendre l’expérience de jeu au-delà des frontières du jeu lui-même. Par des canaux tels que des applications web ou mobiles, le joueur peut se plonger dans l’univers du jeu sans avoir à le lancer. Les outils de game-to-web proposent des services tels que des statistiques de progression, la personnalisation de son avatar, la consultation du profil d’autres joueurs, des modes de jeux spécifiques, etc. Les « companion apps » offrent notamment des fonctionnalités uniques profitant de l’écran tactile et de la mobilité des tablettes et smartphones. La finalité du game-to-web est que l’expérience de jeu accompagne le joueur partout, y compris à des endroits et moments auxquels les consoles n’ont pas accès : les transports, le bureau, l’université, etc. L’objectif est de créer un écosystème autour du jeu à travers une combinaison de plusieurs canaux et appareils : le jeu lui-même sur console ou PC, un mode de jeu spécifique sur smartphone adapté à l’écran tactile, des statistiques et classements de joueur sur un site internet. Ainsi, le game-to-web peut également favoriser la compétition entre joueurs pour les jeux qui s’y prêtent. Le game-to-web s’adresse à tous les profils de joueurs, et cherche à canaliser la communauté sur les plateformes propres à l’éditeur. Cela permet un meilleur contrôle de l’expérience de jeu, ainsi que la collecte de données précieuses pour l’amélioration des services. Finalement, le game-to- web constitue l’une des réponses des éditeurs à la tendance des jeux à se rapprocher des services.
  • 40. 40 Grâce à l’étude des pratiques concurrentielles, des tendances ont pu être identifiées. Ainsi, les procédés suivants sont à la base de ce qui constitue une bonne expérience de game-to-web, source de valeur ajoutée pour la firme et le joueur :  Le flux des actualités reliées au jeu.  Les classements des joueurs. Que ce soit dans un jeu solo ou multijoueur, les joueurs tendent à montrer un vif intérêt envers les classements selon les modes de jeu. Cela motive également les joueurs les plus assidus, et assouvit leur besoin de reconnaissance par la communauté.  Les statistiques individuelles des joueurs : avatar, temps total passé dans le jeu et selon les modes de jeu, armes et objets préférés et toutes sortes d’autres indicateurs propres au jeu.  La centralisation des articles, photos et vidéos liés au jeu, ainsi que la possibilité de partager son propre contenu.  Fonctionnalités sociales : liste d’amis, membres de guilde ou d’équipe, chat public et message privé.  Pages dédiées à la gestion de son équipe ou de sa guilde pour les jeux en bénéficiant. Toutes ces fonctionnalités peuvent être portées sur mobile à travers la companion app. En outre, celle-ci devrait proposer :  Des modes de jeux exclusifs adaptés au smartphone et à la tablette.  Un accès simplifié à la boutique pour les jeux à microtransactions.  La personnalisation de son personnage, de ses armes armes et véhicules. L’une des grandes forces de la companion app est qu’elle capture le joueur à des moments auxquels les consoles et ordinateurs n’ont pas accès. En cela, elle permet d’améliorer la rétention. Par ailleurs, une bonne pratique est d’inclure des incitations à l’adoption des canaux de game-to-web. Tous les joueurs n’ont pas forcément le réflexe de se connecter au site officiel ou de télécharger l’application. Pour les encourager, de nombreux éditeurs introduisent des récompenses, telles que des objets virtuels, des titres et accomplissement, qui ne peuvent
  • 41. 41 s’obtenir qu’à travers l’utilisation du game-to-web. Ce n’est rien de moins que la gamification des réseaux périphériques au jeu, une chose à laquelle les joueurs sont particulièrement réceptifs. Le game-to-web peut prendre des formes multiples. Par contre, les études concurrentielles permettent de remarquer une grande tendance : le game-to-web se rapproche beaucoup d’un réseau social traditionnel, à la différence majeure qu’il est centré sur le jeu. C’est une réponse aux habitudes de consommation des internautes de plus en plus connectés, notamment sur les réseaux sociaux. Plutôt que d’aller partager du contenu et engager des conversations potentiellement