Arrivées et départs dans le pays de Lorient : profils et localisation. Commun...
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1. ANALYSER LA DYNAMIQUE QUI CARACTÉRISE LA MONTAGNE
LIMOUSINE, COMPRENDRE EN QUOI ELLE RÉPOND AUX BESOINS DE
CE TERRITOIRE ET RÉFLÉCHIR AU MOYEN DE LA CONFORTER
Rapport intermédiaire de l’étude-action conduite par la Scop Sapie pour la Fondation de France et De Fil en Réseaux
Limoux le 18 avril 2012
2. I/ PRÉSENTATION DU PLATEAU DE MILLEVACHES
Territoire doté d’une forte spécificité géographique et historique, Plateau de Millevaches a fait l’objet de très
nombreuses études (thèses, monographies…) géographiques, historiques, sociologiques, économiques…
Sachant que l’objectif principal de notre mission est plus tourné vers l’action que vers l’étude, il nous a semblé
qu’un florilège d’extraits de quelques uns de ces documents, pouvait non seulement permettre à chacun d’avoir
en mémoire, au moment d’en analyser les enjeux, une carte postale du territoire, mais aussi de fournir une
première grille de lecture systémique de sa complexité.
Deux contraintes cependant à cet exercice, celle de faire un choix de périmètre pour le territoire pris en compte et
de l’année de référence pour ce qui est des données statistiques. Nous avons donc opté :
En ce qui concerne le périmètre de retenir celui du Parc Naturel Régional (sachant le plateau de
Millevaches stricto sensu, « la montagne limousine » ou encore « les plateaux limousins » sont tout
aussi fréquemment évoqués et recoupent des périmètres différents).
En ce qui concerne les données socioéconomiques disponibles à l’échelle du périmètre du PNR de
Millevaches, de prendre pour base l’étude réalisée par INSEE pour le PNR en 2005 (mais sur la base du
RGP de 1999), aucune autre approche consolidée n’ayant été réalisée semble t-il depuis cette date
(Cependant le PNR a engagé depuis la révision de sa Charte et devrait donc logiquement commander à
l’INSEE une nouvelle étude dans les mois qui viennent).
Le territoire
Le Parc Naturel Régional (PNR) de Millevaches s'étale donc sur les trois départements limousins, même si une
large majorité des 117 communes qui le composent sont corréziennes. La commune la plus peuplée, Meymac,
totalise 2 600 habitants. La ville importante la plus proche est Ussel, au sud du parc, à sa périphérie immédiate.
« Millevaches » signifie mille sources : le pays donne naissance à de nombreux cours d'eau. La Vienne, la
Creuse, la Corrèze, la Vézère sont les plus importants.
Cependant, le territoire est à l'écart des grands axes de communication. Seule l'autoroute A89 l'effleure au sud.
Depuis une quarantaine d'années, la baisse de la population a continué, même si elle semble se ralentir. Entre
1990 et 1999, le PNR perdait en moyenne 300 habitants par année, alors que l'hémorragie annuelle atteignait
400 personnes entre 1982 et 1990 et 500 pendant les sept années précédentes. En quarante ans, le territoire a
ainsi vu partir un tiers de sa population qui a atteint 38 400 personnes en 2002.
Le territoire de Millevaches en Limousin, l’un des territoires les mieux préservés de France, est caractérisé par
une richesse patrimoniale naturelle exceptionnelle. Cette richesse est liée en particulier à une forte présence de
zones humides.
Territoire château d’eau, doté d’une forte pluviométrie et d’un sous-sol imperméable, le territoire Millevaches se
caractérise par un dense réseau hydrographique qui trace, dans un axe est-ouest, la ligne de partage des eaux
entre les bassins versants de la Loire et de la Garonne qu’il alimente conjointement.
La qualité exceptionnelle des paysages et des sites, la richesse du patrimoine architectural et bâti induisent un
potentiel touristique fort pour le territoire Millevaches.
La démographie
D’un point de vue démographique, le PNR de Millevaches apparaît comme un territoire à la fois singulier et
classique dans le contexte limousin et des espaces ruraux limousins en particulier.
Il se distingue en effet par ses faibles densités d’occupation (38 679 habitants en 2006 pour 3 142 km2, soit 12,3
habitants/km2 tableau 3) mais également par sa perte continue de population, bien que minime sur la dernière
période intercensitaire.
3. Entre 1990 et 1999, le PNR perdait en moyenne
300 habitants par année, l'hémorragie annuelle
atteignait 400 personnes entre 1982 et 1990 et
500 pendant les sept années précédentes. En
quarante ans, le territoire a ainsi vu partir un tiers
de sa population qui a atteint 38 400 personnes en
2002.1
Aujourd'hui la population du PNR est en légère
diminution entre 1999 et 2006. Ce chiffre cache un
solde migratoire largement positif qui ne réussit
pas à compenser complètement un solde naturel
largement déficitaire.
Dans le détail, ce tassement démographique,
moins prononcé depuis le début des années 2000,
est classiquement dû à un solde naturel largement
déficitaire que ne peut compenser un solde
migratoire pourtant excédentaire.
Cette évolution est d’ailleurs en partie due à une
particularité de Millevaches en ce que le territoire
apparaît plus attractif (à l’égard des néo-
Limousins) que la moyenne régionale, y compris
que les seuls espaces ruraux, et notamment en ce
qui concerne les nouveaux résidents de nationalité
étrangère. Au point que les néo-Limousins de plus
de cinq ans arrivés au cours de la dernière période intercensitaire représentent plus de 11 % de la population
totale des plus de cinq ans.
On peut estimer que ces flux d’arrivées ont en outre eu tendance à s’être renforcés au cours de ces toutes
dernières années à l’image de l’arrivée de l’ensemble des néo résidents (qui peuvent être originaires du
Limousin).
Au total, et même s’ils ne sont pas tous plus jeunes que la moyenne des résidents millevacois, les néo-Limousins
contribuent globalement au rajeunissement de la population ou, à défaut, au ralentissement de son vieillissement.
Cependant la population âgée de moins de quarante ans devrait continuer à se raréfier. La part des aînés de 75
ans ou plus pourrait représenter 18 % de la population du parc naturel en 2015, soit quatre points de plus qu'en
1999. Ceci s'explique par le déficit de naissances, ainsi que par le solde migratoire (différence entre les arrivées
de population et les départs) qui, bien que positif depuis quelques années, accentue le vieillissement. Ainsi, près
d'un résident sur quatre venu d'une autre région est âgé de 60 ans ou plus. Le solde migratoire est malgré tout
positif pour tous les âges, hormis pour les 15-25 ans, partis occuper un emploi à l'extérieur, ou étudier à Limoges
ou Clermont-Ferrand.
