1. quand il manquait quelqu’un, Giagiá
passait son temps à guetter les voitu-
res jaunes porteuses de bonnes nou-
velles. Et depuis qu’ils avaient installé
leurs affaires, aéré la maison, fait le
ménage en grand, acheté quelques
courses au marché, fait réviser le
moteur du bateau, avec Papouss, ils
avaient senti qu’il manquait quel-
qu’un. Au regard inquiet de l’aîné, aux
coups d’œil curieux du cadet. Au
silence de l’un et à l’agitation de
l’autre. L’absence planait comme un
fantôme au-dessus de leurs têtes. Et
la voilà – ou plutôt les voilà – qui se
présentaient, avec un peu de retard.
Avant de faire un pas, Anna prit le
temps de s’imprégner des lieux. Tout
était comme elle se l’était imaginé : le
blanc éclatant de la chaux sur les
façades des maisons, le bleu délavé
des volets, les collines vertes avec les
cultures en terrasse qui quadrillaient
les champs. Les bateaux aux coques
multicolores alignés contre le quai et,
au loin, le monastère perché au-des-
sus de la mer. Anna se demanda si
Gabriel était abonné aux décors féeri-
ques ou si c’était lui qui les rendait
magiques. Comme seule adresse,
elle avait ce petit port au sud-est de
l’île. Cette anse aux eaux transluci-
des. Mais où était donc son phare ?
Anna se décida à longer les restau-
rants le long du quai. La plupart
étaient fermés en cette saison. Des
terrasses vides où la végétation pre-
nait le dessus, comme ce tamaris
dont le tronc s’était assis sur le carre-
lage poussé par le vent, et ces oliviers
centenaires qui étendaient leurs raci-
nes jusqu’à la plage. Les hommes
avaient déserté les lieux, eux aussi.
Au loin sur la jetée, elle aperçut quel-
ques pêcheurs qui réparaient leurs
filets et du côté de la plage, un hom-
me qui marchait dans sa direction.
S’il n’avait pas été vêtu de rouge, elle
aurait juré qu’il s’agissait de Gabriel.
Grand, nonchalant, taille fine, épau-
les larges, longs bras qui balançaient
comme s’il brassait l’air. Plus ils avan-
çaient tous les deux, plus la ressem-
blance devenait frappante et obsé-
dante.
L’avait-on prévenu de son arrivée ?
Comme si la beauté des choses
était invisible
– Tire plein fer, Gaby ! lui conseilla
Papouss d’un ton expert en plissant
les yeux en direction du cochonnet.
– Non, je ne préfère pas. Le terrain
n’est pas assez sec et le vent est con-
tre moi.
– Tu viens de faire un calcul dans ta
tête, c’est ça ? se moqua Evann en
prenant à partie Giorgio, son parte-
naire local, bien décidé à gagner la
partie lui aussi. Le carré de l’hypoté-
nuse…
– Parabole ou hyperbole plutôt, pré-
cisa le lanceur avec un sourire inso-
lent, avant de se décider à jeter sa
boule vers le ciel.
Et quelques secondes plus tard, le
Père Noël — qui avait troqué son
déguisement contre un pull du même
rouge avec un gros renne dessiné au
milieu — s’écria en sautillant sur place
comme un enfant.
– Carreau ! Il l’a fait ! Il l’a fait !
Et le pompon à la place du museau
du renne sautilla avec lui.
– J’hallucine, pesta Evann, couvert
de son « ugly Christmas sweater » lui
aussi. Orange carotte avec un gros
chien qui tirait la langue. J’espère que
le vent ne t’a pas trop gêné !
Gabriel s’avança pour mieux visuali-
ser son exploit et eut envie de tirer la
langue à son frère – comme le chien.
– J’ai eu de la chance sur ce coup-
là !
– Et sur ce coup-là ? l’interpella Gia-
giá depuis la plage, avec un sourire
jusqu’aux oreilles.
