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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Stéphane Labartino
Itinéraire contrarié d’un manager
Travail réflexif sur la communication managériale
Directeur de mémoire :
Yves Nicolas
Année 2010/2011
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
1
Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Sommaire
Préambule (avertissement au lecteur)........................................................................2
Introduction.................................................................................................................4
La formation................................................................................................................6
L’engagement ...........................................................................................................10
La gestion par les outils au quotidien........................................................................16
L’accompagnement ..................................................................................................20
Génération Y, l’espoir ? ............................................................................................25
Conclusion ................................................................................................................27
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Préambule (avertissement au lecteur)
Suite à la soutenance de mon dossier de VAE (Validation des Acquis de
l’Expérience) en juin 2010, le jury par la voix de mon directeur de mémoire, Yves
Nicolas, a jugé, avec raison, que mon parcours professionnel m’avait enseigné
une culture de l’entreprise et du management axée sur les résultats où seule
l’atteinte des objectifs entrepreneuriaux et économiques comptait. Malgré l’avis
favorable du jury sur mes connaissances des UE du Master 2 de la
Communication d’Entreprise, Yves Nicolas, m’a demandé d’étudier la vision de la
communication managériale de l’Ecole Critique. Son intention, je crois, était de
me faire découvrir un courant de pensée opposé à mon éducation et aux acquis
de mon expérience professionnelle émanant de l’Ecole Fonctionnaliste.
Lors de notre premier entretien, mon directeur de mémoire illustra l’approche
capitaliste de la communication managériale par un plombier qui se préoccupe
de repérer les problèmes de fonctionnement et de les réparer par des actions
ciblées, souvent à court terme, de manière à ce que les flux d’informations
reprennent leur cours nécessaire pour le bon déroulement du travail à effectuer
dans et par l’entreprise. Yves Nicolas m’a ensuite indiqué un certain nombre de
livres critiques de la communication managériale, parmi lesquels j’ai pu lire, en
vue de rédiger ce travail réflexif :
- La Communication managériale (ou la modernisation symbolique des
entreprises) de Bernard Floris,
- L’homme qui croyait au management de Michel Villette,
- Le torticolis de l’autruche (ou l’éternelle modernisation des entreprises
françaises) de Danielle Linhart,
- La société malade de la gestion de Vincent de Gaulejac.
J’ai également assisté, avec les étudiants de master 1 et 2 de Communication
d’Entreprise, aux conférences suivantes :
- L’Ecole de Palo Alto présentée par Daniel Bougnoux,
- L’Ecole de Frankfort présentée par Bernard Floris,
- L’imaginaire de l’entreprise présentée par Patrick Pajon,
- Sociologie du travail et communication d’entreprise présentée par Danielle
Linhart,
- Communication interne et management présentée par Michel Villette.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Lors de ce parcours d’apprentissage des pensées critiques de la communication
et du management en entreprise, j’ai pu comparer les arguments mis en avant
par les auteurs et mon vécu de l’entreprise sur le terrain en qualité de
communicant pour des clients au sein d’une agence de communication ou en
tant que manager d’équipe aux Etats-Unis, ou encore comme directeur général
d’une succursale française d’une société américaine.
Le travail qui suit est donc un constat et une reconnaissance personnels des
arguments et des faits relatés dans les œuvres que j’ai lues, croisés avec mon
expérience de ces mêmes faits ou pratiques des méthodes de management, de
communication et/ou de marketing décriés par les auteurs critiques.
Dans l’esprit d’un parcours de VAE, j’ai estimé utile et intéressant, de mettre en
relief mes actions et mes expériences professionnelles telles que je les aie
ressenties ou telles que je les vis encore aujourd’hui en entreprise. Cela tient
compte de ma dimension d’Homme imparfait, de mes sensibilités, de mes
aspirations, de mon attrait pour comprendre les besoins des personnes qui
m’entourent et de mon envie sans limite de satisfaire les attentes de tous mes
interlocuteurs : clients, employeurs, collègues et collaborateurs.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Introduction
Ma découverte des fondamentaux de l’Ecole Critique sur la communication
managériale a, à ce jour, généré un véritable dilemne de bonne conscience chez
moi. Je suis partagé entre la nécessité de travailler dur, de longues heures, de
partager mon enthousiasme avec mes collaborateurs, d’essayer de les motiver à
me suivre pour qu’eux aussi puissent vivre la satisfaction du travail bien fait, tout
en sachant que les motiver ainsi les pousse à effectuer des tâches qui leur sont
ingrates, et leur demande des efforts qui vont au-delà de leurs limites naturelles.
Après plus de 15 années en tant que communicant dans une agence de
communication marketing, j’ai utilisé pour convaincre, ce que je crois être les
traits principaux de ma personnalité :
- La détermination
- L’ambition de réussir pour le groupe et l’entreprise auquel j’appartiens, et
pour le client qui me passe commande
- L’humilité et la modestie
- La prise de responsabilité des actions et des échecs
Ma volonté professionnelle m’a également poussé à accepter tous les défis qui
m’ont été proposés, peu importe les difficultés morales ou physiques que ceux-ci
pouvaient engendrer. Cela ne veut pas dire que j’étais ou que je suis « un YES-
man », bien au contraire. Je suis reconnu comme étant capable de refuser des
requêtes si elles ne me semblent pas judicieuses pour l’accomplissement de la
mission fixée. Je définis ou modifie le cadre et le fonctionnement des modes
opératoires à partir de mes expériences passées, des attentes et des besoins
des personnes qui participent au projet et des objectifs fixés par le donneur
d’ordre.
Je prends plaisir à travailler quand j’ai le sentiment d’avoir modifié une situation
qui devait changer pour que le groupe puisse mieux fonctionner ou pour que la
mission puisse continuer.
Je crois que le travail a fait de moi un homme plus ouvert, attentif aux autres et
tenace à la fois. Même si je reconnais que ceci a été au prix de certains efforts
que je ne souhaite à personne, j’ai le sentiment que mon employeur m’a permis
de me découvrir et de devenir un homme meilleur que ce que j’étais il y a 15 ans
auparavant.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Les différents ouvrages auxquels je fais référence dans ce travail réflexif sont
venus chambouler mes certitudes et le regard en arrière que j’avais sur mon
parcours. Je me suis mis à douter du bien fondé de mes motivations et des
raisons qui pourraient me pousser à continuer sur le même chemin.
Toutes les actions de communication internes et externes, selon l’Ecole Critique
sont destinées à contraindre à une tâche les salariés, souvent qualifiés de
« dominés » par Bernard Floris dans son livre « La Communication managériale
ou la modernisation symbolique des entreprises ». Les « dominants », les
entrepreneurs ou autres PDG et managers de haut rang, développent ou utilisent
des méthodes de motivations, comme le « storytelling », les séminaires de
formation, les évaluations de performance etc. à des fins subversives pour servir
leurs seuls intérêts financier et de pouvoir, et ainsi diviser les salariés entre eux.
L’Ecole Critique m’a fait découvrir une perspective du monde des affaires qui,
selon moi, n’était propre qu’à un certain nombre d’hommes d’affaires et
d’entreprises sans éthique pour leurs semblables. Pourtant, ces auteurs
semblent converger vers le fait que toutes les méthodes de formation, de
motivation autour d’un projet et les techniques marketings et comptables pour
évaluer les performances des groupes et des individus utilisées en entreprises
sont destinées à tromper les publics. Ces initiatives, selon l’Ecole Critique, ne
délivrent que des messages marketings répondant aux attentes et favorisant « la
servitude volontaire » des salariés.
Tout en trouvant ce courant de pensées réaliste, je me suis senti désarmé face à
la perte du sens de mon travail de manager sur lequel ces intellectuels m’avaient
donné à réfléchir. Pendant près d’un an, je n’ai cessé de répéter, m’accrochant
probablement à ma culture fonctionnaliste : « Mais quelles solutions proposent-
ils ? ».
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
La formation
La formation à une culture d’entreprise, à l’apprentissage de ses valeurs, aux
bénéfices apportés à ses clients ou à son environnement économique sont
apparentés à un « lavage de cerveau » selon Michel Villette dans « L’homme qui
croyait au management ». L’auteur décrit des séminaires de formation suivant un
agenda presque militaire, mélangeant activités physiques matinales, cours
théoriques sur les valeurs symboliques et valeurs ajoutées de l’entreprise, et
mises en situation.
Je n’ai, pour ma part et à mon grand regret, jamais eu l’occasion d’assister au
type de séminaire que Michel Villette décrit, ni en France, ni aux Etats-Unis où
j’ai débuté ma première expérience de manager d’équipe. La seule culture
d’entreprise, sous-jacente, que j’ai reçue par bribes d’expérience dès le début de
mon embauche en tant que chef de projet de communication chez Harding
Marketing Communications, Inc (HMC) fut la culture du résultat. Toute action
devait avoir un résultat et ce résultat devait obtenir un maximum de compliments
de la part de mes supérieurs ou de mes clients. Dès la première semaine dans
l’entreprise, je prenais plaisir à remplir toutes sortes de missions, de la
préparation en facturation d’une pile de dossiers que les précédentes personnes
à ma place avaient laissée trainer pendant plus d’un an et qu’il était urgent de
traiter, selon mon PDG (qui se trouvait être la personne qui m’avait embauché).
Savait-il lui-même ce qu’il fallait faire exactement pour que ces projets puissent
être facturés par le service comptabilité ? Non, et il me conseilla de contacter la
directrice financière qui ne commençait à travailler que vers les 18 heures (heure
française), se trouvant elle en Californie. Il avait, auparavant, pris soin de me dire
à quel point la directrice financière était une personne exigeante avec les chefs
de projets. Après une heure de conversation téléphonique avec la CFO (Chief
Financial Officer), je connaissais la technique pour bien facturer un projet dans
les temps et j’étais heureux de savoir que je pourrais effectuer cette tâche
primordiale pour mon interlocutrice à chaque fin de mes projets à venir. Je l’avais
trouvé très sympathique au téléphone. Quelques jours plus tard, une collègue
américaine en déplacement sur Grenoble, semblait épatée que j’aie pu avoir une
conversation cordiale avec la CFO, qu’elle dénommait « the dragon lady » (la
femme dragon).
Fort de cette expérience réussie, les semaines et mois qui suivirent, furent une
découverte de tous les métiers des collaborateurs qui travaillaient sur mes
dossiers. Les rédacteurs techniques, les rédacteurs marketings, les relecteurs,
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
les directeurs artistiques et infographistes, les stratégistes marchés, le chef de
production, etc. Chacun à leur tour, suite à mes sollicitations, m’expliquaient ce
qui leur était nécessaire de comprendre et d’obtenir de la part du client, donc par
mon intermédiaire, pour bien faire leur travail et livrer un résultat qui puisse
satisfaire le client, et donc moi-même. Tous me communiquaient leur envie de
faire de l’excellent travail. Dès les premiers projets, je m’apercevais de la très
haute qualité du travail qu’ils me rendaient, par rapport à mes expériences
précédentes en agence de communication. Ces preuves de qualité me suffisaient
pour comprendre que j’avais beaucoup à apprendre de ces personnes et que
sans elles et leurs compétences, je ne réussirais pas à contenter mes clients.
Pour progresser, je devais donc continuer à solliciter mes collaborateurs pour
qu’ils m’enseignent leur savoir-faire. En échange, sans que ce soit officiellement
dit, j’étais un chef de projet toujours disponible pour les aider à comprendre des
informations clients ou à aller chercher des réponses à leurs questions. Nous
étions loin du bourrage de crâne ou du lavage de cerveau comme décrit par
Michel Villette, mais beaucoup plus simplement dans une envie commune et
forte de fournir un travail qui obtiendrait les pleines satisfactions des clients et de
notre employeur. Nous étions portés par la recherche de qualité de ce que nous
produisions, même si cela devait dépasser les attentes des clients, et n’étions
pas nécessairement soumis au « discours de l’insignifiance » sous couvert des
« concepts clés de la qualité » de la part de notre direction comme le décrit,
Vincent de Gaulejac dans son livre « La société malade de la gestion ». Nous
avions juste envie de faire un travail irréprochable dont nous pourrions être fiers.
Les premières formations de personnel que j’ai animées ont débuté aux Etats-
Unis. C’était un cours destiné à des chefs de projets ou en devenir sur la gestion
d’une réunion. Le principe était une méthode issue de la PNL (programmation
neuro-linguistique), consistant à découvrir les objectifs d’un sujet donné et les
objectifs cachés des interlocuteurs, afin de livrer un contenu répondant à toutes
les attentes. La méthodologie se terminait par une validation des attentes par
feed-back et une mise en perspective des étapes à suivre, appelées « pont sur le
futur ».
J’avais préparé une présentation PowerPoint avec une illustration du schéma de
déroulement d’une réunion type. Je savais que ce type d’initiative au sein d’HMC
était nouveau, car après quatre ans dans la société, personne ne m’avait convié
ou quiconque d’ailleurs à une réunion de formation interne. Au bout de près d’1 h
30 de réunion, je concluais l’entretien en insistant pour la première fois que l’on
devait mettre du cœur dans nos actions, que les clients et autres interlocuteurs
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
devaient nous sentir investis de la mission qui nous était confiée. Une salariée
m’interpela et me fit comprendre que pour elle, il n’y avait pas de place pour des
sentiments dans son travail, mais juste pour une volonté de bien faire. Pendant
longtemps cette nuance me dépassa et je n’imaginais pas que l’on puisse
distinguer les deux.
Ce réalisme est peut-être aussi ce qui me manqua en voulant bâtir des valeurs
d’entreprises dans le programme « Sortir de l’Ombre », que je décrirai plus loin
dans ce document.
Danièle Linhart dans « Le torticolis de l’autruche » explique que les entreprises
n’ont pas ménagé leurs efforts pour rendre le travail attractif, par des formations,
des séminaires de motivation ou de « team building » centrés sur l’humain, ou
des évaluations de performance récompensant les salariés par des promotions
internes. Mais toutes ces actions ne convainquent pas l’ensemble des salariés et
particulièrement les syndicats, qui voient en ces changements culturels une
manœuvre pour affaiblir leur mouvement et diviser les salariés. Face à ces
contestations contre les promotions individuelles des salariés dans les services
et les usines, la petite hiérarchie est désemparée et n’a malheureusement que
trop souvent des réponses autoritaires à présenter.
Une réflexion que mon apprentissage du métier de manager m’a fait réaliser est
que l’on n’est pas formé à « être » manager et que les moins bien servis sont
souvent les managers en bas de la pyramide de l’entreprise, donc, pour la
plupart, les moins expérimentés. Je suis d’accord avec ce retour d’expérience de
Michel Villette. J’ai mené un bon nombre de projets de communication pour
motiver les petits managers. Une panoplie de moyens pouvait être déployée,
allant du tapis souris, du « mug » à café, de la brochure des 10 points clés pour
être « the best manager », au séminaire en « campagne de luxe », terrain de
sport ou autre lieu atypique pour des réunions de travail. Toutes mes
expériences se sont soldées par un refus du client de continuer les actions
définies lors du séminaire ou de la campagne de communication à toute
l’entreprise. Pourtant cela me semble être l’unique moyen efficace pour que le
bas de la hiérarchie managériale comprenne, adhère et applique les méthodes
enseignées. Trop souvent les véritables défis et objectifs de l’initiative ne sont
clairement pas présentés et discutés avec le bas de la hiérarchie.
