Le territoire et le paysage apparaissent comme des catégories spatiales marquées par l’ancrage dans la proximité et dans la métrique du continu. Or, notre univers spatial déborde de lui-même, se déploie en flux, en mobilités, en nomadismes et en interspatialités. Le territoire vient à peine d’être défini comme un espace approprié par des acteurs ayant conscience de cette appropriation, que déjà il faut le repenser dans le contexte de la mobilité généralisée, de la multirésidentialité, de la co-présence en chacun d’entre nous de plusieurs échelles de référence. Si le paysage était naguère appréhendé en majesté à travers une quête esthético-contemplative, que dire de lui dès lors qu’il se donne principalement à nous à travers des déplacements dont les finalités, les supports et les vitesses sont multiples ?
Que deviennent la topophilie de Yi Fu Tan, la connivence paysagère de Georges Sautter, la géographicité d’Eric Dardel, la médiance d’Augustin Berque, les coquilles d’Abraham Moles, les vacuums de Gilles Ritchot et Gaëtan Desmarais dans un monde réticulaire ?
La mobilité nous invite instamment à une révision d’ensemble de nos catégories spatiales et de nos métriques, elle nous pousse dans le même mouvement vers une trans-disciplinarité qui seule peut autoriser une telle reconstruction.
Quels concepts nouveaux, quels modes de collecte, quels modèles peuvent être mobilisés pour tenter d’apporter réponse à de telles préoccupations ? Les orientations récentes liées à la gouvernance, à la médiation, à la démarche participative, et plus généralement à la nouvelle donne prise en compte par le paradigme de l’intelligence territoriale, renforcent l’urgence des questionnements et les relient aux interrogations de l’habitant et du citoyen. C’est à cet ensemble de considérations que la communication tentera d’apporter quelques éclairages.
KOTBI et al. La méthode des scénarios appliquée aux territoires. L’exemple de...
A2 - Ormeaux, S. Le territoire au risque de l’itinérance
1. Le paysage, au risque de l’itinéranceSerge ORMAUXprofesseur à l’Université de Franche-Comté Laboratoire ThéMA (UFC – CNRS) 1
2. Plan 1- Le territoire débordé par le réseau 2- Le paysage, de la contemplation statique à l’itinérance 3- Les pesanteurs du regard hérité 4- Vers un nouvel espace-temps de la consommation paysagère 5- Quelques pistes pour une géographie des paysages dans l’itinérance 2
19. L’établissement du référent Entre juillet et novembre a été menée, une étude paysagère du chemin de Compostelle le plus fréquenté en France (Le Puy - Roncevaux par le GR65) et en Espagne (Camino Frances et sa prolongation jusqu’au cap Finisterre) Au total, 2 100 km de parcours ont été étudiés selon un protocole d’échantillonnage par photographies au sol réalisées toutes les 30 minutes de marche effective. En chaque point, quatre clichés ont été pris : deux dans l’axe de la marche (devant, derrière) et deux perpendiculairement à celui-ci (Griselin, 2003). Une banque de 3 776 photos pour 944 points d’échantillonnage correspondant à 110 jours de marche constitue donc le référent paysager du chemin.
20. O 50 100 km – 2 100 km de Bonboillon au Cap Finisterre, – 952 points photos – soit 3 808 clichés d’inventaire Bonboillon 1 Besançon Cluny 100 Point photo Montbrison 200 Le Puy 300 400 Aubrac 952 Cahors 500 Santiago Cap Fisterra Eauze Sarria 900 600 St-Jean-PP Leon 700 800 Pamplona Burgos Du point 1 au point 952
21. échantillonnage : – points de prise de vue – en chaque point échantillonnage angulaire
23. 2 3 1 4 2 3 98 1 4 99 2 3 Bonboillon 100 1 4 Santiago 100 Santiago La constitution progressive de la banque d’images
24. Une matrice d’information paysagère standardisée Tout aussi objective et systématique doit être ensuite l’analyse des clichés (présence-absence de certains objets, ampleur dimensionnelle du paysage, organisation scénographique du paysage, etc.). Toutes ces précautions observées lors de la collecte permettent d’établir une matrice d’information paysagère qui constitue le paysage potentiellement visible.
25. caractères nbre plans ampleur de vue % de biotique ... topo individus analyse des clichés grille de lecture standardisée document matrice d’information banque d’images informations
26. Le chemin de Compostelle : une réalité géographique qui contredit le mythe
27. les morceaux choisis que tous les ouvrages exhibent l’Aubrac la Meseta espagnole la montée à Roncevaux
28. La spatialisation de l’information concernant le statut du chemin va d’emblée à l’encontre desidées reçues En fait de chemin, 50 % des points montrent un revêtement asphalté et encore plus en France qu’en Espagne. L’Espagne se distingue par les pistes, particulièrement importantes entre Burgos et Astorga :dans ce pays, le choix a été fait de doubler l’axe « historique » (devenu route, voire autoroute) de pistes ouvertes au bulldozer assurant la sécurité des pèlerins. À l’inverse, la France a davantage développé des sentiers de randonnée en complément des chemins carrossables, le tronçon le plus sauvage étant sans le très mythique Le Puy-Conques-Figeac incluant le plateau de l’Aubrac.
