Pointés du doigt suite au scandale du travail d’enfants et aux très faibles prix payés aux producteurs, les grandes entreprises du secteur du cacao et du chocolat ont pris des initiatives pour améliorer la durabilité de l’industrie. Qu’en est-il aujourd’hui, surtout après une forte diminution l’an dernier du prix du cacao sur le marché mondial ?
Par ailleurs, en dépit de ces conditions de marché difficiles, des coopératives optent résolument pour une production durable. Vingt d’entre elles bénéficient d’un appui du Trade for Development Centre (TDC). Afin de mettre en lumière leur travail, nous nous sommes rendus non seulement au Ghana et en Côte d’Ivoire, mais aussi en Bolivie et au Vietnam.
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« Savourez votre chocolat : il sera impayable dans cinq ans ! », titraient les journaux
en 2014, alors que de grands fabricants de chocolat, comme Mars et Barry Calle-
baut, prévoyaient une pénurie de cacao d’ici 2020. Un constat que l’ICCO, l’Organi-
sation internationale du cacao, a d’emblée qualifié de « conclusions prématurées ».
« Ces dernières années ont été caractérisées par une alternance entre excédents et
pénuries, en fonction des récoltes en Afrique de l’Ouest, et nous ne nous attendons
pas à une amélioration de la situation à l’avenir. » Ces querelles n’ont cependant eu
que peu d’effet sur le marché. Mû par une logique économique de demande en
légère croissance et de fluctuations limitées de l’offre, le prix du cacao sur le marché
mondial a poursuivi sa lente ascension.
Jusqu’à la fin de 2016. Des conditions climatiques favorables, associées à des vents
modérés en provenance du désert, ont alors contribué à une hausse considérable
de la production en Côte d’Ivoire et au Ghana. Tout à coup, l’offre a nettement
dépassé la demande et les mécanismes du marché ont fait chuter, à la mi-2017, les
prix sur le marché mondial de plus de 33 % pour atteindre leur plus bas niveau en
huit ans.
Un prix plus bas sur le marché mondial a immanquablement des répercussions pour
les cacaoculteurs. Tant la Côte d’Ivoire que le Ghana comptent des organismes
publics qui leur garantissent un prix minimum. Mais, au début de la récolte en
mars 2017, la Côte d’Ivoire a annoncé qu’elle était tenue de réduire le prix minimum
accordé aux producteurs, le faisant passer de 1.100 à 700 francs CFA le kilo
(1,06 €), soit une baisse de 30 %. Pour sa part, le Ghana a décidé de maintenir son
prix garanti, mais le pays a déclaré avoir déjà perdu plus de 1 milliard de dollars de
recettes d’exportation. Reste à savoir combien de temps le Trésor public pourra ré-
sorber cet écart entre le marché et les agriculteurs. Nombre de projets planifiés,
comme la réalisation de routes dans les régions cacaoyères, ont déjà été mis en
suspens. L’achat des récoltes a même dû être légèrement différé faute d’argent. Qui
plus est, la contrebande de cacao de la Côte d’Ivoire vers le Ghana a connu une
énorme progression.
Une augmentation des prix n’est pas en vue dans l’immédiat, étant donné que, cette
année aussi, les conditions climatiques ont été favorables.
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Pour VOICE la façon la plus simple de sortir de cette impasse, est de payer
davantage les cacaoculteurs, soit en instaurant un prix plancher - à l’instar de
ce que font déjà plusieurs petits chocolatiers -, soit en appliquant un système
flexible de primes.
La World Cocoa Foundation (WCF), une organisation représentant toutes les
grandes entreprises du secteur, a pour sa part réagi en admettant que les
conditions de marché actuelles sont intenables à long terme, mais elle a aussi
immédiatement mis en garde contre des perturbations du marché : « Si nous
nous bornons à augmenter les prix versés aux agriculteurs, l’offre risque d’aug-
menter encore. Aussi, il nous faut dans le même temps élargir le marché, certai-
nement dans des économies émergentes comme l’Inde, la Chine et le Brésil,
tout en empruntant davantage encore la voie de la production durable. » Des
propos auxquels Anthonie Fountain, coauteur du rapport VOICE, a répondu en
affirmant : « Tout le monde s’accorde à dire qu’une augmentation des prix pour
les cacaoculteurs n’est pas la seule piste à explorer. Mais il semblerait qu’à
présent, le secteur soit trop souvent prêt à tout envisager, sauf justement une
augmentation de ces prix. »
Nick Weatherill, Directeur de l’ICI (International
Cocoa Initiative, une organisation qui met sur pied
des projets de sensibilisation au Ghana et en Côte
d’Ivoire avec des fonds de l’industrie, se fait l’écho
d’une préoccupation supplémentaire : « Une détério-
ration de la situation accroîtra aussi le risque
d’esclavage d’enfants. »
Un risque qui n’est pas nouveau. Il y a vingt ans, les
informations révélant que des enfants maliens et
burkinabés âgés de 12 ans avaient été vendus
comme esclaves pour travailler dans des plantations
familiales ghanéennes et ivoiriennes, avait choqué
le monde entier. De très nombreuses initiatives in-
ternationales avaient alors été prises tant par des
pouvoirs publics que par l’industrie.