Et voilà qu’il n’était pas au bout
de ses surprises
Attablée sous le tamaris, la femme
pointait du doigt le taxi qui venait de
faire irruption sur le quai. Là où une
silhouette en manteau d’Esquimaude
était justement en train d’en sortir
avec un cosy qui se balançait au bout
de son bras. C’était plus fort qu’elle,
Episode 30/30
– Salut ! prononça Anna le sourire
aux lèvres, en détaillant son affreux
pull de Noël.
Le bonhomme de neige au bonnet
rouge et aux trois pompons noirs en
guise de boutons souriait lui aussi. Et
Gabriel eut une moue penaude com-
me s’il venait de réaliser qu’il était
déguisé. Lorsqu’il tenta de se débar-
rasser de son pull en se trémoussant,
en ondulant comme une anguille et
en butant au niveau du passage de la
tête, Anna éclata de rire et se deman-
da ce qui la faisait le plus craquer :
l’homme ? Sa maladresse ? Ou le fait
qu’il ignorait totalement à quel point il
était charmant et touchant ?
– Salut ! Bienvenue dans mon jar-
din d’hiver, finit-il par prononcer, une
fois libéré de sa camisole.
Le jardin d’hiver. Anna repensa à la
chanson qu’elle l’avait entendu fre-
donner à l’hôpital. À la tendresse de
ses gestes vis-à-vis de l’enfant qu’il
berçait, à la douceur de ses mots.
– Rappelle-moi… On y fait quoi
dans ton jardin d’hiver ? le défia-t-elle
du regard.
Deux virgules curieuses, pleines de
gourmandise.
– On déjeune par terre comme au
long des golfes clairs… On s’embras-
se les yeux ouverts, lui souffla-t-il en
se penchant pour approcher ses
lèvres.
Il se demanda comment son par-
fum avait pu la suivre jusque-là et il
aspira son souffle comme s’il man-
quait d’air.
– Tu triches, tu fermes les yeux, plai-
santa-t-elle entre deux respirations.
– Je ne peux pas m’en empêcher…
Quand je pense, je rêve, je fais la
même chose.
– Comme si la beauté des choses
était invisible.
– Alors qu’elle se trouve devant moi.
« Va où le vent
te berce »,
Sophie
Tal Men,
Éditions
Albin Michel.
Était-ce possible que leurs retrou-
vailles soient si faciles ? Quand le
soleil rasa la colline, illumina son visa-
ge et déposa de l’or sur sa peau, la
ressemblance devint une évidence.
Gabriel tapa joyeusement la main
de Papouss. La partie était pliée.
Evann et Giorgio accusaient le coup.
Il avait bluffé puis tenté l’impossible
sans y croire. Et voilà qu’il n’était pas
au bout de ses surprises. Anna.
Andréa. Comment avaient-ils fait
pour venir jusqu’à lui ? Les avait-on
accompagnés ? Leur était-il arrivé
quelque chose ? Le berceur, inquiet,
marcha vers eux comme un automa-
te. Avec la même impression ressen-
tie quelques jours plus tôt, quand il
les avait amenés dans son phare.
Une impression de rêve éveillé,
d’émotion intense, de vertige même.
Et il activa ses bras pour aller plus vite.
Si vite qu’il dut ralentir le pas pour ne
pas la percuter.
Pendant ce temps, Papouss s’était
rapproché de Giagiá et la serrait con-
tre lui.
– Dis donc, vieille sorcière… tu vois
ce que je vois ?
– Je n’en rate pas une miette !
– La petite, elle en a mis du temps à
se décider. J’ai bien cru qu’elle allait
rater mon pesk ha farz !
– La loi de l’attraction, commenta-t-
elle en poussant un soupir d’extase.
Si ce n’est pas merveilleux !
– Comment tu appelles ça déjà ?
– De l’amour beurre-sucre… com-
me la crêpe.
– Ah oui ! C’est vrai… Et là ?