Les directions pensent que leurs personnels sont indifférents aux objectifs
économiques, marketing ou de production ou/et que les équipes ne jouent pas
« collectif » entre-elles dans le cadre de projets concernant toute l’entreprise. En
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
amont, des études qualitatives intensives peuvent être menées pour comprendre
les ressentis et les attentes des salariés et des cadres. Celles-ci sont suivies
d’une comparaison de ces évocations avec les objectifs et les problématiques
exprimés par la direction. Les résultats montrent souvent un manque cruel de
vision de la part de la direction, accompagné d’un manque de sens donné au
travail quotidien des salariés et cadres. Ces problématiques demanderaient des
solutions de fond sur le long terme pour motiver les personnels. Mais bien
souvent, les comités de directions que j’ai pu rencontrer ne veulent pas
s’engager sur des programmes qui seraient trop coûteux et qui demanderaient
un trop grand engagement physique et moral de leur part. Ils préfèrent proposer
des solutions « d’édu-tainment » à court terme, comme un séminaire de rugby,
fabriquer la Tour Eiffel en Lego ou planter des arbres, si l’entreprise souhaite
prendre le virage du développement durable.
Je note cependant que ces opérations de communication interne permettent de
motiver majoritairement le personnel. En transformant le contenant, « en créant
un nouveau packaging » du lieu de travail, l’entreprise démultiplie l’impact du
message, même banal, sur la motivation des participants. Malheureusement, le
résultat n’est qu’à court terme et l’entreprise ne se donne pas les moyens pour
vivre quotidiennement la culture d’entreprise dont il est question lors de ces
campagnes de motivation. De mon point de vue, l’ultime conséquence de cette
erreur est que l’on ne peut pas inculquer une manière d’être, de vivre la culture
d’entreprise par des campagnes de communication si l’on ne l’applique pas tous
les jours à l’intérieur.
En réalité, il faut être attentif, sans cesse analyser, partager, expliquer pour
aboutir à des solutions optimales pour tous. L’entreprise est un environnement de
négociation permanente. Il faudrait axer tous les efforts autour des salariés et
des cadres, qui sont les acteurs, pour qu’ils se sentent en confiance et soutenus
par leur environnement professionnel, pour atteindre les objectifs qui leur sont
fixés.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
L’engagement
Dès l’an 2000, en Californie, j’eu l’opportunité de diriger un service de création et
de production comptant 30 personnes. Ma direction m’avait demandé d’organiser
des réunions d’équipe (« staff meetings ») pour donner plus de visibilité au
groupe sur les succès, les évolutions de l’entreprise et communiquer sur les
lignes directives de notre équipe.
Je compris rapidement que mon prédécesseur n’avait, non seulement, pas
habitué le personnel à une communication des difficultés et des objectifs de
l’entreprise, mais aussi avait déresponsabilisé les individus face à leur travail.
Pour cela, il avait concentré toutes les décisions et interfaces avec les
interlocuteurs extérieurs au service autour de sa propre personne.
Néanmoins, en cinq ans, il avait réussi à élever le niveau de qualité de nos
productions et de service à un standard qui avait amené l’entreprise à devenir un
partenaire majeur pour nos clients sur le plan international. L’équipe avait de ce
fait un profond respect pour le travail qu’il avait accompli et pour lui-même. Par
contre, la majorité des individus demandait plus de place à l’initiative individuelle.
Leur première motivation était de se sentir plus concerné par les projets et de
pouvoir jouer un plus grand rôle stratégique dans la résolution des difficultés
quotidiennes.
J’avais été choisi pour le remplacer, principalement, de par mon expérience en
localisation des outils communicationnels. Cette expertise devait être un atout
pour notre production afin de mieux aborder les problématiques de création et de
traitement des communications destinées aux marchés en dehors des Etats-
Unis.
Je débutais mes nouvelles fonctions avec mes perceptions personnelles sur le
rôle de manager, qui étaient :
- de servir au mieux les membres de mon équipe pour qu’ils puissent
accomplir leurs tâches de manière optimale,
- d’utiliser et d’apprendre des connaissances et des compétences de
chacun pour répondre aux attentes des clients et de notre direction.
Lors de la première réunion avec l’ensemble du service, je pris les engagements
de garder le standard de qualité fixé par leur précédent responsable et de leur
déléguer la communication sur les dossiers avec les chefs de projets.
J’argumentais en toute franchise que je ne pourrais pas faire mieux qu’eux
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
puisqu’ils étaient les experts de la rédaction et des arts graphiques et que c’était
par leur expertise des dossiers et des métiers que nous saurions améliorer la
performance de notre équipe et de l’ensemble de l’entreprise.
Je leur promettais également de faire un point sur tous les projets en cours
individuellement quotidiennement, ce que j’ai effectué tous les matins pendant
mes trois années en fonction.
La règle à laquelle je crois n’avoir jamais dérogée est « dire c’est faire ». La
tenue des engagements et l’apport de preuves sont primordiaux pour engager
des hommes et des femmes derrière un projet ou une idée. Michel Villette parle
très bien des séminaires ou réunions où l’on fait croire aux personnels qu’ils sont
experts dans le seul objectif de facturer plus au client. En réalité, l’entreprise tend
à ignorer le manque d’expérience de ses salariés. Par cette politique, l’entreprise,
non seulement ne respecte pas le contrat moral de service et de soutien, mais
souvent demande à ses ressources d’appliquer une règle contraire aux valeurs
d’engagement de qualité qu’on leur demande de suivre. Suivant ce type
d’attitude, il est naturel que les salariés ne croient plus en l’image de l’entreprise
et à son sens éthique, qui sont censés jouer une grande part dans la motivation
du personnel.
Je crois qu’en déléguant les responsabilités et en traitant toutes les difficultés
quotidiennes avec les salariés, sans se désolidariser de ces mêmes
responsabilités, l’entreprise facilite grandement l’engouement pour le travail à
accomplir sur le long terme. En appliquant cette manière d’être et de diriger, le
lien social entre la direction et les salariés est entretenu en permanence pour le
bien-être des deux parties.
Cette expérience, selon moi, montre que les messages n’ont pas besoin d’être
ambitieux ni extrêmement recherchés, à partir du moment où ils adressent
concrètement une volonté de soutien et de réussite mutuels et de travail en
équipe.
Lorsqu’en 2006, je fus promu directeur de l’agence en France de HMC, je
cherchai à rassembler autour d’un projet commun : le développement de
l’agence pour le bien-être de tous.
Une de mes premières problématiques était de redorer l’image interne de
l’agence, car nos opérations et nos ventes subissaient un désintéressement du
personnel. Les causes étaient pour la plupart issues d’une absence de
communication interne et d’un désengagement de l’ancienne direction dans les
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
affaires et l’évolution du personnel. Ceci se traduisait par des manques, que je
classerais de la manière suivante :
- manque de visibilité sur la performance et les résultats de notre travail
- manque d’écoute, de considération et de suivi d’évolution du personnel
- manque de plan de développement de l’entreprise.
Après une étude qualitative de notre image et des attentes de nos clients, je
présentais les résultats à l’ensemble du personnel, en affichant clairement mes
objectifs marketings, ma volonté de les atteindre avec eux et d’en tirer les
bénéfices tous ensemble. A la suite d’un séminaire de trois jours, nous décidions
d’un programme nommé, « Sortir de l’Ombre », composé d’une demi-douzaine
d’actions et de moyens dont deux de l’ordre de la communication managériale :
- la mise en place d’entretiens annuels d’activité et de développement
professionnel, qui répondait à une demande forte de l’ensemble du
personnel
- la définition de valeurs internes qui devaient nous rassembler autour du
projet commun de développement de l’agence.
Ces valeurs étaient les suivantes :
- Courage et persévérance
- Ouverture au monde, à ses diversités, et respect et compréhension de
celles et ceux avec qui nous travaillions
- Innovation et liberté d’initiative
- Tenue des engagements et respects des procédures
- Esprit d’équipe et responsabilité individuelle
Selon l’Ecole Critique, j’étais en train de faire du « storytelling » pour « faire
penser à des publics cibles ce que l’on veut qu’ils pensent afin qu’ils fassent ce
que l’on veut qu’ils fassent » (définition de la communication d’entreprise de
Philippe Schwebig). Je ne peux pas nier cette définition. Mon objectif premier
était la réussite du groupe pour assurer un partage de cette réussite et une
sécurité personnelle de chaque individu. Mais d’après moi, présenté de la sorte
par les auteurs de l’Ecole de Frankfort, elle ne peut que diviser les personnes et
créer des clivages de dominés et de dominants, car elle sous-entend seulement
le coté manipulatoire de la communication. C’est ce que j’appellerais le
« storytelling négatif » de l’Ecole de Frankfort.
Socialement, je souhaitais que tous les employés connaissent un environnement
professionnel épanouissant. Aujourd’hui, je crois qu’une de mes erreurs fut de ne
pas réaliser que tous ne considéraient pas que leur travail puisse donner un sens
à leur vie, comme cela avait été mon cas depuis le début de ma carrière.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
Lors des années propices au développement économique et aux ventes qui ne
cessaient d’augmenter, la majorité des valeurs étaient maintenues car
l’entreprise avait les moyens de tenir ses promesses d’augmentation de salaire
qui était en fait la principale motivation du personnel. Ce qui m’amène à être
d’accord avec une réflexion, quelque peu philosophique, en opposition à une
pensée américaine et capitaliste : le travail n’est pas une valeur. Une valeur
n’attend rien en retour. Le travail, lui, attend un salaire et du repos en
compensation.
Malgré les actions mises en place, le suivi du développement individuel,
l’attention quotidienne, presque maternelle, que j’apportais aux salariés, et
particulièrement à ceux les plus en difficulté, je ne pus empêcher certains de
diviser le groupe. Quelques-uns commençaient à dénigrer leurs collègues pour
diverses raisons ou à se désolidariser du reste du groupe, tentant d’entrainer
d’autres personnes dans leur initiative personnelle.
Je crois que L’Ecole de Frankfort ne dit pas que peu importe les efforts d’écoute,
de compréhension et d’attention portés par la direction envers les salariés,
certains auront toujours une vision détachée, voire égoïste de leur travail. Ces
individus essaieront, par exemple, à la moindre occasion de blesser ou mépriser
leurs pairs. Si l’embauche de ces personnalités peut se qualifier très justement
par une erreur de « casting » lors du recrutement, je n’ai pourtant jamais tari
d’efforts pour que l’entreprise permette à ces personnes de découvrir un sens à
leur vie professionnelle. Mais j’admets à ce jour que pour 75 pourcent d’entre
eux, mes efforts étaient vains.
Pourtant, une des initiatives que j’ai menée dans ma position de directeur de
l’agence auprès de chaque nouveau embauché à l’approche de la fin de leur
période d’essai était d’organiser un « entretien d’intégration ». Même si
l’appellation de cet exercice n’est pas très engageante, le principe est pour moi
de valider l’image et le bien-être du salarié au sein de l’entreprise par rapport à
ses attentes et ses ressentis lors de son embauche. Cela ne m’a, néanmoins,
pas permis de modifier certains tempéraments égocentriques ou désintéressés.
Je rejoins Danièle Linhart quand elle écrit dans « Le torticolis de l’autruche » que
« les salariés ont démontré que leur aptitude à suivre les directives des
employeurs n’est pas sans faille, en adoptant des attitudes de contestation pour
exprimer leur méfiance permanente des patrons. ». Madame Linhart justifie cela
par le fait que « malgré les innovations technologiques et les discours d’ouverture
sociale, les entrepreneurs semblent incapables de faire confiance aux salariés
pour effectuer leur travail en toute intégrité. » Je pense que l’un et l’autre ne sont
pas dépendants, mais que cette constatation est très réaliste. Même si je n’ai
jamais eu à faire face à un mécontentement de groupe, je me souviens qu’une
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
salariée m’avoua être perturbée parce que mon bureau était au milieu de notre
« open space ». Je lui demandai ce qui la dérangeait exactement et elle me
rétorqua qu’elle n’avait jamais connu cette situation de proximité avec son
manager dans ses emplois précédents. L’argument me semblait bien faible et je
compris plus tard qu’en fait, à cause de ma présence, elle ne pouvait pas prendre
le dessus psychologique sur ses collègues, soit pour dénigrer les uns, soit pour
diviser l’équipe.
Forcé de constater que la crise financière et économique a accentué les
divergences d’objectifs parmi le personnel, cela m’a quelque peu fatigué
moralement. J’étais moins ouvert à la discussion, certaines demandes ou
attitudes m’irritaient. Je n’arrivais plus à faire la démonstration, selon la définition
du MEDEF, « que l’entreprise était citoyenne, porteuse d’espoir, d’optimisme et
de réussite personnelle ».
Sortir de l’Ombre était-il un leurre aux yeux des salariés ou tout simplement
inutile puisque les individus ne semblaient plus y adhérer d’eux-mêmes ? En
quatre ans, soit dès 2010, j’avais le sentiment d’avoir épuisé tous mes
arguments. Peu importe mes actes pour ne pas licencier, et donc ne « laisser
tomber » personne de l’équipe, malgré les mauvais résultats économiques,
j’avais l’impression que le personnel pensait que j’avais mis en place, comme le
décrit Bernard Floris dans son livre « La communication managériale ou la
modernisation symbolique des entreprises » : « une stratégie marketing
foncièrement manipulatoire, axée sur un ensemble de démarches d’ingénierie
sociale et symbolique », couplé à « des moyens marketing d’audit qualitatifs,
mettant en avant la volonté et la capacité d’écoute, de compréhension et de
dialogue ».
Obnubilé par ce sentiment de doute vis-à-vis des collaborateurs, j’ai manqué
d’imaginaire, de langage et de symboles, puis de preuves pour fédérer autour de
Sortir de l’Ombre. Cependant, le fait que l’agence n’a, à ce jour, pas licencié une
seule personne démontre que la direction a su tenir ses engagements. Malgré
cela, je me suis éloigné de mes collaborateurs en m’isolant. J’aurais dû, à la
place, mieux ajuster mes messages et mes actes en fonction de l’environnement
économique de crise et de leur propre état de doute face à l’avenir. Comme je l’ai
dit précédemment, afin que le travail et les valeurs d’une entreprise continuent à
évoquer un sens symbolique pour les salariés dans des moments difficiles, une
démarche de proximité, de soutien est primordiale.
Je terminerai cette section sur l’engagement, en affirmant, comme tous les
auteurs cités dans ce document je crois, que l’éthique des motivations patronales
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
doit évoluer. L’histoire atteste que le patronat a démontré un niveau élevé
d’égoïsme en utilisant pour son compte personnel, au lieu de les partager, les
bénéfices de la transformation symbolique de l’entreprise et de la prise en main
de la communication managériale.