Le niveau de formation et la structure socioprofessionnelle
Il n'y a pas de particularité notoire en ce qui concerne le niveau de formation de la population du plateau. On
constate une évolution un peu plus forte que sur l'ensemble du territoire du Limousin à la diminution du nombre
de personne ayant un niveau inférieur au baccalauréat.
En ce qui concerne les néo-Limousin compte tenu du caractère très rural du territoire du PNR et de l'absence de
ville dépassant les 3000 habitants le taux de personne ayant le baccalauréat et plus (46%) est assez élevé.
La réparation par catégorie socio-professionnelle du PNR se distingue peu de celle de la région hormis pour les
agriculteurs exploitants (+160%) qui marque un certain maintien du nombre d'exploitation malgré une tendance
générale à la baisse.
Les revenus
Sur le PNR, 39 % des revenus déclarés proviennent des pensions et retraites (35 % sur l'ensemble de la région
hormis les aires urbaines de Limoges et de Brive- la-Gaillarde). Ainsi, plus de six foyers fiscaux sur dix ne sont
pas imposés. Il est vrai que les retraités représentent près d'un résident sur deux et parmi ceux-ci, 30 % sont
1 Source : INSEE Limousin – numéros 18 – septembre 2005
4. d'anciens agriculteurs exploitants.
Globalement, avec 8,01 euros de l'heure en moyenne en 2001, les salariés du PNR perçoivent une rémunération
inférieure de cinquante centimes à celle constatée dans l'ensemble de la partie rurale du Limousin. L’écart peut
atteindre un euro dans les industries agroalimentaires ou les industries des biens de consommation.
Les services
Les habitants du parc naturel de Millevaches sont souvent contraints d'effectuer de nombreux kilomètres pour
atteindre les équipements et les services de leur vie quotidienne. Plus d'une personne sur cinq habite à plus de
cinq kilomètres des équipements de base, tels que l'école ou le bureau de tabac.
Avec plus de 800 établissements et 1 700 salariés en 2003, l'artisanat est très présent sur l'ensemble du territoire
où il représente environ 13 % de l'emploi total de la zone.
Comme dans le reste de la région, le tertiaire domine avec plus de 58 % des emplois. L'ensemble « éducation,
santé, action sociale », les services aux particuliers et surtout les services aux entreprises ont gagné des
emplois.
En matière de commerces, les flux internes du territoire s'orientent vers trois bourgs-centres : Eymoutiers, Felletin
et Meymac. En 1998, seulement 24 communes disposent des trois commerces de base (épicerie, boulangerie,
boucherie). Parmi les 80 communes ne comptant aucun de ces trois commerces : 61 sont desservies par un
boulanger et un boucher effectuant des tournées ; 15 sont desservies uniquement par la tournée du boulanger ; 4
ne sont plus du tout desservies.
L’industrie et la filière-bois
Avec 1 850 personnes employées, l'industrie représente 14,4 % de l'emploi total. L'industrie du bois et du papier
domine puis qu'elle représente un quart des effectifs industriels.
En 1996, les 26 scieries présentes sur le territoire représentaient une production de sciage d'environ 127000 m3
chaque année. La moitié d'entres elles scie des résineux, pour les deux tiers du volume total, l'autre moitié des
feuillus, pour le tiers du volume. Plusieurs unités importantes sont situées en bordure du territoire, notamment à
Bourganeuf et Felletin pour la Creuse, Sauviat-sur-Vige (Haute-Vienne) et à Egletons et le long de la nationale 89
pour la Corrèze. Ces entreprises représentent plus de 270 emplois directs, auxquels il faut ajouter ceux générés
par l'exploitation et le transport du bois et les services correspondants. Nombre de ces unités ont été
modernisées juste avant et depuis la tempête de 1999 pour faire face à l’augmentation prévue de la récolte et à
l’évolution de la demande, ce qui a contribué à une bonne mobilisation des chablis. Cependant, il n’est pas
possible de préciser l’impact réel de cette activité, les emplois induits n’étant pas individualisés dans les sources
d’information disponibles.
L’agriculture
L'agriculture occupe une place importante avec 20 % des actifs, soit 2 600 personnes. En une douzaine
d'années, d'importantes modifications sont intervenues. Ainsi, de 1988 à 2000, le territoire a perdu près de 1 000
exploitations, soit 35 % du stock initial (évolution conforme à celle de la région hors aires urbaines). Cette
diminution s'accompagne d'une augmentation régulière de leur taille.
La production bovine du territoire représente la production dominante. En une décennie, le cheptel de vaches
allaitantes a augmenté de près de 8 % (avec un accroissement marqué sur les cantons d'Eygurande, Eymoutiers,
Felletin et Bugeat). Le nombre moyen de bêtes par exploitation est passé de 20 à plus de 30.
La production de veaux maigres (broutards en direction essentiellement de la Plaine du Pô) reste l'activité
dominante du secteur bovin (plus de 50 %).
Les exploitations de plus de 75 hectares représentent aujourd'hui 32 % de l'ensemble, soit vingt points de plus
qu'en 1988, et leur part dans la surface exploitée est passé de 31 % à 63 %.
Le tourisme
Comptant sur son territoire des sites touristiques complémentaires, le lac de Vassivière, le cœur du plateau de
Millevaches, les Monédières, Meymac, le Parc possède de très nombreux atouts touristiques : environnement
naturel de qualité, patrimoine bâti remarquable. Toutefois l’offre touristique souffre de certaines inadéquations
avec la demande, aussi l’activité touristique n’a pas pris d’essor considérable sur le territoire.
L'activité touristique repose essentiellement sur les mois d'été. On passe ainsi de 200 emplois liés au tourisme
durant le premier trimestre, à 300 au cours des mois suivants. Les 600 emplois sont atteints en juillet et en août,
puis on retrouve assez vite le niveau observé en début d'année. Cette chute à l'automne est beaucoup plus
limitée dans la région hors aires urbaines de Limoges et Brive-la-Gaillarde ; durant les deux mois d'été, 3 500
5. personnes y sont occupées à des activités touristiques, 2 000 à 2 500 le reste de l'année.
