1. L’Auvergnat de Paris - L’Hebdo - jeudi 15 mars 2012
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RÉUSSITE
S
ous le pont du RER,dans la quié-
tude étrange de la rue Dareau,le
temps semble suspendu. La
devanture du Vaudésir ne déparerait
pas dans un décor d’Alexandre
Trauner réalisé pour un film de Mar-
cel Carné.Tout l’imaginaire du Paris
populaire du siècle dernier semble
s’être replié dans ce petit café-restau-
rant où, au-dessus des rideaux, on
peut lire sur la vitrine « Maison
Hantz », à côté de la promesse des
« Cafés Ladoux ». Lorsqu’on se
décide à pousser la porte, on décou-
vre un décor de rêve avec un vieux
comptoir en étain et des anges sculp-
tés au plafond. Au déjeuner, la salle
pleine à craquer contraste avec
l’aspect désertique de la rue.
Ce vieux bistrot parisien a sans
doute survécu grâce à son isolement.
« La licence date de 1904, raconte
Christophe Hantz, le patron, et tous
les propriétaires qui se sont succédé
dans les murs ont correctement gagné
leur vie. » L’établissement est en effet
condamné à être très attractif. Pour
survivre,il a toujours dû proposer un
rapport qualité/prix défiant toute
concurrence. Ici, l’œuf mayonnaise à
2,70 € demeure incontournable. Le
plat du jour est à 7,30 € et le rôti de
porc à la diable et sa potée de légu-
mes que concocte Michelle, la cuisi-
nière,vaut le détour.A tel point qu’au
déjeuner, les places sont dures à
trouver sans réservation. Le Vaudé-
sir est resté « le bistrot » dans toute
sa splendeur, à mille lieues du sno-
bisme parisien qui s’est désormais
emparé de ce vocable.
Coup de cœur
Christophe Hantz a franchi le seuil de
cette maison un peu par hasard,il y a
onze ans. Rien a priori ne devait le
conduire vers ce métier et encore
moins dans ce café.Titulaire d’un DEA
de droit international, il espérait que
son futur métier l’amènerait à voya-
ger.Finalement,il s’est aperçu,une fois
dans la vie active,que son métier res-
tait sédentaire et peu intéressant.Un
jour,un ami lui propose d’assurer l’in-
tendance d’un camp de chasse en
Afrique. « Je pensais rester deux mois,
j’y suis resté trois ans », raconte-t-il.Ce
faisant, il gère l’hébergement, mais
aussi la restauration et se prend vite
au jeu.
Au-dessus du bar, dernier vestige de
cette période, une photo de trois
chasseurs montre Christophe Hantz
entouré de deux clients autour d’un
phacochère. Mais l’homme n’a pas
l’âme d’un broussard invétéré. De
retour à Paris en 2000,il constate vite
que le monde du droit international
ne l’attend pas avec impatience.Il doit
vite trouver une porte de sortie pro-
fessionnelle.Mais surtout,enAfrique,
il a pris le goût de l’indépendance.
« C’est vite devenu une évidence, j’avais
quelques économies et j’ai voulu acheter
un vieux bistrot », raconte-t-il.En plein
cœur de l’été, il rend visite à un spé-
cialiste des transactions de fonds de
commerce. Ce dernier, plongé dans
ses derniers préparatifs de vacances
et déjà en tenue de touriste, lui grif-
fonne alors cinq adresses d’établisse-
ments en vente sur une liste.
« J’ai pris la liste à l’envers en commen-
çant par le dernier nom. C’est ainsi que
je suis arrivé devant leVaudésir, se sou-
vient-il. Une fois à l’intérieur, je n’ai
même plus songé à visiter un autre éta-
blissement ». Il parvient,en raclant les
fonds de tiroir, à réunir les 80 000 €
nécessaires au rachat.C’était environ
70 % du CA de l’époque. Il est prêt à
tous les sacrifices. Pendant deux ans,
il va habiter avec son fils entre la cour
et la petite pièce attenante au café.
Michelle veille
sur la cuisine
La cuisinière de l’ancien patron sou-
haitait alors partir en retraite. Chris-
tophe a tout de suite dû trouver une
solution de remplacement.« Mon pré-
décesseur m’a parlé d’une personne qui
venait de temps à autre donner des coup
de main. C’était Michelle. Je suis allé lui
parler. Elle était alors caissière dans un
supermarché. Je lui ai fait une proposi-
tion.Le lendemain elle m’a rappelé pour
me dire qu’elle avait démissionné et
qu’elle était disponible. Notre collabora-
tion dure depuis 11 ans ».
Au fil des ans, Christophe a amélioré
l’équipement de la cuisine afin de la
mettre aux normes. Avant son arri-
vée, il n’existait pas d’autre système
de ventilation que l’ouverture de la
fenêtre. Pour pallier cette lacune, il a
fait installer une hotte et un conduit
d’extraction.