Selon le rapport A Matter of Taste de l’ONG Stop
the Traffik, celles-ci ont été plus ou moins couron-
nées de succès. Cette ONG a comparé les six
principaux fabricants de chocolat sur base de onze
critères, dont la présence d’un système de contrôle
du travail des enfants, les investissements consentis
dans les communautés locales et la certification.
C’est le Plan Cacao de Nestlé, lancé en 2009, qui
décroche la meilleure note.
Source:BASIC
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Fairtrade International
gère depuis 1988 le principal label international de commerce
équitable. Deux possibilités existent pour le cacao : d’une
part, apposer le label Fairtrade bleu vert sur leur produit cho-
colaté en faisant certifier tous les ingrédients pour lesquels il
existe des standards équitables (cacao, sucre, noix…) et, d’autre part, utiliser
le logo du Fairtrade Sourcing Program, qui permet de ne certifier qu’un seul
ingrédient, le cacao par exemple.
Rainforest Alliance
est une ONG américaine fondée dans l’optique de protéger
l’environnement et la biodiversité. Elle s’est ensuite égale-
ment consacrée à la certification de produits cultivés de fa-
çon durable. Nonobstant la présence de critères sociaux (mais, contrairement
à Fairtrade, aucun prix minimum n’est garanti aux producteurs), l’accent est
davantage mis sur des aspects écologiques.
UTZ
est une initiative néerlandaise lancée par le secteur du café.
Depuis 2002, cette ONG a véritablement pris son envol et
s’est, elle aussi, engagée dans la filière du cacao, en mettant
fortement l’accent sur la formation des agriculteurs et la lutte contre le travail
des enfants. Ici non plus, aucune trace d’un prix minimum.
Rainforest Alliance et UTZ ont fusionné en janvier 2018
et un nouveau système de certification est annoncé pour
2019. L’organisation poursuivrait alors l’aventure sous le
nom de Rainforest Alliance.
CEN/ISO
Aujourd’hui, la plupart des chocolatiers collaborent avec
au moins un des systèmes internationaux de certification.
Mais, une autre piste pour qualifier le cacao de durable
est en passe de se concrétiser. Depuis 2011, le CEN
(Comité européen de normalisation), la coupole des orga-
nisations nationales de normalisation de 33 pays euro-
péens, œuvre à l’élaboration d’une « norme générale pour
le cacao durable ». Un objectif ambitieux vu que le CEN
quitte pour la première fois son terrain de prédilection -
les normes de qualité et de sécurité - pour aborder un
thème aussi complexe que la durabilité. Il a rapidement
été rejoint dans cette entreprise par l’ISO (International
Organization for Standardization) et ses 163 pays
membres ; les pays producteurs de cacao, les entreprises
et les ONG se retrouvant ainsi également autour de la
table. La date de publication de la norme a déjà été repor-
tée à plusieurs reprises et son impact potentiel sur les
pratiques adoptées dans le secteur, sur le rôle joué par
les certificateurs, ou encore sur la vie des agriculteurs de-
meure une inconnue.
Tous ces projets se traduisent-ils déjà par des résultats positifs ? Fin 2017, VOICE avait publié un discussion paper appelant tous les acteurs du
marché du cacao – pays producteurs, certificateurs et secteur privé – à plus de transparence. Les rapports annuels font souvent état de l’ampleur
des actions entreprises (autant de villages repris dans le projet, autant d’agriculteurs touchés, autant d’écoles construites), mais rarement, voire
jamais, de leur impact. « La construction d’une école n’est pas en soi une information pertinente », poursuit Anthonie Fountain, « contrairement au
fait de savoir si cette école permet d’accroître le nombre d’élèves fréquentant les cours et de réduire le taux d’analphabétisme. Il en va de même
des programmes de formation s’adressant aux agriculteurs. Quel impact ce genre de formations a-t-il sur leur productivité et
surtout sur leurs revenus ?»
