Interview de Jérôme Libeskind, expert en logistique urbaine et e-commerce, dans la Gazette de Montpellier, sur les problématiques de logistique urbaine. Cet interview est intégré dans un reportage complet réalisé par Henri Frasque.
Interview de Jérôme Libeskind gazette de Montpellier -12 octobre 2017
1. ENQUÊTE LIVRAISONSENCENTRE-VILLE:COMMENTFONT-ILSAILLEURS ?
Comme tous
les matins, des
camions de
livraison
envahissent une
partie de la place
de la Comédie.
La Gazette n° 1530 - Du 12 au 18 octobre 201732 LA VILLE EN PARLE
“Souvent, la réglementation existe,
mais elle n’est pas appliquée”
La Gazette. Le centre-ville de
Montpellier est envahi par les
camions de livraison. Sommes-
nous un cas particulier?
Jérôme Libeskind. Le fait que les
camions stationnent un peu n’im-
porte où n’est pas spécifique à Mont-
pellier. Une ville, c’est d’abord un
espace de consommation. Elle ne
produit pas grand-chose en dehors
des déchets et de petits entrepôts
en ville. On livre des magasins, des
bureaux, des administrations, des
espaces tertiaires et, de plus en plus,
des particuliers. On a aussi un cer-
tain nombre de flux de gestion
urbaine: les déchets, les déména-
gements, l’entretien de la ville, les
chantiers de bâtiment, etc. Donc
c’est assez divers. Ce n’est pas un
secteur unique.
Comment éviter le trop-plein de
camions dans l’hyper-centre? En
faisant respecter des horaires
stricts?
On ne peut pas l’interdire totale-
ment aux camions. On veut tous
avoir des centres-villes qui vivent,
avec des commerces, des restau-
rants, des cafés. Il faut bien les
livrer! Et plus ça va aller, plus il
faudra les livrer fréquemment,
plusieurs fois par jour. Et le diman-
che, pour les magasins ouverts ce
jour-là. Refuser ces flux nouveaux,
ou même restreindre les horaires,
je ne suis pas sûr que ça ait un
impact environnemental très inté-
ressant. Les villes ont maintenant
un nouvel outil: elles ont le droit de
dire que tel camion a la permission
d’entrer, et à tel moment. Mais il
faut aussi, bien sûr, que la régle-
mentation soit appliquée… Le
modèle un peu ancien, avec des
places de stationnement et des com-
merces, ça ne marche pas. Un bon
tiers des flux sont du e-commerce,
partout, sur tout le territoire urbain,
là où habitent les gens. Il faut trou-
ver d’autres solutions.
Certaines villes ont mis en place
des centres de distribution urbaine
(CDU). Est-ce que ça marche?
C’est compliqué, parce qu’il n’y a pas
de texte réglementaire qui incite ou
qui impose cette organisation. Dans
la pratique, ça n’a jamais marché. Il
y en a eu vingt en Allemagne, ils ont
tous arrêté dans les années 80-90.
C’est difficile de demander à des
transporteursdetravaillerensemble,
dans un secteur très difficile et très
concurrentiel. Ensuite, on crée des
surcoûts avec des ruptures de
charge: on décharge et on recharge.
C’est un peu contraire au sens de
l’histoire, qui est d’aller plus vite et
de livrer moins cher. En fait, ça ne
marche que si une ville l’impose,
comme à Monaco. Les CDU sont sur-
tout adaptés pour les zones rurales.
Si les CDU ne marchent pas pour
les centres-villes, qu’est-ce qui
marche?
Une des raisons des échecs, c’est
que les villes ne savent pas faire res-
pecter une réglementation de façon
stricte. Mais elles pourraient aussi
mettre en place des mesures inci-
tatives. Par exemple, je prêche pour
que les véhicules électriques de
livraison puissent circuler sur des
voies de bus, ou bénéficient de sta-
tionnements gratuits. Parce qu’ils
coûtent plus cher que des véhicules
de livraison thermiques. Donc si on
en veut, il faut leur donner un peu
d’avantages compétitifs par rapport
aux autres.
Quelles autres solutions?
La consolidation des flux marche
quand elle est cantonnée à un
espace géographique donné, comme
un aéroport, un gros centre com-
mercial, un hôpital, une université.
On consolide les flux de manière
privée, avec un centre où tous les
transporteurs vont pouvoir déposer
leur marchandise, et ensuite une
re-livraison groupée.
Et pour le e-commerce?
Là aussi, il faut consolider les flux,
par exemple en développant les
consignes ou les points relais. Le
nombre de colis dans l’e-commerce
explose: il croît d’au moins 20 %
par an, la livraison à domicile étant
le premier moyen choisi par les
consommateurs. Il faut développer
des point-relais adaptés à l’e-com-
merce, qui permettent au consom-
mateur de retirer son colis à 23h le
samedi ou le dimanche sans faire
la queue.
Comment développer les modes
de livraison “propres”?
Il faut des petits espaces logistiques
en ville qui permettent l’émergence
de modèles de livraison à vélo, à
pied, sur l’hypercentre. Ça peut être
le rôle de la ville d’aider ces entre-
prises à trouver des petits espaces
pour avoir cette fonction logistique
de quartier ou d’hypercentre. Ça
peut permettre l’émergence de start-
up et d’emplois dans des modes de
livraison écologiques et adaptés au
centre-ville. Pour que ces modèles
économiques marchent, il faut de
la réglementation. Parce que, sou-
vent, la réglementation existe mais
n’est pas appliquée. Les transpor-
teurs font des efforts pour livrer
plus propre quand il y a des
contraintes. Ils le font à Grenoble,
à Toulouse, à Paris, dans les villes
où il commence à y avoir des
contraintes très fortes.
Et la livraison en tram, vous y
croyez?
C’est encore de la théorie. Encore
faut-il qu’il y ait un modèle logis-
tique qui soit pertinent: qu’il parte
d’un endroit où il y a des flux à ache-
miner, et qu’il arrive au centre-ville,
et puisse s’insérer dans la ville. Il y
a d’autres solutions: pourquoi pas
lestaxis,lesVTC(voituresdetransport
avec chauffeur ), les bus… Le sujet,
c’est d’intégrer la mobilité des mar-
chandises dans toutes les réflexions
sur la mobilité des personnes.
Propos recueillis par Henri Frasque
G
“LES TRANSPORTEURS
FONT DES EFFORTS
POUR LIVRER PLUS
PROPRE QUAND IL Y A
DES CONTRAINTES.”
D.R.
PHOTOGUILLAUMEBONNEFONT
Pour Jérôme Libeskind,
expert en logistique
urbaine et e-commerce,
l’alternative au
tout-camion passe
notamment par des
espaces logistiques de
proximité alliés à des
modes de livraison
doux. Et par une
application plus stricte
des réglementations.
Expert en logistique
urbaine et en
e-commerce,
Jérome Libeskind
dirige la société
Logicités. Il est
l’auteur de “La
Logistique urbaine,
les nouveaux modes
de consommation et
de livraison”, paru
aux éditions FYP,
en mars 2015.