Cependant, le management d’individus entraîne des difficultés causées par ces
mêmes individus quand leur motivation n’est pas en phase avec le projet
commun. Lors de mes expériences, ma réponse était d’être congruent et de faire
en sorte que le cadre de notre environnement ne contredise pas ma version de
l’entreprise, ma vision et ma mission, afin que le sens et les valeurs exprimés par
l’entreprise soient vécus de l’intérieur et respectés. Malheureusement, certaines
personnes ne sont pas sensibles à un esprit d’équipe et à l’idée de produire des
efforts pour un groupe. Si des dirigeants d’entreprises ont prouvé leur égoïsme et
le peu d’intérêt qu’ils portent à leurs collaborateurs, ce n’est pas, à mon avis,
parce qu’ils sont à des postes de direction, mais parce que ce ne sont que des
hommes et des femmes avec la faiblesse de penser que le moyen le plus rapide
ou le plus simple de réussir leur existence sociale est de soumettre leurs
collaborateurs. Les salariés aussi savent montrer leur manque d’altruisme envers
leurs pairs. Certains ne considéreront toujours que leur propre carrière et intérêts
personnels au détriment de l’objectif commun, même si l’atteinte de ce dernier
pourrait leur être bénéfique en termes financiers ou de développement
professionnel.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
La gestion par les outils au quotidien
Michel Villette apporte un témoignage sur l’utilisation d’un système de feuilles
d’heures pour analyser les temps passés au travail par les salariés. Il décrit une
étude et des conclusions budgétaires très strictes lorsque le quota d’heures
facturables n’est pas atteint. De mon point de vue, il se contente de parler du fait
que ces systèmes de capture du temps passé permettent aux entreprises de
décider des licenciements à effectuer ou/et à rendre les salariés paranoïaques,
donnant le sentiment de précarité de la situation professionnelle au salarié et
augmentant, par cela, la méfiance, le doute et le stress. Même si lors de
mauvaises performances économiques de l’entreprise, ces systèmes ont pour
conséquence d’inquiéter les salariés, car ils donnent des statistiques
importantes, je n’ai jamais eu à subir des quotas. D’après mon expérience, un
système de feuilles d’heures est tout d’abord nécessaire pour que les chefs de
projet et le service de comptabilité évaluent les gains ou les pertes des différents
projets de l’entreprise.
J’ai une anecdote au sujet des feuilles d’heures (« timesheets) chez HMC qui
montre que cet outil de gestion n’est pas en place uniquement pour décider des
licenciements. De mon embauche en 1997 à 2003, tous les salariés devaient
remplir une timesheet soit manuellement, soit en fichier informatique et l’envoyer
à une personne du service comptabilité. Ce système existe dans l’entreprise
depuis 1982 et suite à une croissance importante de l’agence, une personne
travaillait 100% de son temps à saisir dans le système informatique et financier
les heures entrées par les 80 salariés de l’agence. J’ai du mal à croire que
l’entreprise paierait un salaire à temps plein dans le seul but de traiter des
données utiles à une éventuelle réduction d’effectif.
En tant que manager, j’ai toujours eu à me servir des rapports de feuilles
d’heures comme outils de données pour évaluer la performance de l’équipe du
projet, prévoir les embauches, planifier les formations selon les tendances et les
évolutions des marchés, et organiser les individus dans le groupe.
Selon moi, la seule vision de Michel Villette sur ces systèmes contribue à créer
une relation de méfiance vis-à-vis de l’entreprise. Cependant, quand leur
complète nécessité est expliquée aux salariés et aux cadres, en toute
transparence, cela nourrit une relation d’adulte à adulte. Je crois que toute
personne est capable de comprendre les besoins de tels systèmes pour aider
l’entreprise à s’orienter, devenir plus efficace et performante. Mon expérience
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
montre également que bien expliqués les bénéfices du système réduit
considérablement le taux de non-remplissage des feuilles d’heures quotidiennes
des salariés. Les personnes se sentent concernées, voire impliquées dans le
résultat des journées de travail.
Ne parler que du coté punitif et autoritaire de ces systèmes s’inscrit dans une
relation parents-enfants et ne considère absolument pas la capacité de réflexion
des individus qui travaillent dans l’entreprise.
Les licenciements chez HMC sont décidés s’il n’y a plus d’espoir d’activité pour
les salariés et les principales données utilisées pour en décider sont les
projections des ventes et les résultats globaux de l’entreprise. L’exemple le plus
probant qui démontre que les rapports des feuilles d’heures affichant des niveaux
de facturation individuels insuffisants depuis la crise économique de 2009, ne
sont pas utilisés pour décider de réduire les effectifs, est que l’entreprise a
préféré garder tout son personnel. Au lieu de licencier, nous avons augmenté les
formations afin de compter sur notre expérience d’équipe pour développer nos
actions de prospection et être en place lors de la reprise économique. Cela
continue à ce jour, après plus de deux années de pertes financières lourdes pour
l’entreprise dans sa globalité.
Concernant la rentabilité des projets, qui est, pour rappel, selon mon expérience,
le premier but des feuilles d’heures, Michel Villette cite quatre conclusions ou
raisons possibles quand un projet génère une perte financière :
- « Le chef de projet, principalement, n’était pas à la hauteur des objectifs
financiers
- Le montant de la vente a été sous-évalué dans le but de décrocher le
contrat
- Le client était trop difficile
- L’investissement réalisé sera profitable à la société de conseil sur le long
terme. »
J’en ajouterais deux autres qui sont :
- Nous nous sommes trompés dans l’estimation et
- L’équipe a fait une ou des erreurs qu’il faudra corriger par la suite.
Là aussi, Michel Villette dépeint un environnement de méfiance, qui pousse à
cacher la vérité des faits et à ne pas aborder les échecs de manière constructive
et responsable.
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Je comprends que, dans l’ensemble, l’utilisation des outils de gestion n’est pas
neutre dans la pratique du management. Les résultats permettent d’illustrer les
performances de chacun et de produire des équivalences entre le travail des
services, des lignes de production et des individus entre eux. Ils sont des
preuves indiscutables des arguments de la communication managériale. Leur
effet peut être dévastateur sur le niveau de stress des salariés, favorisant
l’individualisme et l’intérêt personnel afin de susciter l’adhésion à l’ultra
performance qui fera changer les résultats des outils de gestion.
Dans son livre « La société malade de la gestion », l’auteur et docteur en
sociologie, Vincent de Gaulejac démontre que l’entreprise force les salariés à
batailler pour avoir une vie sociale à la hauteur de leurs besoins financiers.
Les salariés, cadres et managers sont mis sous pression du doute, de l’insécurité
sous couvert que les bons chiffres éviteront la crise de l’entreprise. La crise qui a
fortiori est devenue un fond de commerce des entreprises pour pousser ses
effectifs à suivre le mouvement vers l’avant, en n’offrant aucune autre alternative.
Ce comportement de l’entreprise est malheureusement vrai lorsque les analyses
des outils de gestion sont rendues publiques à fin de comparer les performances
des salariés les uns des autres. Le management ne peut pas se contenter de
critiquer systématiquement les comportements, les résultats des individus en
faisant peser le poids des mauvaises données financières ou statistiques sur les
seuls individus concernés pour les culpabiliser et leur faire comprendre qu’ils
pénalisent le système. Le management ne devrait pas se désolidariser des
mauvais résultats en ramenant leurs analyses à l’individualité.
En ce qui me concerne, humainement, je ne me sens pas capable de me
détacher de la responsabilité des mauvaises performances des membres de mon
équipe, même si les résultats négatifs ne concernent qu’une seule personne. Les
fois où j’ai dû gérer des situations similaires, en termes de mauvaises ventes, de
temps facturables en-dessous de la moyenne ou autres, les meilleures solutions
ont été trouvées ensemble entre le salarié et moi ou en impliquant d’autres
collaborateurs. Souvent une différente distribution du travail, une analyse des
méthodes de travail du salarié concerné ont le mérite de rassurer l’individu, de
modifier les chiffres à l’échéance suivante et de conforter la confiance du salarié
dans l’entreprise, ce qui je crois est un moteur de confiance plus efficace que la
critique, la stigmatisation et l’exclusion morale décrites par les nombreux
exemples des livres de Michel Villette et de Vincent de Gaulejac.
A l’inverse de Bertrand Collomb, Président du Groupe Lafarge qui dit, selon
Monsieur de Gaulejac, que « pour gagner, ce ne sont pas les plus faibles qu’il
faut aider, ce sont les meilleurs », j’ai toujours adopté une attitude d’assistance
des plus faibles pour justement les faire progresser. Ceci ne veut pas dire que je
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
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laisse, pour autant, les meilleurs sans aide dans l’accompagnement de leurs
missions.
A cette phrase de Monsieur Collomb, je préfère opposer une réflexion issue de la
charte de l’enfance du Panathlon International, qui est une association proche du
Comité International Olympique, prônant le développement des valeurs de
l’Olympisme sur la société : « Nous avons le droit de ne pas être des
champions ».
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L’accompagnement
Le suivi et l’évaluation de la performance est également un sujet que je dois
commenter en rapport à mon expérience professionnelle et mes lectures sur la
communication managériale. Les premières « performance reviews » que j’aie dû
donner au personnel de mon équipe, étaient également les premières mises en
place dans l’entreprise. Le questionnaire utilisé, diligemment distribué par le
responsable des ressources humaines à tous les managers d’équipe, était
visiblement tiré d’un recueil type de techniques des ressources humaines. Il était
composé d’une grille de notation de la personne comprenant une quinzaine de
points, comme le sens de l’initiative, le sens des responsabilités, la créativité,
l’efficacité, etc., à noter entre 1 et 5. Une seconde partie listait des questions
ouvertes pour obtenir le retour et les conclusions des salariés sur leur année
passée :
- « Quelles ont été vos trois grandes réussites cette année et pourquoi ?
Quelles conclusions pour l’avenir en tirez-vous ?
- Quelles ont été vos trois plus grandes difficultés cette année ? Que vous
a-t-il manqué ?
- Quels acquis avez-vous développés cette année ? »
Le document se terminait par un espace réservé aux commentaires du manager.
En amont de l’entretien d’évaluation de performance, le manager devait prendre
soin de laisser un mois au salarié pour répondre aux questions ouvertes. La
personne évaluée présentait ses réponses deux semaines avant la réunion en
face-à-face, pour que le manager puisse préparer ses commentaires et sa grille
de notation à l’avance.
Aucune de mes lectures n’a montré l’entretien d’évaluation de performance du
point de vue du manager. Bien que ce bilan annuel soit attendu par les salariés
en général, car il est signe d’une éventuelle augmentation de salaire, il est certain
que l’entretien crée une anxiété pour le salarié évalué. Je crois que le même
niveau de stress est subi par le manager, surtout débutant, qui doit présenter
l’évaluation de performance. A la différence du salarié, le manager n’a pas de
motivation personnelle (comme le salaire) vis-à-vis de cet entretien. L’exercice
souvent paraît ingrat pour le manager.
En 2001, après ma première année en tant que manager d’une équipe de
créatifs et d’infographistes en Californie, je dus présenter mes commentaires
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d’évaluation à un graphiste-illustrateur. La personne avait cinq ans d’ancienneté
dans la société et près de 25 années d’expérience des métiers des arts
graphiques. Il avait un fort caractère et impressionnait par sa personnalité. Mes
commentaires préparés à l’avance relataient une année passable et j’avais bien
l’intention de briser le silence sur ses défauts. Lors de mon audit auprès des
personnes qui avaient eu l’occasion de travailler avec lui, je reçus des plaintes de
manque d’écoute et de suivi des instructions, ce qui causait des erreurs dans les
dossiers.
Je ne sais plus par quel biais exactement, mes commentaires aboutissaient sur
le fait que ses erreurs à répétition dénotaient une mauvaise connaissance des
métiers de l’infographie. Cela fut une erreur monumentale de ma part. J’aurais dû
m’en tenir aux critiques comportementales, telles que le manque d’écoute et de
suivi des instructions, au lieu de critiquer ses compétences métiers. A l’annonce
de cette conclusion, le salarié, visiblement vexé, se mit en colère, démontant une
grande partie de mon argumentation. Je me trouvais dans la situation que je
redoutais le plus depuis que l’entreprise m’avait chargé de mener des entretiens
d’évaluation. Mon attitude fut finalement de modifier avec le salarié mes
commentaires sur ce point précisément en validant dans le même temps les
autres aspects négatifs et positifs de sa performance. Cet exercice m’avait en fait
permis de construire des pistes d’amélioration de performance. Malgré « le
froid » laissé entre le salarié et moi à la fin de l’entretien, il prit soin d’appliquer
quelques uns des conseils majeurs dans l’année qui suivit, mais pas tous. Les
trois années suivantes me firent comprendre que certains défauts pouvaient
difficilement être changés chez certaines personnes et que pour faire fonctionner
le groupe, l’autorité et les règles strictes auraient peu d’impact voire un effet
négatif sur le long terme. Seules l’écoute et l’attention portées aux idées et feed-
back des individus pourraient me permettre de donner des lignes de conduites
appropriées que le groupe serait prêt à suivre. Ces premières années de
management d’équipe confirmaient chez moi le sentiment que mon rôle de
manager était avant tout de servir mes collaborateurs pour leur donner le
courage et l’envie de se dépasser dans leur travail.
Depuis, j’ai eu l’opportunité de créer ma propre méthode et mon propre
formulaire d’entretien d’activité et de développement professionnel. Je n’utilise
plus les grilles de notation et je me contente de travailler sur les questions d’ordre
suivant :
- « Décrire les projets ou acquis qui ont marqué positivement leur année
passée et expliquer les raisons de ces succès.
- Décrire leurs plus grandes difficultés et ce dont ils ont manqué pour se
surpasser.
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- Citer leurs objectifs professionnels pour l’année à venir et évoquer des
pistes de développement. »
En parallèle, je prépare mes propres réponses aux mêmes questions posées au
salarié évalué. La discussion s’articule autour de ces trois points et je note nos
commentaires lors de l’entretien avec le salarié. Ceci nous permet d’aborder les
difficultés avant qu’elles ne soient officiellement couchées sur papier et
d’expliquer et de définir les objectifs nécessaires et raisonnables pour le salarié
et pour l’entreprise.
Même si comme l’explique Michel Villette, l’entretien de performance met en
avant les points faibles des salariés, je ne crois pas que ce soit « un acte
subversif destiné à limiter leur progression professionnelle ». Pour être efficaces,
il faut que les aspects positifs et négatifs soient discutés pendant l’exercice de
manière à tirer une feuille de route des objectifs pour l’année suivante, et non pas
à dévaloriser le développement professionnel de la personne évaluée.
J’ajouterai que le suivi des objectifs définis doit être régulier pendant l’année en
cours et leur atteinte devra être évaluée lors de l’entretien d’activité et de
développement professionnel suivant.
Etendues à toute l’entreprise, les évaluations de performance ont pour but de
motiver les salariés à produire toujours plus, plus vite et moins cher. Elles
permettent aux salariés d’améliorer leur travail et, en retour, d’être gratifiés d’une
augmentation de salaire, d’une promotion, voire de « grade » dans certaines
multinationales. Les communicants de l’Ecole Critique font front contre « ces
méthodes des Ressources Humaines de vecteur de promotion sociale car elles
créent des niveaux hiérarchiques multiples » et sont qualifiées de moyens de
motivation favorisant l’individualisation, la concurrence entre les salariés et par
là-même la division. Ce qui fait dire, probablement justement, à certains auteurs
comme Danièle Linhart, qu’ils sont une arme qui a détruit le pouvoir de
rassemblement et de communication des syndicats.
Madame Linhart note, également, que les syndicats n’ont pas su se modifier de
l’intérieur pour contrecarrer l’individualisation au travail, ou « l’atomisation »,
introduit en France, post 1968, par le CNPF. L’objectif de l’organisation patronale
était de segmenter les forces ouvrières pour éviter le poids du collectif.
