1. Marc-Emmanuel PRIVAT
Zone d'activités concertées Les Hauts de Malesherbes
Tower Flower – Édouard François.
A l'heure de la « green-mania » qui donne libre cours à beaucoup de contresens et d'exagérations, la
Tower Flower d'Édouard François, se distingue. Ici point de panneaux solaires ou d'éolienne, de
dispositif complexe et coûteux mais une intégration originale de la nature dans le bâti qui, au-delà
de la performance purement technique ou de la quête exaltée d'un esthétisme décalé, cherche à
améliorer le confort des occupants. Faisons le tour de cet objet architectural non identifié.
Avant de se pencher sur le bâtiment proprement dit, il est nécessaire de s'intéresser à la zone
d'activités concertées et à son rapport avec le quartier. La Z.A.C. des Hauts de Malesherbes souffre
du syndrome du « village gaulois ». C'est dommage. Pourtant, elle présente une certaine harmonie :
un cœur d'îlot en forme de parc arboré et des façades plus ou moins végétalisées. Mais elle est en
décalage complet avec le quartier alentour, défiguré par les infrastructures de transport (boulevard
Berthier en deux fois deux voies, boulevard périphérique, voies ferrées partant de la gare Saint
Lazare, RER) et les entrepôts; celui-ci paraît sans vie : il y a peu ou pas de commerce de proximité
en pied d'immeuble. Il faut aller jusqu'au croisement de l'avenue de la Porte d'Asnières et du
boulevard Berthier pour trouver les premières boutiques. La création de cette Z.A.C. aurait dû
intégrer des commerces et/ou divers services en rez-de-chaussée. En observant cela, on comprend
ce que Bernard Huet voulait dire lorsqu'il parlait de « l'architecture contre la ville ». Gageons que le
travail en cours et à venir sur les Batignolles permettra une réflexion plus vaste sur le quartier situé
entre les portes de Clichy et d'Asnières.
Approchons nous. La façade nord est la seule des quatre à ne comporter que quelques pots de
bambous, placés aux extrémités est et ouest; du coup, son béton bicolore saute aux yeux. Elle est
située sur la rue Albert Roussel et contribue à la tristesse de la rue. En revanche la façade sud, qui
donne sur le cœur d'îlot, constitue une continuité avec le jardin. Édouard François explique qu'il a
voulu faire monter le jardin sur la façade et le rendu est assez réussi : l'impression ressentie est celle
d'une vague verte sans solution de continuité. Pour la façade ouest, située au droit de la place Louis
Bernier, le raisonnement est inversé : c'est l'environnement qui s'adapte peu à peu à la façade.
Aujourd'hui l'impression qui domine est celle d'un glacis. Mais lorsque les arbres plantés sur la
place auront suffisamment poussé, ils rappelleront les bambous, les pavés auto-bloquants gris
faisant eux le lien avec une des teintes de la façade.
La façade est, qui accueille l'entrée de l'immeuble, connaît un sort similaire à la façade sud : le
jardin du cœur d'îlot a colonisé, de façon luxuriante, l'espace laissé libre entre l'immeuble d'Edouard
François et l'immeuble voisin; du coup, même si cette façade est relativement proche de celle de
l'immeuble voisin, l'impression de continuité entre jardin et façade se retrouve.
Un peu plus près. Le choix d'un béton bicolore blanc/gris paraît au premier abord contestable : il
laisse la désagréable impression d'un travail non fini ou pire que des tâches d'humidité saline
apparaissent sur le béton.
Le fait que les planchers présentent un débord et ne soient pas alignés les uns par rapport aux autres
renforce la volonté de l'architecte de prolonger le jardin verticalement : la rupture dans la régularité
accroît l'impression d'une édification naturelle.
Par ailleurs le choix de bacs « d'infrastructure », qui font corps avec le bâtiment tant
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structurellement (intégration en partie basse au plancher des balcons par un joint torique et en partie
haute au garde-corps) que du point de vue de la continuité du matériau renforce l'hybridation entre
la nature et la construction humaine. L'implantation irrégulière des pots souligne l'irrégularité de la
nature.
Enfin le choix de bambous à larges feuilles, opulents, associés aux éléments précédemment
présentés, fait ressembler l'immeuble à une sorte d'arbre monstrueux, résultat d'une hybridation
entre la ville et la nature : un jardinier, mi-démiurge, mi-Frankenstein, aurait eu recours à l'art
topiaire pour façonner cet arbre dont les murs en béton bicolore figurent les variations de l'écorce,
les plans les branches maîtresses, les pots les rameaux et les bambous les feuilles.
Entrons dans la place. L'absence de hall intégré au bâtiment abolit la frontière entre l'extérieur et
l'intérieur, emboîtant en cela le pas au passage du jardin à la façade sans solution de continuité.
C'est un appel à une nouvelle façon d'habiter, dans laquelle les espaces communs, lien entre l'espace
public et l'espace privé sont réduits à leur plus simple expression. Les contraintes de sécurité n'ont
pas permis de pousser la logique à son terme : l'espace commun aurait été encore plus proche de
l'effacement si l'ascenseur s'était ouvert directement sur la rue et non sur un préau barreaudé
accueillant les boîtes aux lettres. Du coup, hormis l'économie générée, l'exercice n'a qu'un seul
intérêt, non négligeable, celui de poser la question des espaces communs dans le logement collectif.
Faut-il aller à l'encontre du courant actuel, qui voit l'enclosure des portions de l'espace public, et au
contraire publiciser les espaces communs pour transformer tout logement collectif en lotissement
vertical de « maisons » individuelles ?