Depuis lors, Michelle, de son côté,
propose une cuisine ménagère,tradi-
tionnelle et généreuse qui contribue
largement au succès de l’établisse-
ment. Autour de cette table gour-
mande, toutes les classes sociales se
réunissent.On retrouve des ouvriers,
des hommes d’affaires, des artistes,
des employées de bureau.La clientèle
apprécie le côté fait maison. Michelle
va jusqu’à fabriquer elle-même ses
saucisses avec des herbes, voire des
cèpes…
Il faut rappeler que leVaudésir est l’un
des grands crus de Chablis. Christo-
phe se devait de réunir une offre vin
à la hauteur des promesses de son
enseigne.Il pratique aussi sur la carte
des vins une politique de tarif bas.Ici,
les cubitainers de Saint Pourçain sont
vite à sec. Le patron, fin connaisseur,
sait dénicher des bonnes affaires dans
toutes les régions.On trouve des vins
comme le Gaillac à 12 €.Un Bourgo-
gne Chitry à 19 € et toutes les bou-
teilles sont déclinées en verre et
pichet de 25 et 50 cl. Christophe
Hantz ne cherche pas la sophistica-
tion.Il privilégie les vins de comptoir,
mais agréables et simples à boire.Car,
même s’il a singulièrement augmenté
l’activité restauration, le patron veut
que leVaudésir conserve sa vocation
de café et de lieu de vie. L’une des
deux salles accueille tous les après-
midi et en début de soirée des
joueurs de belotes et de manille. Les
parties sont souvent acharnées.
Christophe organise même des tour-
nois où il propose de gagner des jam-
bons d’Auvergne.
L’Auvergne
en toile de fond
En effet il fait la part belle aux pro-
duits auvergnats.A la carte,on trouve
le cantal,le saint-nectaire et le roque-
fort aveyronnais. Car en dépit de ce
que peut laisser penser son patro-
nyme, Christophe Hantz est Auver-
gnat. Au siècle dernier, au fil des
guerres, sa famille originaire de Lor-
raine a longtemps hésité entre l’est
de la France et l’Auvergne.Lors de la
Seconde guerre mondiale, la famille
Hantz s’est réfugiée à Brioude. La
grand-mère de Christophe est même
parvenue à préserver la ville des
représailles allemandes en 1944,grâce
à ses talents d’interprète. Un hom-
mage a été rendu à sa mémoire pour
ce fait de bravoure, il y a trois ans.
Si Christophe a passé sa jeunesse à
voyager au gré des affectations de son
père, sa famille possède depuis 1968
une maison en Haute-Loire, dans le
hameau de Babonnès. Son père y
réside désormais. Dès qu’il peut s’é-
loigner quelques jours du Vaudésir,
Christophe aime filer vers sa maison
de Haute-Loire ou en Afrique où il a
gardé de solides liens. La maison de
Babonnès est devenue le berceau de
la famille et les Hantz sont désormais
considérés comme de vrais Auver-
gnats dans le village. « On parlait tou-
jours de notre maison comme celle de
« Monsieur Soulès » l’ancien proprié-
taire. Mais, il y a quelques années, dans
le journal l’Eveil de la Haute-Loire, mon
père a été ravi de lire un article où l’on
évoquait notre demeure sous le nom de
Maison Hantz. C’était le signe qu’après
40 ans de présence régulière dans le
village, nous étions enfin acceptés. »
Jean-Michel Déhais
Le Vaudesir
41, rue Dareau
75014 Paris
Tél. 01 43 22 03 93
CHRISTOPHE HANTZ, LE VAUDÉSIR
Lesvertusduzincàl’ancienne
Ancien spécialiste du droit international, Christophe Hantz, 45 ans, connaît aujour-
d’hui le succès au Vaudésir. Dans ce vieux café-restaurant du quatorzième arron-
dissement le temps semble miraculeusement arrêté. Avec sa cuisinière, le patron a
choisi de travailler comme on le faisait autrefois : une cuisine entièrement faite mai-
son, des canons généreux et des parties de belote aussi acharnées que celles que
contait Pagnol. Il faut croire que cela plait toujours puisque l’établissement ne dés-
emplit pas. Photos Gérard Lavalette
« Une fois à
l’intérieur, je n’ai
même plus songé
à visiter un autre
établissement. »
Christophe Hantz,
derrière son zinc.
Christophe Hantz et
Michelle, sa
cuisinière, devant le
Vaudésir.
Un décor intact, mais
scrupuleusement entretenu.
Les parties de
belote disputées
en fin d’après-midi
ont parfois un
caractère
pagnolesque.