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255
Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux
L’évaluation globale de chaque option s’obtient par l’agrégation des diverses actions
et selon l’indice unique de cotation à l’aide de la pondération accordée à chaque classe
ou pour chacune des actions. La méthode se présente sous la forme d’une matrice
dont l’un des axes regroupe les différentes actions du projet et l’autre, les différents
objectifs.
La méthode de la matrice d’obtention d’objectifs est plus flexible et plus com-
mode que l’analyse coûts-avantages, notamment à cause de la possibilité de divers
indices de valeur. En outre, cette possibilité de diverses manifestations de la valeur
des éléments présente de manière plus explicite les risques,les incertitudes et les désac-
cords possibles. C’est ainsi que les jugements de valeur sous-jacents à l’évaluation,
particulièrement ceux de la pondération, peuvent être pris en compte par l’ensemble
des intervenants et non plus demeurer dissimulés à leurs yeux.L’approche de la matrice
d’obtention d’objectifs ouvrait la voie en quelque sorte aux méthodes comparatives
multicritères et particulièrement aux modèles multicritères.
Par ailleurs,la modélisation a aussi fait son apparition dans le domaine des sciences
économiques. L’emploi de modèles dynamiques est notamment prisé dans l’évalua-
tion des considérations économiques au sujet de l’utilisation des ressources et de cer-
taines conséquences sur l’environnement (renouvelables et non renouvelables) (Ruth
et Hannon, 1997). Ces modèles fournissent avant tout des indications sur l’utilisa-
tion optimale des ressources à des fins économiques et des simulations dynamiques
de la plupart des paramètres économiques classiques.
MÉTHODES COMPARATIVES MULTICRITÈRES
Sous l’expression «méthodes comparatives multicritères» sont regroupées diverses
méthodes ayant en commun l’utilisation de critères multiples de comparaison. Ces
méthodes sont avant tout orientées vers l’évaluation à partir des valeurs possibles de
chacun des différents paramètres d’étude. L’objectif ultime consiste à faire reposer
le jugement final entre solutions de rechange, variantes ou projets divers, sur les mul-
tiples critères significatifs de comparaison.
Les méthodes comparatives multicritères regroupées ici sont:
• les techniques ordinales;
• les modèles multicritères.
Encore plus que les méthodes unicritères,les méthodes comparatives multicritères
ne peuvent en elles-mêmes prétendre à l’étude globale du projet.En effet,elles ne sont
256
L’évaluation des impacts environnementaux
utiles qu’à des fins d’examen bien spécifiques, celles de la comparaison d’options.
Conséquemment,elles ne peuvent elles aussi qu’être complémentaires à l’emploi d’autres
méthodes d’ÉIE.Dans le cadre presque exclusif d’un examen comparatif,elles servent
à hiérarchiser ou à pondérer différents paramètres. Il s’agit donc d’une recherche de
l’optimum entre plusieurs choix possibles. La comparaison minimale se réalise entre
le projet et l’option zéro, c’est-à-dire en l’absence du projet.
Les méthodes multicritères se distinguent d’une démarche similaire à celles des
méthodes unicritères par la prise en compte des incertitudes et des impondérables,
ainsi que par une plus grande polyvalence dans l’évaluation des paramètres d’étude.
De plus, avec les méthodes multicritères les valeurs qualitatives incomplètes ou
incertaines peuvent influencer aussi bien les résultats que les données quantitatives
complètes et certaines.
Les méthodes comparatives multicritères représentent avant tout un examen syn-
thèse comparatif et non une approche globale d’évaluation d’un projet. La prise en
compte des aspects temporel, spatial et cumulatif ne fait pas nécessairement partie
de la démarche d’étude; habituellement, ces aspects sont totalement ou partiellement
oubliés. La nature spécifique de la comparaison d’option devrait être comprise
comme un complément d’examen à d’autres méthodes d’ÉIE.
Les moyens mis en œuvre par l’approche multicritère peuvent être relativement
simples tout en étant rigoureux, ce qui n’est pas nécessairement le cas des versions
de modèles informatisés. Pour les non-initiés, ces derniers s’avèrent très complexes
à comprendre, quoique leur utilisation puisse être relativement simplifiée. La
démarche multicritère représente une tentative de prendre en compte les incertitudes
et l’impondérable ainsi que la globalité des paramètres et enjeux en cause, notam-
ment la valeur des éléments de l’environnement difficilement quantifiables.
Dans un autre ordre d’idées, l’assouplissement des règles de pondération et de
hiérarchisation, notamment dans la version classique de Holmes, entraîne des
dépenses de temps et d’argent moindres qu’avec les autres méthodes comparatives
unicritères et multicritères. Voilà qui est particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit
d’enjeux ou de projets fortement contestés ou se situant dans un contexte financier
limité.Le recours à l’expertise d’études antérieures,bien entendu non contestées,pour-
rait rendre l’exercice d’une relative simplicité, et ce, avec une certaine rapidité d’exé-
cution.
De plus, la présentation des résultats est simple et facilement compréhensible,
même lorsqu’il s’agit de l’emploi de modèles informatiques élaborés. Dans ce
257
Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux
dernier cas, toutefois, le processus d’étude ayant mené à l’atteinte des résultats n’est
pas toujours d’une clarté et d’une simplicité accessibles à tous. La reproductibilité des
résultats s’avère aussi difficile qu’avec les méthodes unicritères, sans entraîner cepen-
dant autant de remises en question, d’autant plus que les ajustements et les modifi-
cations possibles sont facilement et rapidement réalisables. De plus, les jugements de
valeur implicites ou explicites peuvent s’exprimer clairement et ainsi participer à l’éla-
boration du résultat final, ce qui est plutôt rare avec les autres méthodes.
Ces méthodes sont généralement perçues comme une aide assez efficace et pré-
cieuse à la prise de décision, particulièrement pour les récents modèles informatisés.
