Et si le modèle électoral français se faisait "à l'américaine" ?
canard enchainé - Les électeurs du Sénat ne sont pas toujours très grands
1. Les électeurs du Sénat
ne sont pas toujours très grands
Maris, femmes, fistons, cousins et copains : on trouve de tout dans ce corps électoral ubuesque.
LA vie est toujours aussi belle, à
Nice. Ce dimanche, l'élection sénatoriale
sera l'occasion d'une
grande fête de famille. L'adjointe municipale
Dominique Estrosi Sassone,
imposée comme tête de liste UMP par
son ex-mari de maire, Estrosi Christian,
va faire son entrée au Palais du
Luxembourg. Et elle sera élue, entre
autres, grâce aux voix de leurs deux
fifilles : Laetitia et Laura Estrosi.
Ces jeunes sympathisantes ne sont
pourtant pas des élues locales issues
du corps traditionnel des grands électeurs
(députés, sénateurs, conseillers
municipaux, généraux et régionaux).
Mais, comme la loi le permet, la première
a été choisie comme « remplaçante
» de papa-le-maire, qui lui
donne sa voix, papa-le-député votant
déjà de son côté. Quant à la seconde,
elle a été désignée par le conseil municipal
du même papa pour faire partie
d'un drôle de contingent de votants
aux sénatoriales : les « délégués
supplémentaires ».
Jamais
sans mes filles
Ces braves délégués, parfaitement
inconnus du grand public, gagnent
pourtant à l'être. On les trouve dans
les villes de plus de 30 000 habitants,
à raison de 1 pour 800 habitants.
Tous les six ans, avant le scrutin,
leurs noms sont déposés à la préfecture
par les municipalités comme un
paquet à la poste. Ils ne tirent leur
égitimité d'aucune élection : chaque
groupe politique, en fonction de sa
représentation, propose au conseil
municipal sa liste de délégués, qui
l'entérine les yeux fermés. La majorité
se retrouve ainsi, de loin, avec le
plus gros bataillon, et il est permis
d'inscrire ses enfants, ses cousins,
son neveu et sa tata. Ce dont nos futurs
élus ne se privent pas.
A Nice, toutes tendances confondues,
cette armée représente tout
de MÊME 392. vaillants électeurs
tombés du ciel. Et, comme la famille
Estrosi n'est pas extensible, parents
d'élus et employés de mairie ont aussi
été élevés au rang d'électeurs délégués.
Les fillottes des adjoints Rudy
Salles et Gérard Baudoux, l'épouse
de leur collègue Pierre-Paul Léonelli,
plusieurs ex-conseillers avec leurs
femmes ou encore l'actuel chef de cabinet
d'Estrosi, Pascal Condomitti,
avec trois membres de sa famille,
participeront aux réjouissances. Sans
parler de Guillaume Queyron (et madame),
le directeur adjoint de cabinet
de la métropole niçoise, présidée
par un certain Estrosi. Et caetera.
Que l'on se rassure, le baron de la
Riviera n'est pas le seul, loin de là,
à pratiquer ce sport électoral. Gravé
dans le marbre depuis une loi de 1964
pour limiter le poids des communes
rurales au Sénat, ce système bouffon,
que les républiques bananières
nous envient, fournit surtout des électeurs
de poids à tous les roitelets des
villes de France. Particulièrement à
ceux des plus grandes, où, comble de
la farce, les délégués supplémentaires
deviennent bien plus nombreux que
les grands électeurs de droit (jusqu'à
quatre fois plus) et peuvent même
représenter un tiers des votants d'un
département !
Mes meilleurs
copains
C'est le cas du côté de Marseille,
où ils seront pas moins de 1 205 à
mettre un bulletin dans l'urne, dimanche,
et où le sénateur UMP de
la ville, ce bon Jean-Claude Gaudin,
est candidat à sa propre succession,
avec, rien que pour sa pomme,
694 délégués. Une ribambelle d'amis
d'amis et de cousins de cousins, avec
une préférence marquée pour les travailleurs
municipaux, comme l'a noté
« Le Monde » (27/7) cet été. Le directeur
de la communication de Gaudin
(Olivier Gineste), sa Madame et son
Monsieur Presse (Corinne Ferraro et
Stéphane Gireau), son chef du personnel
(Henri Sogliuzzo), son premier
flic municipal (Marc Labouz)... : tout
l'organigramme (ou presque) des
sous-chefs de sa mairie et de ses
organismes satellites y passe.
Main le sénateur ( iatidin sait aussi
honorer du titre de grand électeur
les entrepreneurs qui bossent pour
ou avec sa municipalité. Des patrons
de festivals locaux (Kégis Guerbois,
Stéphane Métayer), des promoteurs
immobiliers (Eric Foillard ou Xavier
Giocanti, époux à la ville de Christine
Lagarde), des architectes du Vélodrome
et des musées (Roland
Carta, Didier Rogeon). Chez Gaudin,
« grands électeurs » rime avec
« grands travaux » ! Tandis qu'en
face sa concurrente PS, Samia Ghali,
tente de sauver son fauteuil avec
l'autre école : dans ses 160 délégués
supplémentaires, on retrouve surtout
son mari (Franck Dumontel),
ses fistons (Dorian, Lonis) et une
vingtaine de cousins...
Enfin, parfois, les anciens collaborateurs
sont priés de revenir donner
un coup de main. Comme à Toulon,
où l'UMP Hubert Falco, en plus
de son fifils Fabien et de sa belle-fille
Audrey, aligne, par exemple,
l'ex-patron des services du conseil
général Patrick Heintz et son épouse.
Et que dire de Toulouse, où c'est la
fête des revenants chez les partisans
du candidat UDI-UMP Alain Cha-tillon
? Dans le lot de ses délégués
bénis, une brochette d'élus des
époques Baudis/ Douste-Blazy : Bernard
Bousquet, Jacqueline Baylé,
Michèle Claux. Et, le main; UMP,
Jean-Luc Moudenc, ayant placé sa
fidèle adjointe Brigitte Micouleuu
en numéro 2 sur la liste sénatoriale,
il a désigné aussi comme nouveaux
électeurs sa propre épouse, son chef
de cabinet et la femme de son
premier adjoint.
Comme dirait un sénateur bourguignon,
l'UMP Alain Houpert,
«faire voter un membre de sa famille
aux sénatoriales, c'est lui offrir une
formidable expérience démocratique
! ». En désignant ses propres
électeurs, c'est vrai qu'on ne fait pas
mieux !
Christophe Nobili