1. Regards sur
le patrimoine archéologique de
LaTunisie
antique et islamique
Ouvrage conçu et dirigé par
Samir Guizani, Mohamed Ghodhbane, Xavier Delestre
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Aperçu historique
Une ville maritime à presque 205 km au sud
deTunis,Al-Mahdiyya fut construite entre 300-
308 H./913-920 sur ordre du premier calife
fatimide Ubayd Allh al-Mahdi Billah qui choisit
lui-même son emplacement stratégique après
une longue prospection selon les sources
arabes. Elle occupait une presqu’île rocheuse
rattachée au continent par un étroit cordon
sablonneux. Les raisons de sécurité ainsi que
les causes politico-militaires et idéologiques
expliquent, en effet, ce choix.
Son fondateur, qui lui donna son nom, ani-
mé par le souci de remplacer rapidement
Kairouan, la capitale de l’Ifriqiya depuis plus
de deux siècles l’imposa comme la principale
ville économique qui dût être fréquentée
par toutes les caravanes passant par l’Ifriqiya.
Afin de faciliter les contacts avec l’Orient
islamique et la Sicile, le port de la ville fut
convenablement aménagé. La flotte fatimide
devint dès lors l’une des plus redoutables
flottes de la Méditerranée jusqu’à la prise
des côtes par les Normands de Sicile. Il est
certain qu’elle assuma un rôle de premier
plan depuis sa fondation parce qu’elle est
considérée comme un carrefour des routes
maritimes reliant l’Occident et l’Orient mu-
sulmans, et un comptoir qui domine toute la
région maghrébine.
Pendant quelques années al-Mahdiyya servit
de demeure princière aux Fatimides jusqu’à la
fondation de Sabra (al-Mansouriya) à presque
trois kilomètres de Kairouan par le troisième
calife Ismaïl al-Mansour Billah à la suite de sa
victoire éclatante sur le révolté kharijite Abou
Yazid dite l’Homme à l’âne en 336 H./947-
948. Depuis cette date Al-Mahdiyya perdit
un peu de son rang administratif au profit
de sa concurrente et resta une ville maritime
par excellence pour jouer davantage le rôle
commercial et contribuer à défendre les côtes.
En 445 H/1053 le prince ziride Tamim Ibn al-
Muizz s’installa définitivement à Al-Mahdiyya
après la défaite éclatante de son père face aux
arabes des Banou Hilal et Banou Soulaym en
443 H./1051.Elle servit avec ses périphéries de
dernier refuge aux Zirides qui perdirent toute
Al-Mahdiyya
Mohamed Ghodhbane
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l’Ifriqiyya face à l’anarchie qui gagna la région
en quelques années. Les Normands de Sicile
occupèrent la ville en 543 H./1148 jusqu’à sa
libération par les Almohades en 555 H./1160.
Conçue dès le départ comme le modèle
d’une cité royale à l’intérieur de laquelle se dé-
fendent les fatimides avec leur doctrine détes-
tée par les habitants de l’Ifriqiyya, al-Mahdiyya
fut dotée d’un atelier monétaire qui se char-
gea sans cesse jusqu’à l’avènement des Almo-
hades d’émettre régulièrement des quantités
suffisantes de monnaies dans les trois métaux
(or, argent et cuivre). Les Normands eux aussi
maintinrent l’atelier en activité et frappèrent
des monnaies aux légendes arabes et portant
leurs noms. Sous les Hafsides puis sous les Ot-
tomans, la ville n’avait pas perdu son rôle ma-
ritime malgré les phases de déclin qu’elle vit
pendant les périodes de crises caractérisées
essentiellement par les attaques extérieures
des Européens durant l’époque hafside.
Elle constitua durant des siècles la principale
ville maritime de l’Ifriqiyya, mais après la
promotion de Tunis en capitale politique
depuis l’arrivée des Almohades elle occupa
désormais la deuxième place. Les Espagnols
venus dans le but de conquérir tout le Maghreb
islamique avant de s’étendre sur le reste du
monde musulman dans une autre étape,
s’en disputèrent le destin de la ville contre
les Ottomans venus apporter le secours. La
destruction fatale de la ville fut incroyable
si on en croit à l’historien espagnol Marmol
Caravajal. Une ville-garnison au XVIIème
siècle,
Entrée de la Skifa el Kahla
Cour intérieure du Borj El Kébir de Mahdia
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al-Mahdiyya reprit progressivement son essor
maritime et agraire, mais la concurrence de
Sousse et Sfax au XIXème
siècle lui fit perdre
complètement son rayonnement.