Il serait même possible d’envisager que la prise de décision soit elle-même directe-
ment issue de la démarche d’examen, notamment à partir de l’emploi des modèles
multicritères. Toutefois, les méthodes multicritères sont encore peu employées en ÉIE.
Dans tous les cas, cependant, l’emploi de telles méthodes se bute à des appréhensions,
sans doute fort légitimes, face à l’énigmatique «petite boîte noire» qui déciderait à
la place des humains.
Technique ordinale
Les «techniques ordinales» visent à évaluer l’importance respective des multiples élé-
ments et impacts environnementaux afin de pouvoir comparer des options sans l’em-
ploi de techniques numériques. La base de l’analyse comparative et l’agrégation des
paramètres d’étude ne reposent donc pas sur un critère unique de comparaison.
La méthode la plus connue des techniques ordinales est sans doute la «méthode
d’ordonnancement de Holmes». Cette technique d’ordonnancement n’est plus beau-
coup employée de manière intégrale, mais sa démarche générale inspire encore
grandement plusieurs adaptations contemporaines. L’ordonnancement propre à la
technique ordinale en fait une technique simple d’analyse multicritères.Les contraintes
et limites des approches unicritères trouvent ici une tentative de surpassement.
Méthode d’ordonnancement de Holmes
La «méthode ordinale» développée par Holmes (1972),aussi nommée «méthode d’or-
donnancement», cherche à simplifier la pondération entre différents impacts ou élé-
ments de l’environnement, grâce à l’utilisation d’une hiérarchisation comprenant un
nombre réduit de classes d’impacts ou d’éléments. L’objectif visé par cette méthode
est bien sûr de déterminer le choix optimal entre diverses options (solutions de rechange
ou variantes) d’un projet,ainsi que de comparer le projet à l’étude avec un autre projet
ou par rapport à l’état actuel de l’environnement (sans le projet).
258
L’évaluation des impacts environnementaux
Contrairement aux méthodes unicritères, l’approche de Holmes utilise tous les
critères possibles de comparaison. Le difficile exercice de transposition de divers fac-
teurs de comparaison en une valeur unique est ainsi contourné. La pondération des
différents paramètres (impacts et éléments environnementaux) est facilitée par la réduc-
tion des valeurs de la pondération à trois ou quatre valeurs possibles seulement. Ces
trois ou quatre classes d’importance de la pondération regroupent des paramètres
considérés d’égales valeurs.De plus,comme en ÉIE la sélection peut aussi tenir compte
du choix optimal du point de vue environnemental mais aussi des critères écono-
miques, techniques et sociaux, l’approche de Holmes permet aisément d’intégrer ces
derniers à l’examen.
De manière simplifiée,la méthode consiste à déterminer une hiérarchisation (ordre
d’importance) parmi les multiples paramètres ou critères de comparaison possibles.
La hiérarchisation conçue par Holmes consiste à regrouper les différents critères de
comparaison en un nombre restreint de classes d’importance.Holmes suggérait quatre
classes seulement ou un nombre égal ou inférieur au nombre d’options étudiées.Cette
façon de procéder facilite considérablement le difficile exercice de hiérarchisation de
tous les critères de comparaison; il est beaucoup plus facile de regrouper en quelques
classes d’importance que d’ordonner systématiquement tous les critères les uns par
rapport aux autres. Bien entendu, dans chacune des classes d’importance, les critères
de comparaison sont considérés comme possédant une importance égale.La démarche
complète est donc divisée en trois étapes: hiérarchisation des critères, positionnement
des options et classement global.
La première étape consiste d’abord à choisir les critères de comparaison à
employer. La sélection des critères est simple; il s’agit de ne retenir que les critères
non communs ou possédant une valeur (importance) différente selon les diverses
options.Il faut ensuite déterminer la hiérarchisation des critères,l’étape vraiment fon-
damentale de la méthode. Le classement ordinal des différents critères par ordre d’im-
portance détermine l’ordonnancement des différents critères sélectionnés de la pre-
mière à la quatrième classe,leur pondération,en quelque sorte.Après la hiérarchisation
des multiples critères sélectionnés, il ne reste donc plus que quatre types de critères
en importance, tous étant par ailleurs considérés équivalents à l’intérieur d’une même
classe.
Ladeuxièmeétape,lepositionnementdesoptions,consisteàdéterminerlaperformance
ou la position relative de chacune des solutions proposées, et ce, par rapport à chacun
des critères sélectionnés dans les quatre classes d’importance. Afin de faciliter la com-
préhension de la hiérarchisation,Holmes propose une matrice spéciale servant de base
au positionnement des options.Cette matrice décale successivement vers la droite (dans
Classe de critères # Positions correspondantes de l’option
1 2 3 4 5 6 7
I 4 A B C D
12 D C B A
17 A D C B
II 8 B D C A
13 A B D C
15 D A B C
9 A C D B
5 A D C B
III 18 C B D A
19 C A B D
14 A D B C
11 A C D B
7 D B C A
IV 1 B D A C
2 A B D C
6 D A B C
8 D B C A
10 C A D B
Gains de position A 2 3 3 2 3 3 1
des B 0 2 2 5 6 2 1
options C 0 1 5 4 3 2 3
D 1 2 3 7 3 3 0
Source: Traduit et adapté de Holmes, 1971.
259
Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux
une autre colonne) la deuxième classe de critères par rapport à la première, et ainsi
de suite pour les classes subséquentes. Un exemple de la matrice employée par
Holmes est présenté à la figure 5.21. Par cette disposition particulière, Holmes fonde
une correspondance entre une deuxième place pour les critères de première classe
et une première place pour les critères de seconde classe, et ainsi de suite. La perfor-
mance des options par rapport à la hiérarchisation des critères selon les diverses classes
d’importance devient ainsi plus manifeste. Le positionnement consiste à déterminer
le rang (la position relative) des diverses options pour tous les critères de comparaison.