enrichissantes pour la firme sur des plateformes extérieures, l’éditeur leur fournit un lieu dédié à ces activités, sur lequel il exerce un contrôle de l’expérience. Figure 9: Tableau récapitulatif des tactiques de gestion post-lancement ayant recours à l'expérience de jeu Contenu téléchargeable Game-to-web  Annoncer, promouvoir et sortir les DLC régulièrement pour ne pas prendre les joueurs par surprise et créer une attente  Varier le contenu et le prix des DLC  Si DLCs surprises il y a, ceux-ci doivent être gratuits  Utiliser les bandes d’annonce pour les DLC les plus importants, et particulièrement soigner la première bande annonce publiée  Monétiser en utilisant à la fois le Season Pass et la monnaie virtuelle pour offrir le plus d’options possibles aux joueurs  Multiplier les canaux et les appareils : applications web et mobile avec une companion app  Fonctionnalités exclusives au game-to- web : consultation et comparaison des profiles des joueurs, modes de jeux adaptés au mobile  Rajouter le flux web-to-game : les modifications apportées à sont avatar et les bonus gagnés sur le jeu mobile se retrouvent en jeu  Faciliter l’accès à la boutique  Construire les fonctionnalités sociales nécessaires pour faire du game-to-web un réseau social centré sur le jeu
  • 42. 42 2. En termes de gestion de la communauté 2.1. Canaux et média sociaux Les consommateurs d’aujourd’hui ont plus de pouvoir que jamais sur les entreprises, grâce à internet et aux média sociaux. C’est particulièrement vrai pour les joueurs de jeux vidéo, qui constituent une population très à l’aise avec la technologie. Les communautés de joueur peuvent faire et défaire le succès d’un jeu. Aujourd’hui, elles constituent un pilier des stratégies post- lancement. Il convient pour un éditeur de canaliser sa communauté, et de multiplier les points de contacts. Pour y parvenir, tous les média sociaux sont mis à profit :  Facebook, Twitter, Youtube et Tumblr sont les réseaux les plus grands publics ; ils permettent de toucher une immense audience et d’augmenter la portée des messages.  Les réseaux propres au jeu : site et forum officiels, le blog des développeurs, le réseau social dédié dans le cadre du game-to-web. Ces canaux permettent d’engager une conversation plus profonde et durable avec le cœur de la communauté, et sont le lieu où les joueurs se rassemblent pour discuter, partager et débattre sur leur jeu.  Reddit ; ce réseau social reste utilisé de manière occasionnelle, mais de nombreux développeurs et éditeurs y ont recours car il est très fréquenté par les joueurs. Le format de Reddit fait immédiatement ressortir les sujets jugés importants par la communauté, ce qui en fait une excellente plateforme de questions-réponses.  Twitch ; le site de streaming en direct est devenu la chaîne de télévision des jeux vidéo. La diffusion de vidéos, ainsi que la possibilité de les commenter en direct, permettent une instantanéité des échanges que peu de plateformes peuvent égaler. Twitch est là où les joueurs se trouvent, et les fournisseurs de contenu se doivent d’aller à leur rencontre. De plus en plus de jeux ont ainsi leur propre chaîne Twitch. En outre, chez certains développeurs, les gestionnaires de communauté repèrent les twitcheurs les plus influents
  • 43. 43 et les mettent en valeur sur leurs propres canaux. Cela permet de construire une relation solide avec les influenceurs, et avec la communauté en général. 2.2. Gestion des influenceurs Cela est vrai non-seulement pour Twitch mais également pour les autres canaux. De manière générale, il est une bonne pratique de valoriser les influenceurs de la communauté, en postant leur contenu sur les canaux officiels du jeu ; leur légitimité s’en trouve ainsi renforcée. En outre, ces influenceurs constituent des interlocuteurs privilégiés pour s’adresser à la communauté toute entière. Étant eux-mêmes fans et joueurs, les messages qu’ils reprennent et diffusent n’ont que plus de portée. Ils font partie de la communauté de joueurs, et ces derniers s’identifient bien plus facilement à eux qu’aux gestionnaires de communauté employés par les firmes. Cela contribue à animer et renforcer la relation