L'ascenseur vitré permet de voir à la fois l'extérieur et les circulations horizontales. Cela participe
de la volonté de fluidité entre espace extérieur et espace intérieur. En revanche la vue vers le dehors
est sérieusement limitée par l'omniprésence des bambous. Qui emprunte l'ascenseur, semble monter
dans un arbre. C'est sans doute plaisant au début mais je conçois que l'on puisse également avoir
très vite une sensation d'enfermement et d'une nature oppressante.
Dans les circulations, l'impression est mitigée. Certes l'ascenseur vitré qui donne sur l'extérieur
apporte de la clarté. Mais le parti de retenir également un mélange de béton blanc/béton gris pour
les parois et une moquette rouge pour le revêtement de sol, pendant que l'éclairage est composé de
tubes fluorescents rouges nus et de lampes sans luminaires, plonge le visiteur et sans doute aussi
l'occupant dans un sentiment de malaise. D'autant que le remplacement des éclairages, comme
souvent dans les parties communes, laisse à désirer : les tubes fluorescents vieillissent et rendent
une lumière rosâtre; les lampes, au fil de leur changement, ne sont plus identiques : certaines sont
mates, d'autres transparentes, certaines encore à incandescence, d'autres fluocompactes, les
dernières halogènes, créant une disharmonie. Le seul élément positif relevé est l'interdiction faite
aux occupants de pouvoir poser un essuie-pieds personnalisé; on évite ainsi les « bienvenue », les
chats et les hérissons disgracieux. Les contraintes de coût du maître d'ouvrage ne peuvent expliquer
complètement ces choix, compte tenu de ceux effectués pour les interrupteurs d'éclairage et de
sonnettes. Il aurait été plus judicieux de mener à son terme la logique minérale et de proposer un sol
en béton bicolore ou enduit. Pour l'éclairage, la solution des lampes nues se défend mais sans
l'adjonction des tubes fluorescents et avec une obligation de réampoulage uniforme.
Le recours aux plans libres dans les logements permet aux occupants de bénéficier de plateaux
aménageables à volonté. Cette organisation offre l'évolutivité des logements, ce qui est un avantage
non négligeable aujourd'hui. L'arrivée d'un enfant, ou au contraire son départ, ou la recomposition
des familles entraîne une modification des besoins qui est souvent la cause d'un déménagement. Il
peut être évité par ce système, qui devrait être généralisé. Le choix d'implanter les séjours aux
angles du bâtiment, à chaque fois que cela fut possible, est judicieux : les appartements disposent
ainsi d'un séjour à double exposition.
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L'omniprésence des bambous, vue depuis les appartements, est ambivalente. Elle apporte un bien-
être aux occupants en terme climatique et phonique et permet des économies de chauffage. Mais
dans le même temps elle peut assombrir les pièces voire, comme dans l'ascenseur, s'avérer à la
longue oppressante. D'autant que la taille des bacs limite l'espace disponible sur les balcons, rendant
ceux-ci presque inutilisables : on peut s'y tenir mais sans doute pas y installer une table, si petite
soit-elle. C'est dommage que cet espace ne soit que purement technique et décoratif. Cependant les
bambous envahissants ne semblent pas gêner certains occupants qui ont accroché des balconnières
aux garde-corps, dans les espaces laissés libres entre les bacs à bambous. Cet accrochage est
symbolique du conflit entre uniformité esthétique globale au niveau du bâtiment et volonté légitime
de personnalisation de l'espace privé. Faut-il autoriser ces balconnières au nom du droit à une libre
disposition de son espace ou au contraire les interdire pour défendre l'esthétique voulue par
l'architecte ? Je penche pour la seconde solution. Il faut restreindre cette liberté au nom de
l'harmonie esthétique qui profite à l'ensemble des occupants mais également aux passants.
Par un système ingénieux de circulation de l'eau de pluie dans des conduites intégrées aux garde-
corps, les bambous sont arrosés automatiquement, ce qui exonère l'occupant de cette contrainte.
Mais, comme tout système automatique, celui-ci peut avoir des défaillances. L'occupant doit donc
tout de même vérifier régulièrement que la plante est bien alimentée en eau : il est ainsi rendu
responsable de son environnement, ce qui est appréciable. Si l'on en croit le nombre réduit de
bambous qui apparaissent secs, le système semble être une réussite ou les occupants
particulièrement responsables.
Enfin le choix de garde-corps en béton donne une unité à l'ensemble : c'est l'alliance du minéral et
du végétal, du béton et des bambous, sans concession.
Juliette Guépratte et ses co-auteurs1 qualifient l'œuvre d'Édouard François par les trois néologismes
suivants : archétyptecture, anarchitecture et aphroditecture. Est-ce que la « Tower Flower » entre
dans l'épure ? Je ne sais. En revanche, elle marie de façon poétique le béton et le végétal, ne
ressemble à rien d'autre et ne laisse pas indifférent. Il est simplement dommage que la logique de
traitement binaire minéral/végétal n'ait pas été retenue pour les circulations intérieures. Quant au
confort réel des habitants, la question reste entière : il ne faut certes pas souffrir de claustrophobie
mais la « Tower Flower » ne semble pas non plus n'être qu'un objet archisculptural.
1 B2B2SP Edouard François, Juliette Guépratte, Isabelle Bourgeois, Dominique Alba, Marie Darrieussecq, Paris,
Archibook+ Sautereau éditeurs, 2008.
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