L’évaluation du positionnement se fait soit à partir de données quantitatives ou qua-
litatives plus ou moins complètes, soit à partir d’une évaluation issue d’une méthode
d’expertise – l’enquête Delphi, par exemple.
Figure 5.21
Matrice désagrégée de Holmes
260
L’évaluation des impacts environnementaux
La troisième étape détermine le classement final ou global des diverses options.
Holmes suggère alors de relever pour chacune d’elles la position au classement (rang
respectif) obtenue pour chacune des classes d’importance, indépendamment de la
position respective des critères à l’intérieur d’une même classe. Le classement relatif
de chacune des options pour les critères de première importance permet de hiérar-
chiser les options. Le choix optimal est alors obtenu si une option se démarque for-
tement des autres dès la comparaison des critères de première importance.
L’accumulation de bonnes performances pour les classes inférieures de critères ne
contribue donc pas à améliorer le rendement global d’une option. Dans les cas d’éga-
lité entre deux ou plusieurs options, on effectue la même opération pour la deuxième
classe d’importance, et ainsi de suite pour la troisième et la quatrième, si nécessaire.
Afin d’améliorer la validité des résultats obtenus,Holmes suggère de procéder à quelques
variations de la hiérarchisation et de la sélection des critères à l’intérieur d’une même
évaluation, afin de déterminer plus adéquatement le choix optimal.
La méthode ordinale de Holmes présente de façon simple et explicite les résul-
tats pour la comparaison de diverses options d’un projet ainsi que les critères de sélec-
tion et d’estimation sous-jacents à la méthode d’évaluation. La démarche et la pré-
sentation des résultats se prêtent donc bien à l’information et à l’intervention du public.
De plus, elle est utile et facilement accessible aux différents décideurs. Elle s’avère donc
fort utile quant au choix à faire entre diverses solutions de rechange ou variantes, et
ce, pour la plupart sinon la totalité des intervenants impliqués.
Par surcroît, la méthode de Holmes réduit certaines contraintes reliées habi-
tuellement à la pondération grâce à une hiérarchisation commode des critères de com-
paraison en un nombre restreint de classes d’importance. Il n’est donc plus néces-
saire de connaître la place respective de chacun des critères, une opération difficile
à réaliser dans la plupart des cas.Cette simplification de la pondération facilite la com-
paraison et, de plus, ce sont les critères les plus significatifs qui déterminent le clas-
sement respectif des options (solutions de rechange ou variantes).
Toutefois, la prise en compte des écarts possibles entre les différents critères ainsi
qu’entre le positionnement respectif des solutions de rechange et variantes est à peu
près absente, ce qui pourrait limiter parfois les résultats. En effet, une option se clas-
sant première mais tout juste devant les autres, en ce qui concerne certains critères,
et loin derrière du point de vue d’autres critères aussi importants serait tout de même
avantagée. L’écart entre les rangs ou les positions des différentes variantes est parfois
aussi important à considérer que la position des unes par rapport aux autres. Cette
opération, qui affine habituellement les résultats d’une analyse multicritère, n’est vrai-
ment possible qu’à l’aide des modèles multicritères informatisés.
261
Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux
Comme pour la plupart des autres méthodes d’évaluation, mais tout particuliè-
rement pour celles faisant appel à l’opinion d’experts, une forte proportion de l’éva-
luation comporte la prise en compte de plusieurs aspects subjectifs. Cependant, la
relative transparence de la démarche d’étude permet de connaître assez bien et de
manière explicite la part de subjectivité dans l’acquisition des résultats et ainsi de pou-
voir en tenir compte, notamment dans la sélection et la hiérarchisation des critères.
Enfin, il est relativement simple et rapide de modifier les paramètres (critères, hié-
rarchisation et performance relative des options) et en conséquence les résultats; cette
altération pourrait même se réaliser en direct durant une séance de consultation auprès
des divers acteurs.
Applications contemporaines de techniques ordinales
Plusieurs des projets comprenant des options clairement énoncées emploient une
démarche d’étude d’ordonnancement similaire à celle utilisée jadis par Holmes.Parmi
les plus récents exemples d’application, nous n’allons examiner qu’un seul cas, celui
de l’organisme fédéral Parcs Canada concernant la décontamination des sédiments
de fond du canal Lachine, projet étudié devant une commission mixte fédérale-
provinciale en 1996.
Le projet de décontamination du canal Lachine est un projet fort intéressant en
raison de la présence de six options de décontamination et de gestion des sédiments.
Toutefois, la solution zéro, c’est-à-dire le maintien du statu quo, n’a pas été retenue.
Les six possibilités retenues par le promoteur sont:
• le confinement en milieu terrestre des sédiments du canal;
• le confinement in situ des sédiments au fond du canal (géomembrane);
• l’encapsulation des sédiments à l’intérieur du canal;
• la solidification/stabilisation ex situ;
• la solidification/stabilisation in situ;
• l’extraction physicochimique.
L’approche de Holmes en matrices et tableaux n’a pas été conservée, mais le clas-
sement en trois groupes de critères de comparaison, considérés égaux à l’intérieur
d’une même classe, est intégralement repris. Les évaluateurs ont déterminé une cota-
tion comprenant deux ou trois rangs possibles pour chacun des critères de compa-
raison afin d’affiner l’évaluation.Ces rangs sont déterminés à partir d’objectifs de qua-
lité. La présentation des résultats est par contre plutôt inusitée, car le rapport d’ÉIE
n’offre qu’un simple texte continu.Pourtant,la représentation en tableaux et matrices,
262
L’évaluation des impacts environnementaux
comme le proposait Holmes, semble très limpide et pratique, notamment dans le cas
d’un projet présenté en audience publique, comme c’était effectivement le cas pour
ce projet.