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Aux Pays-Bas, tout comme en Suisse et au Royaume-Uni, le marché équitable s’est
fortement développé depuis que les distributeurs se sont engagés dans cette voie.
En Belgique aussi, la grande distribution a promis ces dernières années de ne pas
ménager ses efforts en faveur du chocolat durable. Pionnier, Delhaize continue de
proposer toute une vaste gamme de produits labellisés équitables ou durables.
Depuis quelques années maintenant, des figurines en chocolat Fairtrade font même
leur apparition dans les rayons durant la période de Saint-Nicolas et de Pâques.
Chez Carrefour également, le commerce équitable prend son envol. L’entreprise a
annoncé en avril 2017 qu’Eclair, le fournisseur de toute la pâtisserie, n’utiliserait
désormais plus que du cacao Fairtrade.
ALDI, de son côté, propose depuis la fin 2017 100 % de cacao certifié durable pour
tous les produits chocolatés de ses propres marques. Même son de cloche du côté
de Colruyt, qui attend de tous ses fournisseurs qu’ils utilisent du cacao certifié pour
les produits sous marque de distributeur. Lidl s’investit lui aussi à 100 % dans les
marques de distributeur certifiées UTZ, en combinaison avec un projet mis en œuvre
dans une école d’agriculture en Côte d’Ivoire.
De la fève de cacao à la barre de chocolat, la
chaîne est longue et les maillons nombreux. En
règle générale, le processus de production est
fractionné et les chocolatiers ne sont pas les
mêmes que les entreprises qui procèdent à la
torréfaction, au broyage-affinage et au pressage
des fèves de cacao. Toutefois, à l’heure
actuelle, de plus en plus de chocolatiers
assurent eux-mêmes l’ensemble du processus.
Leur matière première n’est pas le « chocolat de
couverture » livré sous forme liquide dans de
grandes citernes, mais bien la fève de cacao à
proprement parler.
Ce groupe toujours plus nombreux de chocola-
tiers artisanaux – communément appelé le
mouvement bean to bar (de la fève à la barre de
chocolat) – privilégie le plus souvent la qualité à
la quantité et sillonne notre planète en quête de
cacao de qualité supérieure et de saveurs
particulières. Cela ne se traduit pas toujours -
bien que cela soit très fréquemment le cas
cependant - par de bonnes relations avec les
agriculteurs et une rémunération équitable pour
leur travail. Si Pierre Marcolini et Dominique
Persoone sont assurément les personnalités les
plus connues, il y en a aujourd’hui de plus en
plus.
@Breadfortheworld
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Assurer aux organisations de producteurs un meilleur accès au marché, tel est
l’objectif du Trade for Development Centre (TDC). Vingt coopératives ou
groupes de producteurs de cacao viennent de bénéficier de son appui. Douze
d’entre eux – répartis entre la Bolivie (1), le Pérou (7), le Vietnam (1), le Ghana
(1) et la Côte d’Ivoire (2) – ont reçu un appui financier, tandis que 8 coopéra-
tives ivoiriennes ont suivi deux modules de coachings en marketing. Les
pages qui suivent présentent quatre de ces groupes et leurs projets.
Yuracaré
Dans la partie bolivienne du bassin amazonien, en particulier dans les basses terres
au nord de Cochabamba, vivent les Yuracaré, un peuple indigène de chasseurs-
cueilleurs. Une des principales activités économiques de ces communautés est la
cueillette de cacao sauvage, ou cacao sylvestre, un produit de haute qualité prisé
par les chocolatiers. Mais, ces dernières décennies, l’habitat des Yuracaré est gra-
vement menacé par la déforestation. Tirant parti de la nouvelle Constitution qui
octroie aux communautés indigènes des droits sur leur « territoire originel », les
Yuracaré ont entrepris de préserver leur mode de vie traditionnel. Le Conseil des
Yuracaré a ainsi fondé en 2011 l’association ARCASY (Asociación de Recolectores
de Cacao Silvestre Yuracare), dans le but de trouver de meilleurs canaux de vente
et générer des revenus. Aujourd’hui, cette association regroupe déjà quelque 176
cueilleurs de cacao sauvage.
Des centres de collecte pour de meilleurs prix
Ces dernières années, ARCASY a consacré beaucoup d’énergie à l’élaboration d’un
« Plan de gestion pour la cueillette de cacao sauvage », en concertation étroite avec
le service public bolivien responsable de la gestion forestière. Unique en Bolivie, ce
plan impose aux Yuracaré de protéger les forêts, tout en leur conférant officiellement
le droit de cueillir, transporter et commercialiser le cacao sauvage, tant à destination
du marché domestique qu’à des fins d’exportation.
