Vanessa Notley_notes pour un portrait G. Breerette
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Vanessa Notley
Notes pour un portrait
Vanessa Notley travaille ses formes à partir de textes, de mots, de leur définition.
Depuis longtemps, avec cette faculté d’écoute des sons qu’ont les habitants des
langues étrangères. Depuis deux ans, le mot vestibule et sa capacité d’accueil
d’images et d’idées plastiques génèrent ses dessins, ses sculptures, ses dessins de
sculpture et ses sculptures à dessein.
Les choses dessinées ressemblent à des instruments de musique ou à des cornets
acoustiques. Les sculptures sont des objets plus bizarrement faits, difficiles à
identifier, hybrides, à perspectives variables. Selon l’angle d’approche, elles ont un air
d’entonnoir, de coquille, de trompette ou de prothèse auditive. Il y en a quatre, comme
les filles du Docteur March. La même forme presque simple, découpée dans une
feuille d’acier noir pliée en cône et soudée, sert de base. Des fils de cuivre brillant plus
ou moins longs, raides ou frisés, sont plantés dedans, en touffes, ou soigneusement
alignés. Ils provoquent une cascade d’images allant du paillasson aux anglaises d’une
fillette d’un autre temps, de la crinière au ressort à boudin. Ces attributs qui
singularisent les figures du quatuor et ne font pas très sérieux, en rajoutent quant au
brouillage des pistes.
Les dits Vestibules n’ont donc pas la forme d’un hall de maison. Ils relèvent plutôt
de ce que désigne le mot vestibule en anatomie : des espaces corporels, internes, et
intimes, liés à la perception auditive (- de l’oreille interne), à l’ingestion de nourritures
(- de la bouche), et au sexe féminin (- vaginal). À l’ouïe, au goût, au toucher. Dans
tous les cas de figure, en architecture comme en anatomie, le mot vestibule désigne
un espace intermédiaire avec une entrée assurée et, en principe, une ouverture sur un
autre espace, un débouché.
« Entre-lieu » dit l’artiste à propos de sa nouvelle fabrique d’images qu’elle s’emploie à
remplir de sens, en inscrivant ses jeux croisés de formes et de métaphores dans
l’exploration et l’exploitation d’une forme creuse pleine de potentiel. À remplir, en y
mettant tout ce qu’il faut pour provoquer un perception active de l’objet, qui sera
haptique à la Deleuze, et compliquée à souhait par l’implication virtuelle d’un troisième
sens, l’ouïe s’ajoutant à la conjonction de l’œil et de la main.
En dépit de leurs drôles d’attributs, ces constructions physiques et mentales ne
manquent pas de sérieux, ni de tenue, fondées qu’elles sont sur de solides savoirs.
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On pourrait leur trouver une parenté avec les « objets à fonctionnement symbolique »
des Surréalistes. Paradoxalement, cela n’empêcherait pas une lecture formaliste, en
termes de détournement, de dérive, de perversion : détournement de matériaux
industriels, dérive de structures primaires, perversion de l’art minimal. Ni de les mettre
au compte d’une réactualisation de la bonne vieille question du sculpteur : celle de la
sculpture, évidemment, de sa nature, de son extension et de sa fonction dans
l’espace. Question que l’artiste traiterait en quatre temps, dans quatre histoires de
formes, en relation avec une béance contenue, cernée, dessinée à dessein, avec ses
dessous et ses dessus, ses dehors et son dedans.
De cette ouverture de la sculpture aux vents de l’esprit et des formes, il ressortirait
une sorte d’autoportrait à rebrousse-poil, qui permettrait de situer l’artiste et son
« entre-lieu » à la jonction de l’objet sculpture et du sujet créateur, et de préciser le
rapport au monde de l’individu-artiste. La pièce où l’inscription I WONT, « Je ne pas »,
est écrite au point de cuivre dans l’acier troué pour faire passer les fils, est significative
de ce jeu du je dans lequel par delà les mots, ce sont des attitudes - de femme - qui
prennent forme.
Geneviève Breerette, septembre 2016