1. Rapport de voyage
Norvège – Été 2010
Bourse Innovation 2010 – Ville de Québec
André St-Pierre | École d’architecture de l’Université Laval | Automne 2010
2.
3. Remerciements
Un remerciement tout spécial va d’abord à monsieur Régis Labeaume, maire de Québec, qui a eu la
générosité de créer cette bourse afin de soutenir la relève en architecture. Il s’agit d’une opportunité
unique pour un étudiant en architecture de visiter des projets architecturaux et urbains innovants ailleurs
dans le monde, et ce, tout juste avant d’entamer l’étape ultime de l’essai (projet). Il est encourageant de
constater qu’un maire d’une grande ville accorde une importance aussi grande à la qualité des
interventions architecturales et urbaines, et qu’il investisse aussi généreusement dans la relève. Je
tiens aussi à remercier tous ceux et celles travaillant à la ville de Québec qui, de près ou de loin, ont
contribué à l’octroi de cette bourse et aux retombées qui en découleront. On ne peut qu’espérer que les
relations entre la ville et l’école d’architecture, déjà teintées de nombreuses collaborations, se
poursuivront et fructifieront.
Un merci spécial va aussi à Myriam Blais, directrice de l’école d’architecture, ainsi que Geneviève
Vachon, professeure et directrice du programme de maîtrise scientifique en architecture, qui m’ont aidé
dans la réalisation et la révision des documents post-voyage d’étude.
Finalement, un merci tout spécial va à ma conjointe, Francesca, qui a été présente, m’a soutenue et a
révisé les documents et ce, à toutes les étapes de ce périple, du dépôt de la candidature à la réalisation
du voyage jusqu’à la préparation des documents post-voyage. Sans elle cette expérience n’aurait
jamais été ce qu’elle a été.
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5. Table des matières
Remerciements O ii
Introduction O 4
Réflexions et préoccupations O 5
Pertinence du voyage en Norvège O 10
Projets sélectionnés 24
Sverre Fehn : Entre architecture, poésie et philosophie 28
│1│ Musée du comté d’Hedmark, Hamar 29
│2│ Musée des glaciers, Fjaerland 33
│3│ Centre Ivar Aasen, Ørsta 39
│4│ Musée national d’architecture de Norvège, Oslo 45
Routes touristiques nationales :
Profil de trois firmes d’architectes émergentes O 52
Jensen & Skodvin : ‘In-situime’ 56
Projets routes touristiques : │5│Halte routière, route touristique du Sognefjellet 57
│6│ Chute de Videseter, route touristique Gamle Strynefjellsvegen 59
Autres projets : │7│Église Mortensrud, Oslo 63
│8│Cloître pour sœurs cisterciennes, Île de Tautra 69
Carl Viggo-Hølmebakk : Site, matérialité, expression 76
Projets routes touristiques : │9│Sohlbergplassen, route touristique de Rondane 77
Autres projets : │10│Bâtiment d’accueil, musée Bjerkebaek, Lillehammer 81
70º Nord Arkitekter : Nordicité assumée 88
Projets routes touristiques : │11│Divers projets, route touristique des Îles Lofoten 89
Autres projets : │12│Strandkanten, Tromsø 93
Snøhetta : Multi-disciplinarité, multi-échelles d’intervention/relation O 106
│13│Musée d’art moderne, Lillehammer 107
│14│Musée Peter Dass, Alstahaug 111
│15│Opéra national de Norvège, Oslo 117
Construire en bois : Expression matérielle d’une culture/nature nordique O 126
│16│Bâtiment d’accueil, Stavkirke de Borgund (arch. Askim &Lantto) 127
Norwegian Wood : 134
Stavanger/Sandnes
│17│Auberge du Preikestolen, Stavanger (arch. Helen & Hard) 135
│18│Lanternern, Sandnes (arch. Atelier Oslo et AWP 139
│19│Egenes Park, Stavanger (arch. Onix) 143
│20│Siriskjaer, Stavanger (arch. Studio Ludo et AART) 145
Enjeux urbains :
Construire la ville de demain O 152
│21│Tjuvholmen, Oslo (arch. Variés) 153
│22│Nansen Park, Oslo (arch. Bjørbekk & Lindheim 161
Conclusion et pistes de réflexion O 169
Bibliographie 170
Références photographiques 171
2
7. Introduction
Ce rapport fait état du voyage d’études de deux mois réalisé à l’été 2010 (début mai à début juillet)
grâce au soutien de la bourse Innovation de la ville de Québec. Le but de la bourse Innovation était de
permettre à un futur architecte d’étudier les réalisations les plus innovatrices en architecture et en
design urbain dans le pays de son choix, en lien avec ses intérêts personnels, notamment pour son
projet de fin d’études et sa carrière. Le voyage s’est déroulé en Norvège à travers la visite de projets
présélectionnés pour leur intérêt en regard du sujet que je désire traiter dans le cadre de l’essai (projet),
soit le travail d’espaces intermédiaires unissant architecture et paysage. Plus de 10 000 km ont été
parcourus au total, et plus d’une soixantaine de projets ont été visités au terme du périple.
Le présent document se développe principalement en trois parties : un cadre théorique traite d’abord de
mes intérêts personnels, la seconde partie démontre la pertinence du voyage effectuée en regard de
mes intérêts et, finalement, la troisième partie traite des projets visités, suivie d’une conclusion.
Évidemment, il était impensable de traiter l’ensemble des projets visités; seuls les plus éloquents ont
été répertoriés dans ce document.
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8. Réflexions et préoccupations
Vers une approche créative synthétique : aux frontières de l’architecture et du paysage
« Les relations entre les concepts de nature et de culture ont connu, au vingtième siècle, de profonds
bouleversements […], qui sont assez représentatifs de l’état général de la pensée contemporaine [dans divers
domaines scientifiques].[…] Jusqu’à présent […], la nature était pensée comme première, chronologiquement et
ontologiquement, par rapport à la culture. […] C’est cette configuration intellectuelle, cette préséance, qui
aujourd’hui est en passe de changer. On en prendra [deux] exemples.
[…] [En physique quantique,] lorsqu’on […] veut mesurer à l’aide d’un appareil le comportement d’une particule, il
y a […] transfert d’énergie, entre l’appareil de mesure et le système quantique mesuré et donc modification
irréversible et imprévisible du comportement de la particule. […] La science, conclut […] Heisenberg, ‘n’est qu’un
maillon de la chaîne infinie des dialogues entre l’homme et la nature […]’.
[…] La signification, éthique et ontologique, des relations entre l’homme et la nature […] s’inverse […] : la nature,
dont on pouvait penser jusqu’alors qu’elle offrait un ensemble de conditions stables pour le déploiement de
l’histoire humaine […] se trouve désormais, à l’inverse, ‘remise à la garde de l’homme’ […].
[Ainsi,] la question des relations entre nature et culture n’est plus aujourd’hui, semble-t-il, celle de l’accord ou du
désaccord entre deux mondes foncièrement distincts. Elle serait plutôt celle de la délimitation et de l’articulation,
au sein même de la culture, de ce qui peut être désigné, pensé, vécu, comme ‘ la nature’. »
Jean-Marc Besse (2004), Nature et culture
Les notions de nature et de culture sont tellement ancrées dans la façon de voir le monde en Occident
qu’il apparaît presque insensé de vouloir mettre un terme à cette dichotomie. Elle fait historiquement
partie d’un système de pensée dit moderne, développé au siècle des Lumières, établissant « des
divisions absolues entre l’humanité et l’animalité […], la moralité et la physicalité, la raison et l’instinct
(ou la sensibilité) et, par-dessus tout, la culture et la nature. » (Poirier, 2000 : 149). Cette façon de voir
le monde s’est évidemment répercutée sur notre façon de percevoir l’architecture, la ville, le paysage et
le territoire, dans un discours alimenté par l’opposition, la différence, l’exclusion; Central Park à New
York en est un exemple éloquent, où le parc n’est qu’une ‘saine’ exception à la ville ‘malsaine’ qui
l’entoure, entretenant l’opposition nature/culture :
« […] what landscape architect James Corner suggests are nineteenth-century notions – where nature is seen as
separate from the city, is imaged as undulating and pastoral, and acts as a moral antidote to urbanization. Many
large urban park in America […] offer example of this, in short-hand design parlance, ‘city-versus-nature’
condition. » (Czerniak, 2006 : 113)
Ainsi, la discipline de l’architecture du paysage s’est considérée comme étroitement associée à la
nature, à un idéal en opposition à la ville polluée et inhumaine générée par la culture, c’est-à-dire
l’urbanisme et l’architecture. D’un autre côté, la discipline de l’architecture a aussi entretenue et
entretient encore souvent la dichotomie nature et culture :
« […] to build landscape requires the ability to see it, and the inability to do so continues to permeate architectural
design culture. This persistent blindness is evident in the still common recourse to the figure/ground plan, which
fails to engage the material aspects of a site, representing the ground as a void around building. This convention
of figure-ground is part of a historically embedded oppositional system of thought – other oppositions include
architecture/landscape, object/space, culture/nature, and work/site – which foreground and acknowledges the
construction of the first paired term while naturalizing the second as […] an abstract container, separate from the
objects, events, and relations that occur within it. » (Pollak, 2006 : 127)
Les récentes remises en cause de la division des concepts de nature et culture dans plusieurs
domaines scientifiques impliquent de rejeter le faux idéal d’une nature soi-disant ‘intouchée’, hors de
l’impact de l’homme, rattachée à un idéal pastoral oculocentrique, pour aspirer à une compréhension
plus profonde de l’interaction qui caractérise notre rapport à la nature, tel qu’énoncé par l’écologie :
5
9. « The conceptual shift brought by ecology […] is that the world is one of interconnection and codependency
between organisms and environments, between objects and fields. Although translating into a victimized ‘nature’
in the popular imagination, ecology is […] profoundly important because it places cultural systems within the epic
narrative of evolution.» (Weller, 2006 : 74)
Les leçons de l’écologie supposent donc l’obligation de repenser notre manière d’aborder le tandem
nature/culture dans la conception des villes. Ainsi, l’association historique entre architecture/culture
versus paysage/nature implique de revoir le clivage disciplinaire traditionnel entre les domaines
d’architecture et d’architecture du paysage, et confirme que c’est dans l’interdisciplinarité que se trouve
la solution, car abolir les frontières entre des concepts philosophiques signifie aussi abolir les barrières
disciplinaires en découlant :
«A new generation of landscape architects [and architects] are prepared to negotiate the mechanics of the city,
philosophically and practically treating bot hits culture and its nature as a singular dynamic ecology without edge.