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qu’un travail sur les stratégies, les groupes cibles, les
messages et canaux de communication. La société a reçu
du TDC un budget de 15.000 € pour développer des outils
de communication : des spots radio, un site web, des dé-
pliants, un calendrier et des cartes de visite. Deux
produits ont toutefois été développés en priorité : une
brochure expliquant - surtout en images pour ceux qui ne
savent pas lire ! - comment se déroule la certification,
ainsi qu’une plaquette de présentation destinée aux
clients potentiels. Cette dernière a d’ailleurs été utilisée fin
octobre 2017, à l’occasion du Salon du Chocolat de Paris.
Le deuxième module de coaching, en novembre 2017, a
coïncidé avec le très fréquenté Salon international de
l'agriculture et des ressources animales (SARA), où
SCINPA disposait d’un stand. L'organisation a notamment
rencontré le ministre de l'agriculture et du développement
durable de Côte d’Ivoire qui les visitera prochainement.
SCINPA a depuis reçu une belle couverture médiatique
avec, entre autres, un article dans le magazine Afrique
Culture et une interview diffusée en prime time sur la RTI.
Une excellente publicité !
Les projets du TDC au Ghana et en Côte d'Ivoire
n'ayant débutés qu'en 2016, il est encore trop tôt pour
mesurer leur impact. Il est clair que les défis pour les
producteurs de cacao dans la région sont énormes,
tout comme le besoin d’accompagnement, tel que
proposé par le TDC, pour rendre la production plus
durable et améliorer l'accès au marché.
TDC, février 2018
Trade for Development Centre
- Voir deux articles précédents du Trade for Development Centre :
« Plus d’éthique dans la filière du cacao d’ici 2020 : rien qu’une promesse ? » (2014)
« À la recherche d'une norme mondiale pour le cacao durable » (2015). Les deux articles peuvent être
téléchargés sur http://befair.be/fr/all-articles).
- Dedicated, Market study on the presence of sustainable products in Belgian supermarkets, réalisée
pour le TDC en avril 2016.
Sur les bas prix et les conséquences pour les paysans
- VOICE, Looking for a Living Income, Cacaobarometer 2015, www.cocoabarometer.org.
- AFD, Cocoa farmers’ agricultural practices and livelihoods in Côte d’Ivoire, Notes techniques
n°24, février 2017.
- Lotte Alsteens, Chocolade zal eerlijk zijn, of niet zijn, De Standaard, 9 août 2017 (via
www.standaard.be).
- Michel Visart, Qui profite, ou pas, de la chute vertigineuse des cours du cacao ?, RTBF, 9 mars 2017
(via www.rtbf.be).
- Kieran Guilbert, Falling cocoa prices threaten child labor spike in Ghana, Ivory Coast, Reuters, 12 juni
2017 (via www.reuters.com).
- Stop the Traffik, A Matter of Taste. How chocolate companies and certifiers are currently striving to
combat child labour and human trafficking on cocoa farms in Côte d’Ivoire and Ghana, mars 2017,
www.stopthetraffik.com.au/chocreport.
- VOICE, Raising Farm Gate Prices. Approaches to Ensure a Living Income for Smallholder Cocoa
Farms, Consultation Paper, 2017.
- VOICE, Transparency & Accountability, Consultation Paper, 2017 (document préparatoire au Cacao-
barometer 2018).
- Oliver Nieburg, ‘Simplest way’ is to pay more : Chocolate industry urged to up farm gate price to avert
poverty in cocoa, Confectionery News, 21 avril 2017 (via www.confectionarynews.com).
Programmes durabilité chez les industriels
- Ferrero : www.ferrerocsr.com
- Hershey : www.thehersheycompany.com > responsibility
- Mars : www.mars.com > sustainability
- Mondelez : www.cocoalife.com
- Nestlé : www.nestlecocoaplan.com
Certificateurs
- Fairtrade International : www.fairtrade.net
- Oliver Nieburg, ‘Next stage of evolution’: Mondelez teams with Fairtrade to expand Cocoa Life to
Cadbury Brand, Confectionery News, 17 november 2016 (via www.confectionarynews.com).
- Utz Certified : www.utzcertified.org
- Rainforest Alliance : www.rainforest-alliance.org
Projets appuyés par le TDC
- Dossiers de candidatures, évaluations et rapports fournis au Trade for Development Centre.
- NAPP : www.fairtradenapp.org.
- Kookoo Pa : www.kookoopa.org.