6. II/ RENCONTRE AVEC LES ACTEURS ET ANALYSE SYSTÉMIQUE
Les structures
Lors de la première phase de notre
mission, nous avons rencontré dix-huit
structures (panel d’acteurs choisis par De
Fil en Réseaux), représentatives de la
diversité des activités et statuts qui
caractérisent la dynamique
socioéconomique des nouveaux
habitants du Plateau.
Ces six entreprises (SCOP, SCIC, SARL,
SAPO) et ces douze associations (dont
on trouvera la liste en annexe) sont
majoritairement des initiatives récentes
(61 % des structures créées après 2000),
couvrent un large champ d’activités
(environnement, agricole, culturelle,
enfance/jeunesse, tourisme,
communication, informatique, commerce,
création d’emplois, insertion sociale et
professionnelle, habitat) touchant
principalement les habitants du territoire
du PNR de Millevaches.
Les partenaires
Parallèlement, des contacts ont été pris avec un panel de partenaires institutionnels et financiers qui observent,
accompagnent et financent les dynamiques socioéconomiques à l’œuvre sur le Plateau.
Nous avons ainsi rencontré des élus et des techniciens :
Des communautés de communes de Bourganeuf et du Plateau de Gentioux
Du Parc Naturel Régional du Plateau de Millevaches
De la Région Limousin
Des structures d’accompagnement pour les entreprises et les associations :
Limousin Active
Le DLA de la Creuse
Des acteurs disposant d’une expertise particulière :
Un ingénieur du Centre Régional de la Propriété Forestière
Le Président de la commission Paysage du PNR (un ancien élu corrézien)
Un ancien agent de développement, aujourd’hui secrétaire général de l’Assemblée des communautés
de France (ADCF)
7. TABLEAU RÉCAPITULATIF DES STRUCTURES RENCONTRÉES
Date
Initiatives Statuts Activités Territoire Public
créa.
Aide aux enfants défavorisés –
solidarité envers les familles, Enfants en situation de
ADPEP de la
Asso. 1916 accompagnement des enfants en Département handicap, enfants de
Creuse
situation de handicap, gestion familles défavorisées
d’établissements ( CMPP,…)
Scierie, fabrication et vente directe de
Ambiance PNR et
SAPO 1988 bois pour l’éco construction, Particuliers, entreprises
Bois alentours
l’aménagement et la rénovation
Jeunes et public en
Auto-école 23 Asso. 2010 Auto école sociale Département insertion ou public en
grande précarité
Instance de Réseau de bénévoles auprès des Canton de Pers. âgées (41) et 23
Asso. 1983
coord. géronto pers. âgées Sornac bénévoles)
Région
Cesam Oxalis Scop 2006 Coopérative d’activités et d’emplois Créateurs d’entreprise
Limousin
Ressourcerie (collecte, valorisation, CC d’Aubusson
Habitants, Association,
Court Circuit Asso. 2010 vente des encombrants et Felletin et
Scolaires, Jeunes
sensibilisation) alentours
Animation (lieu d’accueil), Salariés, bénévoles
PNR
Ctrl - A Asso. 2006 sensibilisation et formation à l’usage d’associations, et grand
Millevaches
des TIC, promotion du logiciel libre public
Associations,
Animation du réseau d’acteurs, entreprises
De Fil en accompagnement de projets coopératives,
Asso. 2005 PNR
Réseaux individuels et collectifs sur le plateau collectivités du
limousin territoire, porteurs de
projet
Exploitation agricole en polyculture CC Portes de
élevage, production écoulée en vente Vassivière,
GAEC Champs
GAEC 1996 directe, à l’origine de la création Bourganeuf et Habitants du territoire
Libre
d’une association culturelle Royère de
Contrechamps Vassivière,
Logement/restauration et
Jeunes adultes dans la
FJT de Tulle Asso. 1982 accompagnement des jeunes en Département
vie active
mobilité
Création de logements en neuf ou en
PNR et autres
rénovation sociale et en éco Collectivités locales,
L’Arban (SCIC) SCIC 2008 territoires du
construction, et assistance à maîtrise futurs habitants
Limousin
d’ouvrage pour les collectivités
Multi services (bar, brasserie, Habitants du territoire,
L'atelier SARL 2003 PNR
restaurant, boutique) touristes
Sensibilisation et éducation à
Le Battement
Asso. 2005 l’environnement et au développement Pays de Tulle Tous publics
d'aile
durable.
Animation et services pour la
Les Plateaux PNR
Asso. 1974 jeunesse et les familles – accueil de Tous publics
Limousins Millevaches
nouveaux arrivants et de touristes
Les Petits Activités Petite enfance (micro CC de Bugeat - Familles avec des
Asso. 2008
Bouts crèche, lieu d’échange entre parents) Sornac jeunes enfants
Epicerie, café, lieu de vente de CC du Pays de
Li en Goure Asso. 2008 Habitants
produits locaux Nexon
Culture : créer des dynamiques par PNR Tous publics, scolaires,
Pays Sage Asso. 1989
l’action culturelle Millevaches jeunes, artistes
Presse et articles
Scop La
Scop 2007 Agence de communication National et PNR revues ESS et
Navette
associations
8. Une lecture systémique
De ces entretiens dont la matière est extraordinairement riche ainsi que de la lecture de nombreux documents
(études, rapports, documents d’aménagement…), nous avons tenté d’effectuer une première lecture systémique
en proposant de partager une clé qui nous est très vite apparue évidente : il n’y a pas un Plateau de Millevaches,
mais trois plateaux qui « se superposent sans pratiquement se toucher » :
Le Plateau de Millevaches au sens géographique et économique tout d’abord, celui de la « carte
postale » présentée plus haut. Essentiellement forestier et agricole, potentiellement touristique et
réserve de biodiversité, ce plateau est au service d’une économie d’exportation de matière première,
dont les leviers sont largement exogènes.
Le Plateau du « réseau des acteurs de la Montagne limousine » ensuite, une appellation qui a un temps
fédéré les nouveaux arrivants et les pionniers autochtones du renouveau de ce territoire engagé dès la
fin des années 70. Mythique et charismatique, attirant et accueillant, ce plateau est celui des très
nombreuses initiatives innovantes et solidaires qui constituent l’objet de la présente étude action.
Le Plateau vu de l’extérieur enfin, ce laboratoire d’innovation sociale mais aussi creuset contestataire,
qui fascine et agace les institutions qui lui reconnaissent son talent mais déplorent sa marginalité.
