Dans l'univers du luxe, parler de sa marque, étendre son territoire d'activité, s'associer avec d'autres marques, etc... est capital pour entretenir son patrimoine d'image et continuer à susciter le rêve. quelques exemples montrent que les marques - dont beaucoup se disent "maison", c'est un signe fort - orchestrent leur image avec maestria.
1. En Couverture60 Luxe 61
La clientèle du luxe est en en perpétuel mouvement, elle se renouvelle, fluctue, évolue régulièrement. Son épicentre se déplace en même temps
que celui de la richesse et de la croissance dans une économie mondiale qui se métamorphose sans cesse. C’est un véritable défi pour le luxe.
Comment à la fois capitaliser sur son patrimoine de marque, élargir son offre, intégrer les nouvelles technologies, étendre son territoire de marque
et répondre aux attentes d’une clientèle très aisée, grande voyageuse et exigeante, dont les codes culturels ne sont pas les mêmes partout ?
Isabelle Hossenloop
COMMENT LES MARQUES ENTRETIENNENT LE RêVE
dans les coulisses du LUXE :
L
es clients du luxe aiment être surpris et séduits. Mais ils sont discrets
sur leurs attentes, et souvent difficiles d’accès. C’est donc aux marques
de savoir lire en filigrane, deviner les ressorts de leurs désirs, se réin-
venter et anticiper en permanence. Et ne jamais oublier que, pour perdurer,
leur patrimoine reste leur atout maître.
PRECIEUX PATRIMOINE
Si les marques mettent en lumière leur passé, c’est parce que celui-ci leur
donne une légitimité incontestable dans un monde où les clients sont envahis
par les marques, sur-sollicités et surinformés, et ont besoin de repères solides et
rassurants. C’est encore plus vrai dans le luxe, où la référence au patrimoine offre
une sérénité, un ancrage sûr, une garantie de ne pas se tromper. Expositions,
événements, beaux livres, voire livres d’art en série limitée et hors de prix : rien
n’est trop beau pour célébrer brillamment l’histoire des belles maisons. Louis
Vuitton et Hermès ont mené tous deux en 2011 une opération de découverte de
leur patrimoine à travers des ateliers et des journées portes ouvertes. Yves Saint
Laurent en 2011, Van Cleef & Arpels en 2012, Cartier bientôt, en décembre
2013, nous enchantent avec de merveilleuses expositions où le vintage éclaire le
présent. Les maisons communiquent continuellement sur leur patrimoine, en
particulier autour des dates anniversaires, une excellente façon de rappeler l’an-
cienneté et l’expérience, donc l’expertise, et de raviver le rêve et la confiance. Par
exemple, en 2011, la maison Jaeger LeCoultre redessine sa mythique Reverso,
lance le modèle Ultra Thin Tribute to 1931, et fait renaître la légende : « Il y a
bien longtemps, en 1931, dans un tourbillon de poussière et le martèlement des
sabots des chevaux, une idée voyait le jour : une montre dont le cadran pouvait
se mettre à l’abri des chocs… ». La même année, Mercedes fête les 125 ans de
l’invention de la première automobile par Gottlieb Daimler and Carl Benz (eh
oui : Ford, ce sera plus tard, en 1908 !).
En 2012, Chanel Joaillerie lance une collection hommage aux bijoux de
diamants créés par Coco Chanel en 1932, ces mêmes bijoux historiques qui
avaient contribué à implanter la légitimité du nom dans la cour des grands,
place Vendôme, il y a bientôt vingt ans. En 2013, Aston Martin célèbre
ses 100 ans avec une rétrospective, tout au long de l’année, sur ses lieux
et ses modèles de légende. Bang et Olufsen, qui équipe les bolides d’une
acoustique de salle de concert, lui rend un très bel hommage à travers le
film Congratulations on 100 years of Aston Martin montrant le trajet paral-
lèle des deux maisons, deux légendes de génie, de défi et d’ingéniosité :
« Both companies were born of visionaries, not just founders ».
LA CONQUETE DE NOUVEAUX TERRITOIRES
L’association de marques, ponctuelle ou fidèle, est fréquente pour attirer une
nouvelle clientèle, bénéficier d’un effet de réciprocité, rajeunir ou modifier la
perception d’une marque. Mercedes s’est, entre autres, associé avec Giorgio
Armani pendant les Fashion Weeks pour toucher une clientèle jeune et élégante,
puis avec IWC (qui a réalisé une édition limitée à cette occasion) pour attirer
l’attention des connaisseurs et des collectionneurs d’horlogerie. Patek Philippe
s’est associé avec le joaillier Tiffany pour le cinquième anniversaire de leur
partenariat à New York (Tiffany abrite l’horloger dans sa mythique boutique
new yorkaise). Et quand Chanel décide de faire défiler sa collection Métiers
d’Art dans le palais de Linlithgow près d’Edimbourg, on peut aussi parler
d’association de territoires de marque, l’Ecosse étant liée à l’histoire de Coco
Chanel, et même à l’histoire de France. Au-delà de ces associations qui ont un
effet d’image certain, toutes les maisons de luxe étendent leur propre territoire
de marque, mesurant à chaque pas la pertinence de leur action et étudiant
longuement les retombées de ces lancements avant d’en décider. Il en va de
leur crédibilité à long terme. Ces nouvelles activités ne créent pas seulement du
chiffre d’affaires : elles leur donnent une visibilité supplémentaire et de nouveaux
« points d’entrée » auprès de leurs clients, mais aussi dans la presse et dans les
réseaux de distribution. Elles apportent une perception holistique nouvelle,
moderne et dynamique de la marque, l’image d’un monde dans lequel le client
se reconnaît, dont il fait partie. Le sentiment d’appartenance à un univers de
marque est une tendance forte aujourd’hui.
Ainsi Berluti, porté en 1993 sur les fonds baptismaux de LVMH - qui a toujours
su faire grandir ses nouveaux venus - vient de lancer une collection de prêt-à-
porter en reprenant les codes qui ont fait le succès de la marque (les matières
nobles, le fait main, le cuir, la patine, les couleurs chic et discrètes) et s’apprête
à développer le sur-mesure, comme le veulent aujourd’hui les nouveaux clients
du luxe. Egalement fidèles à leur patrimoine historique, d’autres marques se
lancent sur de nouveaux territoires, comme Ralph Lauren avec une collection
de joaillerie en 2011 (qui ne s’éloigne pas de son univers Nouvelle Angleterre
adepte de polo) ou Louis Vuitton, qui ouvre un Cabinet d’Ecriture dans un
superbe écrin, l’ex-boutique phare d’Arthus Bertrand en plein cœur de Saint-
Germain-des-Prés, et met en scène des pièces historiques reliant la marque au
monde de la littérature… lequel se tient traditionnellement à bonne distance
du luxe. Louis Vuitton édite à l’occasion un livre chez Gallimard dans lequel des
auteurs connus parlent de légendes de malles. Une façon habile de rappeler que
la marque ne s’adresse pas qu’aux fashionistas, mais aussi à l’intelligentsia.
Visite de l’usine Aston Martin par la reine Elisabeth II, ici àccompagnée de David Brown, propriétaire de la marque (années soixante).