entre les joueurs et la marque du jeu. 2.3. CRM (Customer Relationship Management) À propos de la relation, il est important d’aborder le sujet du CRM. Il s’agit d’un outil essentiel de rétention et d’un point de contact avec la communauté, notamment par le biais des infolettres. Les processus de CRM doivent être mis en place avant même la sortie du jeu, pendant son développement, car ils ont un rôle crucial à jouer pendant toute sa durée de vie. Tout d’abord les données : le jeu doit avoir en place dès sa sortie des structures de collectes qui permettront ensuite la construction de bases de données précieuses sur les comportements des joueurs. Le game-to-web présente en outre l’avantage d’étendre la collecte de données à tout l’écosystème autour du jeu : réseau social dédié au jeu, companion app, etc. Cela permet d’en apprendre plus sur l’usage de ces canaux, mais également sur les comportements d’achat pour les jeux à microtransactions. La finalité de ces bases de données est d’être analysées afin de créer des catégories de joueurs homogènes en termes de comportement. Les infolettres sont ensuite taillées selon ces catégories :
  • 44. 44 encouragements, récompenses, félicitations, réductions sur un objet très acheté par cette catégorie, rappel si le joueur ne s’est pas connecté depuis longtemps, etc. Le but est de chercher à atteindre le degré de personnalisation des infolettres le plus important possible car les joueurs y seront plus réceptifs. En effet, l’infolettre permet une communication très individuelle avec le consommateur, par opposition aux canaux partagés avec le reste de la communauté. Figure 10: Le processus de CRM Tous ces canaux servent un objectif général : bâtir une relation solide avec les consommateurs du jeu, afin d’augmenter l’engagement et la rétention. En effet, la qualité de la relation a un solide impact sur la pérennité d’un service, y compris un jeu vidéo. Cette relation fonctionne dans les deux sens : d’éditeur à joueurs et de joueurs à éditeur. Plus précisément, les firmes interagissent avec leur communauté de joueurs pour faire passer un message, les garder informés sur le jeu, les divertir et les récompenser de leur soutien. De manière générale, il s’agit de leur donner des outils pour être actifs en tant que communauté, et créer de la valeur autour du jeu. Dans le sens inverse, les joueurs interagissent avec la firme en étant actifs au sein de la communauté, c'est-à- dire en commentant, en publiant leurs retours sur le jeu, en partageant du contenu, voire en créant leur propre contenu. 1. Données • Mettre en place des outils de collecte de données sur tous les canaux du jeu. 2. Analyse • Grâce aux bases de données constituées, créer des catégories homogènes en termes de comportement. 3. Contact personnalisé • Personnaliser les infolettres selon les catégories.
  • 45. 45 Figure 11 : Tableau récapitulatif des tactiques de gestion post-lancement ayant recours à la gestion de la communauté Canaux et réseaux sociaux Gestion des influenceurs CRM  Multiplier les points de contact en utilisant le plus de canaux possible  Adapter sa communication au format des différents réseaux sociaux. Par exemple, utiliser les pages Facebook localisées pour s’adresser aux communautés de joueurs dans leur langue  Repérer les membres très suivis par le reste de la communauté  Republier leur contenu sur les canaux officiels du jeu pour augmenter leur visibilité, et signaler qu’ils ont l’appui de la firme  Les inviter pour des entretiens, des séances de questions-réponses et de jeu avec les développeurs afin de renforcer la relation avec eux, et à travers eux avec toute la communauté  Utiliser tous les canaux du jeu pour collecter des données sur les comportements des joueurs  Catégoriser les joueurs en fonction de leur comportement  Construire des infolettres personnalisées, non- seulement au niveau du contenu mais aussi du timing de leur envoi  Profiter des infolettres pour augmenter la visibilité de la boutique 3. En termes de co-création avec les joueurs Pour des raisons pratiques, la co-création a été prise au sens le plus strict du terme, c'est-à-dire le contenu généré par les joueurs dans le cadre d’un jeu précis et pour ce jeu uniquement. Ce type de contenu est couramment appelé par son acronyme anglais, UGC (User-Generated Content). La gestion de l’UGC en post-lancement s’articule autour de trois grands piliers :