1/ Le plateau « physique »
Décrit de manière exhaustive dans le diagnostic et la charte du Parc Naturel Régional, étayées notamment par
une note de l’INSEE en date de 2005, ce plateau de Millevaches forestier, agricole, touristique et patrimonial a
fait l’objet de la part de nos interlocuteurs, d’appréciations convergentes sur :
La problématique forestière (entretiens avec le directeur du PNR, un ingénieur forestier du CRPF, un
propriétaire forestier ancien maire et conseiller général) qui met en évidence une forme de fracture
entre la forêt et les habitants :
o Une forêt « fille du désespoir et de l’exode rural » dont les propriétaires n’habitent plus le
territoire et la présence envahit le paysage.
o Une matière première récoltée « industriellement » dont la transformation (et donc la valeur
ajoutée) se fait en dehors du territoire.
La problématique agricole (entretiens avec trois agriculteurs, le PNR, le CRPF, les communautés de
communes du Plateau) qui met en évidence la prédominance de l’élevage bovin viande :
o Principalement axé sur la production de veau broutard destiné à l’exportation vers l’Italie.
o Organisé sur un modèle extensif et mécanisé ainsi qu’un agrandissement spectaculaire de la
taille des exploitations.
o Très dépendant des aides de la Politique Agricole Commune pour son équilibre économique.
La problématique touristique (entretiens avec le PNR, les présidents de communauté de communes, le
Conseil Régional) qui met en évidence la volonté du Conseil Régional de faire du Lac de Vassivière
une destination touristique et culturelle de premier plan, tandis que d’autres acteurs (président de la
commission Paysage du PNR) verraient plutôt l’opportunité de développer un tourisme doux (durable,
axé sur la nature et l’environnement) tout au long de l’année, sur le modèle irlandais.
La problématique environnementale (entretiens avec le PNR et les présidents de communauté de
commune) qui met en évidence les enjeux pour l’avenir, d’un territoire encore très préservé dont la
vocation de réserve de biodiversité, de gestion des zones humides et de son rôle de château d’eau
apparaît évidente.
Le paradoxe d’une économie agricole et forestière qui ne produit quasiment pas de retombées locales
(peu d’emplois et peu de valorisation) et d’une économie touristique balbutiante, au regard d’une
reconquête démographique qui se joue sur un tout autre plan comme on le verra ci-dessous.
2/ Le plateau du « réseau des acteurs de la montagne limousine »
C’est en effet sous ce vocable que s’est concrétisée il y a dix ans, la première forme de fédération des initiatives
sociales et économiques innovantes qui se sont développées sur le plateau de Millevaches dès les années 80.
Aujourd’hui baptisée « De Fil en Réseaux » cette association constitue en quelque sorte la tête de pont
institutionnelle des dizaines d’associations, d’entreprises et d’initiatives informelles qui se sont créées sur le
9. Plateau, animées pour l’essentiel par les générations successives de nouveaux habitants venus s’installer depuis
trente ans.
Au travers des témoignages des acteurs eux mêmes (les 18 structures rencontrées) mais aussi de leurs
partenaires institutionnels, c’est l’image d’un plateau rebelle, créatif, alternatif, en tous cas doté d’une forte
personnalité, voire d’un véritable charisme, qui se dessine :
Un plateau charismatique (histoire de la Résistance pendant la dernière guerre, paysages grandioses,
rudesse du climat et courage des hommes…) et accueillant (volonté précoce d’accueillir des nouveaux
habitants, bienveillance des élus locaux à l’égard des projets atypiques, solidarités entre les habitants…)
qui suscite les vocations d’installation néo-rurale en dépit des handicaps de son isolement et de son
climat. Ces projets d’installation sont le plus souvent des projets de vie (voire des projets idéologiques)
avant d’être des projets économiques.
Des acteurs très divers dans leurs projets et leurs conceptions politiques (mais soudés par un réflexe de
solidarité dès lors qu’il s’agit de défendre la spécificité du Plateau) revendiquant pour la plupart une
démarche alternative à l’économie conventionnelle comme à la société de consommation :
o Les élus locaux (des communes creusoises plus que de celles de la Corrèze semble t-il…) qui
ont été quelques uns il y a trente ans à initier la dynamique d’accueil et qui continuent de
soutenir et accompagner les initiatives prises par les habitants du territoire.
o La génération des premiers arrivés (qui se reconnaissent avec humour dans l’appellation de
« dinosaures ») dont les initiatives économiques (Ambiance-Bois, GAEC Champs-Libres,
SCOP La Navette…), sociales (Association des Plateaux Limousins, VASI Jeunes…) et
culturelles (Télé Millevaches, Contrechamps, Pays Sage…) dont les initiatives innovantes et
pérennes ont structuré la renaissance du territoire tout en lui conférant une notoriété
emblématique dans les milieux du développement local.
o Les arrivants de la dernière décennie (qui se reconnaissent avec tout autant d’humour dans
l’appellation de « blancs-becs ») dont les initiatives plus sociétales (Les Petits Bouts, Li en
Goure, Le battement d’Aile…) ou plus collectives (CESAM-Oxalis, Association Pivoine, De Fil
en Réseaux…), commencent pour certaines à essaimer au delà du noyau central du Plateau.
o De très nombreux acteurs dont la posture est avant tout de « faire » là où il se sont installés, de
répondre à un besoin tout en construisant un projet de vie alternatif, sans se préoccuper de
donner un sens politique à leur action ni de s’organiser collectivement pour défendre leurs
intérêts (L’atelier, Auto-école 23, Ctrl_A, projets agricoles diversifiés, associations locales…).
o Un nombre plus restreint d’acteurs pour qui la fédération des énergies, la coordination des
actions et l’organisation d’un dialogue constructif avec la puissance publique, constituent un
enjeu pour la pérennité de la dynamique du territoire (on y retrouve notamment toutes les
structures membres et administrateurs de De Fil en réseaux) et qui utilisent eux mêmes pour
décrire leurs positionnement, l’image de l’iceberg dont ils seraient la partie émergée, tandis que
les acteurs de terrain en seraient la partie immergée.
3/ Le plateau vu de l’extérieur
Il s’agit plus précisément des représentations que se font les institutions et de manière générale les observateurs
de cette dynamique atypique de développement local du plateau « alternatif » évoqué ci-dessus.