Comme les autres villes côtières, Al-Mahdiyya
fut dotée de fortifications destinées à la rendre
plus solide et résistante. Par ses monuments
défensifs qui ont connu des restaurations et
des interventions d’aménagement au fil des
siècles, elle fut considérée pour longtemps la
mieux protégée.
Les remparts
Les remparts de la ville dont les sources arabes
se font l’écho par admiration, furent en grande
partie détruits en 1555 par les explosions es-
pagnoles. La façade monumentale occidentale
échappa toutefois à cette démolition. Les mu-
railles furent flanquées de tours dont témoi-
Bab Zaouila, la Skifa el Kahla
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gnaient les vestiges conservés jusqu’au début
du XXème
siècle. La Skifa al-Kahla (Bab al-Fou-
touh) est la seule partie de la porte fatimide qui
nous était épargnée. Sa description au XVIème
siècle par Marmol nous montre son architec-
ture grandiose synonyme de l’importance de
la ville tout au long de la période qui précéda
les attaques des Espagnols. Le monument est
un fortin composé d’une porte ouvrant sur un
long vestibule reliant le mur extérieure à la troi-
sième enceinte intérieur flanquée par deux sail-
lants polygonaux remontant au XVIIème
siècle.
La Grande Mosquée
La Grande Mosquée construite sous le règne
d’al-Mahdi Billah subit de grandes transforma-
tions après les explosions espagnoles. La salle
de prière et une partie de la cour furent res-
taurées une première fois au XVIIème
siècle puis
une deuxième fois au XIXème
siècle. Les cam-
pagnes de fouilles menées au XXème
siècle ont fini, suite à une décision
officielle en 1960, par rendre à la
Mosquée son aspect originel en sup-
primant les ajouts ottomans. L’archi-
tecture de la Mosquée se distingue
complètement de celle qui caractérise les mo-
numents aghlabides et généralement sunnites.
Le porche d’entrée, l’allée triomphale et la
salle de prière se dressent comme un témoin
magnifique de la singularité de l’architecture
royale imposée par les Fatimides distingués
déjà par leur doctrine chiite.
Les monuments modernes
La ville renferme des monuments remontant
à l’époque moderne qui témoignent de
la maintenance de son rôle urbain malgré
son déclin économique et politique. Borj al-
Ras, Borj al-Kabir ainsi que les adjonctions à
Ci-dessus : la Grande
Mosquée de Mahdia.
Ci-contre : vue du côté
opposé à celui qui donne
sur la salle de prière de la
Grande Mosquée de Mahdia
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la porte fatimide pour lui rendre un petit
fortin, furent les principales fortifications
de l’époque ottomane. Le Borj al-Kabir qui
domine un paysage urbain occupant le point
le plus culminant de la ville fut construit au
XVIème
siècle à l’emplacement d’un palais
fatimide.
Les monuments religieux
Outre ces monuments militaires, la ville ren-
ferme aussi des monuments religieux comme
la mosquée de Moustafa Hamza bâtie en
1772, la mosquée de Slimane Hamza qui date
du XVIIIème
siècle, le sanctuaire al-Tawama éri-
gé en 1850 etc. Les zawiya (mausolées) sont
nombreuses et ont joué un important rôle re-
ligieux, social et culturel durant l’époque mo-
derne. La zawiya des Amamira (XVII-XVIIIème
siècle), la zawiya de Sidi Abdessalam (XVIIIème
siècle) et la zawiya de Ben Romdhane (XIXème
siècle) ainsi que des mausolées au style origi-
nel sont les principaux monuments qui restent
bien conservés jusqu’à aujourd’hui.
Dans le but de fonder une ville beaucoup
mieux fortifiée par rapport à ses voisines et
destinée à jouer le rôle d’un refuge pour les
Fatimides,un emplacement stratégique fut bien
choisi en dépit du problème d’approvisionne-
ment en eau potable négligé par son fondateur
et ses successeurs. La ville fut, en effet, obligée
de chercher l’essentiel de ses besoins ailleurs.
C’est pour cette raison qu’un ouvrage de
conduites, de réservoirs et d’aqueducs fut mis
en place pour résoudre ce problème. Al-Bakri
nous parle de 360 citernes édifiées par al-Ma-
hdi et qui permirent de stocker d’énormes
quantités d’eau utilisable en périodes de paix
et en guerre.
Bibliographie :
LEZINE (A.) - Mahdiya recherches d’archéologie
musulmane, Paris, 1965.
DJELLOUL (N.) - Les fortifications de Tunisie, Tunis,
1999.
DJELLOUL (N.) - Mahdiya capitale des Fatimides,
Tunis, 2005.
DJELLOUL (N.) - La voile et l’épée, t. 2,Tunis, 2010
Le cimetière marin de Mahdia