– Ça m’en a tout l’air, vieux bri-
gand… Ça m’en a tout l’air !
Illustration : Maxime Le Boulaire
Feuilleton par Sophie Tal Men« Va où le vent te berce »
« Pourquoi ne pas dire aux lecteurs
que les végétariens sont moins tou-
chés par le Covid que les carnivores
– cf études en Inde – et pourquoi ne
pas faire le rapprochement avec les
nombreux cas dans les abattoirs ?
Avez-vous peur de nuire aux lobbies
de la viande, qui seraient puissants
en France ? »
Cette question, quelque peu patinée
de reproches, nous a été posée par
Guy. Et ce que l’on peut d’abord
répondre, c’est que si Ouest-France
ne s’est effectivement pas étendu sur
le sujet, ce n’est pas là le fruit d’une
autocensure face à un quelconque
lobby de la viande, mais tout simple-
ment qu’aucune étude ne démontre
pour le moment un lien entre les habi-
tudes alimentaires des végétariens et
le fait que ces derniers seraient moins
touchés par le Covid-19.
« Aucune preuve médicale »
Mais revenons à la question qui méri-
te malgré tout d’être posée. Guy évo-
que l’Inde. Traditionnellement, une
part importante de la population
indienne est végétarienne ; voire
vegan. Il y a donc eu beaucoup
d’informations qui ont circulé dans ce
pays entre un possible lien entre
végétarisme et immunité face au
Covid.
Certaines publications sur les
réseaux sociaux ont même prétendu
qu’un rapport de l’Organisation mon-
diale de la santé (OMS) confirmait
que les végétariens étaient protégés
du nouveau coronavirus. Mais il s’agit
d’une fake news. « L’OMS n’a pas fait
une telle déclaration », a déclaré
Supriya Bezbaruah, la représentante
de l’Organisation en Inde, début mai,
pour couper court à cette rumeur.
Le Dr RV Asokan, secrétaire géné-
ral de l’Association médicale indien-
ne, a également réfuté. « Il n’y a abso-
lument aucune vérité dans cette
affirmation. Il n’y a aucune preuve
médicale que la nourriture non
végétarienne soit en quelque sorte
liée à la susceptibilité à la mort des
covidés », a-t-il déclaré au printemps.
Facteurs aggravants
De notre côté, nous avons interrogé la
nutritionniste Béatrice de Reynal qui
réfute, elle aussi, tout de go cette affir-
mation selon laquelle un régime
végétarien prémunirait du coronavi-
rus. « L’alimentation, quelle qu’elle
soit, ne prédit en rien à contracter
moins ou davantage un virus. Par
contre, elle joue sur les facteurs
aggravants, ce qui est tout autre
chose », tranche la spécialiste.
Là pour le coup, des études l’ont
prouvé, une consommation plus
importante de fruits, de légumes, de
céréales à grains complets, de légu-
mineuses et de noix, permettent aux
végétariens d’afficher en moyenne un
indice de masse corporelle plus bas,
des taux de cholestérol plus faibles et
une pression sanguine moins élevée.
Bref, de présenter moins des facteurs
de comorbidité face aux virus, com-
me le Covid-19.
Ce que l’on peut donc affirmer Guy,
et Béatrice de Reynal le résume ainsi,
c’est qu’« une alimentation saine et
équilibrée contribue à un système
immunitaire performant ». L’OMS a
par ailleurs expliqué que si elle est
correctement préparée, la viande
peut être consommée pendant la
pandémie.
Et les abattoirs alors ? Promiscuité,
atmosphère humide propice à la sur-
vie du virus… Les explications ont été
données par les spécialistes. Et les
scientifiques se sont toujours mon-
trés rassurants. « Aucune donnée
scientifique ne laisse penser que le
virus peut nous contaminer par voie
digestive », rappelle l’Agence de
sécurité sanitaire (Anses), même si la
possibilité d’infecter les voies respira-
toires lors de la mastication d’un ali-
ment contaminé ne peut être exclue.