Il nous est en effet apparu dans les discussions avec les partenaires (élus et techniciens des collectivités,
organismes publics et observateurs qualifiés) que le « phénomène » Millevaches les intéressait toujours, les
séduisait ou les fascinait même, les interpellait parfois et les agaçait pour certains :
Ainsi tous les techniciens rencontrés reconnaissent la vitalité et la créativité des initiatives développées
par les acteurs du plateau de Millevaches, tout en insistant sur la spécificité de ce territoire (et par
conséquent sur les limites de la reproductibilité de ces expériences). Ils leur sont gré en tous cas de
stimuler leur réflexion professionnelle, même lorsqu’il s’agit de redoubler d’ingéniosité pour faire passer
certains dossiers auprès de leurs exécutifs.
Quant aux élus leur appréciation diffère selon que leur territoire se situe au cœur même du Plateau (par
exemple le président de la CC du Plateau de Gentioux) ou bien juste en bordure (comme le président de
la CC de Bourganeuf) ou bien encore à l’échelle départementale ou régionale (où nous n’avons pas pu
10. rencontrer les élus contactés) :
o Pour les premiers (élus du plateau) le dynamisme des nouveaux arrivés est une formidable
opportunité de développement, sur laquelle il convient de s’appuyer même quand les projets
semblent atypiques ou peu réalistes.
o Pour tous les autres le regard posé sur le Plateau est constitué d’un mélange d’admiration
(pour ce dynamisme du « triangle d’or » entre Eymoutiers, Bourganeuf et Aubusson), de
scepticisme (par rapport à la pérennité économique de cette dynamique qui repose selon eux
principalement sur des emplois aidés et des subventions publiques) et parfois d’agacement
(pour la place prise par les projets déposés par ces acteurs - au détriment des territoires moins
dynamiques - et leur réticence ouverte à « rentrer dans les clous »).
Pour ce qui est enfin du regard posé par les observateurs que sont notamment les dispositifs
d’accompagnement des entreprises et des associations c’est la question du modèle économique et de
sa pérennité qui est posée, mais avec des réponses positives pour les uns, sceptiques pour les autres.
Il n’en reste pas moins que le rôle de ces partenaires est déterminant pour la consolidation de la
dynamique d’accueil et le développement des initiatives prises par les nouveaux arrivants :
La Région Limousin qui finance DFER et 56 emplois associatifs (pour 45 structures sur 19 communes).
Le Parc Naturel Régional avec l’appel à projet ESS (35 k€ de subventions accordées en 2010) et le
programme Leader qui finance notamment les activités culturelles et les circuits courts.
Les conseils généraux qui financent les actions relevant de l’insertion.
La Fondation de France qui a financé une dizaine de projets sur le Plateau
C’est donc une part de la complexité de ce système d’acteurs et de leurs représentations que nous avons essayé
de représenter dans le schéma ci-dessous, afin de mettre en perspective la lecture de ce qui précède et aborder
la question des enjeux :
Ce schéma permet
d’observer que seuls
le Parc Naturel
Régional et la Région
Limousin (par ailleurs
étroitement liés l’un à
l’autre) semblent à
même d’assurer le
lien entre les deux
premiers plateaux qui
se superposent :
en effet les principaux
acteurs économiques
du « plateau
physique » dont
l’activité dépend de
facteurs exogènes,
n’ont que très peu de
contacts avec ceux du
« plateau alternatif ».
De leur côté les acteurs institutionnels (dont font partie également le PNR et la Région) ont des représentations
contrastées du « plateau alternatif », qui ne facilitent pas toujours la compréhension réciproque avec ses acteurs.
Cette lecture du territoire et de son système d’acteurs en trois plateaux, permet ainsi d’identifier un enjeu central
de la consolidation de la dynamique d’accueil et de développement local de ce territoire : la nécessité de créer
plus de liens et de compréhension réciproque entre ces trois niveaux, qui ne peuvent que gagner à consolider
leurs atouts respectifs pour pallier aux faiblesses de chacun.
11. III/ IDENTIFICATION DES ENJEUX
1/ Forces et faiblesses
Sans avoir la prétention d’établir un diagnostic approfondi du Plateau de Millevaches, les entretiens avec les
acteurs et l’analyse que nous en avons proposé ci-dessus, permettent d’appréhender les principales forces et
faiblesses de sa dynamique socioéconomique :
Forces Faiblesses
Image, charisme et attractivité du Plateau de Millevaches Enclavement géographique et distances de communications
Volonté d’accueil et solidarités locales Difficultés d’accès au logement et au foncier
Inventivité et dynamisme des initiatives et projets d’activité Dépendance des emplois à l’argent public
Diversité et longévité des initiatives socioéconomiques Absence de lien économique avec le « plateau physique »
Structuration du réseau d’acteurs (DFER) Vieillissement de la population et absence de jeunes (16/25)
Menaces Opportunités
Aggravation des coûts énergétiques et difficultés de mobilité Laboratoire d’innovation sociale
Baisse des financements publics et des emplois aidés « Territoire en transition »
« Agacement » des financeurs Mobilisation de l’épargne locale
Fracture entre les «propriétaires» et les usagers du Plateau Formation, éducation populaire et transmission
2/ Convergences et divergences des représentations
De la même façon, la lecture systémique du territoire sur le modèle des trois plateaux, permet d’acter les
convergences et de cerner les divergences entre les représentations des différents acteurs, afin d’affiner la
perception des enjeux :
CONVERGENCES DIVERGENCES
Image, charisme et attractivité du Plateau de Millevaches Des visions du développement forestier, agricole et
Volonté d’accueil et solidarités locales touristique peu compatibles avec la notion de
Inventivité et dynamisme des initiatives et projets d’activité développement local
Capacité d’innovation des acteurs Des doutes sur la pérennité du modèle économique des
projets et initiatives du plateau alternatif
Nécessité de poursuivre et de consolider la reconquête
démographique du territoire Etre ou ne pas être « dans les clous » des programmes ?
Le croisement de ces différents éclairages (systèmes d’acteurs et représentations, forces et faiblesses,
convergences et divergences), permet dès lors de pressentir et d’énoncer sous la forme de questionnements,
trois grands types d’enjeux susceptibles d’impacter la consolidation de la dynamique socioéconomique du « des
acteurs de la montagne limousine ».
Des enjeux stratégiques et politiques pour commencer, car toute démarche alternative risque de se heurter tôt ou
tard aux réactions des acteurs qu’elle interpelle, dérange et donc remet en cause. Faut-il ainsi pour De Fil en
Réseaux et les acteurs du « Plateau alternatif » :
Revendiquer plus explicitement une posture de décroissance et un statut de « territoire en transition »
ou bien avancer masqués, en s’abritant pudiquement derrière le concept d’économie sociale et solidaire
en se donnant un statut de laboratoire d’innovation sociale ?