L’argument marketing, lui, fut de répondre aux attentes des salariés. Quelques
grandes actions et moyens mis en place furent l’introduction du travail flexible
pour les femmes, l’augmentation individualisée des salaires pour récompenser
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l’effort, l’intronisation des groupes de réflexion du travail, l’entretien individuel de
performance, etc.
L’individualisation est, peut-être, le principal facteur qui a diminué le poids et
l’impact des syndicats dans l’entreprise. Mais, si les syndicats n’ont pas su se
faire entendre auprès des salariés, n’était-ce pas parce qu’ils n’ont pas su
proposer des solutions qui répondaient à une demande d’individualisation réelle
et grandissante de la part des salariés ?
L’individualisation est tout de même devenue un besoin exprimé majoritairement
par les salariés et la société en général. Je ne pense pas que le CNPF l’ait
inventée et que ce soit une mode suivie par toute la population depuis plus de
quarante ans. De mon point de vue, les syndicats n’ont pas su comment
accompagner les salariés pour atteindre leur propre objectif de vie par le travail,
quand les entreprises, elles, ont construit un environnement qui facilitait la quête
de satisfaction des salariés… Certes, cette pleine satisfaction n’a jamais été
atteinte par manque d’altruisme des managers et hautes hiérarchies des
entreprises.
Comme je l’ai dit auparavant, mon expérience professionnelle m’a prouvé que
l’accompagnement des salariés doit être individuel. Les évaluations de
performance et les gratifications doivent également être personnalisées pour
satisfaire les individus. Mes collaborateurs ont toujours été demandeurs de bilans
d’activité et d’évaluation, au point de me le rappeler si je prenais du retard. Leur
objectif est d’obtenir une augmentation et une évolution dans leur travail. Je ne
peux pas ignorer ce qui est, pour moi, un fait vécu. Par conséquence, mon travail
consiste à y répondre pour motiver les équipes.
Pour beaucoup d’entre-elles, les entreprises ont, c’est évident, profité de ces
stratégies d’individualisation pour le compte personnel des dirigeants et
actionnaires majoritaires, Les managers n’ont pas sincèrement accompagné les
salariés en les considérant comme leurs égaux. Au lieu de les guider dans leurs
décisions professionnelles, les managers, à tous les niveaux hiérarchiques, ont
fait peser sur leurs collaborateurs la responsabilisation de leur travail sous
couvert des règles de l’entreprise, telles que les valeurs, la symbolique d’image,
les intérêts communs entre la direction et les salariés, sans tenir leurs
engagements et en ignorant trop souvent le travail accompli par l’individu.
Michel Villette, dans « L’homme qui croyait au management » donne deux
définitions de l’expert :
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- « Quelqu’un qui sait établir une relation d’expertise avec son client, gagner
et entretenir sa confiance.
- Quelqu’un qui intervient avec efficacité sur une partie du monde réel que le
client voudrait modifier. »
Et il en conclut : « la première de ces définitions est nécessaire et suffisante pour
faire un expert reconnu. La seconde n’est ni nécessaire, ni suffisante. »
Je ne peux qu’être d’accord sur ces définitions et sur la conclusion de l’auteur
dans une situation de relation commerciale. J’ajouterai, toutefois, que cette
conclusion est vraie parce qu’il y a un manque d’éthique dans les affaires, et tout
le problème provient de là. Nous faisons probablement des affaires pour de
mauvaises raisons, la première étant l’appât du gain.
Dans ce sens, je comprends la critique sur l’éthique des entreprises et des
hommes qui les dirigent et les composent. J’adhère moins au point de vue que
porte l’Ecole Frankfort sur le modèle de communication managériale proposée
par les entreprises. A mon avis, les méthodes et mécanismes mis en place
correspondent réellement aux attentes des salariés, mais il faudrait que les
dirigeants d’entreprise aient une attitude moins autoritaire et répressive, et qu’ils
adoptent un comportement intègre et considérateur.
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Génération Y, l’espoir ?
Certaines études assimilent les jeunes à la génération Y, celles et ceux nés entre
1978 et 2000, d’autres en revanche parlent de l’année 1982 comme étant l’année
de départ. La génération Y est définie comme la génération la plus maternée
jamais vue auparavant. Depuis leur naissance, ces jeunes personnes ont été
protégées, chaperonnées, guidées, « coachées » parfois même par leurs
parents. A la différence de la tendance des « baby-boomers » qui souhaitaient ne
pas reproduire le modèle de leurs ainés, la génération Y cherche une relation
proche avec leurs parents. Ces jeunes accueillent volontiers les conseils et
attendent l’aide de leur famille, car ils ont été habitués à ce que l’on prenne soin
de leur bien-être pendant leur enfance et leur adolescence. L’expression
« l’enfant roi » représente bien le fait que leurs parents les ont élevés comme
étant le centre de la famille. Il semble naturel que les changements politiques et
culturels pendant les années 1980 aient reflété ce nouvel intérêt dans la
protection et le bien-être de l’enfant.
Ces jeunes sont optimistes et mieux instruits. Ils sont attachés aux nouvelles
technologies, sont multitâches, très ouverts à la diversité et au travail en équipe.
Les inconvénients de cette génération sont qu’ils paraissent impatients,
sceptiques, émoussés. Certains diront qu’ils ont grandi avec l’idée qu’ils ont
beaucoup de droits, mais peu de devoirs.
En même temps, le cliché de l’adolescent qui pense que réussir dans la vie, c’est
d’avoir du succès professionnel et gagner beaucoup d’argent, semble s’arrondir
et s’atténuer pour laisser place à un idéal de vie plus intime que flamboyant ; ce
qui leur permet de passer plus facilement à autre chose, si leur situation ne les
contente pas vraiment, car ils sont sûrs qu’il y aura d’autres alternatives. Ils sont
à la fois très individualistes dans leurs objectifs de vie, tout en étant ouverts aux
autres avis et aux différences.
Leur capacité à « zapper » d’objectif et faire mille choses à la fois les rend
souvent imprécis et peu conscients du respect des responsabilités. Ils ont
également une faible capacité à rester concentrer sur les tâches de longue
haleine. Cette faiblesse peut se traduire par une difficulté à la réflexion et à la
prise de recul avant de prendre des décisions. Ils sont pressés et pensent qu’ils
peuvent atteindre les sommets à court terme.
Cependant, je me demande si avec cette génération Y, le temps du superficiel
n’est pas révolu et un retour aux traditions et rituels ne pourrait pas émerger.
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Dans le monde de l’entreprise, il faut que le système et les managers qui les
forment, sachent les accompagner en permanence et expliquer les significations
profondes des valeurs, des procédures ou traditions, pour mobiliser leur attention
et justement éviter le zapping. A comparé aux précédentes, cette génération
prend moins pour argent comptant les arguments de leurs interlocuteurs. Ils
peuvent par ce biais effacer le clivage dominés et dominants tant décrié par
l’Ecole Critique. Ces personnalités, à la fois, curieuses et dispersées sont et
seront un grand défi pour les managers des générations précédentes, qui ont eux
été habitués à l’autorité, qui aura peu ou prou d’effet sur la génération Y, soit au
« storytelling » émotionnel.
Les jeunes de la génération Y attendent de l’entreprise un bon environnement de
travail, un accès aux nouvelles technologies, un bon salaire, un espace où ils
peuvent s’exprimer et donner leur avis. Ils souhaitent de solides perspectives
d’avenir et être reconnus pour leurs qualités et leur travail quotidien. L’entreprise
devra aussi favoriser un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
Pour cela, les managers devront être très attentifs à leur satisfaction et
communiquer fréquemment d’égal à égal, en étant à l’écoute et en montrant de la
sincère considération envers leurs remarques pour lesquelles les jeunes
exigeront des réponses tangibles et argumentées.
Sans aucun doute, la génération Y est et sera la main-d’œuvre la plus difficile
dans l'histoire des entreprises. Ils veulent tout, tout de suite : l’évaluation de leur
travail, les formations nécessaires, les reconnaissances et créer le style de vie
qu’ils désirent maintenant.
Mon optimisme me pousse à penser qu’en grande majorité les individus de tous
bords cherchent la paix sociale plus que le conflit. Les politiques publiques de
protection de leur santé, de leur sécurité, de leur environnement etc. pourraient
les sensibiliser et les orienter vers des exemples positifs de vertu civique. Ce
changement politique et économique mondial pourrait prédestiner la Génération
Y à rétablir le sens de la communauté civique et de soin de leur environnement ;
ce que leurs parents n’ont pas pu, su ou souhaité faire. Car, à la différence des
générations précédentes, ces jeunes sont conscients de cette nécessité pour leur
propre équilibre personnel et familial.
Tous ces aspects que je trouve très positifs pourraient créer une génération de
leaders humainement exceptionnels, car altruistes et compréhensifs, imprégnée
d’un idéal accessible, mais pas à tout prix. Cette volonté globale ne pourrait-elle
pas se révéler suffisamment puissante pour influencer les objectifs de l’entreprise
et de la société ?
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Conclusion
J’ai toujours utilisé le travail pour donner un sens à ma vie, je pense même
pouvoir dire que fut un temps, il était ma vie. J’ai un rapport physique avec mon
travail. J’essaie de montrer l’Exemple qui va convaincre de la nécessité de
recherche de qualité et de résultats, pour engager mes collègues et
collaborateurs à faire de même. Je cherche à leur montrer les bénéfices pour
eux-mêmes et pour leur environnement afin qu’ils puissent tirer une certaine
satisfaction du travail bien fait, car je crois que l’Homme ressent du bien-être à
faire les choses qui lui sont justes et bonnes. Il y a encore trois ans, avant la crise
financière et économique, les conditions étaient plus favorables à un
engagement de mes collaborateurs qu’elles ne le sont aujourd’hui.
La crise où nous sommes plongés depuis plus de deux ans et demi semble
s’éterniser. Elle entraine les entreprises et la société dans son ensemble à la
culture du doute, qui, lui, devient l’horizon dans la tête des gens. Ceci transforme
la société en une société épuisée (par le doute).
La spirale infernale « avantages/contraintes/plaisir/angoisse », très bien décrite
par Vincent de Gaulejac, comme étant le principal facteur psychologique incitant
les salariés à continuer à donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur travail ne
peut plus fonctionner si le doute et l’insécurité sont les seules issues perçues par
les salariés. L’épuisement professionnel menant à la dépression nerveuse les
guette et ils en sont conscients.
Face à cela, Monsieur de Gaulejac ajoute que « les syndicats et contre-pouvoirs
sont démunis ». Ils sont incapables de formuler des solutions aux salariés pour
sortir du doute, et cela les rend peu confiants vis-à-vis de l’entreprise et de la
société.
Danièle Linhart met en avant le fait que les entrepreneurs et les syndicats ont
tous deux bien du mal à décider de se transformer en profondeur pour améliorer
les conditions sociales au travail. La sur-sollicitation sous le compte du participatif
en entreprise, qui prône la créativité et l’intelligence des salariés dans un
environnement d’une stricte conformité et d’un champ restreint, les met dans une
situation dénuée de sens. L’entreprise devient un environnement sans repère et
plonge les salariés dans un profond désarroi, augmentant le stress et les risques
de dépression.
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Le paradoxe de cultiver l’autonomie, la liberté et la créativité pour augmenter la
dépendance au travail et le conformisme pousse les salariés et les cadres à
mettre de la subjectivité émotionnelle dans leurs décisions. La « soumission
librement consentie » des salariés me semble arriver à son terme, si la confiance
en l’avenir n’est pas restaurée. « La morale du bien commun », qui consiste,
selon Vincent de Gaulejac, à déculpabiliser le capitalisme de la recherche du
profit individuel au profit du bien commun ne dupe plus les salariés et les cadres
des entreprises.
Pourtant, l’individualité des attentes est devenue majoritaire, et ce phénomène
pourrait avoir des conséquences optimistes pour l’avenir en matière de
communication managériale. Cependant, cela nécessiterait une remise en
question profonde des objectifs et des priorités de l’entreprise, en favorisant les
hommes et les femmes qui participent au travail à la place du profit à tout prix.
Aujourd’hui, ce mythe serait à construire, car si la réussite individuelle est
devenue le centre des préoccupations de l’ensemble de la société, l’entreprise
doit engager un travail jamais réalisé jusqu’alors. Elle devrait refondre
l’organisation du travail. Mais la tâche demanderait une transformation immense,
qui d’ailleurs, dépasserait le cadre de l’entreprise. Le constat aujourd’hui est que
les organisations modernes du travail, appelées « organisations hybrides » par
Madame Linhart ont gardé des bases de productivité du Taylorisme en alliant
plus de responsabilisation et d’autonomie pour atteindre des objectifs individuels
fixés par l’entreprise. Ce rapport serait à revoir totalement. La clef évoquée par
Danielle Linhart serait de remettre en cause les principes du Taylorisme. Les
priorités axées sur les résultats quantitatifs des salariés ne semblent, en effet,
pas compatibles avec une réforme de grande ampleur.
Comment engager les salariés si « la transmutation des égoïsmes individuels »
ne justifie plus la quête de performance financière ? Sans nul doute en
rétablissant la confiance entre les entreprises et les individus.
La nouvelle génération de salariés a un besoin accru de sécurité, de stabilité, de
convivialité et de générosité. L’entreprise ne pourra pas y échapper et devra se
transformer pour tangiblement offrir ces valeurs. La quête du seul profit et de la
compétition ne suffira plus parce que cette génération Y attend des bénéfices
plus intimistes, peut-être aussi plus modestes, mais plus immédiats.
De plus, le monde de la numérique grandissante offre plusieurs vies dans le
monde réel. Le digital provoque une dépolarisation, un manque d’appartenance à
une vie professionnelle en offrant une multitude de modèles, de perspectives,
d’opportunités et de facilités.
Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale
29
Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5
« Malgré que l’esprit soit la cible, le cœur doit être le moteur » ! Cette stratégie de
communication propre au storytelling devra être relayée par des actes et des
preuves dont les salariés pourront bénéficier instantanément lorsque les objectifs
visés seront atteints. Je pense qu’une des visions modernes du monde, que les
politiques de gauche appelleraient volontiers une idée progressiste, serait de
placer l’humain au centre des préoccupations afin que la cause en vaille la peine
pour les salariés.
Si les objectifs de vie des populations sont de placer le soi ou le cercle de sa
famille au centre des préoccupations, les politiques de performance individuelle
devront continuer à progresser, mais en suivant des modèles moins subversifs et
plus motivants, tout en valorisant la réussite, l’accomplissement de soi et l’intérêt
personnel.
L’entretien du lien social au sein de l’entreprise me parait également être un
facteur primordial. Les gens ont besoin aujourd’hui de se raconter et d’être
entendus. L’importance des médias sociaux en est l’exemple le plus flagrant. Le
management devra se transformer pour garder le contact en permanence avec
ses collaborateurs, afin qu’ils se sentent soutenus et qu’ils sachent vers qui se
tourner en cas de difficulté. L’attitude de la communication managériale devra
aussi être d’égal à égal. Il est nécessaire de faire abstraction du rapport de
dominés et dominants démontré par la critique du lien entre la raison et la
domination dénoncée par l’Ecole de Frankfort. Je crois que la génération Y est
prête à ne plus se sentir dominée, et le rôle de dominant ne l’intéresse
probablement pas non plus.
