Trouver le point d’équilibre.
Les pouvoirs publics ont incontestablement un rôle à jouer
pour inciter les acteurs privés à embrasser la cause de la
logistique urbaine dont les modèles ne se pérenniseront qu’à
condition d’être rentables.
2. SEPTEMBRE 2016 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°107 59
Trouver le point
d’équilibreLes pouvoirs publics ont incontestablement un rôle à jouer
pour inciter les acteurs privés à embrasser la cause de la
logistique urbaine dont les modèles ne se pérenniseront qu’à
condition d’être rentables.
L
a logistique urbaine opère-
t-elle un virage ? Les inten-
tions sont là. « J’observe une
réelle volonté de l’ensemble
des acteurs d’avancer. Les élus
associent davantage les opérateurs de
transport aux réflexions. Les commer-
çants prennent également conscience
de l’importance de la livraison du der-
nier kilomètre, ce qui n’était pas le cas
jusqu’à récemment », constate Bruno
Durand, Maître de Conférences HC à
l’Université de Nantes. Les grandes
collectivités comme Paris (voir article
page 62), Lyon (voir article page 64),
Toulouse, Strasbourg et Bordeaux
sont régulièrement citées parmi les
bons élèves. « Toulouse a bien réamé-
nagé son cœur de ville et revu sa
réglementation en matière d’aires de
livraison, d’accès à la ville, de mise
en place d’équipements logistiques,
etc. », confirme Bruno Durand. Cette
évolution intervient dans un contexte
d’évolution de la consommation
(croissance du e-commerce, accéléra-
tion des délais de livraison, réduction
du format des magasins de proximité,
etc.) qui contribue fortement à une
explosion du nombre de colis livrés,
une atomisation des livraisons et une
hausse des « externalités négatives ».
Les CDU : des modèles
économiques en devenir ?
Des villes de taille plus modeste font
également parler d’elles, notam-
ment par le biais des CDU (Centre
de Distribution Urbain). C’est le cas
d’Annecy, Saint-Etienne, Bayonne
ou Grenoble dont la municipalité a
rendu public début juillet le nom de
la société lauréate (La Poste) de l’ap-
pel à manifestation d’intérêt visant à
confier le pilotage de ce CDU. Démar-
rage prévu dans 1 mois. « Le CDU
d’Annecy est géré par un opérateur
privé. Il existe depuis 3 ans. Hélas, la
collectivité n’a pas pris d’arrêté muni-
cipal pour l’aider d’une quelconque
manière », regrette Philippe Bossin,
Directeur de la R&D et de la logis-
tique urbaine chez Lyon Parc Auto
et Président d’Interface Transport.
Les modèles économiques des CDU
invitent à la prudence. Ils sont sou-
vent décrits comme « survivants sous
perfusion » en raison des trop faibles
volumétries. Une partie de la solution,
permettant d’assurer la pérennité du
dispositif, réside dans la réglementa-
tion d’accompagnement. Sans oublier,
la volumétrie des flux. « On a tendance
à dire que pour qu’un CDU réussisse,
il doit capter environ 20 % des flux
de la ville », précise Jérôme Libeskind,
Fondateur de Logicités. Chez Geodis,
silence radio concernant Distripolis.
Faut-il s’inquiéter pour cette initiative
qui ne donne plus signe de vie depuis
un bon moment ?
Pas une mais des solutions
Jérôme Libeskind met en garde contre
les idées trop simplistes présentant
telle ou telle initiative comme « la
solution ». « Livrer avec de petits
véhicules électriques peut être perti-
nent dans certains cas mais attention
au risque de leur démultiplication.
Autre exemple : des livraisons 100 %
en vélo occasionneraient des embou-
teillages monstrueux. La solution
consiste plutôt à segmenter par typo-
logie de charge (colis, palettes…) »,
développe-t-il. Idem pour le foncier,
autre aspect de la logistique urbaine
que Jérôme Libeskind considère avec
prudence : « Nous avons eu tort pen-
dant longtemps de tout rapporter au
foncier. Il est nécessaire pour certaines
solutions de logistique urbaine mais
pas pour d’autres qui requièrent des
besoins en matière d’organisation des
flux ou d’utilisation de l’espace public.