Nous avons récemment employé des matrices et des tableaux de comparaison
de solutions de rechange et de variantes inspirés de l’approche de Holmes. La figure
5.22 montre un exemple de matrice détaillée de hiérarchisation utilisée pour la com-
paraison de cinq variantes de projet à partir de dix critères de comparaison distri-
bués en trois classes d’importance.
Positions respectives des options
Classes
et CRITÈRES 1 2 3 4 5
Critère 1 A C D B E
1e Critère 2 E C B A D
Critère 3 D B A E C
Critère 4 D A C E B
2e Critère 5 A C B D E
Critère 6 A D E C B
Critère 7 C D E A B
3e Critère 8 D B C E A
Critère 9 A D E B C
Critère 10 A E D B C
1 2 3 4 5
Figure 5.22
Matrice détaillée de hiérarchisation (inspirée de Holmes)
De son côté, la figure 5.23 montre un tableau général des résultats du classement
final des diverses options pour chacune des classes d’importance. Les résultats sont
ceux de la matrice détaillée précédente.
Les modèles multicritères
Nous n’aborderons pas en détail les modèles multicritères, car l’apprentissage de telles
techniques devrait faire l’objet d’un livre complet. De plus, ce ne sont pas des
méthodes spécifiques à l’ÉIE puisqu’il s’agit en fait d’un outil de recherche opérationnelle
utilisé dans diverses sphères de la société (Roy et Bouyssou,1993).Il est toutefois impor-
tant de souligner les forces et les faiblesses de cette approche par rapport aux autres
méthodes employées en ÉIE.
263
Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux
Les modèles multicritères tel que «Electre» ou «Promethé» impliquent une
approche visant la prise en compte de tous les éléments possibles d’un problème dans
le processus de décision (Maystre et coll., 1994). Ces modèles aspirent à éclairer et à
répondre aux questions dont la formulation peut être plus ou moins confuse, com-
plexe ou évolutive. Ils fonctionnent sensiblement de la même manière que les tech-
niques ordinales que nous venons de voir, avec en plus pour l’analyse des divers cri-
tères, quelques raffinements méthodologiques issus des possibilités offertes par
l’informatisation des opérations (Schärlig, 1985).
Dans une analyse multicritère, la démarche s’articule autour de quatre grandes
étapes qui sont selon Waaub (1995):
– la définition de l’ensemble des solutions potentielles (actions ou scénarios) et
la désignation de la problématique (choix, tri ou rangement);
– l’analyse des conséquences des actions, l’élaboration des critères et l’évalua-
tion de chaque action sur les critères (tableau des performances);
– la modélisation des préférences globales et des procédures d’agrégation des per-
formances (critères à retenir, agrégation des performances des actions sur ces
critères, importance relative des critères, etc.);
– la synthèse multicritère (analyse des résultats, sensibilité ou robustesse).
Depuis quelques années les modèles multicritères sont de plus en plus employés,
tant en enseignement qu’en recherche.Quoique bien considérés par plusieurs,ils sont
cependant encore très peu utilisés dans des projets concrets d’ÉIE, comme l’a montré
Simos (1990) pour l’un des rares cas bien documentés, celui de l’analyse comparative
Figure 5.23
Tableau du classement final des alternatives (Holmes)
Options/ Première Deuxième Troisième
alternatives importance importance importance
A 143 211 4511
B 432 535 5244
C 225 324 1355
D 351 142 2123
E 514 453 3432
264
L’évaluation des impacts environnementaux
des options possibles pour les déchets urbains de Genève en Suisse2.Les modèles mul-
ticritères,comme nous le mentionnions récemment à propos des différents outils sophis-
tiqués employés en ÉIE (Leduc et Raymond,1996),sont bien sûr des instruments d’ana-
lyse performants et ils pourraient fournir de grands services en ÉIE. Comme pour les
autres méthodes comparatives,ils ne représentent toutefois qu’une démarche partielle
et spécifique d’évaluation. Les modèles multicritères ne sont pas adaptés pour l’éva-
luation globale d’un projet. Ils permettent de comparer les avantages et les inconvé-
nients de diverses options à partir des différents critères de comparaison possibles. Ils
agissent en fait un peu comme l’approche d’ordonnancement de Holmes.Cependant,
l’emploi du support informatique implique une grande combinaison et manipulation
des données et en conséquence des résultats. L’organisation et le traitement des don-
nées s’effectuent à la collecte, au classement, à l’arrangement et, surtout, lors de l’opé-
ration de modélisation.
Par ailleurs, même lorsqu’ils sont compatibles avec l’ampleur des projets à
l’étude, ce qui n’est pas toujours le cas, ces outils souffrent de fréquentes déficiences
des ressources de support (matériel, temps et personnel) à leur bonne utilisation. De
plus, l’insuffisance sinon l’absence de données solides complique et restreint gran-
dement les avantages d’une telle approche. Comme c’est le cas également pour tout
modèle, il est habituellement difficile d’appréhender les limites de tels outils sans une
certaine connaissance intrinsèque du sujet. Dès lors, ils exigent un apprentissage long
et dispendieux, une laborieuse adaptation aux conditions locales et spécifiques ainsi
qu’une dépendance par rapport aux concepteurs ou spécialistes des modèles.
Nous pourrions très bien étendre aux modèles multicritères,et ce,pour l’ensemble
des pays à l’heure actuelle, les allégations de l’un de nos collègues qui remettait en
cause l’emploi des systèmes d’information géographique (SIG) en Afrique, sauf rares
exceptions.L’auteur soulignait que les données de base (c’est-à-dire cartographie récente,
recensements disponibles), ainsi que l’assistance technique minimale (c’est-à-dire res-
sources matérielles et humaines), étaient trop souvent défavorables à un apprentis-
sage et à une utilisation efficace de ces modèles comme outil efficace de gestion (Baudoin,
1995).