S’efforcer de mieux encore structurer le réseau des acteurs, afin d’offrir un contexte plus cohérent aux
partenaires institutionnels qui assurent une part essentielle de la viabilité économique des initiatives, ou
bien jouer la dialectique entre le « bouillonnement créatif autogestionnaire » de la partie immergée de
l’iceberg et la « posture responsable » des acteurs de la partie émergée, qui pensent nécessaire de
conforter le dialogue avec les institutions ?
Choisir plutôt d’investir politiquement l’échelon local (les communautés de communes du Plateau et le
Parc Naturel Régional) pour conforter l’ancrage territorial des acteurs ou plutôt parier sur la
multiplication des partenaires publics et privés (Conseils Généraux, Conseil Régional, Etat,
Fondations…) afin de « ne pas mettre tous les œufs dans le même panier » ?
12. Des enjeux opérationnels et prospectifs ensuite, car la manière de faire et les priorités qu’on se donne, sont tout
aussi importantes que le chemin qu’on choisit. Faut-il ainsi pour les partenaires institutionnels et financiers qui
souhaitent consolider la dynamique du Plateau :
Privilégier l’appui institutionnel aux initiatives entrepreneuriales susceptibles de créer plus de
transversalité et de cohérence entre les « trois plateaux » (transformation et valorisation des productions
agricoles et forestières, maîtrise foncière, développement de l’habitat, réponses aux besoins de services
du territoire et des habitants…) et par conséquent d’atteindre plus vite l’autonomie économique tout en
intensifiant la main d’œuvre et en consolidant les emplois créés ?
Encourager plutôt les initiatives sociétales innovantes à se développer sur le modèle d’une « fabrique
citoyenne » qui cherche à mobiliser en priorité les moyens humains et financiers des acteurs locaux, en
limitant au maximum le recours aux subventions publiques et ce qu’elles créent à terme comme
dépendance économique ?
Inciter les associations comme les entreprises à adopter des formes de gouvernance coopérative qui
puissent toujours mieux conjuguer l’autonomie, la responsabilité et la solidarité réciproque des parties
prenantes afin d’en consolider le fonctionnement et d’en assurer la pérennité ?
Des enjeux sociétaux et de cohésion sociale enfin, car la façon de fonctionner ensemble (entre générations ou
entre cultures différentes mais aussi entre nouveaux arrivants et habitants existants…) et la capacité d’acquérir
des compétences constituent sans doute deux des principales clés d’explication de la « success-story »
Millevaches. Faut-il ainsi pour les habitants du territoire :
Essayer d’organiser la transmission de l’expérience et des responsabilités entre les « dinosaures »
(acteurs pionniers du renouveau et du repeuplement du Plateau) et les "blancs-becs » (nouvelles
générations d’arrivants dont les motivations et les cultures de l’action sont parfois très différentes), ou
bien plutôt laisser les nouveaux réinventer le monde avec leurs codes ?
Porter une attention plus soutenue au lien entre les « néos-millevacois » du « plateau alternatif » et les
autres habitants (qu’ils y soient nés ou arrivés plus récemment) dont la relation au territoire est parfois
très différente (agriculteurs conventionnels, travailleurs forestiers, salariés du secteur médicosocial…)
pour prévenir un risque de fracture culturelle et améliorer le « vivre ensemble » ?
Anticiper la question du vieillissement (de la population en général et des acteurs clés du plateau
alternatif en particulier) mais aussi celle de la place des jeunes adultes sur le territoire, en encourageant
les initiatives promouvant la solidarité intergénérationnelle dans les domaines prioritaires de l’habitat et
de la mobilité ?
Consolider les initiatives existantes en matière de formation et structurer un projet ambitieux d’éducation
populaire, qui offre à tous les habitants du territoire une possibilité de développer leur « pouvoir d’agir »
(empowerment) ?
A la lecture de ces enjeux, trois pistes de travail (trois chantiers) apparaissent comme susceptibles de contribuer
à la consolidation de la dynamique des acteurs du plateau et donc également d’une meilleure réponse aux
besoins du territoire :
Un chantier « richesses humaines » qui explorerait toutes les possibilités de faire monter (par l’éducation
populaire, la formation/développement et la facilitation participative) en compétence globale l’ensemble
des acteurs du territoire.
Un chantier « projets structurants » qui explorerait les possibilités d’accompagner en ingénierie et en
financement des projets économiques transversaux (agriculture/alimentation, forêt/bois, foncier/habitat,
foncier/installation, tourisme durable…).
Un chantier « fabrique citoyenne » qui explorerait les possibilités de soutenir l’émergence de projets
sociaux innovants, capables d’hybrider l’argent public et l’argent privé, mais aussi d’associer
différemment, au sein d’une relation coopérative : des usagers, des salariés, des volontaires, des
bénévoles, des philanthropes…
13. IV/ LE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT
L’énoncé des enjeux et des pistes de travail que nous ont permis d’identifier cette approche systémique du
territoire et des ses acteurs, esquissent en creux si l’on y regarde bien, une redéfinition possible du concept de
développement local.
Le concept de développement local dispose en effet d'autant d’acceptions, que de décennies (depuis sa
naissance dans les années 70) et que d’enjeux institutionnels pour les collectivités publiques qui en ont fait un
axe de leurs politiques territoriales.
Comme bien des approches innovantes, le concept de développement local (développement endogène des
territoires en marge des grands flux du marché) a connu un cycle « expérimentation / institutionnalisation /
immobilisation » qui lui a fait perdre, trente ans plus tard, une grande partie de sa pertinence.
Par ailleurs, d’autres concepts plus récents (sans doute voués au même sort) comme celui de développement
durable, d’économie sociale et solidaire ou encore de territoires en transition sont venus interférer avec celui de
développement local, tandis que les générations successives d’appels à projets et de programmes publics
empilaient les définitions et les critères les uns par dessus les autres.
Le développement local est donc sans doute à réinventer, dans un contexte inédit où nos sociétés sont
aujourd’hui confrontées simultanément à trois crises majeures, économique, écologique et sociétale.
Or il apparaît que les acteurs du Plateau de Millevaches, qui ont su conjuguer depuis trente ans bouillonnement
créatif et réticence à l’institutionnalisation, continuent de développer des projets dont la capacité d’adaptation et
d’innovation donne, à notre avis, des indications sur ce que pourrait être une nouvelle approche du concept de
développement local.