In this field condition the two disciplines of architecture and landscape architecture find each other entangled
together in the weave of the world. » (Weller, 2006 : 80)
Ainsi, je vise à créer une architecture découlant d’une réflexion inter-échelle allant au-delà des limites
de l’objet architectural pour intégrer au processus de conception la ville, le paysage et le territoire, les
stratégies de design à l’échelle d’un site augmentant considérablement lorsque conceptualisé en
relation avec d’autres échelles imbriquées. Plus particulièrement, un fort potentiel se dégage dans le
travail du territoire mitoyen entre les deux domaines, souvent négligé : les « entre-deux », ces espaces
intermédiaires qui font à la fois office de paysage et d’architecture, des lieux appropriés pour
l’expression de la nature à l’intérieur de la culture, et qui peuvent grandement améliorer les qualités
spatiales, expérientielles et durables du projet architectural et urbain. Les entre-deux sont des lieux
charnières remettant en cause la notion de ‘fermeture’ et de ‘contrôle’ inhérente à la conception
architecturale, pour plutôt générer une architecture ‘fragmentée’, créant de nouveaux rapports
d’ouverture avec l’incommensurable variété de la dimension urbaine, paysagère et territoriale qui
entoure le projet. Dans ce contexte, l’architecture n’est plus conçue comme un objet isolé, mais comme
un ‘dispositif’ pouvant engager un rapport de réciprocité avec son contexte plus large, jouant à la fois le
rôle d’espace intérieur ou extérieur : « None of this projects blurs the boundary between architecture
and landscape [; r]ather, they inhabit that boundary through their instability, or lack of fixity, constructing
as a space by oscillating back and forth across it. » (Pollak, 2006 : 138). Ce concept d’interaction
implique de ne pas voir la ville en des termes formels, mais plutôt de la lire comme l’interaction d’un
ensemble de flux (réf.), de forces et de phénomènes, tant naturels et écologiques que culturels et
historiques.
Prenons pour exemple la Querini Stampalia Foundation, musée réalisé par Carlo Scarpa à Venise. Une
douve intérieure, reliée au canal de la ville, court le long des murs, accueillant l’eau à marée haute du
canal, à l’avant, pour l’amener jusqu’à la cour, à l’arrière, et ce en traversant l’intérieur du bâtiment. En
engageant réciproquement le bâtiment avec son environnement, ce projet reconnait l’importance d’un
phénomène naturel ayant eu une forte influence sur le développement de la ville. De ce fait,
l’expérience phénoménologique que le bâtiment procure s’avère très riche : comment la présence et
l’absence cyclique de l’eau affectent la façon dont l’humidité est ressentie, la manière dont l’acoustique
des pièces varie en plus du bruit de l’eau, la perception spatiale changeante de l’espace, l’odeur, la
température, autant de phénomènes sensoriels qui entraînent une lecture poétique et sensible du lieu,
où nature et culture cohabitent dans l’espace et dans le temps. Cet exemple prouve qu’un rapport avec
la nature peut s’établir même en milieu urbain dense, et démontre l’ambiguïté entretenue par le projet :
est-ce de l’architecture ou de l’architecture de paysage?
6
11. Le projet Jardin Érodé, réalisé à la session d’hiver 2010, constitue en quelque sorte une première
incursion dans cette approche synthétique. Le projet est situé sur le parc de l’Esplanade, au dessus du
stationnement de la place d’Youville. Jardin Érodé n’est pas simplement un bâtiment, c’est une
intervention paysagère à l’échelle d’un site entier, dans lequel non seulement des espaces intérieurs
prennent place, mais aussi une multitude d’espaces interstitiels, d’entre-deux, d’espaces-seuils variés
reliant l’intérieur et l’extérieur par le biais de transitions progressives : l’expérience du temps, les
séquences, l’ambiguïté, la découverte spatiale et le contact avec les éléments de la nature sont les
maîtres mots de ce nouveau siège social pour Cecobois. Le projet est métaphoriquement conçu comme
un immense bloc de bois, déposé sur le stationnement existant, qui aurait été érodé au cours du temps.
Différents ‘paramètres d’érosion’, c’est-à-dire des flux, tant naturels (le vent, l’ensoleillement,
l’hydrologie) que culturels (circulation piétonne, bruit urbain généré par les automobiles) ont été intégrés
au cours du processus de design, donnant progressivement forme au projet. Grâce à leur disposition
fragmentée, les éléments métaphoriquement moins érodés, les murs, agissent comme ‘filtres’ envers
les phénomènes nuisibles du rigoureux climat québécois et du contexte urbain environnant, alors que la
toiture, plus articulée, est conçue pour gérer l’hydrologie du site et s’ouvrir à la lumière naturelle. Le
projet, généré par la métaphore de l’érosion à travers le temps, n’est pas un bâtiment : c’est une
‘chose’, qui est à la fois paysage et architecture, qui s’adapte aux contraintes et flux de l’environnement,
générant un milieu riche en espaces diversifiés, à la limite entre l’intérieur et l’extérieur, entre culture et
nature.
5
L’approche à développer représentera ainsi un cadre de travail
hybride croisant architecture et architecture du paysage,
engageant toute la complexité des phénomènes culturels et
naturels en croisant des méthodes d’analyses et de conceptions
propres aux deux disciplines.
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13. Pertinence du voyage en Norvège
Le voyage en Norvège a permis de découvrir des projets comportant certaines qualités du projet de
Scarpa à Venise avec une sensibilité typiquement nordique. Le Québec est un milieu riche en
phénomènes naturels, caractérisé par quatre saisons clairement distinctes, apportant leurs lots de
transformations à notre environnement quotidien (on a qu’à penser à la présence de la neige en hiver),
et ces phénomènes se manifestent aussi bien en milieu dit « naturel » qu’en milieu urbain, et bien les
intégrer peut grandement bonifier les qualités à la fois expérientielles et écologiques du projet
architectural. La Norvège, forte d’une architecture contemporaine de qualité, est un milieu nordique
avec lequel nous partageons évidemment certaines affinités, c’est pourquoi elle constitue dans cette
optique une destination de choix pour l’étude des rapports nature/culture en milieu nordique :
« The Norwegian Landscape is usually restless.[…] a particular relationship between building and landscape[…]
can be described by the ambiguity between resistance and interplay. Both the larger landscape and the individual
site can put up a fierce resistance to cultivation and construction. At the same time, terrain and vegetation offer
rich possibilities for adding qualities to human building. Some would say that this ambiguity, given by the meeting
between man and landscape, is given general expression in the Norwegian culture. The cleft vision […] is often
seen as a basic part of the authentic Norwegian character. » (Bettum, 2009 : 88)
Ainsi, les aspects tant naturels que culturels de la Norvège se caractérisent par une relation
d’ambiguïté, de double-identité, de résistance/interaction; ces concepts offrent un énorme potentiel de
réflexion en lien avec le développement d’une approche hybride entre architecture et paysage,
brouillant les limites entre culture et nature, cette dernière étant caractérisée, tant en Norvège qu’au
Québec, par la nordicité.