D’un autre coté, il faudra accepter que certaines personnes ne veuillent pas
adhérer à un mouvement et peut-être laisser les individus se détacher de
l’entreprise pour suivre une voie différente pour que les hommes et les femmes
puissent apprécier de travailler ensemble.
Je conclurai en disant que toutes les méthodes de motivation connues seraient
efficaces sur le long terme si l’entreprise changeait d’objectif pour créer un
environnement des affaires réellement centré vers le bien-être des hommes et
des femmes qui participent à sa croissance, au même titre que l’argent qui lui est
nécessaire pour rester en activité. Cela génèrerait une société plus en harmonie
avec les recherches du style de vie de la génération Y. Ceci pourrait être une
belle histoire pour leurs parents, qui ne revendiquaient ni plus ni moins que cela
lors des événements de mai 1968 en France.

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  • 1. Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Stéphane Labartino Itinéraire contrarié d’un manager Travail réflexif sur la communication managériale Directeur de mémoire : Yves Nicolas Année 2010/2011
  • 2. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 1 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Sommaire Préambule (avertissement au lecteur)........................................................................2 Introduction.................................................................................................................4 La formation................................................................................................................6 L’engagement ...........................................................................................................10 La gestion par les outils au quotidien........................................................................16 L’accompagnement ..................................................................................................20 Génération Y, l’espoir ? ............................................................................................25 Conclusion ................................................................................................................27
  • 3. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 2 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Préambule (avertissement au lecteur) Suite à la soutenance de mon dossier de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) en juin 2010, le jury par la voix de mon directeur de mémoire, Yves Nicolas, a jugé, avec raison, que mon parcours professionnel m’avait enseigné une culture de l’entreprise et du management axée sur les résultats où seule l’atteinte des objectifs entrepreneuriaux et économiques comptait. Malgré l’avis favorable du jury sur mes connaissances des UE du Master 2 de la Communication d’Entreprise, Yves Nicolas, m’a demandé d’étudier la vision de la communication managériale de l’Ecole Critique. Son intention, je crois, était de me faire découvrir un courant de pensée opposé à mon éducation et aux acquis de mon expérience professionnelle émanant de l’Ecole Fonctionnaliste. Lors de notre premier entretien, mon directeur de mémoire illustra l’approche capitaliste de la communication managériale par un plombier qui se préoccupe de repérer les problèmes de fonctionnement et de les réparer par des actions ciblées, souvent à court terme, de manière à ce que les flux d’informations reprennent leur cours nécessaire pour le bon déroulement du travail à effectuer dans et par l’entreprise. Yves Nicolas m’a ensuite indiqué un certain nombre de livres critiques de la communication managériale, parmi lesquels j’ai pu lire, en vue de rédiger ce travail réflexif : - La Communication managériale (ou la modernisation symbolique des entreprises) de Bernard Floris, - L’homme qui croyait au management de Michel Villette, - Le torticolis de l’autruche (ou l’éternelle modernisation des entreprises françaises) de Danielle Linhart, - La société malade de la gestion de Vincent de Gaulejac. J’ai également assisté, avec les étudiants de master 1 et 2 de Communication d’Entreprise, aux conférences suivantes : - L’Ecole de Palo Alto présentée par Daniel Bougnoux, - L’Ecole de Frankfort présentée par Bernard Floris, - L’imaginaire de l’entreprise présentée par Patrick Pajon, - Sociologie du travail et communication d’entreprise présentée par Danielle Linhart, - Communication interne et management présentée par Michel Villette.
  • 4. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 3 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Lors de ce parcours d’apprentissage des pensées critiques de la communication et du management en entreprise, j’ai pu comparer les arguments mis en avant par les auteurs et mon vécu de l’entreprise sur le terrain en qualité de communicant pour des clients au sein d’une agence de communication ou en tant que manager d’équipe aux Etats-Unis, ou encore comme directeur général d’une succursale française d’une société américaine. Le travail qui suit est donc un constat et une reconnaissance personnels des arguments et des faits relatés dans les œuvres que j’ai lues, croisés avec mon expérience de ces mêmes faits ou pratiques des méthodes de management, de communication et/ou de marketing décriés par les auteurs critiques. Dans l’esprit d’un parcours de VAE, j’ai estimé utile et intéressant, de mettre en relief mes actions et mes expériences professionnelles telles que je les aie ressenties ou telles que je les vis encore aujourd’hui en entreprise. Cela tient compte de ma dimension d’Homme imparfait, de mes sensibilités, de mes aspirations, de mon attrait pour comprendre les besoins des personnes qui m’entourent et de mon envie sans limite de satisfaire les attentes de tous mes interlocuteurs : clients, employeurs, collègues et collaborateurs.
  • 5. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 4 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Introduction Ma découverte des fondamentaux de l’Ecole Critique sur la communication managériale a, à ce jour, généré un véritable dilemne de bonne conscience chez moi. Je suis partagé entre la nécessité de travailler dur, de longues heures, de partager mon enthousiasme avec mes collaborateurs, d’essayer de les motiver à me suivre pour qu’eux aussi puissent vivre la satisfaction du travail bien fait, tout en sachant que les motiver ainsi les pousse à effectuer des tâches qui leur sont ingrates, et leur demande des efforts qui vont au-delà de leurs limites naturelles. Après plus de 15 années en tant que communicant dans une agence de communication marketing, j’ai utilisé pour convaincre, ce que je crois être les traits principaux de ma personnalité : - La détermination - L’ambition de réussir pour le groupe et l’entreprise auquel j’appartiens, et pour le client qui me passe commande - L’humilité et la modestie - La prise de responsabilité des actions et des échecs Ma volonté professionnelle m’a également poussé à accepter tous les défis qui m’ont été proposés, peu importe les difficultés morales ou physiques que ceux-ci pouvaient engendrer. Cela ne veut pas dire que j’étais ou que je suis « un YES- man », bien au contraire. Je suis reconnu comme étant capable de refuser des requêtes si elles ne me semblent pas judicieuses pour l’accomplissement de la mission fixée. Je définis ou modifie le cadre et le fonctionnement des modes opératoires à partir de mes expériences passées, des attentes et des besoins des personnes qui participent au projet et des objectifs fixés par le donneur d’ordre. Je prends plaisir à travailler quand j’ai le sentiment d’avoir modifié une situation qui devait changer pour que le groupe puisse mieux fonctionner ou pour que la mission puisse continuer. Je crois que le travail a fait de moi un homme plus ouvert, attentif aux autres et tenace à la fois. Même si je reconnais que ceci a été au prix de certains efforts que je ne souhaite à personne, j’ai le sentiment que mon employeur m’a permis de me découvrir et de devenir un homme meilleur que ce que j’étais il y a 15 ans auparavant.
  • 6. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 5 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Les différents ouvrages auxquels je fais référence dans ce travail réflexif sont venus chambouler mes certitudes et le regard en arrière que j’avais sur mon parcours. Je me suis mis à douter du bien fondé de mes motivations et des raisons qui pourraient me pousser à continuer sur le même chemin. Toutes les actions de communication internes et externes, selon l’Ecole Critique sont destinées à contraindre à une tâche les salariés, souvent qualifiés de « dominés » par Bernard Floris dans son livre « La Communication managériale ou la modernisation symbolique des entreprises ». Les « dominants », les entrepreneurs ou autres PDG et managers de haut rang, développent ou utilisent des méthodes de motivations, comme le « storytelling », les séminaires de formation, les évaluations de performance etc. à des fins subversives pour servir leurs seuls intérêts financier et de pouvoir, et ainsi diviser les salariés entre eux. L’Ecole Critique m’a fait découvrir une perspective du monde des affaires qui, selon moi, n’était propre qu’à un certain nombre d’hommes d’affaires et d’entreprises sans éthique pour leurs semblables. Pourtant, ces auteurs semblent converger vers le fait que toutes les méthodes de formation, de motivation autour d’un projet et les techniques marketings et comptables pour évaluer les performances des groupes et des individus utilisées en entreprises sont destinées à tromper les publics. Ces initiatives, selon l’Ecole Critique, ne délivrent que des messages marketings répondant aux attentes et favorisant « la servitude volontaire » des salariés. Tout en trouvant ce courant de pensées réaliste, je me suis senti désarmé face à la perte du sens de mon travail de manager sur lequel ces intellectuels m’avaient donné à réfléchir. Pendant près d’un an, je n’ai cessé de répéter, m’accrochant probablement à ma culture fonctionnaliste : « Mais quelles solutions proposent- ils ? ».
  • 7. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 6 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 La formation La formation à une culture d’entreprise, à l’apprentissage de ses valeurs, aux bénéfices apportés à ses clients ou à son environnement économique sont apparentés à un « lavage de cerveau » selon Michel Villette dans « L’homme qui croyait au management ». L’auteur décrit des séminaires de formation suivant un agenda presque militaire, mélangeant activités physiques matinales, cours théoriques sur les valeurs symboliques et valeurs ajoutées de l’entreprise, et mises en situation. Je n’ai, pour ma part et à mon grand regret, jamais eu l’occasion d’assister au type de séminaire que Michel Villette décrit, ni en France, ni aux Etats-Unis où j’ai débuté ma première expérience de manager d’équipe. La seule culture d’entreprise, sous-jacente, que j’ai reçue par bribes d’expérience dès le début de mon embauche en tant que chef de projet de communication chez Harding Marketing Communications, Inc (HMC) fut la culture du résultat. Toute action devait avoir un résultat et ce résultat devait obtenir un maximum de compliments de la part de mes supérieurs ou de mes clients. Dès la première semaine dans l’entreprise, je prenais plaisir à remplir toutes sortes de missions, de la préparation en facturation d’une pile de dossiers que les précédentes personnes à ma place avaient laissée trainer pendant plus d’un an et qu’il était urgent de traiter, selon mon PDG (qui se trouvait être la personne qui m’avait embauché). Savait-il lui-même ce qu’il fallait faire exactement pour que ces projets puissent être facturés par le service comptabilité ? Non, et il me conseilla de contacter la directrice financière qui ne commençait à travailler que vers les 18 heures (heure française), se trouvant elle en Californie. Il avait, auparavant, pris soin de me dire à quel point la directrice financière était une personne exigeante avec les chefs de projets. Après une heure de conversation téléphonique avec la CFO (Chief Financial Officer), je connaissais la technique pour bien facturer un projet dans les temps et j’étais heureux de savoir que je pourrais effectuer cette tâche primordiale pour mon interlocutrice à chaque fin de mes projets à venir. Je l’avais trouvé très sympathique au téléphone. Quelques jours plus tard, une collègue américaine en déplacement sur Grenoble, semblait épatée que j’aie pu avoir une conversation cordiale avec la CFO, qu’elle dénommait « the dragon lady » (la femme dragon). Fort de cette expérience réussie, les semaines et mois qui suivirent, furent une découverte de tous les métiers des collaborateurs qui travaillaient sur mes dossiers. Les rédacteurs techniques, les rédacteurs marketings, les relecteurs,
  • 8. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 7 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 les directeurs artistiques et infographistes, les stratégistes marchés, le chef de production, etc. Chacun à leur tour, suite à mes sollicitations, m’expliquaient ce qui leur était nécessaire de comprendre et d’obtenir de la part du client, donc par mon intermédiaire, pour bien faire leur travail et livrer un résultat qui puisse satisfaire le client, et donc moi-même. Tous me communiquaient leur envie de faire de l’excellent travail. Dès les premiers projets, je m’apercevais de la très haute qualité du travail qu’ils me rendaient, par rapport à mes expériences précédentes en agence de communication. Ces preuves de qualité me suffisaient pour comprendre que j’avais beaucoup à apprendre de ces personnes et que sans elles et leurs compétences, je ne réussirais pas à contenter mes clients. Pour progresser, je devais donc continuer à solliciter mes collaborateurs pour qu’ils m’enseignent leur savoir-faire. En échange, sans que ce soit officiellement dit, j’étais un chef de projet toujours disponible pour les aider à comprendre des informations clients ou à aller chercher des réponses à leurs questions. Nous étions loin du bourrage de crâne ou du lavage de cerveau comme décrit par Michel Villette, mais beaucoup plus simplement dans une envie commune et forte de fournir un travail qui obtiendrait les pleines satisfactions des clients et de notre employeur. Nous étions portés par la recherche de qualité de ce que nous produisions, même si cela devait dépasser les attentes des clients, et n’étions pas nécessairement soumis au « discours de l’insignifiance » sous couvert des « concepts clés de la qualité » de la part de notre direction comme le décrit, Vincent de Gaulejac dans son livre « La société malade de la gestion ». Nous avions juste envie de faire un travail irréprochable dont nous pourrions être fiers. Les premières formations de personnel que j’ai animées ont débuté aux Etats- Unis. C’était un cours destiné à des chefs de projets ou en devenir sur la gestion d’une réunion. Le principe était une méthode issue de la PNL (programmation neuro-linguistique), consistant à découvrir les objectifs d’un sujet donné et les objectifs cachés des interlocuteurs, afin de livrer un contenu répondant à toutes les attentes. La méthodologie se terminait par une validation des attentes par feed-back et une mise en perspective des étapes à suivre, appelées « pont sur le futur ». J’avais préparé une présentation PowerPoint avec une illustration du schéma de déroulement d’une réunion type. Je savais que ce type d’initiative au sein d’HMC était nouveau, car après quatre ans dans la société, personne ne m’avait convié ou quiconque d’ailleurs à une réunion de formation interne. Au bout de près d’1 h 30 de réunion, je concluais l’entretien en insistant pour la première fois que l’on devait mettre du cœur dans nos actions, que les clients et autres interlocuteurs
  • 9. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 8 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 devaient nous sentir investis de la mission qui nous était confiée. Une salariée m’interpela et me fit comprendre que pour elle, il n’y avait pas de place pour des sentiments dans son travail, mais juste pour une volonté de bien faire. Pendant longtemps cette nuance me dépassa et je n’imaginais pas que l’on puisse distinguer les deux. Ce réalisme est peut-être aussi ce qui me manqua en voulant bâtir des valeurs d’entreprises dans le programme « Sortir de l’Ombre », que je décrirai plus loin dans ce document. Danièle Linhart dans « Le torticolis de l’autruche » explique que les entreprises n’ont pas ménagé leurs efforts pour rendre le travail attractif, par des formations, des séminaires de motivation ou de « team building » centrés sur l’humain, ou des évaluations de performance récompensant les salariés par des promotions internes. Mais toutes ces actions ne convainquent pas l’ensemble des salariés et particulièrement les syndicats, qui voient en ces changements culturels une manœuvre pour affaiblir leur mouvement et diviser les salariés. Face à ces contestations contre les promotions individuelles des salariés dans les services et les usines, la petite hiérarchie est désemparée et n’a malheureusement que trop souvent des réponses autoritaires à présenter. Une réflexion que mon apprentissage du métier de manager m’a fait réaliser est que l’on n’est pas formé à « être » manager et que les moins bien servis sont souvent les managers en bas de la pyramide de l’entreprise, donc, pour la plupart, les moins expérimentés. Je suis d’accord avec ce retour d’expérience de Michel Villette. J’ai mené un bon nombre de projets de communication pour motiver les petits managers. Une panoplie de moyens pouvait être déployée, allant du tapis souris, du « mug » à café, de la brochure des 10 points clés pour être « the best manager », au séminaire en « campagne de luxe », terrain de sport ou autre lieu atypique pour des réunions de travail. Toutes mes expériences se sont soldées par un refus du client de continuer les actions définies lors du séminaire ou de la campagne de communication à toute l’entreprise. Pourtant cela me semble être l’unique moyen efficace pour que le bas de la hiérarchie managériale comprenne, adhère et applique les méthodes enseignées. Trop souvent les véritables défis et objectifs de l’initiative ne sont clairement pas présentés et discutés avec le bas de la hiérarchie. Les directions pensent que leurs personnels sont indifférents aux objectifs économiques, marketing ou de production ou/et que les équipes ne jouent pas « collectif » entre-elles dans le cadre de projets concernant toute l’entreprise. En
  • 10. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 9 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 amont, des études qualitatives intensives peuvent être menées pour comprendre les ressentis et les attentes des salariés et des cadres. Celles-ci sont suivies d’une comparaison de ces évocations avec les objectifs et les problématiques exprimés par la direction. Les résultats montrent souvent un manque cruel de vision de la part de la direction, accompagné d’un manque de sens donné au travail quotidien des salariés et cadres. Ces problématiques demanderaient des solutions de fond sur le long terme pour motiver les personnels. Mais bien souvent, les comités de directions que j’ai pu rencontrer ne veulent pas s’engager sur des programmes qui seraient trop coûteux et qui demanderaient un trop grand engagement physique et moral de leur part. Ils préfèrent proposer des solutions « d’édu-tainment » à court terme, comme un séminaire de rugby, fabriquer la Tour Eiffel en Lego ou planter des arbres, si l’entreprise souhaite prendre le virage du développement durable. Je note cependant que ces opérations de communication interne permettent de motiver majoritairement le personnel. En transformant le contenant, « en créant un nouveau packaging » du lieu de travail, l’entreprise démultiplie l’impact du message, même banal, sur la motivation des participants. Malheureusement, le résultat n’est qu’à court terme et l’entreprise ne se donne pas les moyens pour vivre quotidiennement la culture d’entreprise dont il est question lors de ces campagnes de motivation. De mon point de vue, l’ultime conséquence de cette erreur est que l’on ne peut pas inculquer une manière d’être, de vivre la culture d’entreprise par des campagnes de communication si l’on ne l’applique pas tous les jours à l’intérieur. En réalité, il faut être attentif, sans cesse analyser, partager, expliquer pour aboutir à des solutions optimales pour tous. L’entreprise est un environnement de négociation permanente. Il faudrait axer tous les efforts autour des salariés et des cadres, qui sont les acteurs, pour qu’ils se sentent en confiance et soutenus par leur environnement professionnel, pour atteindre les objectifs qui leur sont fixés.