Le battement d’ailes
Faire autrement…
Le «Battement d’ailes» est une association créée il y a six ans par un des
Il y a tout d’abord la recherche animateurs de « PIVOINE » une structure d’accompagnement de projets.
d’alternatives dans les domaines du Petit fils d’agriculteurs, c’est sur la propriété familiale à Cornil (aux confins du
travail et de la production, de la Plateau) que Pascale Brette lance cette initiative d’un centre agroécologique.
consommation, de l’habitat et des Le statut juridique du Battement d’Ailes est celui d’une association mais son
déplacements, qui constituent autant de fonctionnement est délibérément celui d’une entreprise coopérative.
pistes pour amorcer des réponses aux Le statut associatif a été et reste encore très précieux pour ce qu’il ouvre de
trois crises évoquées plus haut. Ainsi : portes en termes d’image non lucrative et de financements spécifiques. Il
incarne plus que la coopérative, la notion d’intérêt général. Pourtant le
Les pratiques qui transforment Battement d’ailes est une véritable entreprise, fonctionnant avec une dizaine de
en profondeur la relation au travail et permanents dont 3 salariés (2 ETP) fiscalisée pour 85% de son chiffre d’affaires
au salariat sur le modèle de (60 k€), tout en consacrant 50% de son activité à des activités considérées
fonctionnement coopératif (entre comme non lucratives. Ainsi :
salariés, entrepreneurs et bénévoles) L’hébergement (gîte, yourtes), la formation, la location de toilettes sèches,
qu’ont adopté aussi bien des la vente de légumes frais et de produits agricoles transformés jus de
associations (les Plateaux Limousins, le fruit…), le camping à la ferme et la restauration constituent des activités
Battement d’ailes…) que bien entendu fiscalisées.
des entreprises coopératives (la SAPO La mise à disposition de toilettes sèches, l’éducation à l’environnement,
Ambiance-Bois, la SCIC l’Arban, le l’accompagnement des groupes ou des personnes, la diffusion de la
GAEC Champs-Libres, les SCOP connaissance du vivant, l’éco-construction, l’offre culturelle, les pratiques
artistiques, les chantiers bénévoles sont considérées comme des activités
CESAM et La Navette, la SARL non lucratives.
l’Atelier…). Dans ces structures (cf Il n’empêche que la question de se transformer en coopérative se posera de
l’exemple ci-contre du Battement d’ailes) plus en plus. Restera à trouver le temps et l’énergie pour cela.
la distinction entre porteur de projet, En attendant, les salariés qui ont tous été bénévoles et administrateurs
entrepreneur, salarié, bénévole ou auparavant, restent de fait dans la gouvernance coopérative dès lors qu’ils
compagnon de route, s’estompe au profit changent de statut.
d’une approche coopérative et Tous plus ou moins à temps partiel, les salariés peuvent éventuellement
pragmatique : chaque personne engagée changer de statut, de temps de travail en fonction des besoins du projet (l’un
dans le projet est considérée comme peut se mettre au chômage tandis que l’autre passe de bénévole à salarié). Ils
partie prenante et acteur à part entière, à sont pour la plupart d’entre eux également parties-prenantes du projet de vie
local, habitat précaire (yourtes, caravanes) et peut-être demain éco-hameau
égalité de travail et de responsabilités coopératif (une parcelle d’un hectare et demi vient d’être achetée en limite de
dans le fonctionnement et la propriété pour ce projet), autosuffisance alimentaire sur la ferme, une école
alternative….
14. gouvernance de la structure. Son statut juridique est déterminé en fonction de ses besoins et des moyens
économiques de l’association. On peut être ainsi à tour de rôle stagiaire (éventuellement en formation) ou
compagnon (dans le cadre du réseau REPAS) puis salarié à temps partiel, puis bénévole (tout en étant
demandeur d’emploi), puis un jour de nouveau salarié lorsque les conditions économiques le permettront. Il y a
sans doute là l’esquisse d’un modèle
de développement et de Champs-libres / Contrechamps
consolidation de l’activité dans les
territoires ruraux, qui nécessitera Groupement Agricole pour l’Exploitation en Commun (GAEC) créé en 1988,
bien entendu d’aller au delà du Champs-Libres est un projet agricole (légumes, fruits, céréales, viande) et culturel
« bricolage » actuel (en trouvant (programmation culturelle rurale) coopératif et solidaire qui compte trois paysans
comment articuler bénévolat, associés et deux salariés permanents, secondés régulièrement par deux salariés
volontariat et revenus de transferts saisonniers et des stagiaires (réseau de compagnonnage REPAS).
avec entreprenariat et salariat, pour Pratiquant l’entraide, la complémentarité de production, la mise en commun de
l’achat et de l’usage de matériel, la réalisation commune de certains travaux avec les
construire un statut pérenne à
agriculteurs voisins, Champs Libres développe un réseau de clients qui viennent
l’activité polyvalente en milieu rural). chercher leur panier de légumes à la ferme chaque semaine. Le reste est vendu sur
Les initiatives qui un marché de Limoges et sur celui d'Eymoutiers. Une partie des terres exploitées
défrichent un autre rapport à la par Champs-Libres est la propriété de la Foncière Terre de Liens.
consommation comme par Champs Libres s'insère ainsi parfaitement dans la politique de Terres de Liens et
exemple les ressourceries (Court- partage avec elle l'idée que le devenir d'une agriculture respectueuse de
Circuit, Le Monde allant vers), l'environnement dépasse la seule responsabilité des exploitants et relève aussi des
l’alimentation en circuits courts citoyens. En effet, ceux-ci en souscrivant au capital de la Foncière Terre de Liens
permettent de réunir l'argent nécessaire à l'achat collectif du foncier pour favoriser le
(Champs Libres, Lit en Goure…), la
maintien et l'installation de projets agricoles écologiques et solidaires. Il s'agit de
culture participative (Emile à une protéger la terre comme étant un bien commun.
vache, Contrechamps, Pays En 2001, Champs Libres est à l'initiative de la création de l’association
Sage…). Dans ces structures qui Contrechamps qui a une vocation de développement local en organisant des
conjuguent pour la plupart une événements culturels sur et autour de la ferme (la ferme du 17ème siècle qui accueille
activité économique et une activité les activités culturelles elle est louée via un bail emphytéotique). Une des granges a
culturelle, les « consommateurs » ou été transformée en salle de spectacle grâce à plusieurs chantiers de bénévoles.
usagers du service peuvent être Chaque année se sont plus de six manifestations (concerts, bals et pièces de
associés de manière solidaire ou théâtre) qui y sont programmées. Champs Libres accueille également des stagiaires
militante à ceux qui les produisent. en formation (compagnonnage du réseau Repas, jeunes agriculteurs qui finalisent
leur apprentissage).