Mais là encore, les épidémiologis-
tes sont formels : passer la viande
sous l’eau et bien la cuire permet de
tuer le virus.
François GRÉGOIRE.
Aucune étude scientifique ne prouve pour l’instant que les végétariens sont moins touchés par le coronavirus.
| PHOTO : DRAGONIMAGES – FOTOLIA
L’information selon laquelle les végétariens seraient moins touchés que les autres
par le coronavirus a circulé lors de la première vague et ressurgit avec la deuxième. Qu’en est-il ?
Les végétariens mieux armés face au virus ?
Lecteurs du journal, du site Ouest-
France, de l’Édition du Soir et mem-
bres de nos pages sur les réseaux
sociaux, posez-nous vos questions
par courrier, par courriel (ouest-france.vous.repond@ouest-fran-
ce.fr), sur LaPlace, l’espace de nos abonnés et sur Facebook.
Retrouvez les réponses sur ouest-france.fr/vous-repond
VousRépond
#OuestFrance
Annulations d’événements, chutes
des adhésions, recettes en berne…
Le milieu associatif est en grande dif-
ficulté. La crise tant sanitaire qu’éco-
nomique laissera des traces. Avec le
confinement, deux tiers des associa-
tions – culturelles, sportives notam-
ment – ont dû suspendre leur activité
et, d’après l’enquête menée avant
l’été par Recherches et Solidarités,
4 000 associations employeurs sont
menacées de disparaître,
30 000 sont en risque de dépôt de
bilan.
Les bénévoles, le tissu associatif,
sont dans nos villes et nos villages le
poumon essentiel de la solidarité, du
vivre ensemble, de l’innovation socié-
tale. Au-delà des constats, des solu-
tions existent. C’est dans ce sens que
l’équipe de « Ouest-France vous
répond » propose de réunir des
experts du milieu associatif afin
d’esquisser des réponses à vos pro-
blèmes du quotidien. Vous êtes
bénévoles, dirigeant salarié d’une
association ou simplement attaché
au mouvement associatif ? Vous avez
mille interrogations à l’esprit. Com-
ment maintenir du lien entre les béné-
voles ? Comment je peux soutenir
une association ? Comment amorcer
une transition numérique ? Quels
sont les dispositifs d’aide ? Comment
se réinventer ?
C’est dans ce champ très large de
vos préoccupations que nous sollici-
terons pour vous des référents dans
ce domaine : HelloAsso pour le finan-
cement, la digitalisation des événe-
Quelles solutions pour aider les assos ?
Associations et bénévoles en désarroi. Comment en sortir ? Ouest-
France, avec l’appui d’experts, tente d’apporter des réponses.
ments ; Tous Bénévoles pour le béné-
volat ; La Fonda pour la gouvernance
associative : Charlotte Debray, délé-
guée générale de La Fonda ; La
DJEPVA, la direction jeunesse éduca-
tion populaire et vie associative du
ministère de l’Éducation nationale
pour les dispositifs d’aide de l’État et
des collectivités ou les questions
réglementaires… Et Infolocale, plate-
forme de référence pour la diffusion
de la vie associative. « Nous avons
des propositions pour mettre les
communautés locales en mouve-
ment, explique son responsable,
David Moizan, pour favoriser la vie
locale en maintenant le lien social
même digitalisé et générer des dons
aux associations. »
Envoyez-nous vos questions sur
ouest-france.vous.repond@ouest-
france.fr. Des réponses seront appor-
tées dans un Direct sur ouest-fran-
ce.fr, vendredi 20 novembre, de 10 h
à 12 h. Et samedi 21 novembre dans
ce journal.
Sébastien GROSMAITRE.
Associations et bénévoles ont besoin
d’aide. | PHOTO : OUEST-FRANCE
Ouest-France
14-15 novembre 2020Ouest-France vous répond