Le livre Nightlands : Nordic Building du théoricien et historien de l’architecture norvégien Christian
Norberg-Schulz constituent une source substantielle pour une compréhension de l’architecture
nordique, dans lequel il se donne pour objectif de définir poétiquement son identité à travers sa relation
avec le paysage et la nature : « […] it is precisely our task to indicate in what manner architecture
reflects the given identity of an environment. » (Norberg-Schulz, 1996 : 1). La prochaine section
présente un bref aperçu des particularités du territoire norvégien, à travers la voix de Norberg-Schulz et
la perception/interprétation personnelle que j’en ai eu, permettant de mieux comprendre le rapport que
les norvégiens entretiennent avec l’espace et le paysage nordique.
10
14. 7
« Here in the North, the sun does not rise to the zenith but grazes things
obliquely and dissolves in an interplay of light and shadow. The land consists
not of clear massings and distincts spaces; it disperses as fragment and
repetition in the boundless. »
11
15. 8
« In one direction, the sky is perhaps clear and blue, in another it is
occluded by dark clouds, while the zenith agitates unceasingly. Our only
measure against this changeability is the steady rythmn of the seasons.»
« Light is conjunctive with weather, and in the North, weather plays a more
important role than in the South’s more stable world. […] In the North,
[we’re] being thrown into a changing and unpredictable world, that is, a
world that provide no fixed point of view, a world in which we are unable to
accept the given and act freely. In the North we are bound to a world of
forces, because we inhabit the realm of the night. »
12
16. 9
« Here in Lofoten, high mountain and sea are conjunctive…
13
17. 10
… the sky is [often] near, not as redemptive quietude but as savagery,
amplified by peaked mountains and spiked contours […]. »
« Here, earth and sky are joined, the eye finds no rest, and the Nordic way
becomes identical with nature itself. Instability consists as well of ever-
changing weather : haze and rain, hail and snow, clouds unceasingly in
motion, closing and opening while light penetrates, then disappears. A world
of eternal motion that, however, remains the same. »
14
18. 11
« Suddenly the soil begins to glisten; light, which saturates southern space,
here seems to emanate from things themselves…
15
19. 12
…They radiate in the white summer night, all is bewitched, the palpable
dissolves in enigmatic shimmer. […] We celebrate Midsummer Eve with
bonfire and dance, for it is then that we experience the forces of nature at
their most benign. »
16
20. 13
« In Norwegian spatial structure […], one lives not in an extensive, open
environment but between high walls ….
17
21. 14
…It is only when one is on top of the mountains that prospect becomes
panorama […]. »
« Here, ‘up in the weather’, forces are unleashed as in a storm, and we
understand that the ‘panorama’ is a fragile condition. »
18
22. 15
« Nordic space is simultaneously closed and limitless, as we experience
in forests [,fjord] and among skerries, [thus] Nordic form embodies tension
rather than character. […] As a result, Nordic comprehension is based not on
logical category but on the sense of dynamic interplay. In the north we live
among things instead of in confrontation with them. » (Norberg-Schulz,
1996 :15)
19
24. « Such is northern space : an
unsurveyable manifold of places
without fixed boundary or clear
geometric form. In such a place, it is
not a thing’s eidos that matters, but
it’s veiled relation to all others. »
(Norberg-Schulz, 1996)
21
25. Une telle étude des traits caractérisant un pays s’avère selon moi impérative dans l’optique de
comprendre la réciprocité entre nature et culture et comment celle-ci se manifeste dans le rapport à
l’espace, au paysage et au territoire, et vise aussi à alimenter mon ambition de créer une architecture
typiquement québécoise. Dans un monde de plus en plus globalisé, où les cultures se rencontrent et les
différences s’amenuisent, la nature est probablement, malgré toute la complexité de ses phénomènes
changeants, l’aspect le plus constant et le plus ‘unique’ dans un pays donné, et générer une
architecture issue de considérations entourant la réciprocité nature/culture signifie ainsi créer une
architecture identitaire forte, et respectueuse de son environnement. Norberg-Schulz a d’ailleurs très
bien exprimé cette idée :
« Our search for the Nordic may perhaps seem a nostalgic reaction to our times’ increasing dilution of qualitative
difference. Granted, but that is precisely why nostalgia has become imperative – not as a desire to turn back,
however, but as a need to preserve the given through new interpretation. We may call this process ‘creative
conservation’ and find confirmation for the approach in the eco-crisis. » (Norberg-Schulz, 1996 : 22)
La ville de Québec, si elle veut innover a ainsi tout intérêt, selon moi, à mettre de l’avant une
architecture et un urbanisme répondant et exprimant les particularités de notre climat. Innovation ou
‘conservation créatrice’? Un peu des deux peut-être…
22
27. Projets sélectionnés
« Here things exist not in harmonic presence within comprehensive space but instead participate in the
environmental interplay of forces. To reveal and maintain this in building requires forms that
simultaneously possess the safety of home and express the indefinite and savage environment. »
(Norberg-Schulz, 1996 : 36)
Dans les prochaines pages, il fut évidemment impossible de décrire l’ensemble des projets visités lors
du voyage, une sélection s’imposait. Les projets choisis sont ceux qui concordaient le plus possible
avec mes intentions et objectifs. Évidemment, il ne faut pas voir aucun de ces projets comme ‘LA’
réponse aux questions que je me pose, mais plutôt comme des pistes qui alimenteront mon approche.
Notons notamment l’architecture de Sverre Fehn, le grand maître moderne de la Norvège, ayant,
comme Aalto en Finlande, tempérée l’approche moderniste internationale avec une grande sensibilité
aux matériaux, à la lumière et au paysage scandinave. Des architectes de la jeune génération, tels
Jensen & Skodvin ou bien Carl-Viggo Hølmebakk, ont développé une approche in-situ sensible dans
laquelle le projet architectural émerge directement des contraintes/potentialités du site. La firme
Snøhetta, ayant notamment remporté les concours d’architecture internationaux pour la bibliothèque
d’Alexandrie en Égypte, le monument du World Trade Center à New York, et l’Opéra d’Oslo (dont il est
question dans ce rapport), est composée d’une équipe multi-disciplinaire alliant designer d’intérieurs,
architectes et architectes-paysagistes; leurs projets se caractérisent par une recherche d’horizontalité,
de perméabilité, de continuité entre paysage et architecture, faisant souvent référence à diverses
échelles de contexte. Nombre d’autres firmes toutes aussi originales à leur manière sont présentées
dans ce document, relatant les découvertes faites tout au long du voyage et les perceptions que j’en ai
eu. Les projets sont présentés sous l’angle du rapport réciproque entre nature/culture et
architecture/paysage qu’ils entretiennent, et contribuent tous à mes réflexions.
24
31. SVERRE FEHN
Entre architecture, poésie et philosophie
Sverre Fehn est l’architecte norvégien le plus influent du XXème siècle. Sa carrière s’est étendue de
1949 jusqu’au moment de son décès, en 2009. Sverre Fehn était un philosophe, un poète et un
architecte extrêmement doué. Il s’intéressait beaucoup aux origines des choses, à l’essence, à
l’ontologie des objets ; ses réflexions sur le rapport entre l’homme, le territoire, la nature et la perception
de l’horizon en sont une manifestation éloquente. Ses bâtiments appartiennent à leur paysage et au site
d’accueil, son approche allant au-delà de toute notion de style, pour créer une architecture propre au
lieu et à la technologie de l’époque. Son architecture est ainsi un développement du modernisme, avec
une profonde sensibilité pour le territoire dans lequel ses bâtiments s’implantent, même s’il avoue avoir
toujours cherché à fuir la tradition nordique. Pour lui, c’est dans la rencontre avec le sol que
l’architecture développe un premier rapport au lieu. Chaque plancher est une nouvelle ligne qu’il ajoute
dans la nature, un paysage construit avec un nouvel horizon déterminé par la position de l’homme entre
la terre et le ciel ; la relation entre cet horizon architectural et l’horizon du paysage n’est jamais
arbitraire, elle définie un rapport stimulant entre l’architecture et le site. Le rapport entre la structure et la
lumière naturelle est aussi très important pour lui : cette dernière fait partie de son analyse attentive du
paysage, chaque lieu ayant sa lumière particulière ; structure, espace et lumière cohabitent en
symbiose dans ses bâtiments. Le grand respect qu’il voue à la nature, attitude typiquement scandinave,
est manifeste à travers son architecture :
« I operate fairly rationally. The site means much to me, the [building]’s relationship to the landscape.
[…] One mustn’t be sentimental on this point ; one musn’t begin to make a mess of the landscape. The
more precise you can be, the more ruthlessly you can work out this meeting, the more powerful the
accentuation of nature becomes, and the more intensely your architectural narrative comes into view.»
(Helleland, 2008: 39)
Bien que l’architecture de Fehn ne répond probablement pas aux critères environnementaux actuels,
son approche s’avère être une source substantielle pour le développement d’une approche éco-
responsable, tel que le reconnaît Fjeld :« In a time when the limitations of the earth and the impact of
architecture are more and more apparent, the elements of this creative approach are inspiring. » (Fjeld,
2009 : 235). Il a influencé tout une génération d’architectes en enseignant plusieurs années à l’école
d’architecture d’Oslo, c’est pourquoi il était naturel de le présenter en introduction afin de mieux
comprendre l’œuvre de la nouvelle génération.