De manière plus générale les formes
Budget annuel : entre 180 000 et 190 000 €
de consommation dites
« collaboratives » appelées aussi
« économie du partage », constituent à la fois une réponse efficace à court terme aux contraintes économiques
qui pèsent sur les ménages en période de crise, mais aussi et surtout une perspective d’avenir susceptible de
mieux conjuguer économie, solidarité et développement local. On retrouve là les fondements du concept de
développement endogène s’appuyant principalement sur la créativité, les compétences et l’énergie des habitants
d’un territoire. La création d’une monnaie
La SCIC l’Arban complémentaire voire à terme,
l’expérimentation locale du concept de
L'Arban assure la maîtrise d'ouvrage, ou l'assistance à maîtrise d'ouvrage de revenu de base (appelé aussi revenu
projets d'éco-habitat. La Scic fait ainsi bâtir à Faux-la-Montagne un logement universel ou revenu d’existence), pourrait
d'accueil temporaire destiné à héberger des personnes ou des familles venir étayer un modèle économique bien
désireuses de s'installer sur la Montagne limousine, mais ayant besoin, au plus pérenne que celui qui repose sur des
préalable, de tester la viabilité de leur projet d'installation (c'est ce qu'on appelle subventions.
un logement passerelle).
La Scic a également vocation à animer des projets de planification urbaine ou Les initiatives qui explorent une
d'urbanisme opérationnel. À Faux-la-Montagne par exemple, l'Arban a autre relation à la propriété et au vivre
coordonné, pour le compte de la commune, la création de l'écoquartier du Four ensemble en agissant notamment sur le
à pain : 10 parcelles à vendre (par exemple à des autoconstructeurs), 2 foncier et l’habitat (L’Arban avec les
parcelles réservées à du logement social, et des parties communes (verger, projets de logement passerelle et
potager, lieu de compostage, parking, four à pain, halle). À Gentioux, en d’écoquartier à Faux-la-Montagne, Terre
s'appuyant sur un groupe d'habitants, elle a aidé la mairie à définir la de Liens, la communauté de communes
destination d'un bâtiment communal à rénover. À Gioux, l'Arban accompagne la
du Plateau de Gentioux qui a acheté des
mairie dans son projet de création de logements en entrée de bourg. Dans tous
les cas, la démarche est la même : participation des habitants, des
terres pour les mettre à disposition
bénéficiaires, de la collectivité à travers des réunions publiques ou des groupes
de travail.
Enfin l'Arban propose d'accompagner les démarches d'habitats collectifs ou
groupés.
15. d’agriculteurs…). La question de la propriété foncière apparaît cruciale pour le territoire du Plateau de
Millevaches, dont les principaux propriétaires (forêts, résidences secondaires …) n’y résident pas ou raisonnent
selon des logiques malthusiennes (grosses exploitations agricoles…). Le développement et la consolidation de la
dynamique d’accueil et d’installation ne pourra en effet pas se poursuivre, sans accès et sécurisation de l’usage
du foncier qu’il soit bâti, agricole ou économique. D’une manière plus générale cette réflexion sur la dissociation
de la propriété et de l’usage apparaît comme indispensable au regard des évolutions sociétales et des parcours
de vie : venir s’installer sur le Plateau de Millevaches ne doit plus être nécessairement un choix pour la vie. Les
territoires ruraux ont tout à gagner pour
L’Atelier à Royère
leur développement, à faciliter des
parcours résidentiels et professionnels Trois activités commerciales (un bar, une boutique, une brasserie) qui
permettant de s’y investir pour un temps emploient 9 salariés, trois associations socioculturelles, des concerts,
donné sans forcément y être né ou s’y expositions et projections, un point public multimédia, deux festivals, des cours
installer définitivement. de danse et de théâtre, un dépôt de pain et de légumes, l’Atelier est un endroit
Les initiatives qui contribuent multi-facettes, multiservices, une plateforme rurale et conviviale devenu le
à mutualiser les moyens, les poumon du village de Royère-de-Vassivière
La création d’un groupement d’employeur (GE de la Mayade) permet de
compétences, les locaux. Il s’agit de
mutualiser les coûts liés à l’emploi des salariés de deux associations : Émile A
conforter dans la durée des projets Une Vache et Contes en Creuse. Cette dernière organise chaque année depuis
complexes qui ne peuvent pas 1995 le festival Paroles de conteurs sur l’île de Vassivière. Émile A Une Vache,
toujours assumer toutes les créée en 2004, se charge d'organiser toutes sortes d'événements culturels,
fonctions nécessaires à leur principalement à l’Atelier, vis-à-vis duquel elle occupe un rôle de partenaire-
développement : administratives, prestataire : des concerts, des expositions, un festival de BD et éditions
communicationnelles, commerciales, indépendantes, des résidences d’artistes… L'association bénéficie d’un emploi
logistiques, financières, immobilières… associatif à temps plein aidé à 70 % (58 % par la région Limousin et 12 % par le
département de la Creuse) et de l’implication d’une quarantaine de bénévoles
De ce point de vue là aussi, le renouveau
actifs. Le réseau informatique a permis la naissance d’un point public
du développement local passera multimédia géré par l’association Ctrl-A et la création de deux emplois. Une
certainement par des approches plus quinzaine de bénévoles participe à l’activité de l’association.
coopératives, plus collaboratives, plus
collectives.
Inventer un nouveau modèle économique…
Ce que dessinent en filigrane toutes ces initiatives diversifiées et innovantes qui sont la marque du Plateau de
Millevaches et de ses acteurs, c’est sans doute un nouveau modèle économique pour le développement local,
basé sur l’hybridation des ressources et des statuts d’activité ainsi que sur la mutualisation des compétences et
le développement des pratiques collaboratives.
Développer une capacité d’adaptation globale…
Il y a sans doute enfin quelque-chose de plus immatériel qui transparaît dans ces expériences, c’est la capacité
de résistance et le potentiel de résilience, c’est à dire d’adaptation à des changements ou des conditions
défavorables, dont font preuve les projets et les personnes qui les animent.
Cette capacité de résistance et d’adaptation dont le Plateau et ses habitants ont plusieurs fois démontré le
potentiel au cours de l’histoire, pourrait sans doute être érigée en méthode pour le développement local des
années à venir.
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