2. Pour en savoir plus sur les modèles multicritères et tout particulièrement sur le traitement des don-
nées et la présentation des résultats de tels outils, nous conseillons fortement la lecture du livre de
l’auteur (Simos, 1990).

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  • 1. 255 Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux L’évaluation globale de chaque option s’obtient par l’agrégation des diverses actions et selon l’indice unique de cotation à l’aide de la pondération accordée à chaque classe ou pour chacune des actions. La méthode se présente sous la forme d’une matrice dont l’un des axes regroupe les différentes actions du projet et l’autre, les différents objectifs. La méthode de la matrice d’obtention d’objectifs est plus flexible et plus com- mode que l’analyse coûts-avantages, notamment à cause de la possibilité de divers indices de valeur. En outre, cette possibilité de diverses manifestations de la valeur des éléments présente de manière plus explicite les risques,les incertitudes et les désac- cords possibles. C’est ainsi que les jugements de valeur sous-jacents à l’évaluation, particulièrement ceux de la pondération, peuvent être pris en compte par l’ensemble des intervenants et non plus demeurer dissimulés à leurs yeux.L’approche de la matrice d’obtention d’objectifs ouvrait la voie en quelque sorte aux méthodes comparatives multicritères et particulièrement aux modèles multicritères. Par ailleurs,la modélisation a aussi fait son apparition dans le domaine des sciences économiques. L’emploi de modèles dynamiques est notamment prisé dans l’évalua- tion des considérations économiques au sujet de l’utilisation des ressources et de cer- taines conséquences sur l’environnement (renouvelables et non renouvelables) (Ruth et Hannon, 1997). Ces modèles fournissent avant tout des indications sur l’utilisa- tion optimale des ressources à des fins économiques et des simulations dynamiques de la plupart des paramètres économiques classiques. MÉTHODES COMPARATIVES MULTICRITÈRES Sous l’expression «méthodes comparatives multicritères» sont regroupées diverses méthodes ayant en commun l’utilisation de critères multiples de comparaison. Ces méthodes sont avant tout orientées vers l’évaluation à partir des valeurs possibles de chacun des différents paramètres d’étude. L’objectif ultime consiste à faire reposer le jugement final entre solutions de rechange, variantes ou projets divers, sur les mul- tiples critères significatifs de comparaison. Les méthodes comparatives multicritères regroupées ici sont: • les techniques ordinales; • les modèles multicritères. Encore plus que les méthodes unicritères,les méthodes comparatives multicritères ne peuvent en elles-mêmes prétendre à l’étude globale du projet.En effet,elles ne sont
  • 2. 256 L’évaluation des impacts environnementaux utiles qu’à des fins d’examen bien spécifiques, celles de la comparaison d’options. Conséquemment,elles ne peuvent elles aussi qu’être complémentaires à l’emploi d’autres méthodes d’ÉIE.Dans le cadre presque exclusif d’un examen comparatif,elles servent à hiérarchiser ou à pondérer différents paramètres. Il s’agit donc d’une recherche de l’optimum entre plusieurs choix possibles. La comparaison minimale se réalise entre le projet et l’option zéro, c’est-à-dire en l’absence du projet. Les méthodes multicritères se distinguent d’une démarche similaire à celles des méthodes unicritères par la prise en compte des incertitudes et des impondérables, ainsi que par une plus grande polyvalence dans l’évaluation des paramètres d’étude. De plus, avec les méthodes multicritères les valeurs qualitatives incomplètes ou incertaines peuvent influencer aussi bien les résultats que les données quantitatives complètes et certaines. Les méthodes comparatives multicritères représentent avant tout un examen syn- thèse comparatif et non une approche globale d’évaluation d’un projet. La prise en compte des aspects temporel, spatial et cumulatif ne fait pas nécessairement partie de la démarche d’étude; habituellement, ces aspects sont totalement ou partiellement oubliés. La nature spécifique de la comparaison d’option devrait être comprise comme un complément d’examen à d’autres méthodes d’ÉIE. Les moyens mis en œuvre par l’approche multicritère peuvent être relativement simples tout en étant rigoureux, ce qui n’est pas nécessairement le cas des versions de modèles informatisés. Pour les non-initiés, ces derniers s’avèrent très complexes à comprendre, quoique leur utilisation puisse être relativement simplifiée. La démarche multicritère représente une tentative de prendre en compte les incertitudes et l’impondérable ainsi que la globalité des paramètres et enjeux en cause, notam- ment la valeur des éléments de l’environnement difficilement quantifiables. Dans un autre ordre d’idées, l’assouplissement des règles de pondération et de hiérarchisation, notamment dans la version classique de Holmes, entraîne des dépenses de temps et d’argent moindres qu’avec les autres méthodes comparatives unicritères et multicritères. Voilà qui est particulièrement intéressant lorsqu’il s’agit d’enjeux ou de projets fortement contestés ou se situant dans un contexte financier limité.Le recours à l’expertise d’études antérieures,bien entendu non contestées,pour- rait rendre l’exercice d’une relative simplicité, et ce, avec une certaine rapidité d’exé- cution. De plus, la présentation des résultats est simple et facilement compréhensible, même lorsqu’il s’agit de l’emploi de modèles informatiques élaborés. Dans ce
  • 3. 257 Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux dernier cas, toutefois, le processus d’étude ayant mené à l’atteinte des résultats n’est pas toujours d’une clarté et d’une simplicité accessibles à tous. La reproductibilité des résultats s’avère aussi difficile qu’avec les méthodes unicritères, sans entraîner cepen- dant autant de remises en question, d’autant plus que les ajustements et les modifi- cations possibles sont facilement et rapidement réalisables. De plus, les jugements de valeur implicites ou explicites peuvent s’exprimer clairement et ainsi participer à l’éla- boration du résultat final, ce qui est plutôt rare avec les autres méthodes. Ces méthodes sont généralement perçues comme une aide assez efficace et pré- cieuse à la prise de décision, particulièrement pour les récents modèles informatisés. Il serait même possible d’envisager que la prise de décision soit elle-même directe- ment issue de la démarche d’examen, notamment à partir de l’emploi des modèles multicritères. Toutefois, les méthodes multicritères sont encore peu employées en ÉIE. Dans tous les cas, cependant, l’emploi