  • 11. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 10 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 L’engagement Dès l’an 2000, en Californie, j’eu l’opportunité de diriger un service de création et de production comptant 30 personnes. Ma direction m’avait demandé d’organiser des réunions d’équipe (« staff meetings ») pour donner plus de visibilité au groupe sur les succès, les évolutions de l’entreprise et communiquer sur les lignes directives de notre équipe. Je compris rapidement que mon prédécesseur n’avait, non seulement, pas habitué le personnel à une communication des difficultés et des objectifs de l’entreprise, mais aussi avait déresponsabilisé les individus face à leur travail. Pour cela, il avait concentré toutes les décisions et interfaces avec les interlocuteurs extérieurs au service autour de sa propre personne. Néanmoins, en cinq ans, il avait réussi à élever le niveau de qualité de nos productions et de service à un standard qui avait amené l’entreprise à devenir un partenaire majeur pour nos clients sur le plan international. L’équipe avait de ce fait un profond respect pour le travail qu’il avait accompli et pour lui-même. Par contre, la majorité des individus demandait plus de place à l’initiative individuelle. Leur première motivation était de se sentir plus concerné par les projets et de pouvoir jouer un plus grand rôle stratégique dans la résolution des difficultés quotidiennes. J’avais été choisi pour le remplacer, principalement, de par mon expérience en localisation des outils communicationnels. Cette expertise devait être un atout pour notre production afin de mieux aborder les problématiques de création et de traitement des communications destinées aux marchés en dehors des Etats- Unis. Je débutais mes nouvelles fonctions avec mes perceptions personnelles sur le rôle de manager, qui étaient : - de servir au mieux les membres de mon équipe pour qu’ils puissent accomplir leurs tâches de manière optimale, - d’utiliser et d’apprendre des connaissances et des compétences de chacun pour répondre aux attentes des clients et de notre direction. Lors de la première réunion avec l’ensemble du service, je pris les engagements de garder le standard de qualité fixé par leur précédent responsable et de leur déléguer la communication sur les dossiers avec les chefs de projets. J’argumentais en toute franchise que je ne pourrais pas faire mieux qu’eux
  • 12. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 11 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 puisqu’ils étaient les experts de la rédaction et des arts graphiques et que c’était par leur expertise des dossiers et des métiers que nous saurions améliorer la performance de notre équipe et de l’ensemble de l’entreprise. Je leur promettais également de faire un point sur tous les projets en cours individuellement quotidiennement, ce que j’ai effectué tous les matins pendant mes trois années en fonction. La règle à laquelle je crois n’avoir jamais dérogée est « dire c’est faire ». La tenue des engagements et l’apport de preuves sont primordiaux pour engager des hommes et des femmes derrière un projet ou une idée. Michel Villette parle très bien des séminaires ou réunions où l’on fait croire aux personnels qu’ils sont experts dans le seul objectif de facturer plus au client. En réalité, l’entreprise tend à ignorer le manque d’expérience de ses salariés. Par cette politique, l’entreprise, non seulement ne respecte pas le contrat moral de service et de soutien, mais souvent demande à ses ressources d’appliquer une règle contraire aux valeurs d’engagement de qualité qu’on leur demande de suivre. Suivant ce type d’attitude, il est naturel que les salariés ne croient plus en l’image de l’entreprise et à son sens éthique, qui sont censés jouer une grande part dans la motivation du personnel. Je crois qu’en déléguant les responsabilités et en traitant toutes les difficultés quotidiennes avec les salariés, sans se désolidariser de ces mêmes responsabilités, l’entreprise facilite grandement l’engouement pour le travail à accomplir sur le long terme. En appliquant cette manière d’être et de diriger, le lien social entre la direction et les salariés est entretenu en permanence pour le bien-être des deux parties. Cette expérience, selon moi, montre que les messages n’ont pas besoin d’être ambitieux ni extrêmement recherchés, à partir du moment où ils adressent concrètement une volonté de soutien et de réussite mutuels et de travail en équipe. Lorsqu’en 2006, je fus promu directeur de l’agence en France de HMC, je cherchai à rassembler autour d’un projet commun : le développement de l’agence pour le bien-être de tous. Une de mes premières problématiques était de redorer l’image interne de l’agence, car nos opérations et nos ventes subissaient un désintéressement du personnel. Les causes étaient pour la plupart issues d’une absence de communication interne et d’un désengagement de l’ancienne direction dans les
  • 13. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 12 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 affaires et l’évolution du personnel. Ceci se traduisait par des manques, que je classerais de la manière suivante : - manque de visibilité sur la performance et les résultats de notre travail - manque d’écoute, de considération et de suivi d’évolution du personnel - manque de plan de développement de l’entreprise. Après une étude qualitative de notre image et des attentes de nos clients, je présentais les résultats à l’ensemble du personnel, en affichant clairement mes objectifs marketings, ma volonté de les atteindre avec eux et d’en tirer les bénéfices tous ensemble. A la suite d’un séminaire de trois jours, nous décidions d’un programme nommé, « Sortir de l’Ombre », composé d’une demi-douzaine d’actions et de moyens dont deux de l’ordre de la communication managériale : - la mise en place d’entretiens annuels d’activité et de développement professionnel, qui répondait à une demande forte de l’ensemble du personnel - la définition de valeurs internes qui devaient nous rassembler autour du projet commun de développement de l’agence. Ces valeurs étaient les suivantes : - Courage et persévérance - Ouverture au monde, à ses diversités, et respect et compréhension de celles et ceux avec qui nous travaillions - Innovation et liberté d’initiative - Tenue des engagements et respects des procédures - Esprit d’équipe et responsabilité individuelle Selon l’Ecole Critique, j’étais en train de faire du « storytelling » pour « faire penser à des publics cibles ce que l’on veut qu’ils pensent afin qu’ils fassent ce que l’on veut qu’ils fassent » (définition de la communication d’entreprise de Philippe Schwebig). Je ne peux pas nier cette définition. Mon objectif premier était la réussite du groupe pour assurer un partage de cette réussite et une sécurité personnelle de chaque individu. Mais d’après moi, présenté de la sorte par les auteurs de l’Ecole de Frankfort, elle ne peut que diviser les personnes et créer des clivages de dominés et de dominants, car elle sous-entend seulement le coté manipulatoire de la communication. C’est ce que j’appellerais le « storytelling négatif » de l’Ecole de Frankfort. Socialement, je souhaitais que tous les employés connaissent un environnement professionnel épanouissant. Aujourd’hui, je crois qu’une de mes erreurs fut de ne pas réaliser que tous ne considéraient pas que leur travail puisse donner un sens à leur vie, comme cela avait été mon cas depuis le début de ma carrière.
  • 14. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 13 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Lors des années propices au développement économique et aux ventes qui ne cessaient d’augmenter, la majorité des valeurs étaient maintenues car l’entreprise avait les moyens de tenir ses promesses d’augmentation de salaire qui était en fait la principale motivation du personnel. Ce qui m’amène à être d’accord avec une réflexion, quelque peu philosophique, en opposition à une pensée américaine et capitaliste : le travail n’est pas une valeur. Une valeur n’attend rien en retour. Le travail, lui, attend un salaire et du repos en compensation. Malgré les actions mises en place, le suivi du développement individuel, l’attention quotidienne, presque maternelle, que j’apportais aux salariés, et particulièrement à ceux les plus en difficulté, je ne pus empêcher certains de diviser le groupe. Quelques-uns commençaient à dénigrer leurs collègues pour diverses raisons ou à se désolidariser du reste du groupe, tentant d’entrainer d’autres personnes dans leur initiative personnelle. Je crois que L’Ecole de Frankfort ne dit pas que peu importe les efforts d’écoute, de compréhension et d’attention portés par la direction envers les salariés, certains auront toujours une vision détachée, voire égoïste de leur travail. Ces individus essaieront, par exemple, à la moindre occasion de blesser ou mépriser leurs pairs. Si l’embauche de ces personnalités peut se qualifier très justement par une erreur de « casting » lors du recrutement, je n’ai pourtant jamais tari d’efforts pour que l’entreprise permette à ces personnes de découvrir un sens à leur vie professionnelle. Mais j’admets à ce jour que pour 75 pourcent d’entre eux, mes efforts étaient vains. Pourtant, une des initiatives que j’ai menée dans ma position de directeur de l’agence auprès de chaque nouveau embauché à l’approche de la fin de leur période d’essai était d’organiser un « entretien d’intégration ». Même si l’appellation de cet exercice n’est pas très engageante, le principe est pour moi de valider l’image et le bien-être du salarié au sein de l’entreprise par rapport à ses attentes et ses ressentis lors de son embauche. Cela ne m’a, néanmoins, pas permis de modifier certains tempéraments égocentriques ou désintéressés. Je rejoins Danièle Linhart quand elle écrit dans « Le torticolis de l’autruche » que « les salariés ont démontré que leur aptitude à suivre les directives des employeurs n’est pas sans faille, en adoptant des attitudes de contestation pour exprimer leur méfiance permanente des patrons. ». Madame Linhart justifie cela par le fait que « malgré les innovations technologiques et les discours d’ouverture sociale, les entrepreneurs semblent incapables de faire confiance aux salariés pour effectuer leur travail en toute intégrité. » Je pense que l’un et l’autre ne sont pas dépendants, mais que cette constatation est très réaliste. Même si je n’ai jamais eu à faire face à un mécontentement de groupe, je me souviens qu’une
  • 15. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 14 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 salariée m’avoua être perturbée parce que mon bureau était au milieu de notre « open space ». Je lui demandai ce qui la dérangeait exactement et elle me rétorqua qu’elle n’avait jamais connu cette situation de proximité avec son manager dans ses emplois précédents. L’argument me semblait bien faible et je compris plus tard qu’en fait, à cause de ma présence, elle ne pouvait pas prendre le dessus psychologique sur ses collègues, soit pour dénigrer les uns, soit pour diviser l’équipe. Forcé de constater que la crise financière et économique a accentué les divergences d’objectifs parmi le personnel, cela m’a quelque peu fatigué moralement. J’étais moins ouvert à la discussion, certaines demandes ou attitudes m’irritaient. Je n’arrivais plus à faire la démonstration, selon la définition du MEDEF, « que l’entreprise était citoyenne, porteuse d’espoir, d’optimisme et de réussite personnelle ». Sortir de l’Ombre était-il un leurre aux yeux des salariés ou tout simplement inutile puisque les individus ne semblaient plus y adhérer d’eux-mêmes ? En quatre ans, soit dès 2010, j’avais le sentiment d’avoir épuisé tous mes arguments. Peu importe mes actes pour ne pas licencier, et donc ne « laisser tomber » personne de l’équipe, malgré les mauvais résultats économiques, j’avais l’impression que le personnel pensait que j’avais mis en place, comme le décrit Bernard Floris dans son livre « La communication managériale ou la modernisation symbolique des entreprises » : « une stratégie marketing foncièrement manipulatoire, axée sur un ensemble de démarches d’ingénierie sociale et symbolique », couplé à « des moyens marketing d’audit qualitatifs, mettant en avant la volonté et la capacité d’écoute, de compréhension et de dialogue ». Obnubilé par ce sentiment de doute vis-à-vis des collaborateurs, j’ai manqué d’imaginaire, de langage et de symboles, puis de preuves pour fédérer autour de Sortir de l’Ombre. Cependant, le fait que l’agence n’a, à ce jour, pas licencié une seule personne démontre que la direction a su tenir ses engagements. Malgré cela, je me suis éloigné de mes collaborateurs en m’isolant. J’aurais dû, à la place, mieux ajuster mes messages et mes actes en fonction de l’environnement économique de crise et de leur propre état de doute face à l’avenir. Comme je l’ai dit précédemment, afin que le travail et les valeurs d’une entreprise continuent à évoquer un sens symbolique pour les salariés dans des moments difficiles, une démarche de proximité, de soutien est primordiale. Je terminerai cette section sur l’engagement, en affirmant, comme tous les auteurs cités dans ce document je crois, que l’éthique des motivations patronales
  • 16. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 15 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 doit évoluer. L’histoire atteste que le patronat a démontré un niveau élevé d’égoïsme en utilisant pour son compte personnel, au lieu de les partager, les bénéfices de la transformation symbolique de l’entreprise et de la prise en main de la communication managériale. Cependant, le management d’individus entraîne des difficultés causées par ces mêmes individus quand leur motivation n’est pas en phase avec le projet commun. Lors de mes expériences, ma réponse était d’être congruent et de faire en sorte que le cadre de notre environnement ne contredise pas ma version de l’entreprise, ma vision et ma mission, afin que le sens et les valeurs exprimés par l’entreprise soient vécus de l’intérieur et respectés. Malheureusement, certaines personnes ne sont pas sensibles à un esprit d’équipe et à l’idée de produire des efforts pour un groupe. Si des dirigeants d’entreprises ont prouvé leur égoïsme et le peu d’intérêt qu’ils portent à leurs collaborateurs, ce n’est pas, à mon avis, parce qu’ils sont à des postes de direction, mais parce que ce ne sont que des hommes et des femmes avec la faiblesse de penser que le moyen le plus rapide ou le plus simple de réussir leur existence sociale est de soumettre leurs collaborateurs. Les salariés aussi savent montrer leur manque d’altruisme envers leurs pairs. Certains ne considéreront toujours que leur propre carrière et intérêts personnels au détriment de l’objectif commun, même si l’atteinte de ce dernier pourrait leur être bénéfique en termes financiers ou de développement professionnel.