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32. │1│Musée du comté d’Hedmark Hamar
Ce site contient des couches de différentes époques : une grange avait été construite au 18ème siècle
sur les ruines d’un archevêché du 12ème siècle, et contient maintenant une intervention contemporaine
signée Sverre Fehn. De nouveaux plateaux, rampes et espaces en béton se déposent délicatement sur
les ruines, dessinant un parcours séquentiel où la position du visiteur change constamment par rapport
à l’horizon imaginaire, de bas en haut, du passé au futur, de l’ombre à la lumière. Le parcours se
déploie aussi en alternance entre l’extérieur et l’intérieur, le visiteur circulant librement entre l’espace
frais de l’enceinte de pierres et l’espace ensoleillé de la cour, exposant aussi des ruines. Les limites
entre le dedans et le dehors sont pratiquement absentes, l’architecte ayant évité de créer un musée
hermétique, équipé de systèmes de ventilation sophistiqués assurant une ‘conservation éternelle’. De
cette façon, le processus naturel de détérioration continue de faire son œuvre, la nouvelle structure
perméable ne faisant que le ralentir, sans le figer dans le temps, offrant ainsi une expérience sensorielle
riche où la culture et la nature, le passé, le présent et le futur cohabitent dans l’espace et dans le temps.
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36. │2│Musée des glaciers Fjaerland
Le site, une plaine située entre mer et montagnes, a été créé il y a plusieurs millions d’années par
l’érosion résultant de la fonte progressive du glacier Jostedal; ce dernier subsiste toujours au sommet
des montagnes. Comme dans tous les bâtiments de Fehn, le Musée des glaciers est défini par l’esprit
du lieu et les particularités du site : « The Glacier museum at Fjaerland […] takes the glacier as its
theme; it is all about context and message. » (Huxtable, 1997). Les glaciers renferment dans leur masse
des indications de l’évolution de l’atmosphère depuis des millions d’années; le but du musée est de
révéler l’invisible, les secrets que cachent les profondeurs de la glace. Ainsi, le projet repose sur un
parti fort, la faille, comme celles générées par le mouvement continu des glaciers. Ce concept de faille
articule formellement tout le projet, tant dans la forme générale que dans les détails particuliers, et
notamment dans l’expérience que génère le bâtiment. À l’entrée, le visiteur à le choix de monter sur la
toiture ou de pénétrer dans une faille profonde qui mène à l’espace d’expositions. À l’intérieur, la
configuration structurale atténue progressivement la quantité de lumière au fur et à mesure que le
visiteur avance, créant une transition progressive de l’extérieur vers les profondeurs sombres de
l’intérieur. Pour Fehn, l’espace intérieur du musée demeure cependant secondaire par rapport à
l’espace de la « pièce » extérieure que constitue le paysage, et le bâtiment a pour but de le mettre en
valeur par une série de séquences architecturales : « […] one can go up for the view of the glacier n
dits panoramic surroundings— a journey that can seem like a trip into the clouds as the shifting mists
sent down by the glacier’s cold air alternately conceal and reveal the breathtaking vista, sometimes
threatening to envelop the museum itself. » (Huxtable, 1997).
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42. │3│ Centre Ivar Aasen Ørsta
Ce musée, dédié au célèbre homme de lettres norvégien Ivar Aasen, est probablement l’un des projets
les plus achevés de Fehn. Jamais dans sa carrière sa composition formelle n’aura été aussi articulée,
mais sa grande rigueur formelle lui a évité de tomber dans l’excès. Ses réflexions sur le rapport à
l’horizon, au site et à la nature y sont manifestes, le projet établissant une relation stimulante entre
l’architecture, le site et le paysage, toujours changeante selon la position du visiteur dans l’espace. Le
bâtiment se présente comme une structure longitudinale, étroite, délicatement enfoncé dans la falaise,
et s’ouvrant vers la lumière du sud. Des structures pyramidales tronquées et inversées rythment une
séquence d’espaces d’expositions alternant entre le sombre et le clair le long de la façade sud. Les
espaces plus encaissés dans les profondeurs de la falaise comportent en partie supérieure un bandeau
fenestré, dont la lumière est répartie dans l’espace par la surface courbe de la structure du plafond.
L’auditorium est constitué d’un volume incliné s’élevant vers le ciel, régulant l’apport de lumière
naturelle à l’intérieur et établissant un dialogue réciproque avec la topographie du site et du paysage.
Des murets et des toitures se déploient à chacune des extrémités horizontales du projet, prolongeant
l’espace d’expositions intérieur vers l’extérieur. L’emploi presqu’exclusif du béton confère au bâtiment
un aspect minéral approprié au site sur lequel il s’implante, qui changera évidemment d’apparence au fil
du temps à mesure que la nature fera son œuvre.
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48. │4│Musée national d’architecture de Norvège Oslo
Le but de ce projet était de créer une situation introvertie, où la lumière naturelle, le ciel et la végétation
environnante joueraient tout de même un rôle primordial dans l’expérience du lieu (Helleland, 2008 :
140). L’espace intérieur est composé d’une grande toiture en béton soutenue par quatre piliers massifs,
la frontière avec l’extérieur étant constituée d’une légère façade en verre. Un muret de béton s’articule à
l’extérieur de cette façade vitrée, le dégagement entre ces deux éléments créant une tension spatiale,
un effet dynamique d’ouverture, de relations étroites avec l’environnement extérieur et la nature. Cette
fragmentation de la façade crée un espace intermédiaire utilisé pour exposer des objets, créant un
prolongement de l’espace d’exposition principal. L’intérieur dégage ainsi une impression de grandeur
malgré sa petite dimension, espace étant à la fois délimité et se prolongeant vers l’infini. Le projet est
une réponse à la fois pragmatique et poétique au problème posé; il propose un espace intérieur propice
aux expositions (contrôlé, invisible aux passants de l’extérieur, etc.), tout en rejetant l’hermétisme
caractérisant bon nombre d’espaces muséaux pour proposer un espace éclairé naturellement et en lien
étroit avec l’extérieur. Ce projet, réalisé à la toute fin de la vie de l’architecte, est probablement l’un de
ses plus simples mais à la fois l’un de ses plus riches qui englobe l’ensemble de ses réflexions. Son
appartenance au monde nordique est puissante et correspond bien à la perception nordique de l’espace
tel que défini par Norberg-Schulz : « […] Nordic space is simultaneously closed and limitless, as we
experience in forests and among skerries, [thus] Nordic form embodies tension rather than character..»
(Norberg-Schulz, 1996 :15). Ce projet, tout simple, dont le site urbain pouvait sembler à prime abord
ordinaire et offrir peu de possibilité comparativement aux sites grandioses dans lesquels la plupart des
projets de l’architecte s’implantent, prouve qu’un rapport stimulant entre nature et culture et entre
intérieur et extérieur peut être atteint même en milieu urbain sur un site apparemment banal; il s’agit de
s’entraîner à apercevoir et à révéler ce qui peut sembler invisible.
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55. ROUTES TOURISTIQUES NATIONALES
Depuis 1997, le ministère des transports norvégien (Statens Vegvesen) investit massivement dans 18
‘routes touristiques’ qui traversent des paysages d’exceptions aux quatre coins du pays. Leur but :
détourner les touristes des principales autoroutes du pays pour leur faire découvrir des endroits peu
fréquentés d’une beauté exceptionnelle. Cette initiative s’inscrit aussi dans une volonté de développer
l’industrie touristique, permettant de répartir à l’ensemble du pays la richesse acquise avec l’industrie
pétrolière. Les architectes ont été grandement impliqués dans ce projet, le ministère ayant la firme
conviction que des projets bien intégrés en des endroits stratégiques pouvaient enrichir l’expérience des
visiteurs. Plus de 400 projets (plateformes d’observation, toilettes publiques, aires de pic-nic, etc.)
seront complétés pour 2015, et l’emphase est mis sur l’innovation de jeunes talents : chaque site est
unique et constitue une opportunité d’innovation pour une intervention architecturale mettant en valeur
les particularités du site. Ces projets constituent souvent de véritables tremplins pour de jeunes bureaux
d’architectes, les prises de position adoptées lors de ces projets ayant une influence notable sur leur
production ultérieure. La présentation des firmes Jensen & Skodvin, Carl-Viggo Hølmebakk, et 70º Nord
arkitekter dans les prochaines pages permettra de voir plus en profondeur des projets qu’ils ont réalisés
relativement au programme de routes touristiques et comment cette expérience a eu des répercussions
sur le développement de leur approche dans des projets subséquents.
Ces projets constituent un potentiel intéressant pour la ville de Québec relativement à des projets
comme la Promenade Samuel-de-Champlain; ils ont le potentiel de susciter une réaction sur la manière
de concevoir les futurs aménagements s’y rattachant.