  • 46. 46 Figure 12: Les trois piliers de la création de contenu par les utilisateurs 3.1. Création de contenu Tout d’abord, tous les jeux ne sont pas adaptés à la création de contenu par les joueurs. L’univers du jeu doit être propice à l’appropriation, que ce soit par sa simplicité, son humour ou encore sa patte graphique particulière. Il est important que le jeu ait une identité visuelle forte et facilement reproductible. Les développeurs doivent donner le ton de l’atmosphère, tout en laissant certaines zones d’ombres qui invitent les joueurs à l’interprétation. En d’autres termes, un jeu propice à l’UGC est une base sur laquelle les joueurs peuvent construire tout au long du cycle de vie. Pour obtenir du contenu en quantité et en qualité, la firme se doit d’aider les joueurs à créer, de quelque manière que ce soit. Pour cela, elle peut mettre à leur disposition des tutoriels, foires aux questions et vidéos explicatives, voire inciter la communauté à mettre en ligne ses propres guides. En ce qui concerne l’outil de création même, cela varie d’un jeu à l’autre. Certains éditeurs proposent sur leur site des logiciels d’animation ou de modélisation 3D tiers en téléchargement gratuit, voire donnent l’accès au moteur graphique du jeu, si celui-ci est suffisamment simple. Des modes de jeu spécifiques sont ensuite mis à la disposition des joueurs pour tester leurs créations dans le jeu. D’autres firmes décident d’intégrer l’outil de création dans le gameplay
  • 47. 47 même du jeu. La création de contenu devient alors une activité de jeu parmi d’autres. C’est le cas par exemples des éditeurs de cartes présents dans certains jeux de stratégie, ou des éditeurs de niveaux dans des jeux de plateforme. Ces outils offrent moins de liberté dans la création, car soumis à des contraintes de jouabilité (par exemple, ils doivent être adaptés à une manette pour un jeu console). Par contre, ils permettent une plus grande fidélité à l’univers et à l’atmosphère du jeu et sont plus accessibles. La création d’actifs graphiques sur des logiciels tiers, quant à elle, offre plus de latitude artistique mais n’aiguille pas forcément le joueur vers le style visuel du jeu. En outre, ces logiciels sont complexes et beaucoup moins accessibles au grand public. Il n’y a pas de meilleure pratique ici, la méthode de création la plus appropriée dépend du type de jeu, du type de création désiré par les développeurs (des objets, des niveaux, des armes, des cartes…) et de la plateforme du jeu. Par exemple, un jeu console doit intégrer son outil de création au sein même du jeu, et l’adapter pour une manette. Un jeu PC en revanche, peut se permettre de complexifier ses outils de créations grâce à la flexibilité de la plateforme. Il est cependant important de garder à l’esprit que quels que soient la plateforme et l’outil de création, faire en sorte que les joueurs génèrent du contenu en quantité et qualité suffisante pour être utile au processus de développement est difficile. Des processus d’UGC trop accessibles aboutiront à des contenus simplistes et de basse qualité, alors que trop de complexité réduira drastiquement la population de joueurs-créateurs. Il convient d’effectuer un arbitrage entre accessibilité et complexité. Enfin, n’oublions pas que créer du contenu demande des efforts et du travail. Les joueurs-créateurs seront toujours en minorité par rapport aux joueurs-consommateurs. 3.2. Partage de contenu Une fois le contenu créé, les joueurs doivent pouvoir le partager avec le reste de la communauté. Le meilleur moyen pour cela est de leur donner une plateforme web de partage et d’interactions sociales. Il est essentiel que cette plateforme soit entièrement contrôlée par la firme, et qu’elle soit prête au moment de la sortie du jeu. Si tel n’est pas le cas, le danger est que la communauté crée ses propres sites de partage de contenu ; ceux-ci échapperaient alors au contrôle de l’éditeur.