La logistique urbaine n’est pas tri-
butaire du foncier mis ou non à dis-
position par les villes. En outre, les
points de proximité tels que les maga-
sins peuvent aussi être utilisés comme
point de départ du dernier km ».
La réglementation
comme fer de lance
La loi de transition énergétique n’est
pas étrangère aux questionnements
liés au renouvellement du parc de
véhicules. Mais en réalité les acteurs
privés anticipent souvent la réglemen-
tation et prennent les devants. « On
entend régulièrement parler d’Euro 4
et 5 ou de véhicules GNV, mais moins
d’Euro 6 ou d’électrique », remarque
Bruno Durand. Le basculement total
de la puissance publique ne s’opère
pas assez vite déplorent certains
observateurs. La difficulté pour les
acteurs du privé réside aussi dans le
fait qu’il s’agit souvent de réglemen-
tations locales. Néanmoins, cela ne les
empêche pas d’agir. « Les meilleurs ini-
tiatives viennent souvent des groupes
de distribution et de transporteurs.
Les expérimentations de livraisons de
nuit menées par la grande distribu-
tion sont particulièrement pertinentes.
Les surcoûts semblent compensés par
les gains de productivité. N’oublions
pas que la pérennité de la logistique
6. SEPTEMBRE 2016 - SUPPLY CHAIN MAGAZINE ■ N°107 63
ville de Paris dispose d’un très grand
nombre de parkings inutilisés, envi-
ron 13.000 places non proposées à la
location. Pourquoi ne pas les mettre
à disposition, du moins celles que la
mairie de Paris ne souhaite pas offrir
à la location en tant que places de
parking, contre un loyer à des socié-
tés susceptibles de les utiliser comme
des plates-formes de transit et d’écla-
tement. Bien entendu, cela requerrait
des aménagements non négligeables
(système de ventilation pour le rechar-
gement des batteries, adaptation des
rampes d’accès, etc.) ».
22 projets retenus
en cours d’expérimentation
Chapelle International (18e
arrondis-
sement) est également sur toutes les
lèvres. Le projet a pris un peu de retard
par rapport aux délais annoncés ini-
tialement mais le très attendu premier
hôtel logistique parisien devrait sor-
tir de terre en 2017. Sogaris, Eurorail
et XPO Logistics ont annoncé début
2016 la signature d’un accord pour le
développement d’une « navette ferro-
viaire urbaine » desservant Paris et la
proche banlieue dont la mise en ser-
vice est prévue pour septembre 2017.
D’autres projets d’hôtels logistiques
sont dans les cartons de la mairie.
« Nous avons un projet d’hôtel logis-
tique dans le secteur Paris Nord-Est
autour de la Porte de la Villette sur
le même modèle que celui de Chapelle
International en mixant la logistique,
le tertiaire et d’autres activités. Il
existe un autre projet d’hôtel logis-
tique, qui intégrerait alors la halle
Gabriel Lamé occupée par Monoprix et
la plate-forme Geodis Calberson, dans
le cadre du projet urbain envisagé pour
Bercy Charenton. Sans oublier celui
des Batignolles, à proximité du nou-
veau tribunal de grande instance, dont
la société Multivest a remporté l’appel
d’offre », nous confie Hervé Levifve.
Parmi les initiatives marquantes de la
ville de Paris, citons également l’appel
à projets d’expérimentation logistique
urbaine durable pour lequel 22 pro-
jets ont été retenus, dans des registres
variés (mutualisation des flux, stoc-
kage et consignes, livraison, rationa-
lisation des tournées, stationnement,
solutions de transport), et présentés
en septembre 2015 (voir encadré page
61). « Plus de la moitié sont en route.
Nous rencontrons des difficultés sur
ceux pour lesquels nous avons la main
en matière d’usage de l’espace public.
C’est le cas par exemple pour les pro-
jets de consignes automatiques. Le but
de cette initiative est justement de tes-
ter des choses innovantes en matière
de portage politique. Nous devrions
être en mesure d’ici 3 à 6 mois de
faire le bilan », détaille Hervé Levifve.
Nous verrons alors ceux qui réussiront
à passer de l’étape d’expérimentation
à celle de déploiement. ■
BRUNO SIGUICHE