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Référence : http://www.turistveg.no/
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59. JENSEN & SKODVIN
‘ In-situisme ‘
L’approche architecturale des architectes Jensen & Skodvin se veut originale tout en étant humble. Ils
accordent beaucoup d’importance au site, à son caractère unique et la lecture sensible de celui-ci dans
le processus de conception et de production conduit à des œuvres originales, uniques et respectueuses
de leur environnement. Les formes qu’ils créent ne sont pas dictées par une logique formelle mais plutôt
générés par le site. Pour eux, un concept architectural peut être complet même s’ils n’ont aucune idée
de la forme que prendra le projet: « […] an idea could be a complete architectural idea, even if it does
not have a definite shape or configuration. Exactly the same idea would result in a completely different
configuration or outcome in a different place. » (Jensen, 2008 : 290). L’œuvre finale est le résultat de la
rencontre du concept architectural, de l’idée, avec les conditions particulières du site, desquelles
émerge le projet. Ces conditions peuvent inclure la topographie, la végétation, les ambiances
particulières générées par un environnement donné, une formation rocheuse érodée par un cours
d’eau, etc. Leur approche se veut à l’opposé de la conception à priori d’un objet cartésien simplement
déposé sur un site; ils accordent une valeur à la nature en ce sens qu’ils la laissent délibérément influer
sur la forme que prendra leur projet, en assumant les conséquences de résultats imprévisibles au
moment même où le chantier débute. Trois projets permettront de mieux comprendre les mérites de
cette approche in-situ, qui s’est développée à partir de petits projets de route touristique, et la même
approche est maintenant appliquée à des bâtiments de plus grande envergure.
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60. │5│ Halte routière Route touristique du Sognefjellet
Le but de ce projet était de créer une halte routière tout en conservant les qualités spatiales et
lumineuses d’une forêt de pins située en bordure de la route. Le projet consiste en une route de gravier,
accessible en automobile, passant à travers la forêt, avec une largeur variant entre 3 et 12 mètres afin
d’accommoder des aires de pic-nic, toilettes publiques, stationnements et aires d’information. Aucune
excavation n’a été nécessaire, toutes les interventions ne sont que des additions, et le gravier a été
placé de façon à ne pas nuire à la croissance des arbres; au moment de la visite, quinze ans après la
construction, ces arbres sont toujours debout et en santé.
Les architectes n’avaient aucune idée de la forme finale que prendrait le projet au moment de débuter le
chantier. Ils ont donné de simples instructions relativement aux détails du projet, c’est-à-dire comment
mettre en place le gravier au sol, comment accrocher les éléments de protection aux arbres, etc., sans
toutefois produire de plan d’ensemble. Ils ont communiqué à l’entrepreneur la configuration globale du
projet en plaçant in-situ 400 bâtons de bois au sol, en s’assurant de respecter le rayon de courbure
minimal pour une voiture. La route contourne ainsi les arbres, aucun d’eux n’a été coupé. Ils sont
protégés par un élément capable de s’ajuster à chacun d’eux et à sa future croissance.
Ce sont donc les qualités du site qui ont généré le projet final. Ce même concept architectural aurait pu
être utilisé sur un autre site avec un résultat qui aurait été complètement différent. (Jensen, 2008 : 290)
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62. │6│ Chute Videseter Route touristique Gamle Strynefjellsvegen
Le site, un point d’observation de la chute Videseter, situé au bord d’un précipice, nécessitait de
nouveaux garde-corps, puisque les anciens avaient été endommagés à plusieurs reprises par les
avalanches annuelles typiques de la région. Dans ces conditions climatiques extrêmes, les architectes
ont appliqué la même recette que dans le projet précédent. Ils ont produit trois détails types de garde-
corps différents, chacun adapté à des conditions particulières : un détail plus rigide pour le côté exposé
aux avalanches, un détail plus léger du côté du précipice dégageant la vue vers le bas de la chute, et
une simple main courante aux endroits moins critiques. Les architectes ont produit un plan sommaire du
site, avec un « zonage » indiquant les secteurs attitrés à chaque type de garde-corps. Les poteaux
devaient être espacés d’au moins 600mm et d’au plus 1500mm. En respectant ces instructions,
l’entrepreneur devait construire les garde-corps sur place, en suivant le pourtour du site. Le garde-
corps, suivant le pourtour solide du rocher ayant résisté à l’érosion dû à la force de l’eau, adopte ainsi
une forme articulée appropriée aux fortes avalanches auxquelles il doit faire face année après année, et
est un bon exemple montrant comment des forces peuvent donner forme à un projet. Il en résulte un
projet émergeant directement des conditions particulières du site, faisant preuve d’une grande
économie de moyen, d’une grande cohérence et possédant un caractère original. Le projet crée une
expérience sensorielle riche, tant avec le contexte immédiat que lointain : on se trouve au sommet
d’une falaise abrupte, à proximité d’une chute vertigineuse, d’où l’on peut non seulement voir la chute
mais aussi ressentir les fines gouttelettes projetées dans l’air, ressentir la température plus fraîche de
l’eau, entendre le bruit de la chute, tout en ayant une vue panoramique sur l’horizon lointain et un
contact tactile avec le brouillard, typique de cette région.
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66. │7│Église Mortensrud Oslo
Le processus de conception développé par les architectes lors des projets sur les routes touristiques a
été appliqué ici sur un projet de plus grande envergure. Le site d’intervention est situé au sommet d’une
petite crête boisée, et bien qu’il semble « sauvage » et éloigné, il est en fait situé dans les limites de la
ville d’Oslo, tout juste à côté d’un terminus de métro. Les architectes ont tenu à conserver les qualités
naturelles inhérentes à ce site. Comme dans les projets précédents, l’église de Mortensrud est une
addition sur le site, aucune excavation n’a été nécessaire, à l’exception de l’enlèvement d’une fine
couche de sol pour rejoindre le roc. La configuration de l’église a été déterminée en grande partie par
les conditions particulières du site : la pente du plancher se confond à la topographie existante, des
portions de roc surgissent ponctuellement à travers ce plancher, la structure répétitive s’y adaptant, et
un nombre important d’arbres sont conservés dans les cours intérieures. Les murs sont composés de
pierres taillées d’une manière imprécise, assemblées sans mortier dans une ossature d’acier. Ce
système mural est protégé des intempéries par une façade de verre, créant des jeux de lumière
changeants et des patterns particuliers, chaque pierre étant unique, faisant référence au caractère
infiniment varié de la nature. L’expérience sensorielle générée par le projet s’avère très riche : le
bâtiment se fond dans son environnement, les transitions entre l’extérieur et l’intérieur se font
progressivement, et une relation étroite avec la topographie, la végétation et la lumière est présente
dans l’ensemble du projet. Le projet, composé d’une multitude de ‘fragments’ dispersés dans la forêt,
fait en sorte qu’il est impossible d’avoir un aperçu global du projet sur une seule photo, c’est à travers le
temps qu’il se découvre.
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72. │8│Cloître pour sœurs cisterciennes Île de Tautra
Dans ce projet, les architectes ont dû composer avec un programme plus complexe que dans leurs
projets précédents. Les sœurs ont un rythme de vie particulier, très contemplatif. C’est pourquoi les
architectes ont choisi une organisation spatiale horizontale, avec une série de cours intérieures,
permettant de donner au projet un caractère introverti tout en privilégiant une ouverture vers l’extérieur.
Dans la salle à dîner, les 18 religieuses du complexe s’assoient toutes du même côté de la table,
regardant silencieusement vers le fjord au loin.
Note : Comme il s’agit d’un cloître, il était impossible d’avoir accès aux espaces intérieurs, à l’exception
de la chapelle, qui est ouverte au public.
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79. CARL VIGGO-HØLMEBAKK
Site, matérialité, expression
L’approche de cet architecte est similaire à celle des architectes Jensen & Skodvin, en ce sens que
chaque projet fait preuve d’une lecture attentive du site lors du processus de conception. Sa production
se concentre surtout sur de petits projets, où une attention particulière est portée aux matériaux utilisés,
à l’échelle humaine, aux qualités naturelles environnantes, le tout exprimé dans des formes simples et
élégantes dégageant une grande force poétique.
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80. │9│Sohlbergplassen Route touristique de Rondane
Cette plateforme permet de contempler approximativement le même point de vue qu’avait Harald
Solhberg lorsqu’il a peint Winter Night in Rondane, maintenant exposée au musée des beaux-arts
d’Oslo. Dans cette peinture, les silhouettes sombres des pins au premier plan contraste avec le
paysage montagneux hivernal lumineux, presque étincelant, au loin. Cette tension entre contexte
proche et lointain, entre sombre et clair, c’est-à-dire entre les qualités spatiales de la forêt de pins et
celles du paysage délimité par l’horizon montagneux lointain, ont été les concepts ayant guidés le
processus de conception. Le travail in-situ a particulièrement été important dans le processus de
conception de ce projet : « Several tests were executed by placing a ladder up against the tree trunks,
trying to find the best views and interesting spaces between the trees. »
(http://en.urbarama.com/project/sohlbergplassen-viewpoint). À partir de ces investigations sur les
qualités spatiales du site, l’architecte a conçu le projet en utilisant des fichiers précis indiquant la
topographie et la position des arbres. Les formes courbes de la plateforme contournent ainsi les pins
existants, aucun d’eux n’a été abattu durant la construction, et un grillage au sol permet à l’eau de pluie
et à la lumière du soleil d’atteindre la végétation en dessous. Ainsi, l’intervention est une légère
incursion dans le paysage, n’entravant pas les processus naturels, et manifestant spatialement la
tension évidente dans la peinture de Sohlberg, à travers un parcours débutant du stationnement,
traversant ensuite la forêt, le mouvement à travers les pins révélant progressivement la vue sur les
montagnes enneigées au loin.