de telles méthodes se bute à des appréhensions, sans doute fort légitimes, face à l’énigmatique «petite boîte noire» qui déciderait à la place des humains. Technique ordinale Les «techniques ordinales» visent à évaluer l’importance respective des multiples élé- ments et impacts environnementaux afin de pouvoir comparer des options sans l’em- ploi de techniques numériques. La base de l’analyse comparative et l’agrégation des paramètres d’étude ne reposent donc pas sur un critère unique de comparaison. La méthode la plus connue des techniques ordinales est sans doute la «méthode d’ordonnancement de Holmes». Cette technique d’ordonnancement n’est plus beau- coup employée de manière intégrale, mais sa démarche générale inspire encore grandement plusieurs adaptations contemporaines. L’ordonnancement propre à la technique ordinale en fait une technique simple d’analyse multicritères.Les contraintes et limites des approches unicritères trouvent ici une tentative de surpassement. Méthode d’ordonnancement de Holmes La «méthode ordinale» développée par Holmes (1972),aussi nommée «méthode d’or- donnancement», cherche à simplifier la pondération entre différents impacts ou élé- ments de l’environnement, grâce à l’utilisation d’une hiérarchisation comprenant un nombre réduit de classes d’impacts ou d’éléments. L’objectif visé par cette méthode est bien sûr de déterminer le choix optimal entre diverses options (solutions de rechange ou variantes) d’un projet,ainsi que de comparer le projet à l’étude avec un autre projet ou par rapport à l’état actuel de l’environnement (sans le projet).
  • 4. 258 L’évaluation des impacts environnementaux Contrairement aux méthodes unicritères, l’approche de Holmes utilise tous les critères possibles de comparaison. Le difficile exercice de transposition de divers fac- teurs de comparaison en une valeur unique est ainsi contourné. La pondération des différents paramètres (impacts et éléments environnementaux) est facilitée par la réduc- tion des valeurs de la pondération à trois ou quatre valeurs possibles seulement. Ces trois ou quatre classes d’importance de la pondération regroupent des paramètres considérés d’égales valeurs.De plus,comme en ÉIE la sélection peut aussi tenir compte du choix optimal du point de vue environnemental mais aussi des critères écono- miques, techniques et sociaux, l’approche de Holmes permet aisément d’intégrer ces derniers à l’examen. De manière simplifiée,la méthode consiste à déterminer une hiérarchisation (ordre d’importance) parmi les multiples paramètres ou critères de comparaison possibles. La hiérarchisation conçue par Holmes consiste à regrouper les différents critères de comparaison en un nombre restreint de classes d’importance.Holmes suggérait quatre classes seulement ou un nombre égal ou inférieur au nombre d’options étudiées.Cette façon de procéder facilite considérablement le difficile exercice de hiérarchisation de tous les critères de comparaison; il est beaucoup plus facile de regrouper en quelques classes d’importance que d’ordonner systématiquement tous les critères les uns par rapport aux autres. Bien entendu, dans chacune des classes d’importance, les critères de comparaison sont considérés comme possédant une importance égale.La démarche complète est donc divisée en trois étapes: hiérarchisation des critères, positionnement des options et classement global. La première étape consiste d’abord à choisir les critères de comparaison à employer. La sélection des critères est simple; il s’agit de ne retenir que les critères non communs ou possédant une valeur (importance) différente selon les diverses options.Il faut ensuite déterminer la hiérarchisation des critères,l’étape vraiment fon- damentale de la méthode. Le classement ordinal des différents critères par ordre d’im- portance détermine l’ordonnancement des différents critères sélectionnés de la pre- mière à la quatrième classe,leur pondération,en quelque sorte.Après la hiérarchisation des multiples critères sélectionnés, il ne reste donc plus que quatre types de critères en importance, tous étant par ailleurs considérés équivalents à l’intérieur d’une même classe. Ladeuxièmeétape,lepositionnementdesoptions,consisteàdéterminerlaperformance ou la position relative de chacune des solutions proposées, et ce, par rapport à chacun des critères sélectionnés dans les quatre classes d’importance. Afin de faciliter la com- préhension de la hiérarchisation,Holmes propose une matrice spéciale servant de base au positionnement des options.Cette matrice décale successivement vers la droite (dans
  • 5. Classe de critères # Positions correspondantes de l’option 1 2 3 4 5 6 7 I 4 A B C D 12 D C B A 17 A D C B II 8 B D C A 13 A B D C 15 D A B C 9 A C D B 5 A D C B III 18 C B D A 19 C A B D 14 A D B C 11 A C D B 7 D B C A IV 1 B D A C 2 A B D C 6 D A B C 8 D B C A 10 C A D B Gains de position A 2 3 3 2 3 3 1 des B 0 2 2 5 6 2 1 options C 0 1 5 4 3 2 3 D 1 2 3 7 3 3 0 Source: Traduit et adapté de Holmes, 1971. 259 Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux une autre colonne) la deuxième classe de critères par rapport à la première, et ainsi de suite pour les classes subséquentes. Un exemple de la matrice employée par Holmes est présenté à la figure 5.21. Par cette disposition particulière, Holmes fonde une correspondance entre une deuxième place pour les critères de première classe et une première place pour les critères de seconde classe, et ainsi de suite. La perfor- mance des options par rapport à la hiérarchisation des critères selon les diverses classes d’importance devient ainsi plus manifeste. Le positionnement consiste à déterminer le rang (la position relative) des diverses options pour tous les critères de comparaison. L’évaluation du positionnement se fait soit à partir de données quantitatives ou qua- litatives plus ou moins complètes, soit à partir d’une évaluation issue d’une méthode d’expertise – l’enquête Delphi, par exemple. Figure 5.21 Matrice désagrégée de Holmes