  • 17. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 16 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 La gestion par les outils au quotidien Michel Villette apporte un témoignage sur l’utilisation d’un système de feuilles d’heures pour analyser les temps passés au travail par les salariés. Il décrit une étude et des conclusions budgétaires très strictes lorsque le quota d’heures facturables n’est pas atteint. De mon point de vue, il se contente de parler du fait que ces systèmes de capture du temps passé permettent aux entreprises de décider des licenciements à effectuer ou/et à rendre les salariés paranoïaques, donnant le sentiment de précarité de la situation professionnelle au salarié et augmentant, par cela, la méfiance, le doute et le stress. Même si lors de mauvaises performances économiques de l’entreprise, ces systèmes ont pour conséquence d’inquiéter les salariés, car ils donnent des statistiques importantes, je n’ai jamais eu à subir des quotas. D’après mon expérience, un système de feuilles d’heures est tout d’abord nécessaire pour que les chefs de projet et le service de comptabilité évaluent les gains ou les pertes des différents projets de l’entreprise. J’ai une anecdote au sujet des feuilles d’heures (« timesheets) chez HMC qui montre que cet outil de gestion n’est pas en place uniquement pour décider des licenciements. De mon embauche en 1997 à 2003, tous les salariés devaient remplir une timesheet soit manuellement, soit en fichier informatique et l’envoyer à une personne du service comptabilité. Ce système existe dans l’entreprise depuis 1982 et suite à une croissance importante de l’agence, une personne travaillait 100% de son temps à saisir dans le système informatique et financier les heures entrées par les 80 salariés de l’agence. J’ai du mal à croire que l’entreprise paierait un salaire à temps plein dans le seul but de traiter des données utiles à une éventuelle réduction d’effectif. En tant que manager, j’ai toujours eu à me servir des rapports de feuilles d’heures comme outils de données pour évaluer la performance de l’équipe du projet, prévoir les embauches, planifier les formations selon les tendances et les évolutions des marchés, et organiser les individus dans le groupe. Selon moi, la seule vision de Michel Villette sur ces systèmes contribue à créer une relation de méfiance vis-à-vis de l’entreprise. Cependant, quand leur complète nécessité est expliquée aux salariés et aux cadres, en toute transparence, cela nourrit une relation d’adulte à adulte. Je crois que toute personne est capable de comprendre les besoins de tels systèmes pour aider l’entreprise à s’orienter, devenir plus efficace et performante. Mon expérience
  • 18. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 17 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 montre également que bien expliqués les bénéfices du système réduit considérablement le taux de non-remplissage des feuilles d’heures quotidiennes des salariés. Les personnes se sentent concernées, voire impliquées dans le résultat des journées de travail. Ne parler que du coté punitif et autoritaire de ces systèmes s’inscrit dans une relation parents-enfants et ne considère absolument pas la capacité de réflexion des individus qui travaillent dans l’entreprise. Les licenciements chez HMC sont décidés s’il n’y a plus d’espoir d’activité pour les salariés et les principales données utilisées pour en décider sont les projections des ventes et les résultats globaux de l’entreprise. L’exemple le plus probant qui démontre que les rapports des feuilles d’heures affichant des niveaux de facturation individuels insuffisants depuis la crise économique de 2009, ne sont pas utilisés pour décider de réduire les effectifs, est que l’entreprise a préféré garder tout son personnel. Au lieu de licencier, nous avons augmenté les formations afin de compter sur notre expérience d’équipe pour développer nos actions de prospection et être en place lors de la reprise économique. Cela continue à ce jour, après plus de deux années de pertes financières lourdes pour l’entreprise dans sa globalité. Concernant la rentabilité des projets, qui est, pour rappel, selon mon expérience, le premier but des feuilles d’heures, Michel Villette cite quatre conclusions ou raisons possibles quand un projet génère une perte financière : - « Le chef de projet, principalement, n’était pas à la hauteur des objectifs financiers - Le montant de la vente a été sous-évalué dans le but de décrocher le contrat - Le client était trop difficile - L’investissement réalisé sera profitable à la société de conseil sur le long terme. » J’en ajouterais deux autres qui sont : - Nous nous sommes trompés dans l’estimation et - L’équipe a fait une ou des erreurs qu’il faudra corriger par la suite. Là aussi, Michel Villette dépeint un environnement de méfiance, qui pousse à cacher la vérité des faits et à ne pas aborder les échecs de manière constructive et responsable.
  • 19. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 18 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Je comprends que, dans l’ensemble, l’utilisation des outils de gestion n’est pas neutre dans la pratique du management. Les résultats permettent d’illustrer les performances de chacun et de produire des équivalences entre le travail des services, des lignes de production et des individus entre eux. Ils sont des preuves indiscutables des arguments de la communication managériale. Leur effet peut être dévastateur sur le niveau de stress des salariés, favorisant l’individualisme et l’intérêt personnel afin de susciter l’adhésion à l’ultra performance qui fera changer les résultats des outils de gestion. Dans son livre « La société malade de la gestion », l’auteur et docteur en sociologie, Vincent de Gaulejac démontre que l’entreprise force les salariés à batailler pour avoir une vie sociale à la hauteur de leurs besoins financiers. Les salariés, cadres et managers sont mis sous pression du doute, de l’insécurité sous couvert que les bons chiffres éviteront la crise de l’entreprise. La crise qui a fortiori est devenue un fond de commerce des entreprises pour pousser ses effectifs à suivre le mouvement vers l’avant, en n’offrant aucune autre alternative. Ce comportement de l’entreprise est malheureusement vrai lorsque les analyses des outils de gestion sont rendues publiques à fin de comparer les performances des salariés les uns des autres. Le management ne peut pas se contenter de critiquer systématiquement les comportements, les résultats des individus en faisant peser le poids des mauvaises données financières ou statistiques sur les seuls individus concernés pour les culpabiliser et leur faire comprendre qu’ils pénalisent le système. Le management ne devrait pas se désolidariser des mauvais résultats en ramenant leurs analyses à l’individualité. En ce qui me concerne, humainement, je ne me sens pas capable de me détacher de la responsabilité des mauvaises performances des membres de mon équipe, même si les résultats négatifs ne concernent qu’une seule personne. Les fois où j’ai dû gérer des situations similaires, en termes de mauvaises ventes, de temps facturables en-dessous de la moyenne ou autres, les meilleures solutions ont été trouvées ensemble entre le salarié et moi ou en impliquant d’autres collaborateurs. Souvent une différente distribution du travail, une analyse des méthodes de travail du salarié concerné ont le mérite de rassurer l’individu, de modifier les chiffres à l’échéance suivante et de conforter la confiance du salarié dans l’entreprise, ce qui je crois est un moteur de confiance plus efficace que la critique, la stigmatisation et l’exclusion morale décrites par les nombreux exemples des livres de Michel Villette et de Vincent de Gaulejac. A l’inverse de Bertrand Collomb, Président du Groupe Lafarge qui dit, selon Monsieur de Gaulejac, que « pour gagner, ce ne sont pas les plus faibles qu’il faut aider, ce sont les meilleurs », j’ai toujours adopté une attitude d’assistance des plus faibles pour justement les faire progresser. Ceci ne veut pas dire que je
  • 20. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 19 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 laisse, pour autant, les meilleurs sans aide dans l’accompagnement de leurs missions. A cette phrase de Monsieur Collomb, je préfère opposer une réflexion issue de la charte de l’enfance du Panathlon International, qui est une association proche du Comité International Olympique, prônant le développement des valeurs de l’Olympisme sur la société : « Nous avons le droit de ne pas être des champions ».
  • 21. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 20 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 L’accompagnement Le suivi et l’évaluation de la performance est également un sujet que je dois commenter en rapport à mon expérience professionnelle et mes lectures sur la communication managériale. Les premières « performance reviews » que j’aie dû donner au personnel de mon équipe, étaient également les premières mises en place dans l’entreprise. Le questionnaire utilisé, diligemment distribué par le responsable des ressources humaines à tous les managers d’équipe, était visiblement tiré d’un recueil type de techniques des ressources humaines. Il était composé d’une grille de notation de la personne comprenant une quinzaine de points, comme le sens de l’initiative, le sens des responsabilités, la créativité, l’efficacité, etc., à noter entre 1 et 5. Une seconde partie listait des questions ouvertes pour obtenir le retour et les conclusions des salariés sur leur année passée : - « Quelles ont été vos trois grandes réussites cette année et pourquoi ? Quelles conclusions pour l’avenir en tirez-vous ? - Quelles ont été vos trois plus grandes difficultés cette année ? Que vous a-t-il manqué ? - Quels acquis avez-vous développés cette année ? » Le document se terminait par un espace réservé aux commentaires du manager. En amont de l’entretien d’évaluation de performance, le manager devait prendre soin de laisser un mois au salarié pour répondre aux questions ouvertes. La personne évaluée présentait ses réponses deux semaines avant la réunion en face-à-face, pour que le manager puisse préparer ses commentaires et sa grille de notation à l’avance. Aucune de mes lectures n’a montré l’entretien d’évaluation de performance du point de vue du manager. Bien que ce bilan annuel soit attendu par les salariés en général, car il est signe d’une éventuelle augmentation de salaire, il est certain que l’entretien crée une anxiété pour le salarié évalué. Je crois que le même niveau de stress est subi par le manager, surtout débutant, qui doit présenter l’évaluation de performance. A la différence du salarié, le manager n’a pas de motivation personnelle (comme le salaire) vis-à-vis de cet entretien. L’exercice souvent paraît ingrat pour le manager. En 2001, après ma première année en tant que manager d’une équipe de créatifs et d’infographistes en Californie, je dus présenter mes commentaires
  • 22. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 21 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 d’évaluation à un graphiste-illustrateur. La personne avait cinq ans d’ancienneté dans la société et près de 25 années d’expérience des métiers des arts graphiques. Il avait un fort caractère et impressionnait par sa personnalité. Mes commentaires préparés à l’avance relataient une année passable et j’avais bien l’intention de briser le silence sur ses défauts. Lors de mon audit auprès des personnes qui avaient eu l’occasion de travailler avec lui, je reçus des plaintes de manque d’écoute et de suivi des instructions, ce qui causait des erreurs dans les dossiers. Je ne sais plus par quel biais exactement, mes commentaires aboutissaient sur le fait que ses erreurs à répétition dénotaient une mauvaise connaissance des métiers de l’infographie. Cela fut une erreur monumentale de ma part. J’aurais dû m’en tenir aux critiques comportementales, telles que le manque d’écoute et de suivi des instructions, au lieu de critiquer ses compétences métiers. A l’annonce de cette conclusion, le salarié, visiblement vexé, se mit en colère, démontant une grande partie de mon argumentation. Je me trouvais dans la situation que je redoutais le plus depuis que l’entreprise m’avait chargé de mener des entretiens d’évaluation. Mon attitude fut finalement de modifier avec le salarié mes commentaires sur ce point précisément en validant dans le même temps les autres aspects négatifs et positifs de sa performance. Cet exercice m’avait en fait permis de construire des pistes d’amélioration de performance. Malgré « le froid » laissé entre le salarié et moi à la fin de l’entretien, il prit soin d’appliquer quelques uns des conseils majeurs dans l’année qui suivit, mais pas tous. Les trois années suivantes me firent comprendre que certains défauts pouvaient difficilement être changés chez certaines personnes et que pour faire fonctionner le groupe, l’autorité et les règles strictes auraient peu d’impact voire un effet négatif sur le long terme. Seules l’écoute et l’attention portées aux idées et feed- back des individus pourraient me permettre de donner des lignes de conduites appropriées que le groupe serait prêt à suivre. Ces premières années de management d’équipe confirmaient chez moi le sentiment que mon rôle de manager était avant tout de servir mes collaborateurs pour leur donner le courage et l’envie de se dépasser dans leur travail. Depuis, j’ai eu l’opportunité de créer ma propre méthode et mon propre formulaire d’entretien d’activité et de développement professionnel. Je n’utilise plus les grilles de notation et je me contente de travailler sur les questions d’ordre suivant : - « Décrire les projets ou acquis qui ont marqué positivement leur année passée et expliquer les raisons de ces succès. - Décrire leurs plus grandes difficultés et ce dont ils ont manqué pour se surpasser.