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84. │10│Bâtiment d’accueil, musée Bjerkebaek Lillehammer
Ce bâtiment est situé sur le site du musée Bjerkebaek, dédié à la célèbre auteure norvégienne Sigrid
Undset. Le musée est situé dans la maison qu’Undset a habitée de 1919 à 1945, et une imposante
clôture de bois entoure toujours l’ensemble de la propriété. À l’intérieur de cette cour se trouvait un
jardin immense. Sigrid Undset y vivait avec ses trois enfants, en réclusion du reste du monde, afin de
protéger sa fille atteinte de maladie mentale et de pouvoir se concentrer calmement à son métier
d’écrivaine.
Il s’agissait d’une tâche colossale pour l’architecte d’intégrer un bâtiment d’accueil à ce site d’une
grande importance historique. Sa réponse a été de réinterpréter spatialement la tension présente entre
l’aspect fermé, froid du côté de la rue, et le monde intérieur calme, paisible du côté de la cour intérieure.
Le nouveau bâtiment s’implante à l’extrémité nord-est du site : la façade sur rue suit l’alignement de la
clôture, et cette façade présente un aspect relativement opaque. Les matériaux utilisés, béton et
briques grises, de même qu’un aménagement paysager en pierres concassées, confèrent à l’ensemble
une froideur appropriée à l’aspect reclus émanant de l’extérieur du site. Dès qu’on traverse l’épais mur
de béton, une ambiance totalement différente nous entoure : les murs qui donnent sur la cour sont
entièrement vitrés, tout en courbes, l’ensemble se décomposant en « rhizomes » déployés à travers la
forêt. On note aussi une décomposition matérielle de l’ensemble : les éléments massifs de béton font
progressivement place à des éléments plus ponctuels, qui sont remplacés par des éléments légers
d’acier du côté de la cour; cet aspect s’observe à plusieurs échelles de détail, et donne à l’ensemble un
effet d’effritement progressif, de la rue jusqu’au jardin. Une passerelle conduit à la cour et à la maison-
musée, permettant de s’imprégner de l’univers de l’auteur. De cette cour, le bâtiment d’accueil se fond
littéralement dans son environnement boisé.
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91. 70º NORD ARKITEKTER
Nordicité assumée
70º Nord est basé dans la ville de Tromsø, tout au nord de la Norvège, qui possède l’un des climats les
plus rigoureux de la planète (j’y ai passé trois jours au début juin et une neige fondante est tombée à un
certain moment!), et qui comporte étonnamment plus de 65 000 habitants. L’arctique n’est pas
seulement ici manifesté de façon naturelle, il fait partie de la culture de la ville, qui se définit elle-même
comme la ‘Capitale’ de l’arctique. L’université de la ville a fait des études en milieu polaire sa spécialité,
et bon nombre d’expéditions vers l’arctique partent de cette ville. Les architectes de 70º Nord sont
profondément ancrés dans cette culture locale; le nom de leur bureau en est d’ailleurs une preuve
éloquente. Ils ont une approche s’adaptant à différentes échelles d’intervention, du petit projet
architectural jusqu’à l’aménagement urbain complet de nouveaux quartiers. À toutes les échelles, une
constante revient : une grande attention est portée à l’aspect particulièrement rigoureux de leur climat.
Des phénomènes aussi banals tels l’ensoleillement et les vents prennent ici une importance accrue. Le
Québec aurait aussi grandement à apprendre de leur manière d’aborder la présence de la neige en
hiver dans leurs schémas urbains, qui est traitée tant d’un point de vue ludique que pratique. Ils sont
aussi grandement impliqués dans l’enseignement dans diverses universités d’Europe, où ils ont
notamment porté leur attention à l’étude de la ville comme biotope. L’approche de ces architectes
présente donc un fort potentiel pour la ville de Québec, car leur volonté de créer une architecture
adaptée à la rigueur de ce climat subarctique nous fournit nombre de précédents que d’autres villes ne
peuvent nous offrir vue leur climat beaucoup plus doux.
Vue de Tromsø en hiver 95
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92. │11│Divers projets Route touristique des Îles Lofoten
Halte routière, Torvdalshalsen : Cette halte
routière est composée d’un stationnement et d’un
espace pic-nic. Ce dernier est organisé sur une
plateforme en bois de 60 mètres de long, et un
écran la sépare de l’espace de stationnement et
la protège du vent. L’ensemble est composé
d’une succession de plateaux qui s’adaptent à la
topographie, les lieux pour s’asseoir et manger y
étant intégrés. Des panneaux noirs le long des
bancs permettent de capter la chaleur du soleil.
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93. 99 100
Tours d’observations ornithologiques
Ces tours permettent aux ornithologues amateurs d’observer les oiseaux aux abords de deux réserves.
Depuis les écrans protégeant l’entrée jusqu’à la plateforme d’observation au niveau supérieur, toute la
séquence spatiale a été créée de façon à ce que la silhouette des observateurs ne soit pas visible, de
façon à ne pas déranger les oiseaux durant leur période de reproduction. Le projet est situé en retrait du
marais, la hauteur de la tour permettant ainsi d’admirer les environs sans nuire à la faune et à la flore.
Selon la température, les visiteurs ont le choix de s’installer soit dans la partie basse, fermée par un
bandeau horizontal vitré, soit de monter sur la plateforme supérieure, ouverte directement sur
l’extérieur.
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95. 105
Abri pour cyclistes : Ce projet est situé au bord de la mer, avec une vue dégagée de 360º sur le
paysage environnant. En été, la température dépasse rarement les 20º Celsius sur les îles Lofoten, et
ce coin est particulièrement sujet à de forts vents. Le but était donc de créer un abri pour les cyclistes
passant dans cette région. L’entrée se fait par une porte coulissante. La partie basse est plutôt fraîche,
grâce à la relative opacité des murs et la présence d’une dalle de béton au sol, caractéristique
appropriée pour le stationnement des vélos et surtout pour l’aire de préparation de nourriture située
dans cet espace. La lumière naturelle atteignant l’escalier crée un appel vers le deuxième niveau,
profitant d’une vue panoramique
sur les environs. Les surfaces
vitrées créent un effet de serre
approprié à ce climat, réchauffant
les passants s’y reposant. Les
petits murs à l’intérieur servent
de contreventement afin de
résister à la forte pression des
vents; leur configuration permet
de conserver des façades vitrées
sur 360º et crée un effet
dynamique de relation avec
l’extérieur.
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96. │12│Strandkanten Tromsø
70º Nord Arkitekter est responsable du plan d’ensemble et de la conception de plusieurs immeubles
d’habitations de ce vaste quartier situé sur une friche portuaire industrielle, tout juste au sud du centre-
ville de Tromsø, et ceci concorde avec une volonté politique de densification, permettant de renforcer
l’activité économique de la ville tout en réduisant la dépendance aux transports. Deux objectifs
principaux guident les aménagements, soit maintenir une forte densité et, surtout, créer des espaces
extérieurs d’une grande richesse.
Actuellement, la partie nord-est est construite, alors que toute la partie plus au sud est en
développement. Quatre éléments définissent l’aménagement d’ensemble de la partie nord-est : la
promenade au bord de l’eau, la plateforme surélevée, le sol et la forêt. La priorité a été donnée aux
espaces publics piétonniers dans le projet : la plateforme est déposée juste au dessus de l’aire de
stationnement, accessible uniquement de la route à partir de l’extrémité nord-est. Le stationnement est
refermé sur ses côtés par des écrans de bois filtrant l’air, et des puits d’escalier généreux, pratiqués
dans la plateforme et agrémentés de végétation (qui est arrosée par les drains recueillant l’eau de pluie
sur la plateforme), crée un appel lumineux vers la plateforme et donne vie à ce stationnement, qui
devient ainsi un espace simplement couvert, non hermétique, en symbiose avec l’extérieur. Sur la
plateforme, ces escaliers sont marqués par des « boîtes » translucides de couleurs vives, disposées au
travers d’un vaste espace public contenant divers lieux informels, des espaces de jeux, des serres et
des espaces verts. La configuration des immeubles de logements autour de la plateforme permet de la
protéger du vent et de lui procurer un apport solaire important (façades inclinées et en gradins), et une
perméabilité est assurée entre celle-ci et la promenade au bord de l’eau. Les façades de bâtiment qui
donnent sur la plateforme sont par ailleurs caractérisées par des espaces-transitions communs, souvent
adaptables (panneaux de verre rétractables), et l’accès aux logements se fait par ces espaces, faisant
en sorte que chaque logement a un accès direct à l’extérieur. Il est intéressant de noter à quel point le
concept de fragmentation est présent dans l’ensemble que compose ce quartier; du stationnement
jusqu’à l’intérieur de son logement, l’habitant traverse une succession d’espaces variés, parfois
couverts, parfois protégés, parfois plus refermés, mais toujours en contact avec l’extérieur et adaptés
aux éléments naturels spécifiques à ce milieu nordique.