  • 6. 260 L’évaluation des impacts environnementaux La troisième étape détermine le classement final ou global des diverses options. Holmes suggère alors de relever pour chacune d’elles la position au classement (rang respectif) obtenue pour chacune des classes d’importance, indépendamment de la position respective des critères à l’intérieur d’une même classe. Le classement relatif de chacune des options pour les critères de première importance permet de hiérar- chiser les options. Le choix optimal est alors obtenu si une option se démarque for- tement des autres dès la comparaison des critères de première importance. L’accumulation de bonnes performances pour les classes inférieures de critères ne contribue donc pas à améliorer le rendement global d’une option. Dans les cas d’éga- lité entre deux ou plusieurs options, on effectue la même opération pour la deuxième classe d’importance, et ainsi de suite pour la troisième et la quatrième, si nécessaire. Afin d’améliorer la validité des résultats obtenus,Holmes suggère de procéder à quelques variations de la hiérarchisation et de la sélection des critères à l’intérieur d’une même évaluation, afin de déterminer plus adéquatement le choix optimal. La méthode ordinale de Holmes présente de façon simple et explicite les résul- tats pour la comparaison de diverses options d’un projet ainsi que les critères de sélec- tion et d’estimation sous-jacents à la méthode d’évaluation. La démarche et la pré- sentation des résultats se prêtent donc bien à l’information et à l’intervention du public. De plus, elle est utile et facilement accessible aux différents décideurs. Elle s’avère donc fort utile quant au choix à faire entre diverses solutions de rechange ou variantes, et ce, pour la plupart sinon la totalité des intervenants impliqués. Par surcroît, la méthode de Holmes réduit certaines contraintes reliées habi- tuellement à la pondération grâce à une hiérarchisation commode des critères de com- paraison en un nombre restreint de classes d’importance. Il n’est donc plus néces- saire de connaître la place respective de chacun des critères, une opération difficile à réaliser dans la plupart des cas.Cette simplification de la pondération facilite la com- paraison et, de plus, ce sont les critères les plus significatifs qui déterminent le clas- sement respectif des options (solutions de rechange ou variantes). Toutefois, la prise en compte des écarts possibles entre les différents critères ainsi qu’entre le positionnement respectif des solutions de rechange et variantes est à peu près absente, ce qui pourrait limiter parfois les résultats. En effet, une option se clas- sant première mais tout juste devant les autres, en ce qui concerne certains critères, et loin derrière du point de vue d’autres critères aussi importants serait tout de même avantagée. L’écart entre les rangs ou les positions des différentes variantes est parfois aussi important à considérer que la position des unes par rapport aux autres. Cette opération, qui affine habituellement les résultats d’une analyse multicritère, n’est vrai- ment possible qu’à l’aide des modèles multicritères informatisés.
  • 7. 261 Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux Comme pour la plupart des autres méthodes d’évaluation, mais tout particuliè- rement pour celles faisant appel à l’opinion d’experts, une forte proportion de l’éva- luation comporte la prise en compte de plusieurs aspects subjectifs. Cependant, la relative transparence de la démarche d’étude permet de connaître assez bien et de manière explicite la part de subjectivité dans l’acquisition des résultats et ainsi de pou- voir en tenir compte, notamment dans la sélection et la hiérarchisation des critères. Enfin, il est relativement simple et rapide de modifier les paramètres (critères, hié- rarchisation et performance relative des options) et en conséquence les résultats; cette altération pourrait même se réaliser en direct durant une séance de consultation auprès des divers acteurs. Applications contemporaines de techniques ordinales Plusieurs des projets comprenant des options clairement énoncées emploient une démarche d’étude d’ordonnancement similaire à celle utilisée jadis par Holmes.Parmi les plus récents exemples d’application, nous n’allons examiner qu’un seul cas, celui de l’organisme fédéral Parcs Canada concernant la décontamination des sédiments de fond du canal Lachine, projet étudié devant une commission mixte fédérale- provinciale en 1996. Le projet de décontamination du canal Lachine est un projet fort intéressant en raison de la présence de six options de décontamination et de gestion des sédiments. Toutefois, la solution zéro, c’est-à-dire le maintien du statu quo, n’a pas été retenue. Les six possibilités retenues par le promoteur sont: • le confinement en milieu terrestre des sédiments du canal; • le confinement in situ des sédiments au fond du canal (géomembrane); • l’encapsulation des sédiments à l’intérieur du canal; • la solidification/stabilisation ex situ; • la solidification/stabilisation in situ; • l’extraction physicochimique. L’approche de Holmes en matrices et tableaux n’a pas été conservée, mais le clas- sement en trois groupes de critères de comparaison, considérés égaux à l’intérieur d’une même classe, est intégralement repris. Les évaluateurs ont déterminé une cota- tion comprenant deux ou trois rangs possibles pour chacun des critères de compa- raison afin d’affiner l’évaluation.Ces rangs sont déterminés à partir d’objectifs de qua- lité. La présentation des résultats est par contre plutôt inusitée, car le rapport d’ÉIE n’offre qu’un simple texte continu.Pourtant,la représentation en tableaux et matrices,
  • 8. 262 L’évaluation des impacts environnementaux comme le proposait Holmes, semble très limpide et pratique, notamment dans le cas d’un projet présenté en audience publique, comme c’était effectivement le cas pour ce projet. Nous avons récemment employé des matrices et des tableaux de comparaison de solutions de rechange et de variantes inspirés de l’approche de Holmes. La figure 5.22 montre un exemple de matrice détaillée de hiérarchisation utilisée pour la com- paraison de cinq variantes de projet à partir de dix critères de comparaison distri- bués en trois classes d’importance. Positions respectives des options Classes et CRITÈRES 1 2 3 4 5 Critère 1 A C D B E 1e Critère 2 E C B A D Critère 3 D B A E C Critère 4 D A C E B 2e Critère 5 A C B D E Critère 6 A D E C B Critère 7 C D E A B 3e Critère 8 D B C E A Critère 9 A D E B C Critère 10 A E D B C 1 2 3 4 5 Figure 5.22 Matrice détaillée de hiérarchisation (inspirée de Holmes) De son côté, la figure 5.23 montre un tableau général des résultats du classement final des diverses options pour chacune des classes d’importance. Les résultats sont ceux de la matrice détaillée précédente. Les modèles multicritères Nous n’aborderons pas en détail les modèles multicritères, car l’apprentissage de telles techniques devrait faire l’objet d’un livre complet. De plus, ce ne sont pas des méthodes spécifiques à l’ÉIE puisqu’il s’agit en fait d’un outil de recherche opérationnelle utilisé dans diverses sphères de la société (Roy et Bouyssou,1993).Il est toutefois impor- tant de souligner les forces et les faiblesses de cette approche par rapport aux autres méthodes employées en ÉIE.