30. Les objets du paysage Si l’on prend en compte les objets du paysage, on peut, cliché par cliché, relever en présence-absence, l’eau, l’habitat, les forêts, les cultures, etc. Par exemple, seuls 3,3 % des 4 000 clichés montrent de l’eau; cela correspond à 7,7 % des points, dont un sixième en bordure de la mer : le chemin de Compostelle est décidément un chemin « de la terre ».
33. La profondeur de champ (2) Là s’effondre le mythe des grands espaces offerts par le chemin : la vue est arrêtée entre 0 et 100 m sur 37 % des clichés (13 % à moins de 10 m) ; 37 % également ont une profondeur de champ très moyenne (100 à 1 000 m) ; 20 % offrent des vues longues (1 000 à 5 000 m) mais seulement 6 % dépassent 5 000 m. La plupart des représentations dans les livres montrent des paysages très ouverts, des vues très longues et dégagées,quand l’ordinaire du chemin est constitué de vues très courtes à moyennes, donnant souvent une sensation d’enfermement total ou de couloir.
35. Une typologie du paysage visible L’analyse globale (scénographie et objets) des quatre clichés de chaque point permet d’établir une typologie des paysages du chemin. Onze types ont été définis, de l’immersion en forêt aux vues très longues, en passant par les couloirs, les balcons, les vues accidentées, la présence d’eau ou d’habitat.
37. Types de paysage et profondeur de champ aux point de prise de vue, en relation avec l’altitude
38. On reconnaîtra dans ces classifications : Les grands espaces plutôt uniformes dela Castille, la composition paysagère complexe du tronçon Le Puy-Figeac liée à l’équilibre entre forêt fermée, relief marqué et vues en balcon. Le très mythique Aubrac (20 km), salué par tous comme« sublime », semble ne devoir sa spécificité qu’à la seule rythmique des variations, alternance rapide de paysages ouverts et de portions fermées, dans un espace duquel l’habitat urbain est totalement exclu.
39. Qu’en est-il de la sensibilité des utilisateurs aux paysages rencontrés ? Tous les marcheurs sur un itinéraire comme les chemins de Compostelle passant au même endroit, il est donc possible d'appréhender leur sensibilité au paysage en effectuant des comptages sur les collections de photographies qu’ils rapportent. Les albums photos de deux personnes ayant marché sur le même tronçon et à la même période que celle du relevé référentiel – ont été pris en compte : des 8 000 clichés de ce double album ont été extraites les photos de paysage.
41. Que contiennent les albums photos de deux marcheurs ? Au bout des 104 jours de marche, alors que les deux photographes ont des sensibilités bien différentes, on parvient à des pourcentages très similaires dans les deux collections. Les vues de paysages représentent respectivement 47 et 43 % du total des clichés de chaque album : en moyenne, nos marcheurs ont photographié le paysage 10 fois par jour pour l'un, 22 fois pour l'autre. Ces moyennes masquent une grande disparité dans l'espace et dans le temps, puisque, certains jours, on compte jusqu'à 150 clichés paysagers chez l'un et 80 chez l'autre.
42. Sensibilité au paysage sur le chemin de Compostelle entre la Haute-Saône et Santiago : relation entre le nombre de clichés paysagers par jour de marche dans deux albums personnels, la météo et le profil altitudinal
43. Quels liens entre le nombre de photographies et les conditions environnementales ? Une certaine indifférenc aux conditions climatiques ambiantes. En revanche, on note les mêmes variations dans les deux albums : des variations strictement liées aux dénivellations. Les montées aux trois points culminants de l'itinéraire se détachent nettement : traversée des Pyrénées,de l'Aubrac, montée à la Cruz del Ferro. La vallée du Célé, où l'on chemine pendant plusieurs jours tantôt en balcon de falaise tantôt en fond de vallée, provoque une augmentation du nombre de clichés paysagers chez les deux photographes. C’est la même chose pour l'arrivée sur la Meseta de Castille et, d'une manière générale, pour l'apparition au regard du marcheur des grands massifs ou de la mer, véritables “ morceaux choisis ” de paysage.
44. En conclusion Bien que limitée à deux albums seulement, cette observation révèle une sur-représentation identique à celle trouvée dans les guides et ouvrages concernant ce chemin de Compostelle par la voie du Puy. La comparaison avec d'autres albums personnels – notamment ceux de voyageurs de cultures différentes– permettrait d'approfondir cette tentative d'évaluation d'une forme de sensibilité au paysage. Mais on voit bien comment notre relation au paysage est médiatisée par le système culturel. Toute politique de valorisation touristique des paysages d’une région mérite que l’on prenne en , sans forcément s’y conformer, les représentations donc les attentes des visiteurs dans la manière de valoriser l’offre paysagère disponibles dans une région.