Référence : http://www.archdaily.com/5695/strandkanten-70%C2%BAn-arkitektur/
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102. Les architectes se sont sérieusement penchés sur la façon dont ces espaces extérieurs allaient
cohabiter avec l’hiver, la neige étant considérée comme un facteur crucial transformant la nature des
espaces publics, autant d’un point de vue pratique que ludique. Le plan d’ensemble des espaces
extérieurs montre d’ailleurs comment ces aspects sont combinés : le déneigement est déjà prévu pour
l’ensemble du site, et toute la neige enlevée est déposée en des endroits stratégiques pour former des
‘montagnes’ de neige, appropriables pour des sports d’hiver. Nombre d’autres installations tels
patinoires pour hockey, anneaux de glace, espaces de ski de fond et autres espaces plus informels
composent ce paysage hivernal. La neige n’est cependant pas complètement enlevée dans les aires de
circulations secondaires, ce qui ajoute une qualité expérientielle intéressante, chaque résident laissant
sa ‘trace’ dans le paysage.
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103. Si, en été, le soleil est présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans cette région, c’est le
phénomène inverse qui se produit en hiver. Dans l’optique de créer des espaces extérieurs utilisables à
l’année dans un contexte aussi particulier, il était impératif d’accorder une importance accrue à
l’éclairage urbain. Le but des designers d’éclairage était de créer une atmosphère chaleureuse malgré
la rigueur du climat. Le niveau d’éclairage a volontairement été tenu à un niveau minimal, afin de ne pas
interférer avec les montagnes sombres au loin et le détroit, ainsi qu’avec les aurores boréales
caractéristiques de la région. Les principaux axes de circulation sont éclairés avec des appareils
montés sur des pôles, alors que dans les espaces secondaires l’éclairage est directement intégré au
mobilier, renforçant l’échelle humaine des interventions.
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Le projet démontre ainsi la grande attention que les architectes de 70 º Nord porte à l’importance de la
relation climat-architecture en Scandinavie, déjà manifeste dans leurs petits projets sur la route
touristique des îles Lofoten, en créant des espaces à la limite de l’architecture et de l’architecture du
paysage, permettant de jouir d’espaces extérieurs riches en toute saison. Ce projet présente un
potentiel énorme pour la ville de Québec, la rigueur du climat de Tromsø lui fournissant des précédents
et une approche pour considérer et intégrer de manière éloquente la rigueur du climat nordique dans
ses projets architecturaux et urbains.
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109. SNØHETTA
Multi-disciplinarité, multi-échelles d’intervention/relation
Snøhetta est une firme multidisciplinaire intégrant sous un même toit les disciplines d’architecture, de
design d’intérieur et d’architecture du paysage. Il en résulte, pour chaque projet, une réflexion à
multiples échelles, où le projet final allie dans une expression toujours simple, claire et directe, la
fonction interne, le contexte immédiat et le paysage plus lointain, distant. Leurs projets mettent donc en
place une grande relation entre les espaces intérieurs et extérieurs, dans une volonté aussi bien
contextualiste que démocratique : « […] building should be as public as possible. In my view, the ideal is
a building with many different entrances and unlimited accessibility, like a park. » (Carlsen, 2010 : 97).
Leurs projets se caractérisent aussi par une recherche d’horizontalité, et le travail des surfaces
horizontales devient souvent l’élément générateur de la continuité intérieur-extérieur.
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110. │13│Musée d’art moderne Lillehammer
Ce projet est un bon exemple de réflexion à multiples échelles. Le projet, réalisé en lien avec les jeux
olympiques de 1994, est un agrandissement du musée des beaux-arts de Lillehammer, qui contenait
une collection de peintures romantiques norvégiennes. Les nouveaux lieux devaient contenir des
espaces d’expositions temporaires et d’art moderne, ainsi qu’un espace cafétéria et un
accueil/boutique. L’arrangement formel de ces différents éléments programmatiques a permis d’unir au
sein d’un même bâtiment un rapport à différentes échelles de contexte : l’espace d’entrée, au rez-de-
chaussée, est de forme orthogonale, en lien avec le tracé de la ville et de la place publique jouxtant le
bâtiment, alors que les espaces d’expositions temporaires et d’art moderne sont contenus dans des
volumes de formes courbes dialoguant avec les montagnes boisées au loin.
C’est vraiment à travers l’expérience que procure le bâtiment que toute la richesse de ce concept
s’exprime. Les impressions d’espace à la fois fermé et sans borne, d’interaction avec le milieu, qui
caractérise l’espace nordique selon Norberg-Schulz (voir introduction), se manifeste avec grande
éloquence dans ce projet. Ceci s’exprime notamment dans la façon dont l’agrandissement a été
implanté par rapport au bâtiment existant. Il a été placé en retrait, de façon à créer une cour intérieure,
l’ancien et le nouveau étant relié par une passerelle au second niveau. La cour, accessible de la rue,
possède à la fois un caractère fermé et ouvert grâce à sa dénivellation. L’espace d’accueil au rez-de-
chaussée, entièrement vitré, entretient un rapport avec cette cour de même qu’avec la rue et la place
publique. L’espace cafétéria s’étend sur la place publique à travers un jeu de retrait de la façade de
verre. À l’entrée, un escalier à la fois intérieur et extérieur, adapté à la topographie, crée des lieux
informels pour s’asseoir. Les espaces d’expositions sont éclairés par une douce lumière naturelle
provenant de puits de lumière en partie supérieure et réfléchie par les surfaces courbes. Les fentes le
long de la façade courbe permettent d’apprécier le lien avec les montagnes au loin. Ces espaces sont
connectés latéralement à un large corridor exposant des sculptures et donnant sur la cour intérieure.
Ainsi, le projet, dans sa fragmentation spatiale et matérielle entre intérieur et extérieur, permet des
contacts multiples et variés avec différentes échelles de contexte tout au long du parcours muséal.
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114. │14│Musée Peter Dass Alstahaug
Ce bâtiment est situé sur un site à haute importance historique; on y trouve une église, un archevêché
et un monument du célèbre prêtre et poète Peter Dass, acteur important de la culture norvégienne. Le
but du projet était de construire un musée lui étant dédié. Les architectes ont refusé le site proposé par
le client sous prétexte que construire un bâtiment à cet endroit aurait détourné l’attention du site
historique. Leur proposition, plutôt radicale, fut de faire une fente dans une falaise de roc adjacente à
l’église et d’y intégrer le nouveau bâtiment pour remplacer la matière enlevée. Le volume « flottant »
contient les espaces d’expositions et de recherche; sa toiture suit la topographie et s’incline
humblement devant l’église, en signe de respect envers le passé, alors qu’elle se projette plus en
hauteur du côté de la mer, évoquant le futur et donnant au bâtiment un caractère plus expressif
approprié à sa fonction muséale (http://www.snoarc.no/#/projects/13/true/all/image/893/). À l’arrivée sur
le site, c’est la partie inclinée du projet qui s’offre au visiteur. Un espace libre de deux mètres a été
laissé de chaque côté entre le bâtiment et le « mur » de roc, permettant soit de rejoindre la partie
supérieure du site où se trouve le monument dédié à Peter Dass, soit de rejoindre la mer. L’étroitesse
de ces espaces intermédiaires crée une tension intérieur-extérieur lorsque perçu de l’intérieur du hall
entièrement vitré. Un escalier intérieur, adjacent à celui extérieur, mène au second niveau. Le parcours
muséal débute du côté où la façade vitrée inclinée donne sur l’église, sur le passé, pour ensuite passer
à travers l’exposition qui révèle la vie et les enseignements de Peter Dass, qui sont souvent relié à des
problématiques qui nous affligent encore de nos jours; à l’autre extrémité du projet, l’espace élancé qui
donne sur la mer et l’horizon lointain est une invitation à réfléchir sur notre futur. Le projet manifeste
ainsi une grande interaction avec le paysage à toutes les échelles, en lien avec le contexte historique
important du lieu.
Ce projet offre, pour la ville de Québec, un grand potentiel de réflexion sur la manière d’intervenir en
contexte historique.