  • 9. 263 Méthodes et outils de l’évaluation des impacts environnementaux Les modèles multicritères tel que «Electre» ou «Promethé» impliquent une approche visant la prise en compte de tous les éléments possibles d’un problème dans le processus de décision (Maystre et coll., 1994). Ces modèles aspirent à éclairer et à répondre aux questions dont la formulation peut être plus ou moins confuse, com- plexe ou évolutive. Ils fonctionnent sensiblement de la même manière que les tech- niques ordinales que nous venons de voir, avec en plus pour l’analyse des divers cri- tères, quelques raffinements méthodologiques issus des possibilités offertes par l’informatisation des opérations (Schärlig, 1985). Dans une analyse multicritère, la démarche s’articule autour de quatre grandes étapes qui sont selon Waaub (1995): – la définition de l’ensemble des solutions potentielles (actions ou scénarios) et la désignation de la problématique (choix, tri ou rangement); – l’analyse des conséquences des actions, l’élaboration des critères et l’évalua- tion de chaque action sur les critères (tableau des performances); – la modélisation des préférences globales et des procédures d’agrégation des per- formances (critères à retenir, agrégation des performances des actions sur ces critères, importance relative des critères, etc.); – la synthèse multicritère (analyse des résultats, sensibilité ou robustesse). Depuis quelques années les modèles multicritères sont de plus en plus employés, tant en enseignement qu’en recherche.Quoique bien considérés par plusieurs,ils sont cependant encore très peu utilisés dans des projets concrets d’ÉIE, comme l’a montré Simos (1990) pour l’un des rares cas bien documentés, celui de l’analyse comparative Figure 5.23 Tableau du classement final des alternatives (Holmes) Options/ Première Deuxième Troisième alternatives importance importance importance A 143 211 4511 B 432 535 5244 C 225 324 1355 D 351 142 2123 E 514 453 3432
  • 10. 264 L’évaluation des impacts environnementaux des options possibles pour les déchets urbains de Genève en Suisse2.Les modèles mul- ticritères,comme nous le mentionnions récemment à propos des différents outils sophis- tiqués employés en ÉIE (Leduc et Raymond,1996),sont bien sûr des instruments d’ana- lyse performants et ils pourraient fournir de grands services en ÉIE. Comme pour les autres méthodes comparatives,ils ne représentent toutefois qu’une démarche partielle et spécifique d’évaluation. Les modèles multicritères ne sont pas adaptés pour l’éva- luation globale d’un projet. Ils permettent de comparer les avantages et les inconvé- nients de diverses options à partir des différents critères de comparaison possibles. Ils agissent en fait un peu comme l’approche d’ordonnancement de Holmes.Cependant, l’emploi du support informatique implique une grande combinaison et manipulation des données et en conséquence des résultats. L’organisation et le traitement des don- nées s’effectuent à la collecte, au classement, à l’arrangement et, surtout, lors de l’opé- ration de modélisation. Par ailleurs, même lorsqu’ils sont compatibles avec l’ampleur des projets à l’étude, ce qui n’est pas toujours le cas, ces outils souffrent de fréquentes déficiences des ressources de support (matériel, temps et personnel) à leur bonne utilisation. De plus, l’insuffisance sinon l’absence de données solides complique et restreint gran- dement les avantages d’une telle approche. Comme c’est le cas également pour tout modèle, il est habituellement difficile d’appréhender les limites de tels outils sans une certaine connaissance intrinsèque du sujet. Dès lors, ils exigent un apprentissage long et dispendieux, une laborieuse adaptation aux conditions locales et spécifiques ainsi qu’une dépendance par rapport aux concepteurs ou spécialistes des modèles. Nous pourrions très bien étendre aux modèles multicritères,et ce,pour l’ensemble des pays à l’heure actuelle, les allégations de l’un de nos collègues qui remettait en cause l’emploi des systèmes d’information géographique (SIG) en Afrique, sauf rares exceptions.L’auteur soulignait que les données de base (c’est-à-dire cartographie récente, recensements disponibles), ainsi que l’assistance technique minimale (c’est-à-dire res- sources matérielles et humaines), étaient trop souvent défavorables à un apprentis- sage et à une utilisation efficace de ces modèles comme outil efficace de gestion (Baudoin, 1995). 2. Pour en savoir plus sur les modèles multicritères et tout particulièrement sur le traitement des don- nées et la présentation des résultats de tels outils, nous conseillons fortement la lecture du livre de l’auteur (Simos, 1990).