  • 23. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 22 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 - Citer leurs objectifs professionnels pour l’année à venir et évoquer des pistes de développement. » En parallèle, je prépare mes propres réponses aux mêmes questions posées au salarié évalué. La discussion s’articule autour de ces trois points et je note nos commentaires lors de l’entretien avec le salarié. Ceci nous permet d’aborder les difficultés avant qu’elles ne soient officiellement couchées sur papier et d’expliquer et de définir les objectifs nécessaires et raisonnables pour le salarié et pour l’entreprise. Même si comme l’explique Michel Villette, l’entretien de performance met en avant les points faibles des salariés, je ne crois pas que ce soit « un acte subversif destiné à limiter leur progression professionnelle ». Pour être efficaces, il faut que les aspects positifs et négatifs soient discutés pendant l’exercice de manière à tirer une feuille de route des objectifs pour l’année suivante, et non pas à dévaloriser le développement professionnel de la personne évaluée. J’ajouterai que le suivi des objectifs définis doit être régulier pendant l’année en cours et leur atteinte devra être évaluée lors de l’entretien d’activité et de développement professionnel suivant. Etendues à toute l’entreprise, les évaluations de performance ont pour but de motiver les salariés à produire toujours plus, plus vite et moins cher. Elles permettent aux salariés d’améliorer leur travail et, en retour, d’être gratifiés d’une augmentation de salaire, d’une promotion, voire de « grade » dans certaines multinationales. Les communicants de l’Ecole Critique font front contre « ces méthodes des Ressources Humaines de vecteur de promotion sociale car elles créent des niveaux hiérarchiques multiples » et sont qualifiées de moyens de motivation favorisant l’individualisation, la concurrence entre les salariés et par là-même la division. Ce qui fait dire, probablement justement, à certains auteurs comme Danièle Linhart, qu’ils sont une arme qui a détruit le pouvoir de rassemblement et de communication des syndicats. Madame Linhart note, également, que les syndicats n’ont pas su se modifier de l’intérieur pour contrecarrer l’individualisation au travail, ou « l’atomisation », introduit en France, post 1968, par le CNPF. L’objectif de l’organisation patronale était de segmenter les forces ouvrières pour éviter le poids du collectif. L’argument marketing, lui, fut de répondre aux attentes des salariés. Quelques grandes actions et moyens mis en place furent l’introduction du travail flexible pour les femmes, l’augmentation individualisée des salaires pour récompenser
  • 24. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 23 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 l’effort, l’intronisation des groupes de réflexion du travail, l’entretien individuel de performance, etc. L’individualisation est, peut-être, le principal facteur qui a diminué le poids et l’impact des syndicats dans l’entreprise. Mais, si les syndicats n’ont pas su se faire entendre auprès des salariés, n’était-ce pas parce qu’ils n’ont pas su proposer des solutions qui répondaient à une demande d’individualisation réelle et grandissante de la part des salariés ? L’individualisation est tout de même devenue un besoin exprimé majoritairement par les salariés et la société en général. Je ne pense pas que le CNPF l’ait inventée et que ce soit une mode suivie par toute la population depuis plus de quarante ans. De mon point de vue, les syndicats n’ont pas su comment accompagner les salariés pour atteindre leur propre objectif de vie par le travail, quand les entreprises, elles, ont construit un environnement qui facilitait la quête de satisfaction des salariés… Certes, cette pleine satisfaction n’a jamais été atteinte par manque d’altruisme des managers et hautes hiérarchies des entreprises. Comme je l’ai dit auparavant, mon expérience professionnelle m’a prouvé que l’accompagnement des salariés doit être individuel. Les évaluations de performance et les gratifications doivent également être personnalisées pour satisfaire les individus. Mes collaborateurs ont toujours été demandeurs de bilans d’activité et d’évaluation, au point de me le rappeler si je prenais du retard. Leur objectif est d’obtenir une augmentation et une évolution dans leur travail. Je ne peux pas ignorer ce qui est, pour moi, un fait vécu. Par conséquence, mon travail consiste à y répondre pour motiver les équipes. Pour beaucoup d’entre-elles, les entreprises ont, c’est évident, profité de ces stratégies d’individualisation pour le compte personnel des dirigeants et actionnaires majoritaires, Les managers n’ont pas sincèrement accompagné les salariés en les considérant comme leurs égaux. Au lieu de les guider dans leurs décisions professionnelles, les managers, à tous les niveaux hiérarchiques, ont fait peser sur leurs collaborateurs la responsabilisation de leur travail sous couvert des règles de l’entreprise, telles que les valeurs, la symbolique d’image, les intérêts communs entre la direction et les salariés, sans tenir leurs engagements et en ignorant trop souvent le travail accompli par l’individu. Michel Villette, dans « L’homme qui croyait au management » donne deux définitions de l’expert :
  • 25. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 24 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 - « Quelqu’un qui sait établir une relation d’expertise avec son client, gagner et entretenir sa confiance. - Quelqu’un qui intervient avec efficacité sur une partie du monde réel que le client voudrait modifier. » Et il en conclut : « la première de ces définitions est nécessaire et suffisante pour faire un expert reconnu. La seconde n’est ni nécessaire, ni suffisante. » Je ne peux qu’être d’accord sur ces définitions et sur la conclusion de l’auteur dans une situation de relation commerciale. J’ajouterai, toutefois, que cette conclusion est vraie parce qu’il y a un manque d’éthique dans les affaires, et tout le problème provient de là. Nous faisons probablement des affaires pour de mauvaises raisons, la première étant l’appât du gain. Dans ce sens, je comprends la critique sur l’éthique des entreprises et des hommes qui les dirigent et les composent. J’adhère moins au point de vue que porte l’Ecole Frankfort sur le modèle de communication managériale proposée par les entreprises. A mon avis, les méthodes et mécanismes mis en place correspondent réellement aux attentes des salariés, mais il faudrait que les dirigeants d’entreprise aient une attitude moins autoritaire et répressive, et qu’ils adoptent un comportement intègre et considérateur.
  • 26. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 25 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Génération Y, l’espoir ? Certaines études assimilent les jeunes à la génération Y, celles et ceux nés entre 1978 et 2000, d’autres en revanche parlent de l’année 1982 comme étant l’année de départ. La génération Y est définie comme la génération la plus maternée jamais vue auparavant. Depuis leur naissance, ces jeunes personnes ont été protégées, chaperonnées, guidées, « coachées » parfois même par leurs parents. A la différence de la tendance des « baby-boomers » qui souhaitaient ne pas reproduire le modèle de leurs ainés, la génération Y cherche une relation proche avec leurs parents. Ces jeunes accueillent volontiers les conseils et attendent l’aide de leur famille, car ils ont été habitués à ce que l’on prenne soin de leur bien-être pendant leur enfance et leur adolescence. L’expression « l’enfant roi » représente bien le fait que leurs parents les ont élevés comme étant le centre de la famille. Il semble naturel que les changements politiques et culturels pendant les années 1980 aient reflété ce nouvel intérêt dans la protection et le bien-être de l’enfant. Ces jeunes sont optimistes et mieux instruits. Ils sont attachés aux nouvelles technologies, sont multitâches, très ouverts à la diversité et au travail en équipe. Les inconvénients de cette génération sont qu’ils paraissent impatients, sceptiques, émoussés. Certains diront qu’ils ont grandi avec l’idée qu’ils ont beaucoup de droits, mais peu de devoirs. En même temps, le cliché de l’adolescent qui pense que réussir dans la vie, c’est d’avoir du succès professionnel et gagner beaucoup d’argent, semble s’arrondir et s’atténuer pour laisser place à un idéal de vie plus intime que flamboyant ; ce qui leur permet de passer plus facilement à autre chose, si leur situation ne les contente pas vraiment, car ils sont sûrs qu’il y aura d’autres alternatives. Ils sont à la fois très individualistes dans leurs objectifs de vie, tout en étant ouverts aux autres avis et aux différences. Leur capacité à « zapper » d’objectif et faire mille choses à la fois les rend souvent imprécis et peu conscients du respect des responsabilités. Ils ont également une faible capacité à rester concentrer sur les tâches de longue haleine. Cette faiblesse peut se traduire par une difficulté à la réflexion et à la prise de recul avant de prendre des décisions. Ils sont pressés et pensent qu’ils peuvent atteindre les sommets à court terme. Cependant, je me demande si avec cette génération Y, le temps du superficiel n’est pas révolu et un retour aux traditions et rituels ne pourrait pas émerger.
  • 27. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 26 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Dans le monde de l’entreprise, il faut que le système et les managers qui les forment, sachent les accompagner en permanence et expliquer les significations profondes des valeurs, des procédures ou traditions, pour mobiliser leur attention et justement éviter le zapping. A comparé aux précédentes, cette génération prend moins pour argent comptant les arguments de leurs interlocuteurs. Ils peuvent par ce biais effacer le clivage dominés et dominants tant décrié par l’Ecole Critique. Ces personnalités, à la fois, curieuses et dispersées sont et seront un grand défi pour les managers des générations précédentes, qui ont eux été habitués à l’autorité, qui aura peu ou prou d’effet sur la génération Y, soit au « storytelling » émotionnel. Les jeunes de la génération Y attendent de l’entreprise un bon environnement de travail, un accès aux nouvelles technologies, un bon salaire, un espace où ils peuvent s’exprimer et donner leur avis. Ils souhaitent de solides perspectives d’avenir et être reconnus pour leurs qualités et leur travail quotidien. L’entreprise devra aussi favoriser un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée. Pour cela, les managers devront être très attentifs à leur satisfaction et communiquer fréquemment d’égal à égal, en étant à l’écoute et en montrant de la sincère considération envers leurs remarques pour lesquelles les jeunes exigeront des réponses tangibles et argumentées. Sans aucun doute, la génération Y est et sera la main-d’œuvre la plus difficile dans l'histoire des entreprises. Ils veulent tout, tout de suite : l’évaluation de leur travail, les formations nécessaires, les reconnaissances et créer le style de vie qu’ils désirent maintenant. Mon optimisme me pousse à penser qu’en grande majorité les individus de tous bords cherchent la paix sociale plus que le conflit. Les politiques publiques de protection de leur santé, de leur sécurité, de leur environnement etc. pourraient les sensibiliser et les orienter vers des exemples positifs de vertu civique. Ce changement politique et économique mondial pourrait prédestiner la Génération Y à rétablir le sens de la communauté civique et de soin de leur environnement ; ce que leurs parents n’ont pas pu, su ou souhaité faire. Car, à la différence des générations précédentes, ces jeunes sont conscients de cette nécessité pour leur propre équilibre personnel et familial. Tous ces aspects que je trouve très positifs pourraient créer une génération de leaders humainement exceptionnels, car altruistes et compréhensifs, imprégnée d’un idéal accessible, mais pas à tout prix. Cette volonté globale ne pourrait-elle pas se révéler suffisamment puissante pour influencer les objectifs de l’entreprise et de la société ?
  • 28. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 27 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Conclusion J’ai toujours utilisé le travail pour donner un sens à ma vie, je pense même pouvoir dire que fut un temps, il était ma vie. J’ai un rapport physique avec mon travail. J’essaie de montrer l’Exemple qui va convaincre de la nécessité de recherche de qualité et de résultats, pour engager mes collègues et collaborateurs à faire de même. Je cherche à leur montrer les bénéfices pour eux-mêmes et pour leur environnement afin qu’ils puissent tirer une certaine satisfaction du travail bien fait, car je crois que l’Homme ressent du bien-être à faire les choses qui lui sont justes et bonnes. Il y a encore trois ans, avant la crise financière et économique, les conditions étaient plus favorables à un engagement de mes collaborateurs qu’elles ne le sont aujourd’hui. La crise où nous sommes plongés depuis plus de deux ans et demi semble s’éterniser. Elle entraine les entreprises et la société dans son ensemble à la culture du doute, qui, lui, devient l’horizon dans la tête des gens. Ceci transforme la société en une société épuisée (par le doute). La spirale infernale « avantages/contraintes/plaisir/angoisse », très bien décrite par Vincent de Gaulejac, comme étant le principal facteur psychologique incitant les salariés à continuer à donner le meilleur d’eux-mêmes dans leur travail ne peut plus fonctionner si le doute et l’insécurité sont les seules issues perçues par les salariés. L’épuisement professionnel menant à la dépression nerveuse les guette et ils en sont conscients. Face à cela, Monsieur de Gaulejac ajoute que « les syndicats et contre-pouvoirs sont démunis ». Ils sont incapables de formuler des solutions aux salariés pour sortir du doute, et cela les rend peu confiants vis-à-vis de l’entreprise et de la société. Danièle Linhart met en avant le fait que les entrepreneurs et les syndicats ont tous deux bien du mal à décider de se transformer en profondeur pour améliorer les conditions sociales au travail. La sur-sollicitation sous le compte du participatif en entreprise, qui prône la créativité et l’intelligence des salariés dans un environnement d’une stricte conformité et d’un champ restreint, les met dans une situation dénuée de sens. L’entreprise devient un environnement sans repère et plonge les salariés dans un profond désarroi, augmentant le stress et les risques de dépression.
  • 29. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 28 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 Le paradoxe de cultiver l’autonomie, la liberté et la créativité pour augmenter la dépendance au travail et le conformisme pousse les salariés et les cadres à mettre de la subjectivité émotionnelle dans leurs décisions. La « soumission librement consentie » des salariés me semble arriver à son terme, si la confiance en l’avenir n’est pas restaurée. « La morale du bien commun », qui consiste, selon Vincent de Gaulejac, à déculpabiliser le capitalisme de la recherche du profit individuel au profit du bien commun ne dupe plus les salariés et les cadres des entreprises. Pourtant, l’individualité des attentes est devenue majoritaire, et ce phénomène pourrait avoir des conséquences optimistes pour l’avenir en matière de communication managériale. Cependant, cela nécessiterait une remise en question profonde des objectifs et des priorités de l’entreprise, en favorisant les hommes et les femmes qui participent au travail à la place du profit à tout prix. Aujourd’hui, ce mythe serait à construire, car si la réussite individuelle est devenue le centre des préoccupations de l’ensemble de la société, l’entreprise doit engager un travail jamais réalisé jusqu’alors. Elle devrait refondre l’organisation du travail. Mais la tâche demanderait une transformation immense, qui d’ailleurs, dépasserait le cadre de l’entreprise. Le constat aujourd’hui est que les organisations modernes du travail, appelées « organisations hybrides » par Madame Linhart ont gardé des bases de productivité du Taylorisme en alliant plus de responsabilisation et d’autonomie pour atteindre des objectifs individuels fixés par l’entreprise. Ce rapport serait à revoir totalement. La clef évoquée par Danielle Linhart serait de remettre en cause les principes du Taylorisme. Les priorités axées sur les résultats quantitatifs des salariés ne semblent, en effet, pas compatibles avec une réforme de grande ampleur. Comment engager les salariés si « la transmutation des égoïsmes individuels » ne justifie plus la quête de performance financière ? Sans nul doute en rétablissant la confiance entre les entreprises et les individus. La nouvelle génération de salariés a un besoin accru de sécurité, de stabilité, de convivialité et de générosité. L’entreprise ne pourra pas y échapper et devra se transformer pour tangiblement offrir ces valeurs. La quête du seul profit et de la compétition ne suffira plus parce que cette génération Y attend des bénéfices plus intimistes, peut-être aussi plus modestes, mais plus immédiats. De plus, le monde de la numérique grandissante offre plusieurs vies dans le monde réel. Le digital provoque une dépolarisation, un manque d’appartenance à une vie professionnelle en offrant une multitude de modèles, de perspectives, d’opportunités et de facilités.
  • 30. Itinéraire contrarié d’un manager - travail réflexif sur la communication managériale 29 Master 2 Communication d’Entreprise – n°09/022/COM/5 « Malgré que l’esprit soit la cible, le cœur doit être le moteur » ! Cette stratégie de communication propre au storytelling devra être relayée par des actes et des preuves dont les salariés pourront bénéficier instantanément lorsque les objectifs visés seront atteints. Je pense qu’une des visions modernes du monde, que les politiques de gauche appelleraient volontiers une idée progressiste, serait de placer l’humain au centre des préoccupations afin que la cause en vaille la peine pour les salariés. Si les objectifs de vie des populations sont de placer le soi ou le cercle de sa famille au centre des préoccupations, les politiques de performance individuelle devront continuer à progresser, mais en suivant des modèles moins subversifs et plus motivants, tout en valorisant la réussite, l’accomplissement de soi et l’intérêt personnel. L’entretien du lien social au sein de l’entreprise me parait également être un facteur primordial. Les gens ont besoin aujourd’hui de se raconter et d’être entendus. L’importance des médias sociaux en est l’exemple le plus flagrant. Le management devra se transformer pour garder le contact en permanence avec ses collaborateurs, afin qu’ils se sentent soutenus et qu’ils sachent vers qui se tourner en cas de difficulté. L’attitude de la communication managériale devra aussi être d’égal à égal. Il est nécessaire de faire abstraction du rapport de dominés et dominants démontré par la critique du lien entre la raison et la domination dénoncée par l’Ecole de Frankfort. Je crois que la génération Y est prête à ne plus se sentir dominée, et le rôle de dominant ne l’intéresse probablement pas non plus. D’un autre coté, il faudra accepter que certaines personnes ne veuillent pas adhérer à un mouvement et peut-être laisser les individus se détacher de l’entreprise pour suivre une voie différente pour que les hommes et les femmes puissent apprécier de travailler ensemble. Je conclurai en disant que toutes les méthodes de motivation connues seraient efficaces sur le long terme si l’entreprise changeait d’objectif pour créer un environnement des affaires réellement centré vers le bien-être des hommes et des femmes qui participent à sa croissance, au même titre que l’argent qui lui est nécessaire pour rester en activité. Cela génèrerait une société plus en harmonie avec les recherches du style de vie de la génération Y. Ceci pourrait être une belle histoire pour leurs parents, qui ne revendiquaient ni plus ni moins que cela lors des événements de mai 1968 en France.