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120. │15│Opéra national de Norvège Oslo
La globalisation et la création de l’union Européenne a entraîné une certaine crise identitaire sur ce
continent, et plusieurs villes investissent massivement dans de grands projets urbains et architecturaux
d’avant-garde qui leurs permettent de générer de nouvelles identités en synchronisant dans l’espace
différents groupes sociaux, économiques et culturels (Gospodini, 2006, p. 312). Un des exemples
récents de ce phénomène est la régénération du port de Bjørvika à Oslo, entamée au début des années
2000 (Bien que la Norvège ne fasse pas partie de l’union européenne, elle a tout de même été
« emportée » par ce phénomène.). La première manifestation concrète de ce grand projet fut la
construction du nouvel opéra, complété en avril 2008 par la firme norvégienne Snøhetta, à la suite d’un
concours international d’architecture ouvert et anonyme. L’emplacement de l’opéra sur une ancienne
friche portuaire industrielle permet à Oslo de projeter une nouvelle image au reste du monde : « The
Bjørvika Peninsula is part of a harbor city, historically the meeting point with the rest of the world. The
dividing line between the ground “here” and the water “there” is both a real and a symbolic threshold. »
(http://www.snoarc.no/#/projects/15/false/all/image/876/). La plateforme publique qui émerge du fjord
crée une extension du paysage environnant et donne forme à un nouvel élément urbain qui est à la fois
bâtiment et topographie. Une variété d’expériences sensorielles est générée tant par le bâtiment lui-
même que par la présence des éléments naturels tel le fjord. La découverte du parcours qui va de l’eau
vers le niveau supérieur de la toiture révèle des expériences kinesthésiques riches : on rencontre de
multiples fractures, marches et failles faisant partie intégrante de la plateforme, et dont la perception en
est légèrement brouillée par l’éblouissement causée par la réflexion de la lumière du soleil sur le
marbre; tous ces aspects font écho à l’expérience de marcher sur la neige en hiver, où, ébloui par la
réflexion de la lumière, tout nous devient indéfini, flou et illimité. L’intervention contribue ainsi à créer
non seulement une image mais surtout une expérience identitaire forte en lien avec les particularités du
pays. Cette plateforme riche en expériences sensorielles répond aussi à la volonté de rendre l’opéra
accessible à tous en permettant aux passants de s’approprier le bâtiment, ce qui renverse une certaine
conception préétablie voulant qu’un opéra ne soit un lieu accessible qu’à une classe sociale particulière.
Ce projet offre un grand potentiel de réflexion pour la ville de Québec en ce qui a trait à la création de
bâtiment à caractère culturel.
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129. CONSTRUIRE EN BOIS
Expression matérielle d’une culture/nature nordique
« Le Québec, de par son passé et son territoire, est une civilisation du bois. Nous sommes intimement liés aux
forêts qui couvrent une si grande partie de notre coin de planète. Depuis les débuts de la colonie, nous avons
apprivoisé nos forêts, construit nos maisons avec les arbres et chauffé au bois nos hivers. »
(http://www.coalitionbois.org/component/content/article/15-une-coalition-pour-une-culture-du-bois-coalition-
bois-quebec)
Le bois en tant que matériau de construction a de grands avantages écologiques comparativement à
l’acier et au béton, tel que documenté par bon nombre de publications récentes. Au-delà de ces
avantages, notons que le bois est un produit local ayant fortement contribué à l’histoire de l’architecture
québécoise et norvégienne, et constitue une manifestation de la relation nature et culture en milieu
nordique. De nouveaux produits du bois sont en développement et révolutionneront notre manière de
travailler l’espace avec ce matériau. Mais, surtout, l’utilisation de ce matériau local s’inscrit dans une
nouvelle compréhension approfondie des liens qui unissent le territoire, le paysage et l’architecture, de
la forêt à l’aménagement forestier jusqu’à la création d’espaces urbains et architecturaux. Les projets
présentés dans cette section utilisent tous de manière presqu’exclusive le bois comme matériau de
construction et, surtout, s’intègrent de manière éloquente au paysage et aux forces de la nature.
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130. │16│Bâtiment d’accueil, Stavkirke Borgund
Architectes : Askim & Lantto
Les églises en bois debout (Stavkirke) de Norvège
occupent une place importante dans le patrimoine
architectural norvégien ; celle de Borgund est la
mieux conservée d’entre tous. Elle a été construite
il y a plus de 800 ans et démontre le savoir-faire
des constructeurs de l’époque, prouvant que le bois
est un matériau de construction durable qui peut
traverser le temps. L’intérieur de ces églises est
très sombre, seul de petits orifices éclairent
l’intérieur tel un ciel noir illuminé par les étoiles, et,
aspect intéressant, un espace-transition est présent
sur tout le pourtour de l’édifice. Le nouveau
bâtiment d’accueil utilise d’une manière
contemporaine la construction en bois, avec des
détails constructifs sobres adaptés au climat
nordique. Par opposition à la verticalité et à la
présence presque monumentale de l’ancienne
église, le nouveau bâtiment se déploie
horizontalement en un volume bas suivant la
topographie. L’articulation en retrait de la façade
sud crée un espace-transition entre l’intérieur et
l’extérieur et renforce la présence de l’ancienne 151
église dans le paysage. L’intérieur, sombre comme
l’ancienne église, permet de diriger l’attention vers
celle-ci.
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137. NORWEGIAN WOOD – STAVANGER/SANDNES
En 2008, alors qu’elle était élue Capitale culturelle européenne, la ville de Stavanger a présenté
« Norwegian wood », un vaste projet visant à faire de Stavanger et de Sandnes (sa ville voisine) une
vitrine internationale pour la construction en bois. Stavanger est la ville européenne comportant le plus
grand nombre de structure en bois, et toute la région du Rogaland aux alentours témoigne de ce riche
héritage architectural. Alliant tradition et modernité, la série de concours d’architecture s’est déroulée
sous le signe de l’innovation et du développement durable. Tous les projets utilisent des matériaux à
faible émission de polluants, ont une faible consommation d’énergie et font preuve d’une utilisation
innovante du bois. La relation intérieur-extérieur de ces projets s’avère par ailleurs particulièrement
riche, et c’est surtout cet aspect qui est traité ici.
Référence : http://www.arkitektur.no/?nid=58419
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138. │17│Auberge du Preikestolen Stavanger
Architectes : Helen & Hard
Ce projet est un petit hôtel de 24 chambres, situé tout juste à côté du sentier qui mène au Preikestolen,
une formation rocheuse surplombant le fjord Lyse qui attire un nombre important de touristes chaque
année. La forme que prend le bâtiment est directement issue du contexte immédiat de même que du
climat local. En plan, le bâtiment est déformé, « tordu », afin de contourner une formation rocheuse
importante présente du côté nord, créant ainsi du côté sud une ouverture généreuse, en forme
d’éventail, s’ouvrant vers la lumière du soleil et la vue sur le fjord Lyse. Situé au centre du projet, cet
espace accueille l’entrée et la réception. La façade sud est aussi composée d’espaces semi-extérieurs
ensoleillés et à l’abri du vent qui enrichissent l’expérience du site. La forme, qui rappelle un peu celle
d’une grange, est conçue pour résister aux forts vents de la région. Le tout est construit avec un
système innovant de panneaux de bois lamellés-croisés, qui offre une liberté spatiale accrue.
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142. │18│Lanternern Sandnes
Architectes : Atelier Oslo et AWP
Ce projet est situé sur une petite place publique au centre de la rue piétonne principale de Sandnes,
située tout près de Stavanger. La structure évoque subtilement une silhouette de grange, mais les
innovations structurales de même que les détails particuliers qui la composent lui confèrent un aspect
éminemment contemporain. Espace « intermédiaire » à la fois extérieur et protégé, la « lanterne » est
un complément à l’espace de la rue complètement ouvert sur l’extérieur et l’espace plus fermé
caractéristique des commerces, et constitue ainsi une façon innovatrice de vivre l’espace public en
milieu nordique. La structure est un véritable générateur d’activités dans le centre-ville : elle présente
une acoustique urbaine intéressante pour des petits concerts (http://www.arkitektur.no/?nid=58419) et
est activement utilisée par les marchands de la région.
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146. │19│Egenes Park Stavanger
Architectes : Onix
19. Egenes Park (arch. : Onix)
Le site de ce projet de 75 logements jouxte
d’une part un quartier résidentiel de
Stavanger, composé principalement
d’habitations unifamiliales, et, d’autre part,
des terrains de soccer. Ce projet
représente ainsi un exercice intéressant de
densification d’un tissu résidentiel existant
de faible densité. L’ensemble est tout
d’abord composé d’une série de volumes
placés perpendiculairement à l’axe de la
rue, qui reprennent le gabarit et l’échelle
des maisons situées en face. Un long
volume de trois étages de hauteur vient se
poser au dessus des quatre volumes bas,
en retrait de la rue. Cette composition
formelle fragmentée permet ainsi de créer
une grande variété d’espaces extérieurs et
semi-extérieurs ainsi que de créer une
grande perméabilité sur le site.
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